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FAAE Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 046 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 14 février 2017

[Enregistrement électronique]

  (0850)  

[Traduction]

    Chers collègues, je déclare la séance ouverte.
    Nous attendons Margaret Skok, et nous allons commencer avec notre première témoin, simplement parce que, comme vous le savez, nous avons une heure et 15 minutes, et nous voulons nous assurer d'utiliser tout le temps dont nous disposons. Je crois savoir que les cloches se feront entendre à 10 heures et qu'un vote aura lieu à 10 h 30. C'est ce qu'on m'a dit. Nous allons poursuivre jusqu'à 10 heures avec les deux témoins que nous avons, puis j'ai suggéré aux deux autres témoins de reporter — par l'intermédiaire de la greffière — leur vidéoconférence à une autre journée.
    Je crois savoir que la professeure DeBardeleben doit donner un cours et nous quitter vers 9 h 30.
    Je dois partir d'ici à 10 heures, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
    D'accord. C'est parfait. Merci.
    Mme DeBardeleben est professeure chancelière au département des sciences politiques et de l'Institute of European, Russian and Eurasian studies de l'Université Carleton. Elle est aussi titulaire de la Chaire d'études Jean Monnet sur la politique européenne de voisinage.
    Bienvenue devant le Comité. Je vous cède la parole pour votre déclaration préliminaire, et puis je n'ai aucun doute que Margaret Skok arrivera entre-temps.
    Joan, allez-y.
    Merci beaucoup, mesdames et messieurs, de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui de ces enjeux.
    Il y a de nombreux enjeux soulevés sur la liste de questions qu'on m'a fournie, et je ne pourrai pas tous les aborder, vu le temps qui m'est alloué, mais je serai heureuse de vous fournir de plus amples commentaires sur demande.
    Mon expertise tient au domaine des politiques russes et des relations entre l'Union européenne et la Russie ainsi qu'au contexte de la crise ukrainienne et du voisinage commun de l'UE et de la Russie. Je ne vais pas aborder les enjeux précis liés à l'Asie du centre aujourd'hui.
    Avant de réfléchir aux réponses canadiennes, il est important de comprendre les principales priorités et principaux intérêts de la Russie en Europe de l'Est. J'en cernerais trois.
    Premièrement, le principal enjeu est lié à des préoccupations liées au statut. Ici, la Russie veut obtenir une reconnaissance et un statut équivalent à ceux des autres intervenants qu'elle considère comme les points de référence, c'est-à-dire l'Union européenne et les États-Unis. C'est un thème récurrent de la politique étrangère russe sous la gouverne de M. Poutine. En ce qui concerne les relations avec les États-Unis, les chefs russes s'opposent à ce qu'ils appellent le système de pouvoir mondial « unipolaire » et à l'appropriation par les États-Unis du droit d'agir de façon unilatérale et de violer le droit international comme bon leur semble. Pour ce qui est de l'UE, la Russie s'est opposée à l'allégation de celle-ci visant à définir le sens des valeurs européennes et à s'autoproclamer source des normes réglementaires continentales.
    Deuxièmement, il y a les préoccupations liées à la sécurité, surtout les objections à l'expansion de l'OTAN dans son voisinage, ce à quoi s'ajoute le sentiment d'exclusion des sphères d'influence effectives relativement aux arrangements de sécurité européens.
    Troisièmement, il y a les objectifs géopolitiques régionaux russes, notamment le désir de la Russie de conserver une sphère d'influence spéciale dans l'espace post-soviétique qui échappe à l'UE. L'Ukraine est considérée par la Russie comme un élément très central de cette priorité. Selon moi, les actions russes en 2013 et en 2014 relativement à l'Ukraine et la Crimée reflètent l'échec de la Russie d'atteindre cet objectif par d'autres moyens.
    Malheureusement, ces priorités russes ont fait en sorte que la Russie est entrée en conflit avec l'UE et l'Occident de façon plus générale dans le cadre de la crise en Ukraine. Malgré tout, je crois que la Russie préférerait être intégrée dans le cadre de sécurité et le cadre économique européen si cela pouvait être réalisé de façon compatible avec ces trois objectifs.
    Vu l'incertitude et l'imprévisibilité des positions de l'administration Trump sur ces enjeux, je crois que le Canada devrait poursuivre une politique d'harmonisation et de coopération avec l'UE dans le cadre de ses politiques à l'égard de l'Europe de l'Est et de la Russie. Selon moi, les objectifs à long terme de l'UE sont conformes aux intérêts canadiens. Cela inclut un processus visant la reprise du dialogue avec la Russie sur des enjeux d'intérêt commun, comme l'Arctique, l'environnement et les préoccupations communes en matière de sécurité, tout en défendant avec force l'intégrité territoriale et le droit des pays qui sont situés entre l'UE et la Russie de continuer d'appliquer leurs propres préférences en matière de politique étrangère et en soutenant la gouvernance démocratique et la primauté du droit. Cependant, la façon dont on atteindra ces objectifs à long terme, que, selon moi, partagent le Canada et l'UE, sera complexe et difficile à prévoir.
    Je vous suggère trois mesures ou priorités intermédiaires. Premièrement, il faudrait s'efforcer d'accroître la stabilité démocratique et de renforcer les processus de réforme politique dans les pays de l'Europe de l'Est, y compris les États membres de l'UE qui sont voisins de la Russie — les pays baltes et la Pologne — et les États post-soviétiques qui ne font pas partie de l'UE, particulièrement l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, qui ont récemment signé un accord d'association et de libre-échange avec l'UE.
    À cette fin, je proposerais un engagement canadien plus marqué pour promouvoir la bonne gouvernance et les réformes associées à la primauté du droit, dans ces pays, en tandem avec l'UE. Il serait particulièrement utile pour des pays comme l'Ukraine et les pays baltes de compter sur des programmes de communication des pratiques exemplaires touchant les accommodements dans des sociétés multiethniques. Les groupes d'origine russe dans plusieurs de ces pays peuvent être vulnérables à la propagande russe. L'Ukraine, en particulier, a de la difficulté à trouver un modèle adéquat de transfert de certains pouvoirs aux autorités régionales dans le but de respecter les conditions de l'accord Minsk II, qui reste encore la meilleure solution pour régler l'impasse en Ukraine, si faible cet accord soit-il. Le Canada, en tant que fédération composée d'une société multiethnique qui connaît du succès, devrait s'efforcer d'offrir de l'assistance et des services pour régler ce problème. Vu les nombreux défis internes auxquels l'UE est confrontée en ce moment, ce serait une erreur de laisser la responsabilité de tels efforts d'assistance au développement principalement à l'UE.
    De plus, dans les pays baltes, le Canada devrait assortir son engagement à l'égard de l'OTAN en Lettonie d'un engagement diplomatique et civil de façon à évaluer si le pays peut fournir un soutien dans d'autres domaines afin d'aider à accroître la résilience de la société civile de la Lettonie face au pouvoir discret potentiel de la Russie.

  (0855)  

    Deuxièmement, le Canada devrait continuer à adopter une position forte en soutien à l'inviolabilité des frontières établies en Europe après la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide. Même si on peut difficilement entrevoir un scénario où l'annexion de la Crimée par la Russie pourrait être renversée, le fait d'insister sur la souveraineté territoriale des États européens doit rester un engagement clé du Canada en matière de sécurité à la lumière de notre système d'alliance et, fait important, en reconnaissance du fait que des violations de cet ordre pourraient ouvrir une boîte de Pandore marquée par l'instabilité, les conflits ethniques et les revendications territoriales.
    Troisièmement, le Canada doit être conscient des dangers de l'escalade actuelle des tensions avec la Russie. La Russie et l'Occident sont confrontés à un dilemme classique de sécurité. Un dilemme de sécurité est une dynamique où les efforts déployés par une partie pour assurer sa sécurité peuvent entraîner des réactions qui mettent davantage en péril sa sécurité. Par ailleurs, le fait de ne pas prendre ces mesures est perçu comme une menace pour la sécurité. C'est le dilemme. Le fait de ne pas sortir de cette logique peut créer un changement de paradigme où les menaces d'escalade, de militarisation accrue, de politiques de la corde raide, de confrontations des sphères d'influence, d'interaction économique et énergétique réduite et de sécurisation générale des relations peuvent avoir des effets à long terme.
    Il n'est ni clair ni facile de déterminer de quelle façon sortir d'une telle logique tout en rejetant le révisionnisme russe en ce qui a trait aux frontières de l'après-guerre et de l'après-Union soviétique. Dans un tel contexte, l'objectif minimaliste consiste à stabiliser la situation, c'est-à-dire à rétablir un équilibre géostratégique et lié à la sécurité et un certain niveau de prévisibilité. À partir de là, on pourra peut-être jeter les fondements des efforts pour rétablir le lien de confiance.
    À cette fin, je crois que le Canada doit soutenir le début d'un dialogue transeuropéen et transatlantique sur la sécurité, peut-être dans le contexte de l'OSCE, de façon à réfléchir de façon ouverte à la façon dont l'architecture de sécurité actuelle pourrait être révisée pour tenir compte à la fois des préoccupations de la Russie en matière de sécurité, qui croit que l'expansion de l'OTAN lui a été défavorable ainsi que des préoccupations liées à la sécurité et à la souveraineté des pays européens de petite et moyenne taille qui se sentent menacés par la Russie. Alors que les États-Unis sont, pour l'instant, imprévisibles, et, par conséquent, un partenaire peu fiable dans le cadre d'une telle initiative, je crois que le Canada devrait travailler avec l'UE et l'OSCE dans cette optique.
    Merci beaucoup. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup.
    Je vais passer à M. Kent, s'il vous plaît.
    Merci beaucoup.
    Merci d'être là aujourd'hui.
    Vous avez parlé du besoin d'encourager une meilleure gouvernance, et j'imagine, la démocratisation dans un certain nombre de pays post-soviétiques de l'Europe de l'Est. Parallèlement, qu'en est-il de l'encouragement? À part l'invasion de la Crimée et au Donbass, pourquoi ne pas encourager une meilleure gouvernance au sein de la Russie en tant que telle?
    M. Poutine ne semble pas accueillir de façon positive de tels encouragements. Je me demande ce que vous en pensez.
    Selon moi, il serait très difficile d'avoir une influence positive sur la situation nationale sur le territoire russe, et ce, pour plusieurs raisons.
    Pour commencer, l'expérience passée nous a appris que ce n'était pas une approche très efficace. En fait, dans certains cas, cela peut se retourner contre nous.
    Comme vous le savez probablement, le gouvernement russe est très méfiant de toute interférence occidentale. Il affirme qu'il y a eu une importante interférence en Ukraine et dans d'autres parties de sa région. Le pays a assurément pris des mesures défensives pour prévenir ce qu'il perçoit être une possible interférence intérieure, y compris la loi sur les agents étrangers, qui, essentiellement, empêche que des organisations, des ONG au sein de la Russie, qui mènent un quelconque type d'activités politiques, puissent recevoir du financement étranger. C'est une mesure très punitive pour ces ONG. Cela leur enlève essentiellement tout pouvoir. Cela montre la volonté du régime de Poutine d'agir de façon forte pour rejeter tout effort visant à promouvoir, pour ainsi dire, la démocratie à l'interne.
    De plus, puisque je crois que Poutine bénéficie vraiment d'un haut niveau de soutien de la population, les évaluations que vous pouvez lire dans divers sondages d'opinion publique ne sont peut-être pas exactes. D'après mon expérience et mes interactions en Russie, je crois que la population russe appuie en général M. Poutine en ce qui a trait à l'essentiel de son approche.
    Cela tient en partie au sentiment d'humiliation découlant de ce qui s'est produit dans les années 1990 en Russie. Il y a eu un déclin économique, qui a été perçu par de nombreuses personnes comme étant fondé sur un genre de système occidental. Du point de vue de nombreux Russes, il s'agissait d'un important échec de la politique russe, soit d'accepter des conseils occidentaux dans un tel contexte, vu les conséquences. Il y aurait une forte acceptation populaire de toute interprétation formulée par le gouvernement russe relativement à des tentatives de l'Occident d'influer sur des arrangements nationaux au sein de la Russie.
    L'autre problème, c'est que lorsqu'on choisit cette voie, on ne sait pas quel sera le résultat. Ce peut être très imprévisible. On peut se retrouver avec un gouvernement nationaliste encore plus fort en place, un gouvernement encore moins prévisible. Le résultat pourrait facilement être pire que ce qu'il y a là maintenant. Je ne vous recommande pas d'adopter une telle approche.

  (0900)  

    En ce qui concerne la visite de janvier du Comité dans un certain nombre de pays de l'Europe de l'Est, particulièrement en Ukraine, en Lettonie et en Pologne, nous avons entendu une préoccupation — et j'espère que je présente fidèlement les choses — émanant d'un certain nombre de sources selon lesquelles, si l'Occident cédait dans le dossier de la Crimée, il pourrait y avoir certaines avancées en vue de la normalisation de la situation et un retrait russe de l'est de l'Ukraine.
    Particulièrement en Lettonie, cependant, on a entendu des personnes demander ce qui arrivera ensuite si on permettait une telle chose. Y aurait-il un empiètement en Lettonie, comme celui qu'il y a eu dans l'est de l'Ukraine? Ou, de façon générale, dans les pays baltes et en Pologne?
    Ils constatent la fatigue, si je peux m'exprimer ainsi, dans certaines parties de l'Europe en ce qui a trait à la position touchant la Crimée et l'est de l'Ukraine, ce qui fait que nous en parlons maintenant comme une monnaie d'échange.
    Oui. Je crois que le genre de discours sur la monnaie d'échange peut être très dangereux. Il y a assurément un risque — et vu l'incertitude à Washington actuellement, je crois qu'il faut prendre cette possibilité encore plus au sérieux — qu'il y ait ce qu'on peut appeler une entente entre « grandes puissances », un accord entre certains des pays les plus puissants aux dépens de certains des pays moins forts qui se trouvent entre l'UE et la Russie. Selon moi, emprunter un tel chemin serait très risqué, parce qu'on peut ainsi encourager certaines actions ou malentendus de la part des Russes quant à la position qu'adopterait l'Occident au moment de défendre certaines parties de l'alliance.
    Pour ce qui est de la Crimée et de l'est de l'Ukraine, je crois qu'il faut faire une distinction. Comme je l'ai dit, de façon réaliste, on peut difficilement prévoir un scénario dans lequel la Crimée serait remise à l'Ukraine, et ce, non seulement en raison de la détermination des Russes à la conserver, mais aussi parce que, probablement, la majeure partie de la population... je ne sais pas, mais c'est au moins possible que la majeure partie de la population de la Crimée préfère la situation actuelle.
    Cela ne signifie pas que le référendum qu'il y a eu là-bas était légitime. Je ne crois pas que c'était un référendum légitime, mais je peux facilement voir de quelle façon cette situation pourrait être renversée.
    Cela ne signifie pas que, d'un point de vue rhétorique, on accepte la situation. Le principe sous-jacent à la réalisation reste contestable, particulièrement à la lumière des mémorandums de Budapest au début des années 1990, dans le cadre desquels l'Ukraine a obtenu une garantie concernant sa souveraineté territoriale de la part de la Russie, des pays occidentaux, en échange de l'abandon de ses armes nucléaires. Je crois que ce serait un très mauvais précédent de dire que cela a été fait de façon légitime. Cela signifie, cependant, que même si, d'un point de vue rhétorique, il faut continuer à s'opposer à ce qui est arrivé, il faut aussi être un peu réaliste quant au résultat prévisible de cette objection rhétorique.
    La situation dans l'est de l'Ukraine est très différente. Il y a vraiment là une situation non réglée. Selon moi, la situation semble de plus en plus susceptible de devenir ce qu'on pourrait appeler un conflit gelé, un conflit non résolu sans voie de sortie claire, je ne crois pas que nous devrions accepter ce résultat, du moins, pas encore. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut au moins faire quelques autres tentatives pour essayer de sortir de l'impasse.
    Il y a certaines choses très claires en jeu là-bas qui sont liées à... j'imagine que tout dépend, dans une certaine mesure, de la façon dont on interprète les motifs russes. Si vous interprétez les motifs russes comme visant à déstabiliser l'Ukraine et, au bout du compte, à forcer l'Ukraine à revenir dans son orbite, alors il semblerait n'y avoir à peu près aucune chance d'en venir à une résolution. Je ne suis pas sûre d'accepter ce genre de logique. Je ne crois pas que la Russie veut nécessairement d'un voisin instable. Il s'agirait d'un risque constant pour la Russie du point de vue de la sécurité.
    Selon moi, le résultat que nous devrions tenter d'atteindre de façon générale — et puis, à partir de là, nous pourrons peut-être réfléchir à la façon de régler le problème dans l'est de l'Ukraine —, c'est une acceptation de la part de la Russie du fait que l'Ukraine pourrait avoir une relation à la fois avec l'Occident et avec elle, peut-être en échange de certains autres genres de... Je n'aime pas utiliser le mot « concessions », mais en dissipant certaines autres préoccupations, je crois que c'est là un résultat souhaitable.
    Comme vous le savez peut-être, actuellement, depuis l'entrée en vigueur de l'accord sur la zone de libre-échange approfondi et complet entre l'UE et l'Ukraine au début de 2016, la Russie a unilatéralement exclu l'Ukraine de l'accord de libre-échange entre les pays de la CEI. Cette exclusion a mené en partie — ça et la guerre — à une réduction majeure des échanges commerciaux entre l'Ukraine et la Russie. C'est une situation néfaste pour les deux partenaires. Je ne crois pas que cela serve nos intérêts non plus.
    De façon générale, ce que nous devrions tenter de promouvoir dans ce contexte, c'est le rétablissement de la relation entre l'Ukraine et la Russie pour ce qui est des échanges commerciaux et ces genres d'interactions très pratiques et pragmatiques. En même temps, l'Ukraine conserverait son droit de choisir ses relations avec l'Union européenne et ses partenaires occidentaux.
    Je ne suis pas convaincue que cela va à l'encontre des intérêts russes. Puisque nous en sommes rendus à ce niveau élevé de méfiance, je crois qu'il est devenu difficile d'y arriver, mais nous devrions continuer à essayer de le faire. Il faudrait en partie essayer de démêler tous les problèmes épineux liés à l'accord Minsk II, que, à un moment, les gens semblent avoir abandonné, et le moment suivant, ils essaient de ménager la chèvre et le chou et disent que c'est la seule solution possible. Selon moi, il s'agit d'un genre de situation qui laisse perplexe.
    Il y a deux enjeux en cause qu'il faut régler, si l'on admet la prémisse qu'il y a une solution à long terme sur laquelle on peut travailler. Premièrement, il faut assurer une dévolution des pouvoirs au sein de l'Ukraine, ce qui est bloqué en Ukraine en ce moment; et deuxièmement, bien sûr, la Russie doit redonner le contrôle des frontières entre elle et l'Ukraine à l'Ukraine. Il y a une séquence à respecter ici.
    Si possible, je crois que nous devrions travailler sur le premier enjeu tout d'abord. Nous devrions faire ce que nous pouvons pour aider à trouver des solutions au premier problème, celui de la dévolution de certains pouvoirs de façon à ne pas compromettre la souveraineté de l'Ukraine.

  (0905)  

    Merci, monsieur Kent.
    Nous allons passer à M. McKay, s'il vous plaît.
    Garry Kasparov a comparu devant le Comité il y a quelques mois. Je ne sais pas s'il l'a dit publiquement, mais il m'a bien dit en privé que l'approche de l'Occident et des autres États, c'est un peu comme si quelqu'un jouait aux échecs pendant que Poutine joue au poker. Tant que nous ne comprendrons pas qu'il joue au poker, nous n'allons probablement pas comprendre de quelle façon il aborde la situation.
    C'est tout à fait logique dans la mesure où la Russie n'est rien d'autre qu'une kleptocratie organisée avec, en son centre, Poutine, qui est entouré d'oligarques. D'où votre commentaire selon lequel toutes les ONG perdent leur financement et, par conséquent, ne permettent pas d'offrir une autre voix; c'est en effet le cas: quiconque tente d'offrir une autre voix se retrouve soit à l'hôpital, soit dans une situation encore pire.
    Vu qu'il s'agit, si je peux le dire ainsi, d'une organisation criminelle, comment peut-on s'attendre à ce que les propositions de dialogue et d'arrangements de sécurité, par exemple, fonctionnent, sauf si l'Occident réagit à ce que M. Poutine fait de façon très forte?
    Je crois que votre description de la Russie est un peu trop extrême. Je ne caractériserais pas ce pays exactement comme vous le faites. Il y a, bien sûr, beaucoup de corruption, et il y a une certaine composante de criminalité dans certains aspects de la société russe, mais décrire l'ensemble du système comme vous le faites est une sursimplification.
    Si nous regardons de façon générale de quelle façon la politique étrangère russe a évolué depuis l'effondrement de l'Union soviétique, particulièrement depuis l'agrandissement de l'UE, nous constatons qu'il y a constamment une expression de certains types de préoccupations formulées par le leadership russe, tant sous M. Poutine que sous M. Medvedev, que plusieurs voient comme un leader légèrement plus modéré. Ce sont ces préoccupations qui sont reflétées dans les trois points que j'ai abordés.
    Si on regarde les discours du passé, le discours de Munich de 2007 de Poutine est souvent cité comme une expression très claire de cette situation, et cela se poursuit en tant que thème qui reflète le genre de logique et de rationalité qui sous-tend la façon dont ces enjeux sont perçus dans les milieux politiques russes. Je crois qu'il faut prendre ces préoccupations au sérieux. Cela ne signifie pas que j'excuse les abus de pouvoir qui se produisent sans aucun doute en Russie, ainsi que la suppression de certains éléments de la société civile, particulièrement ceux qui critiquent la structure de base du pouvoir. Cependant, si nous voulons éviter les autres risques dont j'ai parlé, soit les risques d'escalade et d'adoption d'un paradigme encore pire que celui de la guerre froide, parce qu'il est plus imprévisible et qu'il ne s'appuie pas sur les mêmes structures d'équilibre du pouvoir que nous avions alors, nous allons devoir...

  (0910)  

    La lacune de votre analyse n'est-elle pas que, pour que la Russie, pour ainsi dire, stabilise ses frontières, elle doit prendre de l'expansion? C'est un peu la vision qu'avait Catherine la Grande de la Russie, qui devait en fait continuellement empiéter sur le territoire de ses voisins afin de stabiliser, si vous voulez, le coeur de la Russie. Il y a le coeur de la Russie, puis il y a la Russie périphérique. Tant qu'on repousse les frontières de la Russie périphérique, déstabilisant le reste de cette région du globe, c'est la seule logique qui est sensée pour Poutine ou quiconque pourrait lui succéder.
    Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une stratégie impérialiste en ce sens. Je crois que la Russie veut une sphère d'influence, une sphère qui l'entoure et où elle a un certain niveau important d'influence. Ce n'est pas unique à la Russie. Historiquement, dans d'autres grands pays, ce désir était assez commun, pour des raisons de sécurité. Dans le cas de la Russie, ce désir est aussi accentué par le sentiment de perte, disons, de son empire, la perte de son statut de superpuissance, et il lui faut un certain temps pour s'y adapter. C'est vrai de nombreux empires, en fait. S'adapter à la perte d'un empire prend un certain temps. Le désir d'avoir une influence sur nos voisins n'est pas la même chose, selon moi, qu'un simple désir impérialiste et expansionniste.
    C'est le désir d'avoir une influence. Cela ne mène-t-il pas inévitablement à la déstabilisation? Les pays baltes sont angoissés à l'idée d'être les prochains, et c'est tout à fait logique vu leur histoire, vu l'attitude du Kremlin et le fait que, inévitablement, l'expansion de la sphère d'influence russe passe par eux.
    Nous avons une alliance avec les pays baltes et avec la Pologne. Je crois que nous devrions assurément soutenir cette alliance et maintenir les garanties en matière de sécurité qui sont accordées, et c'est ce qui est fait. Je soutiens totalement cette position.
    Selon moi, il est peu susceptible que ces pays essuient une attaque directe. Je crois qu'un plus grand danger serait celui de la division à l'intérieur des pays. C'est la raison pour laquelle j'ai souligné, dans ma première recommandation intermédiaire, qu'il est important pour nous de porter attention non seulement à l'envoi d'une mission de soutien militaire en Lettonie, mais aussi, si ces pays le désirent, de participer, ensemble, à des discussions sur la façon dont les minorités peuvent être mieux intégrées. Parce que, en fait, c'est la clé de la stabilisation interne, l'intégration de la population et le renforcement de la loyauté au sein de la population, y compris les minorités russes.
    Je crois que le point que vous avez soulevé au sujet de la guerre hybride est très juste. Le principal groupe ethnique dans la partie est de ces pays baltes sont les Russes.
    Avant que mon chef intrépide me demande d'arrêter...
    Très rapidement, s'il vous plaît.
    Vous n'avez rien dit au sujet du rôle de l'Église orthodoxe russe par rapport à l'Église orthodoxe ukrainienne. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

  (0915)  

    Je n'ai rien à dire de précis à ce sujet. Ce n'est pas une question sur laquelle je me suis vraiment penchée, alors plutôt que de formuler un commentaire fondé sur une impression, je ne répondrai pas à votre question.
    Merci.
    Merci, monsieur McKay.

[Français]

    Madame Laverdière, vous avez maintenant la parole.
    Monsieur le président, dans un premier temps, je ne peux pas m'empêcher de souligner l'arrivée d'une deuxième femme au sein du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
    Je vous souhaite la bienvenue, madame Mendès.
    Je suis très heureuse de vous voir parmi nous. Petit à petit, nous allons y arriver.
     D'autre part, je vous remercie, madame DeBardeleben, de nous avoir livré cette présentation qui était vraiment exceptionnelle. J'ai été fascinée par ce que vous aviez à nous dire. C'était extrêmement intéressant.
    Je partage avec vous deux points de vue particuliers. Premièrement, en augmentant notre présence militaire, nous risquons de n'obtenir qu'une escalade sans fin qui ne résoudra jamais le problème. Deuxièmement, il est nécessaire de travailler de concert avec nos partenaires de l'Union européenne. En ce moment, nous sommes peut-être un peu trop obnubilés par ce qui se passe au Sud de la frontière et nous n'accordons peut-être pas suffisamment d'attention à des partenaires majeurs comme l'Union européenne. Cette situation me préoccupe.
    Vous avez mentionné qu'il serait intéressant de travailler avec l'Union européenne. Notre nouvel ambassadeur pourrait peut-être oublier un peu l'Allemagne et se consacrer à temps plein là-dessus. Il s'agirait de travailler avec l'Union européenne et l'OSCE pour revoir la structure de sécurité.
    Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

[Traduction]

    C'est vraiment là un problème bien épineux, toute la question de la sécurité. D'une certaine façon, il est probablement audacieux ne serait-ce que de soulever la possibilité, parce que selon moi, il faut éviter les écueils lorsqu'on travaille avec la Russie pour essayer de rétablir le lien de confiance sans nécessairement gérer les problèmes vraiment épineux. L'enjeu central lorsqu'on réfléchit à la façon d'assurer la sécurité, tant pour la Russie que pour les pays voisins, c'est la dimension transatlantique et l'OTAN.
    Rappelons-nous que M. Medvedev avait proposé l'idée d'avoir un genre de discussion au sujet d'une nouvelle architecture de sécurité en Europe en 2008. C'est quelque chose qui a été un peu mis de côté par les Européens et les Nord-Américains parce que le processus était considéré comme un possible effort pour séparer l'Europe de l'Amérique du Nord. Je crois que ce serait risqué.
    Et bien sûr, nous avons maintenant un problème supplémentaire, et il y a une administration à Washington dont les intentions ne sont pas tout à fait claires dans ce dossier. Pour l'instant, ce serait un peu comme ouvrir une boîte de Pandore explosive, et il faut le dire. Cependant, j'imagine que si Washington se retire de son rôle important en matière de sécurité en Europe, cela exercera une pression accrue sur l'UE et l'Europe, qui devra combler l'écart. Je ne crois pas qu'on soit confronté au scénario le plus radical où l'engagement de l'OTAN serait annulé. Je ne crois pas que c'est le son de cloche qu'on entendra de Washington actuellement. Il semble y avoir au moins une manifestation de soutien pour les garanties en matière de sécurité fournies par l'OTAN, mais, sans aller jusque-là, il pourrait y avoir une certaine ambiguïté. Cela pourrait pousser l'Europe à adopter une position plus forte en ce qui a trait à son propre engagement de sécurité à l'égard de ses pays membres et aussi des membres de l'OTAN.
    Cela pourrait permettre à l'UE de jouer un rôle plus important. Je ne sais pas ce qu'il en est de l'UE, mais les États-membres, l'Allemagne en particulier, estiment que l'OSCE pourrait jouer un rôle plus central. Selon moi, ce pourrait être la meilleure tribune pour ce genre de discussions. Ce n'est pas une organisation à laquelle la Russie fait beaucoup confiance, mais, assurément, le niveau de confiance est meilleur qu'à l'égard de l'OTAN ou des autres solutions de rechange. Il pourrait s'agir d'un cadre au sein duquel il serait possible d'essayer de se réunir pour commencer à définir les principales préoccupations en matière de sécurité des diverses parties. Nous possédons une organisation de sécurité atlantique. Il n'existe pas de groupe européen responsable de la sécurité qui soit efficace actuellement, et c'est une des causes profondes du problème actuel.
    L'expansion de l'OTAN près de la frontière russe, selon moi, est un des principaux irritants qui ont mené à la crise actuelle. Je dirais que c'est là le facteur le plus important, ainsi que la crainte que l'Ukraine et la Géorgie puissent un jour être admises au sein de l'OTAN. Je crois que cela est peu probable. Je ne prévois pas que cela se produira, mais je ne crois pas que les Russes voient les choses du même oeil. Je crois qu'ils ont encore une crainte raisonnable — selon eux — que ce pourrait être le résultat. Ce serait une intrusion dans ce qu'ils considéreraient comme leur très proche voisinage. Ce serait, selon moi, inacceptable.
    Cette discussion est très importante, et j'estime que l'OSCE est la meilleure tribune où tenir cette conversation.

  (0920)  

[Français]

     Bien entendu, je blaguais quand je disais que le nouvel ambassadeur devrait se concentrer sur l'Union européenne étant donné que l'Allemagne est tout aussi importante.
    Nous n'avons pas beaucoup discuté des enjeux énergétiques. Selon vous, quelle incidence ont-ils sur la situation?

[Traduction]

    L'interdépendance énergétique — comme je l'appellerais — entre l'Union européenne et la Russie a été, dans l'ensemble, un facteur de stabilisation. La logique sous-jacente de l'Union européenne dans le cadre de sa relation avec la Russie est restée assez proche de la logique sous-jacente au processus d'intégration européen, soit que l'interdépendance économique est plus susceptible de mener à la paix et la stabilité. Jusqu'à la crise en Ukraine de 2013, malgré la crise en Ukraine qu'il y a eu au sujet de l'énergie durant la première décennie du siècle, c'est quelque chose qu'on considérait comme un facteur de stabilisation, parce que ce n'était pas uniquement l'Europe qui était dépendante de la Russie; la Russie était aussi dépendante de l'Europe en raison de l'accès à ses marchés. C'était une interdépendance mutuelle.
    Dans le cadre de la crise, nous avons pu voir que c'est probablement l'un des domaines où les deux parties ont le plus réussi à faire des percées et à travailler de la façon la plus constructive ensemble, aussi bien pour régler les problèmes énergétiques de l'Ukraine qu'au sujet du cadre général lié aux enjeux controversés comme le troisième « paquet énergie », où la Russie, en fait, a reculé.
    Selon moi, le risque de réduire... Il faut trouver un genre d'équilibre, ici, parce que, d'un côté, on ne veut pas être trop dépendant, et l'UE ne veut pas se retrouver dans une telle situation, mais, de l'autre côté, si on ramène cette interaction économique à un niveau trop bas, on réduit les incitatifs à travailler ensemble de façon civilisée.
    Selon moi, sur cet enjeu précis, les choses ne vont pas trop mal pour l'instant.
    Merci beaucoup, madame Laverdière.
    Je tiens à prendre une minute pour souligner l'arrivée de Margaret Skok.
    Toutes mes excuses de vous avoir lancée sur une fausse piste, peu importe l'endroit où vous vous êtes rendue. Je crois que vous étiez dans l'édifice du Centre.
    J'ai été un peu partout, mais j'ai souhaité « joyeuse Saint-Valentin » à tout le monde. Merci.
    Chers collègues, je crois que je vais laisser Mme Skok nous présenter son exposé. Elle est associée principale du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Vous pouvez voir qu'elle a aussi été ambassadrice du Canada en République du Kazakhstan et qu'elle a aussi servi à l'ambassade du Canada à Moscou, au début des années 1990.
    Margaret, j'aimerais entendre votre exposé, puis nous reprendrons nos questions, avec vous deux, pendant le temps qu'il nous reste. Je vous cède la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Ce n'est pas une région que beaucoup de personnes connaissent de façon approfondie. J'ai bien aimé les derniers commentaires au sujet de l'interconnectivité. Une partie de l'ancienne Union soviétique est absolument connectée à l'Europe et elle l'est tout autant à l'Est.
    J'étais justement à Washington la semaine dernière et j'ai rencontré les quatre autres ambassadeurs pour l'Asie centrale et ils m'ont tous rappelé que, même si, en 1991, après la chute de l'ancienne Union soviétique, la majeure partie des échanges commerciaux se faisaient avec la Russie, actuellement, la majeure partie des échanges commerciaux dans la plupart de ces pays sont faits avec l'Europe. Il reste deux ou trois pays, comme le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, dont les échanges commerciaux se font encore principalement avec la Russie, mais ils ont créé de nouvelles relations.
    Tout comme nous maintenons notre relation avec les États-Unis, ils maintiennent leur relation avec leurs partenaires traditionnels, ce que, dans certains cercles, on appelle des sphères d'influence: la Russie et la Chine. Cependant, ils ont créé de nouvelles relations bilatérales, multilatérales et internationales. Ce sont ces organisations et relations internationales qui feront la différence lorsque viendra le temps de les aiguillonner — et c'est le verbe qu'a vraiment utilisé un ambassadeur — pour qu'ils aillent de l'avant afin de moderniser leur économie, leur structure de gouvernance et les acteurs avec qui ils parlent et la façon dont ils le font.
    L'OSCE et l'OTAN sont essentielles — et je suis désolée d'avoir manqué la première partie de l'exposé de Joan — et l'OSCE est encore respectée en Russie. Ces organisations sont aussi nos yeux et oreilles canadiens sur le terrain dans la région. Il y a beaucoup de Canadiens qui oeuvrent au sein de l'OTAN et de l'OSCE.
    Je tiens aussi à souligner une personne qui a beaucoup fait les manchettes récemment, c'est-à-dire Son Altesse, l'Aga Khan. Il exploite une organisation publique-privée au Kazakhstan, au Kirghizistan, au Tadjikistan et en Afghanistan. Il s'agit d'un investisseur essentiel et majoritaire dans certains de ces pays, particulièrement au Kirghizistan et au Tadjikistan. Il met l'accent sur le microfinancement, l'éducation et la formation des jeunes afin qu'ils puissent trouver un emploi.
    Je ne suis même pas mon mémoire, mais vous l'avez sous la main en cas de besoin.
    Ce qui est vraiment important, c'est qu'il y a environ 67 millions de personnes en Asie centrale. Contrairement à l'Occident, où la population est plus âgée, 40 % des gens ont 30 ans ou moins. Contrairement à certains d'entre vous, j'ai compris en parlant à l'ambassadeur kazakh — puisque je me suis récemment rendue au Kazakhstan, à Astana — qu'Astana n'est pas du tout comme l'Ouzbékistan, le Kirgyistan, le Tadjikistan, l'Afghanistan ou le Turkménistan. La pauvreté n'est pas la même que celle qu'on constate en Afrique, par exemple, ou dans les pays du tiers monde traditionnel. La pauvreté et la croissance économique sont inégales. Les anciens problèmes qui persistent concernent la corruption, la gouvernance et tout simplement le fait de ne pas savoir comment aller de l'avant.
    Après 1991 — et j'étais à Moscou durant le coup d'État — il y avait un général soviétique qui a dit: « nous avons perdu la flotte baltique, nous ne perdrons jamais la flotte de la Mer Noire ». En 1992, ils savaient ce que seraient leurs tendances impériales et historiques — comme ils l'appelleraient — en Asie du Centre et en ancienne Union soviétique.

  (0925)  

    Il y a 67 millions de personnes en Asie du Centre — et je ne compte pas l'Afghanistan, parce que c'est un autre enjeu — donc, comme je l'ai dit, 40 % sont des jeunes. Avant, s'ils ne se trouvaient pas d'emploi, en tant que manoeuvres migrants, les gens se rendaient surtout en Russie et, ensuite, au Kazakhstan. Lorsque l'économie et les prix des marchandises ont chuté, ces jeunes gens et ces gens d'âge moyen étaient arrêtés à la frontière. Le travail migrant, le transport de drogue et d'armes illicites était très lucratif, mais ce qui l'était encore plus — lorsqu'ils ont été pris à la frontière de la Russie sans pouvoir traverser — c'était la radicalisation.
    Il ne faut pas sous-estimer la radicalisation en Asie du Centre. À tout moment, il y a sept millions de personnes qui se déplacent en Asie du Centre. Ce sont des pays principalement musulmans. Les gouvernements là-bas sont séculiers et totalement opposés au terrorisme, mais, depuis l'effondrement de l'ancienne Union soviétique en 1991, ils se cherchent un système de valeurs. L'Union soviétique fournissait un tel système de valeurs. Après 1991, la seule valeur à l'horizon, c'était le capitalisme, et la seule direction fournie par l'Occident, c'était la démocratie.
    Ils étaient des commerçants de la Route de la soie, bien avant les drogues, il y a des siècles. C'était la porcelaine, puis les céréales, puis les drogues et ensuite les stupéfiants, puis la traite illicite de personnes et c'est maintenant le terrorisme. Mes collègues de la défense m'ont rappelé qu'il n'y a rien de nouveau au sujet des idéologies et qu'il en va de même du terrorisme. C'est quelque chose qui existe depuis des siècles. Ce qui est nouveau, c'est la technologie.
    L'autre problème, c'est que ces travailleurs migrants, ces jeunes, en fait, qui sont des combattants radicalisés, retournent chez eux. Ce sont des frères et des pères, ce sont des soeurs. Ils reviennent dans leur village, et les gens les accueillent comme étant des leurs, mais personne ne sait qui a été radicalisé.
    J'ai obtenu des rapports d'activité des insurgés, mais il se passe toujours plus de choses que ce qu'on connaît. Par exemple, il y a eu une situation la semaine dernière qui n'a pas fait les manchettes: 17 personnes ont été arrêtées au Kazakhstan — et je cite l'ambassadeur — « de façon préventive ». Nous n'entendrons plus parler de ces 17 personnes. Ces gouvernements veulent la stabilité. Ils savent que leurs relations avec leurs nouveaux partenaires et que leur croissance économique sont cruciales à leur souveraineté. Ils ne sont pas intéressés par le terrorisme. C'est quelque chose qui les entraînera dans une direction qui ne les intéresse absolument pas.
    Chaque pays en Asie du Centre est un peu différent. Ils ont des liens de longue date avec la Russie et l'Europe. En 1923, lorsque l'ancienne Union soviétique a fermé ses frontières — c'est inimaginable de penser qu'on peut fermer un aussi gros pays — l'Asie centrale a été doublement exclue. Il y avait des armes nucléaires qui étaient en cours d'élaboration. C'est là où il y a encore — et j'en ai vu cinq — des laboratoires d'armes biologiques et chimiques, et ces endroits ne sont pas très sécurisés. Ils travaillent sur des tables en bois, les portes ne se verrouillent pas, et les vitres grillagées laissent passer l'air. Et tout ce qui est transporté par voie aérienne est transmis dans la région. Le Tadjikistan et le sud du Kirghizistan sont probablement dans le pire état, en ce qui concerne les maladies et les transferts d'armes chimiques et biologiques. Ce n'est pas très coûteux; donnez 100 $ à quelqu'un, et il ira vous le chercher dans un laboratoire.
    En raison des tests et des activités de développement menés par l'Union soviétique — Moscou, maintenant —, personne n'avait même entendu parler de ces pays. Lorsque nous parlons de Samarcande, beaucoup de personnes pensent que c'est en Inde ou au Pakistan. Je compare souvent l'ancienne Route de la soie à la Compagnie de la Baie d'Hudson, au Canada. Ce sont des commerçants depuis très longtemps.

  (0930)  

    De plus, leurs 77 années dans l'ancienne Union soviétique les ont entraînés à travailler très dur, à occuper deux, trois, voire quatre emplois. Ce sont des gens qui possèdent une énorme éthique de travail et qui ont dû survivre à un grand nombre de différends, de guerres et de conflits divers.
    De surcroît, l'Asie centrale est l'endroit où étaient situés les camps de travail, pas les camps de concentration. C'est une autre raison pour laquelle l'Asie centrale était fermée. On comprend pourquoi il s'agit d'une région aussi tolérante, inclusive, multiethnique, multilingue et multiconfessionnelle. Dans ces camps de travail, il y avait les Russes — qui ne faisaient pas leur part —, les Ukrainiens, les Néerlandais et les Allemands de la Volga, les Polonais, les Grecs et les Coréens.
    Dans ces pays, il y a des musulmans, des bouddhistes, des chrétiens, des juifs et des hindous. Tout le monde y est. Les gens ont survécu. Ils se sont mariés entre eux. La religion ne confine pas au fanatisme pour eux, bien entendu, en raison de leur période d'appartenance à l'Union soviétique, mais l'islamisme, dans sa — je vais utiliser ce terme, et je m'en excuse — perversion, les a effrayés. Ces gouvernements sont intéressés par la stabilité. Ils savent que leur souveraineté, en tant qu'États indépendants de la Russie et de la Chine, et leur stabilité économique dépendent de la gouvernance et de leurs mesures antiterroristes. Ils cherchent des modèles.
    L'Union européenne fait beaucoup de choses en Asie centrale, dans les secteurs de la production, comme la transformation alimentaire — en plus de la machinerie qu'apporte le Canada —, l'activité minière ou la coopération relative à la non-prolifération des armes nucléaires.
    Ces pays n'ont maintenant pas d'armes. Entre la Russie et les États-Unis, il y a environ 1 800 armes nucléaires. Certaines des armes ont été cachées dans — je ne veux pas appeler ça l'Europe de l'Est, parce que dans l'ancienne nomenclature américaine, on l'appelait le bloc de l'Est — des pays qui font maintenant partie de l'Union européenne. Peu après l'effondrement de 1991, des armes ont été cachées dans certains des pays pauvres du bloc de l'Est.
    Je crois ce qu'a dit ma collègue. L'interconnectivité, l'interdépendance économique et le travail des partenariats multilatéraux, internationaux et bilatéraux sont la clé, et la radicalisation ne peut pas être sous-estimée.

  (0935)  

    Merci, madame Skok.
    Nous allons passer directement aux questions. Je crois savoir que c'est le tour de M. Sidhu.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux d'avoir partagé vos connaissances.
    Je vais revenir sur l'Union européenne.
    Madame, vous avez mentionné qu'il y a beaucoup d'incertitude dans cette région, surtout après le vote du Brexit, y compris des inégalités entre les États et un rétablissement économique lent. Selon vous, dans quelle mesure ces pressions ont-elles entraîné le déclin de l'ouverture démographique, un retour au nationalisme et la montée de partis extrémistes dans cette partie du monde? Quel est votre avis à ce sujet?
    Ce ne sont que certains des défis auxquels fait face l'Union européenne relativement à la montée du populisme. Bien entendu, il a été déclenché par divers facteurs, notamment la crise économique de 2008 et les conséquences de cette crise que, bien sûr, l'Europe a plus ou moins importée de l'Amérique du Nord, à mon avis; la crise de la dette souveraine, qui était liée à certaines lacunes — peut-être — au chapitre de la construction même de l'euro; et la crise des réfugiés.
    Tous ces éléments ont contribué à la montée du populisme. Je pense qu'il s'agit d'un risque. C'est un risque à l'échelle de la planète. Nous le constatons. Nous observons la montée du populisme dans le monde entier ainsi qu'une certaine réaction contre la mondialisation. Elle provoque une réaction contre les programmes commerciaux, contre les immigrants, contre tous ces genres de conséquences de l'intrusion étrangère dans l'espace national.
    Nous ne savons pas ce qui va se passer après les élections en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, mais les dirigeants actuels de ces pays sont engagés à l'égard d'une vision différente, tout comme les élites à l'échelon européen.
    Selon moi, nous devrions continuer à tenter de renforcer les partenariats avec ces pays pendant que nous faisons face à la crise des réfugiés. Nous essayons de faire cela, et, au moyen de l'AECG, nous tentons de promouvoir la croissance économique et de générer un modèle positif de ce qu'on pourrait appeler la mondialisation, ou au moins le commerce, les relations commerciales, mais il ne fait aucun doute que ces genres d'enjeux réduisent la capacité de l'Union européenne de faire face à certains défis externes.
    Je veux dire que la tension a été détournée du problème de l'Ukraine dans une certaine mesure parce que d'autres enjeux — la crise des réfugiés, en particulier — ont pris la première place. C'est en partie pourquoi j'ai affirmé que, selon moi, nous ne devrions pas nous retirer de l'Europe de l'Est... ce que nous appelons ici l'Europe de l'Est, soit les pays situés entre l'Union européenne et la Russie, en ce qui a trait au programme d'aide au développement du Canada.
    Je sais que d'aucuns estiment que cette région est maintenant un peu la responsabilité de l'Union européenne. Il y avait un inconvénient et l'idée que certains de ces pays avaient... Je pense que le terme était « reçu leur diplôme » également. Je me souviens que c'était le cas il y a quelques années ou quelques décennies. Selon moi, le moment est venu de nous mobiliser de nouveau non seulement en ce qui a trait aux engagements de l'OTAN, mais aussi du point de vue de l'échange de nos pratiques exemplaires — grâce auxquelles nous avons connu beaucoup de succès, en particulier sur le plan de notre multiculturalisme — et de ne pas nous contenter de choisir un ou deux pays.
    Mais cette région est la clé de la stabilité. Nous devrions prendre un engagement afin d'appuyer ce que l'Union européenne tente de faire, car elle est actuellement sous haute tension et doit relever un très grand nombre de défis différents. Nous pouvons apporter une contribution positive, comme nous l'avons fait dans le cas de l'enveloppe pour les réfugiés.

  (0940)  

    Considérez-vous cela comme une menace pour l'Union européenne même?
    Oui, il y a une menace potentielle. C'est un peu ironique parce que ce qu'on disait il y a peut-être 10 ans, c'était que le public européen était passif et qu'il ne s'intéressait pas à l'Union européenne. Il y avait un genre de consensus permissif, selon lequel ils se contentaient simplement de ce que disaient les élites.
    Maintenant, nous constatons que le public a été activé, et pas toujours dans la direction qu'espéraient les élites. Autrement dit, il y a de fortes tendances eurosceptiques dans certains pays. Ce pourrait être une menace. Même les documents de l'Union européenne mentionnent la situation de crise existentielle... Et je ne sais pas s'il s'agit d'une menace ou d'une crise, mais il y a un genre de situation existentielle qui conteste dans une certaine mesure la justification fondamentale de l'intégration européenne.
    C'est là que la Russie pose également un problème, car nous avons observé une certaine intervention ou des tentatives d'intervention dans le cadre des élections américaines. Je pense que les gens de l'Allemagne et de la France sont très préoccupés à ce sujet, par le fait qu'on tente d'influencer l'opinion publique.
    Nous savons qu'il y a du soutien en provenance de l'est à l'égard de certains mouvements de droite, en Europe. Il est important d'appuyer... Nous ne pouvons pas faire grand-chose — honnêtement —, à partir d'ici, mais nous devons surveiller la situation attentivement et tenter de nous aligner avec les pays qui sont capables de maintenir les valeurs que nous appuyons. J'ai bon espoir que les élections se solderont par l'adoption d'une orientation plus favorable, mais il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une situation d'incertitude.
    Il s'agit en fait de ma prochaine question. Comment pouvons-nous aider, depuis notre région du monde, puisque nous entretenons des relations commerciales avec ces pays et que nous sommes enthousiastes à l'idée d'effectuer davantage d'échanges commerciaux avec l'Union européenne? Comment pouvons-nous aider?
    Je pense qu'il importe que l'on garde un discours positif — nous nous débrouillons assez bien à cet égard — et que l'on n'alimente pas l'espace discursif négatif qui a vu le jour, afin de combattre activement la représentation de certaines situations d'une manière qui appuie la version populiste ou, dans bien des cas, la version russe des choses dans ces pays, et il importe que nous conservions des relations solides avec les partenaires dont nous partageons les valeurs.
    Cela semble bien beau, mais, au bout du compte, nous ne pouvons pas avoir d'incidence sur le résultat national des élections tenues dans les pays européens, et nous ne voudrions pas essayer de le faire. Il ne nous incombe pas vraiment de le faire. En ce sens, je ne pense pas vraiment que nous puissions faire grand-chose, mais je pense que la contribution que nous avons apportée est allée dans la bonne direction. Le fait d'assumer un rôle dans la crise des réfugiés n'atténue aucunement la pression exercée sur l'Europe, mais cela envoie le message indiquant que la mondialisation comporte certains éléments positifs, que l'internationalisation — la communauté internationale — offre un soutien positif et ne fait pas que représenter une menace. Voilà la version des faits qui doit être présentée, et elle l'est. Il s'agit peut-être de ce que nous pouvons faire, pour l'instant.
    Merci.
    Monsieur Saini, vous avez la parole.
    Bonjour. Merci beaucoup de votre présence. C'est intéressant, jusqu'ici.
    Madame l'ambassadrice Skok, comme vous venez de mon coin de pays, je me suis dit que j'allais commencer par vous, pour que vous vous sentiez un peu plus la bienvenue.
    De quel coin de pays s'agit-il?
    La région de Waterloo.
    Je veux vous parler de quelque chose que vous n'avez pas mentionné dans votre déclaration, mais je pense que cela a une énorme importance pour la stabilité géopolitique de ces cinq pays. Je parle de l'eau. Avant 1991, l'Union soviétique profitait d'une entente entre les cinq pays, selon laquelle le Kurdistan et le Tadjikistan allaient fournir de l'eau durant l'été, et les trois autres entités — le Pakistan, le Kazakhstan et le Turkménistan — allaient fournir du charbon, du gaz et de l'électricité durant l'hiver.
    On dirait que, maintenant, il n'y a aucune entente claire entre les cinq pays. Avant que nous parlions de quoi que ce soit d'autre, il y a d'autres accords bilatéraux, ici et là, un certain désaccord au chapitre de l'hydroélectricité en amont. Comment imaginez-vous que cela va se dérouler avant que nous...
    Cela m'amène à la deuxième question, alors, seriez-vous assez aimable de formuler un commentaire sur ce qu'il adviendra de cette crise de l'eau.

  (0945)  

    Vous avez tout à fait raison. La gestion des eaux transfrontalières est un énorme gâchis. Les pays ne se débrouillent pas très bien pour faire des échanges. Les régions montagneuses sont très importantes, parce qu'elles commencent au Kazakhstan et en Chine et qu'elles deviennent ensuite le Pamir, l'Hindou Kouch et l'Himalaya. Il s'agit de sommets de 7 000 mètres. Ce sont des calottes glaciaires. Elles fondent. Cette année, l'eau ne sera pas un problème en raison des changements climatiques, qui, à en croire certains de nos collègues, n'existent pas, mais ils existent bel et bien là-bas.
    Les rivières coulent vers le nord, en aval. Il y a des considérations en amont et en aval. L'agriculture en est une. C'est une question d'irrigation. Il s'agit de bétail et de grains. C'est aussi une question de sécheresse, et cela touche la gestion des plaines inondables. Le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale a tenu une conférence sur la gouvernance en matière de sécurité à Astana, il y a un an. Nous nous proposons d'en tenir une en mai, à Ottawa, car l'une des choses que nous pouvons faire, compte tenu de tous nos milliers de lacs et de rivières et de la Commission mixte internationale entre le Canada et les États-Unis, c'est de nous occuper de la gestion des eaux transfrontalières.
    Les pays ont commencé à dialoguer. L'ambassadeur kirghiz a mentionné ce qui suit la semaine dernière: « Nous n'avons pas besoin de parler aux Ouzbeks, car nous allons contrôler l'eau ». L'ambassadeur ouzbek a affirmé que « le Kirghizistan est très pauvre. Si nous le payons, il nous donnera l'eau. »
    Entre-temps — et c'est une exagération que de l'appeler ainsi — peut-être que le Kazakhstan pourrait être un pays successeur dans le groupe de l'Asie centrale. Au cours des sept dernières années, il a probablement versé 100 millions de dollars par année pour payer, à juste titre, le tarif de transit du gaz ou du pétrole par le Turkménistan ou le Kirghizistan pour l'hiver, en échange de l'eau.
    Plus récemment, des propositions ont été faites par l'intermédiaire de la Banque mondiale relativement à l'aménagement d'un barrage hydroélectrique. Manitoba Hydro International faisait partie des soumissionnaires. Toutefois, au Tadjikistan, on construit plutôt un énorme barrage, et ce barrage détournera les eaux, inondera des zones, et les changements climatiques causeront en plus des coulées de boue, comme nous l'avons vu dans le passé.
    La gestion des eaux transfrontalières va aussi... Nous sommes habitués à la gestion des eaux pour l'hydroélectricité, pour la nourriture, pour les loisirs. L'eau deviendra un problème du point de vue de la salubrité des aliments. Je n'aime pas la présenter comme un élément lié à la salubrité alimentaire, mais, d'ici un an, elle pourrait en devenir un.
    Cela m'amène à la deuxième question, que je vais poser du point de vue des intérêts canadiens.
    Le plan Marshall chinois pour « une ceinture, une route » qui va traverser 60 pays...
    Il a été mis en œuvre.
    Je dirais plutôt qu'il a été mis en œuvre et que cette route traversera quatre de ces pays.
    Si nous cherchons une plateforme de lancement pour les intérêts canadiens ou pour l'influence canadienne dans la région, recommanderiez-vous le Kazakhstan comme plateforme de lancement? Si vous regardez la stabilité de ces cinq pays et que vous regardez le pays dont l'économie est la plus avancée, et comme vous avez récemment voyagé au Kazakhstan, s'agirait-il d'un endroit où les entreprises canadiennes pourraient avoir certaines interactions avec cette notion?
    Il y a l'initiative « une ceinture, une route ». Pendant que nous dormions, la Chine a fait construire l'infrastructure à l'aide des diverses banques participantes. Les Chinois viennent tout juste d'expédier des biens non essentiels de leur pays jusqu'en Angleterre, en passant par le Kazakhstan, la Russie, l'Europe et la Manche. L'expédition a pris 22 jours de moins que l'expédition de fret normale.
    Le Kazakhstan est-il un meneur naturel? Comme son taux de chômage est de 4 % — il est inférieur au nôtre — et que celui des autres pays est de 10 à 11 % — ce n'est probablement pas vrai, puisqu'il y en a deux qui ne déclarent pas vraiment de chômage, et je vais vous laisser des statistiques —, si on le propulse en tant que meneur dans la région pour le reste des pays de l'Asie centrale, il pourrait poursuivre la concurrence.
    Des étudiants du Kazakhstan m'ont posé une question l'an dernier. Il y a un C5 plus l'Europe, ce qui veut dire les cinq pays de l'Asie centrale plus un accord européen. Il y a le C5 plus la Russie, plus les États-Unis, plus la Chine. Qu'en est-il d'un C5 plus le Canada?
    Ma réponse a été simple. Pourquoi pas simplement un C5? Quand vous assoyez-vous ensemble pour discuter? Ils comptent plusieurs organisations régionales. Bien entendu, la Communauté des États indépendants en est une. Il y a l'Union économique eurasienne. Il y a l'Organisation de coopération de Shanghai. Il y a l'Organisation du traité de sécurité collective, que la Russie ou la Chine — ou les deux — préside. Quand vous réunissez-vous pour discuter?
    En reconnaissant que le Kazakhstan possède un pouvoir économique suffisant pour diriger, je pense qu'il serait néanmoins important de réunir ces pays, comme nous allons de nouveau tenter de le faire, à Ottawa, en mai, et de les amener à se parler et à étudier nos modèles.
    Est-ce que cela répond à la question?

  (0950)  

    Oui. Cela répond à la question. Merci.
    Merci, monsieur Saini.
    Je vais passer à M. Kmiec, la parole est à vous.
    Je veux revenir sur quelque chose qu'a soulevé M. Sidhu et sur quelque chose que vous avez dit, madame DeBardeleben, au sujet de l'Union européenne et des personnes à qui nous sommes censés parler. M. Sidhu et vous avez mentionné que l'Europe est très divisée au sujet de savoir si elle veut coopérer avec la Russie ou si elle veut être occidentale.
    Je me considère comme un Européen de l'Est. Je suis arrivé ici de l'Europe de l'Est. Ma famille a fui ici. Toutefois, quand je parle à des gens comme Marcin Bosacki — l'ancien ambassadeur de la Pologne au Canada —, il se désigne comme un Européen central, alors cela a changé au fil du temps. C'est quand je parle aux Européens mieux scolarisés et très occidentalisés. En général, ils ont une opinion quant à leurs propres intérêts; pourtant, quand on parle à la personne moyenne de mon âge ou plus jeune, dans ce que j'appelle l'Europe de l'Est, elle affirme que la Russie n'est pas trop mal. L'Union soviétique n'était pas trop mal.
    À qui sommes-nous censés parler afin que nous puissions déterminer quels sont les intérêts de l'Union européenne et de l'Europe en général? Y a-t-il des organisations de la société civile? Nous avons parlé de l'Union européenne et de l'OSCE. Qu'en est-il des organisations de la société civile qui ont du prestige auprès de la population de divers pays avec lesquels le Canada pourrait discuter, afin de mieux comprendre les intérêts européens — quels qu'ils soient — et de comprendre la société civile, compte tenu du retour des mouvements populistes en Europe de l'Est? Dans cette partie de l'Europe, beaucoup des groupes très favorables à la Russie sont socialistes — en Moldavie, en Bulgarie, en Pologne, en Serbie —, alors à qui sommes-nous censés parler?
    J'ai une question qui vient après cela, une fois que vous aurez répondu à celle-ci.
    Il s'agit d'une question très vaste.
    Simplement concernant la terminologie, oui, j'emploierais le terme « Europe centrale » pour désigner la Pologne, normalement. J'ai récupéré le terme qu'utilise votre comité, c'est-à-dire « Europe de l'Est », que j'emploierais habituellement pour désigner le Bélarus, l'Ukraine et peut-être la Russie, mais je ne sais pas. Nous pouvons en discuter. Toutefois, oui, cela dépend de la question, bien entendu. S'il est question de savoir à qui nous devons parler des politiques à l'égard de la Russie, ce qui a évolué, c'est que, même si c'est temporaire — ou peut-être pas —, pour l'instant, il y a une certaine unité, en Europe, concernant les sanctions. Elle pourrait voler en éclats.
    Nous savons également que le format Normandie, et le rôle de premier plan que jouent la France et l'Allemagne en ce qui a trait aux accords de Minsk II, par exemple, est très important. Pour ce qui est des enjeux politiques majeurs relatifs à la Russie et à la situation géopolitique générale, en Europe, je pense que nous devons parler à Federica Mogherini, qui est la haute représentante pour la politique étrangère de l'Union européenne. Nous devons parler aux dirigeants allemands, probablement aux Français, et probablement aux Polonais. Même si les Polonais n'ont pas été inclus dans le format Normandie, ils ont certainement un intérêt vital, et leur pays est le plus grand des nouveaux États membres. Ils ont également une frontière avec la Russie et représentent donc un point de vue un peu différent.
    Je dirais qu'il pourrait s'agir des interlocuteurs clés à cet égard.
    Peut-être que je peux simplement vous interrompre, dans ce cas. Quand le président Duda a visité le Canada, un déjeuner a eu lieu, auquel quelques membres du groupe Canada-Pologne ont assisté. Je me rappelle que j'y étais quand il parlait en polonais et qu'il a dit qu'il était venu ici essentiellement pour s'assurer que l'OTAN allait respecter ses obligations militaires et que l'équilibre militaire qu'il souhaitait établir entre l'Union européenne, l'OTAN et la Russie était très important. Il a affirmé sans détour qu'il voulait des troupes de combat. Il ne voulait pas nécessairement ces rotations. Il voulait de vraies troupes de combat, car il avait l'impression qu'une menace existentielle pesait sur la République de Pologne. Cette impression était largement partagée, certainement par les membres de son personnel également, et par d'autres personnes. Les parlementaires de la Pologne à qui j'ai parlé partagent le même type de préoccupations, sans égard aux partis auxquels ils appartiennent.
    Toutefois, comme il y a beaucoup d'agressivité russe en Ukraine et en Géorgie, les républiques séparées qu'ils appuient comme Ossétie du Sud et l'Abkhazie... Quand on les regarde et qu'on regarde ensuite l'intervention de l'OTAN — et sa capacité d'intervenir —, beaucoup d'Européens de l'Est, d'Européens centraux — ou appelez-les comme vous voulez — disent: « Eh bien, les 20 dernières années ont été excellentes pour la relation économique entre l'Occident et nous, mais notre avenir, surtout du point de vue de l'équilibre militaire, n'est plus avec l'Occident, car on ne peut pas compter sur lui ».
    Au Canada, je pense que nous pouvons également nous accuser. Nous ne dépensons pas les 2 % que nous sommes censés dépenser pour nous assurer que nous disposons de cette capacité militaire. Pouvez-vous aborder un peu ce sujet?

  (0955)  

    Il y a des différences à l'intérieur de l'Union européenne et de l'OTAN relativement à la rigueur de la ligne dure qui devrait être adoptée à l'égard de la Russie, à la mesure dans laquelle il devrait s'agir d'une cible militaire et à la mesure dans laquelle il faudrait mettre l'accent sur la diplomatie. Je pense que tout le monde s'entend en ce qui concerne la garantie de sécurité. Personne ne sait ce qui arriverait si l'un de ces pays était attaqué, mais je soupçonne que l'OTAN interviendrait à la suite d'une attaque.
    Comme je l'ai dit, le risque le plus important n'est pas une attaque militaire dans cette région et, honnêtement, il est un peu mal avisé de se concentrer là-dessus. Il faut affirmer fortement que la garantie est maintenue parce qu'il s'agit du meilleur genre d'élément dissuasif, mais, en réalité, le gros problème consiste à déterminer s'il y a une possibilité de déstabilisation interne. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une probabilité très réaliste en Pologne, mais, selon moi, dans certains États baltiques, il s'agirait du gros problème.
    Si je puis seulement vous interrompre, les parlementaires d'États baltes à qui j'ai parlé, un grand nombre de représentants de l'Europe centrale ainsi que de simples gens de la société civile, des journalistes et des professeurs de la région diraient qu'ils n'ont plus confiance en cette garantie de sécurité...
    Je comprends cela.
    ... et ce n'est pas contre une intervention militaire dure de la Russie.
    Je pense que certaines collectivités ont fait allusion à une intervention militaire douce, alors un parti politique financé par la Russie, qui obtient de très bons résultats dans le cadre d'élections suscite des attentes en disant « Non, nous voulons un partage des pouvoirs avec un autre parti ». Il forme ensuite un gouvernement de coalition, où il exercera une influence importante sur l'élaboration des politiques dans un pays faisant partie de l'OTAN.
    La préoccupation ne tient pas tant à la possibilité que l'OTAN n'intervienne pas dans une situation militaire dure. Elle le ferait probablement, et elle l'a fait, dans le passé, mais la préoccupation concernerait davantage ce qui arrivera en cas de...
    Il est très difficile d'intervenir à la suite d'un genre d'intrusion douce parce qu'on ne peut pas le faire très facilement de façon militaire. C'est exactement là le problème, et c'est pourquoi l'outil qu'est l'OTAN — bien qu'il soit important au chapitre de l'engagement à l'égard de la sécurité — n'est pas le seul qui soit nécessaire. Voilà pourquoi, en fin de compte, cela dépend de l'intégration de la population dans les structures politiques du pays en cause pour que l'on puisse établir la meilleure défense contre ce genre d'intrusion, et c'est quelque chose à quoi nous pouvons tenter de contribuer.
    Nous pouvons nous prononcer le plus fortement possible sur la garantie de sécurité dure, et c'est important en raison de l'ambiguïté qui a été alimentée par une partie du discours tenu durant la campagne américaine. Mais, concernant l'autre question, il est difficile de dire comment la population russe d'États baltes réagit à la situation. D'après ce que j'ai entendu dire, les gens se désignent comme étant des Estoniens et des Lettons. Ils voient leur avenir là-bas, mais ils ont également une compréhension différente de la Russie. Ils sont moins méfiants. Ils entendent les médias russes parce qu'ils diffusent dans leur propre langue. Bien entendu, les dirigeants de ces pays le savent, mais c'est pourquoi, selon moi, il est très important que l'on poursuive la discussion au sujet de la façon de mieux réagir à ces difficultés en interagissant avec des groupes minoritaires de la population.
    Je ne sais pas si nous pouvons contribuer à cela, mais je pense que le dialogue est très important pour ce qui est de mettre en commun l'expérience et de tenter de faire bouger les choses.
    Je ne sais pas ce qu'on peut faire d'autre à ce sujet, honnêtement, car on ne peut pas réagir à cela au moyen d'une armée. On ne peut tout simplement pas le faire. Je ne vois pas comment il serait possible d'effectuer une intervention militaire en réaction à ce genre de risque.

  (1000)  

    Merci, monsieur Kmiec.
    Chers collègues, la sonnerie vient tout juste de se déclencher, alors nous disposons d'une demi-heure.
    Monsieur Levitt, voulez-vous conclure et poser une question afin que nous soyons sortis d'ici dans cinq minutes?
    Je veux simplement enjoindre aux témoins de s'en tenir à des réponses assez courtes parce que nous allons devoir filer pour faire notre devoir à la Chambre des communes.
    Monsieur Levitt.
    Absolument.
    Merci de votre témoignage.
    J'ai un commentaire à formuler. Il concerne votre réaction à la description de la Russie faite par mon collègue le député McKay qui l'a taxée de kleptocratie. Je veux ajouter un certain éclairage à cette déclaration, car je pense que vous vous y êtes un peu opposée. Toutefois, je dois vous dire que nous avons accueilli la fille de Boris Nemtsov, Zhanna Nemtsova, ainsi que Vladimir Kara-Murza, qui ont comparu devant nous au début des travaux du Comité, il y a environ un an, au sujet de leur sort et des défis auxquels font face d'autres personnes qui se sont opposées au régime de Poutine. Sergei Magnitsky est un autre exemple.
    Il est troublant de voir les personnes qui ont comparu devant nous: celle dont le père avait été assassiné, et l'autre, qui avait été empoisonné et qui a récemment fini par l'être de nouveau. Il semble que le fait de s'opposer, d'être en faveur d'une réforme démocratique et d'être une voix dissidente à l'égard du régime actuel de la Russie s'assortit de beaucoup de risques. Encore une fois, je ne veux pas m'attarder sur la question, mais je pense qu'il y a certainement une perspective selon laquelle les commentaires sur le régime et sur ses activités actuelles... et ceux qui semblent s'y opposer.
    Il ne fait aucun doute que le système a pris une orientation autoritaire et qu'il y a une lourde répression des forces qui tentent de s'opposer à la structure du pouvoir. Toutefois, cela ne mène pas nécessairement à des conclusions concernant la façon dont nous traitons avec ce pays sur le plan des politiques étrangères. Nous devons établir un équilibre entre notre capacité d'influer sur cette situation interne, qui est extrêmement limitée, et nos propres intérêts en matière de sécurité, qui vise également à éviter que le conflit ne dégénère pour s'orienter dans une direction très imprévisible et précaire.
    La situation n'est pas simple. Je ne suis pas en désaccord avec vous.
    Entendu.
    Très rapidement, parce qu'il ne nous reste probablement qu'une minute et demie... C'est au sujet des droits de la personne, en particulier en Asie centrale. Au Canada, nous nous considérons comme un pays qui en fait la promotion, qui envoie des messages et qui cherche à faire valoir les droits de la personne partout dans le monde. Il y a des problèmes — l'impunité, la corruption —, mais il y a aussi des possibilités. Pouvez-vous un peu nous faire part de vos réflexions sur la façon dont le Canada peut jouer un rôle à cet égard?
    Quelle est la situation actuelle? En Asie centrale, elle varie d'un pays à un autre, mais simplement pour parler de façon plus générale, quelle est votre impression à ce sujet?
    Encore une fois, je veux répéter ce qu'a affirmé ma collègue. La mobilisation est essentielle. On ne peut pas faire confiance à la Russie. Selon une citation de Lénine, il faut toujours tâter le terrain au moyen d'une baïonnette. Cela nous indique que nous devons faire nos devoirs, nous aussi. Ce n'est pas une mauvaise phrase.
     Pour ce qui est des droits de la personne et de la corruption, ce sont des problèmes hérités. Ils vont de pair. Les pays qui en étaient les partenaires traditionnels continuent d'importer et d'exporter ces problèmes. Dès le départ, ce sont des autocraties. Quant à la Russie, en 2013, un article sur Poutine publié dans l'Economist affirmait que le Kremlin n'est qu'une façade. Il s'entoure de petits copains milliardaires, et toute dissension est criminalisée.
    Nous observons que l'on s'éloigne un peu des cratocraties en Asie centrale, en Ouzbékistan et au Kurdistan, où il y a une décentralisation du pouvoir présidentiel vers le gouvernement et le parlement. Est-ce de la démocratie? C'est un début.
    Voilà pourquoi nos engagements à l'égard des questions touchant la gouvernance, l'économie, les emplois et le financement des exportations sont vraiment extrêmement importants. Si nous n'intervenons pas dans ces régions, la Russie et la Chine vont s'y installer afin de combler le vide dans les pays qu'elles croient leur appartenir.
    Le Traité de Brest-Litovsk a fractionné l'Europe, le bloc de l'Est, après la Première Guerre mondiale. Quant à l'accord de Yalta, que tout le monde adore, la Pologne le déteste parce qu'il a encore divisé la Pologne. Les États baltes, tout comme l'Asie centrale, ne sont pas tous pareils; ils sont tous très différents. La Lituanie a une histoire complètement différente. Ce sont des régions auxquelles la Russie s'intéresse continuellement... L'empire contre-attaque.
    Nous allons devoir nous arrêter là en raison du vote.
    À nos deux témoins: merci beaucoup du temps que vous nous avez accordé. C'est très apprécié.
    Chers collègues, la dernière heure sera annulée, bien entendu, alors nous vous reverrons jeudi. M. Allison sera votre président.
    Merci. La séance est levée.
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