Passer au contenu
Début du contenu

SINT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
PDF

38e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 23 mars 2005




¹ 1540
V         Le président (M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.))
V         M. Pierre Laliberté (économiste principal, Politique sociale et économique, Congrès du travail du Canada)

¹ 1550
V         Le président
V         Mme Gauri Sreenivasan (agente de politique de commerce, Conseil canadien pour la coopération internationale)

¹ 1555

º 1600
V         Le président
V         M. Alex Neve (secrétaire général, Section anglophone, Amnistie internationale Canada)

º 1605

º 1610
V         Le président
V         M. Ted Menzies (Macleod, PCC)

º 1615
V         Le président
V         M. Ted Menzies
V         M. Pierre Laliberté

º 1620
V         Le président
V         Mme Gauri Sreenivasan
V         Le président
V         M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, PCC)
V         M. Alex Neve

º 1625
V         M. Deepak Obhrai
V         M. Pierre Laliberté

º 1630
V         Le président
V         M. Pierre Paquette (Joliette, BQ)
V         M. Alex Neve

º 1635
V         Mme Gauri Sreenivasan

º 1640
V         M. Pierre Paquette
V         M. Pierre Laliberté
V         Le président

º 1645
V         L'hon. Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.)
V         Le président
V         L'hon. Marlene Jennings
V         Le président

º 1650
V         L'hon. Marlene Jennings
V         Le président
V         L'hon. Marlene Jennings
V         Mme Gauri Sreenivasan
V         Le président
V         Mme Gauri Sreenivasan
V         Le président
V         L'hon. Marlene Jennings
V         Le président
V         M. Alex Neve
V         M. Pierre Laliberté

º 1655
V         L'hon. Marlene Jennings
V         Le président
V         L'hon. Marlene Jennings
V         Le président
V         L'hon. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.)
V         M. Alex Neve

» 1700
V         M. Pierre Laliberté
V         Le président
V         L'hon. Mark Eyking
V         Le président
V         M. Alex Neve
V         Le président
V         M. Peter Julian (Burnaby—New Westminster, NPD)
V         M. Pierre Laliberté

» 1705
V         M. Alex Neve

» 1710
V         M. Peter Julian
V         M. Pierre Laliberté

» 1715
V         M. Alex Neve

» 1720
V         Le président
V         M. Alex Neve

» 1725
V         Le président
V         L'hon. Marlene Jennings
V         M. Pierre Laliberté
V         Le président










CANADA

Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 017 
l
1re SESSION 
l
38e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 23 mars 2005

[Enregistrement électronique]

*   *   *

¹  +(1540)  

[Traduction]

+

    Le président (M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.)): La séance est ouverte.

    Je vais commencer par présenter nos témoins et leur souhaiter la bienvenue au Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

    Je souhaite la bienvenue au représentant du Congrès du Travail du Canada, M. Pierre Laliberté, économiste principal, Politique sociale et économique, qui a comparu devant le comité il y a quelque temps. Rebienvenue.

    Du Conseil canadien pour la coopération internationale, nous accueillons Mme Gauri Sreenivasan. Bienvenue. Elle devra nous quitter un peu avant la fin pour des raisons familiales.

    J'aimerais souhaiter la bienvenue également à M. Alex Neve, secrétaire général de la Section anglophone d'Amnistie internationale.

    Nous allons commencer par vous, monsieur Laliberté, et nous entendrons ensuite les autres témoins avant d'ouvrir la période des questions. Vous avez la parole.

[Français]

+-

    M. Pierre Laliberté (économiste principal, Politique sociale et économique, Congrès du travail du Canada): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je dois dire d'emblée que je vais parler de questions plus générales et vous laisser l'occasion de poser des questions un peu plus particulières sur des sujets qui vous intéressent relativement aux marchés dits immergent, ce qui est un concept un peu particulier en soi.

    Sans plus tarder, j'aimerais commencer par dire que nous avons, au CTC, certains principes de base par rapport à notre perspective sur le commerce international. Pour nous, l'accroissement du commerce international ou des échanges commerciaux internationaux est une chose positive, de façon générale, mais qui ne doit pas devenir, en termes de politique publique, une fin en soi. Nous voyons cela davantage comme une conséquence à des politiques qui favorisent une croissance, préférablement durable, et tout ce que cela implique.

    Malheureusement, depuis 15 ans, on voit ce qu'on pourrait appeler une stratégie de fuite vers l'avant, en vertu de laquelle la promotion des exportations devient la clé des stratégies de croissance. Alors, tout le monde emprunte le même chemin de la prospérité tirée par les exportations, la fameuse export lead growth, et à certains égards, on constate certaines tendances plutôt perverses.

    La Chine d'aujourd'hui est un exemple un peu extrême de ce paradigme, c'est-à-dire que la Chine devient l'atelier du monde pour des activités économiques intenses en termes de main-d'oeuvre, ce qui mène à une sous-traitance transnationale afin d'envoyer ce segment de travail dans un pays en particulier, pour une exportation délibérée vers des marchés extérieurs. Les perdants à ce grand jeu seront d'autres pays émergents qui ne pourront pas faire concurrence à la Chine. Je voulais ajouter ce bémol.

    D'après nous, le gouvernement canadien, dans son approche face aux marchés dits émergents, aux pays en développement, devrait s'assurer d'établir des règles de façon multilatérale. Le Canada est un petit pays qui frappe un peu plus fort que sa taille à l'échelle internationale. Il a donc une certaine crédibilité, et cette crédibilité est un actif qui doit être mise à profit, et ce, d'une façon intelligente, c'est-à-dire non pas dans le cadre d'une stratégie opportuniste consistant à tirer la couverture complètement de son côté, mais en faisant preuve d'une certaine bienveillance intelligente face au développement de l'économie internationale en général. Il s'agit donc d'avoir une stratégie multilatérale, mais qui vise aussi un développement durable.

    Ce qu'on voit sur la scène internationale, et même au niveau bilatéral, depuis quelques années, c'est qu'on met beaucoup l'accent sur des accords commerciaux et beaucoup moins sur le reste, ce qui crée un biais.

    Nous pensons que le développement durable passe évidemment par le commerce, mais par un commerce qui comporte un volet relatif aux droits syndicaux—c'est certainement une chose qui nous préoccupe—, un volet environnemental et qui est cohérent sur le plan politique. On se fait dire souvent qu'il faut commencer quelque part, mais il faut le faire un peu partout à la fois. C'est donc une chose que l'on voudrait qui soit vraiment intégrée à l'approche commerciale du Canada face à ces pays.

    Il y a un autre aspect à tout cela. Dans le cadre des accords commerciaux négociés, on a un genre d'approche cookie cutter, c'est-à-dire qu'on retrouve la même chose un peu partout, comme si les stratégies de développement devaient être les mêmes pour tous les pays du monde, alors qu'on constate que chaque pays a eu un parcours qui lui est propre et qu'il doit aborder les choses à sa propre vitesse, parfois plus lentement, parfois plus rapidement, parfois avec plus de succès pour certains que pour d'autres.

    Cette approche cookie cutter finit par provoquer des bouleversements dans des pays qui ne sont pas prêts à être aussi ouverts qu'on le voudrait, ce qui entraîne des effets pervers à leur développement.

    Ce qu'on voudrait voir aussi, évidemment, ce sont des mécanismes à l'échelle internationale qui permettraient de favoriser la croissance. Par exemple, on voudrait que des institutions internationales comme la FMIaient une approche qui favorise la croissance, et non pas une croissance qui punit les pays qui souffrent de problèmes attribuables à un manque de croissance. Il faudrait donc changer les objectifs de répression de l'inflation par des politiques qui favorisent la demande.

    Dans notre approche, les politiques qui favorisent la demande vont finir par entraîner les exportations et favoriser tout le monde en bout de ligne, même si, dans certains cas, l'inflation finit par atteindre des niveaux supérieurs à ceux que nos banques centrales considèrent acceptables. Autrement dit, il faut voir cela d'une façon plus exhaustive. À cet égard, c'est évident, la politique commerciale joue un rôle.

    Est-ce que le Canada doit diversifier ses échanges commerciaux? Évidemment, il est clair que nous sommes beaucoup trop dépendants du marché américain. Ce dernier n'étant pas en croissance ces temps-ci, nous sommes beaucoup plus vulnérables à des fluctuations, et je ne mentionne pas les fluctuations dues à l'humeur politique des gens là-bas. En ce sens, il faut effectivement essayer de favoriser les occasions de faire du commerce ailleurs, ne serait-ce que parce que les besoins sont dans les pays émergents. Dans un sens large, qui dit besoin dit activité économique et commerciale.

    La vraie question est de savoir comment on peut créer le contexte qui va favoriser la réponse à ces besoins et, ce faisant, favoriser également notre politique commerciale. Comment allons-nous faire cela? Encore une fois, le multilatéralisme, à nos yeux, est l'approche à privilégier, de même qu'une approche multidimensionnelle, comme je le mentionnais plus tôt.

    J'étais à Cancun il y a deux ans environ. Il était vraiment patent que le Canada était un peu l'éclaireur de pays comme les États-Unis et ceux de l'Union Européenne, qui voulaient des accords déraisonnables sur l'ouverture des marchés. Pour nous, c'était une occasion perdue, parce que le Canada aurait énormément à gagner en s'alliant stratégiquement avec certains pays émergents comme le Brésil et l'Afrique du Sud, entre autres, qui sont des pays démocratiques en croissance et qui jouent un rôle clé au niveau politique.

    Évidemment, on n'a pas le bagage des anciens pays colonisateurs ni celui de nos voisins du Sud. On peut donc jouer un rôle positif à cette échelle. On voyait à ce moment-là, finalement, que le Canada perdait tout son capital politique en faisant le travail pour les autres. Pour nous, c'était plus que décevant à voir; c'était une occasion perdue.

    Nous aimerions voir une approche un peu plus axée vers des alliances avec ces pays, mais sans quand même compromettre des principes de base, parce que notre objectif est toujours le développement durable. Or, celui-ci doit passer par un respect des droits de la personne, des droits syndicaux. À terme, il faut aussi s'assurer que cela ne se fasse pas au détriment du patrimoine environnemental.

    Je vais m'arrêter ici. Comme je le disais plus tôt, on pourra entrer dans les détails à votre gré pendant la période de questions.

    Je vous remercie.

¹  +-(1550)  

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, monsieur Laliberté.

    Madame Sreenivasan

+-

    Mme Gauri Sreenivasan (agente de politique de commerce, Conseil canadien pour la coopération internationale): Merci beaucoup d'avoir invité le Conseil canadien pour la coopération internationale à présenter ses vues devant le comité. Il est manifeste qu'une stratégie commerciale relative aux marchés émergents est devenue une grande priorité pour le gouvernement actuel, peut-être, comme le disait Pierre, dans le cadre d'une sorte de stratégie subtile de diversification.

[Français]

    Comme vous le savez, le CCCI représente près de 90 ONG du Canada oeuvrant pour l'élimination de la pauvreté dans le monde. Cela inclut les syndicats, les Églises et d'autres ONG séculaires qui travaillent en partenariat avec des groupes et communautés dans le tiers monde.

    Le CCCI travaille beaucoup sur le dossier du commerce international. Pourquoi? Parce que les règles et les pratiques de l'investissement et le commerce sont des clés pour l'élimination de la pauvreté, pour la promotion des droits de la personne et pour le développement viable, lesquels sont des buts majeurs pour la politique étrangère du Canada.

    Comment promouvoir tous ces objectifs, soit les objectifs commerciaux et ceux du développement viable et des droits de la personne, d'une façon cohérente?

[Traduction]

    Les trois questions que vous posez dans le contexte de votre étude, de même que les consultations organisées par le gouvernement lui-même à Noël sur l'opportunité d'une stratégie commerciale à l'égard des marchés émergents, indiquent clairement que l'objectif premier du gouvernement consiste à obtenir des conseils sur les éventuelles mesures qui permettront aux compagnies canadiennes de bénéficier davantage des possibilités commerciales et d'investissement dans des marchés émergents comme l'Inde et la Chine. Le CCCI reconnaît effectivement que le Canada a des priorités qui sont à la fois importantes et légitimes par rapport à ces marchés. Nous ne sommes évidemment pas en mesure de vous conseiller sur ce qui pourrait vous aider à mieux faire ce travail; tel n'est pas notre domaine d'expertise. Mais s'agissant de notre contribution à votre étude, il me semble opportun de soulever trois points en particulier devant le comité. Ils sont essentiels à la bonne marché des relations que le Canada désire entretenir avec les marchés émergents, tout en étant directement liés à des priorités commerciales.

    Le premier—et là je ne voudrais pas vous sembler arrogante—consiste à reconnaître qu'il ne s'agit pas en réalité de marchés émergents. La montée en puissance de pays comme la Chine, l'Inde et le Brésil dans des forums commerciaux influents, comme l'Organisation mondiale du commerce, est la preuve d'un bouleversement géopolitique profond au niveau de l'équilibre du pouvoir politique et autres dans le domaine du commerce international. Cela semble évident, mais il convient de le répéter : c'est à nos risques et périls que nous persisterons à considérer ces puissances comme des marchés émergents.

    D'abord, ces pays sont le siège de certaines des plus anciennes civilisations du monde. Ils poursuivent des objectifs multiples et énergiques en matière de commerce et de politique étrangère. Je vous rappelle qu'en juillet dernier, quand l'OMC faisait l'objet de pressions considérables pour relancer les pourparlers commerciaux, cinq pays du monde ont défini le cadre qui a permis à l'OMC de reprendre ses travaux. Le Brésil et l'Inde étaient de la partie; le Canada était exclu.

    Il faut que notre démarche à l'égard de ces pays tienne compte du fait que ce sont des acteurs politiques complexes. Ils seront nos alliés sur certaines questions, nos adversaires sur d'autres. Autrement dit, le Canada doit réfléchir à la nature de nos relations globales avec ces pays et à l'équilibre approprié entre tous nos différents intérêts et priorités, en évitant surtout—même au ministère du Commerce—de les considérer simplement comme des marchés auxquels il faut améliorer notre accès.

    Et cela m'amène à mon deuxième point, à savoir que les intérêts et les priorités du Canada sont nombreux et ont de multiples facettes. Le Canada a de nombreuses priorités stratégiques clés, même par rapport aux règles commerciales mondiales. Certaines d'entre elles correspondent à des intérêts d'exportation et d'investissement qui supposent une démarche énergique, voire même offensive. Ce sont ces intérêts qui sous-tendent notre étude des mesures à envisager pour accéder à ces marchés et en profiter davantage.

    Mais il y a aussi des secteurs importants de notre économie, notamment l'agriculture, où nous avons recours à des modèles hybrides. Nous avons des institutions bien établies, comme la Commission du blé ou notre régime de gestion de l'offre, qui favorisent l'administration ordonnée des marchés dans le secteur agricole, où les marchés mondiaux sont à ce point caractérisés par la puissance des monopoles et la concentration d'entreprises que les intérêts des agriculteurs et des consommateurs sont vite évacués. Des mécanismes permettant aux agriculteurs de coopérer pour commercialiser leurs produits sont essentiels au renforcement des économies rurales et à l'inclusion des agriculteurs dans la définition des démarches qui influencent leur gagne-pain. Mais ces mécanismes de commercialisation ordonnés sont constamment attaqués par les membres les plus puissants de l'OMC. Donc, il importe de reconnaître que le Canada a d'importants intérêts commerciaux à défendre, de même que des intérêts à promouvoir avec énergie en ce qui concerne l'accès à ces marchés.

    Des pays en développement et en plein essor tels que le Brésil et l'Inde ont également une approche mixte en ce qui a trait à leur politique commerciale. Eux aussi ont d'importants intérêts à promouvoir en matière d'exportation et ils sont à la recherche d'investissements étrangers directs stables et à long terme en provenance de pays comme le Canada. Mais ils ont des préoccupations de taille sur le plan du développement qui sont liées à la nécessité de satisfaire des populations agricoles majoritaires et vulnérables qui peuvent ne pas être bien servies par la libéralisation des échanges—en tout cas, certainement pas dans la mesure où cette dernière vise des récoltes de base qui revêtent une importance critique pour leur sécurité alimentaire. À titre d'indication, en Inde seulement, plus de 200 millions de personnes travaillent dans le secteur agricole, et ce sont majoritairement de petits agriculteurs et des manoeuvres agricoles. Voilà donc le genre d'économies et de secteurs qui intéressent les gouvernements de pays émergents comme l'Inde dans le contexte des pourparlers commerciaux.

    Des pays comme le Brésil et l'Inde cherchent également à accroître et à diversifier continuellement leur capacité industrielle, de façon à rehausser leur compétitivité mondiale. Ils sont à la recherche d'une démarche de protection de la propriété intellectuelle diversifiée qui leur permet d'atteindre des objectifs de développement critiques comme entre autres, le transfert technologique et l'obtention de médicaments et de documents de recherche à des prix abordables. Ils doivent faire face aux pressions exercées par leurs propres citoyens et consommateurs relativement à la performance et au comportement d'investisseurs étrangers chez eux. Comme vous le disait Pierre, ces pays jouent un rôle prépondérant à l'OMC et dans d'autres forums pour ce qui est de définir des priorités de développement beaucoup plus larges émanant de pays moins développés. Ces pressions sont fort conflictuelles et le Brésil et l'Inde ne reflètent pas toujours ces préoccupations, bien entendu. Il reste que toutes ces dimensions sont présentes.

¹  +-(1555)  

    Ce que j'essaie d'expliquer, c'est qu'il existe un réel potentiel de chevauchement de nos intérêts et dans ce contexte, il convient que le Canada voie, en faisant preuve de créativité, à ce qu'il peut faire pour traiter davantage les pays de développement ayant des marchés émergents comme des alliés par rapport à certains aspects des règles commerciales mondiales.

    Les pays en développement—comme le Canada, d'ailleurs—ont un intérêt très manifeste à s'assurer que les politiques protègent leurs intérêts commerciaux, et il est essentiel, pour le développement et pour l'atteinte des objectifs de réduction de la pauvreté, que des pays comme le Canada favorisent une approche souple qui permettrait, par exemple, de protéger ces pays contre des pressions en faveur de l'ouverture de leurs marchés dans le secteur agricole ou par rapport aux tarifs industriels. Ils peuvent aussi chercher à bénéficier d'une protection accrue contre des produits faisant l'objet de dumping qui chambardent complètement les marchés locaux, détruisent des vies et compromettent les possibilités de croissance.

    L'expérience du Canada en matière de commercialisation ordonnée des produits visés par la gestion de l'offre, et des produits relevant de la responsabilité de la Commission canadienne du blé présente un certain nombre de précédents qui pourraient être d'une grande utilité pour les pays en développement. De nombreux agriculteurs et groupes internationaux souhaitent profiter de l'expérience canadienne et en tirer des leçons pertinentes pour leur propre situation.

    J'estime, personnellement, que le Canada pourrait obtenir l'appui des pays en développement pour certains de ses intérêts commerciaux défensifs, en ce qui concerne notamment la Commission canadienne du blé et notre système de gestion de l'offre, s'il défendait le droit de tous les pays de bénéficier d'une certaine souplesse afin d'améliorer le pouvoir des agriculteurs dans les marchés et de leur donner des moyens de subsistance viable qui passent par différents mécanismes.

    Le CCCI travaille en collaboration avec divers collègues et groupes agricoles au Canada pour organiser une manifestation qui aura lieu en mai de cette année afin de faire la démonstration de cette convergence d'intérêts. Mais à notre avis, l'action du gouvernement canadien est un peu schizophrène en ce sens qu'il fait sans arrêt pression en faveur de l'acceptation d'un modèle axé sur les marchés ouverts et la libéralisation des échanges, notamment auprès des pays en développement outre-mer, tout en insistant sur la souplesse que requièrent certains secteurs de notre économie nationale.

    Là où je veux en venir, c'est que le Canada a besoin de définir des priorités commerciales plus nuancées et plus robustes s'il souhaite entretenir des relations plus dynamiques avec les marchés émergents. Jusqu'à présent, nous nous sommes concentrés sur l'ouverture de leurs marchés et l'aide technique qu'on peut leur offrir, mais nos priorités en matière de développement et de commerce international sont beaucoup plus complexes que cela, comme j'ai essayé de le démontrer jusqu'ici. Le cadre actuel du cycle du développement risque de perdre une bonne partie des propositions novatrices qui ont été faites pour faire progresser le développement.

    Je vous encourage donc à insister auprès du gouvernement sur la nécessité absolue de sortir des sentiers battus en réfléchissant, en prévision de la réunion ministérielle de l'OMC à Hong Kong, à notre façon de réagir aux priorités beaucoup plus complexes et robustes des marchés émergents et des pays les moins développés, et de les considérer comme des alliés potentiels et des acteurs politiques importants qui pourraient servir les intérêts du Canada, alors même que nous cherchons à faire accepter nos propres priorités.

    Le dernier point que je voudrais soulever concerne la nécessité, à mon sens, d'élargir notre réflexion pour englober plus que la politique commerciale à proprement parler. Le comité est à la recherche « d'outils et de politiques »—je crois bien que ce sont les termes employés dans votre document—qui permettront de faire la promotion de nos intérêts commerciaux sur les marchés étrangers. Mais il importe également que le comité et le gouvernement explorent une gamme de mesures stratégiques qui favorisent la responsabilisation des entreprises canadiennes en matière de respect des droits de la personne dans les marchés émergents—en fait, dans les marchés de tous les pays en développement.

    Je sais que mon collègue d'Amnistie internationale voudra aborder plus en profondeur cette question avec vous, et je n'ai donc pas l'intention de trop m'y attarder, surtout que nous n'avons pas assez de temps pour entamer une longue discussion à ce sujet. Mais je peux vous assurer qu'il y a une très forte demande de la part du public canadien en matière de normes de réglementation plus rigoureuses visant à garantir que les investisseurs canadiens ne contribuent pas, soit par leurs pratiques de travail, soit par la dislocation—en fait, par toutes sortes de moyens différents—à favoriser la violation des droits des citoyens de ces pays.

    Il va sans dire que les investissements étrangers peuvent jouer un rôle critique pour ce qui est de soutenir les activités de développement locales; cependant, notamment dans les secteurs axés sur l'extraction des ressources, il y a de nombreux exemples de collectivités qui opposent une résistance aux activités des entreprises canadiennes en raison de leurs préoccupations en matière de droits de la personne et de protection environnementale, et ce dans une très vaste région allant de l'Inde—par exemple, il y a une situation à l'heure actuelle à Orissa qui concerne Alcan—au coeur de l'Afrique en passant par la Birmanie. En ce moment, le Comité des droits de la personne et du développement reçoit des témoignages d'experts sur une situation aux Philippines qui concerne TVI. Le CCCI a rencontré il y a quelques semaines le sous-ministre adjoint responsable des relations bilatérales pour discuter du cas de Glamis Gold au Guatemala.

    L'approche canadienne actuelle consistant à faire une promotion énergique d'accords d'investissement et de commerce bilatéraux en s'appuyant sur le modèle actuel du traité d'investissements bilatéraux ne tient aucun compte de la nécessité d'exiger la responsabilisation des entreprises en ce qui concerne leur comportement à l'étranger. À notre avis, la politique actuelle pèche par excès de protection des investisseurs étrangers.

    Une troisième point serait qu'il faut absolument que la politique internationale canadienne réserve une place beaucoup plus prépondérante aux questions touchant les droits de la personne et la responsabilisation des entreprises qui découlent de la position mondiale importante des compagnies canadiennes, notamment dans le secteur de l'extraction des ressources. Il conviendrait à mon avis que les membres du comité insistent sur la nécessité d'une exploration plus approfondie de cette question au Parlement, en vue d'en arriver à une démarche stratégique plus exhaustive à l'égard des marchés émergents et des marchés d'autres pays en développement qui cadre avec les valeurs canadiennes.

    Merci.

º  +-(1600)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Nous passons maintenant à M. Neve.

+-

    M. Alex Neve (secrétaire général, Section anglophone, Amnistie internationale Canada): Merci beaucoup.

    Les échanges peuvent constituer un puissant moyen de promotion et de renforcement de la protection des droits fondamentaux. Le commerce et les investissements durables peuvent contribuer à favoriser l'exercice de droits économiques et sociaux clés comme, par exemple, le droit d'avoir un gagne-pain, le droit de manger ou le droit de faire un travail de son choix dans des conditions sécuritaires. Les chefs d'entreprises peuvent également user de leur influence auprès des gouvernements pour insister sur la protection de certains droits essentiels, comme l'égalité des femmes, la protection contre la torture, ou la liberté d'expression.

    Les échanges peuvent également constituer une force qui sape la protection des droits ou mène à la violation directe de tels droits. Des agents de sécurité mal formés qui gardent les locaux d'une entreprise pourraient éventuellement tuer ou blesser des manifestants ou des intrus. Les redevances découlant de projets d'extraction minière ou du pétrole pourraient être employées par les gouvernements pour acheter des armes, faire la guerre, et violer les droits humains.

    Les milieux d'entreprise, la société civile et les gouvernements sont de plus en plus conscients, depuis bon nombre d'années, de la possibilité, d'une part, que des pratiques commerciales responsables puissent améliorer la protection des droits et, d'autre part, que des pratiques commerciales irresponsables puissent compromettre l'exercice de ces mêmes droits. Même s'il y a une plus grande sensibilisation à l'importance de cette question, les moyens permettant de garantir que les entreprises canadiennes se comportent de façon responsable en ce qui concerne la protection des droits demeurent faibles et non exécutoires.

    Il n'existe aucun cadre législatif ou réglementaire obligeant les entreprises qui mènent des activités à l'étranger à se conformer à certaines normes bien précises en matière de protection des droits de la personne. On encourage au contraire les entreprises à adopter volontairement des politiques dans ce domaine. Nous assistons par conséquent à une véritable prolifération de codes et de lignes directrices volontaires traitant de questions dites de responsabilité sociale, y compris les droits de la personne, les droits relatifs au travail, et la protection environnementale. Certains codes sont de portée nationale, d'autres, de portée internationale. Certains sont élaborés sous l'égide du gouvernement, d'autres, non. Certains ont été cautionnés par la société civile, d'autres s'appliquent principalement à des secteurs industriels spécifiques, et d'autres encore s'appliquent à l'ensemble des entreprises. Certaines compagnies ont adopté ces codes volontaires, mais ce n'est pas le cas de la plupart d'entre elles.

    L'action des gouvernements fédéral et provinciaux est inégale en ce qui concerne la vigueur avec laquelle ils ont insisté auprès des entreprises pour que ces dernières améliorent leurs pratiques en matière de protection des droits de la personne. Ce manque de cohérence au niveau des conseils donnés par les gouvernements aux entreprises est également manifeste dans leurs politiques commerciales, puisqu'on considère souvent qu'il est inopportun d'y aborder des questions de droits et que cela peut même potentiellement nuire à leurs efforts pour favoriser des liens commerciaux plus étroits. Cette attitude donne inévitablement lieu à des déceptions, comme, par exemple, lorsque le gouvernement organise une mission commerciale dans un pays comme la Chine mais n'accorde pas toute l'attention qu'il faut à nos préoccupations relatives au respect des droits de la personne.

    Il y a beaucoup à faire dans ce domaine, et l'élaboration d'une stratégie canadienne à l'égard des marchés émergents offre une occasion particulièrement intéressante de définir un cadre d'action qui place les droits humains au coeur de la politique canadienne en matière de commerce international et d'investissement. Les quatre piliers de la stratégie relative aux marchés émergents élaborés par le ministre Peterson vers la fin de l'an dernier n'incluent aucunement les droits de la personne. Ces quatre piliers englobent les renseignements sur les marchés, l'analyse des risques, les moyens de prendre pied sur un marché, la protection des intérêts commerciaux, des démarches stratégiques, et beaucoup plus encore, mais on n'y trouve aucune mention des droits de la personne, des droits liés au travail, ou de la protection environnementale.

    Or les droits de la personne doivent absolument être la clé de voûte d'une stratégie canadienne relative aux marchés émergents. Voilà ce qu'exige la Déclaration universelle des droits de l'homme. Adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1948, ce document est à la base de ce qui est devenu, au cours des cinq décennies qui ont suivi, un régime sophistiqué de droit international en matière de défense des droits de la personne. Dans son préambule fort éloquent, la Déclaration précise que l'obligation de promouvoir et de protéger les droits de la personne constitue une obligation non seulement pour les gouvernements, les présidents, les forces policières et les juges, mais pour chaque organe de la société, et le monde des affaires en est certainement un.

    La stratégie du Canada à l'égard des marchés émergents doit donc reconnaître et soutenir énergiquement cette responsabilité qu'ont les entreprises de promouvoir et de défendre les droits de la personne. Cela suppose l'élaboration d'un cadre de défense des droits en trois volets à l'intention des entreprises canadiennes qui souhaitent mener des activités ou investir dans des marchés émergents, de même que la définition d'un cadre de réglementation permettant de garantir que les entreprises se conformeront à leurs obligations dans ce domaine.

    Ce cadre droit aborder directement les trois niveaux différents auxquels les entreprises peuvent avoir un impact à la fois positif et négatif sur la défense des droits de la personne. Ces trois niveaux sont les suivants : la participation directe aux abus, la contribution indirecte aux abus, et la promotion de réformes touchant les droits de la personne. Je voudrais parler brièvement de ces trois niveaux différents.

º  +-(1605)  

    En ce qui concerne la participation directe, ce qui doit surtout nous intéresser à cet égard, ce sont les abus commis au travail ou autour du milieu de travail. Ces abus peuvent prendre diverses formes, mais contentons-nous de parler de deux éléments : la garantie d'un milieu de travail sécuritaire, et la protection des droits des travailleurs. Il n'est pas inhabituel de constater que des entreprises, y compris des entreprises canadiennes, mènent leurs activités près de la première ligne d'un conflit ou dans des situations où des violations de droits sont très fréquentes, et ce dans tous les coins du monde. Cette présence peut même être un facteur de causalité ou d'aggravation du conflit. C'est notamment le cas pour les secteurs des ressources naturelles et de l'extraction industrielle, et plus particulièrement ceux du pétrole, de l'exploitation forestière, et de l'extraction minière.

    Les entreprises adoptent chacune leur propre approche devant les problèmes de sécurité évidents qui se posent quand on doit mener ces activités commerciales dans un contexte d'incertitude. Certaines d'entre elles décident de recruter leurs propres agents de sécurité, et ces derniers ont tout à fait le potentiel de commettre des violations de droits de la personne en protégeant la propriété de l'entreprise.

    Qu'en est-il des droits des travailleurs? Le traitement que réserve une entreprise à ces travailleurs peut évidemment donner lieu à des situations où il peut y avoir des violations directes de droits fondamentaux—par exemple, la compagnie peut décider de saper ou de déjouer les tentatives des travailleurs de créer un syndicat dans une usine de télécommunications, peut-être en congédiant les militants syndicaux; elle peut ignorer les efforts déployés par les travailleurs pour ouvrir des négociations collectives avec la direction de l'usine ou encore y faire obstacle en leur faisant des menaces, subtiles ou non; les conditions d'une usine manufacturière peut exposer les travailleurs à des produits chimiques dangereux; ou encore, la compagnie peut forcer les travailleurs à faire des heures supplémentaires dans une usine de textile et ces derniers n'oseront pas refuser de crainte de perdre leurs emplois.

    Toutes ces situations soulèvent des questions de droits—de droits qui ne sont pas seulement définis dans la législation canadienne, mais clairement précisés dans des instruments législatifs internationaux—des droits qui touchent la mise sur pied de syndicats et les négociations collectives, des conditions de travail saines et sécuritaires, et un traitement équitable au travail; encore une fois, tous sont expliqués en détail dans de nombreux traités internationaux.

    Et qu'en est-il du deuxième niveau, soit la contribution indirecte aux abus? Le point essentiel à retenir dans ce contexte, c'est qu'en matière de droits de la personne, une compagnie ne peut pas nécessairement se déclarer innocente tout simplement parce qu'elle n'est pas directement responsable des violations qui ont été commises. Une entreprise doit rester vigilante et être toujours sensible à la possibilité très réelle et inquiétante que des parties externes qu'elle invite à participer à ses opérations soient responsables de violations de droits. Cela peut être le cas pour des sous-traitants ou des fournisseurs, qui ont peut-être recours à des agents de sécurité qui émanent de forces rebelles ou qui ne respectent pas les droits de leurs travailleurs. Les entreprises doivent absolument mettre en place un système qui leur permet de garantir que leurs relations avec leurs sous-traitants et fournisseurs sont en tous points conformes à leurs obligations en matière de protection des droits de la personne.

    Voilà qui m'amène à vous parler du dernier niveau de responsabilité, soit la promotion de réformes en matière de droits de la personne. Rappelons-nous que la Déclaration universelle ne parle pas uniquement de protection et de défense des droits de la personne; elle fait également mention de la nécessité de promouvoir les droits de la personne. Ainsi les entreprises devraient être des championnes de défense des droits dans les pays où elles mènent leurs activités. Cela devrait être le cas pour les questions de droits liés de près ou de loin à leur industrie ou secteur d'activité particulier, mais leur action doit être plus large et englober les questions générales liées aux droits de la personne. L'influence des entreprises est telle qu'elles peuvent insister auprès de diverses branches du gouvernement qui n'entendraient pas normalement ce genre de discours sur la nécessité de protéger les droits de la personne—il peut s'agir de responsables de l'industrie minière, de percepteurs d'impôts ou de ministres du Commerce. Il ne convient donc pas de sous-estimer la contribution positive que peuvent apporter des compagnies respectées, dont la présence au pays est vivement désirée, qui insistent auprès des autorités sur la protection des droits de la personne.

    Par conséquent, la clé de voûte de la stratégie canadienne à l'égard des marchés émergents doit être une volonté ferme de défense des droits de la personne. Ainsi il conviendrait, à tout le moins, d'y incorporer un cinquième pilier qui consisterait, selon moi, à garantir que les activités canadiennes en matière de commerce et d'investissement dans les marchés émergents ne causent ni ne favorisent des violations des droits de la personne et reposent sur une volonté énergique de protection et de promotion des droits de la personne.

º  +-(1610)  

    Mais le paroles ne suffisent pas. S'agissant de responsabilité sociale nous avons à l'échelle tant nationale qu'internationale de nombreux exemples de compagnies qui ont fait de belles promesses. Ce qui manque, ce sont les moyens de les forcer à tenir leurs promesses.

    Le Canada doit absolument commencer à élaborer un cadre de réglementation qui visera non seulement les compagnies canadiennes qui mènent des activités dans des marchés émergents, mais l'ensemble des compagnies canadiennes qui sont actives à l'étranger. Ce cadre de réglementation préciserait les normes minimales auxquelles toutes les entreprises doivent se conformer—par exemple, l'établissement d'une politique sur les droits de la personne, de même que des moyens internes et externes de surveiller la conformité avec cette politique. Voilà qui aiderait à déterminer lesquels des innombrables codes de conduite et lignes directrices volontaires qui se sont multipliés ces dernières années doivent être respectés. Ce serait un premier geste énergique dans le cadre des efforts que nous devons absolument déployer pour garantir que les affaires favorisent la protection des droits de la personne.

    Merci.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Nous ouvrons maintenant la période des questions.

    Monsieur Menzies.

+-

    M. Ted Menzies (Macleod, PCC): Merci, monsieur le président.

    J'aimerais partager mon temps de parole avec mon collègue, M. Obhrai. Peut-être pourriez-vous me faire signe après cinq minutes.

º  +-(1615)  

+-

    Le président: Oui, bien sûr.

+-

    M. Ted Menzies: Nous sommes un parti qui met l'accent sur le partage. Il sait tout à fait de quoi je parle.

    Merci beaucoup pour vos exposés, que j'ai bien appréciés.

    Monsieur Laliberté, certains de vos commentaires étaient très intéressants. Moi, aussi, j'ai été à Cancun et au fur et à mesure que les activités se déroulaient, j'assistais surtout à la déception de nos espoirs. Je trouve fort malheureux que nous y ayons obtenu si peu de choses.

    Je crains aussi que le temps commence à manquer. J'ai assisté à une conférence à Washington il y a deux semaines où d'autres ont exprimé cette même préoccupation. Plusieurs pays demandent au Canada de se considérer comme une puissance moyenne et laissent entendre qu'on peut jouer un rôle plus important dans ce contexte que nous ne réussirions à le faire si nous nous contentions de guider les pays les moins développés. Nous ne sommes pas un acteur de premier plan dans ce domaine, mais nous pourrions éventuellement l'être.

    Nous n'avons pas été invités à faire partie du G-20, si bien que nous avons perdu notre influence auprès du Groupe de Cairns. J'ai rencontré le ministre de l'Agriculture brésilien, Roberto Rodrigues, à Montréal lors de la mini-ministérielle, et il m'a dit essentiellement de m'écarter du chemin et de l'observer de près à Cancun. Aucun d'entre nous ne s'attendait à ce qu'il fasse ce qu'il a fait. Ils travaillent très efficacement. À mon avis, le Groupe de Cairns a repris un peu du poil de la bête.

    Est-ce que nous aurions dû participer au sommet du G-20? Est-ce que nous aurions dû également participer de manière plus énergique aux activités du Groupe de Cairns? Nous avons toujours exprimé une opinion dissidente, et ce à chaque réunion du Groupe de Cairns à laquelle nous avons assisté. Que faut-il faire pour être plus efficace? Et que faut-il faire pour ne pas dépendre autant des États-Unis?

    Voilà donc mes premières questions.

+-

    M. Pierre Laliberté: Vos premières questions. D'accord.

    Vous êtes certainement beaucoup plus au courant que je pourrais jamais l'être au sujet des intrigues entourant la réunion ministérielle et tout ce qui s'y est passé. Je dois dire, cependant, que je ne suis pas tellement surpris que le Canada n'ait pas été invité à la réunion du G-20, parce que nous choisissons essentiellement nos causes et nos alliés, et je suppose que dans une large mesure, nos choix nous en ont exclus d'office.

    Mais la question qui me semble plus intéressante encore est celle de savoir ce qu'il convient de faire maintenant. Comme le disait Gauri, il y a des possibilités intéressantes. Nos intérêts et les leurs convergent jusqu'à un certain point. Nous voulons multiplier nos exportations, mais en même temps, nous avons des intérêts à défendre. Et vous aurez remarqué que le G-20 n'est pas un groupe homogène en qui concerne les intérêts agricoles. Certains pays membres, comme le Brésil, ont des intérêts qu'on pourrait qualifier d'offensifs, alors que d'autres, comme l'Inde, se heurtent à un problème de nature différente. Dans un sens, nous avons surtout à rétablir notre crédibilité. J'ai trouvé encourageant, par exemple, que les pourparlers entre les gouvernements canadiens et le Brésil semblaient se dérouler sous un éclairage plus positif dernièrement, à cause de tout cela, que ce n'était le cas il y a deux ans. En ce qui concerne l'avenir, nous avons un objectif en commun—la réduction des subventions à l'exportation. Voilà une finalité autour de laquelle nous pourrons certainement établir une coalition.

    Mais où convient-il de placer la barre pour ce qui est de permettre aux pays de protéger divers segments de leur secteur agricole qu'ils considèrent comme étant essentiels, soit en raison des emplois qu'ils fournissent, soit de la nature stratégique des récoltes concernées au niveau de la sécurité alimentaire ou des moyens de subsistance qu'ils assurent? Encore une fois, je pense que Gauri aurait sans doute beaucoup de choses à dire à ce sujet. Nous sommes passés par là. Bien que le Canada ait des exportations importantes, il a également créé des institutions qui suscitent de l'intérêt à l'extérieur du pays. Une fois que nous aurons écarté le principe selon lequel l'ouverture des marchés doit être intégrale et que nous aurons compris que cette approche donne parfois de très bons résultats, et parfois de très mauvais résultats, si nous acceptons de faire preuve de pragmatisme, nous trouverons de nombreux alliés, ce qui nous aidera certainement tout en rehaussant notre profil dans ce club, si vous voulez.

º  +-(1620)  

+-

    Le président: Nous en sommes déjà à cinq minutes. Pourquoi ne pas donner l'occasion à Mme Sreenivasan de répondre?

+-

    Mme Gauri Sreenivasan: J'ai une petite chose à dire au sujet du G-20. Le G-20 a été formé à Cancun en vue de constituer un bloc de pays en développement, si bien que nous n'avons sans doute pas à nous sentir trop mal de ne pas avoir été invités à y participer.

    Mais l'argument principal que j'ai fait valoir tout à l'heure demeure pertinent. Il y a de nombreuses priorités autour desquelles nous pourrions travailler de concert avec des pays comme le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud, mais pour toutes sortes de raisons au sujet desquelles il serait probablement préférable d'interroger le ministre du Commerce, nous avons toujours voulu maintenir des relations plus étroites avec la Quadrilatérale. Par exemple, le Groupe de Cairns réunissait un certain nombre de pays en développement et de pays développés, mais pour parler surtout d'exportations agricoles.

    Comme j'essayais de vous l'expliquer tout à l'heure, afin de pouvoir créer de meilleures alliances qui vont lui profiter davantage, le Canada doit surtout reconnaître que quelque chose d'extrême ne peut jamais marcher. Ce n'est jamais tout dans un sens ou dans l'autre. Jamais les marchés ouverts ne constituent toujours la meilleure solution. Notre propre économie et nos propres expériences le prouvent, d'ailleurs. De plus en plus, surtout à la lumière des preuves empiriques qui existent en matière de développement, il est manifeste que les pays expérimentent des approches et des modèles différents. Parfois l'ouverture des frontières est une bonne solution pour faire venir de la nourriture pendant une période de famine soudaine ou lorsqu'une industrie est bien positionnée sur le plan concurrentiel pour exporter ses produits. Dans d'autres cas, il y a des questions stratégiques de séquencement à examiner dans un contexte d'ouverture des frontières.

    À mon sens, le Canada doit surtout indiquer plus clairement, dans des forums commerciaux, qu'il est prêt à reconnaître que certains pays ont besoin de souplesse, et qu'il souhaite privilégier une démarche axée sur une gamme de modèles différents, et que nous sollicitons leur appui pour protéger nos intérêts stratégiques dans ces mêmes forums commerciaux.

    En dehors des forums commerciaux, par exemple, le Brésil a joué un rôle prépondérant, avec la France, en élaborant une proposition de grande envergure visant à régler des problèmes de famine et à prévoir d'autres mécanismes de financement. Je songe, par exemple, à la façon dont le Canada réagit aux priorités très importantes et progressistes du Brésil relatives à sa politique étrangère, et notamment la question de la famine et la pauvreté, et je me dis que là, comme dans d'autres domaines qui intéressent au plus haut point Paul Martin, nous pourrions établir des alliances avec d'autres pays qui nous aideraient à établir des alliances du côté commercial.

    Il nous faut reconnaître que les dirigeants de ces pays en développement et émergents ont une gamme complexe de priorités. Nous ne les accepterons pas toutes, mais il nous faut accepter de les voir davantage comme des alliés et des acteurs potentiels, au lieu de les considérer comme des marchés que nous pouvons exploiter ou des pays qui ne font pas partie de notre club d'élite et avec qui nous ne devrions donc pas travailler.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Obhrai.

+-

    M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, PCC): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Merci à nos invités de leur présence aujourd'hui.

    Je voudrais entendre l'opinion du représentant d'Amnistie internationale sur la question qui vient d'être soulevée. Aucun de vos organismes n'a mentionné le Tibet, alors que vous nous avez parlé de droits de la personne et de toutes les autres questions pertinentes.

    Le chemin de fer qui est maintenant en voie de construction au Tibet qui, on pourrait dire, est occupé par les Chinois, a l'appui de deux entreprises canadiennes. Bombardier et Nortel participent toutes les deux à ce projet. Par contre, personne d'autre au Canada ne semble protester en disant que ces entreprises aident les Chinois à occuper le Tibet. Que je sache, ni Amnistie internationale ni aucun autre organisme n'a protesté à ce sujet.

    J'aimerais savoir pourquoi vous n'avez pas cru bon de soulever cette question. Que s'est-il passé?

+-

    M. Alex Neve: En réalité, ce n'est que tout récemment que nous avons appris la nouvelle. Tout ce que je peux vous dire c'est que nous sommes en train d'examiner la question, et qu'il est probable que nous exprimions nos préoccupations à ce sujet soit en privé, soit en public, soit les deux.

    Nous n'avons pas la capacité de monter une attaque contre toutes les entreprises fautives ou pour tous les problèmes qui surgissent. Je précise également que le nombre de cas liés à l'aspect protection des droits de la personne par les entreprises canadiennes qui sont actives à l'étranger ne cesse de croître. Notre capacité n'est tout simplement pas suffisante pour nous permettre de parler de chaque cas qui se présente.

    Mais je suis d'accord avec vous pour dire qu'il faut prendre cette question très au sérieux. Nous sommes évidemment au courant de graves violations des droits de la personne découlant des politiques chinoises à l'égard du Tibet, et il convient par conséquent qu'à la fois la société civile et le gouvernement s'intéressent de très près à la situation. Cela nous ramène, encore une fois, à cette politique canadienne fort inquiétante qui consiste à laisser persister un grand vide juridique en matière de réglementation, puisque notre législation canadienne n'aborde aucunement la question des responsabilités de nos entreprises en matière de défense des droits de la personne lorsqu'elles prennent des décisions comme celle que vous venez de décrire.

º  +-(1625)  

+-

    M. Deepak Obhrai: Ces deux compagnies ont fait valoir le même argument, à savoir « Nous sommes des entreprises et il s'agit simplement d'une décision commerciale ». Quand l'Afrique du Sud appliquait un système d'apartheid, les entreprises nous sortaient le même argument : « Cela n'a rien à voir avec nous ». Si nous avions continué d'accepter de tels arguments, l'Afrique du Sud ne serait pas maintenant indépendante.

    J'aimerais qu'on parle de cette situation, et pas uniquement devant le comité; j'aimerais qu'on en parle justement quand il existe un exemple concret touchant les droits de la personne.

+-

    M. Pierre Laliberté: J'aimerais ajouter quelque chose.

    Il existe déjà un certain nombre d'outils—par exemple, les lignes directrices de l'OCDE sur les entreprises multinationales. L'intérêt de ces outils est double : ce sont des lignes directrices ou des codes volontaires, en quelque sorte, mais en même temps ils sont cautionnés par les pays membres de l'OCDE où se situe le siège de la plupart des entreprises multinationales. Nous avons donc ces lignes directrices-là, mais elles ne sont assorties ni de mesures d'encouragement ni de sanctions. Ces lignes directrices constituent justement un instrument multilatéral à propos duquel le Canada, de concert avec d'autres pays, pourrait insister sur l'établissement de mécanismes d'application qui inciteraient les entreprises à s'y conformer. Par exemple, nous savons que Nortel et Bombardier sont parmi les plus grands clients d'EDC. En l'absence d'EDC, bon nombre de ces contrats n'auraient pas été signés.

    Donc, nous avons ce moyen de pression; cela ne fait aucun doute. Le problème, c'est qu'il faut être résolu à rattacher tous ces éléments pour imposer des conditions. Il faudra dire aux entreprises : si vous voulez bénéficier de l'appui du gouvernement par l'entremise de sociétés d'État ou en obtenant des contrats d'approvisionnement, vous devrez absolument respecter tel code de conduite. Cela ne veut pas dire que chaque fois qu'il y aura une infraction, tout s'arrêtera, mais cela permettra néanmoins d'établir un forum pour l'ouverture d'un dialogue et la définition de mesures d'incitation.

    Dans un ordre d'idée un peu différent, dans la préparation de la séparation de Commerce international du ministère des Affaires étrangères—qui ne s'est pas encore tout à fait réalisée, du moins en ce qui concerne le Parlement, même si c'est chose faite de l'avis des bureaucrates que nous avons rencontrés—au Fort Pearson… C'est-à-dire que précédemment lorsqu'il était question d'exporter des technologies sensibles vers un autre pays, il fallait se procurer un permis d'exportation, et l'octroi de ce dernier donnait lieu à des discussions au sein du ministère entre différents responsables chargés de tenir compte de questions intéressant les industries, le travail, les droits de la personne, et la non-prolifération. Maintenant, grâce à cette séparation—dont personne ne souhaite s'attribuer le crédit, mais qui devient une réalité—tout cela relève de la responsabilité du ministère du Commerce international. Cela veut donc dire que ces demandes de permis d'exportation ne sont plus examinées par les responsables du ministère des Affaires étrangères, qui traitent normalement de ces questions-là. Or c'est un problème de taille.

    Nous étions de toute façon contre la séparation dès le départ, car pour nous, Commerce international Canada fait partie d'un ensemble; son travail fait partie de nos efforts pour ouvrir un dialogue avec les autres pays du monde et nous estimons par conséquent que cette branche devrait être rattachée aux Affaires étrangères. Et cet exemple le prouve. En tout cas, si la séparation se réalise, on devrait s'intéresser à la question des permis d'exportation et s'assurer que les demandes font l'objet d'un examen plus général.

    Merci.

º  +-(1630)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Paquette.

[Français]

+-

    M. Pierre Paquette (Joliette, BQ): Je veux vous remercier pour vous présentations; je pense qu'elles enrichissent énormément le point de vue du comité. Je voudrais peut-être que nous réfléchissions ensemble sur les moyens pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Je vais vous donner un exemple.

    Lorsque China Minmetal a voulu acheter Noranda, nous avons soulevé la question des droits humains, le fait qu'il y a des allégations à l'effet que China Minmetal a recours au travail forcé. Toutefois, le Canada n'a pas signé la convention de l'OIT sur le travail forcé, et les américains ont recours au travail forcé.

    Alors, devrions-nous être plus sévères envers la Chine que nous le sommes envers nous-mêmes ou envers les États-Unis? Je ne le crois pas. Comment donc, dans une situation comme celle-là, le Canada peut-il donner des leçons aux autres alors que lui-même n'a pas signé la convention de l'OIT concernant le travail forcé ni une des conventions touchant le travail des enfants ni une autre, à ma connaissance, sur la liberté syndicale? Dans ce sens, n'y aurait-il pas lieu que l'ensemble des organisations préoccupées par les droits humains demandent au Canada de faire d'abord ses leçons et de signer les grandes conventions internationales reconnues sur le plan des droits syndicaux ou des droits du travail? C'est ma première question.

    Deuxièmement, le Groupe de Cairns est très agressif dans son opposition aux subventions. Je suis de ceux qui pensent aussi qu'on ne doit pas subventionner les exportations dans le domaine agricole, parce que cela entraîne une distorsion importante dans le marché et que les pays en développement finissent par être les perdants dans ces opérations. En même temps, cela remet l'accent sur le fait que les pays membres du Groupe de Cairns sont les plus agressifs dans leur opposition au système de gestion de l'offre que le Canada a mis en place dans certains domaines.

    Vous parliez tout à l'heure d'une approche plutôt complexe que très agressive. Je voudrais donc votre avis sur ce qui suit. Le Canada ne devrait-il pas se retirer du Groupe de Cairns? Encore cette semaine, la Nouvelle-Zélande a déposé une nouvelle plainte contre les producteurs de lait du Canada.

    Mon dernier élément porte sur le fait que tout en étant contre le travail des enfants et contre le travail forcé, il y a des communautés qui sont actuellement organisées sur ces bases. Je pense au Bangladesh, par exemple. Si on décide de bloquer complètement l'importation de leurs produits, que ce soit par le biais des sous-traitants ou des fabricants, on risque de mettre en cause leur économie.

    Ne vaudrait-il pas mieux alors faire des efforts pour qu'il y ait des plans de reconversion en vertu desquels, effectivement, les entreprises canadiennes et le gouvernement canadien, avec les gouvernements des pays concernés, prendraient les moyens et donneraient des échéanciers très précis pour éliminer le travail des enfants? Éliminer le travail forcé est peut-être plus évident.

    Comment voyez-vous cela? Pensez-vous que l'on puisse décider du jour au lendemain que tout ce qui sera produit en dehors des conditions normales devrait être banni du Canada?

    Je termine en disant qu'on a déposé hier à la Chambre une pétition de la section francophone d'Amnistie internationale comportant les noms de plus de 13 500 personnes qui réclament que l'on puisse savoir, en consultant les étiquettes sur les vêtements, le lieu de leur fabrication, afin d'être en mesure de faire les vérifications.

[Traduction]

+-

    M. Alex Neve: Peut-être pourrais-je commencer par attaquer votre première question, si cela vous va? Mes collègues ont certainement des observations à faire à ce sujet et en réponse aux autres questions.

    Pour moi, vous avez parfaitement raison de dire que si le Canada veut avoir à sa disposition toute la gamme des outils relatifs à la protection des droits de la personne pour pouvoir réagir dans une situation comme celle de Noranda, il est tout à fait essentiel d'améliorer notre propre bilan en matière de droits de la personne, y compris par rapport aux accords internationaux dont nous sommes signataire.

    Ceci dit, s'agissant de travail forcé, notamment s'il s'agit du travail forcé d'enfants, même si le Canada n'a pas ratifié le traité de l'OIT, d'autres traités internationaux de défense des droits de la personne ratifiés par le Canada renferment des dispositions importantes qui reflètent cette préoccupation-là—peut-être pas de manière aussi détaillée que la Convention de l'OIT—et qui précisent dans une perspective de défense des droits de la personne, de telles pratiques sont interdites. Nous ne devrions donc pas hésiter à parler en termes énergiques de l'importance de cette question, et nous devrions également reconnaître que le fait d'aller un peu plus loin et de ratifier la convention pertinente de l'OIT, par exemple, apporterait certainement de l'eau à notre moulin.

    En ce qui concerne d'autres questions toutefois, nous n'avons pas ratifié les traités clés pertinents, ce qui compromet gravement à mon avis notre capacité de soulever nos préoccupations voire même d'insister là-dessus dans d'autres pays. Dans cet ordre d'idées, je voudrais parler du traitement des travailleurs migrants, qui soulève de graves préoccupations dans de nombreuses régions du monde. Il existe un important traité international relatif à la protection des droits de la personne qui porte justement là-dessus et qui précise l'ensemble des obligations que doivent respecter les gouvernements, afin de garantir la sécurité et la protection des droits de cette population très vulnérable. Le Canada continue à refuser de ratifier ce traité. Si nous avions des inquiétudes au sujet du traitement réservé aux travailleurs migrants par un autre gouvernement au sujet desquels nous souhaitions présenter nos doléances, étant donné que cela suscite de graves préoccupations dans le monde entier, nos efforts seraient très compromis.

º  +-(1635)  

[Français]

+-

    Mme Gauri Sreenivasan: En ce qui concerne le Groupe Cairns, vous avez raison: il est intéressant de savoir pourquoi nous sommes membres de ce groupe, d'autant plus que lorsque celui-ci prend position, nous nous retrouvons souvent en situation minoritaire. Selon moi, la question c'est pas autant de savoir à quel groupe nous appartenons ou non, mais plutôt de préciser quelles positions nous sommes prêts à appuyer. Il est très clair pour moi que nous devrons appuyer certaines priorités du Brésil et de l'Inde en matière de défense si nous voulons qu'ils appuient les nôtres. Il s'agit là d'un principe de contrepartie qui fait partie des règles de commerce.

    Même si nous sommes membres du Groupe de Cairns, nous pouvons faire cela, parce que les négociations se font secteur par secteur dans le domaine de l'agriculture. Il est clair que nous, au Canada, n'avons pas donné sur le plan politique suffisamment de signaux démontrant que nous sommes prêts à appuyer les demandes des autres en matière de défense. Par contre, une fois que nous l'aurons fait, nous réussirons peut-être à susciter plus d'appuis et d'alliances politiques à l'égard de nos propres demandes. C'est dans ce sens que nous devrons être présents.

    Cela ne s'applique pas seulement au cas de l'agriculture. C'est partie intégrante de l'équation. Au conseil de l'ADPIC, on étudie certaines priorités très claires du Brésil et de l'Inde en matière de développement. On parle ici de brevets et de services. Nous, au Canada, exigeons avec beaucoup d'insistance un accès au marché. Il va nous falloir relâcher un peu la pression dans quelques domaines, pour nous assurer des appuis. Donc, selon moi, les positions que nous adoptons sont plus importantes que le fait que nous soyons membre du Groupe de Cairns ou non.

[Traduction]

    S'agissant maintenant de questions liées aux droits de la personne, aux instruments qui existent et aux mesures que nous pouvons prendre, Pierre en a évidemment parlé, mais à mon avis, il y a de façon très générale au moins deux domaines de travail pour le Canada en ce qui concerne la responsabilisation des entreprises canadiennes en matière de défense des droits. À juste titre, Amnistie internationale a demandé au Canada de viser une amélioration par rapport à l'ensemble de ces priorités, c'est-à-dire la promotion et la collaboration avec les entreprises afin de s'assurer qu'elles respectent les droits de leurs travailleurs, où qu'elles soient—c'est l'aspect positif du programme… Mais il y a aussi l'aspect négatif, à savoir qu'au strict minimum, le gouvernement canadien ne devrait soutenir, ni par l'entremise de ses politiques ni en accordant du financement, quelque initiative que ce soit qui compromet les droits humains.

    Dans un premier temps, nous devons nous attaquer à cette problématique-là. Il faut examiner de plus près les projets. Il faut aussi un cadre stratégique d'ensemble, comme nous le disions depuis un moment, soit un cadre de réglementation précisant dans quelles conditions le gouvernement canadien serait prêt à assurer un soutien politique aux entreprises par l'entremise de ses ambassades, à leur verser une aide financière, par l'entremise d'EDC, à les faire bénéficier d'abris fiscaux aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou à faciliter des investissements par l'entremise de la DPP. Il y a une vaste gamme d'instruments publics par rapport auxquels il convient de tenir davantage compte de la problématique des droits de la personne afin de s'assurer que les entreprises qui sont admissibles à diverses formes de soutien public ne violent pas les droits de la personne.

    Il y a aussi une deuxième étape, en ce sens que même si vous ne bénéficiez pas de soutien public, le gouvernement doit tout de même s'inquiéter si vous êtes une entreprise canadienne qui n'a pas un bilan parfait en ce qui concerne les droits de la personne. Mais nous sommes surtout très préoccupés par le manque de rigueur entourant la sélection des compagnies et des activités que nous acceptons de soutenir financièrement.

    À mon avis, il faut vraiment s'intéresser de très près à cette question en particulier, et c'est le Parlement qui devra prendre cette initiative, puisque nos collègues du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international nous diront que c'est justement la question de l'appui public à accorder aux compagnies, et notamment les compagnies d'extraction des ressources, qui est la plus épineuse. Par rapport à l'éventail des problèmes qui nécessitent une solution, c'est celui auquel ils auront le plus de mal à attaquer, mais à certains égards, c'est aussi le problème le plus grave et le plus spécifiquement canadien que nous ayons à régler, vu notre forte position mondial dans ces secteurs. Nous avons donc besoin de beaucoup plus d'appui parlementaire pour obtenir que la question de l'appui politique et financier dont bénéficient les entreprises canadiennes, et de la mesure dans laquelle ce soutien repose sur un cadre de protection des droits, fasse l'objet d'un examen approfondi.

º  +-(1640)  

[Français]

+-

    M. Pierre Paquette: J'aimerais simplement mentionner que lorsqu'on a adopté la modification relative à la Société pour l'expansion des exportations pour en faire Exportation et développement Canada, j'ai présenté un amendement pour que le respect des traités signés par le Canada soit inclus. Or, il a été rejeté. Alors, on part de loin. En outre, vous avez pu voir le rapport de la vérificatrice générale concernant les audits sur le plan environnemental.

    M. Laliberté aurait peut-être quelque chose à ajouter à ce sujet.

+-

    M. Pierre Laliberté: Oui. Ce qui a été dit est tout à fait vrai. L'émergence de la Chine en fait un point chaud de l'économie internationale. Cela a créé une intensification de toutes ces inquiétudes et nous a forcés à nous situer par rapport à cela. Il est facile de dire qu'on ne fait pas affaire avec la Birmanie, mais il est évident que la Chine, c'est autre chose. Il nous faut développer une approche avec le gouvernement chinois, qui est un gouvernement autoritaire, pour ne pas dire dictatorial et utiliser un terme poli. Cela dit, on est obligé de composer avec cette réalité, c'est un fait incontournable.

    Quel type d'engagement développer face à cette réalité sans fermer complètement les portes, sauf dans les cas assez extrêmes qui ont été décriés? Il y a un grand champ d'action, même s'il varie en fonction de l'attitude du gouvernement chinois. Dans le cas des droits syndicaux en Chine, par exemple, il est clair que le syndicat affilié au Parti communiste chinois et au gouvernement a le monopole syndical. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais la liberté syndicale n'existe pas dans ce pays. Cela dit, la nouvelle loi chinoise permet la formation de comités d'entreprise qui ne sont pas des syndicats. En vertu de la loi chinoise, les compagnies qui oeuvrent en Chine peuvent établir, de concert avec les travailleurs, des comités d'entreprise qui ressemblent, par leur forme, aux comités d'entreprise européens. Pour les entreprises qui peuvent être là et qui veulent jouer un rôle progressiste, il y a une façon de le faire en marge et sans contrevenir à la loi chinoise.

    De ce point de vue, je pense qu'il existe des outils, mais—je reviens à ce qui a été mentionné—il est important que le gouvernement donne le ton et qu'il nous donne des outils pour le faire. Du côté patronal, malheureusement, il y a une attitude intransigeante. Je ne veux pas tomber dans la caricature, mais ils voient le gouvernement et même les syndicats et les ONG comme des trouble-fête, des freins. L'attitude la plus intelligente à prendre face à cela, serait de voir là une occasion de développement qui...

[Traduction]

+-

    Le président: Tout le monde a droit à 15 minutes, et vos 15 minutes viennent de s'écouler.

    Madame Jennings.

º  +-(1645)  

[Français]

+-

    L'hon. Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Merci, monsieur le président. Je vais partager les 15 minutes dont je dispose avec le secrétaire parlementaire, M. Eyking.

    Merci beaucoup pour vos présentations.

[Traduction]

    J'ai retenu en particulier deux points que vous trois avez soulevés, chacun de façon un peu différente. Premièrement, vous nous dites que l'adoption d'une politique de libre-échange ou d'ouverture des marchés à l'échelle internationale n'est pas tout à fait dans l'intérêt du Canada. Vous dites que le Canada devrait travailler de façon plus stratégique, c'est-à-dire qu'il devrait étudier chaque marché et déterminer si une politique de marché libre dans tel ou tel autre secteur est avantageux pour le Canada, auquel cas il peut opter pour cette ligne de conduite. Mais à cet égard, nos propres politiques renferment certaines incohérences.

    En tant qu'ancienne secrétaire parlementaire au ministre de la Coopération internationale, je suis frappée de voir que bon nombre de nos ONG qui travaillent dans le secteur agricole—je connais davantage le travail de la Fédération québécoise et des différentes coopératives—exécutent des projets qu'elles financent et pour lesquelles elles reçoivent parfois des crédits de l'ACDI quand ses projets se déroulent dans des pays africains francophones. Ces pays tâchent de fermer leurs marchés, ou les ont déjà fermés, aux importations afin de pouvoir créer des emplois et de la richesse chez eux avant d'ouvrir leurs marchés. Donc, je constate que l'ACDI finance un certain nombre de ces projets de développement, alors que dans d'autres secteurs, nous parlons des marché libres.

    En même temps, nous défendons—et en même temps, nous défendons—et j'en suis sans doute un défenseur aussi passionné que M. Paquette et mes collègues de l'Ouest—la préservation de la Commission canadienne du blé et de notre régime de gestion de l'offre, parce qu'il y a de très bonnes raisons d'adopter des stratégies de ce genre pour son marché intérieur. Donc, madame Sreenivasan, votre argument concernant l'importance des politiques commerciales défensives en est un autre que je retiens de cette discussion.

    L'autre point que je retiens, c'est que, quelle que soit l'orientation future des politiques commerciales du Canada, que nous décidions de mettre l'accent sur l'aspect stratégique—dans certains domaines, ce serait un marché libre, dans d'autres, nous pourrions opter pour un modèle de défense ou de protection—et donc de créer des alliances stratégiques, nous devrions tout de même envisager de définir un cadre global qui nous permettra d'être un chef de file dans la défense des droits humains, des droits des travailleurs, et des droits sociaux. Ce cadre doit englober

[Français]

des mesures incitatives, des mesures coercitives, des mesures

[Traduction]

qui récompense ou punit les entreprises canadiennes, ou même les ONG, qui sont actives ou même des activités commerciales à l'échelle internationale mais n'ont pas cru bon de se conformer au code que nous avons mis en place ou qui nous semble approprié pour faire la promotion des droits humains, des droits des travailleurs, et des droits sociaux.

    Ai-je bien compris vos arguments?

+-

    Le président: Madame Jennings, j'ai informé les membres du comité tout à l'heure que Mme Sreenivasan devrait partir un peu plus tôt—elle nous quitte dans les prochaines minutes. Par conséquent, si vous voulez lui demander d'intervenir tout de suite… évidemment, c'est à vous de voir comment vous voulez gérer votre temps de parole…

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Elle peut intervenir maintenant.

+-

    Le président: ... mais je sais qu'elle doit partir. Donc, sentez-vous libre…

º  +-(1650)  

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Je n'ai pas utilisé sept minutes et demie.

+-

    Le président: Si. Votre temps est écoulé. Mais si vous voulez entendre la réaction de Mme Sreenivasan en particulier, il faudra le faire immédiatement.

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Oui. Ensuite, je voudrais entendre la réaction de M. Neve et de M. Laliberté.

+-

    Mme Gauri Sreenivasan: Vous avez fait un excellent résumé.

    S'agissant du premier point concernant les choix qu'aura à faire le Canada relativement à ses différentes priorités, ce que je vous disais à ce sujet, c'est que d'autres pays, de même que le Canada, se trouvent dans la même situation. Puisque nous avons des intérêts à la fois offensifs et défensifs, le Canada doit nécessairement déterminer quels marchés l'intéressent et lesquels ne l'intéressent pas. Mais il faut que nous accordions la même marge de manoeuvre à d'autres pays, si nous souhaitons en bénéficier nous-mêmes.

    C'est ça que j'essayais d'expliquer. Il nous faut légitimiser une démarche axée sur une gamme de modèles. Voilà qui nous permettrait plus facilement de former des alliances avec les pays émergents.

    Dans certains domaines, comme le disait Pierre, nous avons des intérêts offensifs très semblables en ce qui concerne l'élimination des subventions à l'exportation. Le Brésil est déjà très content de travailler avec le Canada pour faire avancer ce dossier, ça, c'est facile. S'agissant de l'Inde et de la Chine, ce sera plus difficile, notamment dans d'autres secteurs.

    Je vais m'arrêter là. Pour moi, vous avez bien résumé la situation.

+-

    Le président: Merci beaucoup de votre présence, madame Sreenivasan. Sentez-vous libre de nous quitter quand vous serez prête.

+-

    Mme Gauri Sreenivasan: Merci.

    On ne pourra jamais dire que les comités parlementaires ne sont pas sensibles aux besoins de leurs témoins en matière de garde d'enfants. Vous m'impressionnez beaucoup.

+-

    Le président: Encore une fois, merci. Nous avons beaucoup apprécié votre présence.

    Madame Jennings, si vous n'avez pas terminé vos questions, vous pouvez évidemment continuer, et ensuite nous demanderons à Pierre et à Alex de réagir.

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Je viens de résumer ce que j'ai retenu de leurs témoignages, et je demande maintenant à nos experts si j'ai bien compris leurs arguments. C'est ma première question.

    S'il me reste encore du temps par la suite, j'aurais d'autres questions à leur poser.

+-

    Le président: Très bien. Nous allons donc solliciter les réactions de M. Laliberté et M. Neve.

+-

    M. Alex Neve: Je n'ai pas besoin de beaucoup de temps, parce que j'estime que vous avez effectivement bien résumé notre réflexion. Je ne prétends pas pouvoir me prononcer sur votre premier point. Je m'en remets plutôt à l'expertise de Gauri et de Pierre en ce qui concerne l'analyse d'une démarche stratégique qui nous permettra de promouvoir le modèle d'accès aux marchés qui est dans l'intérêt du Canada. Tel n'est pas le domaine d'expertise d'Amnistie internationale.

    S'agissant de la promotion des droits, vous avez exposé la situation de façon très succincte et claire, à mon avis. Il faut que cela se concrétise et que cet élément soit l'un des fondements de notre politique canadienne commerciale et d'investissement. La situation actuelle offre l'occasion rêvée de nous y attaquer. Comme nous essayons à présent d'élaborer de nouvelles stratégies à l'égard des « nouveaux » marchés, nous avons à mes yeux une occasion intéressante de bien faire les choses dès le départ, plutôt que d'avoir à combler les lacunes de nos politiques par la suite.

[Français]

+-

    M. Pierre Laliberté: Je suis d'accord sur ce qui a été dit, de même que sur la petite nuance que Mme Sreenivasan a apportée. Il faut respecter un peu le contexte dans lequel ces pays se trouvent et leur donner aussi autant de flexibilité que nous en voulons nous-mêmes.

    Je pense que le ministre de l'Agriculture de l'époque qui était présent a fait des hosannas quand le sommet s'est écroulé, parce que ce qui s'annonçait en matière d'agriculture était très nocif aux yeux de la Commission canadienne du blé et des industries régies par la gestion de l'offre.

    J'ajouterais autre chose au sujet du fameux cadre. Je pense que c'est bon d'avoir un cadre, mais c'est bon aussi d'avoir une dynamique. Un cadre sans dynamique va devenir... Enfin, j'aimerais mieux voir une dynamique où les différents acteurs sont engagés d'une façon positive, même s'ils ne sont pas toujours d'accord, pour faire en sorte que l'intervention canadienne se fasse, par exemple dans des secteurs névralgiques difficiles comme celui des industries extractives, plutôt que d'avoir un cadre juridique qui fait en sorte qu'on se lance des grenades par-dessus les clôtures et qui mène à un système où les plaintes abondent sans que cela ne mène à des façons de faire positives. Encore une fois, le gouvernement peut jouer un rôle à cet égard s'il crée les incitatifs nécessaires et s'il crée les forums pour nous donner des outils.

    Pour les entreprises qui sont à l'extérieur, il est clair que la situation actuelle est déjà assez compliquée. Pour elles, toutes ces choses entraînent des coûts supplémentaires, des embêtements supplémentaires, et elles sont souvent les dernières à en voir la valeur, et ce, tant et aussi longtemps qu'elles ne sont pas confrontées à un problème. Il y a beaucoup de choses à faire de ce côté.

º  +-(1655)  

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Une chose est certaine, si le gouvernement s'engage à mettre en place un cadre ou, comme on dit en anglais, a template, où il y a des mesures incitatives... Ces dernières existent déjà dans notre régime fiscal. Ce sont des mesures incitatives pour les investissements dans du nouvel équipement. On peut aussi déduire la dépréciation au niveau des impôts, etc. Alors, cela n'empêche pas le fait que des outils qui existent déjà peuvent être modifiés ou qu'on peut étendre leur application à d'autres mesures ou à des investissements que les compagnies doivent faire si elles veulent adhérer volontairement, par exemple, à un cadre mis en place par un gouvernement. C'est une chose.

    Combien de temps me reste-t-il?

[Traduction]

+-

    Le président: Vous avez eu un peu plus de 11 minutes par rapport aux sept minutes qui vous étaient attribuées.

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Très bien. Je m'arrête là.

+-

    Le président: Je sais que j'ai donné 15 minutes à tout le monde.

    Monsieur Eyking.

+-

    L'hon. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): D'abord, monsieur le président, merci de me permettre d'intervenir.

    J'aimerais faire un commentaire. Je ne peux pas poser une question à la dame qui nous a déjà quittés. Mais elle a défendu avec éloquence les offices de commercialisation, et son analyse était excellente, à mon avis. Je tenais absolument à le dire publiquement. Pour moi, elle a raison de nous inciter à obtenir l'appui des pays de développement et à nous faire faciliter le travail par l'OMC. Je suis surpris que les membres de l'opposition n'aient pas posé de questions à ce sujet.

    J'ai une question pour M. Neve.

    Quand nous avons été à Shanghai, et l'honorable député nous a accompagnés—nous avons visité les locaux de plusieurs compagnies canadiennes. Elles font un excellent travail à Shanghai. Ces compagnies avaient des garderies et des conditions de travail exceptionnelles, même par rapport à celles qui existent au Canada. Elles jouent un rôle prépondérant dans l'ensemble de la région de Shanghai et elles donnent vraiment l'exemple de la manière de bien gérer ses employés et de leur assurer de bonnes conditions de travail.

    Nous avons aussi remarqué qu'en choisissant le bois d'oeuvre qu'elle achète, la compagnie Home Depot s'attend à présent à ce que les entreprises avez lesquelles elle traite adoptent des pratiques écologiques en matière de plantation, entre autres. C'est un gros avantage pour Home Depot, qui peut ainsi plus facilement vendre ses produits aux consommateurs.

    Je sais fort bien qu'il nous faut aussi un bâton. Il ne fait aucun doute que certaines compagnies n'ont pas de bonnes pratiques, mais en même temps, nous devons à mon avis insister pour que les entreprises qui agissent bien soient reconnues d'une manière ou d'une autre pour leurs bonnes pratiques à l'égard de leurs employés—un peu comme ce qui se fait déjà du côté environnemental. Je sais que les compagnies qui achètent du café font la même chose en traitant avec de petits producteurs de café, et certaines compagnies qui vendent des articles sportifs dénoncent le travail des enfants dans la fabrication des ballons de football.

    Ne croyez-vous pas qu'il y a lieu de lancer une grande campagne afin que les consommateurs soient mieux informés et que les entreprises acceptent plus facilement de tenir compte de la façon dont les produits qu'elles vendent sont fabriqués?

+-

    M. Alex Neve: Oui, absolument, et toutes sortes d'initiatives intéressantes sont déjà en cours qui devraient nous permettre d'intensifier nos efforts dans ce domaine. C'est évidemment un travail de grande envergure, vu le nombre de compagnies qui mènent des activités aux quatre coins du monde et la vaste gamme de questions liées aux droits de la personne dont il faut tenir compte en définissant un régime qui nous permettra de mesurer, de manière fiable et objective, la performance d'une entreprise en ce qui concerne le respect des droits humains et de l'approuver ou non. Pour moi, il y a encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine, et c'est un travail auquel les gouvernements peuvent apporter leur contribution.

    Chez Amnistie internationale, on nous demande constamment de faire ce genre d'évaluation à l'égard des compagnies individuelles, mais nous n'avons tout simplement pas la capacité de faire de telles analyses. Nous ne possédons pas suffisamment de ressources pour mener des enquêtes relativement approfondies sur un aussi grand nombre de compagnies. Par contre, il y a d'autres moyens de mettre en branle ce genre d'activités.

»  +-(1700)  

+-

    M. Pierre Laliberté: Je voudrais aborder brièvement ce dont parlait Pierre Paquette, à savoir la pétition demandant à Industrie Canada d'exiger que les étiquettes indiquent la provenance des produits que nous achetons. Cette information existe déjà. En fait, si vous êtes fabricant en Chine, le gouvernement exige que cette information soit fournie. Mais une fois que ces produits arrivent ici, cette exigence ne s'applique plus.

    Donc, nous avons déjà certains moyens, et à notre avis, les excuses qu'on nous a données pour essayer d'empêcher que cela se fasse ne sont pas très sérieuses.

    Pour revenir sur le point soulevé par Alex en ce qui concerne la responsabilisation sociale, il y a un domaine où le Canada pourrait faire preuve d'innovation, et ce serait en exigeant que les sociétés ouvertes cotées présentent des rapports sur leur bilan social. Quand il y a moyen de mesurer quelque chose, il est souvent plus facile d'en arriver à des améliorations. S'il est vrai que les entreprises ont des responsabilités sociales et un rôle social à jouer, le fait d'exiger que ces questions soient abordées dans leurs rapports annuels les encouragerait à s'y intéresser de façon plus sérieuse, au lieu de déléguer un représentant de la compagnie pour gérer la crise lorsqu'elle se déclare. Disons que cela ferait partie intégrante des activités de l'entreprise.

    D'ailleurs, ce que vous nous dites à propos de ces compagnies qui sont implantées à Shanghai est très positif, et j'en suis très content.

+-

    Le président: Faites vite, s'il vous plaît, parce qu'ils ont déjà dépassé les 15 minutes qu'ils avaient à partager, et M. Julian souhaite…

+-

    L'hon. Mark Eyking: Je n'ai qu'une petite observation à faire. Pour les fins du compte rendu, j'aimerais vérifier auprès de vous si Mme Jennings a présenté une motion proposant que les entreprises textiles aient à indiquer sur les étiquettes de leurs produits qu'elles ont des pratiques équitables. C'est bien ça?

+-

    Le président: C'est exact.

+-

    M. Alex Neve: Je voulais ajouter quelque chose à ce que Pierre vient de dire au sujet des rapports présentant le bilan social des entreprises. Je suis entièrement d'accord pour dire que ce serait extrêmement utile que le gouvernement exige de tels rapports, et je pense que ce dernier devrait même aller plus loin et commencer d'ores et déjà à élaborer des lignes directrices sur les éléments à aborder dans ce genre de bilan social. Des entreprises de toutes les régions du Canada s'adressent à nous constamment pour nous demander ce genre de conseils, puisqu'il n'existe rien qui permettrait à une compagnie de savoir quelle méthode ou démarche de base elle doit privilégier. Quelque chose qui nous permettrait de développer cette notion et de faire ce travail serait donc très utile.

+-

    Le président: Monsieur Julian, vous avez 15 minutes.

+-

    M. Peter Julian (Burnaby—New Westminster, NPD): C'est incroyable! Et je peux même interroger deux témoins sur trois.

[Français]

    On va y revenir.

    Lors des discussions qu'on a eues sur les marchés émergents depuis quelques semaines, on a commencé à parler des arbres. Aujourd'hui, vos présentations nous donnent un peu plus un aperçu de l'industrie forestière, c'est-à-dire de la manière dont on devrait aborder l'ensemble de la stratégie du commerce international.

    Ma première question concerne l'idéal, les promesses du commerce international par rapport à la réalité. Au Canada, on vit depuis 10 ou 15 ans dans un cadre de libre-échange, et la promesse était que cela allait apporter la prospérité. Quand on observe les faits 10 ans après l'ALENA, on voit que le salaire horaire moyen d'un travailleur canadien a baissé de 60 ¢ par rapport à ce qu'il était il y a 10 ans. Le taux d'endettement général des familles a augmenté d'un tiers au cours de la même période.

    Quand on voit tout cela, quand on voit que les emplois sont de plus en plus temporaires, que de moins en moins d'emplois offrent un régime de retraite et que les gens commencent à travailler à un salaire plus bas, on se dit que la prospérité, 10 ans après, n'est pas venue.

    À l'échelle internationale, savez-vous, par l'intermédiaire de l'OMC par exemple, quelle est la situation? Y a-t-il toujours une concentration de la richesse comme, par exemple, au Canada, où les plus riches représentent 10 p. 100 de la population et détiennent 55 p. 100 de la richesse? Est-ce la même chose à l'échelle internationale?

+-

    M. Pierre Laliberté: Oui. En fait, ce n'est pas très compliqué. Il est clair que la création d'un marché mondial provoque nécessairement des restructurations ou des ajustements profonds.

    On mentionnait l'industrie du textile et du vêtement. Les travailleurs canadiens de cette industrie gagnent déjà des salaires plutôt bas. Si on leur demande de faire concurrence aux travailleurs qui, comme les Chinois, gagnent à peu près 30 ¢ l'heure—en supposant qu'ils travaillent 2 000 heures par année, ce qui n'est évidemment pas le cas—, on peut voir alors l'étendue du problème.

    C'est là qu'il faut des balises qui nous permettraient, justement, de nous assurer que les travailleurs—ou les travailleuses, dans ce cas-ci—qui oeuvrent dans ces industries reçoivent une partie de la plus-value générée. Je pourrais me lancer dans un discours fleuve, mais je vais essayer d'être concis. On voit également de plus en plus que les activités internationales des compagnies sont segmentées par type d'activité. On transfère donc dans les pays à bas salaires les activités qui requièrent une main-d'oeuvre intensive.

    Cela a deux effets pervers. Pour les pays qui obtiennent ces emplois, cela a très peu d'effet collatéral positif sur leur économie générale: d'une part, ils sont ni plus ni moins condamnés à ce type d'industrie et, d'autre part, ils sont pénalisés parce que les travailleurs et travailleuses ne peuvent pas obtenir de plus-value à cause, souvent, du non-respect des droits syndicaux.

    Il y a aussi les stratégies d'entreprise. Dans le secteur du vêtement, par exemple, les fournisseurs se font une compétition féroce. Les compagnies qui ont des étiquettes peuvent avec assez de facilité changer de pays et de manufacturier pour leur approvisionnement. Dans ce cas, le problème est le suivant: qui reçoit la plus-value? On assiste donc à une concentration de la plus-value. Les compagnies qui peuvent s'engager dans de telles stratégies sont plus rentables, et en bout de ligne, cela va dans les mains des actionnaires.

    Cela va aussi dans des industries connexes. Par exemple, chez Nike, cela irait probablement dans le marketing ou quelque chose du genre. Par rapport aux inégalités, cela signifie donc qu'on ne parvient pas au nivellement dont vous parliez, ce qui entraîne un certain questionnement.

    Je vais en remettre sur ce point. EDC promeut en ce moment la délocalisation auprès des compagnies canadiennes. On dit donc aux compagnies canadiennes que si elles veulent être compétitives, il leur faut exporter leurs activités qui requièrent une main-d'oeuvre intensive dans des contrées plus propices à ce genre d'activité. Je n'ai pas rêvé cela. Je crois que l'économiste en chef s'appelle Steve Poloz. Les sociétés de la Couronne qui, sous le couvert de stratégies corporatives...

    Une voix: Il y a Paul Gobeil aussi.

    M. Pierre Laliberté: Voilà.

    Alors, c'est complexe. Pour nous, en l'absence de balises, cela peut certainement provoquer une course vers le bas. Je crois que c'est ce dont vous parliez: une course vers le bas entraîne forcément des inégalités salariales extrêmes. Finalement, 20 ans de libre-échange n'ont pas entraîné de progrès sur ce plan, bien au contraire.

»  +-(1705)  

[Traduction]

+-

    M. Alex Neve: Je n'ai rien à ajouter au sujet de la promesse trahie de la prospérité accrue au Canada. Je précise, cependant, que notre approche de libéralisation des échanges—une approche qui ne tient pas suffisamment compte des questions liées aux droits de la personne—a eu de sombres conséquences du point de vue des préjudices causés depuis bien des années aux travailleurs—au Mexique, par exemple; je fais allusion aux conséquences de l'ALENA.

    Depuis un an ou deux, Amnistie internationale travaille très fort pour mettre en relief l'extrême danger—les incidents violents ont atteint un degré tout à fait alarmant—auquel sont exposées les femmes qui travaillent dans le corridor des maquiladoras au Mexique, et notamment à Ciudad Juárez. On ne peut pas dire que l'ALENA a causé cette violence, mais il ne fait aucun doute que cette violence s'est manifestée dans un contexte économique qui est favorisé et encouragé jusqu'à un certain point par les politiques établies en vertu de l'ALENA.

    Il ne fait aucun doute que, dans ce contexte, le gouvernement mexicain a la responsabilité première de garantir la sécurité et la protection de ces femmes; ce sont de pauvres femmes, venant de milieux ruraux de diverses régions du Mexique qui ont été attirées vers Ciudad Juárez par les grandes promesses de création d'emplois. Mais cela va bien au-delà de la situation au Mexique. Je trouve impardonnable que les gouvernements canadien et américain n'aient pas cru bon d'analyser en profondeur le contexte dans lequel se produit cette violence en vue de comprendre et d'évaluer les circonstances qui font que les femmes sont devenues particulièrement vulnérables. Je trouve également impardonnable que des compagnies canadiennes, américaines et autres qui ont décidé d'y mener des opérations commerciales—et qui sont donc directement concernées—n'aient pas cru bon de prendre au sérieux cette problématique.

    Je sais que ma réponse n'aborde pas directement votre question sur la prospérité, mais elle touche tout de même la prémisse de votre question. La promesse des retombées positives de la libéralisation des échanges a été trahie en quelque sorte, en ce sens que cette libéralisation n'a pas nécessairement amené à tous la prospérité promise; et cette trahison se situe à un autre niveau également, en ce sens que beaucoup de gens sont exposés à un niveau et un type de violence qui n'existaient pas auparavant.

»  +-(1710)  

+-

    M. Peter Julian: Merci beaucoup. J'ai une autre question à vous poser, et j'ai aussi quelques questions que j'aurais voulu poser à Mme Sreenivasan.

    Ma deuxième question concerne les entreprises et l'idée de forcer les entreprises à respecter la législation du travail. Nous avons des compagnies parias, même au Canada. En Amérique du Nord, Wal-Mart, par exemple, enfreint avec impunité les règlements en matière de santé et de sécurité, les lois du travail, et les lois en matière d'immigration. Cette compagnie transgresse les lois, et nous savons très bien que lorsqu'un groupe d'employés s'organise pour mettre sur pied un syndicat, Wal-Mart ferme le magasin. Donc, devant des entreprises qui enfreignent les lois avec impunité en Amérique du Nord, de quels mécanismes avons-nous besoin? Quelles mesures à la fois incitatives et punitives nous permettront de forcer des compagnies parias comme celle-là et d'autres à respecter les valeurs canadiennes à l'étranger?

    Les deux autres questions que j'aurais posées à Mme Sreenivasan, si nous avions eu des tours de 10 minutes plutôt que de 15 minutes, de sorte que chaque membre du comité puisse lui poser des questions, concernaient nos institutions de gestion de l'offre et les règles de protection de la propriété intellectuelle. Dans les deux cas, elle laissait entendre que nos négociations, notre ministre du Commerce, et notre stratégie commerciale compromettent l'atteinte de nos objectifs relativement à la protection de nos institutions de gestion de l'offre, et qu'en insistant sur des mesures de contrôle internationales de la propriété intellectuelle, auxquelles de nombreux agriculteurs du Tiers monde ont réagi avec énergie étant donné que cela les met dans une situation impossible, notre stratégie sape en réalité les valeurs canadiennes et la réalisation des objectifs que nous-mêmes nous sommes fixés. Je suis sûr qu'elle aurait été d'accord avec mon analyse, mais elle n'est pas là pour nous le dire.

+-

    M. Pierre Laliberté: Vous parlez de l'action de Wal-Mart? Au moins au Canada, selon la province où l'entreprise mène ses activités, il existe un certain degré de protection, bien que cette protection varie. Il se trouve que c'est cette réalité qui fait que les résultats sont fort différents au Québec. En décidant de fermer son magasin de Jonquière, Wal-Mart a commis une grave erreur, à mon avis. Elle voulait intimider ces travailleurs et ces employés. Mais ce qu'elle a fait au fond, du moins dans la collectivité où je vis, c'est agacer terriblement les gens.

    À mon sens, cette compagnie a fait fi des principes de justice les plus fondamentaux. La plus grande multinationale du monde vient d'écarter de son chemin cette vilaine bête qu'est la syndicalisation dans son magasin de Jonquière, et je sais que cela a profondément choqué même des gens qui ne sont pas particulièrement en faveur des syndicats. Je crois que le résultat sera tout simplement plus de syndicalisation. Et vous en avez un exemple de l'autre côté de la rivière—au Wal-Mart de la vieille ville d'Aylmer.

    Vous avez raison. Mais pour revenir sur ce que vous venez de dire, le fait est qu'au moins au Canada, nous avons de meilleures lois de même que des organismes qui peuvent faire face à ce genre de problème. Nous avons des syndicats. Nous avons des groupes qui sont bien organisés.

    Dans certains pays comme la Chine, ce n'est évidemment pas le cas—et je peux vous assurer que ce n'est pas parce que la chose ne les intéresse pas. D'après ce qu'on nous dit, les travailleurs là-bas en ont assez. On ne peut pas être surmené 3 000 heures par années et travailler dans des conditions atroces sans avoir envie de protester à un moment donné. Le problème là-bas, bien entendu, c'est que les recours sont rares. Cela va prendre plus longtemps, mais les travailleurs vont finir par réagir parce que c'est ainsi que les gens réagissent naturellement lorsqu'ils sont victimes d'injustices.

    Dans ce contexte, il est d'autant plus important que nous jouions un rôle progressiste à cet égard. Les entreprises peuvent sans aucun doute contribuer à faire avancer la situation. Le gouvernement tombera un de ces jours; nous serons là quand cela se produira, et on nous rendra hommage pour le rôle que nous aurons joué.

    Il pourrait en être de même pour certaines compagnies des industries extractives qui mènent leurs activités dans le monde entier. Si le Canada pouvait se démarquer des autres pays, de sorte que lorsqu'une compagnie canadienne s'implante quelque part pour ouvrir une mine, le gouvernement et les citoyens locaux sauraient que puisque c'est une compagnie canadienne, elle se conduira correctement, la situation sera différente. Elle le serait forcément par rapport à ce qui arriverait si une compagnie d'un autre pays devait s'y implanter. Voilà le genre de situation que nous devons viser. À mon avis, c'est possible. Pour moi, la nature de l'activité minière n'est pas telle qu'elle doive nécessairement être entachée de corruption aussi régulièrement qu'elle l'est maintenant.

»  +-(1715)  

+-

    M. Alex Neve: Vous avez parfaitement raison de dire qu'il y a des compagnies parias au Canada. Il existe actuellement, et on peut supposer qu'il en existera toujours, des compagnies parias qui mènent leurs activités à l'étranger. Mais les lois nous permettent toujours de régler le sort des acteurs qui se comportent comme des voyous—qu'on parle du droit criminel, du droit de la famille, ou de n'importe quel type de régime judiciaire. Il y en a qui transgressent la loi, mais nous avons néanmoins besoin de lois pour essayer de régir le comportement de ce qu'on espère être la majorité, c'est-à-dire ceux qui seront prêts à respecter la loi et qui seront capables de le faire. En même temps, il faut constamment renforcer et réformer nos lois afin de posséder de meilleurs moyens de régler le compte d'acteurs parias.

    En ce qui concerne les mesures juridiques qui permettraient de renforcer la capacité du gouvernement canadien de garantir que les entreprises canadiennes se comportent de façon responsable et respectent les droits de la personne à l'étranger, plusieurs mesures s'imposent, dont certaines dont on a déjà parlé cet après-midi. À mon avis, il faut prévoir par voie législative que les entreprises aient l'obligation d'élaborer des politiques sur la protection des droits de la personne et de créer un processus qui leur permet de vérifier et de surveiller la conformité avec de telles politiques.

    Il y a d'autres initiatives également—comme celles dont nous avons discuté cet après-midi en matière de réforme du droit, par exemple, ou d'étiquetage visant à fournir une garantie de comportement éthique aux consommateurs—qui doivent se concrétiser. Nous parlons d'initiatives qui permettront aux consommateurs et aux investisseurs d'accéder plus facilement aux informations, de façon à ce que ces derniers puissent exercer le pouvoir—et c'est un pouvoir très réel—dont ils jouissent pour faire le choix de récompenser éventuellement la bonne conduite en matière de droits humains de compagnies canadiennes implantées à Shanghai ou ailleurs. Voilà qui pourrait constituer un outil très puissant pour nous aider à garantir une meilleure conformité avec les normes relatives à la protection des droits de la personne.

    S'agissant maintenant du droit des compagnies de bénéficier de l'aide du gouvernement—que ce soit en passant par l'EDC, ou en profitant d'autres formes d'assistance qui sont accessibles par l'entremise des délégués commerciaux et de toute une gamme d'autres programmes—il faut absolument que nous tenions compte de la dimension promotion des droits de la personne et que nous commencions à prévoir dans nos lois canadiennes des exigences précises à cet égard.

    Une autre initiative de réforme du droit canadien fort simple s'impose également; il s'agirait d'expliciter dans nos lois que les entreprises canadiennes qui sont actives à l'étranger continuent d'être visées par les lois du Canada et de relever de la compétence de nos tribunaux canadiens. Quand nous demandons l'intervention du gouvernement, les autorités nous parlent toujours de la réalité actuelle. Je me rappelle l'époque intense où nous nous battions pour qu'on intervienne dans les opérations de Talisman Energy au Soudan, qu'on nous disait sans arrêt que la portée du régime judiciaire canadien n'était pas à ce point grande, et qu'il n'était guère possible par conséquent de régir les opérations d'une compagnie canadienne implantée à l'étranger tout en ayant son siège au Canada. La législation canadienne doit justement préciser que le fait de s'implanter ailleurs ne signifie pas que les lois que nous avons adoptées au Canada en vue de nous assurer que les entreprises canadiennes se comportent de façon responsable en matière de droits humains ne s'appliquent plus.

»  +-(1720)  

+-

    Le président: J'ai donné presque 18 minutes à M. Julian, mais je tiens néanmoins à lui présenter des excuses étant donné qu'il n'a pas pu demander la réaction de Mme Sreenivasan, la situation aujourd'hui ayant été un peu inhabituelle.

    Je ne sais pas si vous étiez présent quand j'ai ouvert la séance tout à l'heure, monsieur Julian, mais j'ai indiqué alors qu'en raison d'une urgence familiale, elle serait obligée de nous quitter un peu plus tôt. En tout cas, je vous présente mes excuses. C'est ça qui arrive quand on est trop libéral et trop souple. Mais nous avons aussi un Parlement peu usuel, comme nous le savons tous et comme je l'explique à nos témoins, si bien que nous devons faire preuve de beaucoup de souplesse.

    Donc, vous avez raison, Peter, et je m'en excuse, et si quelque chose du même genre se produit à l'avenir, nous tâcherons de répartir le temps de parole avec plus de rigueur.

    Si vous me permettez d'ajouter mon grain de sel avant de lever la séance, monsieur Neve, je dois dire que je suis content que vous ayez abordé il y a quelques instants ce dont nous parlait le secrétaire parlementaire par rapport à l'action d'une compagnie canadienne en particulier qui s'est implantée à Shanghai. J'ai écouté vos commentaires, et moi aussi, je trouve approprié et encourageant que tous ces efforts aient été déployés au sein du gouvernement—et je ne parle pas de tel parti par rapport à un autre—et qu'il y ait eu ces initiatives dont nous avons discuté cet après-midi. Mais il y a une chose qui m'intrigue. Vous avez parlé de « conformité » à un moment donné dans votre exposé. Mais quand nous débattions du projet de loi C-31, je me suis heurté au problème suivant : peu importe le nombre de déclarations universelles qui existeront, que pourrons-nous faire pour assurer la conformité? Comment faire respecter de tels instruments dans une situation où une compagnie canadienne, par exemple, irait s'implanter à Shanghai, ferait bien son travail et se conduirait de manière responsable en établissant sa structure, mais où des compagnies d'autres pays ne feraient pas de même et décideraient de ne pas se conformer aux règles? Et le fait est qu'il n'y a pas grand-chose qu'on puisse y faire.

    Voilà donc ma question. Si nous évitons de nous implanter dans ces pays pour donner l'exemple, mettons, n'est-il pas vrai que nous risquons de causer aux pays concernés plus de préjudices que si nous permettions aux entreprises canadiennes de s'implanter à Shanghai, pour donner l'exemple? À ce moment là, les personnes qui travaillent pour ces autres compagnies se rendraient compte et diraient : « Voilà comment ils font de l'autre côté de la rue. Ils offrent des services de garde d'enfants, et ils s'occupent bien de leurs travailleurs ». À ce moment-là, un mouvement est déclenché et les autres travailleurs revendiquent à leur employeur des conditions semblables.

+-

    M. Alex Neve: Il ne faut pas mal comprendre ce que j'ai dit. Amnistie internationale ne dit pas aux entreprises de ne pas s'implanter en Chine, au Soudan ou en Birmanie; de même, nous ne leur disons pas non plus d'y aller.

    Ce qu'on leur dit, par contre, c'est que si elles comptent s'implanter dans des pays de ce genre où de graves et de fréquentes violations de droits vont être perpétrées devant leurs portes, et que si cela va être la réalité quotidienne des gens qui travaillent dans leurs locaux, et la réalité quotidienne des collectivités où ils vivent, il leur incombe d'adopter une approche globale qui garantira non seulement qu'elles ne contribuent pas à aggraver la situation en ce qui concerne les violations des droits humains, mais que leur présence favorisera au contraire la promotion et la protection des droits.

    À mon avis, vous avez tout à fait raison de nous dire que les entreprises de nombreux autres pays ne reçoivent aucun conseil ni aucun encouragement dans ce sens de la part de leurs gouvernements nationaux. Voilà pourquoi il est tout aussi important qu'il y ait une intensification des efforts déployés actuellement aux Nations Unies et dans d'autres organes multilatéraux pour clarifier et renforcer les critères relatives à la responsabilisation des entreprises, et ce à l'échelle mondiale.

    Je dois dire que la position du gouvernement canadien à l'égard de certaines de ces initiatives, y compris celle actuellement en cours à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, est plutôt faible. À mon sens, le Canada doit vraiment manifester sa volonté dans ce domaine et travailler plus fort pour s'assurer que ses efforts débouchent sur quelque chose d'énergique et d'efficace au niveau international. Voilà qui permettrait dans une large mesure de répondre à vos préoccupations.

»  -(1725)  

+-

    Le président: Merci.

    Mme Jennings a demandé à poser une très brève question. Mais si j'acquiesce, je risque de me faire demander la même chose par les députés d'en face.

    Si tout le monde est d'accord, nous allons accepter une dernière question, étant donné que les cloches commenceront à sonner dans cinq minutes environ.

    Cela vous va, madame Jennings?

+-

    L'hon. Marlene Jennings: Merci.

    S'agissant d'un cadre et des moyens d'encourager les entreprises canadiennes à agir de façon responsable et à devenir des chefs de file dans différents domaines quand elles mènent des activités à l'étranger, nous connaissons déjà l'existence de la certification ISO et à quel point elle peut être efficace. Quand je suis sur l'autoroute à Montréal, je vois beaucoup de compagnies qui indiquent sur les panneaux devant leurs locaux qu'elles ont la « certification ISO 9001 », ou quelque chose du genre. Cette certification a un sens et une valeur. Ne serait-il donc pas possible d'adopter un modèle semblable en vertu duquel les entreprises canadiennes pourraient obtenir une certification qui leur donnerait un avantage concurrentiel?

+-

    M. Pierre Laliberté: Oui, absolument. Je ne me rappelle pas du nombre; c'est la certification ISO 9000, n'est-ce pas?

    Là aussi, le problème qui se pose est celui du rôle de direction que les gouvernements doivent jouer pour définir des instruments qui seront acceptés et élaborer des mécanismes de conformité. Je suis d'accord avec vous pour dire que ce genre de choses devraient être plus largement normalisées.

    Mais encore une fois, nous nous heurtons à tout le problème de l'approche volontaire. Une entreprise consciente de ses responsabilités sociales acceptera volontiers de faire de son mieux pour se conformer aux normes. Mais il y en a d'autres qui ne le feront pas. Comme le disait M. Cannis, cela soulève toute la question de l'approche à adopter dans ce domaine.

    Encore, une fois, nous avons certains outils multilatéraux. Les lignes directrices de l'OCDE sur les multinationales en font partie. Il serait possible de les renforcer s'il y avait la volonté politique de le faire, en les assortissant de mesures d'application, etc.

    Comme il ne me reste plus que 20 secondes, je suppose, je voudrais simplement vous dire que je serais très heureux si nous pouvions influencer vos délibérations à au moins un égard. J'ai assisté à de nombreux forums où j'avais l'impression qu'en ce qui concerne nos relations avec la Chine, le Brésil ou même d'autres pays, seulement les intérêts des exportateurs étaient représentés et entendus. Dieu sait qu'il y a beaucoup de gens—une quantité innombrable, je dirais—qui travaillent d'arrache-pied au gouvernement pour aider les entreprises à s'implanter dans d'autres pays et à avoir du succès. Cependant, les arguments que nous avons fait valoir cet après-midi sont critiques. À moins qu'on n'élabore un cadre en bonne et due forme, et à moins qu'il n'y ait des mesures d'incitation, nous n'aurons pas autant de succès que nous l'aurions souhaité, et le comportement des entreprises là-bas ne reflétera pas les valeurs pour lesquelles les Canadiens voudraient être connus dans le monde entier.

    Donc, s'il était possible d'incorporer cette composante dans votre stratégie sur les marchés émergents, ce serait vraiment excellent. Peut-être que cela nous forcerait à tenir un débat sur la question que nous attendons depuis longtemps.

-

    Le président: Je voudrais vous remercier tous le deux—en fait, tous les trois, soit madame Sreenivasan, qui n'est plus là, monsieur Laliberté et monsieur Neve, de votre présence devant le comité aujourd'hui. Je peux vous garantir que les observations que vous venez de faire continueront de faire l'objet de discussions et que ce comité n'est pas motivé uniquement par la quantité de biens et services que nous pouvons vendre à l'étranger. Cette stratégie doit avoir de multiples facettes. Merci infiniment de votre présence aujourd'hui.

    La séance est levée.