Limites des circonscriptions

À l’issue de chaque recensement décennal, l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit la formule pour la répartition des sièges entre les provinces, tandis que la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales charge des commissions de délimitation des circonscriptions électorales de tracer les limites des circonscriptions électorales à l’intérieur de chaque province43. Il y a lieu de rajuster les limites des circonscriptions ou d’en ajouter des nouvelles lorsque la représentation d’une province change, lorsqu’une province a subi d’importantes fluctuations démographiques, comme un mouvement de population des zones rurales aux zones urbaines, ou lorsqu’il y a ajout de sièges. Le rajustement des limites des circonscriptions est une question de compétence fédérale qui relève du Parlement.

Historique

Dans les premières années de la Confédération, après chaque recensement décennal, le gouvernement déposait un projet de loi décrivant les limites de chaque circonscription électorale, puis le faisait adopter comme tout autre texte de loi. Cette méthode était la cible de critiques, car on considérait qu’elle était très tendancieuse et visait à maximiser les succès électoraux du parti au pouvoir ; on parlait souvent à cet égard de manipulation ou de découpage arbitraire des circonscriptions (« gerrymandering44 »). En 1903, le premier ministre, sir Wilfrid Laurier, modifia cette procédure en confiant le rajustement des circonscriptions électorales à un comité spécial de la Chambre des communes au sein duquel tous les partis étaient représentés45. Chaque fois qu’une nouvelle répartition de sièges devait avoir lieu conformément à la Loi constitutionnelle de 1867 et au dernier recensement, le gouvernement présentait un projet de loi qui ne renfermait aucun détail sur les limites des différentes circonscriptions. Après la deuxième lecture, le projet de loi était renvoyé à un comité spécial chargé de « préparer des annexes devant renfermer et décrire les diverses divisions électorales ayant droit d’élire des députés pour cette Chambre46 ». Le processus demeurait très partial et les députés ne recevaient aucune ligne directrice pour guider leurs décisions47. Ce système resta en vigueur jusqu’en 1964, année où furent établies les commissions non partisanes de délimitation des circonscriptions électorales, chargées de définir et de rajuster les limites en question.

Même avant la Confédération, on avait recommandé de confier à un organisme impartial et non aux députés le tracé des limites des circonscriptions électorales48. Cela demeura une préoccupation après la Confédération et, à un certain nombre d’occasions, on recommanda de confier cette tâche à des juges49. En 1963, le gouvernement déposa un projet de loi pour faire accomplir ce travail par des commissions non partisanes chargées d’appliquer certains principes généraux ; en 1964, on adopta la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales50.

Rajustement des limites des circonscriptions électorales

Nomination des commissions de délimitation des circonscriptions électorales

Dès que possible après chaque recensement décennal, le statisticien en chef établit et envoie les données pertinentes sur la population au ministre chargé, par le gouverneur en conseil, de la mise en œuvre de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales51, ainsi qu’au directeur général des élections, un haut fonctionnaire du Parlement responsable de l’administration des élections fédérales52. Le directeur général des élections calcule alors le nombre total de sièges53 pour la Chambre des communes et leur répartition entre les provinces. Le directeur général des élections fait publier ces renseignements dans la Gazette du Canada54, après quoi débute le processus de nomination des membres de chaque commission.

Avant l’expiration d’un délai de 60 jours après la date à laquelle le ministre a reçu les données du statisticien en chef sur la population, ou d’un délai de six mois après le premier jour du mois fixé pour faire le recensement, selon la première de ces éventualités, le gouverneur en conseil constitue une commission de délimitation des circonscriptions électorales pour chaque province55. Aucune commission n’est assignée au Yukon, aux Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, car ces territoires se voient chacun octroyer un seul siège. Chaque commission comprend un président, normalement un juge d’une juridiction supérieure de la province nommé par le juge en chef de la province56, et deux autres personnes nommées par le Président de la Chambre des communes « parmi les personnalités de la province qui lui semblent compétentes »57. Aucun membre en exercice du Sénat ou de la Chambre des communes ni d’une assemblée législative provinciale ne peut être nommé à une commission58.

Sitôt les commissions formées, le directeur général des élections fournit à chaque président un état sur les données démographiques pertinentes. Chaque commission dispose de 10 mois à compter de la date de réception de cet état pour recommander les limites des circonscriptions électorales dans un rapport à remettre au directeur général des élections59.

Tracé des limites

Chaque commission doit tracer les limites des circonscriptions de façon à ce que le chiffre de la population de chacune se rapproche autant que possible du quotient obtenu en divisant le chiffre de la population provinciale à la suite du recensement par le nouveau nombre de sièges attribués à la province. Aucune circonscription ne peut avoir une population inférieure à 75 pour cent ou supérieure à 125 pour cent du quotient, bien que les commissions puissent dépasser ces limites dans des circonstances extraordinaires. Les commissions peuvent faire varier la taille des circonscriptions à l’intérieur de cette marge compte tenu de considérations géographiques particulières, comme la densité de la population dans diverses régions de la province, ainsi que la superficie de ces régions. Étant donné que les problèmes d’accessibilité, de transport et de communication constituent souvent des obstacles à une représentation efficace et au démarchage électoral, les commissions font généralement en sorte qu’il y ait moins d’électeurs dans les circonscriptions rurales que dans les circonscriptions urbaines. Il peut également y avoir des variations en raison d’une certaine communauté d’intérêts ou de la toile de fond historique d’une circonscription particulière60.

Dans les meilleurs délais, chaque commission doit préparer, motifs à l’appui, une proposition relative au nombre de sièges, aux limites des circonscriptions électorales et aux noms à attribuer à celles-ci61. Cette proposition doit être publiée dans la Gazette du Canada et dans au moins un journal à grand tirage de la province concernée au moins 30 jours avant la date de la première audience de la commission. Chaque proposition est accompagnée d’un avis invitant les électeurs et les députés à une ou plusieurs audiences publiques. Les personnes qui veulent présenter des observations doivent soumettre un avis écrit à la commission dans les 23 jours suivant la publication de l’annonce de cette dernière. Si elle estime qu’il en va de l’intérêt public, une commission peut exceptionnellement entendre des observations sans qu’un avis ait été donné62.

Après les audiences et avant la fin du délai de 10 mois, chaque commission revoit ses propositions, rédige un rapport et en fait parvenir deux exemplaires certifiés conformes au directeur général des élections. Ce dernier peut, à la demande d’une commission, prolonger le délai de deux mois au plus63. Le directeur général des élections remet un exemplaire de tous les rapports au Président de la Chambre des communes au fur et à mesure qu’il les reçoit64. Ce dernier les dépose à la Chambre et fait en sorte qu’ils soient renvoyés à un comité chargé de s’occuper des questions électorales65. S’il reçoit un rapport pendant une intersession, le Président les fait publier dans la Gazette du Canada, qu’il fait ensuite parvenir aux députés représentant les circonscriptions électorales de la province concernée66.

Examen par la Chambre

Les députés disposent de 30 jours après le dépôt ou la publication des rapports pour présenter par écrit des objections, appelées « oppositions » aux termes de la loi, au greffier du comité saisi de la question. Ils doivent préciser les dispositions auxquelles ils s’opposent et les motifs de leur objection, présentée sous la forme d’une motion signée par au moins 10 députés67. Après l’échéance de 30 jours pour les observations des députés, le comité dispose de 30 jours de séance pour les examiner68, sauf s’il demande une prolongation à la Chambre69. Une fois son examen terminé, le comité remet les rapports, ainsi qu’une copie des objections et de ses procès-verbaux, au Président de la Chambre70. Ce dernier fait parvenir sans délai les rapports et pièces jointes au directeur général des élections pour qu’il les distribue, le cas échéant, aux différentes commissions de délimitation des circonscriptions pour réexamen à la lumière des objections71. Ni les rapports ni les objections ne font l’objet de délibérations à la Chambre72.

Les commissions doivent examiner les oppositions dans les 30 jours qui suivent, mais ne sont pas obligées d’y donner suite. Chaque commission présente ensuite un rapport final, avec ou sans modification, au directeur général des élections, qui le fait parvenir au Président de la Chambre73. Une fois déposée à la Chambre par le Président74, la décision d’une commission est définitive et sans appel75.

Décret de représentation électorale

Après que chaque commission a présenté son rapport final, le directeur général des élections prépare un projet de décret de représentation électorale ; ce document indique le nombre de députés à élire dans chaque province, partage les provinces en circonscriptions électorales et décrit les limites et populations respectives de ces dernières ainsi que le nom à leur attribuer76. Le directeur général des élections achemine le projet de décret de représentation au ministre que le gouverneur en conseil a chargé de la mise en œuvre de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et, dans les cinq jours suivant sa réception, le gouverneur en conseil lui donne, par proclamation, force de loi77. Pour que les nouvelles limites soient utilisées, au moins sept mois doivent s’être écoulés entre la date de proclamation du décret et la date de la dissolution d’une législature aux fins d’une élection générale78. Le décret de représentation électorale ainsi que la proclamation lui donnant force de loi doivent être publiés dans la Gazette du Canada dans les cinq jours suivant la proclamation79.

Désignation des circonscriptions

Au début de la Confédération, la Loi constitutionnelle de 1867 établit les circonscriptions électorales de chacune des provinces80. À l’époque, les circonscriptions électorales portaient le nom de comtés, de villes, de quartiers et de villages de la province. Entre 1872 et 1964, c’est dans la loi de découpage et de révision des limites des circonscriptions électorales que l’on nommait ces dernières.

Depuis l’adoption, en 1964, d’une procédure plus moderne d’établissement des limites des circonscriptions électorales, ce sont les commissions de délimitation des circonscriptions qui nomment les circonscriptions qu’elles établissent. Les noms figurent dans les rapports des commissions et dans le décret de représentation qui leur donne force de loi. La modification du nom d’une circonscription après la publication du décret de représentation peut se faire par l’adoption d’un texte de loi. Un tel projet de loi porte d’ordinaire le titre « Loi visant à changer le nom de la circonscription de (circonscription électorale) ». Ces projets de loi cheminent assez vite ; ils sont habituellement réputés lus une deuxième fois, examinés par un comité plénier qui en fait rapport sans amendement, adoptés à l’étape du rapport, lus une troisième fois et adoptés du consentement unanime à la même séance81. Ce sont souvent des projets de loi émanant des députés qui sont à l’origine des changements de nom. Toutefois, en 2004 et en 2014, le gouvernement, ayant consulté les autres partis ainsi que les députés indépendants, a proposé des projets de loi pour modifier les noms de 38 et de 30 circonscriptions électorales, respectivement82. Chaque projet de loi a franchi toutes les étapes à la Chambre en une journée, du consentement unanime83.

Suspension du processus

À chaque décennie entre 1960 et 2000, le Parlement a adopté des textes de loi visant soit à suspendre, soit à modifier le processus de rajustement. Après les recensements de 1971 et de 1981, on a suspendu le processus afin d’apporter des modifications à l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867 établissant la formule de représentation à la Chambre et pour modifier le processus de rajustement lui-même84. Depuis le Recensement de 1991, on l’a suspendu deux fois.

En 1992, à la lumière des modifications recommandées à la Loi électorale du Canada par la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis, et comme il semblait probable que le processus de rajustement ne serait pas terminé avant l’élection fédérale suivante, le Parlement décida qu’il fallait suspendre la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales85. En 1994, devant l’insatisfaction exprimée par les députés sur certains aspects du processus et compte tenu de l’augmentation continuelle du nombre de sièges à la Chambre après chaque recensement, le gouvernement estima qu’il était temps de revoir la Loi en profondeur86. En vertu de la Loi portant sur la création de commissions de délimitation des circonscriptions électorales et la révision des limites des circonscriptions électorales, le processus fut donc suspendu jusqu’à la première de ces deux dates : le jour de l’édiction d’une nouvelle loi sur la révision des limites des circonscriptions ou le 22 juin 1995. En outre, les commissions existantes furent relevées temporairement de leurs fonctions à compter du jour de la remise de leur rapport87. Entre-temps, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre reçut le mandat d’élaborer un projet de loi sur le mode de révision des limites des circonscriptions électorales88. On demanda également au Comité d’étudier l’opportunité de faire plafonner ou de réduire au moyen d’une formule le nombre de sièges à la Chambre et d’examiner le mode de sélection des membres des commissions, les manières de procéder de ces dernières et les règles régissant leurs pouvoirs ainsi que la participation du public et de la Chambre des communes à leurs travaux.

Le 25 novembre 1994, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre présenta son rapport, accompagné d’un avant-projet de loi visant l’abrogation de la loi existante et l’abolition des commissions de délimitation des circonscriptions électorales89. Le Comité ne recommanda ni d’autre manière d’attribuer les sièges parmi les provinces après chaque recensement décennal ni de formule pour faire plafonner le nombre de sièges à la Chambre. Il proposa toutefois une nouvelle méthode de délimitation des circonscriptions électorales. Le gouvernement donna suite au rapport en présentant, le 16 février 1995, le projet de loi C-69, Loi de 1995 sur la révision des limites des circonscriptions électorales90. Ce texte de loi visait à mettre fin aux plans de découpage électoral et à reprendre le processus à zéro ; il prévoyait en outre que les élections suivantes se dérouleraient suivant le découpage de 1981. Par ailleurs, il y aurait eu une révision tous les cinq ans dans les provinces où les variations de la population l’auraient justifié, un nouveau mécanisme de déclenchement du remaniement décennal qui aurait éliminé les révisions inutiles dans les provinces sans variations démographiques importantes, et un contrôle parlementaire des nominations aux commissions de délimitation des circonscriptions. Toutefois, les amendements proposés par le Sénat puis rejetés par la Chambre empêchèrent l’adoption du projet de loi91. Puisqu’on n’adopta pas de nouvelle loi avant l’échéance du 22 juin 1995, le Président déposa à la Chambre les rapports de toutes les commissions de délimitation, comme cela était exigé, et on rajusta les limites en conséquence92. L’élection générale de 1997 se tint sur la base du découpage et de la révision des limites des circonscriptions de 1991.