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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 030 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 31 octobre 2016

[Enregistrement électronique]

  (1530)  

[Traduction]

    Mesdames et messieurs, la séance est ouverte. Merci à vous tous d'être présents.
    Conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 avril 2016, nous poursuivons notre examen de l'article 20 de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus dans le cadre de l'examen prévu par la loi. Comme vous le savez, nous examinons également la Loi sur les mesures économiques spéciales.
    Nous recevons aujourd'hui deux professeurs. L'un est Kim Richard Nossal, professeur au Centre for International and Defence Policy de l'Université Queen's.
    Bienvenue.
    Et nous avons par vidéoconférence M. Goldman, directeur général, Center on Law and Security, Faculté de droit de l'Université de New York.
    Bienvenue au Comité, monsieur Goldman. Pouvez-vous nous entendre?
    Sur ce, nous allons commencer par l'exposé de M. Nossal. Nous allons écouter les deux exposés, puis nous passerons aux questions, ce qui donnera environ une heure en tout. Nous aurons d'autres témoins à 16 h 30.
    Au nom du Comité, je vous souhaite la bienvenue.
    C'est à vous, monsieur Nossal.
    Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à participer à votre examen de l'efficacité des sanctions comme outil de la diplomatie canadienne.
    Je devrais commencer par souligner, si vous ne l'avez pas déjà compris d'après ma biographie, que l'aide que je peux vous apporter aujourd'hui se limite à un examen général des sanctions employées comme outil de politique étrangère. Ma perspective est celle d'un universitaire et non celle d'un intervenant, en ce sens que j'aimerais examiner la question plus généralement de manière à répondre à certaines des questions générales figurant dans l'excellent document d'information produit par Allison Goody, Brian Hermon et Robin MacKay.
    La perspective est aussi universitaire dans le sens qu'elle est généralement historique. J'étudie le recours aux sanctions en politique étrangère depuis le début de mes études universitaires, au milieu des années 1970. L'étudiant jeune et inexpérimenté que j'étais souhaitait particulièrement comprendre l'enthousiasme pour les sanctions internationales, étant donné l'échec de cet outil de l'art de gouverner de la Société des Nations, entre les deux guerres, et des régimes de sanctions de longue durée qui sont venus après 1945 — les sanctions contre l'Union soviétique qui ont commencé dans les années 1940, contre la République populaire de Chine dans les années 1950 et contre le Cuba de Castro dans les années 1960, ainsi que les sanctions qu'on a préconisées contre les régimes de minorité blanche en Rhodésie, en Afrique du Sud et dans les colonies du Portugal en Afrique dans les années 1960 et 1970.
    Ce qui a suscité mon intérêt, c'était l'enthousiasme renouvelé pour les sanctions contre l'Union soviétique à la suite de son invasion de l'Afghanistan et, encore, contre l'Afrique du Sud après les désordres dans les townships, au milieu des années 1980. Je me demandais ce qui expliquait un tel enthousiasme, compte tenu des nombreux échecs connus sur une longue période jusqu'à ce jour. Mes premiers écrits, quand je fréquentais l'Université McMaster, à Hamilton, ont beaucoup porté sur cette énigme.
    Je parle de ces cas historiques, car je crois qu'il est important que nous demeurions conscients de la persistance des problèmes liés à ces mesures. Après toutes ces années, les sanctions suscitent le même optimisme qu'il y a un siècle, ce qui continue de me surprendre. Beaucoup de choses ont changé. La nature des sanctions elles-mêmes a changé, radicalement d'ailleurs, au cours de la dernière génération. Au lieu des méthodes musclées qu'on appliquait au XXe siècle à des collectivités entières — instruments qui causaient invariablement des souffrances d'ordre humanitaire énormes dans le pays cible —, nous avons maintenant des sanctions dites intelligentes, ou ciblées. En fait, d'après moi, il n'y a pas de meilleur exemple du passage aux sanctions ciblées que la Loi Magnitsky, adoptée en 2012. Comme les membres du Comité le savent très bien, ce texte législatif a été adopté par le gouvernement des États-Unis afin d'imposer des sanctions à seulement 18 des 143 millions d'habitants de la Russie.
    Ce qui n'a pas changé pendant toutes ces années, c'est la conviction selon laquelle des sanctions causant des difficultés économiques à certains membres, de nombreux membres ou tous les membres d'une collectivité cible se traduiront par un changement politique. Mais existe-t-il des preuves de changement politique suscité réellement par de telles mesures? Il est vrai que les sanctions économiques peuvent causer et causent effectivement des difficultés économiques à des collectivités entières, à des groupes, à des secteurs de l'économie, à des entreprises en particulier et bien sûr à des particuliers. Mais est-ce que ces mesures donnent lieu au changement politique souhaité? Est-ce que les dommages économiques manifestement produits par de telles sanctions changent effectivement le comportement qui a provoqué les sanctions pour commencer?
    Pensez au régime de sanctions du Canada, en ce moment, contre 21 pays différents, dont certains depuis bien plus de 10 ans. Voici une question simple que le Comité devrait examiner: est-ce qu'une seule de ces mesures a en fait changé le comportement du gouvernement ciblé? D'après moi, en général, on peut dire que la réponse est non.

  (1535)  

    Comme les régimes de sanctions de longue durée de la Guerre froide, s'étirant sur de très longues années sans jamais donner lieu aux changements qu'ils devaient produire, les régimes de sanctions du Canada vieillissent sans pour autant devenir plus efficaces.
    L'ironie de la chose, cependant, c'est que nous savons que ces mesures causent de la détresse économique, mais pas toujours celle que nous voudrions. Pensez par exemple aux énormes répercussions sexospécifiques des sanctions imposées à l'Irak dans les années 1990, à la suite de la guerre du Golfe. C'est entre autres en raison des effets négatifs relativement plus graves pour les Irakiennes que les sanctions dites « intelligentes » en sont venues à remplacer les sanctions « stupides » des années 1980 et 1990 — stupides parce qu'elles avaient tendance à ne faire aucune discrimination entre les cibles.
    Nous savons aussi que les sanctions peuvent finir par faire du tort au peuple du pays qui les impose. Parlez aux banques ou entreprises canadiennes d'autres secteurs de l'économie qui doivent subir les effets des pratiques actuelles du Canada en matière de sanction et qui doivent dépenser, globalement, des millions de dollars parce que le gouvernement fédéral a transféré les coûts de son enthousiasme pour cet outil de politique public très douteux à ces entreprises.
    En bref, nous savons que ces mesures ne produisent pas les effets voulus et qu'elles donnent lieu à toute sorte de dommages collatéraux non voulus et habituellement sérieux. C'est bien sûr la raison pour laquelle les étudiants qui se penchent comme je l'ai fait sur les sanctions continuent de poser la même question. Si les difficultés économiques causées par les sanctions ne donnent pas le changement voulu, pourquoi les gouvernements continuent-ils d'utiliser cet outil de l'art de gouverner et, surtout, de prétendre que ces mesures fonctionnent? La réponse à cette question, c'est que les sanctions, que nous parlions des sanctions « stupides » et brutales du passé ou des sanctions supposément « intelligentes » et ciblées de l'ère contemporaine, n'ont pas vraiment pour but de donner lieu à un réel changement politique dans l'État cible.
    Au contraire, les sanctions visent en réalité d'autres effets politiques. Premièrement, les sanctions, comme toute punition — et il faut penser à l'étymologie du terme lui-même —, sont utiles pour des raisons symboliques. Comme tous les dommages causés aux auteurs d'actes répréhensibles, les sanctions sont une manière utile de signaler la désapprobation devant un comportement particulier. En ce sens, les sanctions économiques internationales vont toujours « fonctionner », parce qu'elles sont une punition. Il en a toujours été ainsi, et cela va continuer.
    Deuxièmement, les sanctions internationales sont un outil très utile à des fins de politique intérieure. Parce que les sanctions causent effectivement des dommages, contrairement à de simples mots, ces mesures créent l'impression d'une sévère réprimande des auteurs d'actes répréhensibles.
    Je comprends pourquoi les gouvernements continuent de recourir aux sanctions avec le même enthousiasme que toujours, et qu'ils continuent de prétendre qu'elles donneront lieu en effet à un changement politique. Néanmoins, je demeure très sceptique devant cet outil de l'art de gouverner, et mon scepticisme est renforcé par les opinions d'une nouvelle génération de spécialistes des sanctions.
    Vous avez déjà entendu une des personnes de cette nouvelle génération, Andrea Charron. Il y a aussi M. Lee Jones, un jeune chercheur de l'Université Queen Mary de London, qui a exploré les façons dont les sanctions touchent les collectivités cibles. Je vous recommande vivement la lecture du livre qu'il a publié en 2015, Societies Under Siege: Exploring How International Economic Sanctions (Do Not) Work. Ce livre démontre bien qu'en infligeant de la détresse économique, on ne porte tout simplement pas assez attention à ce qui se produit réellement dans les sociétés ciblées par les sanctions.
    La recherche qu'il a réalisée a porté M. Jones à écrire ceci, en 2015, dans un document d'information:
Si les décideurs ne peuvent établir un mécanisme plausible, étape par étape, garantissant que la détresse économique infligée va donner lieu à un gain politique, ils ne devraient pas imposer de sanctions du tout. Le faire a pour seul effet de causer des souffrances au hasard, et l'espoir d'en tirer des résultats positifs est vain. C'est profondément contraire à l'éthique, et cela ne procède pas d'une bonne politique publique.
    D'après moi, il n'y a aucune autre façon de présenter cela.
    Je vous remercie beaucoup. Je serai ravi de répondre à vos questions.

  (1540)  

    Merci beaucoup, monsieur Nossal.
    Nous passons directement à M. Goldman.
    Nous vous écoutons, monsieur Goldman.
    Mesdames et messieurs, monsieur le président, bonjour. C'est pour moi un honneur de comparaître devant vous aujourd'hui.
    Ma déclaration liminaire portera essentiellement sur deux grands thèmes: premièrement, je vais vous présenter quelques façons de penser aux objectifs des sanctions financières, et deuxièmement, je vais vous parler de certains des processus par lesquels le gouvernement des États-Unis impose des sanctions financières.
    Quand le gouvernement pense à l'imposition de sanctions financières, il a vraisemblablement un ou deux buts en tête. Même si je parle en particulier du gouvernement des États-Unis, je crois que cela peut être généralisé et que cela fait écho d'une certaine façon aux propos de M. Nossal. Le premier but des sanctions financières est de provoquer un changement de comportement de la cible et, ce faisant, de faire progresser les intérêts des États-Unis en matière de politique étrangère et de sécurité nationale. Le deuxième but est de protéger l'intégrité du système financier en prévenant l'entrée de capitaux illicites.
    Le programme fructueux des sanctions visant l'Iran est un solide exemple du premier but, qui est de changer le comportement. Les sanctions imposées par une vaste coalition sur de nombreuses années ont motivé l'Iran à négocier une entente au sujet de son programme nucléaire. Entre autres cas récents, il y a la Birmanie, où les sanctions ont récemment été levées en réponse aux importantes réformes démocratiques, et la Côte d'Ivoire, où les sanctions ont été retirées en réponse à l'élection présidentielle réussie, aux progrès réalisés sur les questions touchant le contrôle des armes et au retrait des sanctions multilatérales des Nations unies. Il y a aussi eu d'importants succès dans le contexte du trafic de stupéfiants; de très nombreuses personnes et organisations ont été retirées de la liste en raison d'un changement de comportement.
    En matière de prévention, il est utile de penser à deux buts interdépendants. Les sanctions peuvent servir à garantir que les citoyens ordinaires continuent de faire confiance au système financier international en ciblant les comportements illicites. Dans ce cas, les sanctions fonctionnent de concert avec d'autres formes de mesures préventives, comme la réglementation visant la lutte contre le blanchiment d'argent, afin que le système financier mondial soit libre d'activités illicites. Les régimes de sanctions nationaux et transnationaux fonctionnent de concert avec les mesures de lutte contre le blanchiment d'argent et les conseils offerts en la matière par des organisations non gouvernementales comme le Groupe d'action financière et le Groupe Wolfsberg.
    Les sanctions peuvent aussi servir à une autre fonction préventive. Elles peuvent notamment entraver la capacité des acteurs illicites d'obtenir les biens et les produits qu'il leur faut pour fonctionner de même que de réunir, de mettre en réserve, de déplacer et d'utiliser des fonds. C'était une autre partie de la justification du programme de sanctions contre l'Iran et d'autres programmes fructueux, y compris les sanctions de contre-terrorisme.
    Les hauts fonctionnaires comprennent, bien entendu, que les sanctions ne peuvent à elles seules mettre fin au terrorisme. Ils connaissent certaines des conséquences non voulues que M. Nossal a mentionnées, mais si des groupes terroristes sont incapables d'avoir accès au système financier international, il leur est alors plus difficile de s'adonner aux activités financières nécessaires pour assurer leur fonctionnement. Les attaques individuelles ne coûtent peut-être pas grand-chose, mais soutenir une organisation terroriste finit par coûter très cher à long terme.
    Il est important de remarquer que les sanctions financières sont préventives, et non punitives. Le but n'est pas de recourir aux sanctions au lieu d'intenter des poursuites pénales. Les sanctions peuvent plutôt servir de complément aux mises en accusation, mais elles répondent fondamentalement à un but différent. Les poursuites pénales visent d'abord et avant tout à punir un geste commis dans le passé, alors que les sanctions sont des mesures réglementaires conçues pour produire des effets systémiques généraux.
    Nous avons vu un exemple de cette complémentarité en septembre, quand les États-Unis ont annoncé la mise en accusation de l'industrielle chinoise Ma Xiaohong, d'une entreprise qu'elle contrôle et de plusieurs de ses associés pour avoir aidé des entités nord-coréennes à se soustraire aux sanctions des États-Unis et pour avoir offert du soutien au programme d'armes de destruction massive de la Corée du Nord. Au moment où l'on annonçait la mise en accusation, le gouvernement des États-Unis a sanctionné certaines de ces mêmes entités afin de les empêcher ou d'empêcher d'autres entités qu'elles détiennent ou contrôlent de participer au système financier international. Dans ce cas, les deux mécanismes légaux ont fonctionné en parallèle.
    Les sanctions s'appuient sur un éventail de mécanismes juridiques. De façon générale, ce sont des restrictions réglementaires imposées à des personnes physiques ou morales. Il y a deux types de mécanismes de base: certaines sanctions sont directement imposées par la loi, alors que d'autres dépendent d'un pouvoir accordé par le Congrès à l'exécutif pour que celui-ci établisse des programmes de sanctions répondant à des urgences nationales particulières.
    La principale loi américaine à suivre ce modèle est l'International Emergency Economic Powers Act de 1977, ou l'IEEPA. Elle autorise le président à déclarer une urgence nationale en raison d'un problème prenant naissance en entier ou en grande partie à l'extérieur des États-Unis. Le président peut alors examiner, réglementer ou interdire et généralement limiter un vaste éventail de transactions financières en réponse au problème. En pratique, le président a adopté des dizaines d'ordonnances visant les dimensions financières de graves menaces à la sécurité nationale comme pour la prolifération des armes nucléaires, le contre-terrorisme, la situation en Syrie et les activités de la Russie qui minent les processus démocratiques et menacent la paix et la stabilité dans l'est de l'Ukraine.

  (1545)  

    Les décrets présidentiels permettent au Trésor des États-Unis de cibler des particuliers ou des entités s'adonnant à des activités illicites. Le Trésor peut imposer un éventail de restrictions, mais les plus courantes sont les sanctions qui bloquent la propriété des personnes désignées relevant de la compétence des États-Unis, et qui empêchent des personnes aux États-Unis de faire des affaires avec elles. D'autres types de restrictions sont aussi possibles. Pour le programme de sanctions Russie-Ukraine, par exemple, les États-Unis et leurs alliés ont adopté des restrictions créatives touchant la dette et l'avoir propre d'un éventail d'entreprises russes. L'objectif était de cibler de la façon la plus précise possible les comportements répréhensibles et d'épargner dans toute la mesure du possible les activités qui auraient des répercussions étendues et nons prévues sur l'économie russe.
    Le processus servant à cerner une cible en vue de la désigner comporte plusieurs étapes. Le gouvernement des États-Unis consulte un vaste éventail de sources d'information afin de déterminer la cible, puis établit un dossier administratif qui est soumis à des examens juridiques et politiques de niveaux multiples réalisés par diverses agences avant qu'une décision finale soit prise au sujet de la désignation. La désignation est ensuite finalisée au moyen d'un ordre administratif et est alors rendue publique au moyen d'un communiqué de presse et d'une modification publique de la liste des sanctions pertinentes sur laquelle la cible figure.
    Si elles le souhaitent, les parties désignées peuvent demander que l'Office of Foreign Assets Control, ou l' OFAC — l'agence administrative qui met en oeuvre les sanctions — réexamine la désignation, ou encore contester la désignation en cour. L'OFAC doit rendre publique assez d'information sur le fondement de la désignation pour que la cible puisse comprendre le comportement qui a mené à l'imposition de sanctions, mais l'OFAC peut utiliser des documents classifiés pour étayer le dossier de preuve. L'examen en cour de ces documents pourra se faire à huis clos, ex parte.
    Certaines lois imposent aussi directement des sanctions financières, et c'est ce qui s'est produit plus particulièrement dans le contexte de l'Iran.
    Dans la foulée des événements du 11 septembre, les sanctions financières en sont venues à jouer un rôle de plus en plus important dans les discussions sur la sécurité nationale, la politique étrangère et l'intégrité financière. Très peu de gens croient qu'elles sont censées produire des effets décisifs en soi. Elles constituent cependant un outil essentiel de gestion du risque.
    Je suis impatient de répondre à toutes vos questions.
    Merci.
    Merci, monsieur Goldman.
    Merci, monsieur Nossal.
    Nous allons passer directement aux questions, et nous commençons par M. Kent.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux de votre présence ici aujourd'hui; merci aussi de nous faire profiter de vos observations et de votre expertise.
    Au cours des quelque six heures de témoignages que nous avons entendus pour cette étude sur la LMES et la loi sur les dirigeants étrangers corrompus, nous avons beaucoup entendu parler de la situation canadienne, où l'application et le respect de la loi relèvent autant de la capacité que de la loi. On nous a dit que nos lois présentaient des lacunes, que la capacité de certains de nos ministères et organismes — la GRC, par exemple — était insuffisante et que l'application de ces sanctions ou les crimes pour lesquels ces sanctions sont imposées étaient moins importants que la lutte contre le terrorisme.
    Ma première question s'adresse à vous, monsieur Goldman. C'est au sujet des plus lourdes sanctions imposées, par les États-Unis, dans l'affaire BNP Paribas. Je crois qu'on avait imposé une sanction de près de 9 milliards de dollars à l'institution financière parce qu'elle avait fait passer des milliards de dollars aux États-Unis pour clients du Soudan, de l'Iran et de Cuba.
    Dans ce cas particulier, où on a imposé une sanction de 9 milliards de dollars à la banque, j'aimerais savoir à combien vous estimez les coûts en matière de capacité, d'application de la loi et de poursuites.

  (1550)  

    Je vous remercie de votre question.
    Je ne pourrais pas vous donner un chiffre exact, mais je crois qu'il faut tenir compte de deux éléments en ce qui a trait à l'application et au respect de la loi. D'abord, les coûts engagés par le gouvernement. Le département du Trésor américain a un bureau appelé le Bureau de contrôle des avoirs étrangers, dont j'ai parlé plus tôt, qui applique les sanctions pécuniaires. Environ 200 personnes y travaillent; on peut donc faire une estimation approximative des coûts annuels connexes.
    D'autres organismes participent aux mesures d'application de la loi également. Il y a souvent un important chevauchement des compétences dans ces cas, et puisque la plupart des banques sont à New York, le superviseur des opérations bancaires de New York et le New York State Department of Financial Services y participent. Le procureur de l'État local à Manhattan y participe souvent également. De plus, les procureurs fédéraux participent souvent à ces mesures puisqu'elles ont trait à la violation des lois fédérales.
    Dans ce cas en particulier, l'amende de 8,9 milliards de dollars a été imposée par au moins quatre ou cinq organismes différents: le Bureau de contrôle des avoirs étrangers, le ministère de la Justice — qui est la seule entité pouvant intenter des poursuites criminelles fédérales —, les procureurs de l'État, le superviseur des opérations bancaires de New York et la Banque fédérale de réserve, je crois. Ces organismes ont plusieurs missions. Il peut être difficile de déterminer de façon précise le temps qu'ils ont consacré à ce cas en particulier.
    Une autre façon de déterminer le coût de la conformité consiste à examiner les coûts assumés par les banques. Toutes les banques qui relèvent de la compétence américaine doivent établir des architectures de conformité pour veiller à respecter les lois et politiques américaines, de même que d'autres obligations juridiques, et elles le font.
    Prenons l'exemple de BNP Paribas. La banque est assujettie aux lois françaises et américaines parce qu'elle est française et que ses activités qui relèvent de la compétence américaine sont également assujetties aux lois américaines. C'est probablement aussi le cas pour les dizaines de pays dans lesquels les banques mènent des activités. Il va sans dire que leurs architectures de conformité sont très complexes. Elles doivent respecter les lois locales partout où elles mènent des activités et aussi les lois de l'Union européenne.
    Il est difficile de vous donner une réponse précise, monsieur, mais c'est une façon de voir le problème.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Nossal, je vous remercie de nous avoir fait part de votre scepticisme aujourd'hui. En effet, on nous a dit que les problèmes de conformité au Canada entraînaient des coûts importants en matière de ressources pour le système bancaire et divers secteurs qui n'ont pas accès à des listes globales pour se conformer aux sanctions. En fait, certaines activités légales sont perdues par évitement, par crainte de la violation des sanctions.
    Vous avez parlé de la loi Magnitsky. Nous avons abordé certains éléments de la loi il y a un bon moment, même avant le début officiel de la présente étude. On nous a dit que la loi Magnitsky ne visait pas tant à changer les comportements, mais plutôt à ostraciser et à isoler ceux qui abusent de la loi et qui ne sont pas visés par la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus parce qu'ils ne sont pas des personnes désignées. Ce sont des gardiens de prison, des policiers, des responsables de la sécurité qui se sont enrichis de façon criminelle et qui veulent garder ces fonds pour eux et leur famille dans divers paradis fiscaux à travers le monde.
    Je crois que lorsque le Congrès américain a adopté la loi Magnitsky, il espérait que d'autres pays acceptent d'imposer des sanctions similaires à ces personnes — des criminels russes ciblés — et que cette aliénation allait envoyer un message clair et atteindre un objectif précis. J'aimerais que vous nous parliez de la loi Magnitsky.

  (1555)  

    Bien sûr. Lorsque j'ai parlé de cette loi et des 18 personnes impliquées, c'était surtout pour souligner la nature des sanctions ciblées qui, comme vous l'avez dit, sont aussi précises que possible. Comme le souligne M. Goldman, l'idée est d'éviter des conséquences imprévues.
    Il me semble que l'objectif symbolique de cette loi, qui vise essentiellement l'aliénation de certaines personnes, c'est d'envoyer un message clair à leur sujet et au sujet de leur rôle dans la mort de M. Magnitsky en 2009.
    De ce point de vue, la mesure est utile, mais puisqu'un nombre considérable de ressources doivent se consacrer à la création de ces mesures, je ne crois pas qu'il y ait un objectif stratégique plus vaste, autre que l'objectif symbolique de signalement et d'aliénation. Il me semble que ces sanctions ciblées visent uniquement un objectif symbolique.
    Il y a aussi un autre élément, lorsqu'on fait référence à la Fédération de Russie, et c'est la capacité de nombreuses personnes d'esquiver ou de renverser ces mesures. De plus, les personnes visées par des sanctions occidentales peuvent profiter de certains avantages dans la société russe.
    Merci, monsieur.
    Merci, monsieur Kent.
    Monsieur Miller, vous avez la parole.
    Je vous remercie de votre témoignage. Monsieur Nossal, j'aimerais que tous les politiciens soient aussi « inexpérimentés » que vous.
    Dans votre livre de 1994 sur les sanctions, qui se centrait sur les politiques étrangères du Canada et de l'Australie, vous avez souligné que le Canada n'avait pas la capacité économique d'imposer des sanctions suffisantes aux grandes puissances, donc que ces sanctions n'étaient que symboliques.
    J'aimerais revenir à ce que disait mon collègue, M. Kent, au sujet d'un régime de sanctions qui condamnerait ou saisirait les biens des personnes qui violent de manière flagrante les droits de la personne. Le geste initial de la saisie des biens a quelque chose de beau, parce que c'est un geste intelligent, du moins à première vue, en ce sens qu'on saisit un bien sur le territoire canadien d'une personne qui a violé de manière flagrante les droits de la personne. J'aimerais toutefois qu'on parle des conséquences imprévues ou du moins des mesures qui pourraient être prises contre le Canada et qui pourraient entraîner des conséquences indésirables pour les Canadiens, qui n'étaient pas voulues au départ.
    Il me semble qu'il faut faire une distinction entre la facilité de bloquer les biens qui appartiennent à une personne s'ils sont bien identifiés pour ensuite se concentrer sur les contre-mesures, qui pourraient entraîner des conséquences indésirables, et un régime plus vaste qui ne fonctionne tout simplement pas parce que le Canada n'a pas les moyens d'adopter des mesures qui ont du mordant. Je crois qu'il faut déterminer dans quelle mesure nos gestes entraînent des conséquences imprévues pour les Canadiens. La capacité initiale de bloquer ces biens, si on peut le faire, est intéressante à titre de mesure stratégique et pour dire clairement à la personne qui a commis ces gestes qu'elle ne peut pas cacher ses biens au Canada.

  (1600)  

    La clé ici, c'est la cible. Lorsqu'on vise des personnes, il y a une logique particulière. L'enjeu, c'est lorsque la cible est un État, un autre gouvernement.
    Il me semble qu'il faut reconnaître le rôle essentiel de ces mesures qui permettent de cibler des personnes, surtout des personnes qui mènent des activités au Canada, et de faire la distinction entre ces mesures à titre d'outil stratégique et les mesures plus vastes auxquelles on fait habituellement référence lorsqu'on parle des sanctions plus étendues: l'imposition de sanctions à d'autres États ou à d'autres collectivités lorsque le gouvernement peut imposer des contre-mesures aux Canadiens qui travaillent sur leur territoire ou simplement des mesures de représailles imposées par d'autres gouvernements comme le gouvernement de la Fédération de Russie. Après la loi Magnitsky, le gouvernement russe a imposé presque exactement les mêmes mesures contre les États-Unis, mais il a ajouté l'interdiction, pour les Américains, d'adopter des enfants russes.
    Je crois qu'il faut ici faire la distinction entre un geste qui vise un autre État, un autre gouvernement, et des mesures stratégiques qui visent des personnes.
    Monsieur Goldman, vous pourriez nous expliquer plus en détail les mesures prises par le gouvernement russe. On parle essentiellement d'acteurs étatiques ou quasi étatiques et ces mesures sont immédiatement perçues à titre d'action contre l'État. Lorsqu'on bloque les biens d'une personne, on a le sentiment qu'elle agissait au nom de l'État.
    Pouvez-vous nous parler de ce qui s'est produit dans l'affaire Magnitsky?
    Je vais parler de façon plus générale. La tendance consiste maintenant à imposer des coûts aux États en ciblant des entités individuelles ou des personnes qui auront une incidence.
    Pour prendre un autre exemple russe, lorsque la violence s'est intensifiée en Ukraine au début de l'année 2014, les États-Unis et nombre de ses partenaires de l'Union européenne et d'ailleurs ont imposé des sanctions qui visaient à façonner les calculs coûts-avantages du président russe Vladimir Poutine. Les États-Unis et les autres l'ont fait en ciblant des proches du président, d'anciens membres du régime, et des banques qui avaient présumément caché les biens du régime, comme la banque Rossiya et d'autres. L'objectif était de façonner la pensée de Vladimir Poutine au sujet des coûts et des avantages d'une montée continue de la violence en Ukraine.
    On peut donc se demander: dans quelle mesure la Russie a-t-elle exercé des représailles contre les États-Unis et ses alliés? Aussi, quelle a été l'incidence de ces sanctions? On peut faire valoir qu'il est impossible de le savoir avec certitude parce qu'il faudrait pour cela connaître le résultat d'une autre hypothèse, c'est-à-dire: qu'est-ce qui serait arrivé si on n'avait pas imposé de sanctions? Il est bien sûr impossible de répondre avec certitude à cette question.
    On peut toutefois faire valoir que l'accélération des sanctions dans ce contexte au cours de la première partie de 2014 a à tout le moins ralenti l'escalade dans l'Est de l'Ukraine. Même si les sanctions ont figé le statu quo, Poutine n'a pas posé d'autres gestes de provocation, ce qu'il aurait pu faire.

  (1605)  

    Monsieur Goldman, à la fin de votre témoignage, vous avez dit que les sanctions, qu'elles soient efficaces ou non, représentaient néanmoins un outil très intéressant et important. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus à ce sujet?
    Bien sûr. J'ai deux ou trois remarques à faire à ce sujet.
    Premièrement, très peu de gens feraient valoir que les sanctions peuvent à elles seules régler une crise politique étrangère. Si l'on prend l'Iran, qui est l'exemple récent le plus poignant à mon avis, les sanctions visaient à obtenir un effet de levier qui allait servir dans le cadre des négociations diplomatiques. Personne ne croyait qu'on pouvait tout simplement imposer des sanctions à l'Iran pour que le pays adopte un programme nucléaire à notre goût. Les sanctions ont été imposées sur une longue période et étaient le résultat de vastes efforts multilatéraux, mais au bout du compte, c'est par la diplomatie qu'on a réussi à concrétiser l'accord nucléaire. Les sanctions à elles seules ne l'auraient pas permis.
    Je vais maintenant m'éloigner de cet exemple précis et revenir à un point que j'ai fait valoir plus tôt au sujet des sanctions à titre d'outils de gestion du risque. Je crois qu'ici, la clé est que le système financier international se fonde sur la confiance. Les particuliers ne feront pas de transactions dans le système financier international s'ils croient que les banques font affaire avec des hors-la-loi.
    On peut s'imaginer un monde où les gouvernements — surtout les gouvernements occidentaux et asiatiques — qui gèrent la majeure partie des activités financières du monde cessaient tout simplement d'imposer des sanctions pécuniaires et donc offraient aux personnes impliquées dans le terrorisme, le trafic de drogues et la prolifération des armes de destruction massive un libre accès au système financier international. Je ne pense pas qu'on ferait confiance à un tel système et que la circulation des renseignements ou les services financiers en seraient améliorés.
    Je peux faire valoir d'autres points, si vous le voulez, mais ce sont les deux plus importants à mon avis: premièrement, les sanctions sont toujours utilisées en association avec d'autres outils de sécurité nationale comme la diplomatie, le recours à la force militaire et le renseignement, pour atteindre des buts précis; deuxièmement, il est très important de miser sur les effets systémiques généraux des sanctions sur l'intégrité financière.
    Merci.
    Merci, monsieur Miller.
    La parole est maintenant à M. Aubin. Allez-y, monsieur.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être ici et de nous apporter leurs lumières dans un dossier où l'étude est passablement complexe.
    J'aimerais vous entendre, parce que dans vos propos préliminaires, vous avez semblé tous deux énoncer des positions à tout le moins différentes. Soyez très à l'aise de me corriger si je traduis mal vos propos.
    Monsieur Goldman, vous semblez nous dire que les sanctions sont des mesures préventives et non pas punitives alors que, monsieur Nossal, vous soutenez plutôt l'inverse, si j'ai bien compris. Selon vous, les sanctions sont d'abord punitives ou symboliques si elles ne sont pas efficaces.
    Attardons-nous à cette première différence et à des statistiques, qui m'ont particulièrement impressionné, sur le nombre de programmes de sanctions économiques soutenus par l'ONU et sur le nombre de programmes soutenus par les États-Unis. On parle du simple au double. En ce qui a trait au nombre de personnes qui sont touchées à titre personnel par des sanctions, il y en a cinq fois plus aux États-Unis.
     Cette différence est-elle liée à une différence systémique d'approche, à la base, et de conception des programmes de sanctions? Est-ce dû plutôt à la lourdeur d'une institution comme celle de l'ONU par exemple?
    Commençons par M. Goldman.

[Traduction]

    Je vais revenir à un des points que vous avez soulevés concernant le caractère préventif par rapport au caractère punitif. Je vais ensuite parler de l'importance du symbolisme.
    Ce que j'ai voulu dire, c'est que selon le sens classique, les poursuites criminelles renvoient à des actes complétés. Cela ressemble un peu aux sanctions pécuniaires. De façon plus générale, l'obligation des banques de prendre d'autres mesures pour protéger le système financier international, par exemple en luttant contre le blanchiment d'argent et ainsi de suite, vise non seulement à cibler des activités illicites complétées, mais aussi à permettre aux systèmes qui seront mis en place de les prévenir. Je pense que c'est ici que réside la principale différence entre, par exemple, les poursuites criminelles et les sanctions.
    De toute évidence, une autre importante différence est la peine, l'effet. Les personnes dont le nom figure sur une liste de sanctions ne se retrouvent pas en prison. Le contournement d'une sanction constitue un crime, mais le résultat d'une sanction est un gel des avoirs, pas la prison. Aux États-Unis, il s'agit bien entendu de la plus importante distinction qui explique les différents niveaux de preuve juridique et d'examen juridique.
    À propos du symbolisme, je ne suis pas en désaccord avec le professeur Nossal. Dans certains cas, les sanctions sont symboliques, mais je ne pense pas qu'elles sont inutiles pour autant. Je crois qu'il est important de donner à la communauté internationale l'occasion d'exprimer son dégoût collectif à l'égard de formes particulières d'activité répréhensible et de délimiter ce qui est un comportement international acceptable et ce qui ne l'est pas.
    Si, par exemple, le régime de Bashar al-Assad avait librement accès au système financier international, je pense que cela ne tiendrait pas compte de l'horreur et du dégoût que nous ressentons presque tous en regardant la façon dont il traite son propre peuple. Nous ne savons pas si les sanctions contre la Syrie mèneront à une solution pacifique à la guerre civile dans ce pays, mais elles vont sans aucun doute nuire au fonctionnement du régime Assad et faire en sorte qu'il lui sera plus difficile d'obtenir les ressources dont il a besoin pour poursuivre l'oppression de son peuple, et je pense qu'il est approprié et important d'exprimer du mépris à l'égard de ses agissements.

  (1610)  

[Français]

     Merci, monsieur Goldman.
    Monsieur Nossal, voulez-vous ajouter quelque chose?

[Traduction]

    Merci.
    Je suis entièrement d'accord avec le professeur Goldman pour ce qui est de l'objectif punitif, et je ne laisserais jamais entendre que le but d'une peine, lorsqu'elle est purgée, que ce soit en droit interne ou international, est inutile. Au contraire, la peine revêt ici une importance cruciale, car il me semble que la capacité de faire du mal envoie un important message. Le simple fait d'être symbolique ne la rend pas inutile, loin de là.
    J'arrive maintenant à votre question sur l'Organisation des Nations unies et ses sanctions. Il me semble que c'est lorsque les Nations unies prennent ces mesures qu'on obtient le plus grand effet punitif dans le sens symbolique où nous pouvons communiquer une aversion à l'égard d'une série d'agissements. La dénonciation de ces agissements devient alors un aspect important de l'exercice punitif. Il me semble que lorsque l'ONU prend ces mesures, c'est-à-dire la communauté internationale par le truchement de l'ONU, plutôt que des États individuels, que ce soit unilatéralement ou plurilatéralement, on obtient le plus grand effet symbolique possible.

[Français]

    Merci, monsieur Nossal.
    Vous me donnez presque la réponse à la question qui suivait, mais j'aimerais quand même entendre votre point de vue.
    À l'échelle internationale, est-ce que le Canada a une personnalité telle que, dans un certain nombre de cas, il pourrait être le seul État à agir ou encore être le leader d'un règlement qui pourrait passer par une prise de sanction? Plus précisément, lorsque le Canada instaure une sanction, dans quelle situation celle-ci a-t-elle le plus de crédibilité?

  (1615)  

[Traduction]

    Je suis contre l'unilatéralisme quand il est question de politique de sanctions et du gouvernement du Canada. À mon avis, lorsque le Canada édicte des sanctions, plus elles sont multilatérales, plus elles sont efficaces. Il ne fait aucun doute qu'il est possible de prendre des sanctions multilatérales et de les rendre plus sévères sans s'adresser à ses amis et à ses alliés, mais à mon humble avis, j'estime que ce n'est généralement pas une façon judicieuse de procéder. La possibilité d'agir de concert, surtout avec ses amis et ses alliés, est essentielle, et si on peut le faire de manière plus globale — les Nations unies étant l'ultime moyen —, c'est encore mieux.
    Je dois avouer que mon scepticisme à l'égard des sanctions en général est amplifié lorsqu'il est question d'un acteur relativement petit comme le Canada qui cherche à imposer des mesures unilatérales. Je pose tout simplement la question: quelles sont les répercussions de ces mesures unilatérales sur le système international?

[Français]

     Merci.

[Traduction]

    Merci, monsieur Aubin.
    Je donne maintenant la parole à M. Saini.
    Merci beaucoup à tous les deux d'être ici aujourd'hui.
    Monsieur Goldman, j'ai quelques questions pour vous, car je sais que vous avez beaucoup écrit à propos du pouvoir judiciaire européen et que vous avez attiré l'attention sur certains moments où on a eu de la difficulté à obtenir des actes d'accusation. L'une des réalités observées était que les tribunaux n'avaient parfois pas accès aux renseignements classifiés.
    Vous avez également écrit à propos de la difficulté de placer sous une surveillance judiciaire les personnes inscrites sur la liste. À cet égard, les deux cas célèbres sont l'affaire Ahmed et l'affaire Kadi.
    Vous avez également dit que les Américains, au moyen de leur examen juridique et stratégique interexécutif, ont probablement une option plus solide.
    En tenant compte des problèmes rencontrés en Europe et du genre de réussites observées aux États-Unis, pourriez-vous dire au Comité ce que vous recommanderiez en matière de surveillance judiciaire, ce qu'il faut faire pour qu'il soit plus facile d'obtenir des actes d'accusation ou d'assurer l'efficacité des sanctions visant les personnes prédésignées?
    Tout à fait. Merci beaucoup de poser la question.
    Je crois que la participation du pouvoir judiciaire dans le processus relatif aux sanctions est essentielle à l'intégrité et à la légitimité de l'entreprise. D'entrée de jeu, je tiens à être clair à ce sujet.
    Je dirais que les régimes de sanctions ont deux caractéristiques importantes, et je pense que cela a donné du mal à l'Union européenne à certains égards. Je ne dirai pas que les États-Unis s'en sortent mieux, mais je crois qu'ils s'y prennent raisonnablement bien.
    La première caractéristique est la transparence dans le processus. Quels sont précisément les éléments qui mènent à la décision d'imposer des sanctions dans un premier temps? Quels sont les acteurs institutionnels concernés? Quels sont les critères juridiques? Quels sont les fardeaux de la preuve? Quels sont les niveaux de preuve? Je pense qu'il est important d'obtenir des précisions au sujet de ces questions et que ce soit prévisible. Cette transparence doit aider dans une certaine mesure à protéger le droit des personnes désignées en matière d'équité procédurale.
    Deuxièmement, je pense qu'il est important que les tribunaux puissent examiner les renseignements classifiés, qui sont fournis à titre confidentiel par l'exécutif, mais, une fois de plus, les personnes ciblées par les sanctions doivent être suffisamment informées des agissements qu'on leur reproche pour pouvoir se défendre efficacement.
    Il s'agit des deux principes que je considère comme importants, et au moins aux États-Unis, je dirais que nous nous en sortons raisonnablement bien. On peut toujours faire mieux, mais je pense que nous les respectons plutôt bien, et il est important d'y porter attention à mesure que nous allons de l'avant.
    Merci beaucoup de ces explications.
    Ma deuxième question porte sur une affaire entendue en Angleterre, l'affaire Ahmed, dans laquelle les lords juristes ont affirmé que la surveillance judiciaire par le truchement du modèle de l'ombudsman n'était pas efficace, et après l'adoption de la résolution no 1267 aux Nations unies, ils ont décidé de créer un bureau d'ombudsman.
    Recommanderiez-vous la même chose au pays pour accroître l'efficacité de la surveillance judiciaire?

  (1620)  

    Parlez-vous de l'ombudsman à l'ONU?
    Eh bien, il y en a un à l'ONU.
    En effet.
    Pensez-vous que ce serait efficace à l'échelle nationale?
    Oui. Comme vous le savez sûrement, l'ombudsman à l'ONU a longtemps été une juge canadienne, Kim Prost, qui a excellé dans ses fonctions. Je crois que je vais mettre l'accent sur deux choses importantes. Les institutions proprement dites ne me préoccupent pas autant que les fonctions qu'elles remplissent. À mon avis, l'important est que les personnes désignées puissent vraiment contester les sanctions auxquelles elles font face et que le processus soit considéré comme étant équitable.
    Dans les différents systèmes, on s'y prendra de différentes manières pour tenir compte de ces deux objectifs. Vu la situation aux États-Unis, par exemple, je ne pense pas qu'un ombudsman apporterait beaucoup au système que nous avons actuellement en place. Je crois que le système rend maintenant possibles deux sortes d'examens. On peut demander directement à l'OFAC de revoir une désignation ou intenter des poursuites afin qu'elle soit revue par les tribunaux. Dans le contexte, j'ai l'impression que c'est un ensemble efficace de mécanismes pour infirmer une décision d'infliger des sanctions.
    Par exemple, aux États-Unis, je ne pense pas qu'un ombudsman apporterait beaucoup dans le contexte actuel. En revanche, dans le contexte canadien, il est possible qu'un ombudsman apporte un certain degré d'équité dans la procédure afin de protéger les personnes désignées.
    Merci, monsieur Saini.
    Nous allons entamer la deuxième série de questions.
    Monsieur Sidhu, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux de nous faire profiter de votre sagesse et de votre expérience.
    J'ai une question pour vous, professeur Nossal. Vous avez laissé entendre que les sanctions ont tendance à donner de meilleurs résultats lorsqu'elles sont infligées à des États démocratiques libéraux plutôt qu'à des régimes autoritaires. À titre d'exemple, dans votre article intitulé « Liberal-democratic regimes, international sanctions, and global governance », vous avez écrit que:
[...] le nombre de sanctions ayant échoué montre clairement qu'il est généralement facile pour les dictatures militaires [...] les gouvernements qui violent les droits de la personne et tous les régimes non libéraux de résister aux répercussions punitives des sanctions.
    Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
    Nous en sommes arrivés à cette conclusion surtout parce que, pour reprendre les mots du professeur Goldman, il est généralement difficile de changer les calculs du rapport coûts-bénéfices de certains types de gouvernance.
    Parmi les cas intéressants de sanctions réussies au cours de l'histoire, on en cite habituellement deux. L'un renvoie aux sanctions infligées à l'État d'Israël par l'administration Eisenhower en 1956. À vrai dire, c'était plutôt une menace de sanctions. L'administration Eisenhower a menacé de révoquer le statut de l'État d'Israël en vertu de la loi américaine de l'impôt sur le revenu, pour ce qui est des dons déductibles d'impôt, dans le but de forcer le pays à changer ses politiques relatives au Sinaï. Le gouvernement israélien a immédiatement obtempéré.
    Le deuxième exemple de gouvernement démocratique libéral qui a infligé des sanctions à un autre gouvernement démocratique libéral a eu lieu dans la foulée de l'attentat à la bombe par la France contre un navire de Greenpeace se trouvant dans le port d'Auckland au milieu des années 1980. Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a arrêté les agents français. La France a indiqué que si les agents n'étaient pas remis aux autorités françaises, les exportations de la Nouvelle-Zélande vers l'Union européenne en subiraient les contrecoups. La Nouvelle-Zélande a parfaitement compris ce que signifiait cette menace. Les agents qui avaient planifié et perpétré l'attentat ont été confiés aux autorités françaises, qui les ont libérés et récompensés en leur remettant une médaille.
    Il n'y a pas beaucoup d'exemples semblables de sanctions, mais dans le cas des gouvernements démocratiques libéraux, il me semble qu'on retrouve une sensibilité, surtout dans un contexte de dépendance, qui est tout simplement inexistante dans les régimes autoritaires ou les dictatures militaires.

  (1625)  

    Merci, monsieur Sidhu. Je vais vous interrompre ici parce que nous n'avons vraiment pas beaucoup de temps. Je donne la parole à M. Allison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie également beaucoup nos témoins.
    D'autres témoins nous ont également dit que certaines de ces sanctions générales ne fonctionnent parfois pas. Nous avons essayé de déterminer si nous essayons d'envoyer un message ou de faire autre chose.
    Ma question est pour vous, monsieur Goldman. De toute évidence, aux États-Unis, vous connaissez bien la loi Magnitsky. C'est une chose dont M. Kent a parlé avec M. Nossal. Je veux savoir ce que vous avez à dire au sujet de cette loi dans le contexte américain, si vous avez l'impression qu'elle a porté des fruits et à quels égards. Je sais que nous sommes sans aucun doute au courant de certaines de ses conséquences imprévues, comme le refus essuyé par les Américains qui veulent adopter des bébés russes et ainsi de suite.
    Dans le cadre des témoignages que nous avons nous-mêmes entendus à propos du recours à des sanctions visant des particuliers, des gens nous ont dit que c'est trop coûteux ou que cela ne fonctionne pas, ou on a demandé si ces particuliers placent vraiment leur argent au Canada. Je veux vous renvoyer à un article écrit la semaine dernière par Daniel Leblanc, qui a essentiellement parlé du fait que M. Browder, au Royaume-Uni, s'est penché sur certaines de ces questions, et nous voyons déjà de l'argent entrer au Canada. Ce qui est peut-être encore plus préoccupant, c'est que des particuliers et des entreprises mises sur pied pour profiter de la fraude envoient des sommes importantes à l'étranger.
    C'est une réalité. Nous constatons qu'en agissant unilatéralement, cela ne fonctionne probablement pas, mais alors que nous allons de l'avant et que d'autres pays examinent la situation, je pense que le but de la loi Magnitsky est de dire à ceux qui en profitent et qui arnaquent leur propre gouvernement qu'ils ne trouveront aucun endroit en Occident pour déposer cet argent, le dépenser et le protéger tant et aussi longtemps qu'ils continueront de profiter de la situation.
    Très brièvement, que pensez-vous de ce qui s'est passé avec la loi Magnitsky aux États-Unis? Avez-vous l'impression que c'est un pas dans cette direction? Je sais qu'il faudrait peut-être que d'autres pays passent à l'action pour que nous puissions obtenir l'effet recherché sur de multiples pays.
    De manière générale, je souscris aux trois grands points que vous avez présentés. Premièrement, il est extrêmement important d'avoir en place les mesures préventives nécessaires pour éviter d'être une destination de capitaux illicites. Deuxièmement, les pays, surtout les démocraties occidentales, gagnent à faire front commun, car ces démocraties et d'autres pays sont beaucoup plus efficaces lorsqu'ils agissent de façon concertée pour s'attaquer à des problèmes précis, qu'il s'agisse de violations des droits de la personne, de la prolifération d'armes de destruction massive ou de lutte contre le terrorisme — ce ne sont pas les activités illicites qui manquent. Troisièmement, je pense que la loi Magnitsky est un exemple de deux choses: premièrement, l'importance de la réputation et l'effet que l'imposition de sanctions peut avoir sur la réputation et sur le renforcement de l'idée voulant que la violation des droits de la personne soit inacceptable; et, deuxièmement — c'est un peu lié —, l'ampleur des activités menées de concert avec des alliés.
    La loi a eu des conséquences imprévues. Toutes les mesures prises sur la scène internationale ont des conséquences, et elles sont parfois involontaires ou imprévues, mais cela ne signifie pas que la loi est inadéquate.
    Merci.
    Je vous remercie, monsieur Allison, monsieur Goldman et professeur Nossal.
    Malheureusement, monsieur Goldman et professeur Nossal, le temps est écoulé. Au nom du Comité, je tiens à vous remercier tous les deux. Comme vous le savez, notre étude est très importante pour le Canada, et elle suscite une discussion et un débat très importants à propos de l'application des sanctions et de leur efficacité. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir fait part de votre savante opinion. Si vous avez d'autres renseignements qui selon vous pourraient nous être utiles dans le cadre de notre étude, n'hésitez pas à nous les transmettre. Nous serions très disposés à en prendre connaissance.
    Encore une fois, merci beaucoup, monsieur Goldman, et monsieur Nossal. J'affectionne particulièrement l'Université Queen's, alors j'ai été ravi de votre présence ici aujourd'hui.

  (1630)  

    Merci.
    Chers collègues, nous allons faire une pause de cinq minutes et ensuite nous allons entendre deux autres témoins durant la prochaine heure.

  (1630)  


  (1630)  

    Nous sommes maintenant prêts à reprendre la séance de cet après-midi.
    Nous accueillons maintenant Clara Portela, professeure à l'Université de Management de Singapour. Elle nous parle depuis Singapour, où il est actuellement quatre heures du matin. Le deuxième témoin est M. George Lopez, professeur à l'Université Notre-Dame. M. Lopez discutera avec nous par téléconférence, alors, vous ne le verrez pas, mais vous l'entendrez.
    Nous allons essayer de régler les petits problèmes de communication avec Singapour, alors nous allons commencer avec vous, monsieur Lopez.

  (1635)  

    Oui, monsieur Lopez, nous vous entendons.
    Nous allons commencer par votre exposé, puis, si nous parvenons à établir la communication avec Singapour, Mme Portela fera sa déclaration liminaire puis nous passerons aux questions.
    Je vous cède la parole pour votre exposé.
    Je vous remercie beaucoup, monsieur le président, de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
    C'est un honneur pour moi de pouvoir répondre aux questions qu'a suscité votre examen de la loi et de comparaître au même titre que de nombreuses personnes dont j'admire le travail, à savoir les personnes qui ont comparu la semaine dernière et celles qui comparaissent aujourd'hui.
    Le recours à des sanctions multilatérales, particulièrement par le Conseil de sécurité des Nations unies, est largement préconisé...

  (1640)  

    Monsieur Lopez, puis-je vous interrompre un instant?
    Oui, bien sûr.
    Nous avons de la difficulté à vous entendre, et cela nous empêche d'effectuer l'interprétation comme l'exige la Chambre. Ce que nous proposons de faire, c'est de vous rappeler pour voir si cela améliore les choses afin que nous puissions effectuer l'interprétation.
    D'accord. La connexion était bonne au début, mais elle s'est détériorée de mon côté aussi. Je vais attendre.
    Je vous remercie, monsieur Lopez. Nous allons essayer encore une fois.
    Je suis désolé de vous avoir interrompu. Si vous le voulez bien, reprenez les cinq dernières minutes pour que nous puissions traduire. Vous pouvez reprendre depuis le début.
    Très bien.
    Je suis désolé. Allez-y, et merci pour votre patience.
    Je vous remercie beaucoup.
    Voulez-vous que je reprenne du début?
    Vous pouvez reprendre du début. Merci.
    Je vous remercie encore une fois de me donner l'occasion de comparaître devant vous.
    Le recours à des sanctions économiques multilatérales, particulièrement par le Conseil de sécurité des Nations Unies, est largement préconisé par des ONG transnationales de défense des droits de la personne et divers gouvernements favorables à la promotion et à la protection des droits de la personne. L'imposition et l'application de sanctions occupent une place importante dans la politique étrangère de nombreux États démocratiques ainsi qu'au Conseil de sécurité de l'ONU.
    En effet, en ce qui a trait à la protection et à l'avancement des droits de la personne, le Conseil de sécurité a adopté 15 régimes de sanctions, dont 11 comportent des mesures liées aux droits de la personne ou au droit humanitaire.
    À elle seule, l'Union africaine a imposé des sanctions dans huit cas de changement de gouvernement par des moyens extraconstitutionnels et elle a eu recours à des mesures ciblées pour protéger des droits fragiles durant les premières années de gouvernance démocratique dans des pays qui ont été en proie à un conflit.
    L'Union européenne gère près de 370 sanctions, dont une grande partie comporte des mesures liées aux droits de la personne. Mon propre pays, par l'entremise du Treasury Office of Foreign Assets Control, a proposé 50 sanctions financières à l'endroit d'individus, de gouvernements ou d'organisations pour violation des droits de la personne.
    Malgré tout cela, je crois qu'on peut dire honnêtement que ces mesures ne se sont pas avérées très efficaces. Pire encore, les cas de violation à l'égard desquels le Conseil de sécurité n'a jamais pris de mesures ont entraîné une augmentation considérable des atrocités commises au chapitre des droits de la personne. Il s'agit bien entendu des massacres en Yougoslavie, du génocide au Rwanda, des massacres au Libéria qui se sont poursuivis jusqu'à environ 2001 et des massacres dans la région du Darfour au Soudan.
    Les preuves historiques à propos des sanctions ciblées ne sont pas très claires quant à leur capacité d'améliorer le bilan en matière de droits de la personne d'un gouvernement qui viole les droits de la personne ou des milices en maraude qui continuent de tuer des civils. Je crois que nous devons dire que les sanctions à elles seules ont rarement forcé les pays qui violent les droits à cesser leurs actions. Elles n'ont jamais contribué à renverser un gouvernement dirigé par un dictateur qui viole les droits de la personne.
    Lorsque des dictateurs ont changé leur comportement, c'est parce que des sanctions faisaient partie d'un ensemble d'instruments de politique étrangère qui visent les points sensibles des régimes abominables en vue d'améliorer avec le temps la situation des droits de la personne. Les sanctions sont davantage efficaces pour préserver la culture de protection des droits qui prend naissance dans des démocraties fragiles.
    Pour être positifs, nous pourrions dire que le Conseil de sécurité de l'ONU a réalisé des progrès au chapitre de l'établissement de normes mais qu'il tire de l'arrière au chapitre de leur application. Ces nouvelles normes mondiales se divisent normalement en trois catégories.
    La première concerne la protection des civils durant les conflits armés.
    La deuxième concerne un principe qui, comme le craignent certains d'entre nous, sera appliqué de façon éphémère par la communauté internationale au sein de l'ONU, c'est-à-dire la responsabilité de protéger les civils confrontés à des atrocités de masse imminentes. Bien sûr, beaucoup d'entre nous sommes extrêmement redevables au Canada pour son leadership en ce qui concerne la responsabilité de protéger.
    La troisième est liée, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, à la protection des processus de transition électorale et démocratique à l'ONU. Il s'agit notamment de modifier des sanctions visant à stopper une guerre civile pour qu'elles soient intégrées à des mesures de consolidation et de maintien de la paix sur le terrain.
    Comme vous l'ont expliqué d'autres témoins, la tendance est maintenant à l'application de sanctions qu'on appelle « intelligentes » ou « ciblées ». Les sanctions qui se sont révélées les plus efficaces sont celles qui tombent dans l'une de trois catégories.
    La première est le blocage des actifs financiers, des biens et d'autres fonds qui se trouvent à l'extérieur du pays où des atrocités sont commises. Ils peuvent appartenir à des organismes ou fonctionnaires d'un gouvernement, à des fonctionnaires, privément ou publiquement, ou à des gens désignés comme partisans ou complices du régime.
    La deuxième est l'interdiction de transférer des actifs dans des marchés financiers à l'étranger, particulièrement par l'entremise de nouvelles institutions financières, de banques nationales et d'autres mécanismes utilisés par les gouvernements pour transférer des fonds, en particulier à des banques privées, à des investisseurs et à des blanchisseurs d'argent.

  (1645)  

    La troisième catégorie est celle des sanctions qui visent à restreindre les échanges commerciaux de biens très précis qui procurent des revenus substantiels aux pays qui violent les droits de la personne, particulièrement les biens qui font l'objet de vastes échanges commerciaux et qui ont une grande valeur pour les marchés occidentaux.
    C'est avec le temps que nous avons compris l'efficacité des sanctions ciblées. Dans la pratique, lorsque des pays qui ont une politique étrangère efficace, comme le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis, travaillent avec les Nations unies ou des acteurs comme l'Union européenne ou l'Union africaine pour renforcer les sanctions qui ont été adoptées ou, de façon plus importante, pour agir avant les grandes organisations, nous avons constaté que les chances de succès sont meilleures.
    L'exemple le plus notable, à mon avis, remonte à 2011, lorsque des États occidentaux ont décidé d'adopter des mesures sévères et de bloquer la moitié des actifs du général Kadhafi contenus dans des fonds officiels en Libye et des actifs privés dont disposait le régime totalisant près de 36 milliards de dollars. Cela s'est produit 48 heures avant que le Conseil de sécurité adopte la résolution 1970, et une autre partie des actifs a également été bloquée avant que le Conseil de sécurité adopte la résolution 1973. Bloquer des actifs de Kadhafi a considérablement nui à sa capacité d'importer du matériel lourd, d'embaucher des mercenaires et de faire appel à des commandos d'élite dans divers pays pour lui venir en aide.
    Mes propres travaux m'ont amené de plus en plus, au cours des derniers mois, à penser que nous devons nous pencher davantage sur les personnes plus facilement identifiables qui commettent les violations des droits ou des atrocités de masse plutôt que sur les entités les plus visibles qui autorisent ces atrocités, c'est-à-dire les gouvernements et leurs dirigeants. En examinant plus en profondeur ces violations, nous constatons qu'il y a un lien très étroit avec des entreprises qui fournissent des produits spécifiques et des organismes qui facilitent l'obtention de fonds, bref, toutes sortes de personnes et d'organismes qui ne sont habituellement pas visibles lorsqu'on commence à effectuer une analyse.
    À la lumière de tout cela, nous préconisons des sanctions qui visent les complices pour cibler les moyens qui sont utilisés pour commettre des atrocités de masse ainsi que les méthodes de financement. Ce qui justifie cela, c'est que les atrocités de masse procèdent du crime organisé, comme la situation en Libye nous a permis de le comprendre. Si nous nous attaquons à l'organisation et au financement — l'argent, les réseaux de communication, les ressources — cela a une incidence considérable.
    Puisque mon temps est presque écoulé, je vais attendre à la période des questions pour parler de situations que nous avons observées au Congo, au Darfour et ailleurs. J'encourage votre Comité à se pencher sur la façon d'en apprendre davantage sur les personnes qui commettent des atrocités de masse et sur les complices, qui ont souvent des liens avec l'Occident, où leurs actifs peuvent être bloqués et leurs réseaux perturbés.
    Je vous remercie beaucoup.

  (1650)  

    Je vous remercie beaucoup, professeur Lopez.
    Nous allons maintenant écouter la professeure Portela, et ensuite nous passerons aux questions.
    Bonjour, professeure Portela.
    Le professeur Lopez vient tout juste de terminer son exposé. Nous allons vous laisser faire votre déclaration liminaire, et ensuite nous allons passer aux questions.
    Si vous êtes prête à commencer, je vous cède la parole.
    Oui, je suis prête.
    La parole est à vous. Nous avons hâte d'entendre votre déclaration.
    Je vous remercie beaucoup.
    Je vous remercie de me donner l'occasion de m'adresser aux députés. J'espère pouvoir parler clairement et suffisamment lentement pour que les interprètes puissent traduire en français.
    Ma déclaration sera très brève. Malheureusement, je dois dire que je n'ai pas été en mesure d'écouter l'exposé de M. Lopez en raison de problèmes techniques. Pardonnez-moi alors si je répète certaines choses que M. Lopez a déjà mentionnées.
    En tant que spécialiste des sanctions imposées par l'Union européenne, j'aimerais commencer d'abord par faire une comparaison entre la loi canadienne et les mesures prises par l'Union européenne.
    L'Union européenne dispose de moyens, disons, pour imposer des sanctions à l'égard de pays où la corruption est généralisée, dans le but de punir les gouvernements qui adoptent des pratiques qui contribuent à cette corruption généralisée. Cependant, l'Union européenne ne s'est pas dotée d'une loi semblable à la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus. Elle n'a pas de loi équivalente et il n'y a pas de discussions actuellement sur la possibilité d'adopter une telle loi. Essentiellement, la société civile et aucun des États membres n'ont demandé à ce qu'on adopte une loi similaire à la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus.
    J'ai mentionné que l'Union européenne dispose de moyens pour punir des gouvernements, notamment pour corruption. Cela est possible grâce au cadre régissant l'aide au développement. Comme vous le savez, l'Union européenne est autorisée à interrompre l'aide au développement lorsque des gouvernements adoptent des pratiques qui donnent lieu à une corruption généralisée. Cela est prévu dans la section qui porte sur la bonne gouvernance.
    Le traité qui porte sur l'aide au développement versée par l'Union européenne aux pays en développement comporte une disposition qui prévoit explicitement la possibilité d'interrompre l'aide au développement pour des motifs de corruption généralisée. Cette disposition s'applique lorsque l'Union européenne dans son ensemble est un donateur et lorsque des États membres individuels sont aussi d'importants donateurs pour les pays en développement, mais hormis ce traité, il n'existe aucune loi semblable à la Magnitsky Act des États-Unis.
    Il est difficile d'imaginer que l'Union européenne envisagera d'adopter une loi de cette nature, en raison des contestations judiciaires récurrentes auxquelles elle fait face en ce qui a trait aux désignations. L'Union européenne inscrit des personnes sur sa liste noire en vertu de la Loi antiterroriste et elle applique des sanctions à l'égard de certains pays. Toutefois, cette liste noire fait l'objet d'un examen par la Cour européenne de justice.
    La Cour européenne de justice a assez souvent donné gain de cause aux demandeurs. Des chercheurs ont calculé que seulement 40 % des cas où les désignations ont été contestées devant la Cour européenne de justice ont été tranchés en faveur de l'Union européenne. Cela signifie que dans 60 % des cas, les demandeurs ont obtenu gain de cause, ce qui a forcé l'Union européenne à annuler la désignation.

  (1655)  

    L'Union européenne éprouve actuellement beaucoup de difficultés à inscrire des personnes sur sa liste noire. Elle hésite beaucoup à élargir sa législation, car elle a eu bien du mal à présenter des preuves qui pouvaient être rendues publiques en cour pour étayer ses cas.
    Je vais revenir à la version canadienne de la Magnitsky Act, à savoir la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, qui met le Canada sur un pied d'égalité avec les États-Unis puisqu'elle reprend essentiellement la loi américaine. Elle s'éloigne de la pratique antérieure selon laquelle le Canada ne suivait pas uniquement les États-Unis au chapitre de l'imposition de sanctions, mais aussi l'Union européenne. Cette loi s'éloigne donc de cette pratique.
    En outre, ce qui est bien à propos de cette loi, c'est qu'elle est très ciblée. Elle permet d'imposer des sanctions qui sont très clairement ciblées, précisément parce qu'elles portent sur des désignations individuelles. Cela diffère de ce que fait l'Union européenne, qui punit des États dans leur ensemble en interrompant des sources de financement pour des motifs de corruption. Si on considère que l'imposition de sanctions ciblées constitue une innovation positive, alors on peut dire qu'il s'agit d'une très bonne mesure législative. C'est une très bonne mesure parce que les sanctions ont des répercussions sur des personnes en particulier et non pas sur l'ensemble de la société et des personnes innocentes.
    Mon dernier point concerne l'objectif visé. Que voulons-nous accomplir exactement en bloquant les actifs des dirigeants étrangers corrompus et quelles en seront les répercussions probables?
    Le but d'une telle loi est de rendre le Canada inhospitalier pour des dirigeants corrompus, car lorsque ce type de loi est adopté et que des dirigeants corrompus savent qu'ils figurent sur la liste noire, ils ne peuvent essentiellement plus avoir recours aux marchés canadiens. Ils ne peuvent pas détenir des actifs ici. Cela leur envoie le message très clair qu'ils ne sont pas les bienvenus. Ils sont persona non grata au pays. Ce genre de loi est très utile, car elle permet de cibler et de stigmatiser des personnes en particulier.
    Nous pouvons aussi nous attendre à ce que ce type de loi décourage d'autres dirigeants qui sont tentés d'adopter les mêmes pratiques s'ils souhaitent conserver des actifs au Canada ou s'ils ont des liens au pays. En même temps, nous ne devrions pas penser qu'en adoptant ce genre de mesures législatives, nous parviendrons à entraîner un changement de comportement chez ces personnes en question.
    En fait, nous devons tenir compte du fait que, même si ces personnes n'aiment pas figurer sur la liste noire et être stigmatisées par un membre respectable de la communauté internationale tel que le Canada, leur priorité est d'être considérées comme faisant partie de l'élite, si je puis dire, dans leur pays d'origine. S'ils se trouvent dans une situation où tous leurs collègues, adjoints et patrons, les autres membres de leur cercle, figurent sur une liste noire, on s'interrogerait sérieusement si leur nom ne figurait pas sur la même liste noire. Disons par exemple qu'une personne figure sur une liste noire en vertu de la loi et que son nom disparaît de cette liste après quelque temps, peut-être parce qu'elle a modifié ses pratiques. Cela mettrait cette personne dans une position très délicate au sein de l'élite dont elle fait partie dans son pays d'origine. Il me semble que dès que l'on inscrit une personne sur une liste noire en vertu de la loi, nous ne pouvons pas nous attendre à observer des changements de comportement.

  (1700)  

    Cela étant dit, il ne faudrait pas croire que la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus n'est pas efficace, mais il est important d'établir clairement l'objectif visé et les répercussions possibles et de communiquer cela très clairement au public, particulièrement au public canadien directement. Autrement, on risque d'accuser les autorités d'adopter des lois inefficaces. Cette loi peut en fait s'avérer très efficace. Elle jouera un rôle important dans le cadre de relations internationales. Pour ce qui est de criminaliser la corruption, on devrait définitivement poursuivre cet objectif, du moins à mon avis, mais on devrait veiller à ne pas créer d'attentes au sein de la population, qui pourrait penser que cette mesure changera les choses sur le terrain.
    Je vous remercie beaucoup.

  (1705)  

    Merci beaucoup, madame Portela et monsieur Lopez.
    Nous allons passer directement aux questions des membres du Comité. De manière à permettre un maximum d'interventions, nous allons faire respecter la limite de cinq minutes pour chacun.
    Nous débutons avec M. Allison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie également nos deux professeurs pour leur témoignage.
    Madame Portela, nous envisageons une mesure semblable à la loi Magnitsky aux États-Unis. Si certaines démocraties occidentales commencent à s'intéresser à des lois de la sorte, croyez-vous possible que l'Union européenne contemple également cette option?
    Est-ce que je dois répondre immédiatement ou attendre les autres questions?
    Vous pouvez répondre tout de suite.
    C'est effectivement une possibilité. S'il y a un obstacle à l'adoption de mesures législatives semblables par l'Union européenne, ce n'est assurément pas un manque d'engagement envers la lutte contre la corruption dans ces pays, car l'Union européenne, un des donateurs les plus importants, a tout intérêt à voir à ce que l'aide internationale qu'elle dispense soit utilisée à bon escient.
    C'est surtout le fait que des individus soient expressément désignés dans l'application de lois semblables qui pose problème pour l'Union européenne étant donné que son système institutionnel permet aux personnes ainsi désignées de contester devant la Cour européenne de justice leur inscription sur cette liste noire. La cour a jugé leur requête recevable et la preuve produite est examinée. Dans bien des cas, l'Union européenne n'est pas parvenue à défendre sa cause très efficacement. Il lui a été impossible de produire en preuve les éléments justifiant l'inscription sur la liste noire, surtout pour les membres des organisations terroristes, car il s'agissait de renseignements de sécurité confidentiels qui ne pouvaient pas être rendus publics. Ces renseignements provenaient souvent de sources étrangères comme les États-Unis, par exemple, et les services du renseignement de l'autre pays refusaient de permettre à l'Union européenne de divulguer l'information en question. Dans les cas semblables, la Cour européenne de justice a forcé l'Union européenne à retirer les noms des individus de la liste, du fait qu'elle a été tout simplement incapable de produire en cour des éléments de preuve probants.
    Cette possibilité de recours a même eu des incidences sur les désignations de l'Union européenne provenant du Conseil de sécurité des Nations Unies, lesquelles sont en théorie d'application obligatoire pour tous. J'estime donc peu probable que l'Union européenne envisage la possibilité d'adopter une loi de la sorte tant et aussi longtemps qu'elle n'aura pas trouvé une solution à ce problème des désignations individuelles que la Cour européenne de justice juge non conformes aux garanties d'application régulière de la loi prévues dans les lois sur les droits de la personne, et en particulier dans la très rigoureuse Convention européenne des droits de l'homme.

  (1710)  

    Merci, madame Portela.
    Comme j'ai très peu de temps, j'ai une brève question pour vous, monsieur Lopez. Vous avez mentionné trois formes de sanctions ciblées: le blocage des biens, l'interdiction des transferts et les restrictions au commerce. Y a-t-il d'autres dispositions que vous pourriez recommander pour le ciblage efficace des sanctions? Je sais que ce sont les trois principales.
    Je crois que ces mesures peuvent être notamment appuyées par des interdictions de voyage et la désignation spéciale d'individus de telle sorte qu'ils ne puissent pas utiliser leur passeport.
    Pour ce qui est des vecteurs de facilitation dont j'ai parlé à la fin de mon exposé, je crois que l'on peut penser à un large éventail de biens et de services qui contribuent indirectement à la poursuite des atrocités. Cela nous amène dans le secteur de la technologie, des équipements de télécommunications, de téléphones satellites, des téléphones cellulaires et du matériel informatique. Nous avons ainsi toutes les raisons de cibler au moyen des sanctions financières existantes les différents actifs qui ont toujours contribué à entraver les efforts des défenseurs des droits de la personne.
    Selon moi, l'objectif serait donc d'appliquer de façon ciblée les trois mesures que j'ai mentionnées en y adjoignant une détermination plus judicieuse des services et des biens qui contribuent à la perpétuation des atrocités.
    Merci.
    Merci, monsieur Allison.
    Nous passons à M. Mendicino.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux pour votre témoignage.
    Ma première question s'adresse à vous, monsieur Lopez. Vous nous avez essentiellement fait comprendre qu'il est rare que les sanctions imposées à ceux qui portent atteinte aux droits de la personne suffisent à produire les résultats escomptés. Est-ce que cela résume bien vos conclusions?
    Vous avez tout à fait raison. Merci.
    De fait, si c'était le cas, il y aurait sans doute moins de conflits et de guerres dans le monde. N'êtes-vous pas d'accord?
    Selon moi, il est notamment intéressant de constater dans le contexte de cette loi et de nos échanges de cet après-midi que les considérations financières à l'origine des conflits, y compris le crime et la corruption, sont plus nombreuses que jamais. Nous pourrions bien nous dire qu'après 25 années de sanctions par les Nations unies et l'Union européenne notamment, les résultats parlent d'eux-mêmes, mais je veux que vous compreniez bien que le moment ne saurait être plus mal choisi pour renoncer à ces tactiques en affirmant qu'elles sont inefficaces.
    En fait, dans la lutte contre le crime et la corruption, nous sommes désormais en mesure à l'échelle planétaire d'utiliser ces techniques de façon plus ciblée et efficace et de concevoir des programmes législatifs mieux adaptés de telle sorte que ceux qui se rendent coupables de ces atrocités n'aient plus accès aux moyens leur permettant de les rendre possibles et de les perpétrer.
    Vos commentaires me rassurent, car nous avons pu entendre pendant la première portion de notre séance des témoignages à l'effet que les sanctions peuvent se révéler inefficaces et même nuisibles, dans certains cas. J'estime toutefois que nous sommes tout de même un certain nombre à essayer de voir les choses d'un oeil plus optimiste, voire plus pratique, en nous disant que les sanctions peuvent souvent produire les effets souhaités lorsque l'on s'en sert de façon appropriée, parallèlement aux autres outils multilatéraux dont dispose le Canada.
    Je voudrais toutefois revenir à vos commentaires concernant les éléments facilitateurs. Vous nous avez dit que l'utilisation judicieuse de sanctions ciblées pouvait nous permettre de nous attaquer à l'argent, aux ressources et aux réseaux de communications qui sont utilisés par ceux qui bafouent les droits de la personne. Comment le Canada pourrait-il collaborer plus efficacement avec des pays aux vues similaires dans le cadre d'une approche coordonnée misant sur des sanctions ciblées à l'égard de ces vecteurs de facilitation?
    On peut notamment penser à votre participation au Groupe d'action financière (GAF) qui nous procure des moyens très efficaces de suivre l'argent dans le cadre des efforts de non-prolifération nucléaire et de lutte contre le terrorisme. Il faudrait maintenant que des démocraties fortes comme le Canada fassent comprendre au GAF qu'il est désormais nécessaire d'adopter ce même genre d'approche qui a fait ses preuves à l'échelle multilatérale pour s'attaquer aux atrocités de masse.
    Est-ce au moyen de mécanismes comme le Groupe d'action financière que le Canada pourra mieux concrétiser sa détermination à agir en misant sur des sanctions coordonnées?

  (1715)  

    Oui, surtout si l'on parvient à faire comprendre aux responsables du GAF que les bons résultats obtenus à l'égard de ces autres aspects doivent être reproduits aux fins de la défense des droits de la personne.
    Quels sont les risques que le Canada ne parvienne plus à coordonner ses efforts avec ceux des autres pays partageant les mêmes convictions? Je suis conscient qu'il arrive que des négociations soient entreprises avec des pays portant atteinte aux droits de la personne dans le but de faire avancer certains dossiers au bénéfice du Canada, et je me demande donc comment on peut s'assurer que tous restent sur la même longueur d'onde, si je puis dire.
    Je crois que vous tablez en grande partie sur le travail des ONG et de la communauté internationale qui définissent l'ampleur des violations et le niveau de corruption qui s'y rattache. Du point de vue de la politique étrangère, il faut malheureusement avouer qu'il y a une différence entre le fait d'avoir à traiter avec un gouvernement où l'idéologie ou les pratiques prennent, sous la férule d'un dirigeant autoritaire, un mauvais tournant par rapport à nos principes démocratiques, et l'obligation de devoir composer avec une cleptocratie. Je crois...
    Désolé de vous interrompre, monsieur Lopez, mais j'ai très peu de temps.
    J'ai une dernière question. Comment évalue-t-on l'efficacité des sanctions? Certains nous ont dit qu'il arrive que l'on confonde causalité et corrélation. Pouvez-vous nous dire brièvement comment on peut éviter une telle confusion?
    Il suffit de bien examiner les rapports du groupe d'experts des Nations unies. Vous pouvez également suivre de près le travail des ONG et des chercheurs qui s'emploient à déterminer comment les choses se passent sur le terrain, au Soudan du Sud comme ailleurs dans le monde.
    Sur quels éléments de ces rapports devrions-nous concentrer notre attention?
    Vous devriez vous intéresser à la désignation et à la condamnation des coupables ainsi qu'à la mesure dans laquelle d'autres pays hésitent, dans le cadre de leur politique étrangère, à condamner les intervenants qui ont contribué à la mise en place des conditions propices aux abus au sein du contexte politique national.
    C'est tout le temps que j'avais. Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Mendicino.
    Monsieur Aubin.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Ma première question s'adresse à M. Lopez, bien que Mme Portela puisse compléter sans problème.
    J'étais un peu déçu par le début de votre présentation qui disait que les sanctions économiques semblaient avoir peu d'efficacité ou avaient une efficacité mitigée. Cependant, au cours de votre présentation, vous sembliez dire quand même que cette procédure de sanctions économiques avait subi un certain nombre de transformations au fil des ans. Cela rend peut-être les sanctions économiques un peu plus efficaces maintenant.
    Quelle serait, à votre avis, la prochaine étape qui rendrait ces sanctions plus efficaces et qui permettrait peut-être de rapprocher deux méthodes qui semblent assez différentes, c'est à dire celle de l'Union européenne et celle du bloc nord-américain?

[Traduction]

    Je crois qu'il y a quelques éléments à considérer. Je veux d'abord souligner ce que disait Mme Portela concernant notamment les mécanismes de lutte contre la corruption. Nous continuons de nous en prendre aux hauts responsables de la politique étrangère pour les amener à changer leurs comportements en matière de respect des droits de la personne. Nous devons nous rendre compte que ceux qui bafouent le plus les droits de la personne, tant en situation de guerre qu'en l'absence de conflit, sont généralement les cleptocraties et les réseaux criminels organisés qui bénéficient considérablement de ces actes de violence.
    Le cas du Soudan du Sud est sans doute le meilleur exemple que nous ayons actuellement sur la scène internationale. On y trouve deux politiciens, qui sont censés être des ennemis politiques ou tribaux, mais qui amassent en fait de colossales fortunes pour eux-mêmes et pour leur famille en permettant aux atrocités de se poursuivre. Je pense qu'il faut changer d'optique ou d'état d'esprit de telle sorte... Il faut comprendre que la violence est généralement motivée dans une perspective de corruption, de réseaux criminels et d'utilisation illicite des fonds.
    Par ailleurs, il faudra trouver les moyens pour que des organisations régionales, comme l'Union africaine notamment, en viennent à considérer des avenues comme l'objectif de développement durable 16 qui vise la mise en place d'institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous qui ont vraiment à coeur la lutte contre la corruption et la protection des droits.

[Français]

    Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose, madame Portela?

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire M. Lopez.
    J'ajouterais peut-être qu'il est difficile de prévoir ce que nous réserve la prochaine étape car, chose intéressante, les sanctions des Nations unies deviennent de plus en plus ciblées. À titre d'exemple, nous avons pu constater que le Conseil de sécurité des Nations Unies est pour ainsi dire prêt à mettre à l'index les saboteurs des traités de paix. Les sanctions des Nations unies sont de plus en plus personnalisées et ciblées.
    Si l'on considère toutefois ce qui se fait du côté de l'Union européenne, on peut voir que les sanctions sont en fait de moins en moins ciblées. On semble de plus en plus disposé à imposer des mesures qui vont toucher des pans plus larges de l'économie et de la population, lesquels n'ont rien à voir avec les comportements fautifs que l'on cherche à corriger.
    Comme nous nous retrouvons dans un contexte où les sanctions internationales sont de plus en plus ciblées, alors que certaines sanctions unilatérales le sont de moins en moins, il est difficile de déterminer quelle sera la prochaine étape. Quoi qu'il en soit, l'interaction entre ces deux niveaux d'intervention devrait être assez intéressante à observer au cours des prochaines années. Nous pourrions ainsi voir les instances mondiales et régionales emprunter des chemins différents. Il est même possible que l'on prenne des directions opposées, mais ces efforts pourraient tout de même demeurer complémentaires et se révéler assez efficaces.
    Enfin, je voudrais souligner à nouveau, comme M. Lopez l'a fait, à quel point il est important d'améliorer notre capacité à suivre l'argent. Grâce aux activités du Groupe d'action financière, il est désormais beaucoup plus facile de déterminer quels réseaux financiers entrent en jeu. Nous sommes ainsi beaucoup mieux à même de les cibler efficacement.

  (1720)  

[Français]

     Merci, monsieur Aubin.
    Madame Zahid, vous avez la parole.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président.
    Merci à M. Lopez et Mme Portela pour leurs témoignages aujourd'hui.
    Ma première question s'adresse à nos deux témoins et concerne l'efficacité des sanctions.
    Quelles mesures utilise-t-on pour évaluer l'efficacité des sanctions? Ainsi, les sanctions visent, tout au moins en partie, à inciter l'État ciblé à changer ses comportements. Si les changements voulus ont effectivement lieu, comment pouvons-nous nous assurer que c'est vraiment attribuable aux sanctions imposées, et non pas à d'autres facteurs comme une lutte pour la direction, un soulèvement populaire, une opposition plus forte ou une fuite de capitaux à la suite d'un soulèvement?
    Vous pouvez commencer, madame Portela, et M. Lopez pourra répondre également.
    Il n'est pas toujours facile d'établir un lien de cause à effet. Il arrive toutefois des cas où ce lien est plutôt évident, car même les dirigeants ciblés, leurs conseillers ou leur entourage en viennent à confirmer que les plans ont été modifiés en raison de l'impact des sanctions ou de la perspective que ces sanctions soient maintenues.
    Il arrive aussi que la chronologie des événements suffise à confirmer ce lien de causalité. Dans certains cas, c'est plutôt manifeste, mais dans bien d'autres situations, c'est très souvent une combinaison de facteurs qui entrent en jeu pour mener à des décisions de la sorte.
    L'efficacité des sanctions ne passe pas toujours par leur impact direct sur les plans des dirigeants responsables. Il arrive que les sanctions créent les conditions propices à l'établissement d'un certain climat, ou qu'elles causent par exemple des défections au sein de la garde rapprochée des dirigeants fautifs, ce qui contribue à procurer les comportements souhaités.
    Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, les sanctions ne visent pas uniquement ou principalement à exercer une influence en vue de changer les comportements des dirigeants ciblés. Elles remplissent différentes fonctions dans le contexte des relations internationales, et il arrive qu'elles soient imposées seulement dans le but d'inciter un dirigeant à négocier dans le cadre d'un processus où de nombreux autres facteurs interviennent.
    Bien souvent, nous considérons que les sanctions ont été efficaces pour autant qu'elles aient incité les parties en cause dans un conflit à entamer des négociations, même si elles n'ont pas entraîné un changement en profondeur des comportements fautifs, ou même si elles n'ont pas permis de mettre un frein à ces comportements.

  (1725)  

    Pouvons-nous aussi savoir ce qu'en pense M. Lopez?
    Je vais poursuivre exactement dans le sens de ce que disait Clara. Dans les 14 premiers cas où des sanctions ont été imposées par les Nations unies entre les années 1990 et le milieu des années 2000, nous avons constaté qu'il y en avait eu 11 qui ont abouti à des négociations quelconques entre les Nations unies et différents intervenants ciblés. La notion voulant que les sanctions servent exclusivement à punir et à forcer la main du coupable ciblé en l'accablant jusqu'à ce qu'il capitule tient totalement du mythe. Ce n'est pas du tout ce que l'histoire nous a démontré.
    Le but visé n'est pas seulement de déstabiliser la cible en lui imposant des sanctions, mais aussi, comme le disait Mme Portela, de laisser la voie ouverte à un engagement entre la communauté internationale ou ceux qui sont à l'origine des sanctions et les dirigeants ciblés de manière à pouvoir les persuader de changer leurs comportements en leur montrant les avantages qui pourraient en découler pour eux. Lorsque cela n'est pas possible, les sanctions ne deviennent efficaces que si elles permettent d'entraver l'accès illimité à des fonds, des armes ou d'autres ressources qui permettraient aux coupables d'être à l'abri des effets escomptés. Il est primordial de pouvoir compter sur un mécanisme permettant de déterminer dans quelle mesure il est possible de limiter l'accès à ces ressources à leur disposition pour remplacer les armes, les outils technologiques ou les adeptes perdus.
    Je dirais enfin que les sanctions n'atteignent pas l'objectif visé lorsqu'elles sont considérées comme le principal instrument d'intervention. Les sanctions sont efficaces lorsqu'elles font partie d'une trousse d'outils s'inscrivant dans un ensemble plus général d'interventions stratégiques. Si je veux qu'un dirigeant ciblé respecte davantage les droits de la personne, je vais lui imposer des sanctions pour l'empêcher d'avoir accès à des ressources et essayer de créer une situation propice aux négociations, mais je vais également avoir recours aux autres outils accessibles à notre pays ou à nos organisations internationales afin de trouver des moyens de protéger et de rendre moins vulnérables les populations qui ont été victimes des atrocités commises, et de mettre en place des mesures permettant d'influer sur les échanges internationaux avec les entités commerciales du pays en question qui sont ambivalentes ou qui ne semblent guère embarrassées par les actions du régime au pouvoir.
    Je crois que tout cela nous ramène à ce que disait au départ Mme Portela. Peut-on s'en prendre aux élites qui appuient les pratiques en usage sans avoir participé à leur conception ou à leur mise en oeuvre et qui souhaitent voir une amélioration du climat commercial et politique?
    Merci beaucoup, monsieur Lopez et madame Zahid.
    Nous en sommes rendus à la toute fin de notre séance.
    Il y aurait encore une couple de questions à tirer au clair.
    Monsieur Lopez, vous avez parlé avec M. Mendicino des groupes d'experts. Si un pays fait l'objet de sanctions sans toutefois être visé par celles du Conseil de sécurité, est-ce que les États-Unis s'emploient à déterminer, par le truchement d'un groupe d'experts, si ces sanctions ont été efficaces ou non?
    D'après ce que j'ai pu observer, le gouvernement américain mise grandement sur l'information fournie par les groupes d'experts. Le gouvernement a aussi des experts à son emploi pour contre-vérifier les faits et approfondir l'analyse.
    Plus récemment, les États-Unis ont souvent eu comme politique, dans les cas où des groupes d'experts mettent au jour un nouveau coupable ou des contrevenants déjà sanctionnés, d'exercer de fortes pressions auprès du Conseil de sécurité pour que ces gens soient inscrits sur la liste et fassent l'objet de sanctions. Lorsque cela n'est pas possible, l'OFAC effectue son propre travail de politique étrangère et a recours aux sanctions existantes des Nations unies — bien qu'elles soient peu rigoureuses — comme tremplin pour l'imposition par le système américain de sanctions financières ciblées et de mesures semblables.
    Il va de soi que cette façon de procéder a causé certains désaccords avec les Russes et les Chinois qui estiment que les sanctions établies par le Conseil de sécurité constituent la norme mondiale et un plafond que l'on ne devrait pas dépasser. Je crois toutefois que les États-Unis, à l'instar de nombreux pays occidentaux, estiment que cette norme globale peut servir de tremplin pour les mesures prises par les différentes nations, plutôt que de leur imposer un plafond.

  (1730)  

    Merci beaucoup.
    Nous aurions sans doute encore bien des questions à poser, et je vous prie de nous excuser pour les difficultés techniques que nous avons connues cet après-midi.
    Au nom des membres du Comité, je tiens à vous remercier vivement, madame Portela et monsieur Lopez, pour le temps que vous nous avez consacré et toute l'information que vous avez pu nous transmettre. Si jamais vous avez d'autres documents ou renseignements qui pourraient nous être utiles dans la poursuite de cette étude, je vous invite à les faire parvenir au Comité par l'entremise de notre greffière. Il est bien certain que toute l'aide que pourront nous apporter des experts de votre trempe nous facilitera les choses dans le cadre de cet examen.
    Merci beaucoup encore une fois.
    Chers collègues, nous nous reverrons mercredi. La séance est levée.
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