propose que le projet de loi , soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, je suis fière de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi . Ce projet de loi représente un jalon important en vue d'honorer la promesse du gouvernement de moderniser le système de justice pénale, de réduire les délais et d'assurer la sécurité des Canadiens.
Depuis plus d'une décennie, le système de justice pénale est considérablement surmené. Bien que le taux de criminalité au Canada soit à la baisse, les cas judiciaires sont plus complexes, les procès prennent de plus en plus de temps et les incidences pour les victimes n'en sont que pires. En outre, les Autochtones et les Canadiens marginalisés, y compris ceux qui souffrent de maladie mentale et de dépendance, continuent d'être surreprésentés dans le système de justice pénale. Pour ces raisons, j'ai reçu de la part du le mandat de réformer le système de justice pénale, et c'est pourquoi je suis fière d'avoir présenté le projet de loi dans le cadre de la réponse du gouvernement à ces défis fondamentaux.
Le projet de loi fait également suite à la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2016 dans l'affaire R. c. Jordan. La décision a établi des délais stricts au-delà desquels les délais seraient présumés déraisonnables et les affaires seraient suspendues. Dans une telle éventualité, l'accusé n'aurait pas à subir de procès. Cette situation est inacceptable et elle met en péril la confiance du public dans le système judiciaire.
Le projet de loi aborde également les questions soulevées dans le rapport de juin 2017 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui demandait au gouvernement de remédier aux retards judiciaires. De plus, il reflète l'engagement de notre gouvernement à apporter des réformes urgentes et audacieuses, dont bon nombre ont été identifiées comme des priorités par tous les ministres provinciaux et territoriaux de la Justice, en avril et septembre de l'année dernière.
Le projet de loi propose des réformes dans sept domaines clés. Premièrement, il permettra de moderniser et de rationaliser le système de mise en liberté sous caution. Deuxièmement, il améliorera notre approche à l'égard des infractions contre l'administration de la justice, y compris celles commises par les jeunes. Troisièmement, il renforcera notre réponse à la violence conjugale. Quatrièmement, le projet de loi limitera la tenue d'une enquête préliminaire aux infractions passibles de peines d'emprisonnement à perpétuité. Cinquièmement, il permettra de reclasser les infractions afin de permettre à la Couronne de choisir la procédure la plus efficace et la plus appropriée dans les circonstances. Sixièmement, il améliorera le processus de sélection du jury. Septièmement, il renforcera les pouvoirs des juges de gérer les affaires. Le projet de loi comprend un certain nombre d'autres réformes liées aux gains d'efficience, dont je parlerai brièvement plus tard.
Comme je l'ai indiqué, les premières réformes porteraient sur la modernisation et la rationalisation du système de mise en liberté sous caution. Conformément à la Charte, toute personne inculpée est présumée innocente tant qu'elle n'a pas été trouvée coupable. Toute personne inculpée a le droit de ne pas être privée sans juste cause d'une mise en liberté sous caution. La Cour suprême du Canada a déterminé à maintes reprises que la mise en liberté sous caution, y compris les divers types de libération et de conditions imposés, doivt être raisonnable. Or, on sait que la police et les tribunaux imposent souvent des conditions trop nombreuses, trop restrictives et visant parfois des objectifs inappropriés, notamment un changement de comportement et le châtiment.
Nous savons aussi qu'il y a plus de personnes en détention provisoire que de personnes reconnues coupables d'un crime. Autrement dit, nos établissements correctionnels sont à moitié remplis de gens qui n'ont pas été reconnus coupables d'une infraction.
De plus, l'approche actuelle en matière de mise en liberté sous caution utilise une quantité disproportionnée de ressources, qui pourraient se concentrer sur des cas plus graves. Elle perpétue un cycle d'incarcération.
Conformément à la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2017 dans l'affaire R. c. Antic, les réformes proposées en matière de cautionnement codifieront un principe de retenue. Cela incitera la police et les juges à envisager les moyens les moins restrictifs et les plus appropriés pour répondre aux accusations criminelles à l'étape de la mise en liberté sous caution plutôt que de détenir automatiquement un accusé. La situation individuelle d'un accusé autochtone et d'un accusé vulnérable, comme une personne sans abri ou ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, devra être prise en compte dans les décisions relatives à la mise en liberté sous caution. Cela signifie qu'il faudra tenir compte de la situation de l'accusé avant de lui imposer des conditions difficiles ou impossibles à respecter.
Le principe de retenue rendra les tribunaux de libération sous caution plus efficaces en encourageant la remise en liberté le plus tôt possible, sans qu'il soit nécessaire de tenir une enquête sur le cautionnement dans chaque cas. De plus, il donnera lieu à la prise de mesures importantes pour réduire les coûts associés à l'augmentation de la population en détention provisoire actuellement en attente de procès.
Le projet de loi viendrait également renforcer la façon dont le système de libération sous caution traite la violence entre les partenaires intimes en offrant des protections supplémentaires aux victimes. Si une personne a déjà commis des actes de violence à l'endroit d'un partenaire intime et qu'elle est de nouveau accusée de tels actes, les modifications proposées prévoient que le fardeau de la preuve serait renversé au moment de l'enquête sur le cautionnement et qu'il reviendrait à l'accusé de démontrer qu'il peut être mis en liberté en attendant son procès.
Je vais maintenant aborder la deuxième partie des réformes proposées dans le projet de loi , celles qui concernent l'amélioration de la réponse du système de justice aux infractions contre l'administration de la justice. Il s'agit d'infractions commises à l'endroit même du système de justice après qu'une autre infraction a ou aurait été commise. Les exemples les plus fréquents comprennent l'omission de respecter des conditions de mise en liberté sous caution, comme celle de s'abstenir de consommer de l'alcool, le défaut de se présenter devant le tribunal ou le non-respect d'un couvre-feu.
Partout au Canada, des accusés se voient imposer des conditions de mise en liberté sous caution complexes et inutiles qui n'ont rien à voir avec la sécurité publique et qui peuvent même être impossibles à respecter, comme lorsqu'un accusé en région éloignée ne respecte pas un couvre-feu parce qu'il a raté l'autobus. En d'autres termes, des gens se retrouvent dans des situations où il leur est pratiquement impossible de respecter les conditions. Nous créons les conditions pour qu'ils échouent.
Les Autochtones et les personnes marginalisées commettent de manière disproportionnée des infractions aux conditions, souvent en raison de leur situation personnelle, telle qu’un manque d’appui de leur famille et de la collectivité. Par conséquent, les Autochtones et les Canadiens marginalisés sont plus susceptibles d’être accusés, de se voir refuser une mise en liberté sous caution ou, s’ils sont libérés sous caution, plus susceptibles de se voir imposer des conditions plus strictes.
En outre, les infractions contre l’administration de la justice imposent un énorme fardeau au système de justice pénale, car près de 40 % de toutes les affaires concernant des adultes s’accompagnent d’au moins une infraction de ce type. Le projet de loi propose une nouvelle approche afin de régler ces difficultés. La police conserverait la possibilité de déposer une nouvelle accusation en regard de l’infraction ou de l’omission de comparaître au moment approprié. Cependant, si l’infraction n’a pas causé de préjudice physique ou psychologique à une victime, de dommages à la propriété ou de perte économique, la police aurait aussi la possibilité d’aiguiller le prévenu vers une comparution pour manquement. Cela constituerait un outil complètement nouveau pouvant servir de solution de rechange à une accusation criminelle inutile et augmenterait considérablement l’efficience des tribunaux sans nuire à la sécurité du public.
Dans le contexte des jeunes, ces propositions encourageraient les policiers à envisager d’abord un recours à des mesures informelles, comme le prévoit déjà la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, tel que des avertissements, des mises en garde et des renvois, et prescriraient que les conditions imposées aux jeunes gens soient raisonnables et nécessaires. Cela s’harmonise avec le principe général de la loi, qui est d’éviter que nos jeunes commencent une carrière criminelle, en partie en offrant des solutions de rechange à des accusations criminelles officielles ou au placement sous garde.
À la comparution pour manquement, le tribunal entendra les conditions de mise en liberté sous caution et aura trois possibilités: libérer le prévenu sous les mêmes conditions, imposer de nouvelles conditions mieux adaptées à la situation particulière du prévenu ou placer le prévenu en détention. Cette approche permettrait une résolution extrajudiciaire rapide des infractions mineures, tout en assurant que seules des conditions raisonnables et nécessaires ont été imposées. Il s’agit d’une solution plus efficiente que le dépôt d’une nouvelle accusation criminelle et qui contribuerait à empêcher que les Autochtones et les Canadiens marginalisés se retrouvent dans les portes tournantes du système de justice pénale.
Le troisième domaine de réforme du projet de loi concerne la violence entre partenaires intimes. En 2015, les Canadiens ont élu le gouvernement actuel sur la promesse de fournir davantage de soutien aux survivants de la violence familiale, des agressions sexuelles et du harcèlement sexuel et de s’assurer que davantage d’agresseurs sont traduits en justice. Je suis fier d’honorer cet engagement grâce à ce projet de loi.
Comme je l’ai déjà mentionné, les personnes accusées d’une deuxième infraction de violence ou d’une infraction subséquente contre un partenaire intime seraient assujetties à une inversion du fardeau de la preuve à l’étape de la mise en liberté sous caution. En outre, le projet de loi: 1) propose une fourchette de peines plus lourdes dans le cas des récidives en matière de violence entre partenaires intimes; 2) propose un élargissement de la définition de « partenaire intime » qui englobera les partenaires amoureux et les anciens partenaires intimes; 3) prévoit que l’étranglement est une forme aggravée d’agression; et 4) énonce explicitement qu’une preuve d’abus contre un partenaire intime est un facteur aggravant aux fins de la détermination de la peine.
La violence entre partenaires intimes est une réalité pour au moins une femme sur deux au Canada. Les femmes autochtones, transgenres, âgées, néo-canadiennes ou handicapées courent un risque accru de subir de la violence en raison des barrières et des échecs systémiques. Les conséquences personnelles et souvent permanentes de la violence à l'égard des femmes sont énormes.
Le quatrième domaine de réforme consiste à accroître l'efficacité des tribunaux en limitant la disponibilité des enquêtes préliminaires. L'enquête préliminaire est un processus facultatif utilisé pour déterminer s'il y a suffisamment de preuves pour envoyer un accusé au procès. Le projet de loi limitera leur disponibilité aux adultes accusés d'infractions très graves passibles d'emprisonnement à perpétuité, comme le meurtre et l'enlèvement.
Je reconnais qu'il s'agit d'un changement important. Ce n'est pas un changement que nous proposons à la légère. Il est le fruit d'un processus de consultation approfondie avec mes homologues des provinces et des territoires ainsi qu'avec les tribunaux, et il est fondé sur les meilleures données disponibles. Par exemple, nous savons qu'en 2015-2016, les causes devant les cours provinciales impliquant des enquêtes préliminaires ont pris plus de quatre fois plus de temps pour en arriver à une décision que les causes sans enquête préliminaire.
Il est important de noter qu'il n'existe pas de droit constitutionnel à une enquête préliminaire et qu'une telle enquête n'est pas nécessaire à un procès équitable tant que la Couronne satisfait à ses exigences en matière de divulgation. Dans l'arrêt Jordan, la Cour suprême du Canada a demandé au Parlement de jeter un regard neuf sur les processus actuels et de reconsidérer la valeur des enquêtes préliminaires à la lumière des règles générales de divulgation qui existent aujourd'hui. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a également recommandé qu'elles soient restreintes ou éliminées.
Les mesures proposées permettront de réduire le nombre d'enquêtes préliminaires d'environ 87 %, de s'assurer qu'elles sont toujours disponibles pour les infractions plus complexes et graves, d'aider à désengorger les tribunaux et de réduire le fardeau des témoins et des victimes de devoir témoigner deux fois, une fois lors d'une enquête préliminaire et une fois au procès. Par exemple, cette mesure éliminera la nécessité pour un témoin vulnérable dans un procès pour agression sexuelle sur un adulte ou un enfant d'avoir à témoigner deux fois.
Je suis convaincue que ces réformes ne réduiront pas l'équité des procès, que les procureurs continueront de prendre au sérieux leurs obligations de divulgation, que nos tribunaux continueront de respecter le droit de présenter une défense pleine et entière et que les processus existants, comme les enquêtes préalables hors cour, qui ont déjà été mis en œuvre dans certaines provinces, au Québec et en Ontario par exemple, continueront de jouer leur rôle.
Je vais maintenant aborder le cinquième grand domaine de réforme proposé dans le projet de loi , soit la reclassification des infractions. Le Code criminel classifie les infractions en infractions punissables par procédure sommaire, en infractions punissables par mise en accusation et en infractions mixtes. Les infractions mixtes peuvent faire l'objet d'une mise en accusation ou d'une procédure sommaire. C’est le procureur qui décide après avoir étudié les faits et les circonstances de l’affaire. Le projet de loi transformerait en infractions mixtes 136 infractions punissables par mise en accusation et normaliserait à deux ans moins un jour la peine maximale par défaut des infractions punissables par procédure sommaire dans le Code criminel.
Ces propositions ne nuiraient pas à la capacité du tribunal d’imposer des peines proportionnelles ni de changer les peines maximales pour les infractions punissables par mise en accusation. Le projet de loi propose d’offrir aux procureurs plus de latitude afin de poursuivre par procédure sommaire devant les tribunaux provinciaux pour des infractions moins graves. Cela permettrait aux affaires de se régler plus rapidement et aux tribunaux supérieurs de se pencher sur les affaires les plus graves, ce qui augmenterait considérablement l’efficience globale du système.
Soyons clairs: cette réforme ne vise en aucun cas à transmettre le message que certaines infractions sont moins graves que d’autres et devraient être assujetties à des peines moindres. Il s’agit plutôt d’accorder plus de latitude à nos procureurs afin qu’ils choisissent la procédure la plus efficiente et la mieux indiquée, compte tenu de la situation qui les occupe. Les infractions graves continueront d’être traitées avec la sévérité voulue et les infractions moindres accapareraient moins le temps des tribunaux, tout en conservant la sévérité associée à une accusation criminelle.
Le sixième domaine de réforme proposé par le projet de loi concerne la sélection des jurés.
La discrimination dans la sélection des jurés est bien documentée depuis de nombreuses années. Des préoccupations entourant la discrimination dans le cadre des récusations péremptoires et ses effets sur la représentation des Autochtones au sein des jurys ont été soulevées dès 1991 par le sénateur Murray Sinclair, qui était alors juge, dans le rapport de la Commission d’enquête sur l’administration de la justice et les Autochtones du Manitoba. Ce rapport, datant maintenant de plus de 25 ans, demandait explicitement l’abrogation des récusations péremptoires. Plus récemment, le juge la Cour suprême à la retraite Frank Iacobucci a abordé cette question dans son rapport de 2013 sur la représentation des Premières Nations au sein des jurys de l’Ontario.
Des réformes dans ce domaine sont attendues depuis trop longtemps. Les récusations péremptoires donnent au prévenu et à la Couronne la capacité d’exclure un juré sans avoir à se justifier. Dans la pratique, cela peut être utilisé de façon discriminatoire afin d’en arriver à une composition particulière du jury, et cela s’est fait. Le projet de loi propose d’imiter des compétences telles que l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande du Nord en les abolissant.
Afin d’apporter plus d’équité et de transparence au processus, la législation conférerait au juge le pouvoir de décider d’exclure ou pas les jurés faisant l’objet d’une récusation motivée. La loi renforcerait le pouvoir des juges d’écarter certains jurés afin d'obtenir un jury plus diversifié, ce qui en retour augmenterait la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice. Les tribunaux sont déjà familiarisés avec la notion d’exercer leurs pouvoirs à cette fin.
Je suis convaincue que les réformes rendront le processus de sélection des jurés plus transparent, qu'elles favoriseront l’équité et l’impartialité, qu'elles amélioreront l’efficacité globale des procès devant jury et qu'elles renforceront la confiance du public dans le système de justice pénale.
Le septième domaine de réforme renforcera la gestion des dossiers des tribunaux. Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans sa décision de 2017 dans l’affaire Cody, les juges jouissent d’une position unique pour encourager et favoriser le changement de culture. Je suis tout à fait d’accord. Les juges s’occupent déjà de gérer les affaires et de voir à les traiter rapidement et équitablement grâce aux pouvoirs existants prévus dans le Code criminel et les règles judiciaires provinciales. Les réformes proposées renforceraient ces pouvoirs en permettant par exemple de nommer les juges responsables de la gestion de l’instance le plus tôt possible dans la procédure.
En plus des réformes majeures dont j’ai parlé jusqu’ici, le projet de loi apportera des modifications techniques afin d’accroître l’efficacité, notamment en facilitant le recours à la technologie à distance ainsi qu'en consolidant et en précisant le pouvoir du procureur général du Canada d’intenter des poursuites.
Enfin, le projet de loi permettra de faire un meilleur usage du temps limité dont dispose le Parlement en englobant trois projets de loi qui portent sur la justice dont le Parlement est actuellement saisi: les projets de loi , et .
En terminant, le projet de loi propose des réformes constructives qui accéléreront les procédures pénales et qui amélioreront la sécurité de la population canadienne tout en offrant des mesures pour régler le problème de la surreprésentation des peuples autochtones et des Canadiens marginalisés dans le système de justice pénale.
Le système de justice pénale canadien doit être juste et équitable. Les victimes, les familles, les accusés et tous les intervenants qui y évoluent ne méritent rien de moins. J’exhorte tous les députés à appuyer cette importante mesure législative.