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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 109 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 17 octobre 2018

[Énregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Bonjour à tous. La séance est ouverte. Nous poursuivons notre étude sur la souveraineté canadienne dans l'Arctique.
    Nous revenons tout juste de notre récent voyage dans l'Arctique. Je suis heureux de voir un certain nombre de députés qui ont participé à ce voyage avec nous ici, aujourd'hui.
    Je tiens aussi à souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Nous avons deux groupes de témoins, aujourd'hui.
    Pour ce qui est du premier groupe de témoins, nous accueillons Michael Byers, titulaire de la chaire de recherche du Canada en politique et en droit internationaux du Département des sciences politiques de l'Université de la Colombie-Britannique. Nous accueillons aussi Suzanne Lalonde, professeure à la faculté de droit de l'Université de Montréal.
    Bienvenue. Nous allons commencer par vos témoignages, puis passer immédiatement aux questions des membres. Je suis sûr qu'il y en aura beaucoup.
    Sur ce, monsieur Byers, je vais vous demander de commencer.

[Français]

    Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. Bien sûr, je parle français, mais mon anglais est bien meilleur. Je parlerai donc en anglais aujourd'hui.

[Traduction]

    Vous avez entendu le témoignage du conseiller juridique d'Affaires mondiales Canada, Alan Kessel, qui est l'un des meilleurs avocats en droit international que je connaisse. Je vais essayer de m'appuyer un peu sur son travail, et peut-être vous expliquer deux ou trois des principaux enjeux en des termes légèrement différents afin que tout le monde puisse comprendre le contexte, ici.
    La première chose que je veux dire, c'est que la souveraineté dans l'Arctique est parfois perçue de différentes façons. Pour un avocat comme M. Kessel, la souveraineté dans l'Arctique concerne nos relations avec d'autres États-nations, et il est donc ici question de frontières maritimes, de notre unique différend territorial concernant l'île Hans et le statut du passage du Nord-Ouest. Pour un avocat en droit international comme M. Kessel, voilà ce que signifie la souveraineté.
    Pour les gens qui vivent dans le Nord, la souveraineté fait intervenir un plus large éventail d'enjeux. Cela inclut la recherche et le sauvetage, la surveillance policière de choses comme la contrebande, le commerce de la drogue ou l'immigration illégale. Il est aussi question pour eux d'enjeux socioéconomiques, de la crise du logement et de la crise de la santé. La souveraineté est un vaste concept, mais pour les avocats, c'en est un assez étroit.
    Je vais vous parler de la forme étroite de la notion de souveraineté, mais je serai prêt, durant la période des questions, à parler des enjeux comme la recherche et le sauvetage ou le déglaçage.
    Je vais commencer par l'aspect le moins préoccupant et faire mon chemin jusqu'à la préoccupation la plus importante. Commençons par le Danemark. Le Danemark possède la plus grande île du monde qui n'est pas un continent, le Groenland. Le Groenland jouit d'une certaine autonomie gouvernementale, mais, dans le cas des relations étrangères, c'est le Danemark qui est responsable.
    Nous avons deux différends frontaliers insignifiants avec le Danemark. L'un concerne l'île Hans, 1,3 kilomètre carré de roche. Le différend ne concerne pas les eaux entourant l'île. Nous avons convenu des limites maritimes jusqu'à la laisse de basse mer de chaque côté de l'île. La frontière est établie depuis 1973. Le problème concerne donc seulement le rocher, 1,3 kilomètre carré de roche dans une région qui compte des milliers et des milliers de kilomètres.
    L'autre différend insignifiant avec le Danemark concerne deux ou trois vraiment petites zones dans la mer de Lincoln au nord du Groenland et de l'île d'Ellesmere. Essentiellement, ce différend a été réglé par un groupe de travail réunissant des représentants des deux pays. Il s'agit simplement de savoir si on peut compter une petite île comme point de base pour calculer la frontière. D'après ce que j'ai compris, les deux gouvernements pourraient annoncer une solution mutuellement acceptable dès qu'il sera politiquement opportun de le faire, alors il n'y a là rien d'important. Le Danemark n'est pas un problème. Il s'agit, bien sûr, d'un pays de l'OTAN, et nous avons de très bonnes relations commerciales avec ce pays, y compris dans le cadre du nouvel accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne.
    Puis, il y a la question de la Russie. Certains d'entre vous savent que la Russie a adopté un mauvais comportement dernièrement, y compris en Ukraine et en Syrie et, du moins, semble-t-il, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Je ne me fais aucune illusion au sujet de la Russie, mais, lorsque j'analyse la position de ce pays dans l'Arctique, j'ai un certain niveau d'optimisme, non pas parce que Vladimir Poutine est un ami du Canada, mais parce qu'il est un intervenant rationnel. La Russie est le plus grand pays du monde et elle possède un très grand territoire incontesté dans l'Arctique. La Russie possède de très vastes zones économiques exclusives incontestées dans l'Arctique.
    La Russie possède de façon incontestée la moitié de l'Arctique. Elle n'en a pas besoin de plus. Elle n'a pas besoin d'un plus grand pan de l'Arctique. Elle sait aussi que l'Arctique est un endroit extrêmement dispendieux à partir d'où exercer ses activités. Dans l'Arctique, pour des raisons rationnelles, la Russie se comporte correctement.

  (1535)  

    C'est quelque chose de très important à comprendre: les Russes ne peuvent pas se permettre de militariser un autre front. Ils ont déjà des problèmes le long des frontières avec les pays de l'OTAN en Europe de l'Est. Ils ont déjà un important engagement au Moyen-Orient. Ils s'inquiètent au sujet de leur frontière terrestre avec la Chine et de problèmes dans l'Extrême-Orient russe. Dans un monde optimal pour eux, ils auraient peut-être un intérêt dans l'Arctique, mais ce n'est pas un monde optimal pour la Russie. En fait, la Russie est en crise économique et démographique, alors elle coopère.
    Le Conseil de l'Arctique fonctionne normalement. C'est remarquable, mais les choses roulent normalement. Les anciens ministres des Affaires étrangères Lawrence Cannon et Stéphane Dion — c'est tout à leur honneur — ont déployé de réels efforts de coopération dans l'Arctique avec la Russie, se rendant bien compte qu'il s'agissait d'une occasion de veiller à ce qu'une partie de la relation soit paisible.
    Parlons maintenant des États-Unis. Bien sûr, les États-Unis sont notre allié le plus important, y compris au sein de l'OTAN et du NORAD. Les États-Unis possèdent des intérêts navals énormes partout dans le monde. Ce pays possède un solide intérêt quant à la liberté de navigation, et nous avons un différend amical de longue date avec les États-Unis quant au statut du passage du Nord-Ouest. Il s'agit selon eux d'un détroit international traversant les eaux canadiennes — des eaux canadiennes, mais assujetties à un droit de passage —, tandis que nous considérons que ce sont des eaux intérieures.
    Depuis 1988, lorsque Brian Mulroney a négocié l'Accord sur la coopération dans l'Arctique avec les États-Unis, nous avons accepté de ne pas être d'accord. Ils nous demandent toujours la permission pour réaliser des recherches scientifiques lorsqu'ils passent par le passage du Nord-Ouest, et nous leur accordons toujours.
    Voilà qui m'amène à la Chine. La bonne nouvelle, ici, c'est que, l'année dernière, lorsque la Chine a envoyé son brise-glace de recherche, le Xue Long, le « dragon des neiges » dans le passage du Nord-Ouest, elle a décidé qu'elle n'avait aucun intérêt à contester la revendication du Canada. Certaines tractations diplomatiques exceptionnelles ont lieu entre des représentants canadiens et chinois, les Chinois ont demandé la permission de réaliser des recherches scientifiques, et le Canada a acquiescé.
    Pourquoi est-ce si important? Peu importe qu'il s'agisse d'un détroit international ou d'eaux intérieures, il faut obtenir la permission pour réaliser des recherches scientifiques. Les États-Unis et la Chine ont tous les deux éludé le différend. Ils n'ont pas reconnu la position du Canada, ils ont tout simplement choisi de ne pas la contester et plutôt de contourner le différend.
    J'en arrive à mon dernier point. Les États-Unis continueront de se comporter comme ils le font déjà. Ils ont certains intérêts à maintenir la coopération canadienne dans l'Arctique. Je ne suis pas inquiété par les États-Unis dans le passage du Nord-Ouest.
     La Chine n'a pas encore pris position au sujet du statut juridique du passage du Nord-Ouest, mais il est difficile de dire ce que fera la Chine à l'avenir. Son principal intérêt, c'est un transport maritime commercial sécuritaire et efficient. Par conséquent, idéalement, elle a besoin d'une solide coopération canadienne. Elle a besoin de recherche et sauvetage, d'aide à la navigation, de ports de refuge. D'un point de vue rationnel, par conséquent, la Chine voudra travailler en collaboration avec le Canada.
    Elle a aussi un conflit un peu similaire concernant l'île Hainan et la Chine continentale — le détroit de Qiongzhow ou le détroit de Hainan — où elle a un opposant juridique, les États-Unis, et où la position chinoise est identique à la position canadienne relativement au passage du Nord-Ouest.
    La dernière chose que je veux dire dans ma déclaration préliminaire, c'est que la situation que je juge importante d'un point de vue diplomatique actuellement, dans le cas de l'Arctique, c'est qu'il faut, en fait, interagir avec la Chine. Nous n'allons peut-être pas nous entendre et régler tous nos différends, mais il faut indiquer clairement que nous voulons travailler en collaboration avec elle en ce qui concerne le transport maritime dans l'Arctique, de façon à l'empêcher de se retourner et de prendre le contrepied du Canada au sujet du statut juridique du passage du Nord-Ouest.
    Merci beaucoup.

  (1540)  

    Merci beaucoup.

[Français]

     Professeure Lalonde, vous avez la parole.

[Traduction]

    En tant que spécialiste du droit de la mer, je limiterai mes observations aux questions cernées dans le Règlement du Comité, où on soulève des considérations et des préoccupations juridiques liées au domaine maritime: le passage du Nord-Ouest et, si le temps le permet, le plateau continental étendu.
    Dans mon domaine d'expertise, le droit de la mer, le passage du Nord-Ouest est de loin l'enjeu le plus délicat en ce qui a trait à la souveraineté canadienne dans l'Arctique. J'ai préparé des notes explicatives concernant le débat entourant le statut juridique et les conséquences pour le Canada. Si cela peut être utile, je serai heureuse de les communiquer aux membres du Comité.
    Comme M. Byers vient de l'expliquer, et c'est quelque chose de bien connu, le Canada affirme que toutes les eaux de l'archipel Arctique sont des eaux intérieures historiques du Canada. Au titre du droit international, comme les membres du Comité le savent probablement, un État peut exercer un pouvoir exclusif et absolu dans ses eaux intérieures, y compris le droit d'en contrôler l'accès. Par conséquent, la navigation qui passe par le passage du Nord-Ouest est assujettie aux lois et à la réglementation du Canada, et toutes violations connexes peuvent être sanctionnées par les organismes et les mécanismes d'application de la loi canadiens.
    Cependant, comme on l'a souligné, Washington affirme depuis longtemps — et c'est une position que les États-Unis ont maintenue de façon douloureusement constante — que les routes du passage du Nord-Ouest constituent un détroit international assujetti au droit de passage en transit. Comme le définit la partie III de la Convention sur le droit de la mer, le passage en transit signifie la liberté de navigation des navires et des aéronefs, civils et militaires, de tous les pays.
    Il est important de souligner cet aspect souvent négligé du cadre juridique régissant les détroits internationaux. Le cadre garantit un droit de navigation pour les navires et les sous-marins sur l'eau et sous l'eau, mais permet aussi le passage d'aéronefs dans le corridor aérien international au-dessus d'un détroit international. Le navire, les sous-marins et les aéronefs, civils et militaires, ont droit à un libre passage par les détroits internationaux.
    Même si ce désaccord entre le Canada et les États-Unis dure depuis longtemps — au moins 40 ans —, il a été bien géré, et Washington n'a jamais tenté de miner la position juridique du Canada, par exemple, en envoyant un navire de guerre sans préavis dans le passage.
    La glace a toujours été un allié, isolant le Grand Nord canadien et permettant de gérer ce problème comme un irritant mineur et occasionnel dans le cadre de relations spéciales entre le Canada et les États-Unis. Cependant, la glace fond. Ce nouvel accès a transformé l'Arctique et le passage du Nord-Ouest en une zone stratégique dans la mire d'intérêts mondiaux.
    Le statut du passage du Nord-Ouest n'est plus un débat juridique ésotérique et bizarre entre des universitaires canadiens et américains. Ce n'est plus un enjeu bilatéral. En septembre 2003, le ministre fédéral allemand des Affaires étrangères a publié des lignes directrices sur la politique allemande liée à l'Arctique, dans laquelle le pays avait annoncé que le gouvernement fédéral allemand faisait campagne pour obtenir une liberté de navigation dans l'océan Arctique, qui a été défini comme incluant le passage du Nord-Ouest. On ne sait pas exactement ce que signifiait le fait de « faire campagne » ni ce que cela sous-entendait dans un tel contexte, mais j'ai été bien sûr très soulagé de constater que la politique de 2016 de l'Union européenne sur l'Arctique n'avait pas été influencée par le point de vue allemand.
    En janvier 2018, la Chine a publié un livre blanc faisant état d'une politique sur l'Arctique tout à fait ambigüe, du moins en ce qui concerne le passage du Nord-Ouest. Les passages les plus intrigants et nébuleux figurent à la partie IV, paragraphe 3(1), intitulé « Participation de la Chine au développement des routes de navigation dans l'Arctique ». Le paragraphe principal débute par une définition de ce que la Chine signifie veut dire par routes de navigation dans l'Arctique, ce qui inclut le passage du Nord-Ouest.
    Le livre blanc chinois déclare ensuite que, en raison du réchauffement climatique, les routes de navigation de l'Arctique — ce qui, bien sûr, inclut le passage du Nord-Ouest — sont « susceptibles de devenir des routes de transport importantes », ajoutant ensuite que « la Chine respecte les pouvoirs législatifs et décisionnels et les pouvoirs d'application de la loi des États de l'Arctique dans les eaux relevant de leur compétence ».
    Tout ça semble formidable, une reconnaissance, pourrait-on dire, de la souveraineté du Canada sur le passage du Nord-Ouest. Cependant, le reste du paragraphe soulève d'importantes préoccupations et se lit comme suit:
La Chine soutient que la gestion des routes de navigation dans l'Arctique devrait se faire conformément aux traités [...] et que la liberté de navigation dont bénéficient tous les pays [...] et leur droit d'utiliser les routes de navigation dans l'Arctique devraient être garantis. La Chine maintient que les différends quant aux routes de navigation de l'Arctique devraient être réglés de façon appropriée conformément au droit international.
    Bien sûr, ces deux dernières phrases contredisent complètement le soutien exprimé dans la phrase précédente. La référence à la liberté de navigation dans les routes de navigation de l'Arctique, qui, selon la définition, incluent le passage du Nord-Ouest, est, bien sûr, en complète contradiction avec la position canadienne officielle.
    Le libre blanc de la Chine semble aussi donner une certaine légitimité à l'idée qu'il y a un différend quant au statut des routes de navigation dans l'Arctique qui, encore une fois, incluent le passage du Nord-Ouest.

  (1545)  

    Comme M. Byers l'a mentionné, tout espoir que le gouvernement chinois puisse reconnaître explicitement la position canadienne afin de renforcer sa propre revendication relativement au détroit de Qiongzhou a été anéanti lorsqu'il a choisi d'invoquer les règles sur la recherche scientifique marine pour justifier le passage de son brise-glace de recherche, le Xue Long qui est un navire d'État, dans le passage, en 2017.
    Par conséquent, plus que jamais, le Canada doit être présent et exercer une autorité réelle dans le passage. Au cours du dernier siècle, la Garde côtière canadienne a assuré en grande partie une telle présence. L'ajout des navires de patrouille extracôtiers et de l'Arctique de la Marine sera extrêmement utile pour montrer la résolution et la détermination du Canada à protéger ses limites maritimes et à défendre ses intérêts nationaux. Cependant, pour être efficaces, les Forces armées canadiennes doivent être équipées de la meilleure technologie de surveillance et de détection possible, pour surveiller non seulement les navires en surface, mais les sous-marins sous l'eau.
    Pour être clair, en tant que souverain sur son territoire et afin de protéger sa position juridique à l'égard du passage du Nord-Ouest, le gouvernement du Canada doit réagir lorsqu'un navire ou un sous-marin pénètre dans l'archipel sans avoir été annoncé et sans avoir été invité. Le temps disponible pour les négociations diplomatiques entre le Canada et l'État d'immatriculation du navire serait grandement limité. La délivrance d'une lettre officielle de protestation à l'État d'immatriculation du navire, même si elle est possible, serait probablement considérée comme une réaction assez faible et offrirait assurément peu de protection contre un préjudice potentiel causé par la présence d'un tel navire fautif.
    Selon moi, et en l'absence d'une solution politique, le Canada devrait être prêt et disposé à intercepter les navires. Les Forces armées canadiennes doivent par conséquent avoir la capacité d'intercepter un navire étranger qui navigue dans le passage sans sa permission et, en fait, si ce dernier constitue une menace. Vu les distances et les conditions en cause, cet aspect de la mission des Forces armées pose un défi important. Je crois qu'il serait par conséquent approprié de stationner une unité spécialisée, au moins un aéronef militaire — comme M. Byers l'a fait valoir dans d'autres tribunes — dans l'Arctique, du moins durant la saison de navigation.
    Cependant, affirmer que le passage du Nord-Ouest — et c'est là mon dernier point sur le passage du Nord-Ouest — représente des eaux intérieures souveraines ne fait pas seulement intervenir des pouvoirs, des prérogatives, des droits et un contrôle. Cela a aussi pour effet d'imposer des responsabilités et des devoirs au Canada. Le Canada doit agir comme un souverain responsable relativement à ses eaux. Le Plan de protection des océans et les importantes sommes affectées à l'Arctique sont des preuves solides et essentielles de l'engagement du Canada à assurer une gouvernance efficace de son territoire maritime dans l'Arctique, et j'ajouterais que ce sont des preuves qui étaient attendues depuis longtemps.
    Si l'intérêt national du Canada consiste à promouvoir une navigation sécuritaire et responsable dans ses eaux fragiles, il doit alors faire les investissements nécessaires pour répondre de façon adéquate aux besoins en matière de navigation et, ce qui est plus crucial, produire des cartes nautiques modernes et exactes. Il doit désigner des lieux de refuge et fournir au moins une capacité minimale de recherche et de sauvetage. Vu l'immensité du territoire en question, je soutiens fortement l'initiative de Transports Canada en collaboration avec la Garde côtière et des collectivités autochtones locales en vue de concevoir et d'établir des corridors maritimes dans l'Arctique. Je ne peux qu'espérer que, après plus de cinq ans d'analyse et de consultation, un projet pilote de corridor sera bientôt réalisé.
    Voici les derniers points que je veux aborder. Je suis aussi un fervent partisan de la création de zones de protection marine dans les eaux de l'Arctique canadien, particulièrement lorsque des plans de gestion de telles zones sont conçus en collaboration avec les collectivités autochtones locales. Il s'agit d'une manifestation de la vision et des priorités canadiennes quant à la souveraineté de son territoire maritime.
    De telles initiatives axées sur la collaboration renforcent aussi la réalité selon laquelle les eaux arctiques et canadiennes sont un territoire culturel. Le Canada doit continuer à assurer fermement son contrôle, son autorité et, oui, exercer aussi sa souveraineté sur le passage du Nord-Ouest, mais il doit aussi travailler de façon à convaincre d'autres États intéressés, grâce à des mesures concrètes et des investissements nécessaires, qu'il peut être un intendant responsable du passage du Nord-Ouest.
    Je serai heureuse de répondre à vos questions sur le plateau continental.
    Merci beaucoup à nos deux témoins de leurs témoignages.
    Nous allons passer tout de suite aux questions. Nous allons commencer par la députée Alleslev, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup à tous les deux de vos exposés vraiment instructifs.
    Je crois que la première question que j'aimerais poser est pour ceux d'entre nous qui ne connaissent pas la réponse. Y a-t-il plusieurs passages du Nord-Ouest? Ces passages se trouvent-ils tous dans ce qu'on pourrait définir comme les eaux intérieures du Canada ou y en a-t-il certains qu'on peut plus difficilement justifier comme faisant partie de nos eaux internes que d'autres?

  (1550)  

    Dans une carte classique qui est utilisée dans le monde entier, M. Pharand, professeur émérite à l'Université d'Ottawa, définit sept routes différentes qu'un navire peut emprunter et qui sont considérées mondialement comme constituant le passage du Nord-Ouest, et toutes ces routes passent par notre territoire établi dans l'Arctique, dans les eaux intérieures du Canada. Toutes ces routes sont visées par la souveraineté du Canada.
    Tout récemment, un brise-glace russe a aidé, si je ne m'abuse, un bâtiment danois à emprunter pour la première fois une route entre l'Asie et l'Eurasie. A-t-on demandé la permission, à votre connaissance, ou est-ce là le début d'une époque où les gens ne demandent plus la permission, et cela pourrait-il être considéré comme un précédent?
    Merci de la question, parce qu'elle me permet de préciser que, en plus du passage du Nord-Ouest, qui passe par l'archipel arctique canadien, il y a, de l'autre côté de l'océan Arctique, une route de navigation appelée la route maritime du Nord qui passe le long de la côte de la Russie. Il y a plusieurs points d'étranglement le long de cette route, entre les îles russes de la côte et la partie continentale de la Russie, où le passage fait moins de 24 milles nautiques, et la Russie affirme que ce sont là des eaux intérieures.
    La position juridique russe est identique à la position juridique du Canada, et la seule partie contestant leur position, c'est les États-Unis. Il y a d'autres parallèles entre la situation de la Russie relativement à la route maritime du Nord et la situation du Canada dans le passage du Nord-Ouest. En fait, le seul pays à avoir soutenu publiquement la position du Canada était l'Union soviétique, en 1985.
    Ce qui se passe, c'est que la route maritime du Nord s'ouvre plus rapidement que le passage du Nord-Ouest pour des raisons climatiques que je ne comprends pas complètement, et la Russie cherche à attirer des navires étrangers. Les Russes essaient de faire venir des bateaux commerciaux, y compris des vaisseaux chinois. Ils leur imposent des frais de déglaçage, ce qui leur permet de gagner des revenus et, bien sûr, ils exigent un consentement. Personne n'a jamais contesté la Russie à cet égard. Personne n'a jamais essayé de passer par là parce que la Marine russe est une force assez redoutable.
    C'est essentiellement ce que je demande. Les États-Unis ont-ils remis en question le fait que la Russie a fait de ces eaux des eaux intérieures, et cela pourrait-il constituer un précédent pour nous, dans notre cas, et dans le cas de la protection du passage du Nord-Ouest en tant qu'eaux intérieures nous appartenant?
    Je crois que c'est en 1965 que les Américains ont envoyé un navire de la Garde côtière pour naviguer dans le détroit de Vilkitskii, qui est l'un de ces points d'étranglement, et l'ambassade soviétique à Washington a prévenu que l'Union soviétique « irait jusqu'au bout » pour arrêter ce navire. Les États-Unis ont très sagement ordonné au brise-glace de revenir chez lui.
    Non, il n'y a pas eu de contestation, mais la Russie, pour ce qui est de l'enjeu juridique, soutient le Canada. Nous n'avons jamais rien fait à cet égard. Je sais que M. Kessel, qui a comparu devant vous, avait déjà discuté avec son homologue à Moscou, avant 2014, mais je ne crois pas que quoi que ce soit se passe à l'heure actuelle.
    Je crois savoir que vous avez des preuves anecdotiques que des sous-marins russes ont pénétré dans nos eaux, dans l'Arctique. Est-ce que le fait que nous ne les ayons pas contestés en tant que tel nuit à notre cause? Quelles sont les conséquences liées au fait de ne pas pouvoir assurer notre souveraineté dans le passage du Nord-Ouest?
    Très simplement, oui, des sous-marins soviétiques utilisent les eaux arctiques canadiennes. Les cartes soviétiques sont bien meilleures que les cartes canadiennes, ce qui est assez concluant...
    C'est effrayant.
    ... à ce chapitre. Cependant, un sous-marin est conçu pour être caché, et quelque chose qui est caché, qu'on ne voit pas, ne peut pas changer une situation juridique.

  (1555)  

    D'accord.
    Le seul problème, c'est si nous le savions et que nous n'avons rien fait. D'un point de vue juridique, c'est mieux de ne pas le savoir.
    D'accord, et pour ce qui est des conséquences liées au fait de ne pas assurer notre souveraineté, est-ce que notre position est affaiblie par le fait que nous n'avons pas établi nos responsabilités dans l'Arctique? Est-ce que notre négligence quant au maintien de nos responsabilités dans l'Arctique mine notre capacité de prétendre qu'il s'agit là d'eaux intérieures?
    Je vais vous demander de vous en tenir à une réponse d'environ 18 secondes, si possible, plus ou moins.
    J'ai été sévère, mais je crois que le Canada a été présent et a pris des mesures pour assurer la sécurité de la navigation. Il était peut-être moins actif que la Russie en ce qui a trait à la promotion de l'Arctique et sa présence là-bas, mais il y avait aussi très peu de circulation. Il y avait aussi très peu de navires, et alors, tandis qu'on voit un intérêt accru, plus d'activités dans l'Arctique canadien, le Canada réagit. Je crois que, heureusement, nous suivons le rythme. Je suis heureuse qu'on le fasse.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer au député Saini, s'il vous plaît.
    Bonjour et merci beaucoup à vous deux d'être là aujourd'hui.
    Madame Lalonde, je vais commencer par citer quelque chose que vous avez écrit:
Le gouvernement américain a clairement exprimé sa crainte à plusieurs reprises et sur plus de quatre décennies quant au fait que la reconnaissance de la souveraineté du Canada sur le passage du Nord-Ouest « serait considérée comme un précédent dans d'autres parties du monde ».
    Dans quelle mesure s'agirait-il d'un précédent? Y aurait-il plus ou moins d'impact parce que les États-Unis n'ont pas signé la Convention des Nations unies sur le droit de la mer?
    En fait, j'en avais assez de voir cet argument nous être lancé en plein visage. Chaque fois que nous allions dans les conférences internationales pour défendre la position canadienne, il y avait toujours un collègue américain qui soulevait la question. James Kraska, du Naval War College, me vient à l'esprit. Je voulais connaître la réponse et, avec un collègue de l'Université Laval, nous nous sommes mis au travail.
    Souvent, l'argument, c'était que, si on dit oui à la position canadienne relativement au passage du Nord-Ouest, qu'arrivera-t-il à Gibraltar et à Malacca, et qu'arrivera-t-il à notre mobilité et notre capacité de nous déplacer à l'échelle internationale?
    L'article a été un succès et un échec à la fois, dans la mesure où ces détroits sont bien établis. Ce sont des détroits internationaux qui font l'objet d'un droit de passage en transit. Cependant, je dois avouer que nous avons découvert que si on devait considérer que les États-Unis se pliaient à la position canadienne ou l'acceptaient, la Russie pourrait voir là un signal propre à l'encourager concernant sa propre revendication, vu les similitudes. Comme M. Byers l'a mentionné, nous avons constaté que la Chine a aussi un détroit faisant l'objet d'un débat. Est-ce un détroit? Est-ce un passage interne? Même le Japon possède un détroit de nature délicate où l'on peut se demander s'il s'agit d'un passage ou d'eaux japonaises.
    Je suppose que j'ai été déçue de devoir reconnaître que, si les États-Unis devaient bouger dans le dossier du passage du Nord-Ouest, peut-être que la Russie, la Chine et le Japon seraient encouragés à faire valoir leurs propres revendications. C'est beaucoup moins un problème qu'on en le pense, cependant. Malheureusement, je ne crois pas que la non-participation des États-Unis à la Convention sur les droits de la mer change la dynamique.
    Si vous me permettez d'ajouter quelque chose... Il est possible de conclure un traité bilatéral avec un État avec lequel nous avons eu un différend pour nous soustraire, dans certains cas, à l'application du droit international. Si le Canada et les États-Unis concluaient une entente bilatérale à propos du passage du Nord-Ouest, la situation ne serait plus assujettie au droit international commun, ce qui élimine la possibilité d'un précédent.
    Les gouvernements canadiens devraient songer à cette solution. Il en va dans notre intérêt commun de défendre l'Amérique du Nord, en particulier au moment où les routes maritimes de l'Arctique sont en train de s'ouvrir. Il n'est pas nécessaire de créer un précédent qui pourra ensuite être utilisé par autrui. Mais nous n'avons pas besoin d'un traité, qui nécessiterait l'aval du Sénat américain; tout ce qu'il nous faut, c'est négocier diplomatiquement un accord exécutif entre nos deux gouvernements.
    D'après mes lectures, il me semble que le problème est aggravé par le fait qu'il y a entre 134 et 265 détroits internationaux dans le monde, mais qu'il n'y a aucune définition précise de ce qu'est un détroit. La définition ne fait-elle pas encore l'objet d'un débat?
    Pour être honnête, je suis extrêmement contente qu'on débatte encore de cela. À dire vrai, je maintiens que le Canada ne demande pas qu'on fasse une exception pour le passage du Nord-Ouest, qu'il soit exempté du régime des détroits. À mon avis, le passage du Nord-Ouest ne remplit pas les critères s'appliquant aux détroits internationaux prévus par le droit international. Vous avez raison de dire que la Convention est loin de fournir une définition satisfaisante. Cependant, une définition a bel et bien été établie dans le cadre de la conférence et dans la jurisprudence, par exemple en lien avec l'affaire du détroit de Corfou. Il y a un critère géographique et, bien sûr, un critère relatif à l'utilisation fonctionnelle.
    Il y a encore un débat de moindre envergure, concernant un grand nombre des détroits clés que vous avez mentionnés, visant à savoir si le critère s'applique à l'utilisation effective ou à l'utilisation potentielle — et cela est pertinent en ce qui concerne le passage du Nord-Ouest —, mais la définition est bien établie. Même les pays ne remettent pas cela en question. Au point où nous en sommes, c'est bien établi.

  (1600)  

    Vous venez tout juste de dire que la Chine a utilisé le passage du Nord-Ouest avec notre permission.
    Ce qui pourrait en partie renforcer notre revendication sur le passage du Nord-Ouest, c'est cette notion que « le Canada doit démontrer qu'il a exercé une compétence exclusive sur ces eaux pendant une longue période avec le consentement des états étrangers ». Les États-Unis ne nous ont pas donné leur permission. Mais puisque la Chine a commencé à utiliser le passage du Nord-Ouest en se conformant aux lois et aux règlements canadiens, son activité témoigne du consentement des états étrangers à la souveraineté canadienne.
    Êtes-vous en train de citer Alan Kessel? Cela ressemble beaucoup à son témoignage devant le Comité.
    Non, ce n'est pas de lui.
    D'accord.
    Laissez-moi préciser. Le témoignage de M. Kessel sur ce point était un peu imprécis. La Chine n'a pas reconnu la position juridique du Canada. Elle a demandé la permission de mener des recherches scientifiques, ce qui serait obligatoire même si le passage du Nord-Ouest est un détroit international. Elle a décidé de ne pas s'engager dans un conflit juridique. Elle a plutôt contourné le problème, et elle y est arrivée facilement, puisque le Xue Long, ou le « Dragon des Neiges », est un navire de recherche. L'utilisation du passage par la Chine ne peut pas servir à démontrer la souveraineté canadienne.
    Bien sûr, il finira par y avoir des navires chinois autres que des navires de recherche, par exemple des navires de charge qui ne peuvent vraisemblablement pas être utilisés à des fins de recherche scientifique.
    Le Dragon des Neiges 2, par exemple...?
    Peut-être, mais je pensais plutôt à l'entreprise chinoise de transport maritime outre-mer qui travaille avec la Russie et fait passer ses navires par la route maritime du Nord. Ce genre de navires de charge, de transporteurs de vrac et de porte-conteneurs ne peuvent vraisemblablement pas être utilisés à des fins de recherche scientifique et ne peuvent donc pas se prévaloir de l'exception prévue à cette fin. Pour cette raison, le Canada doit dialoguer de façon amicale et diplomatique avec la Chine et lui dire: « nous avons un intérêt commun. Vous voulez une route de navigation rentable et sécuritaire et vous avez besoin pour cela d'un État côtier, vous ne voulez pas créer un précédent négatif qui pourrait nuire à votre propre différend concernant le détroit de Hainan qui longe votre côte continentale. » Il n'y a pas lieu de chercher la confrontation. Il y a une solution diplomatique claire.
    Merci. Je dois vous interrompre, mais il nous sera sans doute possible de revenir sur le sujet.
    La parole va à M. Blaikie; allez-y.
    J'aimerais revenir sur le commentaire que vous avez fait à propos des sous-marins, du fait que la position du Canada serait compromise s'il était au courant de la situation et qu'il n'intervenait pas.
    L'une des choses que nous avons entendues et qui m'a surpris, c'est que le Canada, dans une grande mesure, n'a vraisemblablement aucune idée de ce qui se passe sous les eaux. Nous revenons justement du Nord. Nous avons visité des stations de surveillance du Nord, et on nous a dit que nous étions en mesure de surveiller efficacement ce qui se passait dans les airs et au sol, mais que ce qui se passait sous les eaux restait un mystère absolu.
    Est-il possible que cette ignorance soit délibérée? Si nous renforcions notre capacité de renseignement relativement à ce qui se passe sous les eaux avant de mettre en place notre capacité d'intervention, cela aurait-il pour effet d'affaiblir la revendication du Canada sur le passage du Nord-Ouest?
    Notre connaissance de la situation dans l'Arctique canadien est plutôt bonne, mais c'est quelque chose que les experts négligent souvent. Par exemple, nous avons conçu pour l'Arctique le meilleur satellite radar à synthèse d'ouverture au monde, RADARSAT-2. Le satellite peut mesurer l'épaisseur et la densité de la glace marine. Supposément, il peut même détecter le sillage des sous-marins en plongée. Ce genre d'information est classifiée, alors je ne peux pas l'affirmer hors de tout doute.
    Les successeurs de RADARSAT-2 seront lancés en février; ces trois satellites de la mission de la Constellation RADARSAT utilisent une technologie encore plus poussée. Nous avons une capacité de surveillance depuis l'espace tout à fait acceptable. Cela ne nous permet pas de surveiller absolument tout ce qui se passe sous les eaux, et c'est pourquoi il faut utiliser des capteurs sous-marins.
    Je ne crois pas que l'éventualité d'un problème juridique doive nous empêcher de renforcer notre connaissance de la situation. Tout ce que je dis, c'est que pour l'instant, si un sous-marin soviétique ou russe ou même américain passait dans ces eaux sans que nous nous en rendions compte, le Canada ne serait pas inquiété sur le plan juridique. Ce serait une opération secrète. Du moins, c'est la situation actuelle selon moi.

  (1605)  

    Dans un autre ordre d'idées, certaines personnes sont convaincues qu'il y a un grave déficit infrastructurel dans l'Arctique canadien qui mine nos capacités d'intervention. Je sais que des témoins nous ont aussi parlé un peu du Plan de protection des océans. Lorsque nous étions dans le Nord, nous avons parlé à des membres des unités auxiliaires de la Garde côtière canadienne, et ils étaient fous de joie, à juste titre, à l'idée de recevoir un nouveau bâtiment de 28 pieds. Cependant, ils nous ont aussi dit que leurs effectifs — ce sont les seules personnes à des centaines de kilomètres à la ronde — ne leur permettaient pas vraiment d'intervenir auprès d'un navire de croisière ou un gros navire commercial.
    De quel genre d'infrastructure avons-nous besoin si nous voulons être en mesure, idéalement, de répondre aux besoins en matière de capacité d'intervention? Je parle ici des capacités de recherche et sauvetage et des autres types d'aide qu'il faudrait pouvoir fournir aux navires commerciaux de partout dans le monde pour démontrer que le Canada contrôle ses eaux et qu'il peut fournir ce genre de services? Où en sommes-nous, par rapport à cette infrastructure? Quel échéancier devrions-nous respecter pour mettre en place ce qu'il faut et éviter que la situation nous échappe, étant donné que les glaces fondent et qu'il y a de plus en plus de routes maritimes?
    Au cours des huit dernières années, deux petits navires de croisière se sont échoués sur une masse de roches dans le Haut-Arctique canadien. Les deux fois, la météo ne posait aucun problème.
    J'ai moi-même navigué sur ces eaux malgré des vents violents et des vagues de 20 pieds qui auraient pu réduire ces navires en pièces. Les Forces canadiennes doivent intervenir rapidement et extraire — ce sont des navires relativement petits, alors disons 200 personnes —, mais cela met leurs capacités à rude épreuve.
    Le Cormorant est un hélicoptère phénoménal. Jusqu'à 40 personnes peuvent prendre place à bord, et il peut rester en vol malgré des vents de la force d'un ouragan. Le problème, c'est que ces appareils sont déployés sur l'île de Vancouver, à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse. Le trajet jusqu'au passage du Nord-Ouest peut leur prendre plus de 24 heures, et c'est pourquoi — et Suzanne a aussi fait un commentaire à ce sujet — j'ai recommandé de songer à la possibilité de déployer l'un des hélicoptères sur une base avancée pendant l'été, pendant qu'il y a des navires.
    Bien évidemment, il revient aux hautes sphères des Forces armées canadiennes d'examiner la question. Quels sont les besoins des Forces? Leur faut-il plus de matériel? Pour l'instant, nous avons une excellente connaissance de la situation et les meilleurs hélicoptères de recherche et de sauvetage au monde. La question est la suivante: sont-ils déployés au bon endroit et au bon moment?
    C'est pour cette raison que je suis fortement en faveur de l'initiative des corridors maritimes. Peut-être que cela nous permettrait de les positionner à l'avance... Même si nous ne les obligeons pas, nous pourrions encourager les navires à respecter les corridors qui ont été délimités jusqu'ici. Évidemment, les navires de croisière veulent aller là où il n'y a personne, mais Transports Canada essaie de prendre des mesures avec une grande diligence. Je pense entre autres au Crystal Serenity qui a accompagné le Shackleton, mais il y a d'autres exemples.
    Même si cela me préoccupe énormément, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le Canada respecte des normes absolument irréprochables sur des milliers de... Nous devons assurer notre présence là où il le faut et tenter d'élaborer des plans et peut-être de nous positionner d'avance. Il y a encore des choses à régler, mais nous progressons, et il était plus que temps, si nous voulons éviter que ce genre de choses fasse les manchettes aux quatre coins du monde, ce qui serait véritablement désastreux.
    Merci beaucoup.
    La parole va maintenant à M. Sidhu.
    Monsieur Byers, je veux vous souhaiter la bienvenue. Je suis le seul député de Colombie-Britannique qui siège au Comité.
    Vous avez eu des bons mots pour la Norvège et sur le fait qu'elle veut éviter les conflits et tout le reste. La Russie possède la plus longue côte au monde. La Chine veut utiliser le passage. Je ne sais pas ce qu'elle compte y transporter, étant donné qu'il n'y a que 100 000 personnes qui vivent sur ces 40 % du territoire canadien. Il n'y a pas suffisamment de personnes là-bas pour acheter ses marchandises, d'où ma question. Les investissements que la Chine fait... Peut-être qu'elle a un autre objectif. Elle a voulu bâtir un aéroport au Groenland, mais les États-Unis se sont interposés et ont dit: « Non, nous allons nous en charger. » La Chine veut avoir une présence. J'aimerais comprendre ses motifs, à dire vrai.
    Commençons par cela.

  (1610)  

    Tout simplement, la Chine ne compte pas utiliser le passage du Nord-Ouest pour expédier des marchandises au Canada. Ce qu'elle veut, c'est utiliser le passage du Nord-Ouest comme raccourci entre le territoire chinois et la côte américaine sur l'Atlantique.
    La terre étant une sphère, la route maritime optimale dépend de votre point de départ et de votre destination. La route optimale pour les expéditions de la Chine vers l'Europe est la route maritime du Nord qui longe la côte nord de la Russie. Le passage du Nord-Ouest, lorsqu'il est libre de glaces — il y a encore de la glace pour l'instant, mais elle pourrait bientôt disparaître —, serait la route optimale pour les expéditions de la Chine vers la côte atlantique des États-Unis. Voilà son objectif. Voilà ce qui l'intéresse.
    Le scénario idéal serait que la Chine dispose d'un port de transbordement qui se trouverait probablement quelque part à Terre-Neuve. Dans le passage, la Chine pourrait utiliser des navires renforcés pour la navigation dans les glaces, puis transférer les marchandises sur des porte-conteneurs classiques à Terre-neuve. Les porte-conteneurs partiraient ensuite vers le sud, vers différents ports des États-Unis.
    Selon moi, cette éventualité n'est pas nécessairement une menace, puisqu'il s'agit d'activités commerciales et que nous n'avons pas de port de transbordement à Terre-Neuve. Peut-être pourrions-nous en construire un en partenariat avec la Chine.
    Comprenez-moi bien, il y a beaucoup de choses qui me préoccupent par rapport à la Chine, et j'aimerais éviter qu'elle s'empare d'un port de Vancouver. Je crois cependant que nous pourrions avoir des discussions très fructueuses si elle décidait de consacrer quelques milliards de dollars à un partenariat avec le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve dans le cadre de son initiative de route de la soie polaire.
    J'ai l'impression que la plupart des grands pays du monde préfèrent utiliser des ressources provenant de l'extérieur de leur territoire. Par exemple, les États-Unis n'exploitent pas leurs propres ressources pétrolières ou forestières, même s'ils en ont énormément. Essentiellement, ils importent tout de l'étranger.
    Cela m'amène à m'interroger sur la Russie. Même si ce pays possède la plus longue côte au monde, à ma connaissance, ses ressources côtières sont pratiquement épuisées. Corrigez-moi si je me trompe, mais je crois que les Russes aimeraient explorer les ressources de notre territoire en Arctique. Qu'en pensez-vous?
    Je suis déjà allé en Sibérie. La Russie est le plus grand pays du monde. La majeure partie de ses côtes n'est pas exploitée. À mon avis, la Russie a une longueur d'avance sur nous en ce qui concerne le forage pétrolier et gazier dans l'Arctique, y compris le transport, et il en faut de nombreuses décennies avant qu'elle ait à se soucier de l'épuisement des gisements marins dans sa zone économique exclusive. Vous avez raison de dire que les gisements terrestres sur le territoire russe ont commencé à s'épuiser, mais la Russie possède toujours de vastes zones maritimes, et c'est ce qu'elle compte exploiter.
    Vous auriez pu aller un peu plus loin et poser la même question à propos de la Chine. La Chine est un État souverain et un joueur rationnel, et elle a compris qu'elle pouvait utiliser le commerce et les investissements étrangers pour obtenir de l'étranger les ressources dont elle a besoin. C'est ainsi qu'elle agit en Afrique et en Amérique latine. C'est également pour cette raison que plusieurs entreprises appartenant à l'État chinois ont investi dans des ressources canadiennes. Je n'y vois pas une menace, pourvu que les mesures habituelles de protection de la sécurité nationale soient en place.
    Vous avez dit que nous devrions travailler avec la Chine, et ce serait une bonne chose. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais qu'en est-il des normes environnementales chinoises? De notre point de vue, elles ne sont pas vraiment à la hauteur. Est-ce que les questions environnementales pourraient nuire à notre collaboration dans l'Arctique?
    N'importe quelle entreprise ou n'importe quel pays étranger qui veut participer à des activités d'exploitation des ressources naturelles au Canada est assujetti aux lois du Canada et fait l'objet d'une surveillance canadienne. Cela va tout simplement de soi. Cela ne me préoccupe pas, mais il faut que les organismes de réglementation du Canada soient financés convenablement pour assurer la surveillance nécessaire. Cela s'applique de façon générale; ce n'est pas limité à la Chine.

  (1615)  

    Merci.
    La parole va à M. Wrzesnewskyj. Allez-y.
    Monsieur Byers, deux ou trois de vos commentaires ont éveillé ma curiosité. Vous avez dit que la Russie ne veut pas d'un plus grand pan de l'Arctique. Elle a pourtant présenté une revendication fondée sur la dorsale Lomonosov, qui serait, selon elle, un prolongement de la masse continentale eurasienne. Non seulement la Russie utilise-t-elle cette revendication pour revendiquer également des eaux arctiques internationales, mais, dans les cartes qu'elle a dressées récemment, elle étend la dorsale pratiquement jusqu'aux côtes de l'Île d'Ellesmere. Les Russes ont présenté des échantillons de sol qu'ils ont prélevés dans les fonds marins à deux ou trois kilomètres de profondeur. Ils ont clairement utilisé des véhicules sous-marins pour cela. Ils ont cartographié la dorsale en entier et ont formulé une revendication internationale sur ces eaux, qui comprennent et des eaux internationales et les eaux canadiennes au large de l'île d'Ellesmere.
    Vous comprenez pourquoi votre commentaire à ce sujet dans votre exposé m'a laissé perplexe.
    Vous voulez parler des plateaux continentaux étendus. En vertu de l'article 76 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, un État côtier est réputé avoir des droits souverains sur un fond marin qui se trouve à plus de 200 milles marins seulement s'il peut prouver que le fond marin est le prolongement naturel de sa masse continentale.
    Dans les faits, l'Amérique du Nord et l'Eurasie formaient il y a longtemps un seul et même continent. Les scientifiques russes, canadiens et danois croient que la dorsale Lomonosov est un prolongement naturel des deux côtés, et c'est pourquoi, en 2014, le Danemark a présenté aux Nations unies des données scientifiques montrant que la dorsale Lomonosov était un prolongement du Groenland qui s'étendait jusqu'à la zone économique exclusive russe, à 200 milles marins de la Russie.
    En réaction, la Russie a présenté en 2016 sa propre requête. Elle a mis de l'avant des arguments scientifiques selon lesquels la dorsale était un prolongement du continent eurasien, mais, étonnamment, la requête ne concernait pas la totalité de la dorsale, seulement les deux tiers, environ.
    J'ai demandé à l'un des diplomates russes qui avait pris part à l'affaire pourquoi son pays avait fait ce choix. On m'a répondu que tous les pays de l'Arctique s'entendent pour dire qu'il y aurait des chevauchements dans les requêtes et que celles-ci ne se fondaient pas uniquement sur des données scientifiques. Les chevauchements devront faire l'objet de négociations diplomatiques visant à établir les limites.
    Vous pouvez relire le témoignage qu'Alan Kessel a présenté devant le Comité; c'est exactement de cela dont il parlait.
    À cause de la nature extrêmement technique du sujet, les médias ont véhiculé énormément de mésinformation. Malgré tout, les Russes respectent les règles à suivre dans ce contexte, et le Canada travaille très dur avec la Russie pour veiller à ce que les choses se fassent de façon cohérente et en collaboration.
    Par curiosité, j'aimerais discuter de ce qui a déclenché toutes ces revendications et contre-revendications. Certains trouvent cela un peu ridicule, mais pourquoi les Russes ont-ils planté un drapeau dans le fond marin de l'Arctique? Comment peut-on dire dans ce contexte que la Russie a respecté les règles à ce chapitre?
    Cela est arrivé en août 2007. C'est Artur Chilingarov, qui était vice-président de la Douma d'État de la Fédération de Russie à l'époque, qui a planté le drapeau. C'était en période d'élections — dans la mesure où on peut dire qu'il y a des élections en Russie —, et il est vraiment descendu à 4 000 mètres de fond dans un submersible pour planter lui-même le drapeau. C'était un coup de publicité. Comme Alan Kessel vous l'a dit, ce drapeau a autant de poids juridique que celui que les Américains ont planté sur la Lune.
    La bonne nouvelle, du point de vue du Canada, c'est que, en 1968, une équipe de scientifiques canadiens se sont rendus sur la glace marine du pôle Nord géographique et ont jeté au fond de l'océan un contenant affichant un drapeau canadien. Donc, symboliquement — et ce n'est qu'un symbole —, le Canada est arrivé en premier, du point de vue de la chronologie.

  (1620)  

    Merci beaucoup.
    Le dernier, mais non le moindre, M. O'Toole. Vous pouvez y aller.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je n'aurais jamais cru pouvoir utiliser l'axiome « qui trouve, garde » en parlant de droit dans un comité parlementaire.
    Merci beaucoup à vous deux. Vos témoignages ont été très instructifs.
    Professeur Byers, cela m'a fait chaud au coeur que vous mentionniez le Cormorant, car j'ai déjà été pilote de Sea King. Comme nous le savons, à la suite des élections de 1993, le contrat des hélicoptères EH101 a été annulé. Le même genre de décision a été pris à propos des F-35.
    Cet aéronef est capable de voler dans les conditions qu'on connaît dans le Nord canadien. Vous dites aussi qu'il devrait y avoir des bases d'opérations avancées. Ce que je vais dire va peut-être vous surprendre. Même si nous sommes tous très fiers des hommes et des femmes du 440e Escadron de Yellowknife, le fait est que notre présence aérienne dans le Nord se résume essentiellement à trois ou quatre Twin Otters et à un CF-18 occasionnel sur les bases d'opérations avancées d'Inuvik. Donc, c'est quatre Twin Otters pour couvrir 40 % de notre territoire et 60 % de nos côtes.
    De votre point de vue de professionnel, est-ce suffisant?
    Je trouve que le Twin Otter est un aéronef extraordinaire.
    C'est effectivement un appareil extraordinaire, oui.
    Il n'est malheureusement pas très rapide et il ne peut pas faire d'atterrissage vertical. Il n'a pas non plus de treuil pour extraire les gens d'un navire. Je crois que nous devrions continuer d'utiliser les Twin Otters dans le nord et augmenter nos capacités en ajoutant d'autres appareils, plus loin au nord et à l'est, du moins pendant les mois d'été. Encore une fois, je laisse aux professionnels des Forces canadiennes le soin de décider de ce dont ils ont besoin et de l'endroit où ils en ont besoin. Ma seule recommandation serait de leur fournir du soutien du côté politique, afin que nous ayons une couverture suffisante.
    En ce qui concerne les Cormorant, non seulement leur nombre est-il restreint, mais ils commencent également à prendre de l'âge. On ne peut pas facilement se procurer des pièces de rechange. À un moment ou à un autre, les parlementaires vont devoir discuter avec le ministère de la Défense nationale à propos de la prochaine génération d'hélicoptères de recherche et de sauvetage.
    J'ai été frappé par la façon dont vous avez commencé votre déclaration préliminaire, en disant que la souveraineté avait un sens différent pour diverses personnes. D'un côté, il y a les limites maritimes et les questions de droit, mais vous ajoutez que la souveraineté a un sens différent pour les gens qui vivent sur le territoire.
    Pendant les déplacements du Comité, les Inuits, les Autochtones et les habitants de ces régions nous ont dit constamment et très clairement: « Ne nous traitez pas comme si nous étions dans un parc. Nous ne sommes pas une réserve qui sert à donner bonne conscience aux gens du Sud. Nous voulons être les maîtres de notre territoire. » D'ailleurs, les Premières Nations ont un droit inhérent. L'approche du premier ministre Trudeau — cette façon de traiter la région comme un parc —, qui consiste à interdire l'exploitation du Nord et d'autres choses du genre, mine-t-elle nos revendications en matière de souveraineté?
    Un État ne manifeste pas sa présence dans un parc. C'est évident. Nous n'avons ainsi pas de compétences sur nos eaux et notre territoire. En conséquence, est-ce que cette approche de réserve intégrale ou de parcs arctiques nous empêche de défendre efficacement notre revendication dans l'Arctique?
    Non, cela n'a rien à voir, puisqu'il s'agit d'un choix. C'est délibéré. J'ai déjà parlé des zones de protection marine; il y a tout un éventail d'options de gestion, allant d'un parc national où l'exploitation est interdite à une région axée sur l'utilisation durable.
    Un État peut décider de l'endroit où il établira une zone protégée. Il peut décider du plan — le plan de gestion — et des ressources à protéger. Je crois que cela constitue une affirmation de sa souveraineté. Vous avez toutefois absolument raison quant au fait que les consultations doivent être menées avec soin et avec respect pour veiller à ce que les plans de gestion — les décisions prises — reflètent les besoins et les désirs des populations locales.
    Je crois que c'est un peu ce qui est en train de se passer avec la zone de protection marine du détroit de Lancaster. Les gens veulent qu'on laisse tomber... Cela ne concerne pas seulement la récolte durable ou respectueuse de la culture. Ils veulent tirer parti des possibilités économiques, mais de façon durable.
    Professeur Byers.
    Puisqu'on en parle... Les Inuits ont participé de près aux négociations touchant la zone de protection marine du détroit de Lancaster, et des navires transportant du minerai de fer provenant de la mine Mary River traversent régulièrement cette zone protégée, qui se trouve en territoire inuit. C'est un exemple parfait d'un des plus grands projets miniers du Nord — et même le plus important, je crois, dans l'Est du Nunavut — qui ne soulève aucun problème dans la zone de protection marine, et ce, parce que les Inuits ont participé au processus.

  (1625)  

    Sur ce, je tiens à remercier nos deux témoins de leur témoignage d'aujourd'hui. Cela a été très instructif et éclairant.
    Monsieur Byers, je sais que vous devez vous dépêcher de partir.
    Merci à vous deux, et sur ce, je vais suspendre la séance, le temps que l'autre groupe de témoins s'installe.

  (1625)  


  (1630)  

    Bonjour. Reprenons.
    Pour notre deuxième heure, nous avons des témoins par vidéoconférence et en personne.
    Accueillons, par vidéoconférence, Heather Conley, vice-présidente directrice pour l'Europe, l'Eurasie et l'Arctique et directrice du programme Europe au Centre d'études stratégiques et internationales à Washington, D.C. Bienvenue, et merci d'être avec nous.
    Nous accueillons également Adam Lajeunesse, titulaire de la chaire Irving Shipbuilding sur la sécurité maritime dans l'Arctique canadien et professeur adjoint à l'Institut Mulroney de l'Université Saint-Francis-Xavier. Il communique avec nous depuis Antigonish, en Nouvelle-Écosse. Bienvenue.
    Le dernier, mais non le moindre, nous accueillons en personne John Higginbotham, chercheur principal au Centre for International Governance Innovation de Waterloo et à la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton.
    Maintenant que j'ai fini cette longue introduction, nous allons commencer les exposés par celui de Mme Conley, puis d'Adam Lajeunesse. Je vais garder notre invité en personne pour la fin.
    Vous pouvez commencer. Je vous prierais aussi de ne pas dépasser huit minutes.
    Merci beaucoup. C'est un grand plaisir de pouvoir participer à la séance par vidéoconférence.
    Je veux simplement parler brièvement des préoccupations grandissantes que nous avons ici à Washington au sujet de la présence militaire russe dans l'Arctique. Au cours de la dernière décennie, nous avons constaté que la Russie a entièrement placé l'Arctique sous sa doctrine militaire et sa nouvelle doctrine maritime. Elle a établi un nouveau commandement stratégique à l'égard de l'Arctique. Elle a concentré ses efforts de modernisation de ses forces militaires sur son sous-marin de dissuasion nucléaire dans sa flotte nordique. Elle a... [Difficultés techniques]... dans l'Arctique russe. Nous sommes en train de détecter lesquels de ces terrains d'aviation augmenteront le nombre de missiles surface-air qui s'y trouvent et où se concentre la formation de leurs forces spéciales parmi ces terrains d'aviation.
    Nous avons vu où la Russie a certainement déployé ses capacités dans l'Arctique. En mars 2015, nous avons eu connaissance d'un exercice militaire subit non annoncé dans l'Arctique au cours duquel les Russes ont démontré leur état de préparation total au combat dans un exercice aérien, maritime et terrestre complexe. Puis, il y a eu les récents exercices en 2017, l'exercice Zapad, ou l'exercice du district militaire occidental, pendant lequel nous avons observé des exercices continus dans la presqu'île de Kola et aux alentours. Puis, bien sûr, nous avons tous fini par observer l'exercice Vostok, qui était le plus grand exercice militaire russe depuis les années 1980, et qui comportait également des exercices dans l'Arctique, dans le Pacifique occidental et dans l'Est. Encore une fois, la mobilisation militaire était rapide. Il s'agissait d'opérations conjointes très complexes.
    Essentiellement, nous constatons que les militaires russes s'efforcent de penser à l'Arctique et de lui redonner l'importance stratégique qu'elle avait durant la guerre froide. Nous constatons qu'il y a une doctrine, une structure de commandement simplifiée, du nouvel équipement, de nouvelles forces et des exercices répétés mettant en oeuvre ces capacités.
    Cependant, je tiens à préciser que nous ne dramatisons pas l'empreinte militaire russe dans l'Arctique. Ce n'est pas la Russie telle qu'elle était à l'apogée de la guerre froide. Je pense que ce que nous voyons, c'est le rétablissement d'un semblant de capacité de projection de la puissance russe qui est très concentrée dans les environs de l'Atlantique Nord et du bastion de défense autour de la presqu'île de Kola. Il y a des... [Difficultés techniques]... à l'Est qui engendrent des répercussions directes pour les États-Unis, l'Alaska et le Canada.
    Il est difficile pour nous de comprendre pleinement l'empreinte militaire grandissante de la Russie dans l'Arctique, car quand la Russie annonce une nouvelle initiative dans l'Arctique, il est parfois difficile de savoir si elle annonce de nouveau une initiative qu'elle n'a pas été capable de mener à terme parce qu'elle a accusé un retard très important en ce qui concerne les délais d'approvisionnement ou ses annonces.
    On voit parfois la Russie se servir de son complexe militaro-industriel pour élaborer des projets économiques ambitieux à l'égard de la route maritime du Nord. Par exemple, les 10 centres de recherche et de sauvetage que construira la Russie le long de la route maritime du Nord serviront à deux fins: civil et militaire. Nous devrons établir une distinction entre les activités civiles et les activités militaires.
    Nous avons la nette impression qu'il s'agit d'une priorité pour le gouvernement russe depuis les 10 dernières années. C'est un projet prestigieux du président Poutine. Il est souvent sur place pour observer les exercices dans l'Arctique. Il était présent lors du dévoilement de la première base de forces spéciales très moderne sur l'île Kotelny il y a quelques mois à peine. Le président Poutine prête une attention particulière à l'Arctique. Les Russes croient que leur avenir économique repose sur lui et ils y voient également une possibilité militaire revitalisée.

  (1635)  

    Nous sommes également préoccupés par l'empreinte économique et scientifique grandissante de la Chine dans l'Arctique. C'est là où la Russie et la Chine se rejoignent d'une certaine manière; ils sont très intéressés par la péninsule de Yamal, et c'est en raison du mégaprojet de Yamal LNG, mais... [Difficultés techniques]... l'infrastructure, que ce soit au Groenland, en Islande, dans leurs centres de recherche scientifique, qu'il soit question de chemins de fer, de câbles sous-marins, que ce soit en Finlande ou en Norvège, l'infrastructure portuaire et le gaz naturel liquéfié, nous devons aussi reconnaître que le rôle économique croissant de la Chine entraînera également des conséquences stratégiques.
    Les décideurs américains sont préoccupés. Lorsque la Chine a soumissionné pour les aéroports au Groenland, quelles ont été les répercussions stratégiques pour la base des forces aériennes américaines de Thule au Groenland? Nous sommes de plus en plus conscients, dans la foulée de nos stratégies de sécurité nationale et de défense nationale, de la rivalité avec les grandes puissances de ce monde, la Russie et la Chine, et nous essayons de comprendre comment cela se répercute dans l'Arctique. Ce qu'il faut, c'est beaucoup plus d'étude et de recherche, pas de battage. Que se passe-t-il? Quelles sont les trajectoires? Quelles sont les répercussions stratégiques pour les États-Unis? Quelles sont les répercussions stratégiques pour le Canada?
    Je vais terminer ma déclaration liminaire en disant que l'OTAN doit avoir une meilleure connaissance de la position militaire des Russes dans l'Arctique de même que des répercussions stratégiques qui découlent du rôle économique de la Chine dans l'Arctique.
    Nous commençons actuellement Trident Juncture, le plus grand exercice de l'OTAN axé sur la Norvège, la mer de Norvège et le Nord. Après cet exercice, ce sera un moment opportun pour que le Conseil de l'Atlantique Nord obtienne non seulement des renseignements au sujet du déroulement des activités de l'OTAN dans le Nord, mais aussi, encore une fois, des détails à propos de l'empreinte militaire russe.
    Comme l'OTAN a décidé de revitaliser le Commandement de l'Atlantique à Norfolk, nous allons nous concentrer sur la lutte anti-sous-marine et les détroits GIUK, qui sont la porte d'entrée de l'Arctique. Nous retrouvons nos réflexes de la guerre froide, mais nous faisons les choses différemment, sans empreinte lourde... [Difficultés techniques]... les dirigeants de la marine américaine sont très préoccupés par la dissuasion nucléaire qu'exerce la Russie avec les forces sous-marines, qui sont meurtrières et puissantes.
    Nous devons avoir cette conversation avec l'OTAN. Il faut faire de l'Atlantique Nord une région stratégique d'importance, et nous devons également porter notre regard vers le détroit de Béring, la mer des Tchouktches et l'Arctique de l'Est de la Russie, car nous observons aussi des changements quant à leur position.
    Je me ferai un plaisir de répondre à toutes les autres questions et, encore une fois, merci beaucoup de m'avoir donné cette occasion.

  (1640)  

    Merci beaucoup, madame Conley.
    Nous allons maintenant écouter Adam Lajeunesse, qui nous parle en direct d'Antigonish.
    Allez-y, monsieur Lajeunesse.
    J'aimerais prendre quelques instants aujourd'hui pour vous faire part de mes observations quant à la relation du Canada avec deux des États les plus fréquemment associés aux débats contemporains sur la souveraineté dans l'Arctique. Le premier est notre partenaire traditionnel et, à l'occasion, notre opposant en ce qui concerne l'Arctique, soit les États-Unis. Le deuxième est le dernier pays entré dans la région, mais peut-être le plus affirmé: la Chine.
    Les États-Unis sont le premier partenaire du Canada depuis longtemps en ce qui concerne l'Arctique, mais c'est aussi l'État avec lequel nous nous querellons le plus souvent au sujet du statut de la région. Les États-Unis nient notre revendication des eaux historiques et l'applicabilité de la doctrine de la ligne de base droite à l'archipel, et insistent sur l'existence d'un détroit international qui traverse l'archipel.
    Néanmoins, il est important de souligner que ce désaccord est très bien géré depuis au moins le début de la guerre froide, principalement parce qu'une confrontation politique ouverte ne serait bénéfique ni pour le Canada ni pour les États-Unis. Ainsi, le modus vivendi mis en place dans les années 1950 s'applique toujours aujourd'hui.
    On peut décrire cette approche comme un désaccord à l'amiable, une sorte d'entente tacite selon laquelle aucune des deux parties n'agira de façon à nuire à la position juridique de l'autre. Cette situation a longtemps dominé les relations canado-américaines au sujet de l'Arctique et a même été reconnue légalement dans l'Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d'Amérique sur la coopération dans l'Arctique de 1988. Cet accord et cette structure ont très bien fonctionné.
    Par le passé, les États-Unis se sont montrés peu intéressés à accéder aux eaux arctiques. La préoccupation des Américains tournait plutôt autour de la liberté de navigation mondiale et de la crainte que l'acquiescement à l'interprétation canadienne du statut du Nord n'affaiblisse la position de l'Amérique ailleurs. David Colson, le responsable du département d'État qui négociait avec le Canada en 1986, a expliqué cela très simplement en disant: « Nous ne pourrions pas donner l'impression de faire quelque chose pour notre bon ami et voisin » — c'est-à-dire nous — « que nous ne serions pas prêts à faire ailleurs dans le monde. »
    Lorsque les États-Unis pensent à la souveraineté et au passage du Nord-Ouest, ils pensent à l'Arctique russe et aux détroits qui traversent l'Indonésie, les Philippines et d'autres points de passage obligés stratégiques dans le monde. La crainte d'établir un précédent continue d'être la principale préoccupation de ce pays, et les documents de politique américains en témoignent.
    Malgré les difficultés politiques et les échanges quelque peu tendus, le Canada et les États-Unis ont en réalité fait un travail remarquable dans la région, en mettant la souveraineté de côté pour atteindre des objectifs concrets. L'exemple le plus évident est l'activité des sous-marins nucléaires d'attaque américains, qui sont utilisés dans les eaux canadiennes de l'Arctique depuis les années 1960, ce qui se poursuit probablement à ce jour. Les données disponibles montrent qu'il ne s'agissait pas du tout d'un enjeu lié à la souveraineté; le Canada était au courant de ces missions et y a même pris part.
    Même si ce différend est bien géré, j'inviterais les gens à la prudence. L'équilibre diplomatique qui empêche le passage du Nord-Ouest de faire à nouveau l'objet d'un conflit politique est depuis des décennies, voire des générations, fondé sur une diplomatie prudente, un respect mutuel et une volonté des deux parties d'éviter un conflit plutôt que d'exercer des pressions pour obtenir le règlement juridique du désaccord.
    L'administration américaine actuelle a une manière de procéder très différente de celle de tous ses prédécesseurs, et est beaucoup plus encline à obtenir des victoires à court terme, même des victoires symboliques, aux dépens de partenariats de longue date. Il ne s'agit peut-être que d'une hypothèse, mais je crois que le Canada devrait être prêt à voir la question du passage du Nord-Ouest redonner lieu à un conflit diplomatique. Pour être franc, il suffirait que le président américain soit mis au courant de ce litige et qu'il sente le besoin d'attaquer le Canada en cas d'affronts réels ou perçus pour que le conflit éclate de nouveau. Nous aurions trouvé cela absurde il y a cinq ans, mais nous vivons à une époque des plus intéressantes.
    L'un des nouveaux acteurs les plus importants dans le dossier de l'Arctique, et qui donne lieu à beaucoup de conjectures, c'est la Chine. Ce pays se qualifie lui-même maintenant d'État quasi arctique, et certains craignent que Pékin cherche à contester la souveraineté du Canada dans l'Arctique, en raison de son intérêt pour le transport maritime et l'extraction de ressources dans le Nord.
    En janvier 2018, la Chine a publié sa politique officielle sur l'Arctique, et sa position à l'égard de la souveraineté du Canada était ambiguë. Le passage pertinent du document dit que la Chine respecte la souveraineté du Canada dans les eaux relevant de sa compétence, sans toutefois préciser quelles pourraient être ces eaux.

  (1645)  

    La politique indique également que la Chine jouit d'une liberté de navigation conformément à l'UNCLOS, ce qui fait référence au droit de passage en transit dans les détroits internationaux, garanti à l'article 38 de la Convention.
    Même si ce que je viens de paraphraser pourrait sous-entendre que les Chinois croient qu'il y a une libre navigation dans la région et dans le passage du Nord-Ouest en particulier, il y a d'autres façons d'interpréter cette déclaration. L'ambiguïté inhérente de la position de la Chine est presque certainement délibérée, la question des eaux est juste assez vague pour permettre à Pékin d'éviter le sujet sans reconnaître la souveraineté canadienne ni offenser inutilement le gouvernement canadien.
    Les intérêts maritimes intérieurs de la Chine n'amèneront probablement pas le pays à contester la souveraineté canadienne. La Chine utilise des lignes de base droites, comme nous, pour délimiter le détroit de Qiongzhou et la plus longue ligne de base du pays. Cette ligne est en réalité de huit milles plus courte que la plus longue ligne de base de l'Arctique canadien, laquelle traverse le détroit de McClure. Même si la comparaison ici n'est pas parfaite, cela signifie que toute contestation de la souveraineté canadienne pourrait être vue comme un précédent qui nuirait à la Chine.
    L'augmentation des activités de la Chine dans la région et l'activité maritime potentielle dans les eaux canadiennes ne devraient pas, en général, exiger un changement radical dans la stratégie canadienne. Il s'agit depuis longtemps d'une question de contrôle des eaux arctiques qui permet au fil du temps de renforcer la position juridique et politique d'un État. En fait, le Canada peut tirer profit de l'augmentation des activités chinoises et étrangères dans la région pour renforcer sa position. L'acceptation du contrôle canadien par les nouveaux entrants comme la Chine offre au Canada un précédent de consentement implicite.
    Une des conditions sine qua non des eaux historiques sur lesquelles nous fondons notre revendication de la souveraineté, c’est l’acceptation du contrôle canadien par les pays les plus touchés. Par le passé, cela voulait dire des gouvernements étrangers, particulièrement les États-Unis. Dans l’avenir, cela signifiera les sociétés de transport maritime et les exploitants indépendants. Si le Canada continue de réglementer et de favoriser le transport maritime étranger, il renforce simplement sa position souveraine.
    Au coeur de l’hypothèse, il y a l’idée que le Canada peut effectivement exercer son contrôle sur les activités étrangères dans le passage du Nord-Ouest. Un contrôle efficace est important. L'exercice de ce contrôle et le soutien canadien des activités maritimes dans la région non seulement démontrent la souveraineté canadienne, mais permettent au Canada de miser sur ses atouts afin d’assurer une conformité. Les services de déglaçage, la signalisation des glaces et d’autres infrastructures peuvent appuyer les activités maritimes étrangères, et si un navire étranger ne se conforme pas aux directives ou aux règlements canadiens, il pourrait être écarté du système.
    À l'inverse, l'absence d'un pareil soutien pourrait encourager des acteurs étrangers à mener leurs activités à l'extérieur du cadre redditionnel et réglementaire du Canada en croyant qu'ils ont peu à perdre en agissant ainsi. Si les acteurs étrangers ne voient pas d'avantages à travailler au sein du système canadien, ils peuvent commencer à considérer le passage du Nord-Ouest comme un détroit international dans lequel le contrôle canadien est au mieux symbolique.
    La souveraineté canadienne n'est donc pas en pleine crise. Notre position juridique est bien établie, et les litiges qui existent sont bien gérés. Dans l'avenir, cependant, le Canada devra déployer de véritables efforts afin de maintenir un contrôle efficace dans la région. Il doit également surveiller les litiges existants qui, sur le plan historique, surviennent lorsqu'on s'y attend le moins.
    Merci. Je suis heureux de répondre à vos questions.

  (1650)  

    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant entendre M. Higginbotham, allez-y.
    Bonjour. C'est pour moi un immense honneur et un grand plaisir d'être ici pour vous rencontrer. Je suis un ancien fonctionnaire à la retraite qui me suis improvisé en soi-disant expert de l'Arctique au cours des dernières années. Je ne suis pas avocat en droit international, alors je ne peux pas m'exprimer avec la même certitude que certains de mes collègues.
    Je veux parler de la souveraineté de l'Arctique de façon plus large et plus existentielle que le simple contexte juridique. Je m'intéresse à la construction de la nation canadienne dans l'Arctique à titre d'expression ultime de la souveraineté canadienne, de même que, bien sûr, aux mécanismes de réglementation internationale et intérieure de la souveraineté.
    Comment me suis-je intéressé à l'Arctique? En tant que diplomate, j'ai travaillé principalement à Washington, à Hong Kong et en Chine, pendant de nombreuses années. J'ai vécu d'excellentes expériences qui m'ont amené à examiner mon propre pays différemment, non pas nécessairement comme les autres le voient.
    À Ottawa, j'ai occupé plusieurs postes liés à l'élaboration de politiques étrangères canadiennes et aux transports. Pendant cinq ans, j'ai eu le plaisir de travailler à Transports Canada sur la coordination de l'Initiative de la Porte et du Corridor de l'Asie-Pacifique. C'est un exemple de réussite de la coopération entre les gouvernements fédéral et provinciaux de diverses allégeances et le secteur privé pour faciliter le commerce international du Canada.
    J'ai appris directement à apprécier les rôles historiques et contemporains essentiels que joue le gouvernement fédéral lorsqu'il appuie directement ou indirectement les principales infrastructures de transport, d'énergie et de communications. Notre réseau actuel d'infrastructures économiques, bâti au fil des siècles, a rendu possible un développement économique et social très vaste et très profond au Canada, dans les secteurs tant public que privé.
    En revanche, je comprends beaucoup mieux l'énorme écart en matière d'infrastructures, d'économie et de développement social qui existe entre le Nord et le Sud du Canada. Honnêtement, j'en ai été choqué. Je trouve compréhensible, mais troublant le manque d'attention politique nationale à l'économie et au développement social de l'Arctique, particulièrement étant donné l'environnement international changeant.
    J'ai surtout été frappé par l'absence d'attention de la part du Canada à la fonte des glaces de l'océan Arctique. Ce fait géographique important suscite des réflexions, des intérêts et des investissements sans précédent concernant le développement social et économique de l'Arctique en Alaska, en Russie, en Norvège et au Groenland, de même qu'un intérêt croissant en Chine, un pays que je connais bien.
    La fonte des glaces précipite également d'importants recalculs géopolitiques à mesure que l'équilibre mondial change et chancelle. Toutefois, le Canada dort. Nous accusons de plus en plus de retard pour ce qui est d'investir dans les infrastructures et les politiques pancanadiennes liées à l'Arctique, lesquelles permettraient aux habitants, aux collectivités et aux administrations régionales de l'Arctique du Canada ainsi qu'à tous les Canadiens de s'adapter à ce nouveau monde et d'y prospérer. À mon avis, il s'agit de la maritimisation de l'archipel de l'Arctique pour les 50 prochaines années — une vision étonnante à laquelle nous devrions réfléchir maintenant.
    L'écart en matière d'infrastructures est particulièrement touchant à une époque où les piliers de l'intégration et de la coopération nord-américaines sont menacés par notre voisin du Sud, et où la croissance du développement économique canadien autonome est de plus en plus urgente.
    Je vais prendre un peu de recul par rapport à l'intégration et à la mondialisation; nous avons prospéré grâce à l'environnement sûr des 30 ou 40 dernières années.

  (1655)  

    L’Arctique est un de nos atouts sur le plan économique, tout comme ce l’est pour la Russie, à très long terme. Pensez à la troisième option du premier gouvernement Trudeau, revisitée suivant différentes circonstances qui ont illustré notre profonde vulnérabilité aux changements des politiques américaines. Cette troisième option politique était axée sur le développement économique national, non pas seulement sur les recours magiques habituels du commerce diversifié dont j’ai entendu parler pendant les 40 ou 50 années de ma carrière.
    Qui est responsable de notre énorme retard au chapitre du développement de l'Arctique? Les gouvernements fédéraux successifs se sont principalement concentrés pendant des décennies sur les questions importantes de l'identité et de la gouvernance de l'Arctique canadien. Même si je parle de l'importance des infrastructures, cela ne signifie pas que j'appuie sans réserve le développement ou que j'ai un problème avec l'accent qui est mis sur la réconciliation avec les Autochtones. Je ne nie pas non plus du tout l'existence des changements climatiques.
    Cependant, on s'est très peu attardé sur les programmes parallèles d'investissement économique et social entourant ces priorités qui facilitent d'autres objectifs nationaux dans l'Arctique, allant de la sécurité aux revendications juridiques, en passant par la réconciliation avec les Autochtones, les gouvernements démocratiques territoriaux solides et la gérance environnementale.
    Cette même complaisance a une incidence sur notre approche envers la géopolitique dans l’Arctique. Nous avons fait fi des défis géopolitiques émergents importants depuis la Crimée en Russie et Trump aux États-Unis en raison de notre situation très confortable et très complaisante dans le contexte de la sécurité et du commerce des États-Unis. Cette confiance est maintenant quelque peu remise en question. Elle a été trahie dans les secteurs commercial et économique — dans lesquels, encore une fois, j’ai beaucoup travaillé —, et nous nous remettons à peine de cette trahison. Nous allons nous en sortir, mais il est possible que ces perturbations touchent également les secteurs de la défense, de la sécurité et de la souveraineté.
    Nous constatons de nouvelles tensions stratégiques et de nouvelles activités militaires partout dans l'Arctique — comme Heather l'a mentionné —, à commencer par l'accumulation impressionnante de confrontations entre l'armée de la Russie et les civils qui durent depuis des décennies concernant la route maritime du Nord. La Russie est le partenaire principal de la ceinture et de la route de l'Arctique de la Chine, et cette dernière finance le développement énergétique de l'Arctique russe à Yamal et ailleurs, malgré les bas prix du pétrole et les sanctions de l'Occident. Cela fait partie de la volonté nationale de Poutine.
    Il y a toujours une combinaison de capacité et d'intention. Il me semble que la prudence exige une mise à jour de notre analyse stratégique générale pour qu'elle tienne pleinement compte des imprévus. Il y a également des changements importants en ce qui concerne la sécurité continentale à mesure que vieillit le Système d'alerte du Nord, que de nouvelles menaces pèsent sur nous, que NORAD fait l'objet d'une réorganisation et que les États-Unis envisagent de jouer un rôle en surface plus actif dans l'océan Arctique.
    Tant et aussi longtemps que le règne nationaliste de Trump se poursuivra, nous devrons faire preuve de réserve — de beaucoup de réserve — à l'égard de nos excellentes relations de confiance et de coopération qui perdurent depuis de nombreuses années avec les États-Unis. On ne peut qu'espérer que le président n'utilise pas sa puissante machine de l'Amérique d'abord pour le volet de l'Arctique de la défense continentale Canada–États-Unis, surtout compte tenu de son accusation selon laquelle le Canada est un profiteur du point de vue de la sécurité.
    Nous ne devons pas oublier que tous les mécanismes qui soutiennent nos revendications relatives à l'Arctique dépendent de la poursuite de l'ordre international libéral, que nous avons appuyé en nous fondant sur le soutien qu'offrent les États-Unis depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous devons comprendre que cela ne peut pas entièrement être tenu pour acquis, comme c'était le cas il y a trois ou quatre ans.

  (1700)  

    Monsieur Higginbotham, pourriez-vous conclure en 30 secondes? Je veux prévoir beaucoup de temps pour les questions et je sais qu'il y en aura.
    Pour résumer, il est généralement admis que le gouvernement fédéral actuel et les gouvernements fédéraux antérieurs ont été incapables ou n'ont pas eu la volonté de financer, d'élaborer et de mettre en oeuvre un plan d'investissement fédéral à long terme pour l'Arctique canadien qui ferait en sorte que l'Arctique serait vraiment à nous. C'est bien beau les consultations, la coordination et l'espoir que le secteur privé, grâce à des PPP ingénieux, comblera les lacunes, mais mon expérience me permet de croire que, dans cette situation complexe, c'est encore Ottawa qui doit intervenir, sur les plans conceptuel et financier, dans le cas d'un développement sérieux de l'Arctique canadien.
    J'espère que vos recommandations tiendront compte de cette réalité.
    Merci beaucoup.
    Nous allons commencer par Mme la députée Alleslev, allez-y.
    Merci beaucoup à tous. Je crois que vous avez tous expliqué de façon convaincante que notre souveraineté peut être menacée dans l'Arctique.
    J'aimerais demander à chacun de vous quelles seront les conséquences, de votre point de vue, si le Canada n'est pas en mesure de maintenir sa souveraineté. Nous avons une population avec qui nous devons communiquer. Elle ne passe pas beaucoup de temps à réfléchir à propos de l'Arctique. Pour dire les choses clairement, que se passera-t-il si nous perdons notre souveraineté dans l'Arctique? Qu'est-ce qui changerait pour le Canada et nos alliés?
    Qui aimerait répondre en premier?
    Merci. C'est une excellente question.
    La souveraineté canadienne dans l'Arctique, selon notre compréhension du litige, est une question de propriété du passage du Nord-Ouest. C'est essentiellement ce qui fait l'objet du litige. Personne ne conteste la propriété canadienne du territoire ou quelque chose du genre. La perte de la souveraineté signifierait la perte, par le Canada, de sa capacité de réglementer et de régir les eaux de l'archipel, puisque ce sont des eaux intérieures historiques. Cela signifie que, dans les circonstances les plus extrêmes, les navires de guerre russes ou chinois pourraient légalement naviguer dans ces eaux.
    Ce qui est beaucoup plus probable, mais peut-être tout aussi inquiétant, c'est que nous perdions la capacité de réglementer la navigation commerciale, les pétroliers et le commerce étranger dans ces eaux. Cette réglementation relèverait de l'Organisation maritime internationale plutôt que du gouvernement fédéral.
    Et puis après? Qu'est-ce qui arriverait si nous perdions la capacité de contrôler ces eaux et la navigation maritime dans celles-ci?
    Nos règlements actuels, concernant l'environnement en particulier, sont plus stricts que ceux mis en place par l'OMI. Le Canada en exige plus, et nous imposons des pénalités différentes de celles prévues par le droit international, ce qui est essentiel, à notre avis, compte tenu de la nature unique de ces eaux.
    Merci.
    Madame Conley.
    Merci.
    Je crois, à certains égards, que le Canada et les États-Unis font face au même défi dans l'Arctique nord-américain: une faible population qui accuse un déficit d'infrastructure, mais qui regorge de ressources énergétiques et minérales extraordinaires. Nous n'y avons pas vraiment réfléchi sur le plan stratégique, contrairement à nos collègues russes ou norvégiens, qui voient l'Arctique comme un impératif absolu sur les plans économique et militaire. Après la guerre froide, nous avons en quelque sorte perdu notre appréciation de cette région. C'était un endroit pour le Conseil de l'Arctique. Il servait à la protection environnementale et au développement économique durable.
    Nous avons perdu notre vision stratégique pour l'Arctique.
    Mon argument est que la Chine et la Russie ont une vision et un impératif stratégiques pour l'Arctique. Nous devons déterminer ce qui est dans le meilleur intérêt de notre nation. Je crois que l'Alaska fait face au même défi. D'une certaine manière, les ressources énergétiques de l'Alaska devaient servir à la sécurité et à l'indépendance énergétiques américaines. La révolution énergétique a changé la donne. À quoi servent les ressources énergétiques de l'Alaska? Seront-elles exportées vers la Chine? Sont-elles un moteur de la croissance économique? Quel est leur objectif stratégique? La nation doit prendre cette décision.
    Ce qui m'inquiète, c'est que nous verrons une augmentation du trafic des navires commerciaux dans le détroit de Béring. Il y aura des navires méthaniers chinois qui traverseront la péninsule de Yamal. Il y aura des navires chinois transportant des conteneurs qui sillonneront nos eaux. Nous devons protéger les[Difficultés techniques] côtes afin de nous assurer d'empêcher toute dégradation environnementale.
    Par exemple, il y a quelques années, la Norvège a vu un navire scientifique s'arrêter dans le Svalbard, un archipel norvégien. Les dirigeants norvégiens ne savaient pas qui se trouvait sur ce navire.
    Nous devons être en mesure de protéger notre population, nos côtes et nos eaux, et de défendre notre territoire au besoin.
    Vous avez tout à fait raison. La question est la suivante: quelle est notre vision et quelle est notre politique nationale à cet égard?

  (1705)  

    Merci.
    Monsieur Higginbotham.
    Comme je l'ai dit, ma définition générale de la souveraineté inclut le développement économique et social de l'Arctique canadien au profit de tous les Canadiens de même que des peuples de l'Arctique. Il me semble que cette région offre d'énormes possibilités concernant le transport, l'exploitation des ressources, les pêches, le tourisme, etc. L'Arctique pourrait aider à stimuler l'économie canadienne.
    Nous n'y sommes pas encore en raison de tous les obstacles — non pas des obstacles quant à l'objet, mais des obstacles factuels délibérés — , qui se dressent et qui ralentissent le développement de l'Arctique. Pendant ce temps, de l'autre côté de la frontière aux États-Unis et en Alaska, nous affrontons directement la concurrence pour ce qui est, par exemple, du pétrole et du gaz isolés de la mer de Beaufort. Nous constatons que l'administration Trump fait tout en son possible pour exploiter chaque gisement de pétrole et de gaz marins qu'elle peut.
    Nous sommes dans une situation de concurrence. Nous devrions investir dans le passage du Nord-Ouest, ou peu importe comment on l'appelle, mais nous devrions investir dans sa commercialisation à nos conditions parce que, à mon avis, ce sera un grand désavantage stratégique si les Russes exercent une hégémonie absolue pour ce qui est de la navigation maritime dans l'océan Arctique dans 10, 20 ou 30 ans, ce qui va se produire si nous ne faisons pas quelque chose, et il nous est difficile d'intervenir.
    Merci beaucoup.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à M. le député Baylis.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais entendre les différences entre votre point de vue, madame Conley, et celui de M. Lajeunesse et de M. Higginbotham, particulièrement lorsque vous parlez de menaces. Vous avez également mentionné la Russie et la Chine, et si nous adoptions le point de vue canadien, les États-Unis feraient également partie de cette menace: la Russie, la Chine et les États-Unis.
    Y a-t-il des activités que vous menez qui nuisent au Canada et qui aident, par la même occasion, la Chine et la Russie, si vous me suivez? Après quoi, j'inviterai les autres à répondre.
    Je dois dire que c'est une tragédie que vous pensiez que les États-Unis sont sur le même pied d'égalité que la Russie et la Chine. Nous sommes des alliés et des partenaires. Je comprends votre sentiment. Je le comprends très bien. Là n'est pas la question, mais je crois que nous faisons marche arrière et tentons de nous positionner encore une fois en tant que partenaires stratégiques et alliés au sein de NORARD et de l'OTAN. Nous partageons les mêmes valeurs.
    Ce qui m'inquiète, c'est que nous, les États-Unis et le Canada, ne comprenons pas que nombre des politiques que nous avons élaborées ensemble concernant l'annexion de la Crimée et l'Ukraine ont eu les conséquences imprévues de rapprocher la Russie et la Chine, car la Russie a dû mettre en place des mécanismes de financement de rechange, ce qui explique pourquoi on constate des investissements de la Chine en infrastructures et en pipelines dans la péninsule de Yamal. Nous allons voir, potentiellement, un axe Russie-Chine, et ce n'est pas dans l'intérêt de l'Occident. Ce n'est pas dans l'intérêt de l'OTAN et ce n'est pas non plus dans l'intérêt des États-Unis et du Canada.
    Voilà ce qui m'inquiète. Nous devons être très vigilants relativement à la présence croissante de ces pays dans l'Arctique. Nous avons perdu une génération ici aux États-Unis, qui comprend pourquoi notre architecture de défense antimissile se trouve dans l'Arctique, pourquoi nous avons la base aérienne de Thulé au Groenland, notre base aérienne qui se trouve le plus au nord, pourquoi nous travaillons dur depuis très longtemps avec NORAD et que nos gardes côtières travaillent ensemble.
    C'est pour protéger l'Amérique du Nord. Nous devons revenir à cette vision commune, mais nos politiques et nos sanctions à l'égard de la Russie la rapprochent de la Chine, et les politiques commerciales et autres mesures de l'administration américaine favorisent également la collaboration de la Russie et de la Chine. Nous devons briser cet axe et revenir à une vision commune.

  (1710)  

    Vous avez mentionné que l'OTAN devrait être plus consciente de ce qui se passe, mais, très honnêtement, la position dans laquelle nous nous trouvons en tant que Canadiens a été adoptée par l'administration actuelle, qui a remis en cause la valeur de l'OTAN, d'abord, et qui a ensuite pris des mesures comme l'imposition de tarifs contre le Canada pour des motifs de sécurité nationale.
    Il s'agit donc d'une question en suspens. J'aimerais d'abord m'adresser à vous, monsieur Lajeunesse. Vous avez cette idée de « c'est à prendre ou à laisser », si je vous ai bien compris. Si nous sommes présents, nous l'utilisons. Cela soutient notre débat. Vous avez également fait un commentaire précis concernant les dangers que cette idée soit portée à l'attention de l'administration américaine actuelle. Quelles mesures devrions-nous prendre maintenant pour renforcer notre position?
    Les mesures que nous devons prendre à l'heure actuelle ne sont pas très différentes de ce que nous faisons déjà, honnêtement, depuis au moins les années 1970. Il importe de reconnaître une certaine subtilité à l'expression « c'est à prendre ou à laisser ». Une simple présence dans l'Arctique ne fait absolument rien pour renforcer la position du Canada. Un brise-glace qui sillonne la région ne renforce en rien la position juridique du Canada.
    Les actifs dans l'Arctique doivent faire quelque chose d'utile. Ils doivent exercer un contrôle efficace. Il est important d'exercer ce contrôle dans la région pour des raisons légales, mais également des raisons très pratiques. Nous devons être capables de contrôler les navires chinois, russes et étrangers, car ils naviguent de plus en plus dans la région.
    Je suppose que vous souscrivez à cela, monsieur Higginbotham, de ce que j'ai entendu dans votre témoignage.
    J'irais seulement un peu plus loin. Je crois en la commercialisation à long terme du passage du Nord-Ouest, certainement en tout premier lieu, en conservant notre position dans les eaux intérieures, mais ce que j'aimerais voir particulièrement, ce serait une plus grande coopération directe avec les États-Unis dans le développement du passage du Nord-Ouest —les États-Unis, l'Alaska, les territoires et le Groenland — parce que c'est par là que les navires doivent passer. Je crois que nous devrions mettre de côté la question de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté canadienne et élaborer quelque chose de solide et de pratique...
    S'il y avait un cours d'eau au milieu du Manitoba et que les États-Unis voulaient l'utiliser, pourquoi faudrait-il que je négocie avec eux la souveraineté de ce cours d'eau?
    Vous dites de mettre la question de côté parce que les États-Unis veulent l'utiliser. J'ai de la difficulté avec cela, pour être honnête avec vous.
    Nous le faisons dans le cadre de NORAD. Nous faisons nombre de choses avec les États-Unis.
    C'est ce que nous faisons dans le cadre de NORAD, mais s'ils utilisaient un cours d'eau au milieu du Manitoba, on ne remettrait pas en cause le fait qu'il appartient au Canada.
    D'accord, mais je crois qu'il y a un véritable défi à long terme concernant la façon dont nous collaborons avec les États-Unis et, dans notre propre intérêt, exploitons le passage du Nord-Ouest. Je commencerais par le fait fondamental, en vertu de la politique étrangère canadienne, selon lequel vous devez vous entendre avec les États-Unis.
    Merci, monsieur Higginbotham.
    Nous allons maintenant passer à M. le député Blaikie, allez-y.
    Merci beaucoup.
    Madame Conley, j'aimerais revenir sur certains des commentaires que vous avez faits sur la remilitarisation russe de l'Arctique. Je veux suivre votre conseil de ne pas dramatiser le problème, mais je suis curieux. Nous avons entendu plus tôt aujourd'hui, et tout au long de l'étude, que le Canada sait très bien ce qui se passe dans l'Arctique, mais que sa capacité d'intervention n'est pas très forte.
    Je me demandais, à la lumière de ce que vous nous avez dit concernant ce qui se passe en Russie, quelle serait l'intervention appropriée du Canada, non pas seulement pour le Canada, mais également pour ses alliés, que ce soit les États-Unis ou ses partenaires de l'OTAN? Quel devrait être notre intérêt à renforcer notre présence militaire dans l'Arctique, et également que signifie la concurrence potentielle pour la situation du Nord?

  (1715)  

    C'est un moment tellement opportun en raison de l'exercice important de l'OTAN axé sur la Norvège, qui commence ce mois-ci et qui se poursuivra jusqu'en novembre. Les États-Unis ont déployé, selon un système de rotation, 700 militaires en Norvège. Nous n'avons pas fait cela durant la guerre froide. Nous sommes de plus en plus inquiets relativement à la possibilité que la Russie nous surprenne en démontrant des capacités qui pourraient peut-être remettre en question ou mettre en péril la coopération et la sécurité dans l'Arctique.
    D'une certaine façon, voilà la question parce que, même si la Russie, d'un point de vue économique, désire ardemment développer l'Arctique, la dernière chose qu'elle devrait faire, c'est de contester l'image de sécurité ou la rendre dynamique parce que cela ferait peur aux investisseurs et nuirait à une activité économique potentielle. Il est difficile de comprendre pourquoi la Russie agit ainsi et dans quel but, mais je suis de plus en plus inquiète de voir que les Russes font preuve de robustesse et que l'OTAN doit préparer une réponse. C'est en quelque sorte ce que fait l'OTAN sans tenir de discussions stratégiques dans le cadre du Conseil de l'Atlantique Nord à cet égard.
    De nombreuses façons et pendant nombre d'années, le Canada a empêché le Conseil de l'Atlantique Nord de tenir une discussion sur l'Arctique. C'est une époque révolue. Il ne s'agit pas de savoir si l'OTAN serait utile dans l'Arctique. L'OTAN est dans l'Arctique. Elle mène aujourd'hui des exercices qui se poursuivront au cours des prochaines semaines. Nous y avons déployé des forces. Il s'agit d'une stratégie essentielle pour renforcer l'Europe, alors nous devons nous concentrer davantage là-dessus et faire en sorte que la capacité de l'OTAN puisse réagir aux menaces.
    Nous avons besoin de plus de transparence, de mesures de confiance et d'exercices, et je dirais même un code de conduite similaire à ce que nous tentons de faire avec les Chinois dans la mer de Chine méridionale afin d'empêcher les accidents et les incidents. Nous avons de bons antécédents de coopération dans le cadre du Forum des gardes côtières de l'Arctique au chapitre de la recherche et du sauvetage, et les Russes y participent. Mais l'aspect militaire — la partie difficile, la partie de la sécurité —, c'est ce qui m'inquiète. Nous avons besoin d'une réponse de l'OTAN, et le Canada a un rôle important à jouer à cet égard.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Lajeunesse, j'aimerais revenir sur une idée que nous avons entendue plus tôt dans les témoignages du groupe précédent. Vous avez dit qu'une des motivations de la position des États-Unis concernant le passage du Nord-Ouest, c'est la crainte d'établir un précédent. On nous a dit plus tôt aujourd'hui qu'une des façons de contourner cela pourrait être de conclure un type d'accord bilatéral avec les États-Unis qui leur permettrait, sans créer de précédent, de reconnaître la souveraineté canadienne dans le passage du Nord-Ouest.
    Pensez-vous que les États-Unis souhaiteraient conclure un tel accord et qu'ils tireraient un assez grand avantage pour laisser un ami et partenaire digne de confiance gérer le passage du Nord-Ouest? Souhaiteraient-ils l'adoption de cette approche? Est-ce que vous pensez qu'il pourrait s'agir d'une bonne approche? Croyez-vous qu'il est réaliste de penser que cela pourrait représenter une avenue à explorer? Selon vous, est-il possible de mettre en oeuvre une telle approche?
    Nous avons déjà essayé cela, en réalité. En 1987-1988, au cours de négociations menées avec les Américains, le ministère des Affaires extérieures de l'époque a tenté précisément d'adopter cette approche: signer un accord bilatéral dans le cadre duquel les Américains reconnaîtraient la souveraineté canadienne sans créer de précédent. On a tenté d'utiliser différents libellés afin de s'assurer de pouvoir faire cela sans créer de précédent, et cela a simplement échoué. Évidemment, les temps ont changé depuis, mais, à mon avis, c'est probablement une impasse.
    Si vous me le permettez, je voudrais seulement mentionner très brièvement quelque chose dont vous avez parlé avec Mme Conley. Il importe de préciser certaines choses lorsque vous parlez de forces militaires dans l'Arctique. Le fait est qu'il n'y a pas un seul Arctique avec un enjeu militaire commun. Il y a plusieurs Arctiques. L'Arctique canadien est très différent de l'Arctique européen, et est assorti d'exigences de sécurité très différentes.
    Lorsque nous disons qu'il y a une militarisation de l'Arctique, cette militarisation a lieu en Eurasie, et les forces qui sont déployées — principalement russes — n'ont pas, habituellement, la capacité de projection nécessaire pour menacer l'Arctique canadien. En théorie, même si c'était le cas, l'Arctique canadien n'est vraiment pas le premier endroit dont nous devons nous inquiéter pour ce qui est d'une agression russe. Le cas échéant, ce serait le déclenchement de la troisième guerre mondiale, et les investissements dans la défense de l'Arctique sont une utilisation inefficace de nos ressources.

  (1720)  

    Me reste-t-il encore un peu de temps?
    Il vous reste environ 35 secondes.
    Monsieur Higginbotham, très rapidement, lorsqu'il s'agit du développement économique dans l'Arctique, à votre avis, quelle est l'importance que ce soit des capitaux canadiens qui soient à l'origine des investissements contrairement à des capitaux chinois ou autres qui favorisent ce développement?
    Je crois que les capitaux étrangers peuvent être souhaitables à condition que nous fixions les règles à cet égard. Cela ne me dérange pas le moins du monde. Il ne s'agit pas de la période de la troisième option des années 1970 où le Canada éprouvait de très grandes inquiétudes face aux investissements américains au pays. Je ne crois pas que ce soit un problème important maintenant.
    Je pense que les investissements chinois inquiètent les gens, mais vous ne pouvez pas fuir avec une mine. Ce n'est pas un aussi grand point d'interrogation que Huawei ou quelque chose du genre. Nous devrions accueillir tous les investissements à nos conditions, mais le cadre réglementaire empêche ces investissements, par exemple, l'obstruction de notre exploitation des ressources pétrolières et gazières de l'Arctique canadien dans la mer de l'Arctique. Il y a eu une fatwa émise contre cela après le sommet Obama-Trudeau, et cette idée a bien sûr été immédiatement abandonnée par Trump; c'est une divergence complète dans un secteur potentiellement intéressant sur le plan de la concurrence pour le Canada.
    Merci beaucoup.
    Sur ce, j'aimerais remercier nos trois invités de s'être joints à nous pour notre deuxième groupe de témoins, qui a également été exceptionnellement enrichissant. Nous allons maintenant passer à huis clos. Nous devons examiner une affaire du Comité.
    Là-dessus, j'aimerais vous remercier encore une fois. Nous allons suspendre la séance une minute pendant que les gens quittent la salle. Merci.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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