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SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 031 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 31 mai 2021

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

     La séance est ouverte. Nous avons quorum, et je suis sûr que Shannon Stubbs ne tardera pas à se joindre à nous.
    Nous en sommes à la 31e séance du comité de la sécurité publique, et nous étudions la criminalité motivée par la haine à caractère idéologique. Nous accueillons cet après-midi deux témoins d'exception, soit M. Christian Leuprecht, que le Comité connaît bien, et Mme Barbara Perry.
    Je vous demanderai de faire vos déclarations de sept minutes dans l'ordre où vous figurez dans l'avis de convocation, après quoi nous passerons aux questions.
    Allez-y, monsieur Leuprecht.

[Français]

     Monsieur le président, mesdames les vice-présidentes, membres distingués du Comité, je vous remercie de votre invitation et de cette occasion de discuter avec vous de ce sujet très important. Je serai heureux de répondre à vos questions dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

[Traduction]

    Je vais suivre le texte que j'ai remis en anglais.
    Au Canada, l'extrémisme violent est un phénomène marginal, et les situations qui naissent de l'extrémisme violent à caractère idéologique retiennent une grande attention du public. Et c'est sans compter les engagements ou les occasions politiques, comme nos audiences d'aujourd'hui, de promouvoir certaines politiques.
    La détection et la perturbation de l'extrémisme violent à caractère idéologique, l'EVCI, supposent des coûts élevés, qui sont disproportionnés par rapport à l'avantage recherché. Il y a bien d'autres menaces, comme les cybermenaces, l'ingérence étrangère et l'espionnage étranger, qui portent beaucoup plus à conséquence pour la sécurité, la prospérité et la démocratie au Canada, mais elles sont difficiles à quantifier publiquement en l'absence de victimes humaines. Pour peu que nous le fassions mieux et de façon plus systématique, le rééquilibrage de la situation du Canada en matière de police, avec un accent plus net sur la cybersécurité, le crime organisé, le blanchiment d'argent et la protection des Canadiens contre les acteurs étrangers malveillants, représenterait un avantage beaucoup plus important pour la sécurité publique et pour la neutralisation des ressources et des instruments d'habilitation de l'EVCI, car l'approche actuelle ne semble pas avoir donné de résultats particulièrement efficients ni particulièrement efficaces.
    Qui est susceptible de sympathiser avec l'extrémisme violent, de lui assurer un soutien ou de s'y livrer, et pourquoi est-il devenu un des enjeux de sécurité nationale les plus pressants de notre temps? La question est rendue plus difficile par le très faible nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie, d'une part, et par la vaste majorité des personnes se trouvant dans des circonstances comparables qui sont très résilientes à la radicalisation, d'autre part. Je donne des chiffres que je vais sauter. Mais je signale quand même tout simplement que, comme il ressort des témoignages rendus devant votre comité, les attaques et les incidents terroristes, bien qu'extrêmement tragiques, sont très rares comparativement à de nombreux autres incidents de violence, notamment de violence inspirée par l'idéologie.
    Nous devons faire la distinction entre l'extrémisme violent à caractère idéologique et la violence extrémiste à caractère idéologique. L'un concerne le discours, et l'autre, l'action. Nous pouvons illustrer cela par deux pyramides: la pyramide du discours et la pyramide de l'action. Ces deux pyramides sont distinctes l'une de l'autre. Dans la pyramide de l'action, nous avons les terroristes au sommet, puis les radicaux et, en dessous, les sympathisants activistes. Tim Hahlweg, du SCRS, le Service canadien du renseignement de sécurité, a donné une description semblable en parlant de l'engagement passif, de l'engagement actif et de la mobilisation pour la violence.
    La relation entre la pensée et l'action n'est pas claire. Elle n'est pas un tapis roulant, et elle n'est pas causale. Voilà qui soulève une foule de questions. Comment se retrouve-t-on dans l'une de ces trois catégories de l'action radicale? Y a-t-il trois types différents de personnes qui se retrouvent dans ces différentes catégories? Quels sont les déterminants de la transition entre ces catégories? Qu'est-ce qui motive l'individu à franchir les frontières, à passer de non radical à radical ou de radical à terroriste? Quels sont les obstacles à ces transitions? Pourquoi si peu de gens se radicalisent-ils? Ces quelques personnes ont-elles quelque chose de spécial? Les catégories d'action et les transitions entre les différentes catégories dépendent-elles de la cause épousée ou est-ce que tous les mouvements et les problèmes présentent des points communs dans la structure de radicalisation?
    Dans la perspective du renseignement et de l'application de la loi, pourrions-nous également demander s'il est possible de prévoir vers quelle catégorie d'action se dirigera une personne en observant ses attitudes? Plus généralement, ses attitudes d'aujourd'hui sont-elles un prédicteur de sa trajectoire politique de demain?
    Il se trouve que la relation entre le discours et l'action est indéterminée. Peu de gens dans la pyramide du discours passent à l'action, et l'action n'est pas nécessairement motivée par la croyance au discours. J'ai esquissé 12 mécanismes — aux niveaux micro, méso et macro — que nous avons cernés. Il se trouve que l'idéologie est l'un de ces 12 mécanismes et, dans bien des cas, elle n'est même pas là. On se livre à la violence pour une foule de raisons qui n'ont rien d'idéologique; l'idéologie n'est donc pas une condition nécessaire ni suffisante de la violence.
     Lorsque l'idéologie est présente, la plupart du temps, elle devient la justification plutôt que la cause de la violence comme telle.
    Aux fins de la politique, nous devons traiter le problème du discours et le problème de l'action comme des problèmes distincts. On voit qu'au Canada, le problème de la radicalisation de masse — c'est-à-dire la radicalisation de collectivités entières — est un faux problème. Nous voyons des individus qui sont radicalisés. Le problème concerne ceux qui sympathisent avec la violence.
    En ce qui concerne ces enquêtes — comme je l'ai expliqué dans mon mémoire —, notre bilan des succès de la Gendarmerie royale du Canada, la GRC, n'est pas particulièrement reluisant.
    La démocratie est sur une pente glissante lorsque nous nous contentons d'adhérer à des convictions politiques qui, aussi choquantes soient-elles, finissent par être assimilées à un comportement criminel. À l'exception de quelques infractions comme l'incitation à la haine et le discours haineux qui entrent dans le domaine criminel, la marque de commerce de la démocratie est de surveiller les actes criminels, pas les opinions.
    De façon générale, la radicalisation en soi — un changement des croyances, des sentiments et des actions vers un soutien accru d'un côté ou de l'autre — n'est pas un problème. Le défi et le test pour la démocratie se situent toujours à la marge.
    Je conclurai en disant que l'exagération de l'importance et la politisation de la menace de l'EVCI, en cherchant une aiguille dans une botte de foin... Une meilleure approche serait que le gouvernement commence par améliorer la position du Canada en matière de détection, de perturbation, de confinement et de dissuasion contre tout l'éventail des menaces à la sécurité nationale. À cette fin, nous pouvons nous concentrer sur la réforme de la police fédérale pour la rendre plus fonctionnelle, avec un service du renseignement humain étranger et un service du renseignement criminel spécialisé.
    Les collectivités canadiennes sont confrontées tous les jours à de nombreux vecteurs de menace beaucoup plus dangereux pour la sécurité publique. Ils proviennent de menaces non traditionnelles de la part d'acteurs étatiques et autres, telles les cybermenaces et les menaces traditionnelles comme le crime organisé, le blanchiment d'argent, etc. contre lesquelles un gouvernement préoccupé par la sécurité nationale pourrait prendre des mesures concertées qui auraient des effets beaucoup plus directs et immédiats que l'EVCI sur la sécurité publique.

  (1540)  

    Merci, monsieur Leuprecht.
    Allez-y, madame Perry.
     Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître. J'ai très hâte de vous faire part de mes réflexions et de participer à la discussion.
    Je vous ai remis deux graphiques pour illustrer mon propos d'aujourd'hui. Le premier est une sorte de typologie que nous avons construite pour illustrer la diversité du mouvement d'extrême droite. C'est vraiment là-dessus que je me concentre, en particulier sur l'extrémisme de droite. Je veux esquisser très rapidement certains des contours associés à l'extrême droite que nous avons cernés dans notre étude de 2015 financée par Sécurité publique Canada, mais qui ressortent aussi de l'étude sur laquelle nous travaillons actuellement, elle aussi financée par la Sécurité publique, et qui est une mise à jour de la première.
    Le premier graphique, les catégories de l'extrême droite au Canada, est très important pour nous rappeler la diversité du mouvement lorsque nous pensons à l'extrême droite. Même en 2015, lorsque nous nous intéressions au mouvement, nous mettions vraiment l'accent sur les groupes très traditionnels que vous voyez en haut — les skinheads, les néo-nazis, les suprémacistes blancs et ainsi de suite. Depuis, il y a eu une diversification du mouvement dans différentes directions, non pas tant un fractionnement qu'un regroupement en catégories beaucoup plus nettes, si bien qu'il y a des branches identifiables qui sont spécifiquement antimusulmans, spécifiquement anti-immigrants ou spécifiquement misogynes, par exemple.
    De plus, nous avons les accélérationnistes. Je pourrai vous donner plus de détails sur chacun de ces groupes pendant la période de questions, si vous voulez, mais l'objet de ce graphique n'est que de mettre en lumière la diversité que nous observons dans le mouvement.
    Mon deuxième graphique illustre la distribution telle que nous la voyions en 2015. Vous y voyez les concentrations en Ontario, au Québec et en Alberta en particulier, et dans une certaine mesure en Colombie-Britannique, qui donnent un total estimatif conservateur d'un peu plus d'une centaine de groupes actifs associés à une branche quelconque d'idéologies extrémistes d'extrême droite.
    Dans l'étude en cours, nous avons constaté, au cours des quatre ou cinq dernières années, une croissance extraordinaire de ces groupes, qui sont aujourd'hui au moins 300, toujours à l'échelle du pays. Il y a plus d'activité dans l'Est, par exemple, mais à part cela, les concentrations sont demeurées plutôt stables, c'est-à-dire qu'elles sont plus élevées en Ontario, au Québec et en Alberta.
     Je vais vous faire part de quelques-unes des autres tendances que nous relevons dans l'étude en cours. J'ai mentionné la croissance des nombres que nous observons, et je dois dire qu'il s'agit de la croissance du nombre de groupes et de la croissance du nombre d'individus attirés par divers éléments d'idéologies extrémistes d'extrême droite. Tout comme nous observons une dispersion du mouvement même, pour ce qui est du nombre de zones d'intérêt, nous observons aussi une diffusion, presque une atomisation, du mouvement même — c'est-à-dire que plus d'individus sont attirés par les petits éléments, un peu comme dans une sélection parmi les récits de divers groupes et de diverses idéologies pour répondre à leurs propres besoins, quels qu'ils soient.
    Nous voyons beaucoup plus de ces butineurs, comme nous pourrions les appeler, mais nous voyons aussi davantage de groupes, c'est-à-dire de nouveaux chapitres de groupes qui existaient en 2014 et en 2015, ainsi que de nouveaux groupes qui ont fait leur entrée en scène, tout particulièrement les Proud Boys et les Soldiers of Odin.
    Nous observons également un changement démographique associé aux groupes. Tout comme nous avons tendance à associer l'extrême droite aux skinheads et aux néo-nazis, je pense que nous avons tendance à y voir un mouvement de jeunes. C'est certainement encore le cas. Il y a énormément de jeunes de 16 ou 17 à 24 ans, ou peut-être même en début de trentaine, qui militent dans le mouvement, mais nous voyons beaucoup plus de gens d'âge moyen et de personnes plus âgées rallier le mouvement également.
    Cela s'accompagne d'un changement dans d'autres variables démographiques, comme l'instruction, le revenu ou la profession en particulier. Il y a plus de revenus moyens ou supérieurs. Par exemple, les événements du 6 janvier aux États-Unis nous apparaissent comme une sorte d'illustration gonflée de ce que nous voyons ici. Une très forte proportion de ces gens-là étaient des professionnels — des comptables, des médecins et des avocats — et c'est un peu la même chose ici, si bien que cela s'applique également au fait que beaucoup ont un niveau d'instruction plus élevé, un diplôme universitaire, voire un diplôme d'études supérieures parfois.

  (1545)  

     Je pense que c'est particulièrement le cas au sein de l'élément qui se dit l'alternative de droite. C'étaient en quelque sorte les idéologues du mouvement, si vous voulez, par opposition aux troupes de choc, qui sont davantage des nazis ou des skinheads plus traditionnels dans les rues.
    L'une des autres tendances que nous observons est l'augmentation de la création de coalitions ou d'alliances, et au début de cette phase de l'étude, en 2015-2016, 2016-2017, voire 2018, nous voyions beaucoup plus de coalitions se former entre les groupes, de stratégies s'exercer entre les groupes au sein du mouvement, de planification et d'organisation conjointe de protestations, de rassemblements, de concerts et de tout un éventail d'autres activités. Nous en avons vu beaucoup, mais nous constatons également aujourd'hui, dans le contexte de la COVID, surtout en ce qui concerne le confinement et les activités anti-masque et anti-vaccination, qu'on fait des efforts pour exploiter ces griefs très courants et les intégrer dans le discours d'extrême droite afin d'élargir l'auditoire, de saisir les gens et de leur mener un bateau en quelque sorte.
    La dernière tendance que je veux faire ressortir est probablement l'une des plus dangereuses, c'est-à-dire que nous observons une plus grande fascination pour les droits relatifs aux armes à feu et le fait d'être armé jusqu'aux dents dans le groupe. Même pour les Proud Boys, l'un de leurs mantras est « nous aimons nos fusils ». C'est la même chose dans plusieurs autres groupes. Nous les voyons sur les réseaux sociaux, avec des stocks d'armes, se livrer à des entraînements paramilitaires. Nous savons qu'ils sont lourdement armés.
    Ce que nous constatons également — et il s'agit d'un autre projet auquel nous participons avec le ministère de la Défense nationale —, c'est que nous examinons les contours de l'extrême droite dans le contexte des Forces armées canadiennes, les FAC, parce que nous avons eu un certain nombre de cas très médiatisés dernièrement. Encore une fois, si l'on considère les événements du 6 janvier aux États-Unis, il y a des preuves de liens entre des membres des FAC, actuels ou anciens, et le mouvement d'extrême droite. Nous avons les armes, nous avons l'entraînement et le troisième type dangereux de l'élément éventuellement létal est les idéologies xénophobes qui guettent souvent ces groupes. Selon moi, c'est une tendance à surveiller de près.
    Je m'arrête là, quitte à revenir tantôt plus en détail sur tout ce qui pourrait être d'intérêt.
     Merci de votre temps.

  (1550)  

    Merci, madame Perry.
    Nous passons maintenant au premier tour de six minutes, avec Mme Stubbs, Mme Khera, Mme Larouche et M. Harris.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins de leur présence aujourd'hui, merci de nous avoir fait profiter de votre expertise et de votre temps.
    Monsieur Leuprecht, vous avez parlé en termes très convaincants de la différence entre les paroles et les actes, et des différents types de personnes qui pourraient être identifiées lorsqu'on parle de ces enjeux complexes. Pourriez-vous peut-être commenter et développer les différences entre terroristes, radicaux et activistes.
    C'est une très bonne question à la lumière de ce que mon éminente collègue, Mme Perry, vient de présenter.
     Dans la pyramide que nous pourrions imaginer, nous avons au sommet les personnes qui se livrent à des actes illégaux et violents. Ce sont les personnes que nous appelons communément les terroristes. En dessous, nous avons les radicaux, qui se livrent peut-être à une ou plusieurs formes d'actes illégaux, qu'il s'agisse de protestations illégales, peut-être de violations liées aux armes à feu, et ainsi de suite, mais qui ne sont pas violentes comme telles à l'endroit des tierces parties ou du public. En bas, vous avez les activistes. Ce sont les personnes qui, par exemple, pourraient sympathiser avec les radicaux ou avec les terroristes, mais qui ne commettent pas d'actes illégaux, ne tiennent pas de discours illégaux, ne font pas d'incitation, ne font rien de haineux et ainsi de suite.
    Souvent, nous les confondons dans le discours public, et je pense qu'il est important, aux fins du renseignement, de l'application de la loi et des politiques, de les traiter comme trois problèmes distincts. L'un pourrait être un problème de résistance à la radicalisation, de persuasion. L'autre pourrait nécessiter la mise en place des bonnes incitations afin que les gens susceptibles de se livrer à des actes illégaux ne commettent pas d'actes violents; et nous devons en même temps nous doter des capacités de renseignement en matière criminelle pour déceler et perturber ceux qui sont prédisposés ou qui se livrent à des actes violents, avant qu'ils ne passent à l'action.
     Merci.
    En plus de cela, en ce qui concerne les prédicteurs du comportement des personnes, je crois que, dans votre recherche, vous donnez à entendre que la religion, l'opinion publique et le pays d'origine sont autant de mauvais prédicteurs, ou pas nécessairement des prédicteurs du passage à l'action.
    Je me demande si vous avez des commentaires à faire sur ce à quoi les catégories de motivation du SCRS peuvent servir.
    Il est tentant dans le discours public, selon moi, de ramener cela à des explications monocausales, comme la religion peut clairement en être une. Il y a tellement de gens qui sont croyants, et à peu près personne d'entre eux n'est violent. Bon nombre des personnes qui deviennent violentes, par exemple, ne sont pas croyantes ou n'adhèrent pas, mettons, à une idéologie particulière. Il est essentiel de comprendre que les prédicteurs sont multidimensionnels et se combinent de différentes façons dans différents cas.
    C'est là qu'une partie du travail structurel de Mme Perry peut nous être utile. Ce travail peut nous aider à repérer les personnes qui sont peut-être plus à risque, mais en nous assurant, par exemple, que, lorsque nous parlons de jeunes — et comme le savent ceux d'entre nous qui ont des enfants ou qui connaissent les jeunes, ceux-ci font des choses que nous n'aimons pas —, nous leur offrons la bonne intervention et l'aide appropriée, plutôt que de criminaliser nécessairement et immédiatement des points de vue que nous trouvons choquants comme tels, mais qui ne sont pas nécessairement criminels.
    Vous avez parlé de protéger la sécurité publique par la prévention et la mise en place de conséquences pour les activités criminelles. Avez-vous des commentaires à nous faire sur les réformes, les changements ou les solutions concrètes pour les services de police fédéraux ou les autres services du renseignement?
    Vous avez un peu plus d'une minute.
    Je dirais que les moyens dont on a fait tellement l'éloge et que nous avons donnés au SCRS, communément dits « de perturbation » — qui ne nécessitent pas de mandat — se sont révélés très efficaces et ont été suffisants pour réduire les risques.
    Je dirais aussi que nous avons une police fédérale qui consacre 85 % de son temps et de ses ressources aux services de police provinciaux contractuels, ce qui affaiblit son mandat fédéral. Je cite au moins un cas, le complot du Parlement de Victoria, qui a été un échec total, compte tenu des ressources investies dans l'affaire, où le juge a réprimandé la GRC pour ses pratiques de piégeage.
    Je pense que nous devons être mieux positionnés sur le plan de la police fédérale. Il nous faut un service du renseignement criminel indépendant, qu'on devrait probablement détacher de la GRC pour en faire une entité autonome distincte. Nous devons avoir une meilleure idée des influences étrangères qui peuvent être illégales ou criminelles selon le droit canadien. À cette fin, il nous faut un service du renseignement humain étranger, parce que le SCRS, pour des raisons que nous n'avons pas le temps d'explorer ici, ne peut pas, aujourd'hui, s'acquitter efficacement de ce mandat.

  (1555)  

     Notre temps est écoulé.
    Merci, madame Stubbs.
    Madame Khera, vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins d'être ici, mais surtout, merci pour tout le travail que vous faites.
    Madame Perry, je commence par vous, et je voudrais parler de haine en ligne.
    Je sais que vous avez fait équipe avec Facebook Canada pour étudier des cas de haine en ligne. Nous en avons certainement discuté au Comité. Vous avez déclaré que les plateformes en ligne ont été un cadeau aux groupes de la droite alternative connus pour la propagation de théories du complot par vidéoclips.
    Pourriez-vous peut-être nous en dire un peu plus sur les constatations que vous avez faites et les efforts que vous avez déployés dans ce domaine? Comment réagir à la promotion de la haine sur les chaînes grand public, ainsi que sur les réseaux clandestins comme Parler et Gab?
    Ce sont toutes de très bonnes questions. Elles ne sont pas faciles, loin de là.
    L'une des choses les plus troublantes que nous avons constatées au cours de cette ronde de travail — l'Institute for Strategic Dialogue effectue une grande partie de notre analyse en ligne —, c'est que, dans deux années consécutives, les internautes canadiens étaient parmi les plus actifs dans l'écosystème d'extrême droite, si vous voulez.
    Du simple point de vue quantitatif, c'est déjà problématique. Nous avons tendance à nous croire à l'abri de ce genre de discours, mais voilà. En particulier, au cours de la première ronde — celle du rapport de 2019 que nous avons fait avec l'ISD —, nous avons appris qu'ils venaient aux deuxième et troisième rangs dans deux des plateformes les plus extrêmes, Fascist Forge et Iron March. Ce sont celles qui font le plus souvent la promotion de la violence, et de la violence de masse en particulier.
    Encore une fois, quantitativement parlant, c'est là le problème. Mais c'est aussi un problème sur le plan qualitatif, compte tenu de la portée du discours, du discours vicieux qui s'adresse à des individus particuliers ou à des collectivités particulières, soit par courriel, soit par des messages destinés à un individu ou dénigrant des groupes particuliers. De toute évidence, c'est omniprésent en ligne.
    Je pense que nous devons tenir compte de l'impact que cela peut avoir sur le sentiment de collectivité, le sentiment d'appartenance et le sentiment de sécurité, également. Cela réduit au silence total les collectivités. Cela les rend moins disposées à se mettre en ligne, pour s'aligner sur notre nouvelle façon de communiquer — surtout maintenant, avec la COVID.
    Comment y faire face et comment réglementer cela? Le défi est énorme. Nous explorons la question à l'échelle mondiale depuis cinq ou six ans. Nous essayons aussi de limiter les discours les plus odieux.
    Par discours haineux, je veux dire un discours dangereux, un discours qui fait la promotion de la violence et la promotion explicite de la diffamation et qui cible des groupes particuliers. Warman c. Kouba a fait de ces types d'éléments du discours la marque de la haine.
    Je pense que nous devons exercer des pressions beaucoup plus intenses pour forcer les géants des médias sociaux à appliquer leurs normes communautaires, dont la plupart sont au moins aussi rigoureuses que nos définitions fédérales. Nous devons encourager leur utilisation. J'entends tellement de [...] venant de la recherche, mais aussi des personnes avec qui je travaille. On dénonce le discours qui semble déborder ces limites, qui... Les plaintes restent sans suite, et je pense que nous devons les talonner et les mettre sur la sellette.
    Quant aux autres plateformes, c'est là que se situe le vrai défi, car l'accès aux coins les plus sombres est plus difficile pour les chercheurs, pour la police, pour les journalistes et pour quiconque veut savoir ce qui se passe. Il y a des défis à relever de ce côté-là, parce qu'elles sont spécifiquement conçues pour contourner toutes les normes communautaires. La plupart d'entre nous ne savent pas comment y réagir. Là encore, faut-il mettre des pressions sur les domaines pour qu'ils ne les hébergent pas, comme ce fut le cas avec Parler. Je crois que c'était après les événements du 6 janvier.
    Je pense que c'est un nouveau défi qui se présente.

  (1600)  

    Merci.
    Vous avez aussi mentionné que l'EVCI cible habituellement les groupes qui sont déjà stigmatisés et marginalisés. Vous avez dit que c'est un mécanisme de pouvoir.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les groupes qui sont ciblés et la façon dont ils le sont?
    Je devrais ajouter — c'est peut-être une autre tendance dont je devrais commencer à parler — que, encore une fois, en réponse à l'article en ligne dirigé contre l'État, nous voyons une remontée vraiment spectaculaire du discours en ligne haineux contre l'État, et plus particulièrement du discours anti-Trudeau. Il ne s'agit pas uniquement de ces collectivités marginalisées. Dans ce cas, ce sont peut-être les champions de ces collectivités marginalisées qui deviennent aussi les cibles.
    Nous continuons de constater que le sentiment anti-immigrants et le sentiment antimusulman continuent de prendre de l'ampleur. Dans certaines régions du pays, le discours anti-autochtone est particulièrement populaire. Nous semblons voir une certaine recrudescence du discours antiqueer et antitrans dans certains de ces groupes également. C'est intéressant parce que les tendances en matière d'immigration, peut-être, ou l'affirmation des droits par certaines collectivités vont évoluer avec le temps. Ces groupes semblent être les cibles de prédilection ces derniers temps.
    Dans le contexte de la COVID, je pense que nous devons également soulever la question du discours anti-asiatique et de la violence.
    Enfin, j'ajouterai que l'antisémitisme est toujours présent juste en dessous ou au-dessus de la surface. C'est presque le fondement de tant d'autres formes de haine. Souvent, ces théories du complot juif servent à expliquer la méchanceté d'autrui, font dire que ce sont les Juifs qui sont responsables de la drogue dans les collectivités noires ou...
     Malheureusement, Mme Khera a écoulé son temps de parole.
    Merci.
    Nous allons devoir nous arrêter là, mais merci.

[Français]

     Madame Larouche, je vous souhaite la bienvenue au Comité.
    Vous avez la parole pour six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais remercier les deux témoins présents aujourd'hui de nous entretenir sur un sujet si important.
    Monsieur Leuprecht et madame Perry, vos remarques préliminaires ont été très instructives.
    J'aimerais poser ma première question à Mme Perry.
    Si j'ai bien compris, dans vos remarques préliminaires, vous avez expliqué le lien qu'il y aurait entre l'extrême droite et le mouvement contre les femmes. J'aimerais que vous m'en disiez davantage là-dessus.
    Vous avez aussi terminé vos remarques en abordant la question de la radicalisation dans les Forces armées canadiennes. Je sais que, en novembre 2020, l'Université du Nouveau-Brunswick a octroyé une somme de 750 000 $ à vous et à David Hofmann, qui est chercheur, afin de vous permettre d'entreprendre une étude de trois ans sur les idéologies haineuses et extrémistes au sein des Forces armées canadiennes. Selon l'annonce qui a été faite, vous auriez eu des échanges avec le général Jonathan Vance, qui était alors chef d'état-major et qui aurait fait appel à vos conseils et à votre expertise.
    Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le chef d'état-major de l'époque a fait appel à votre expertise?
    J'aimerais surtout savoir quels conseils et recommandations vous avez donnés à l'ancien chef d'état-major de la Défense. Comme l'indiquent vos recherches, le sexisme et la misogynie sont des caractéristiques courantes dans les groupes d'extrême droite.
    Qu'avez-vous conseillé au chef d'état-major, qui voulait se pencher sur ces problèmes au sein des Forces armées canadiennes?

[Traduction]

    J'aimerais signaler que je doute que vous ayez reçu 750 millions de dollars. J'ose dire que vous avez reçu 750 000 $. Si vous pouviez, si possible...

  (1605)  

[Français]

    J'ai bien dit 750 000 $, monsieur le président.

[Traduction]

    Ce doit être la faute de l'interprète, dans ce cas.
    Quoi qu'il en soit, si vous pouviez revenir à l'étude proprement dite, ce serait bien.
    Merci.
     Je vais répondre brièvement à la première. C'était la question de la misogynie dans le mouvement. Il ne fait aucun doute que la misogynie, au départ, est ancrée dans le mouvement d'extrême droite. Elle est enracinée dans le racisme, oui, et l'antisémitisme, mais aussi dans le patriarcat.
    L'un des mantras est le symbole « fourteen words », qui est bien connu, je crois. En français, il veut dire: nous devons assurer l'existence de la race blanche et un avenir à nos enfants. Pour y arriver, nous devons contrôler nos femmes, et en particulier leur sexualité. Cela s'applique également à d'autres éléments du mouvement.
    Nous constatons que cela se poursuit au sein du mouvement. Il y a donc un certain chevauchement. Je devrais dire que, dans tous ces domaines, il y a un certain chevauchement entre ce que nous considérons comme le mouvement de l'incel et le mouvement de l'extrême droite, mais que tous les activistes de l'incel ne sont pas nécessairement d'extrême droite.
    Quant au travail concernant les Forces armées canadiennes, c'est très tôt pour nous. Nous attendons toujours l'approbation pour l'éthique de la recherche au niveau universitaire. Nous avons un chercheur postdoctoral qui mène un travail indépendant avec une subvention ciblée d'engagement du ministère de la Défense nationale également, qui porte plus précisément sur les interventions de politique.
    Je m'en tiendrai aux domaines, sans entrer dans les détails, parce que nous voyons des problèmes ceux qui sont déjà dans le mouvement et qui s'enrôlent dans les Forces armées, souvent dans la réserve, pour avoir l'entraînement dont ils estiment avoir besoin et qu'ils peuvent ramener dans le mouvement. Nous constatons déjà des problèmes au fur et à mesure de l'enrôlement. Nous voyons des problèmes avec le recrutement pendant qu'ils sont dans les forces, puis nous voyons des problèmes avec les anciens combattants, des gens qui ont quitté l'armée et qui cherchent un endroit familier où se réfugier. Très souvent, ils sont séduits par les promesses du mouvement.
    Nous étudions les stratégies dans chacun de ces trois domaines pour ce qui est des outils de dépistage précoce, ainsi que des moyens de surveiller et de repérer la radicalisation après le recrutement. Il y a aussi un écart entre le ministère des Anciens Combattants et les Forces armées canadiennes après qu'ils les ont quittées, pour ce qui est du soutien qu'ils obtiennent dans ce domaine en particulier; c'est donc un autre aspect à développer, je pense.
    Comme vous le savez, le ministère de la Défense nationale et toutes les directions générales ont désigné ou créé de nouvelles ordonnances concernant la conduite haineuse et la participation à des groupes identifiables — je n'ai pas dit groupes « identifiés », mais « identifiables » — caractérisés par une conduite haineuse, et notre tâche consistera notamment à aider à opérationnaliser ces ordonnances ou à trouver des moyens de le faire également.
    Merci de vos questions.

[Français]

     Il y a donc un lien entre cette radicalisation et la culture de masculinité toxique, c'est-à-dire la domination de l'homme, comme vous le dites, que l'on déplore beaucoup dans les Forces armées canadiennes. C'est ce que j'entends de votre discours et des études que vous êtes en train de mener.

[Traduction]

    Oui, nous avons certainement vu cela du côté de l'extrême droite en général. La combinaison de l'hypermasculinité associée à l'extrême droite et de l'hypermasculinité associée à la culture militaire est quasiment la bonne recette. Les formes de masculinité au sein de l'armée qui ont favorisé cette culture d'oppression sexuelle soulignent et exacerbent les formes toxiques de masculinité dont vous parlez. C'est doublement dommageable et dangereux.
    Merci, madame Larouche.
    Monsieur Harris, vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier Mme Perry et M. Leuprecht de leur analyse et de leur exposé.
    Permettez-moi de commencer par M. Leuprecht.
    Merci de votre analyse, comme toujours concise et incisive. Vous nous avez dit que les ressources que la société consacre à la protection du public seraient plus profitables pour des choses plus traditionnelles que la douzaine de causes de radicalisation des particuliers. Cela nous aide.
    Puis-je vous poser une question au sujet des militaires, même si vous n'en avez pas parlé? J'ai des questions pour Mme Perry, mais étant donné que vous êtes professeur au Collège militaire royal, qu'avez-vous à nous dire sur le fait que des personnes ont été identifiées lors de certains événements, notamment à Rideau Hall, impliquant des militaires? Mme Perry vient de mentionner qu'un problème au niveau du recrutement est que parfois certains se font militaires pour cette raison, mais j'ai entendu récemment des dirigeants militaires dire que le problème est plus répandu qu'ils ne le croyaient.
    Que pensez-vous de cela, dans votre perspective d'enseignant au collège militaire, et de ce que l'armée devrait faire pour cela?

  (1610)  

    Quelle belle question, monsieur Harris!
    Bien entendu, les Forces armées canadiennes sont une institution chargée de défendre notre mode de vie. Il y a des comportements qui ne sont pas acceptables dans les Forces armées canadiennes, mais qui pourraient l'être dans la société civile. Ils pourraient être choquants, mais acceptables. Voilà mon premier point au sujet des forces armées.
    Le deuxième point est que nous savons, au fond, qu'il y a un effet de sélection dans les Forces armées canadiennes, et que cet effet de sélection comporte certaines dimensions idéologiques, certaines dimensions régionales, et ainsi de suite. Mais, selon moi, il ne convient pas de voir et de représenter sans nuances les Forces armées canadiennes — une institution qui a démontré son engagement total envers la défense de notre mode de vie — et d'associer l'ensemble de l'institution à une forme quelconque d'idéologie de droite.
    Oui, l'institution a un défi à surmonter avec certains aspects de la culture institutionnelle, mais je m'oppose personnellement à ce qu'on associe cela aux idiosyncrasies et à l'idéologie de droite. De nombreux enjeux sont à prendre en compte dans la culture institutionnelle des Forces armées canadiennes.
    Je rappellerais également que les particuliers membres des Forces armées canadiennes dont nous parlons sont, sauf erreur, tous des réservistes. Ce sont des réservistes de divers types qui ont fait des séjours variables dans les Forces armées canadiennes. Certains en sont sortis puis sont revenus. Dans l'ensemble, les forces armées ont fait un assez bon travail d'identification de ces personnes ou n'ont pas tardé à intervenir à leur égard, lorsqu'elles ont pris connaissance de ces problèmes.
    Il y a certainement un problème qui commande une intervention proactive. Je sais que l'Australie et les États-Unis ont intensifié leurs efforts pour identifier les personnes justement pour les raisons que Mme Perry a exposées: la propension de certains d'entre eux à s'enrôler précisément pour recevoir le genre d'entraînement que nous ne voudrions jamais donner à quelqu'un qui a cette perspective de la vie. Mais je pense que nous nous sommes montrés raisonnablement résilients et que l'organisation s'est montrée résiliente également face aux personnes qui s'enrôlent pour des raisons antidémocratiques.
    Je séparerais la question de la culture institutionnelle de celle de l'idéologie.
     Merci, monsieur Leuprecht.
    Madame Perry, vous avez mentionné la notion de masculinité toxique. C'est aussi une question de culture, évidemment, que l'on retrouve dans les institutions. Le juge Bastarache nous a dit qu'elle existait dans la Gendarmerie royale du Canada avec la misogynie, l'homophobie et d'autres aspects de la masculinité toxique qu'il a nommés, et que le changement de culture était très difficile.
    Jusqu'à maintenant, diriez-vous que vous aurez l'accès qu'il vous faut pour mener une bonne enquête sur cette question au sein de l'armée?
    En tout cas, nous avons l'appui de la haute direction. La question sera de savoir si nous pouvons nous assurer la participation de tout le personnel des forces armées. Nous commencerons par une série d'entrevues avec des gens de différents niveaux, espérons-le, dans la majorité des bases au pays, ainsi qu'avec les travailleurs sociaux, les aumôniers et ce genre de personnes. Ensuite, nous mènerons un sondage.
    Le sondage sera intéressant. Nous n'obtiendrons peut-être pas toute la participation que nous souhaiterions, ce qui est de toute façon la nature de la recherche par sondage. Nous sommes optimistes pour la phase des entrevues en particulier.

  (1615)  

    Madame Perry, vous avez un graphique intéressant qui indique la répartition de l'extrême droite au Canada. Je vois qu'il n'y a aucun groupe à Terre-Neuve-et-Labrador. C'est une bonne nouvelle pour moi.
    Dites-nous, brièvement, quelle est la manosphère, que vous avez désignée comme l'une des catégories de l'extrême droite?
    C'est l'élément misogyne, qui recoupe souvent les mouvements incels. Les parties du mouvement qui sont particulièrement... Les mots « masculinité toxique », nous font penser au pire des pires aspects du mouvement. Cette misogynie vise surtout à entraver les femmes et à limiter leurs droits, et surtout à favoriser non seulement la violence physique, mais encore la violence sexuelle contre les femmes, souvent sur leur propre terrain, au sein du mouvement lui-même et au sein de groupes particuliers.
    Merci, monsieur Harris.
    Chers collègues, le prochain tour est de 25 minutes. Il nous en reste moins de 15, et je vais donc exercer la prérogative de la présidence et limiter les interventions à trois minutes chacune pour les deux premières, à une minute et demie pour les trois suivantes, puis à trois minutes pour les deux dernières.
    Les libéraux doivent m'indiquer qui sera leur deuxième intervenant.
    Nous allons commencer un tour de trois minutes avec M. Kurek.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur comparution. Vos exposés ont été des plus intéressants, et j'ai eu la chance de prendre connaissance de certains de vos travaux.
    Monsieur Leuprecht, selon vos recherches, la bravade en ligne serait un mauvais prédicteur de l'extrémisme violent individuel. Je ne pense pas que vous dites qu'il n'y a pas de lien, mais seulement que ce n'est pas un bon indicateur à utiliser pour prédire la violence. Je pose cette question dans l'optique d'un élu et dans le contexte de ma présence en ligne. J'ai certainement vu beaucoup de contenu extrême, dont certains éléments m'étaient adressés à moi.
    Pourriez-vous nous en parler davantage et nous dire si je résume bien les conclusions de votre recherche?
    Si vous considérez la quantité de recherches que Mme Perry a réunies, s'il y avait un lien, même faible, entre bravade et violence, nous pourrions nous attendre à voir beaucoup plus de violence au Canada. Cela nous indique qu'il nous faut une approche beaucoup plus nuancée.
    Nous pouvons intervenir à quatre niveaux différents. Il y a d'abord la question des enquêtes criminelles sur les personnes qui se livrent à ce genre de comportement. Les trois autres sont des conversations que nous devrons avoir de façon plus agressive.
    Quels sont les obstacles économiques et psychologiques que notre société a mis en place pour empêcher les gens, ceux qui font de la bravade, etc., de passer à l'acte?
    Que pouvons-nous faire de certains éléments de la collectivité, où l'on trouve de petits groupes et que nous pouvons identifier, pour leur tenir un contre-discours, pour leur raconter un meilleur récit? C'est une occasion à saisir, en particulier avec les jeunes que nous croyons pouvoir influencer.
    Nous devons aussi retourner la situation: s'il y a si peu de « 1 », mais d'innombrables « 0 », qu'est-ce que notre société fait de bien pour se rendre résiliente aux consommateurs de cette prolifération de haine en ligne? Sur ce plan, le Canada a mieux fait que certains de nos pays partenaires, par exemple, et nous devons nous concentrer sur les mesures proactives que nous avons mises en place en tant que société.
     Je m'inquiète de la politisation de cette question qui semble présenter nos façons de la décrire davantage comme question politique que comme question d'application de la loi. Auriez-vous des commentaires là-dessus? Je sais que le temps est compté.
    Très brièvement, je vous prie.
    Je vais répondre très brièvement que, malgré la prolifération de groupes — et Mme Perry pourra peut-être commenter le contexte canadien — aux États-Unis, la vaste majorité des messages en ligne sont générés par un groupuscule de personnes. Ce n'est pas un problème de distribution aléatoire à l'échelle de la société. C'est très concentré parmi un petit nombre de personnes extrêmement agressives et proactives dans cet espace et un grand nombre de fidèles disciples.

  (1620)  

    Merci.
    Madame Damoff, s'il vous plaît. Vous avez trois minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Selon les rapports du SCRS, depuis 2014, 21 personnes ont été tuées et 40 autres ont été blessées en sol canadien à cause de l'idéologie extrémiste. De toute évidence, le SCRS a un problème avec ce qui se passe.
    Madame Perry, le mois dernier, vous avez déclaré que l'extrême droite est devenue plus habile à intégrer les doléances de la population dans son propre discours et à les exploiter pour accroître le nombre de ses disciples. J'ai récemment lu White Fragility, dont l'auteur cite le neveu de David Duke. Celui-ci estime que le mouvement doit changer son discours traditionnel, qui consiste à réclamer la fin de toute forme d'immigration, la mobilisation contre l'action positive et la fin de la mondialisation, puisque ces positions sont plus acceptables aux yeux de la population à condition qu'elles ne soient pas dénoncées comme étant celles de nationalistes blancs.
    Vous avez parlé plus tôt du sentiment anti-Trudeau. On entend parler de tyrannie et de corruption. Souvent, les gens qui utilisent cette terminologie se disent « patriotes ». Pourriez-vous nous parler un peu de vos préoccupations à ce sujet.
    Là aussi, il faut placer les choses dans un contexte plus large. Les événements du 6 janvier aux États-Unis nous rappellent le risque de passer outre ce genre d'antiétatisme. Il est vrai qu'on avait aussi affaire à un dirigeant politique qui était une sorte de menace à la démocratie, si vous voulez.
    Cependant, je pense que, dans le contexte canadien, le sentiment anti-Trudeau que nous observons chez la droite contribue à des doléances semblables qui émanent aussi de la société dominante. Nous constatons que l'extrême droite s'approprie graduellement les problèmes courants de la société, les réinterprète et les remet en circulation.
     Nous l'avons vu avec le mouvement des gilets jaunes, qui s'est bâti autour d'un ensemble de préoccupations tout à fait légitimes exprimées à l'endroit de l'industrie pétrolière en particulier. Le même processus s'applique ici dans le contexte du confinement.
    Quand on parle du sentiment anti-Trudeau, on ne fait pas allusion aux différences de sensibilité politique. On parle de gens qui croient vraiment que le premier ministre devrait être arrêté et emprisonné.
    Oui, à cause de la litanie de crimes qu'on lui reproche et dont on le juge coupable. On ne parle pas seulement du confinement ou de sa mauvaise gestion de la COVID. On le dit responsable de « l'immigration débridée », de l'accueil de « réfugiés dangereux », et de ce genre de choses, presque suivant le modèle des trumpismes aux États-Unis.
    C'est la terminologie que les tenants de la suprématie blanche aux États-Unis veulent utiliser pour se rendre plus attrayants auprès des masses.
    Oui, cela obéit à un travail d'aseptisation.
     Vous avez parlé de David Duke et c'est ce que nous avons vu avec lui dans les années 1980, quand il a lancé: « Jetez vos tuniques blanches et enfilez vos complets d'affaires. » C'est la même chose maintenant. On se trouve face à une sorte de blanc-alternatif, à des gens qui maîtrisent la banalisation de la haine, qui aseptisent leur discours et qui peuvent ainsi mieux faire passer leur discours et leur apparence.
    Merci, madame Damoff.

[Français]

     Madame Larouche, vous avez la parole pour une minute et demie.
    Je vous remercie.
    D'abord, madame Perry, vous avez abordé la question de la culture du port d'armes en parlant de la radicalisation de groupes paramilitaires ou d'extrême droite.
    Quel est le lien entre la radicalisation de ces groupes et la culture du port d'armes?
    Ensuite, quelle solution voyez-vous pour contrer cette culture qui pourrait permettre, que ce soit en ligne ou non, la radicalisation de certains groupes?
    Monsieur Leuprecht et madame Perry, pour mon dernier tour, j'aimerais que vous répondiez tous les deux à ma question.

[Traduction]

    Je vais répondre à la première partie de la question, et peut-être que M. Leuprecht pourra répondre à la deuxième partie.
    M. Leuprecht a parlé de la défense du mode de vie, ce qui peut pousser certains à vouloir prendre les armes, à défendre leur mode de vie tel qu'ils le perçoivent, mais dans un contexte, je crois, très différent de ce dont parlait M. Leuprecht. Nous, nous voulons défendre l'équité, l'inclusion, et le respect de l'inclusion. Pour eux, ces valeurs sont des menaces dont la perception alimente une attitude défensive qui constitue le fondement de l'appel aux armes auquel nous assistons.
    Je vais vous laisser répondre à la question sur les mesures prises.

  (1625)  

    Il ne pourra malheureusement pas le faire, parce que nous sommes en retard. J'en suis désolé.
    Monsieur Harris, vous avez une minute et demie.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Perry, à la fin de votre exposé, vous avez dit que l'antisémitisme n'est pas vraiment une considération secondaire, mais qu'il ne fait pas partie de vos préoccupations. Cependant, nous avons rencontré des membres de la communauté juive qui sont très préoccupés par la montée de l'antisémitisme constatée ces dernières années — depuis au moins quatre ou cinq ans, disons —, et qui craignent pour leur sécurité à cause des agressions et des menaces dont ils sont les cibles directes.
    Faites-vous le même constat ou s'agit-il de quelque chose de différent de l'extrémisme de droite dont nous parlons? Que peut-on faire à ce sujet?
    Comme je l'ai dit, c'est le fondement de tant d'autres choses qui sont associées à l'extrême droite, mais vous avez tout à fait raison, tous les indicateurs — des rapports de B'nai Brith aux données officielles dont nous disposons — pointent dans le sens d'une augmentation spectaculaire de l'antisémitisme au cours des cinq dernières années. Il est certain qu'au cours des trois ou quatre dernières semaines, avec l'intensification des activités au Moyen-Orient, nous avons assisté à une augmentation vraiment spectaculaire des attaques en ligne, ainsi que des attaques physiques contre les communautés juives partout au pays, ce qui en fait un problème de taille.
    Les discours liés à la COVID ne sont pas seulement anti-asiatiques, ils sont aussi antisémites. Le conspirationnisme traditionnel montre de nouveau son hideux visage.
    Nous allons devoir nous arrêter ici, malheureusement.
    Monsieur Van Popta, vous avez trois minutes, puis M. Fisher terminera le tour avec trois minutes.
    Monsieur Van Popta, c'est à vous.
    Trois minutes, ce n'est pas beaucoup pour parler de sujets aussi importants, mais j'ai une question pour M. Leuprecht.
     Merci de votre témoignage. Vous avez parlé d'une pyramide. Vous pourriez peut-être nous en dire un peu plus à ce sujet. J'ai noté qu'en remontant à partir de la base de la pyramide, on trouve les activistes aux comportements éventuellement répréhensibles, puis les radicaux, aux comportements illégaux, puis les terroristes.
    Dans une réponse précédente à la question de M. Kurek, vous avez dit que la bravade en ligne n'est pas un bon prédicteur du passage à l'extrémisme, mais alors qu'est-ce qu'un bon indicateur permettant de savoir quand quelqu'un est sur le point de monter d'un cran dans la pyramide?
    C'est la question à 1 million de dollars, et cela, je pense, montre que le phénomène est mal connu. Il y a deux semaines, le témoin de la GRC a parlé de 273 cas en 2019 et 2020. Combien de ces cas ont donné lieu à des poursuites? La tentative d'attaque contre l'Assemblée législative de Victoria fait-elle partie de ces statistiques? J'ai l'impression que oui, mais c'est une question qui relève du renseignement de sécurité, et il s'avère que, du côté du renseignement criminel, nous ne faisons peut-être pas un si bon travail. Nous pouvons aussi déduire que ce n'est pas un problème aussi grave justifiant les ressources que nous y consacrons. Il nous est plus facile de l'appréhender parce qu'il est visible et qu'il provoque chez nous une réaction viscérale. La plupart des gens qui vivent dans une démocratie ont ce genre de réaction viscérale, mais le phénomène demeure très marginal.
     Je pense que nous devons faire un effort de mémoire et repenser à ce qui se passe aux États-Unis. Les États-Unis sont une société très polarisée, qui l'a toujours été, et leurs propres institutions politiques le confirment. Au Canada, nous avons des institutions politiques qui nous ont contraints à adopter un grand nombre de points de vue à l'origine d'un processus institutionnel plus modéré et plus conciliateur. Nous assisterons toujours à un certain débordement des points de vue américains chez nous, mais dans l'ensemble, notre société a mieux réussi à modérer les points de vue extrêmes et à les réconcilier avec notre courant politique dominant.
    Vous ne pourrez pas répondre à cette question en 30 secondes, mais vous avez dit qu'il serait peut-être bien, du point de vue de la sécurité publique canadienne, d'habiliter le SCRS. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
     Je pense qu'en général, nous avons une approche relativement homéopathique dans ce pays à l'égard de toutes les questions de sécurité nationale. Si nous améliorions les capacités, les moyens et les compétences générales de nos organismes de sécurité nationale — tant en matière de renseignement criminel que de renseignement de sécurité —, cela aurait des avantages accessoires pour toute la gamme des menaces à la sécurité publique, dont l'extrémisme violent à caractère idéologique. Bien entendu, cela est essentiel dans une société très diversifiée où les gens ne peuvent pas s'opposer les uns aux autres en raison de points de vue, d'opinions ou d'antécédents différents.

  (1630)  

    Merci, monsieur Van Popta.
    Monsieur Fisher, vous avez les trois dernières minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Madame Perry, il est juste de dire que certaines personnes sont plus susceptibles d'être radicalisées que d'autres. Je pense que vous en avez parlé. Vous avez donné l'exemple de l'hypermasculinité. Madame Damoff, vous avez parlé des griefs et des choses qui incitent les groupes d'extrême droite à faire ce qu'ils font.
    Je m'intéresse au fait que ces groupes ont tendance à détourner un mouvement. Qu'il s'agisse d'un gilet jaune, d'un anti-masque ou d'un antivaccinaliste, tous ces contestataires n'ont pas nécessairement leurs propres... ils cherchent à gagner en importance en se joignant à un mouvement et en le détournant à leurs propres fins.
    Malheureusement, nous n'avons que quelques minutes, mais j'ai pensé que vous pourriez peut-être nous parler de certains de ces phénomènes.
    C'est exactement comme vous venez de le décrire. Ils ont leurs propres idéologies. Je ne dirais pas qu'ils sont « cohérents », mais ils ont souvent une fondation. Afin de rendre leurs positions plus attrayantes pour un plus vaste public, ils exploitent des doléances et des angoisses très typiques, normales, banales et quotidiennes, qu'elles soient d'ordre économique, culturel ou même physique sous l'angle des menaces de nature criminelle qu'elles représentent ou, dans ce cas, sous l'angle de la COVID, qui est la menace de la maladie.
    Ils exploitent des racontars et les expliquent souvent dans une perspective raciste, migratoire ou même sexiste. Je pense que c'est là que réside le danger de voir entrer des gens de façon fortuite dans de tels mouvements.
    C'est un peu comme la haine anti-asiatique qui prend de l'ampleur au Canada.
    Oui, les complotistes partent d'un problème médical ou social perçu qu'ils expliquent d'un point de vue raciste.
    Vous avez parlé de l'incidence de la COVID sur nous tous. Nous avons parlé de réunions virtuelles plutôt que de réunions en personne.
    Dites-moi quel impact cela a pu avoir sur certains de ces groupes de droite. Je crois avoir lu quelque part qu'en raison de la COVID, certains d'entre eux sont devenus inopérants, mais je me demande s'ils ne sont pas simplement plus difficiles à voir.
    Je pense qu'ils sont en fait plus visibles en ligne. C'est ce que nous constatons. Il y a plus d'activités en ligne et moins d'activités en personne parce que, croyez-le ou non, la plupart d'entre eux respectent la consigne de rester chez soi.
    Ils sont très actifs et très présents en ligne. Certains sont plus faciles à voir que d'autres. Même les Proud Boys, qui ont été désignés groupe terroriste, se sont rebaptisés. À Hamilton, par exemple, ils sont devenus les Canada First. Je pense que, si nous les poussons vers la clandestinité, ils vont réémerger sous une autre forme.
    The Base et Atomwaffen ont également été désignés groupes terroristes. Je ne pense pas qu'ils iront nulle part, parce que ce sont les cas les plus extrêmes. Ce sont les pires parmi les pires. Ils se cramponnent plutôt que de se dissoudre. Ils sont là. Je ne vous conseillerais pas d'aller les chercher, mais si vous allez les chercher, ils sont faciles à trouver.
    Merci, monsieur Fisher.
    Chers collègues, malheureusement, cela nous amène à la fin de cette heure. Je suis sûr que vous aimeriez beaucoup que cette heure se poursuive, tout comme moi. J'aimerais beaucoup pouvoir poser d'autres questions, mais le temps est notre ennemi. Au nom du Comité, je remercie Mme Perry et M. Leuprecht pour leur analyse très réfléchie, éclairée et très compétente. Ce serait un plaisir de vous faire revenir, mais je ne sais pas quand nous en aurons l'occasion. Encore une fois, merci beaucoup.
    Nous allons suspendre la séance pendant que Mme Perry et M. Leuprecht quittent la salle, et que MM. Gurski et Geoffroy s'installent.
    La séance est suspendue pour une minute ou deux.

  (1630)  


  (1635)  

    Nous reprenons la séance.
    Merci d'avoir accepté notre invitation, qui, pour l'un de vous, a été envoyée à très court préavis. Nos deux témoins sont énumérés dans l'ordre de priorité.
    Nous allons commencer par M. Gurski, analyste du renseignement canadien à la retraite, puis nous passerons à Martin Geoffroy, directeur et professeur-chercheur.
     Monsieur Gurski, vous avez sept minutes.
     Merci beaucoup, monsieur le président, de m'avoir invité aujourd'hui, comme vous l'avez dit, selon un préavis plutôt court. J'ai reçu la nouvelle tout à l'heure, un peu avant midi, mais je suis très touché d'être invité à témoigner aujourd'hui. J'ai eu l'occasion d'écouter les témoignages des personnes qui m'ont précédé, et j'aimerais faire quelques remarques préliminaires et quelques observations de fond dans les sept minutes qui me sont imparties.
    J'ai travaillé pendant 32 ans dans le domaine du renseignement de sécurité au Canada, tant pour le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, que pour le Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS. Les remarques que je vais vous faire aujourd'hui sont fondées sur cette expérience. Je ne suis pas un universitaire, même si j'ai écrit six livres sur le terrorisme depuis mon soi-disant départ à la retraite du SCRS en 2015. Mon expérience de l'examen de l'extrémisme violent, de la radicalisation et du terrorisme découle du fait que j'ai travaillé à plusieurs centaines d'enquête quand j'étais au SCRS, à titre d'analyste stratégique.
    Cela dit, je suis à la retraite depuis six ans, ce qui signifie que je n'ai pas eu quotidiennement accès au renseignement depuis plus d'une demi-décennie. Je demanderais cependant aux membres du Comité de considérer que mes connaissances ne sont pas aussi dépassées que cela. Je ne pense pas que beaucoup de choses ont changé depuis 2015, mais il est important de comprendre que les remarques que je vais vous faire aujourd'hui sont en partie fondées sur mon expérience historique des enquêtes en contre-terrorisme au Canada et à l'étranger, et qu'elles datent d'un peu moins de six ans.
    Pour vous dire bien franchement, j'ai été un peu surpris en apprenant de la bouche des témoins précédents — que je connais très bien et pour lesquels j'ai beaucoup de respect — qu'en 2021, on ne parle plus du problème on ne peut plus évident qu'est celui de l'extrémisme islamiste. Si vous lisez les manchettes dans la presse quotidienne du monde entier — et je ne parle pas seulement de l'Afghanistan, de la Somalie, du Nigeria ou du Sahel, mais aussi de l'Europe de l'Ouest et d'autres pays comme les États-Unis, etc. —, vous constaterez qu'il ne se passe pas une seul jour sans qu'il y ait une attaque ou une arrestation en lien avec le terrorisme islamiste.
    Si vous consultez le Global Terrorism Index, qui est la meilleure source d'information au monde — il publie un rapport annuel sur le terrorisme —, vous verrez que 99,4 % de toutes les attaques terroristes perpétrées annuellement dans le monde sont attribuables à ce que nous appelons des adeptes de l'extrémisme islamiste. Vous remarquerez que j'utilise le terme « extrémisme islamiste ». Je ne suis pas un grand partisan du nouveau concept d'EVCI ou extrémisme violent à caractère idéologique. Je pense qu'on sacrifie ainsi l'exactitude sur l'autel de je ne sais trop quoi, mais à mon avis, on ne peut pas régler un problème à moins de le nommer correctement. C'est pourquoi nous parlons d'extrémisme d'extrême droite, d'extrémisme d'extrême gauche. C'est pourquoi nous parlons d'extrémisme islamiste, d'extrémisme hindou en Inde ou même d'extrémisme bouddhiste, terme qui devrait être un oxymore. Et pourtant, il y a bien des terroristes bouddhistes dans le monde.
    J'aimerais revenir un peu en arrière. Cette terminologie n'existait pas quand je travaillais au SCRS. Elle a fait son apparition après ma retraite. Je ne vais pas tirer de conclusions à partir de cela, mais je recommande que nous appelions un chat un chat et que nous soyons aussi précis que possible.
    Je ne suis pas en désaccord avec Christian Leuprecht du CMR — que je connais depuis très longtemps — quand il dit que c'est un problème secondaire. Il a tout à fait raison, dans une certaine mesure. Il est vrai que le Canada n'a pas beaucoup été confronté au terrorisme au cours de ses 154 années d'existence. En fait, je viens de publier un livre intitulé « A history of terrorism in Canada from Confederation to the present », et je peux vous dire que les attaques de cette nature ont été rares chez nous.
    D'un autre côté, la raison pour laquelle il y a eu si peu d'attaques, c'est que le SCRS et la GRC ont réussi à déjouer des complots très importants. Le week-end dernier, vous avez peut-être vu les articles du Global Media et du National Post au sujet d'un certain Zakaria Amara qui a demandé une libération conditionnelle. Il était membre des 18 de Toronto, une affaire que j'ai suivie du tout premier jour jusqu'à l'arrestation du groupe en juin 2006. Rien ne s'est passé grâce à la GRC et au SCRS. Si ce groupe avait réussi à mener son attaque, probablement en août 2006, il aurait tué des centaines de personnes et en aurait blessé des milliers, mais nous les avons tous arrêtés.
    S'agissant de statistiques, nous devrions, je pense, nous réjouir du fait que notre pays ne souffre pas régulièrement d'attaques terroristes réussies, ce qui est vrai. Nous n'avons tout simplement pas les chiffres critiques des autres pays, mais ne perdons pas de vue le fait que beaucoup de complots ont été déjoués. Quand on travaille dans le domaine du renseignement de sécurité, on se rend compte que personne ne se soucie de savoir quand on fait bien les choses. Personne ne se soucie de savoir quand on arrête une attaque. Les gens s'en soucient seulement quand l'attaque n'a pas été arrêtée, et c'est à ce moment-là qu'ils pointent du doigt. Pourquoi ne l'avez-vous pas arrêté? Pourquoi n'avez-vous pas recruté de sources?

  (1640)  

    Je suis d'accord avec les témoins précédents pour dire que, s'agissant de terrorisme considéré en tant que priorité nationale, nous n'avons pas le niveau de criticité de beaucoup de nos partenaires dans le monde. Je vais vous citer une statistique qui devrait fort bien illustrer cela, à mon avis. L'équivalent du SCRS au Royaume-Uni est le MI5, le British Security Service. Au cours des dernières années, le MI5 a déclaré publiquement que 23 000 personnes d'intérêt et 30 complots simultanés de menace à la vie étaient inquiétants. Imprégnons-nous de ces chiffres pendant une seconde: 23 000 personnes capables de commettre un acte de terrorisme et 30 complots réels. Quand j'étais au SCRS, nous menions en permanence quelques centaines d'enquêtes de front. Nos statistiques ne correspondent tout simplement pas à celles de nos alliés.
     Plus important encore, l'un des témoins précédents a dit que les gens parlent plus qu'ils n'agissent, et c'est vrai. Il y a beaucoup plus de bravaches, de fanfarons que de gens qui passent aux actes. Beaucoup parlent et ne joignent jamais le geste à la parole, mais on ne sait d'ailleurs pas qui va joindre le geste à la parole tant qu'il n'y a pas eu enquête. Il n'y a pas de prédicteurs fiables à cet égard, et c'est pourquoi on fait des enquêtes. C'est pourquoi on étudie les individus, c'est afin de déterminer si c'est du sérieux ou simplement des menaces en ligne ou en personne pour se donner un air important, pour présenter ses doléances ou pour faire part de sa colère envers la société. C'est pourquoi il y a le SCRS et la GRC.
    Vous ne serez pas surpris d'apprendre que je suis un grand partisan du SCRS. J'y ai travaillé pendant 15 ans. Je suis un ardent défenseur de la GRC. Je pense que ces organisations font un excellent travail en notre nom. Je pense qu'en fin de compte, elles doivent disposer de ressources adéquates. Même si le problème n'est pas aussi aigu que dans de nombreux autres pays, cela ne veut pas dire qu'il a disparu.
    Mme Perry a parlé de l'extrême droite. Je n'ai pas grand-chose à dire sur l'extrême droite, car ce n'était pas ma spécialité. Il existe divers courants d'extrémisme violent, de mouvements terroristes, au Canada et à l'étranger, qui représentent toujours une menace pour la sécurité nationale des pays.

  (1645)  

    Malheureusement, nous allons devoir en rester là.
    J'espère seulement que le pays a les ressources nécessaires pour s'en occuper.
    Merci.
    Merci.
    Madame Larouche.

[Français]

     À quelques reprises, les interprètes ont eu de la difficulté à comprendre M. Gurski. Je ne sais pas s'il peut ajuster son micro ou son casque d'écoute.
    Je vous remercie, madame.

[Traduction]

    Les interprètes pourraient peut-être nous dire à l'avenir, quand M. Gurski répondra aux questions, s'il y a un problème dû à son microphone, à son inflexion ou à quelque chose de ce genre.
    N'oubliez pas, afin que nous puissions intervenir.
    Monsieur Geoffroy, vous avez la parole.

[Français]

    Oui.
    Vous avez la parole pour sept minutes, s'il vous plaît.
     Je pense que ma collègue Barbara Perry, qui s'intéresse comme moi à l'extrême droite, a fait des recherches portant surtout sur l'apparition de l'extrême droite en ligne. Récemment, mon centre de recherche, le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation, ou CEFIR, qui est situé à Longueuil, près de Montréal, a publié une recherche sur l'extrême droite au Québec.
    Or ce n'était pas une recherche sur l'extrême droite en ligne. En effet, on fait beaucoup de recherche à ce sujet, mais on en fait très rarement sur des événements liés à l'extrême droite qui ont eu lieu dans la réalité, c'est-à-dire dans la rue. Quand j'ai commencé cette recherche, j'ai été fasciné de voir qu'avant la recherche que nous avions faite au CEFIR, il n'y avait pratiquement jamais eu d'ouvrages scientifiques, notamment sur le Québec, dans lesquels on tentait de déterminer combien d'événements liés à l'extrême droite étaient survenus au Québec. C'est ce que nous avons fait dans le cadre de cette recherche. Nous avons établi une chronologie des événements liés à l'extrême droite survenus au Québec au cours des 10 dernières années, soit de 2010 à 2020.
    Comme je l'ai dit, la plupart des recherches qui ont été faites portent sur les apparitions en ligne. Cela représente une difficulté. Comme mon collègue M. Gurski le disait tout à l'heure,

[Traduction]

... beaucoup parlent et ne joignent jamais le geste à la parole.

[Français]

    Tenir des propos haineux en ligne est une chose, mais passer à l'acte, dans la réalité, en est une autre. C'est ce que nous avons voulu mesurer. Nous en avons surpris plusieurs en révélant qu'il y avait eu au Québec, au cours des 10 dernières années, 521 événements liés à des groupes d'extrême droite. Je pourrai répondre à vos questions plus en détail tout à l'heure, étant donné que c'est une vaste étude que nous avons menée et que le processus a été assez long. Nous vous avons remis quelques documents qui traitent des groupes les plus actifs. Les courbes indiquent une augmentation en 2017 en raison notamment de l'attentat à la grande mosquée de Québec et des événements entourant la charte des valeurs québécoises. Il y a eu une remontée de l'extrême droite pendant cette période.
    La courbe statistique que nous avons établie permet de constater qu'il y a eu une légère baisse en 2019. Il y a eu une très importante remontée en 2020, pendant la pandémie. La « nébuleuse » de l'extrême droite, au Québec, a un peu profité de la pandémie.
    En parallèle avec nos travaux sur l'extrême droite, nous faisons des études sur les mouvements qui s'opposent aux mesures sanitaires et qui prônent les théories du complot. Nous avons constaté, dans le cadre de nos recherches sur les groupes d'extrême droite, que la plupart d'entre eux s'étaient pour ainsi dire recyclés en 2020 en se joignant au mouvement antisanitaire. D'anciens membres de groupes d'extrême droite qui n'existent pratiquement plus aujourd'hui constituent une grande partie de ce que nous appelons les GAMS, soit les groupes contre les mesures sanitaires. C'est le cas, par exemple, des groupes Storm Alliance et La Meute. Beaucoup de gens qui faisaient partie des groupes La Meute ou Storm Alliance en 2018 ou 2019 sont maintenant parmi les leaders des groupes contre les mesures sanitaires.
    Au fond, notre recherche indique qu'il y a une montée des événements liés à l'extrême droite, pas nécessairement en ligne, mais plutôt dans la réalité. Il peut s'agir de toutes sortes d'événements, aussi bien de manifestations que de graffitis haineux ou de harcèlement en ligne. Ce sont des gestes réels qui sont posés, et non des propos qui sont tenus en ligne. Il peut même s'agir d'actes terroristes. Très souvent, c'est du harcèlement qui implique des adversaires ou de l'intimidation. En 2018, j'en ai moi-même fait l'expérience alors que je donnais une conférence au cégep Édouard-Montpetit. En effet, pendant un colloque sur l'extrême droite, les groupes La Meute et les Soldats d'Odin sont venus chahuter et nous intimider. Nous avons passé toute une journée en leur compagnie. Il s'agit là de tactiques d'intimidation. C'est d'ailleurs indiqué dans notre répertoire qui fait état des 521 événements survenus.

  (1650)  

     Finalement, au Québec, on constate une augmentation des manifestations en personne liées aux groupes d'extrême droite, ainsi qu'une augmentation de la violence. En effet, l'année 2020 a été la plus violente.
    J'ai été surpris d'entendre ma collègue Mme Barbara Perry dire, tout à l'heure, que les gens de la mouvance d'extrême droite obéissaient aux mesures sanitaires. Je ne sais pas si le Québec est encore une fois une société distincte en la matière, mais moi, je dirais plutôt que les gens de la mouvance d'extrême droite, au Québec, sont vraiment contre les mesures sanitaires. Ils ont même été les leaders des mesures antisanitaires. Ils n'obéissent systématiquement pas aux mesures sanitaires.
    Les sept minutes sont-elles écoulées, monsieur le président?
    Il vous reste une minute.
    D'accord.
    Regardons les faits saillants. Au total, depuis 10 ans, il y a eu 113 événements impliquant de la violence, toutes catégories confondues, puisque nous avons recensé plusieurs types de violence. Au cours des 10 dernières années, au Québec, 22 % des événements liés à l'extrême droite ont été violents. On observe une tendance à la hausse de la violence depuis le début des années 2010, avec une accélération marquée dans la seconde moitié de la décennie. La moyenne annuelle est passée de 2,6 événements impliquant de la violence entre 2010 et 2015 à 19,4 événements impliquant de la violence entre 2016 et 2020. Alors, l'augmentation de la violence reliée aux groupes d'extrême droite au Québec est un problème.
    Par ailleurs, la violence physique a fait un bond important durant la deuxième moitié de la décennie. La moyenne est passée de deux événements impliquant de la violence physique par année avant 2015 à neuf événements impliquant de la violence physique à partir de 2016. On observe des pointes de violence particulièrement saillantes. En 2017, il y a eu 23 événements violents, et en 2020, il y a eu 35 événements impliquant de la violence liés à des groupes d'extrême droite.
    L'année 2020 a donc été la plus violente de la décennie.
    Merci, professeur Geoffroy.

[Traduction]

    Nous entamons le tour de six minutes.
    Nous avons, dans l'ordre, M. Van Popta, M. Lightbound, Mme Larouche et M. Harris, pour six minutes chacun.
    Allez-y, monsieur Van Popta.

  (1655)  

    Merci beaucoup aux témoins d'être ici.
     Ma première question s'adresse à vous, monsieur Geoffroy. Vous avez beaucoup parlé de l'extrême droite. Le SCRS dit que le terme ne correspond pas à une catégorie très utile. Le service a adopté l'expression « extrémisme violent à caractère idéologique », ou EVCI. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    De plus, le SCRS a identifié trois catégories de violence extrémiste à caractère idéologique, politique ou religieux. Dans quelle mesure croyez-vous que ces trois catégories soient utiles? Je pense en particulier, l'attaque de la mosquée de Québec qui a été qualifiée de violence à caractère idéologique plutôt que d'inspiration religieuse.
    Ce que je pense de cela? Je dirais, pour ma part, que, lorsque vous parlez d'islamisme et de....

[Français]

    Je vais continuer en français, parce que c'est plus facile pour moi.
    D'accord.
    Quand nous parlons de terrorisme islamique et d'extrême droite sans parler de christianisme, nous véhiculons un préjugé culturel. Je m'explique. Lorsque nous parlons de terrorisme, nous l'associons à la religion islamique, ce que nous ne faisons pas avec la religion chrétienne, qui est la nôtre. Nous dissocions extrême droite, politique et religion chrétienne. Or tous les groupes d'extrême droite que j'étudie sont formés d'intégristes chrétiens.
    Il faut donc faire la différence entre le fait de pratiquer sa religion en allant à la messe le dimanche, par exemple, et l'intégrisme religieux, qui se retrouve dans toutes les grandes religions monothéistes du monde, que ce soit l'islam, le christianisme, le bouddhisme, et ainsi de suite, comme l'a dit tantôt mon collègue M. Gurski. En Birmanie, les bouddhistes sont assez terroristes, merci.
    Selon moi, ces catégories ne sont pas adéquates, parce qu'elles ne prennent pas en compte le fait que l'intégrisme, qu'il soit catholique ou chrétien, est associé de près aux mouvements politiques d'extrême droite.
     Je vous donne quelques exemples pour le Québec. Parmi les groupes néo-fascistes qui existent à Québec, l'un des plus actifs, selon nos recherches, est Atalante. Il y a aussi la Fédération des Québécois de souche. Ces groupes sont très proches d'un groupe catholique de Québec appelé La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, qui possède une école intégriste catholique à Lévis. Ce groupe est la source d'inspiration d'un article que je prépare, qui sera bientôt publié dans un livre. Nous avons vu que la source d'inspiration intellectuelle et politique de tous ces groupes de Québec est le groupe religieux La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X.
    En septembre, nous publierons un autre article sur des groupes de jeunes de Longueuil, inspirés par La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et d'un autre groupe d'extrême droite, Tradition Québec, qui ont même lancé un nouveau groupe d'extrême droite formé de jeunes, que nous dévoilerons dans le même article, qu'on a appelés des « Zoomers » et des « Groypers ». Je ne définirai pas ces termes aujourd'hui, mais ils sont très liés à la culture des mèmes et à la culture des jeunes traditionalistes.
    Je ne pensais pas voir dans ma carrière des jeunes étudiants traditionalistes, catholiques, intégristes d'extrême droite, mais ils existent. D'ailleurs, l'un d'eux provenait du cégep où j'enseigne. Heureusement, le phénomène est quand même assez marginal. En fait, ce n'est pas parce qu'un groupe n'est pas marginal qu'il n'est pas dangereux.
    Pour répondre à votre question sur la catégorisation, je pense qu'il faut tenir compte que tous ces groupes, qu'ils soient d'extrême gauche ou l'extrême droite, sont associés de près aux mouvements intégristes de différentes religions monothéistes. Les groupes d'extrême droite du Québec sont liés de très près à des groupes intégristes, mais pas à la religion catholique.
    Prenons l'exemple de La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Il ne s'agit pas d'un groupe qui fait partie de l'Église catholique, car il en a été excommunié en 1988. Il s'agit donc vraiment d'un groupe sectaire. La particularité des groupes extrémistes, qu'ils soient...

  (1700)  

[Traduction]

     Malheureusement, le temps de parole de M. Van Popta est écoulé. Vous m'en voyez désolé, mais le temps est notre ennemi dans toutes ces réunions de comité.
    Monsieur Lightbound, vous avez six minutes.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Mes questions vont s'adresser au professeur Geoffroy.
    Je vous remercie beaucoup de votre présence et de votre apport au Comité, qui confirme d'ailleurs l'importance de l'étude que nous faisons.

[Traduction]

    Monsieur Lightbound, votre microphone n'est pas correctement branché.

[Français]

     J'offre mes excuses aux interprètes. Mon micro était mal branché. Le problème est résolu.
    Monsieur Geoffroy, je vous remercie beaucoup de votre présence au Comité et de votre apport, qui confirme l'importance de l'étude que nous avons entreprise.
    À la suite des témoignages que nous avons entendus, je ne peux m'empêcher de mentionner ce qui suit. Vous parliez d'une augmentation de plus de 6 000 % des activités liées à l'extrême droite depuis une décennie, et vous précisiez que l’augmentation annuelle était maintenant passée de 2 à 129. C'est une augmentation fulgurante.
     Le plus récent rapport du SCRS sur la menace au pays mentionnait que l'extrémisme violent à caractère idéologique avait fait 21 morts et 40 blessés au Canada depuis 2014. Cette forme d'extrémisme a fait plus de victimes que l'extrémisme à caractère religieux ou politique. Cela confirme la pertinence de l'étude du Comité.
     Lors de la comparution de Mme Barbara Perry, qui est directrice du Centre sur la haine, les préjugés et l'extrémisme de l'Université Ontario Tech, nous avons appris que les mouvements d'extrême droite adhéraient à la culture pour les armes. Nous avons entendu la témoin citer en exemple l'une des devises des Proud Boys: « on aime nos guns ».
    Ce genre de parallèle est-il aussi constaté au sein des groupes d'extrême droite au Québec, selon les observations que vous avez faites dans le cadre de votre recherche?
    Nous n'avons pas étudié particulièrement ces groupes. Toutefois, au Québec, certains groupes valorisent les armes, comme les Three Percenters et d'autres. Je doute par ailleurs qu'il y ait des Proud Boys au Québec, puisqu'ils sont beaucoup plus présents dans le Canada anglais.
    En ce qui concerne l'extrême droite, il y a toute une culture d'affirmation de la masculinité et de la liberté d'expression, mais aussi de la liberté quant au port d'arme, qui provient des États-Unis. La valorisation des armes va parfois de pair avec la valorisation d'une masculinité plus traditionnelle.
     Nous réaliserons bientôt des études en ce qui a trait au rôle des femmes dans les groupes d'extrême droite, puisque nous avons accordé plusieurs entrevues à des femmes appartenant à ces groupes. Le rôle des femmes y est très traditionnel. Par exemple, elles font la cuisine, mais elles ne prennent pas de décisions. Vous comprenez ce que je veux dire. Il est intéressant de constater qu'il y a de plus en plus de femmes dans ces groupes.
    Pour répondre à votre question très brièvement, il y a effectivement des liens entre ces groupes et la valorisation des armes. Au Québec, les membres de certains groupes d'extrême droite se sont souvent présentés dans les rues alors qu'ils portaient des habits de soldats. Nous avons commencé à mener des études à cet égard, en collaboration avec le Collège militaire royal Saint-Jean. Nous tiendrons d'ailleurs un colloque sur l'extrême droite dans l'armée au mois de février prochain, au Cégep Édouard-Montpetit.
    Nous remarquons aussi qu'il y a beaucoup d'anciens militaires dans les groupes d'extrême droite, ce qui est en lien avec la valorisation des armes, évidemment. L'un des fondateurs du groupe La Meute, qui a été l'un des groupes d'extrême droite les plus importants au Québec pendant un certain temps, était en fait un ancien soldat de l'armée canadienne qui avait combattu en Afghanistan. Il disait d'ailleurs avoir fondé ce groupe parce qu'il avait été traumatisé par la guerre en Afghanistan. La Meute est un groupe fascinant, car il adopte des structures de pouvoirs militaires, comme des groupes semblables le font souvent. Au sein de La Meute, les membres avaient entre autres des grades militaires, par exemple.
     Bref, il y a un lien à faire entre ce genre de groupes et la valorisation des armes.

  (1705)  

    Je trouve intéressante la façon dont vous avez fait la genèse de l'évolution de ces mouvements au cours de la dernière décennie, dans votre rapport. Vous parliez de la germination, de l'éclosion, de la croissance et du développement de ces groupes. Entre 2017 et 2019, nous avons vu sur la place publique beaucoup plus de groupes comme La Meute, que vous venez de mentionner. Nous avons aussi constaté que ces groupes ont été alimentés par différents événements dans l'actualité. Nous pouvons penser à l'élection américaine, au mouvement migratoire à la frontière et aux demandeurs d'asile.
    Vous avez parlé de la charte des valeurs et de la Loi sur la laïcité. J'aurais ajouté le Pacte mondial pour les migrations. Il y a eu toutes sortes de théories de conspiration selon lesquelles le Canada cédait le contrôle de ses frontières à l'Organisation des Nations unies. Même certains de mes collègues conservateurs, à la Chambre des communes, ont laissé entendre que c'était le cas.
    Vous disiez que, depuis 2020, une mutation s'opérait au sein des théories plus nativistes et basées sur une peur de l'immigration et sur des sentiments plutôt xénophobes, et qu'on y constatait davantage une mouvance contre les mesures sanitaires, contre les pouvoirs et contre les élites.
    Jusqu'à quel point ces deux discours se recoupent-ils dans les mouvements d'extrême droite, en ce moment? Sont-ils tous deux alimentés, ou y a-t-il vraiment une migration de l'idéologie vers les mesures sanitaires et un abandon des sentiments plus xénophobes ou contre la migration?
     « Chassez le naturel, il revient au galop. »

[Traduction]

    Il vous reste moins de 20 secondes.

[Français]

    J'ai 20 secondes, c'est ce que vous me dites?
    Oui, c'est exact. Je suis désolé.
    C'est 20 secondes.
    Je ne sais pas quoi répondre en 20 secondes.
    On a constaté que, au cours de la dernière année, les groupes d'extrême droite ont mis un peu de côté leurs discours contre l'immigration pour aller vers un discours plutôt contre l'autorité. C'est ce qu'on appelle « l'anti-autorité tous azimuts ». Cependant, derrière ce discours contre l'autorité, on voit que l'anti-immigration n'est jamais très loin.
    Je pourrais approfondir le sujet si quelqu'un veut me poser une autre question à cet égard.
    Je vous remercie beaucoup.

[Traduction]

    Merci, monsieur Lightbound.
    Je suis certain que Mme Larouche serait ravie de répondre à cette question.

[Français]

    Madame Larouche, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Vous semblez bien me connaître.
     Effectivement, j'aimerais poursuivre sur la lancée de mon collègue M. Lightbound. C'est fascinant. Monsieur Geoffroy, je vais y revenir rapidement, parce que j'ai une autre question à vous poser avant.
     Vous avez parlé de l'étude à venir sur les codes de l'extrême droite dans les Forces armées canadiennes. C'est une étude que vous mènerez au cégep, si j'ai bien compris. Il s'agit encore de sexualisation du corps de la femme et de la masculinité toxique que l'on associe à la misogynie. En même temps, j'entends, dans le discours sur la politique d'immigration, qu'il y a un mouvement pour le retour au rôle traditionnel de la femme. Ainsi, les femmes doivent s'opposer aux politiques d'immigration et faire plus d'enfants. Elles s'en remettent donc à des politiques plus nativistes. Je vois qu'il y a aussi une menace à l'avancement des femmes dans ce mouvement d'extrême droite.
    Quelle est la question?
    En fait, ma question porte sur le fait que vous parlez de l'étude que vous allez mener sur l'extrême droite dans les Forces armées canadiennes; on parle de masculinité toxique, donc de sexualisation du corps de la femme. Vous parlez aussi de...
    Je n'ai pas mené d'étude sur la femme dans l'armée canadienne. En revanche, nous avons mené une étude au Collège militaire royal Saint-Jean, qui est près de chez nous. Cette étude a porté sur les croyances et les connaissances qu'ont les élèves officiers par rapport aux différentes religions et à la radicalisation. C'est ce que nous allons présenter au colloque.
    Par contre, des études ont déjà été faites sur l'extrême droite au sein de l'armée, et dont les résultats seront présentés également durant le colloque en février prochain. Je n'ai donc pas de résultats à vous présenter comme tels aujourd'hui, puisque nous ne les avons pas encore.
    En outre, j'ai fait beaucoup d'entrevues avec des femmes qui ont été de hautes gradées dans différents groupes d'extrême droite québécois. Elles m'ont toutes dit la même chose; le rôle de la femme, dans ce groupe-là, est un rôle traditionnel. Elles sont là, finalement, pour servir les hommes.
     Cependant, il y a parfois des exceptions. Je vous donne l'exemple d'un groupe comme les Soldats d'Odin, qui avait comme cheffe Katy Latulippe, une femme. Très souvent, ces femmes deviennent cheffes du groupe quand leur petit ami est en prison ou quand quelque chose du genre arrive. C'est un peu comme une passation des pouvoirs au sein de la famille. Souvent, les femmes se joignent à ces groupes en étant la blonde de quelqu'un, pour ainsi dire.
    En règle générale, le rôle de la femme est assez traditionnel dans ces groupes, effectivement.

  (1710)  

    D'accord.
    Je reviens donc à la question précédente.
    On voit que l'extrémisme violent à caractère idéologique est un problème qu'il faut prendre au sérieux. Vous l'avez vu, il y a eu une hausse incroyable de ce genre d'extrémisme entre 2013 et 2018; mentionnons la haine comme celle des néonazies, ou la culture misogyne avec le mouvement « incel  », ou « célibataire involontaire ». Les réseaux sociaux sont les outils de communication qui ont été beaucoup utilisés par ces groupes haineux. Dans le rapport, vous expliquez aussi que l'isolement et la perte d'emploi causés par la pandémie ont amplifié les risques que les personnes se retrouvent dans des chambres d'échos en ligne où peuvent être véhiculées ces idéologies extrêmes.
    Comment pourrait-on prévenir cette radicalisation qui, on le voit, a des liens avec la présence en ligne accrue pendant la pandémie?
     Je dirais qu'il y a effectivement des liens avec la présence en ligne, mais je dirais surtout que c'est beaucoup plus profond que cela.
    Les biais cognitifs sont au cœur du problème des théories du complot et de tous ces groupes extrémistes qui adhèrent aux théories du complot. Ces biais sont très importants, et pas seulement pour les extrémistes, qu'ils soient d'extrême gauche d'extrême droite. Ils ont été amplifiés par ce que Gérald Bronner, un collègue français avec lequel je travaille, appelle le marché cognitif des idées en ligne. Dans le marché des idées, on n'aurait pas de contrôle, et les propositions les plus alléchantes ne seraient pas les propositions véridiques ou scientifiques, mais plutôt celles qui tournent autour des théories du complot.
    Le racisme et les questions d'immigration se trouvent souvent derrière ces théories de complot. On a beaucoup parlé de QAnon. En fait QAnon, c'est du recyclage de vieilles théories du complot qu'on modernise. Cela revient de manière cyclique et il s'agit toujours des mêmes théories du complot.
    Dans le cas de QAnon, on parle de cabale pédosatanique mondiale. Or, je peux vous dire que, dans les années 1990, j'ai étudié un groupe d'intégristes catholiques qui s'appelle les Bérets blancs et qui se trouve à Rougemont. Je ne sais pas si vous le connaissez.
    Déjà dans les années 1990, les Bérets blancs parlaient de cabale pédosatanique mondiale. Ils disaient que le gouvernement allait nous injecter des puces sous la peau pour nous contrôler. Est-ce que cela vous dit quelque chose? Nous entendons cela assez souvent aujourd'hui.
    Quand on parle de QAnon comme s'il s'agissait d'une grande nouveauté, cela me fait un peu rire, parce que ce sont des théories du complot qui reviennent constamment.
    Le but d'une théorie du complot, c'est de trouver un bouc émissaire à nos malheurs. Dieu sait que, au cours de la dernière année, beaucoup de gens ont subi beaucoup de malheurs. Bien entendu, on a eu besoin de trouver un bouc émissaire, et on a notamment comblé ce besoin en parlant du « virus chinois ».

[Traduction]

     Merci. Excusez-moi encore une fois, mais nous courons contre la montre.
    Allez-y, monsieur Harris. Vous avez six minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux pour vos exposés très intéressants.
    Tout d'abord, monsieur Geoffroy, vous avez parlé de l'évolution ou de la transformation de ces groupes dans le temps et avez dit que, dernièrement, ils se sont tous déclaré anti-vaccination et anti-santé publique. Cela signifie-t-il qu'ils ne sont pas vraiment liés à une idéologie particulière et qu'ils cherchent peut-être une plateforme pour agir, une bannière derrière laquelle se ranger ou une cause sur laquelle s'aligner afin de propager leur comportement et leurs attitudes? C'est aussi le cas?

  (1715)  

[Français]

    Nos collègues de la chaire de l'UNESCO de l'Université de Sherbrooke et nous faisons des recherches en parallèle sur les différents mouvements contre les mesures sanitaires. Un noyau dur de gens qui font partie de ces mouvements ou qui adhèrent à ces discours vient de l'extrême droite.
    Pendant la pandémie, nous avons observé une cristallisation de différents mouvements qui se sont regroupés au sein des groupes contre les mesures sanitaires. Ces mouvements se pollinisent et sont en train de former un tout que je regrouperais dans une catégorie que j'appellerais les « mouvements contre l'autorité ». Ma collègue Mme Perry a déjà publié des articles là-dessus.
    Les mouvements contre l’autorité sont souvent des mouvements complotistes qui remettent en question toutes les formes d'autorité, soit l'autorité gouvernementale, l'autorité sanitaire et l'autorité des éducateurs. Selon ces groupes, les enseignants comme moi sont des endoctrineurs.
    Durant cette pandémie, nous avons vu qu'ils ont...

[Traduction]

    Excusez-moi, mais je vais vous interrompre. J'essaie simplement de poursuivre mes questions.
    Est-ce qu'ils proviennent d'autres groupes existants, comme l'Atalante ou les autres que vous avez mentionnés?

[Français]

     Oui, il y a effectivement une migration. Un des meneurs du mouvement antisanitaire au Québec, Steeve L'Artiss Charland , est l'ancien numéro 2 du groupe La Meute. Il y a aussi Mario Roy , qui est maintenant en prison pour outrage au tribunal et qui est dans la mouvance des citoyens souverains. C'est un ancien membre de La Meute et de Storm Alliance. À cause d'une baisse de ces groupes au Québec, en 2019, beaucoup de ces gens-là ont migré vers les groupes de mesures antisanitaires. Ils en ont même pris la tête et ont réussi à cristalliser cela.
    On a aussi vu d'autres groupes. Par exemple, dans les groupes contre les vaccins, il y a beaucoup de gens de la mouvance du nouvel âge, des gens qui pensent qu'on peut se guérir d'un cancer par le pouvoir de la pensée, entre autres. Avant la pandémie, on considérait ces groupes plus ou moins dangereux. Cependant, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais avec la pandémie, le mouvement contre les vaccins est devenu dangereux. C'est une chose de refuser un vaccin, mais dans le cadre d'une pandémie, cela peut causer la mort.
    On ne se souciait donc pas trop de ces mouvements avant la pandémie, mais ce qui est étrange, c'est qu'ils se sont cristallisés ensemble. Maintenant, ce que je vois, c'est que le mouvement contre les vaccins va se mêler aux discours d'extrême droite. Pendant la pandémie, ces discours ont trouvé une façon de se coaliser. Vont-ils se séparer ou se fragmenter de nouveau après la pandémie, ou vont-ils continuer à se coaliser? C'est une bonne question, et je ne suis pas futurologue.

[Traduction]

     En ce qui concerne l'idée que ces différents groupes constituent un danger pour la société, à l'examen de votre recherche, il ressort que le taux de participation à une forme de violence, qu'elle soit verbale, physique ou en ligne, est d'environ 20 % sur 10 ans.
    Jusqu'à quel point le danger qu'ils représentent est-il grave? Vous parlez de « menaces et de discours haineux » dans vos catégories de violence, ainsi que de « vandalisme et de méfaits », de « heurts avec des opposants », de « harcèlement et d'intimidation », d'« agressions et de voies de fait », dans 6 % des cas, et de « terrorisme » dans 1 % des cas.
    Est-on en présence d'une menace et d'un danger graves d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique des personnes, ou parle-t-on d'un niveau inférieur pour la plupart des groupes?

[Français]

    Souvent, on me dit qu'ils ne sont pas dangereux parce qu'ils ne sont pas nombreux, ils sont marginaux. On évalue souvent l'extrême droite au Canada à moins de 1 % de la population. D'ailleurs, les partis politiques qui ont une idéologie qui se situe à l'extrême droite ne recueillent pas beaucoup de votes. Ils vont avoir moins de 1 % du vote. Ils ne réussiront pas à faire élire des députés, par exemple. Effectivement, au sein de la population, ces groupes sont donc extrêmement marginaux.
    Cependant, ce n'est pas parce qu'ils sont marginaux qu'ils ne sont pas dangereux. Pour qu'il y ait un attentat terroriste, il suffit d'une personne nourrie d'idéologies extrémistes. On l'a vu dans le cas de l'attentat à la grande mosquée de Québec. Ces petits groupes sont dangereux dans la mesure où il suffit de quelques individus pour que de tels actes se produisent. Par ailleurs, un individu devient dangereux quand il est désespéré, c'est-à-dire quand il voit que son option politique n'a aucune chance d'être démocratiquement reconnue ou d'aboutir. À ce moment-là, il peut penser que la violence est la seule manière de faire avancer sa cause.

  (1720)  

[Traduction]

    Malheureusement, nous allons devoir nous arrêter ici. Je vous présente de nouveau mes excuses, ce que je fais assez fréquemment.
    Chers collègues, de nouveau nous avons 25 minutes de questions au deuxième tour, mais nous ne disposons que de 17 minutes pour le faire. Je vais encore une fois être arbitraire et imposer aux députés environ la moitié du temps prévu.
    Sur ce, nous allons commencer par M. Kurek, pour trois minutes.

[Français]

    Ensuite, Mme Lambropoulos aura la parole pour trois minutes.

[Traduction]

    Il y aura une minute et demie pour M. Harris et Mme Larouche, après quoi Mme Stubbs et Mme Damoff auront trois minutes chacune.
    Monsieur Kurek.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Encore une fois, j'aimerais remercier les deux témoins d'être venus aujourd'hui.
    Monsieur Gurski, selon vous, en votre qualité d'expert, où se situe le seuil permettant de parler d'un passage au terrorisme? Il semble y avoir beaucoup de recoupements entre ce qui pourrait être de l'extrémisme religieux, des attaques à caractère religieux, par exemple contre la communauté juive, et l'EVCI xénophobe, selon la définition de cette étude. Ne peut-on d'ailleurs pas dire que l'anarchie est un système politique défini par l'absence de gouvernement.
     Comment distinguez-vous l'extrémisme politique de la violence antiautorité, et y a-t-il une différence entre ces groupes?
    Voilà une excellente question, et je suis heureux que vous l'ayez posée. Ayant travaillé dans le domaine de la lutte contre le terrorisme aussi longtemps que je l'ai fait, je me pose souvent cette question moi aussi.
    Au SCRS, nous étions guidés par le Code criminel et l'article 83.01 du Code définit l'activité terroriste comme étant un acte de violence grave planifié ou perpétré pour trois raisons principales: l'idéologie; la politique ou la religion. C'est dans le Code criminel.
    Une bonne partie de ce que j'entends aujourd'hui ne serait pas, selon moi, considérée comme une activité terroriste, mais comme un crime haineux, comme la misogynie. Il pourrait s'agir du tout-venant, si je puis m'exprimer ainsi. Par exemple, j'entends beaucoup parler de l'attaque d'un incel à Toronto en 2018. J'ai déclaré publiquement dans les médias canadiens que ce n'était pas un acte de terrorisme. C'était un acte de misogynie violente.
    Je pense qu'il est problématique de regrouper ces termes. C'est très problématique du point de vue de ceux qui doivent s'en servir. Le SCRS ne mène pas d'enquêtes criminelles. C'est le service du renseignement de sécurité qui recueille des renseignements pour aider la GRC et les organismes d'application de la loi.
    Je pense qu'il faut faire très attention à la terminologie. Une bonne partie des propos de M. Geoffroy me préoccupe au plus haut point, mais ce n'est certainement pas le terrorisme. C'est une autre chose à laquelle la société canadienne a affaire. Je préfère délimiter très étroitement les contours du terme. J'ai même préconisé d'éliminer complètement le mot « terrorisme » du Code criminel, parce qu'il y a d'autres crimes, d'autres poursuites, qui sont possibles pour régler ces problèmes.
    Il est difficile de poser une question après cela, mais si je vous demandais de définir « extrémisme violent », que diriez-vous?
    La plupart des gens considèrent que les termes extrémisme violent et terrorisme sont synonymes. J'ai tendance à pencher dans ce sens et, pour être tout à fait honnête, monsieur Kurek, je n'ai pas le temps de couper les cheveux en quatre pour savoir s'il y a une différence entre les deux. Ils sont pratiquement synonymes.
    Merci, monsieur Kurek.
    Madame Lambropoulos, vous avez trois minutes.

  (1725)  

    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais remercier nos deux témoins d'être venus répondre à nos questions. Nous avons entendu des témoignages très intéressants des deux côtés.

[Français]

     Ma première question s'adressera à M. Geoffroy.
    Dans votre rapport, vous avez parlé de 521 événements recensés. Cela inclut-il des événements en ligne? Je ne sais pas si vous en avez parlé.
    Cela n'inclut pas les événements en ligne. Cela n'inclut que ceux qui se sont produits dans la réalité. Les seuls événements en ligne que nous avons inclus étaient des événements de harcèlement.
    Je poserai donc ma deuxième question.
    Savez-vous quelles sont les causes de cette hausse qui a été observée au cours de la dernière décennie?
    Je ne parle pas de l'année 2020 parce que vous avez dit qu'il s'agissait de loin de l'année comptant le plus de cas. Je pense que c'était une année assez spéciale. Vous avez parlé du cas du Québec, et je vous comprends.
    En temps normal, comment cette hausse s'explique-t-elle?
    C'est le sujet d'une étude que nous publierons au mois de septembre et dans le cadre de laquelle nous dressons un profil psychosocial à partir d'entrevues. Je ne peux pas trop en parler pour l'instant.
    Les raisons sont nombreuses et complexes. Je vais vous donner l'exemple d'une entrevue que j'ai faite avec le chef de La Meute, M. Maikan. Je lui ai demandé pourquoi son groupe était venu nous intimider lorsque nous donnions une conférence sur l'extrême droite au cégep, et il m'a répondu qu'il s'agissait de la seule façon que son groupe avait de se faire entendre.
    Une partie de la population du Québec et, je pense, d'ailleurs dans le monde, a l'impression qu'elle ne se fait pas entendre.

[Traduction]

    Dans le cadre de mes propres recherches pendant ma maîtrise, j'ai étudié la misogynie et la violence faite aux femmes en particulier. J'ai notamment constaté que le nombre de cas a augmenté en grande partie parce que les gens et la société ont évidemment évolué et que de plus en plus de gens participent à la vie de la société.
    Les femmes décrochent des emplois. Elles occupent des postes d'autorité et de leadership, ce que certains peuvent ne pas accepter. Les gens qui ont normalement bénéficié du statu quo n'aiment pas nécessairement que tel soit le cas, et ils ont l'impression qu'ils doivent se faire entendre. Qu'en pensez-vous?
    En 20 secondes, s'il vous plaît.

[Français]

     Vous avez absolument raison, mais comme il ne reste que 20 secondes, je ne peux pas en dire beaucoup plus.

[Traduction]

    Il vous en reste maintenant huit.
    Il me reste huit secondes.

[Français]

    Vous avez raison en partie, mais il n'y a pas que cela.
    Je vous remercie beaucoup.
    Merci, madame Lambropoulos.

[Traduction]

    Madame Larouche, vous avez une minute et demie.

[Français]

    Monsieur Gurski et monsieur Geoffroy, vos témoignages étaient très intéressants.
    Je vais essayer de vous poser une brève question à tous les deux. M. Geoffroy pourrait répondre le premier.
    Vous avez parlé de la seule façon dont ces groupes pouvaient se faire entendre. C'est important pour eux. J'aimerais faire un lien. Vous avez aussi dit qu'il y avait une hausse sur le terrain, mais j'aimerais revenir sur la question d'Internet. On sait que les algorithmes sur Internet créent des chambres d'écho, ce qui pousse des personnes vulnérables à se joindre à des groupes extrémistes, où on développe une haine pour un groupe en particulier.
    Comment peut-on changer les règles et les algorithmes dans ces espaces en ligne sans toucher à la liberté d'expression, qui semble tellement importante pour ces groupes, qui veulent se faire entendre?
    C'est une excellente question, mais la réponse, évidemment, n'est pas simple.
    Je suis convaincu qu'il faut éduquer les gens, à commencer par les jeunes, et c'est ce que je fais. J'éduque les gens au sujet des biais cognitifs. On a de plus en plus de difficulté à comprendre comment fonctionne le discours scientifique, et cela s'est exacerbé au cours de la pandémie. Les gens ne savent pas ce qu'est une revue savante évaluée en double aveugle par les pairs. Ils prennent toutes sortes de sources d'information sur Internet, et c'est là qu'on peut voir des gens comme le Dr Raoult. En passant, la recherche du Dr Raoult sur l'hydroxychloroquine n'a jamais été publiée dans une revue savante. Il a fait ce qu'on appelle un argument d'autorité en disant qu'il était un immunologue, qu'il avait reçu un prix Nobel et ainsi de suite. Or les arguments d'autorité sont très populaires chez les groupes extrémistes. En effet, autant ils peuvent être contre l'autorité, autant ils peuvent en faveur de l'autorité de ces gens-là.

  (1730)  

[Traduction]

    Merci.
    Je crois comprendre que les étudiants peuvent maintenant évaluer leurs professeurs — ce qui est toujours un peu amusant. J'aurais aimé pouvoir évaluer mes professeurs quand j'allais à l'université.
    Sur ce, monsieur Harris, vous avez une minute et demie.
     Merci, monsieur le président.
    J'ai une question pour M. Gurski. Vous avez dit avoir entendu les témoins précédents. M. Leuprecht a parlé de 12 mécanismes de radicalisation, des doléances personnelles jusqu'au désir de devenir un martyr. Quand, au SCRS, vous deviez déterminer qui vous alliez suivre afin de savoir ce qu'il adviendrait de ces gens, comment choisissiez-vous les personnes d'intérêt s'il est si difficile, comme M. Leuprecht l'a souligné, de prédire qui va faire un saut dans la catégorie supérieure?
    Existe-t-il une méthode de sélection pour ce groupe en particulier? Comment faites-vous cela?
    C'est une excellente question, monsieur Harris. Je dirais simplement qu'au SCRS, nous avons le pouvoir législatif d'enquêter sur les menaces à la sécurité nationale en nous fondant sur l'article 2 de la Loi sur le SCRS, après quoi, chacun travaille à l'instinct.
    Il nous est souvent arrivé de tomber sur des gens qui semblaient se contenter de parler, puis qui changeaient d'idée en un clin d'œil pour finalement planifier quelque chose, qu'il s'agisse de se rendre à l'étranger pour se joindre au groupe État islamique ou d'autre chose du genre. Ce n'est pas une science exacte, et c'est ce qui m'inquiète quand on veut circonscrire cette réalité selon 12 mécanismes bien précis et pas plus. Malheureusement, la vie est beaucoup plus compliquée que cela, et je pense que nous sommes nombreux à nous être simplement fiés à notre instinct ou au fait que nous avions vu les résultats de nombreuses enquêtes antérieures qui étaient analogues.
    Nous n'avons pas trouvé de système infaillible, et je vous dirais, monsieur, que c'est folie d'essayer de réduire cela à quelque chose d'aussi simpliste. Il s'agit en grande partie d'apprendre en cours de route et d'avoir les ressources nécessaires pour étudier ces gens dès qu'ils commencent à faire ou qu'ils prévoient de faire des choses très dangereuses.
    Merci, monsieur Harris.
    Madame Stubbs, vous avez trois minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Il semble évident, d'après la diversité des points de vue des nombreux témoins que nous avons entendus, que ce dossier est extrêmement complexe et que les perspectives ou les approches monolithiques relativement à ces questions ne conviennent pas forcément.
    Monsieur Gurski, revenons sur une question de Jack Harris. Compte tenu de votre expérience de vie et de travail, ainsi que des nombreux écrits que vous avez rédigés sur le comment et le pourquoi de la radicalisation, j'ai pensé que vous pourriez nous en dire plus à ce sujet.
     Merci, madame Stubbs.
    Vous savez, tout cela me paraît fort simple en ce sens que l'on va là où l'information nous guide. Le problème surgit quand on arrive avec des idées préconçues, et c'est là qu'on commence à faire des erreurs. J'ai beaucoup écrit à ce sujet dans mon tout premier livre, The Threat From Within. Si vous partez sur des a priori, que vous vous dites, par exemple, que le statut socioéconomique médiocre est un facteur important ou un prédicteur, vous constaterez que vous avez 50 % des chances d'avoir tort et 50 % d'avoir raison.
    En fin de compte, nous confions à nos agents d'application de la loi et à nos agents du renseignement de sécurité le soin de recueillir l'information et de voir où elle va les mener, et nous leur demandons de prendre des décisions en fonction de ce qu'ils voient sur le terrain, plutôt que de leur fixer un cadre préétabli. En disant cela, je ne dénigre pas les travaux d'universitaires comme M. Geoffroy. Je pense qu'ils sont très utiles, mais, en toute honnêteté, ceux qui, comme moi, ont travaillé dans le domaine du renseignement de sécurité n'ont pas eu le temps d'intégrer ces théories, parce que nous étions trop occupés à faire des enquêtes. Ces théories ont-elles servi? Oui, mais elles n'ont ni encadré ni dicté le cours de nos enquêtes.
    Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais vous avez raison de dire que c'est extrêmement complexe et que chaque cas est différent, malheureusement.
    J'ai une question pour M. Geoffroy.
    Mme Perry en a parlé un peu. On rapporte qu'au Québec, les taux d'incidents antisémites sont les plus élevés. Les taux les plus élevés ont été enregistrés en 2018 et en 2019. Je sais que vous avez dit plus tôt que, selon vous, l'année la plus violente a été 2020. Je me demande si vous avez des commentaires à faire à ce sujet.
    À quoi doit-on cela? Savez-vous pourquoi ce serait le cas, au Québec?

  (1735)  

[Français]

     Pour ce qui est de la particularité des groupes d'extrême droite au Québec, il y a évidemment le fait qu'ils sont bilingues et qu'ils sont à la jonction des groupes extrémistes américains et français. Une bonne part de l'antisémitisme provient de groupes d'extrême droite français. En effet, comme vous le savez, il y a en France des antécédents marqués en matière d'antisémitisme.
     Cela se propage par l'entremise de certains groupes. La Fédération des Québécois de souche, par exemple, est très antisémite. Il y a plusieurs groupes intégristes. Je parlais tout à l'heure des Bérets blancs. Les membres de cette communauté établie à Rougemont, près de chez moi, sont antisémites. Ils parlent constamment du complot juif mondial, et ainsi de suite. Ce n'est pas nouveau. Cet antisémitisme se manifeste par l'obsession du mouvement QAnon à l'égard de George Soros, qui est juif.

[Traduction]

    Malheureusement, nous allons devoir nous arrêter ici.
    Madame Damoff, je vous en prie, les trois dernières minutes vous reviennent.
    Merci, monsieur le président, et merci aux deux témoins.
    Monsieur Geoffroy, merci beaucoup pour le travail que vous faites.
    Vous avez parlé plus tôt de l'attaque de la mosquée de Québec. En fait, je ne veux pas dire son nom, mais le tireur était un propriétaire d'arme à feu respectueux des lois avant d'aller tuer six hommes et d'en blesser cinq autres. Récemment, à Québec, quelqu'un a été arrêté dans la circonscription de M. Lightbound. Il détenait un véritable arsenal d'armes et de bombes. Il y a eu une arrestation semblable en Alberta à la fin avril. Quel est le lien avec l'extrémisme de droite?
    Évidemment, à la mosquée de Québec, on peut parler d'une montée de l'antisémitisme. Nous constatons également une augmentation de l'islamophobie. Ni l'un ni l'autre n'est acceptable. Pourriez-vous nous parler du lien entre ces actes terroristes, les actes terroristes potentiels et l'extrémisme de droite?

[Français]

     Oui. Beaucoup de gens disent par exemple qu'Alexandre Bissonnette n'a pas commis un acte terroriste. Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'un acte terroriste.
    On n'a pas poursuivi Alexandre Bissonnette pour terrorisme, car cela n'aurait servi à rien. En effet, on savait déjà qu'il allait écoper d'une peine d'emprisonnement à perpétuité, ou presque. Puisqu'il est beaucoup plus difficile de poursuivre quelqu'un pour terrorisme que pour meurtre, on a abandonné les poursuites pour terrorisme, qui auraient constitué une perte de temps, mais si on l'avait fait, ces actes auraient pu être déclarés comme étant terroristes.
    Cela a eu un effet dévastateur sur la communauté musulmane de Québec. Les gens de la grande mosquée de Québec considèrent qu'il s'agit d'un événement terroriste et ils ont été très blessés par le fait qu'on ne l'a pas déclaré comme tel et que M. Bissonnette n'a pas été accusé de terrorisme. Cela leur donne l'impression qu'il y a deux poids, deux mesures, parce que, lorsque de tels actes sont commis par un musulman, on déclare toujours qu'il s'agit de terrorisme, et non de folie.
    D'ailleurs, selon la théorie du complot des groupes d'extrême droite du Québec, Alexandre Bissonnette n'est pas inspiré par l'extrême droite, mais souffre plutôt de folie. Pourtant, si Alexandre Bissonnette souffrait vraiment de folie ou de troubles mentaux, il serait à l'Institut Philippe-Pinel et non en prison. On ne peut donc considérer qu'il s'agit de folie. Or, comme je le disais plus tôt, on a souvent des biais culturels.
    Je voudrais revenir sur ce que Mme Larouche et Mme Lambropoulos ont demandé plus tôt. Les recherches que nous faisons en ce moment sur des femmes de l'extrême droite nous montrent que la plupart de ces femmes ont été victimes d'abus physiques et sexuels dans leur vie. C'est une donnée importante que nous allons publier au cours des prochains mois et que je vous donne en primeur aujourd'hui. Ces groupes attirent un certain type de femmes qui sont fragiles et qui continuent à vivre des sévices au sein de ces groupes.
    Avec le psychologue Louis Brunet, je travaille au récit de la vie d'une femme qui a fait partie d'un de ces groupes. Tout au long de sa vie, cette femme a été victime de violence conjugale et d'abus. Nous constatons que les groupes d'extrême droite que nous étudions sont des endroits parfaits pour commettre des abus sexuels sur des femmes.
     J'étudie depuis plus de 20 ans les groupes sectaires, et cela ressemble beaucoup aux types d'abus commis au sein des groupes sectaires. Cela se passe le contexte d'une culture misogyne, au nom de laquelle on enferme des femmes dans des groupes dangereux en prétextant des raisons politiques.

  (1740)  

[Traduction]

     Nous allons devoir nous arrêter ici. Je vous en remercie.
    Chers collègues, cela met fin à notre séance.
    En votre nom, je tiens à remercier notre témoin de dernière minute, M. Gurski, ainsi que M. Geoffroy, pour ses renseignements manifestement passionnés et éclairés dans ce domaine.
    Avant de lever la séance, je tiens à souligner qu'après notre réunion de mercredi, où nous accueillerons le ministre et la commissaire, je souhaite ajouter 10 à 15 minutes, afin que nous puissions avoir une idée de ce que nous voulons faire de notre point de vue au sujet du rapport Bastarache. Veuillez noter que la prochaine réunion sera un peu plus longue que d'habitude.
    Les partis pourraient-ils indiquer au président et au greffier ce qu'ils veulent faire du Budget supplémentaire des dépenses (A)? Ce serait utile, puisque nous avons un programme ayant fait l'objet d'âpres négociations, et qui est très chargé.
    Sur ce, je remercie encore une fois nos deux témoins.
    La séance est levée.
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