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ANNEXE 2
POLITIQUES ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES EN AMÉRIQUE LATINE
ET DANS LES CARAÏBES
Des économies étatisées et excessives sont aujourd'hui
privatisées, réformées, plus concurrentielles et plus
ouvertes... Les gouvernements ont commencé à appuyer les
bonnes banques à l'aide de bonnes réformes bancaires. De
façon générale, le système financier est en
bien meilleure posture aujourd'hui qu'il ne l'était, par exemple,
il y a six ans. Donc l'Amérique latine est plus souple, elle est
plus en mesure de réagir aux chocs et à la turbulence des
incertitudes des marchés mondiaux des capitaux ainsi qu'aux fluctuations
des échanges commerciaux et des investissements qu'elle ne l'était
dans le passé. [Bob Clark, 25:1555-1600]
Amérique latine et Caraïbes
L'Amérique latine et les Caraïbes comprennent 46 pays et
territoires (voir carte A2.1), peuplés de 518,4 millions de personnes.
On évalue à 2 000 milliards de dollars américains
l'activité économique de la région, ce qui représente
la somme du produit intérieur brut (PIB) des pays qui la constituent.
Une simple division de ce dernier chiffre par le premier montre que le
PIB par habitant y était de 3 917 dollars américains en 1997,
un niveau de bien-être économique que l'on peut considérer
comme modeste.
Évolution des échanges en Amérique latine
Au cours des 50 dernières années, le régime commercial
de l'Amérique latine a connu plusieurs vagues de réformes.
Du milieu des années 50 à la fin des années 80, il
était le plus souvent fondé sur des pratiques restrictives.
Il a d'abord été largement axé sur des quotas d'importation
et des tarifs douaniers élevés, qui furent ensuite remplacés
par des droits de douane très lourds et d'autres obstacles non tarifaires.
Toutefois, avec l'effondrement de leurs économies au cours des années
80, presque tous les pays d'Amérique latine ont changé d'orientation,
optant plutôt pour des zones de libre-échange et des unions
douanières infrarégionales, assorties de baisses tarifaires
unilatérales considérables, au moment de leur adhésion
à l'Organisation mondiale du commerce (OMC)1.
Si le maintien en équilibre sur la crête de cette nouvelle
vague a été une expérience éprouvante sur le
plan financier la période de transition n'ayant pas été
exempte de crises de balances des paiements2,
d'une manière générale, le retournement de la politique
commerciale a été une réussite.
Carte A2.1
Amérique latine et Antilles

Un bref rappel historique éclairera peut-être l'expérience
économique de l'Amérique latine et les raisons qui l'ont
obligée à abandonner son régime commercial restrictif.
À partir du milieu des années 50, les pays latino-américains
ont appliqué des politiques économiques structuralistes,
dont le fer de lance était la stratégie de remplacement des
importations. Selon celle-ci, les pays en développement ont avantage
à s'industrialiser sous la protection de hauts tarifs douaniers
et de quotas d'importation restrictifs. Les stratégies commerciales
fondées sur une spécialisation dans les produits de base
et les produits manufacturés présentant un avantage comparatif
ou un avantage concurrentiel ont été abandonnées en
faveur d'une stimulation des entreprises et industries locales, que l'on
protégeait contre la concurrence internationale. Les gouvernements
n'ont guère eu recours aux subventions à l'exportation, bien
que celles-ci aboutissent en gros aux mêmes résultats que
les tarifs douaniers, car ils estimaient que ces privilèges se traduisaient
par une ponction dans leurs finances, contrairement aux droits de douane,
qui sont inscrits dans les livres du côté des recettes fiscales.
Des subventions ont néanmoins été accordées
à des secteurs spécifiques dans des régions où
le lobby politique était influent, par exemple dans la maquiladora
(zone franche) mexicaine ou dans la Terre de Feu, en Argentine3.
Il a fallu un certain temps aux responsables latino-américains
pour mesurer toutes les conséquences de leurs politiques restrictives,
peut-être parce que leurs effets se confondaient avec ceux d'autres
politiques, comme les très stimulantes stratégies de stabilisation
macroéconomique en vigueur dans les années 70 et 80. Ainsi
il leur était difficile de distinguer les conséquences économiques
des unes et des autres. Parmi ces politiques, il faut citer de généreux
services et programmes gouvernementaux destinés au public, financés
grâce à une politique monétaire laxiste et à
d'importants emprunts auprès de l'étranger. On comptait ainsi
accroître la prospérité économique et réduire
le taux de chômage au prix d'une hausse de l'inflation. Cela s'est
avéré à court terme, mais les avantages obtenus n'ont
pu être maintenus le jour où les uns et les autres ont ajusté
leurs attentes en fonction des nouvelles réalités financières
jacentes créées par ces politiques publiques expansionnistes
en matière de dépenses et de crédit. Donc, lorsque
les travailleurs, les gestionnaires et les capitalistes se sont regroupés
pour exiger et obtenir une protection contre l'inflation en retour de leurs
efforts personnels et de leurs investissements, dissipant ainsi l'effet
de dopage des politiques monétaires, la croissance économique
s'est essoufflée, et le taux de chômage est remonté
à ses niveaux antérieurs. Il a fallu attendre la fin des
années 80 pour que les responsables du commerce en Amérique
latine puissent discerner l'impact de leurs politiques commerciales restrictives,
lequel s'est révélé incontestablement négatif
(voir encadré A2.1).
Au cours des années 70, ces politiques macroéconomiques
stimulatrices ont engendré une croissance vigoureuse, voisine de
5,4 p. 100 par année, mais les avantages économiques ont
été de courte durée. À long terme, ces stratégies
n'ont servi qu'à générer des taux d'inflation, des
taux d'intérêt nominaux élevés et une baisse
du taux d'épargne national. De fait, on a observé une hyper-inflation
qui a été en taux annuel de l'ordre de 8 000 p. 100 en Bolivie
en 1985, de 3 080 p. 100 en Argentine en 1989, de 7 650 p. 100 au Pérou
en 1990 et de 2 489 p. 100 au Brésil en 1993. On a vu par la suite
des taux d'intérêt nominaux encore plus élevés,
mais, dans la mesure où les taux d'intérêt ont été
plafonnés par décret des autorités, les taux d'épargne
de ces économies se sont effondrés (Bolivie, Chili, Salvador
et Guatemala). Au bout du compte, les piètres conditions financières
ont abouti à un déclin des investissements intérieurs,
à un ralentissement de la productivité de la main-d'oeuvre,
à des taux de rémunération non concurrentiels et à
un gonflement insoutenable des cours des devises nationales. Pis encore,
les termes de l'échange pour la région ont décliné
de 47 p. 100 entre 1980 et 1989.


Lorsque les prêteurs étrangers et autres fournisseurs de
capitaux à court terme ont commencé à changer de cap,
la bulle économique n'a pas tardé à éclater.
En effet, faute de réserves illimitées de devises étrangères
ou de crédits pour les obtenir, les régimes de taux de change
fixes, ne pouvaient qu'être abandonnés de manière à
permettre une dévaluation de la monnaie. Restent seulement à
déterminer le moment et l'ampleur de la dévaluation. Même
lorsque les régimes monétaires étaient assortis de
cadres réglementaires visant les capitaux étrangers - destinés
à manipuler les marchés financiers de plus en plus mondialisés
en ralentissant l'exode des capitaux investis dans des titres et autres
capitaux fugitifs de la région, tout en jugulant la spéculation
sur les devises - ces cadres de contrôle se sont eux aussi révélés
complètement infructueux4.
À la fin des années 80, après une forte contraction
de l'économie dans l'ensemble de la région, le PIB de l'Amérique
latine n'arrivait à augmenter annuellement que de 1 p. 100 en moyenne.
De fait, tout au long des années 80, cinq pays sur dix-sept ont
connu une croissance négative, tandis que l'un d'entre eux restait
au même point et que seulement quatre enregistraient une croissance
annuelle supérieure à 2 p. 100. L'Amérique latine
a alors traversé sa période la plus longue et la plus grave
de déclin économique depuis la grande crise des années
305. En
dernière analyse, les politiques de restriction du commerce et d'expansion
macroéconomique n'ont servi qu'à augmenter le coût
de la vie, du fait que les planificateurs économiques se sont gravement
trompés en affectant les ressources à des activités
économiques inefficaces. Les commentateurs de la région allaient
finalement désigner cette période comme la « décennie
perdue » de l'Amérique latine.
Au bout du compte, pas moins de 18 pays d'Amérique latine ont
restructuré leurs dettes auprès de leurs créanciers
au cours des années 80. Sur les conseils du Fonds monétaire
international et de la Banque mondiale, ces pays ont également commencé
à appliquer des politiques financières et monétaires
plus responsables et plus durables. L'Amérique latine a ainsi progressivement
assaini sa situation financière, et on a vu apparaître une
nouvelle vague de libéralisation du commerce, qui s'est traduite
par trois séries de réformes : 1) une suppression de nombreuses
politiques protectionnistes, notamment par la réduction unilatérale
des tarifs douaniers et le remplacement généralisé
des quotas d'importation par des tarifs douaniers, lorsque la protection
contre la concurrence étrangère était justifiée;
2) une intervention moindre des pouvoirs publics dans l'économie
et une dépendance plus grande à l'égard de marchés
libéralisés grâce à la déréglementation
et à la privatisation de sociétés dans de nombreux
secteurs clés; et 3) des politiques de stabilisation macroéconomique
plus traditionnelles, axées sur une croissance à long terme
stable. Dans l'ensemble, ces réformes économiques ont eu
lieu ou ont été instaurées progressivement dans ce
même ordre chronologique.




- données non disponibles; 1995; Indice implicite du PIB
Sources : FMI, Structural Policies in Developing Countries,
1994; Banque mondiale, World Development Indicators, 1998; U.S. Trade Representative,
Foreign Trade Barriers, 1998, ECLAC, Preliminary Overview of the Economies
of Latin America and the Caribbean, 1998.
La libéralisation du régime commercial de l'Amérique
latine est, en partie, illustrée par l'ampleur des réductions
tarifaires figurant au tableau A2.1; les taux nationaux moyens, qui oscillaient
entre 20 et 92 p. 100 en 1985, sont maintenant de l'ordre de 9,6 à
13,3 p. 100. En outre, tous les pays sont membres de l'OMC/GATT, et presque
tous sont en règle avec l'OMC en ce qui concerne leurs obligations
commerciales, ou sont plus ou moins sur le point de le devenir. De plus,
les sociétés d'État jouent un rôle bien moindre
dans leurs économies. De fait, la privatisation de nombre d'entre
elles a permis aux gouvernements de la région d'engranger au-delà
de 86,3 milliards de dollars américains entre 1990 et 1996.
Enfin, l'adoption de politiques macroéconomiques favorisant une
croissance économique stable et une inflation plus faible a également
été une réussite. Par exemple, l'écart type
de la croissance annuelle du PIB a décliné pour les pays
d'Amérique latine, passant de 10,3 à 7,1 points de pourcentage
entre 1984-1990 et 1991-1997 respectivement, ce qui indique une stabilisation
du climat économique au cours des années 90. Cet écart
type a progressé (de 4,7 à 5,3 points) au Canada et a légèrement
reculé (de 4,3 à 3,9 points) aux États-Unis au cours
des mêmes périodes6.
Pour ce qui concerne l'inflation, les augmentations de prix, selon les
indices des prix à la consommation de ces pays, ont diminué
considérablement dans 12 des 18 pays au cours des 10 dernières
années. On ne trouve plus de taux annuels d'inflation à trois
ou quatre chiffres, et les taux à un seul chiffre ne sont pas rares,
même si les taux à deux chiffres sont les plus fréquents.
En effet, dès 1997, l'inflation annuelle se situait en moyenne à
10,1 p. 100 dans l'ensemble du continent. Non pas qu'il y ait là
une leçon à tirer par les États dont la politique
monétaire donne de piètres résultats, mais il est
intéressant de constater que les deux pays qui ont adopté
le dollar américain comme devise nationale (du moins en partie),
à savoir le Panama et l'Argentine, ont connu les hausses de prix
les plus faibles de la région au cours de la dernière décennie.
Fait intéressant, ces politiques macroéconomiques prudentes,
combinées à des mesures de libéralisation des échanges
ont eu d'autres avantages économiques (certains diraient inattendus).
Si l'on compare les évolutions des PIB latino-américains
au cours des années 80-90, on constate que tous les pays, à
l'exception du Paraguay, ont affiché un taux moyen de croissance
annuelle plus élevé pendant les années 90. De plus,
aucune économie nationale de l'Amérique latine ne s'est comprimée
pendant cette période, alors que beaucoup l'avaient fait au cours
des années 80. Depuis le début des années 90, le taux
de croissance moyen des PIB est dans les pays latino-américains
de 3,7 p. 100, allant de 2,7 p. 100 au Nicaragua à 8 p. 100 au Chili.
En revanche, pendant les années 80, il était en Amérique
latine de 1 p. 100, allant de -1,5 p. 100 au Nicaragua à 3,7 p.
100 en Colombie. Donc, les années 90 ont été à
la fois (y a-t-il eu coïncidence ou relation de cause à effet?)
une période de croissance stable et une période prolongée
de croissance relativement forte.
Comme conséquence des mesures qu'ils ont prises, plusieurs pays
d'Amérique latine sont considérés par certains comme
des marchés relativement prometteurs pour le commerce et l'investissement.
Le tableau A2.2 présente quelques données financières
sur la région, dont la plus notable est que l'Amérique latine
avait en 1997 une dette extérieure se chiffrant à 540 milliards
de dollars américains. On a également pu observer que tous
les pays, à l'exception d'une poignée, avaient accompli des
pas importants dans la réduction du ratio de la dette extérieure
au PIB. Pris globalement, ce ratio a presque diminué de moitié,
tombant de 56,9 à 32,3 p. 100 entre 1986 et 1997. Les politiques
d'austérité financière qui ont atténué
la dépendance de la région à l'égard des fonds
étrangers se sont également traduites par une meilleure capacité
des pays à assumer le service de leur dette. Le ratio du service
de la dette extérieure aux exportations a également décliné
considérablement, tombant de 50,7 à 37,2 p. 100 entre 1986
et 1997. Les meilleurs effets semblent avoir été obtenus
par les pays dont les termes de l'échange ont connu une amélioration
au cours de la période (le Costa Rica, le Salvador ou l'Uruguay,
par exemple), tandis que les moins bons résultats se retrouvent
dans les pays ayant enregistré une dégradation à ce
chapitre (comme le Nicaragua, le Honduras et la Colombie). De toute façon,
les capitaux privés, qui entraient en Amérique latine au
compte-gouttes au début de la présente décennie, y
pénètrent à flots maintenant. Les apports nets annuels
de capitaux privés se sont multipliés par plus de huit depuis
1990; en effet, 11,2 milliards de dollars américains sont entrés
dans la région en 1990, 93,7 milliards, en 19967.




- non disponible
Source : Banque mondiale
Pour l'Amérique latine, il s'agit maintenant de passer à
une nouvelle génération de réformes, afin de consolider
et d'amplifier les avancées économiques déjà
réalisées. Dans l'immédiat, il faudrait viser l'adoption
de normes minimales communes en matière de réglementation
et de supervision financières, de codes de conduite crédibles
pour l'application des politiques monétaires et financières
et de principes de gouvernance solides afin d'améliorer le cadre
institutionnel dans lequel les marchés financiers s'inscrivent.
À plus long terme, il serait bon d'envisager la mise en place d'institutions
publiques autonomes (banques centrales et corps judiciaires indépendants,
par exemple), ainsi que de politiques encourageant l'épargne nationale
en vue d'investir davantage dans le capital humain et matériel,
notamment dans l'éducation ou les infrastructures de transport et
de communication, qui ont tendance à donner de meilleurs résultats
économiques à long terme. En outre, on peut s'attendre à
ce que le MERCOSUR soit le premier à consolider ses arrangements
institutionnels et à élargir sa portée afin d'englober
la Communauté andine dans la réalisation de certains objectifs,
améliorant ainsi la capacité de l'Amérique latine
de conclure un accord de libre-échange avec l'Amérique du
Nord.
Le défi de la région des Caraïbes
Le bassin des Caraïbes regroupe 25 pays et territoires, comme le
montre la carte A2.1, sans compter la Belize, la Guyana et le Suriname,
qui sont membres du CARICOM, une association infrarégionale de 14
pays axée sur le libre-échange à l'intérieur
des Caraïbes, et pour certains membres un marché commun ou
unique. Ces îles et ces nations côtières constituent
de petites économies, leur population n'étant pas assez nombreuse
pour permettre aux entreprises de réaliser des économies
d'échelle dans la fabrication de produits manufacturés. Comme
le Canada, économie de petite taille qui exporte près de
40 p. 100 de son PIB, les pays des Caraïbes ont dû s'ouvrir
au commerce pour obtenir et maintenir un niveau de vie suffisant pour leurs
habitants. En effet, plus de 40 p. 100, et parfois jusqu'à 50 p.
100, du PIB de ces pays sont exportés.
Ils diffèrent toutefois sensiblement du reste des Amériques
par leur taille réduite. En effet, chaque pays à lui seul
ne dispose pas de ressources naturelles et humaines suffisamment diversifiées
pour s'assurer une sécurité économique confortable
lorsque surviennent des catastrophes économiques et naturelles (dégradations
brusques des termes de l'échange, d'une part, ouragans, tornades,
etc., de l'autre, comme l'explique l'encadré A2.2). Comme on pouvait
s'y attendre, les secteurs d'activité de base de la région
ont évolué, et comprennent maintenant le tourisme, les centres
financiers et l'agriculture (sucre, bananes, agrumes, etc.). Par exemple,
aux Bahamas, le tourisme représente les deux tiers du PIB et 80
p. 100 des recettes d'exportation; il compte pour 60 p. 100 du PIB d'Antigua-et-Barbuda
et pour 55 p. 100 de celui des Bermudes. En revanche, un certain nombre
de pays des Caraïbes ont réussi à développer
d'autres secteurs de leurs économies, en particulier ceux qui possèdent
des ressources naturelles industrielles comme des minéraux et des
métaux (bauxite, alumine, aluminium, or, etc.), des forêts,
du pétrole, du gaz naturel ou des matières pétrochimiques.
De plus, certains pays des Caraïbes ont acquis un avantage compétitif
dans la production de produits industriels simples comme les textiles,
ou encore les produits et les composants électroniques, grâce
avant tout à une main-d'oeuvre bon marché et à une
production réalisée dans ce que l'on appelle maintenant les
zones franches de transformation pour l'exportation, de même qu'à
une législation nord-américaine favorable.


Les États-Unis et le Canada accordent déjà un traitement
préférentiel aux exportations en provenance des Caraïbes
en vertu de l'Initiative concernant le bassin des Caraïbes (ICC) et
de CARIBCAN, respectivement8.
Ces programmes assurent aux pays de la région l'accès en
franchise de toute une gamme de produits, y compris agricoles. À
première vue ces ententes préférentielles paraissent
favoriser les Caraïbes, mais l'Amérique du Nord, et en particulier
les grandes sociétés américaines, en tirent également
des profits énormes. En effet, cet accès spécial au
marché américain, associé aux activités en
franchise réalisées dans les zones de transformation pour
l'exportation, permettent aux sociétés américaines
de profiter des salaires relativement bas pratiqués dans le bassin
des Caraïbes tout en répartissant les opérations de
production et de montage de produits à forte teneur en main-d'oeuvre
(principalement des vêtements, des chaussures et des composants électroniques
simples) afin de mieux faire concurrence aux importations (en provenance
d'Asie notamment) sur leur marché intérieur.
L'IED dans le bassin des Caraïbes est destiné à plusieurs
secteurs différents (les centres touristiques, le pétrole,
les mines et les services, surtout), mais une partie importante de ces
investissements sert à la création d'usines de montage, généralement
dans les zones de transformation pour l'exportation. D'ailleurs, la brusque
augmentation des IED à destination du bassin des Caraïbes depuis
le milieu des années 80, par suite des dévaluations brutales
des devises nationales liées aux problèmes d'endettement
de la région, est étroitement associée au développement
qu'ont connu les usines de montage.





-- non disponible
Source : Banque mondiale
Plus précisément, les entrées d'IED dans les pays
des Antilles et du littoral de la mer des Caraïbes ont atteint 4 milliards
de dollars américains en 1997, ce qui représente plus du
double des entrées annuelles moyennes enregistrées à
la fin des années 80 (1,8 milliard). Comme le montre le tableau
A2.3, en 1997, le stock d'IED pour le bassin des Caraïbes dépasse
47,3 milliards de dollars américains, les Bermudes se taillant la
part du lion avec plus de 60 p. 100 de ce montant. Avec un fardeau de la
dette extérieure évalué à 13,9 milliards de
dollars américains en 1997, les Caraïbes, tout comme l'Amérique
latine, se trouvent dans une meilleure situation financière qu'elles
ne l'étaient il y a une décennie. Le ratio de la dette extérieure
au PIB dans tous les pays des Caraïbes sauf quatre a baissé
considérablement, et celui du CARICOM dans son ensemble est tombé
de 65,9 à 52,6 p. 100 de 1986 à 1997. Le rapport entre le
service de la dette extérieure et les exportations pour le CARICOM
a décliné légèrement, tombant de 18,6 à
14,8 p.100 au cours de la même période. Par conséquent,
les Caraïbes demeurent un marché modestement prometteur pour
le commerce et l'investissement.
Néanmoins, d'énormes défis accompagneront le futur
accord sur le libre-échange dans l'hémisphère, car
la région a un profil économique beaucoup plus vulnérable
et fort différent de celui de la plupart des pays du continent qui
souhaitent une ZLEA. Ces défis exigeront beaucoup d'attention au
cours de la période de transition. Étant donné la
situation particulière des Caraïbes sur les plans géographique
et économique, on peut se demander pourquoi la classe politique
et les hauts responsables de la région désirent tant conclure
une entente de libre-échange avec les Amériques.
La réponse à cette question réside dans la récente
détérioration de la compétitivité relative
des importations en provenance des Caraïbes sur le marché américain,
à la suite de l'adhésion du Mexique à une entente
de libre-échange avec le reste de l'Amérique du Nord, en
1994. L'application de l'ALENA représente un obstacle considérable
pour les activités de montage du bassin des Caraïbes, en particulier
dans l'industrie du vêtement, puisque les sociétés
mexicaines ont pu profiter d'un avantage tarifaire équivalent à
six points; d'une absence de contingentement sur de nombreux articles;
et du fait que les apports locaux sont considérés comme contenu
nord-américain. Une détérioration semblable pourrait
survenir à l'égard de l'Amérique centrale et de l'Amérique
du Sud dans le cadre d'une ZLEA qui n'inclurait pas les Caraïbes,
et leur adhésion à l'accord serait alors automatiquement
de leur intérêt économique. De surcroît, il serait
hasardeux sur le plan économique, et même sur le plan politique,
que les Caraïbes se démarquent davantage du reste des Amériques
et deviennent plus tributaires de l'aide étrangère pour maintenir
leur niveau de vie actuel, surtout si l'on songe que cette aide diminue
depuis un certain temps à cause des restrictions budgétaires
mises en oeuvre en Amérique du Nord et des pressions croissantes
exercées par les nouvelles économies de marché d'Europe
de l'Est pour obtenir de l'aide. Dans bien des cercles politiques du CARICOM,
le mot d'ordre maintenant à la mode est « Trade Not Aid »
(commercer au lieu d'aider).
L'adhésion des Caraïbes à la ZLEA posera un défi
immédiat qui sera à la fois politique et économique,
puisqu'il amènera : 1) un délaissement des tarifs douaniers
en faveur d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA); et 2) une restructuration
industrielle qui supposera une rationalisation de la production sur la
base infrarégionale du CARICOM. Comme nous l'avons dit plus haut,
quoique d'une manière différente, en général,
ce que ces pays produisent ne coïncide pas avec ce qu'ils consomment.
Par exemple, on estime que 70 p. 100 des biens qui sont sur le marché
à Saint-Kitts-et-Nevis et en République dominicaine sont
importés9.
Dans de telles conditions économiques, des droits de douane ad
valorem, abstraction faite de leurs effets discriminatoires, sont très
comparables à une taxe sur la consommation, comme une taxe de vente
ou une TVA, puisqu'ils sont eux aussi déterminés en fonction
d'une assiette large. Si, en outre, on tient compte de la facilité
relative d'application d'une telle taxe au port d'entrée, ainsi
que du peu d'opposition de la part du public devant une taxe cachée
comme un droit de douane, il n'est pas étonnant que ce type de droits
représentent une portion importante des recettes publiques. En fait,
ils sont la première source de revenu de la plupart de ces pays.
Aux Bahamas, par exemple, ils représentent jusqu'à 60 p.
100 des recettes gouvernementales. Par conséquent, les pays des
Caraïbes auront besoin de temps pour réformer leurs systèmes
fiscaux si une entente de libre-échange devait s'instaurer. D'ailleurs,
plusieurs pays du CARICOM ont songé (la Barbade, le Belize et Trinité-et-Tobago)
ou songent actuellement (les Bahamas) à remplacer par une TVA le
manque à gagner résultant d'une baisse des tarifs. Quant
à l'essence, dont la demande varie peu malgré les fluctuations
de prix, elle se prêterait également bien à l'imposition
d'une taxe d'accise comme cela a été fait en Amérique
du Nord.
Enfin, le pays insulaire typique des Caraïbes est une entité
économique trop petite pour soutenir la concurrence dans la production
de nombreux biens industriels. Une rationalisation du nombre d'installations
de production dans l'ensemble du CARICOM, dans le cadre d'une entente commerciale
infrarégionale plus globale et d'une intégration économique
plus poussée, qui comporterait peut-être l'adoption d'une
législation sur la concurrence administrée à l'échelon
régional et d'une entente de libéralisation du commerce beaucoup
plus approfondie entre les États du CARICOM, améliorerait
la compétitivité et les débouchés des entreprises
locales. La suppression ou la centralisation de la politique industrielle
dans le CARICOM aurait également des effets sociaux bénéfiques,
puisque l'on réduirait ainsi le lobby inutile pour l'obtention de
protection et de privilèges, ce qui permettrait de réorienter
l'esprit d'entreprise limité dont dispose la région vers
la création de valeurs, plutôt que vers leur simple redistribution.
La fragmentation de la région des Caraïbes (attribuable à
son histoire et à son tissu culturel) a entraîné la
formation de structures de pouvoir et d'institutions insulaires rigides
et très différenciées, dont apparemment le seul trait
commun est leur situation géographique dans le bassin des Caraïbes.
Aussi, ces projets présenteront-ils certainement un défi
de taille pour le CARICOM et l'Association des États des Caraïbes.
1 Les
premières tentatives d'intégration économique ont
eu lieu au cours des années 60, avec la création de l'Association
latino-américaine de libre-échange (ALALE ou ALALC en espagnol)
à laquelle ont adhéré l'Argentine, la Bolivie, le
Brésil, la Colombie, le Chili, l'Équateur, le Mexique, le
Paraguay, le Pérou, l'Uruguay, et le Venezuela; du MCAC en 1960;
de l'Association de libre-échange des Caraïbes (CARIFTA) en
1965; et du Pacte andin, en 1969, qui au départ comprenait le Chili,
la Colombie, l'Équateur et le Pérou, et, plus tard, le Venezuela
en plus et le Chili en moins. Un peu paradoxalement, ces premières
zones de libre-échange, unions douanières et ententes de
marché commun ont été considérées comme
des moyens d'accélérer le processus d'industrialisation de
ces petites économies, en leur permettant de réaliser de
meilleures économies d'échelle dans la production, lorsqu'elles
s'accompagnaient de politiques de substitution des importations.
2 Le Brésil,
qui est arrivé tard dans ce revirement des politiques de commerce
et de stabilisation macroéconomique, souffre encore des soubresauts
de la transition.
3 La zone
franche de la Terre de Feu a profité d'investissements industriels
subventionnaires évalués à 226 millions de dollars
américains en 1994 (voir Liepziger et al., « MERCOSUR: Integration
and Industrial Policy », World Economy, 1997, p. 69-87).
4 Ces
règlements, parfois appelés contrôles des capitaux,
comportaient des coefficients de couverture obligatoire sur les entrées
et des restrictions sur le rapatriement des sorties. On peut les qualifier
d'obstacles à la mobilité des capitaux, à l'entrée
et à la sortie respectivement, susceptibles de bloquer ou d'entraver
les entrées ou encore de prolonger le maintien de capitaux déjà
engagés au-delà de la période que les investisseurs
pourraient juger compatible avec leur niveau de tolérance du risque.
Par conséquent, ces contrôles sur les capitaux engendraient
un effet secondaire non voulu, puisqu'ils restreignaient le pays concerné
à une gamme d'investissements plus étroite et plus coûteuse,
ce qui entraînait à long terme une hausse du coût interne
des capitaux.
5 Wrobel,
Paulo S., A Free Trade Area of the Americas in 2005?, International
Affairs, 74(3), 1998, p. 551.
6 Fonds
monétaire international, Statistiques financières internationales,
diverses années.
7 Banque
mondiale, World Investment Report 1998.
8 Aux
termes de l'ICC et du Système généralisé de
préférences, de nombreux produits fabriqués dans les
Caraïbes entrent aux États-Unis en franchise à condition
de remplir l'une des deux conditions suivantes : 1) qu'au moins 35 p. 100
du produit soit originaire des Caraïbes; ou 2) qu'au moins 20 p. 100
du produit soit originaire des Caraïbes si pas moins de 15 p. 100
provient des États-Unis ou de Porto Rico.
9 The
Americas Review 1998.