INDU Rapport du Comité
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CHAPITRE 5 :
LA PRODUCTIVITÉ, LA COMPÉTITIVITÉ
ET LA PROSPÉRITÉ
Les liens entre la productivité, la compétitivité et la prospérité
Les termes « productivité », « compétitivité » et « prospérité » peuvent s'appliquer à la fois aux personnes, aux entreprises, aux marchés et même à la société. Dans une économie moderne, par souci de commodité le concept de la productivité est réservé à l'entreprise, celui de la compétitivité, aux marchés et la notion de prospérité, à l'État-nation. En effet, la productivité d'un individu se concrétise en règle générale dans les produits de l'entreprise qui l'emploie; la compétitivité de l'entreprise a de nombreuses retombées dans le secteur auquel elle appartient et peut refléter la mise en commun de ressources ainsi que les cadres de réglementation et les politiques en matière de concurrence; la prospérité, enfin, est généralement répartie dans l'ensemble du pays grâce à une intervention de l'État. Le Comité a adopté l'idée d'enchaînement qu'un témoin a décrite ainsi :
[L]a productivité concerne le milieu de travail. Je base donc l'idée de productivité en tant que notion au niveau de l'entreprise[...]. Elle sert de point de départ à la compétitivité et aux gains en revenus réels[...]. L'idée de compétitivité concerne les marchés. Il s'agit là des coûts relatifs. Ceci permet de voir si les activités d'une entreprise sont viables et si certaines industries peuvent se maintenir. Mais ce n'est pas tout, car la compétitivité sur le marché est à l'origine, du moins en partie, de ce qui se passe dans la société[...]. La prospérité concerne la société et porte sur l'amélioration du revenu réel, de la qualité de vie, de l'équité et de la durabilité environnementale, entre autres objectifs. Mais il se peut tout simplement qu'il y ait croissance de la productivité sans compétitivité ou compétitivité sans prospérité. Il faut en fait agir tout le long de la filière pour réussir. [Michael McCracken, 8:9:40] |
De nombreux témoins ont laissé entendre, sans l'expliquer véritablement, qu'il y avait effectivement un enchaînement et qu'ils estimaient que la productivité était la clé de la prospérité. La productivité n'est donc pas une fin en soi, mais le moyen d'atteindre la prospérité, une prospérité qui ne se limite pas au PIB par habitant, mais qui comprenne l'équité du point de vue de la répartition des revenus, ainsi que la santé de la population et la protection de l'environnement.
La compétitivité du secteur canadien des entreprises
Le lien entre la productivité et la compétitivité du secteur des entreprises, du moins pour ce qui est des coûts, est clair. Avec un minimum de données sur le salaire moyen et les taux de change, il est possible de convertir, par une équation mathématique, la productivité du travail en coûts unitaires de main-d'uvre, la mesure traditionnelle de comparaison de la compétitivité des entreprises de pays rivaux. L'évolution des coûts unitaires de main-d'uvre exprimés dans une monnaie commune pendant une période relativement longue reflète avec une assez grande exactitude les tendances qu'affiche la compétitivité relative de pays concurrents proches, comme le Canada et les États-Unis.
Figure 5.1
Productivité, rémunération du travail et coûts
unitaires de main-d'uvre
(en points de pourcentage)
1989-1998
1966-1998
Source : Statistique Canada
La figure 5.1 illustre la compétitivité relative des secteurs des entreprises canadien et américain au cours des deux périodes : le cycle conjoncturel actuel, soit de 1989 à 1998 (court terme) et les quatre cycles antérieurs, soit de 1966 à 1998 (long terme). Les années de base, pour lesquelles l'indice est établi à 100 dans chaque période, sont 1966 et 1989. Bien que le dollar canadien se soit déprécié vis-à-vis du dollar américain au cours des deux périodes, rendant le Canada plus concurrentiel que son voisin, à tous les autres égards la performance des deux secteurs a différé. On peut dire qu'il y a eu renversement de la tenue des deux pays au chapitre de la productivité du travail, des salaires et des coûts unitaires de main-d'uvre exprimés dans la monnaie du pays pendant ces périodes.
Au cours des 40 dernières années, la productivité du travail a progressé de 73,6 points de pourcentage au Canada, soit de 10 points de plus qu'aux États-Unis. La rémunération du travail au Canada a explosé au cours de cette période, donnant aux entreprises américaines un avantage d'environ 150 points de pourcentage. Les coûts unitaires de main-d'uvre exprimés dans la monnaie de chacun des pays ont augmenté de 372,8 points de pourcentage au Canada, soit de 63,8 points de plus qu'aux États-Unis. Toutefois, comme le dollar canadien s'est déprécié de 25,2 % au cours de la période, cela s'est traduit pour le Canada par un avantage de 55,1 points de pourcentage, après conversion en dollars américains. Autrement dit, entre 1966 et 1998, la compétitivité du secteur des entreprises du Canada s'est améliorée de 13,5 % par rapport à celui des États-Unis.
En revanche, entre 1989 et 1998, la compétitivité des deux économies a affiché un profil un peu divergent, la croissance de la productivité ayant été plus marquée d'un point de pourcentage (12,3 contre 11,3) aux États-Unis. Pendant cette période, la progression de la rémunération du travail a été plus limitée au Canada, permettant au secteur canadien des entreprises d'enregistrer un avantage de 8,3 points de pourcentage (31,6 contre 39,9). Les coûts unitaires de main-d'uvre exprimés dans la monnaie de chaque pays ont donc progressé de 18,2 points de pourcentage, soit de 6,4 points de moins qu'aux États-Unis. Ici encore, comme le dollar canadien a perdu 18,4 % de sa valeur au cours de la période, les coûts unitaires de main-d'uvre ont gagné 21,7 points de pourcentage une fois convertis en dollars américains. En d'autres termes, la compétitivité du secteur canadien des entreprises par rapport à celui des États-Unis s'est améliorée de 28,1 % entre 1989 et 1998 par suite des compressions dans les accords salariaux et de la dépréciation de la monnaie; ces deux phénomènes s'expliquent par la stagnation de la demande intérieure et la dégradation des termes de l'échange due au recul des cours mondiaux des matières premières enregistré dans les années1990. Le Comité a appris que :
Le Canada a affiché des gains significatifs au chapitre de la productivité et pour ce qui est de la réduction de ses coûts unitaires de main-d'uvre. Ceci s'explique bien entendu par la chute du dollar, qui nous a permis de hausser nos exportations et la production. Mais là où nous accusons un retard, c'est au niveau de l'innovation, de l'investissement et de l'adoption et de la commercialisation de nouvelles technologies. [...] Je pense que c'est dans ce domaine que l'économie canadienne doit se ressaisir. [Jayson Myers, 28:10:45] |
Et :
Parce que les coûts unitaires de la main-d'uvre canadienne, évalués en dollars américains, ont décliné de 1,2 % par an dans les années 90, nos produits sont devenus moins chers. Cela a renforcé notre compétitivité sur les marchés américains, mais il est aussi logique de conclure que cette situation cache un problème fondamental : l'affaiblissement de la compétitivité du secteur manufacturier. C'est cette partie du débat sur la productivité que l'on a oubliée jusqu'ici et sur laquelle nous estimons que les Canadiens devraient insister. [Jim Frank, Conference Board du Canada 8:9:15] |
Les données dont nous disposons confortent ce point de vue. Le dollar canadien s'est déprécié de 18,4 % vis-à-vis de son homologue américain entre 1989 et 1998, expliquant plus de 77 % de l'amélioration de la compétitivité, au niveau des coûts, des entreprises canadiennes comparativement à leurs pendants américains au cours de la période. Une monnaie faible constitue donc un moyen extrêmement efficace de stimuler la compétitivité à court et à long termes, mais surtout à court terme. Les hausses de productivité, accompagnées d'augmentations de salaires équivalentes mais sans plus (dans un contexte non inflationniste), constituent cependant la stratégie la plus efficace, car elles ne supposent aucun fléchissement de la valeur externe des salaires, ce qui est compatible avec l'objectif de prospérité et d'amélioration du niveau de vie.
Il nous faut comprendre que les salaires élevés viennent d'une productivité élevée. Les salaires supérieurs des citoyens américains sont en grande partie le résultat de leur meilleure productivité et de leur capacité de faire correspondre la croissance de la rémunération et celle de la productivité. En définitive, leur compétitivité économique est renforcée par cette capacité... [Jim Frank, 8:9:15] |
Le Comité partage ce point de vue et estime qu'une forte productivité devrait devenir un impératif pour le Canada.
Taux de change flottant et autosatisfaction des entreprises canadiennes
Tout semble indiquer que la dépréciation de la monnaie en régime de taux de change flottant est une stratégie efficace pour encourager la compétitivité. Cette stratégie ne comporte apparemment pas d'inconvénient, à moins, bien sûr, qu'elle ne freine indirectement la croissance de la productivité. C'est exactement ce que certains témoins ont laissé entendre, à savoir qu'un recul substantiel du cours de la monnaie pourrait à long terme entraver la productivité.
Au début des années1970, le gouvernement du Canada a décidé de ne plus rattacher le cours de la monnaie à celui du dollar américain. Dans un premier temps, le marché a décidé que le dollar canadien valait plus que le dollar américain, soit 1,04 $US en 1976 (un record s'expliquant par le niveau très élevé des prix des matières premières et de l'énergie); depuis, toutefois, le dollar canadien a régulièrement reculé pour atteindre un creux de 63 cents US environ, avant de retrouver son niveau actuel, qui oscille entre 68 et 70 cents US. Pendant la majeure partie de cette période, la productivité du secteur manufacturier canadien a également marqué le pas par rapport à celle de son homologue américain, ce qui a incité certains chercheurs à faire un rapprochement entre cette variable et le taux de change. Selon eux, le flottement ou l'atonie du dollar a incité les entreprises canadiennes à la paresse. La mollesse du dollar a fait office de béquille, dégageant les entreprises canadiennes de l'obligation d'opérer les changements nécessaires. D'autres, plus nombreux, estiment au contraire qu'un dollar flottant permet, au gré des fluctuations, d'équilibrer la demande externe et la production interne lorsque les facteurs de production ne répondent pas immédiatement aux chocs28.
Un témoin a précisé la question de la manière suivante :
[I]l existe deux types de liens entre le cours du dollar canadien et la productivité. Le premier est fondé sur l'hypothèse suivante :la chute du dollar et la baisse des coûts unitaires au Canada, qui avantagent les exportateurs canadiens, ont donné à ces derniers un faux sentiment de sécurité et ne les a pas incités à être aussi efficaces que possible. C'est une hypothèse... Certains observateurs pensent que la faiblesse du dollar procure un sentiment de sécurité qui fait que certains entrepreneurs se bercent d'illusions. D'autres, par contre, ne sont pas d'accord... La faiblesse de notre devise a effectivement accru notre compétitivité, nous a permis d'exporter davantage, a permis à plusieurs usines de tourner à un niveau se rapprochant davantage de leur pleine capacité, a entraîné la création d'emplois supplémentaires et a accéléré le rythme de notre croissance économique. [Dale Orr, 10:10:05] |
Le Comité souhaite répéter ce dont certains économistes ont témoigné : un dollar canadien faible pourrait ne pas inciter le pays à déplacer la main-d'uvre et le capital du secteur manufacturier traditionnel axé sur les matières premières et ayant une faible valeur ajoutée vers un secteur fondé sur le savoir, plus nouveau et de plus haute technologie. Ceci risque de se produire, dit-on, puisqu'un dollar faible donne une idée erronée de la tendance des prix aux producteurs. En fait, il faut chercher à établir si un taux de change flottant ou un dollar faible permet d'absorber les chocs ou, au contraire, brouille les messages.
Selon un chercheur, il semblerait que les entreprises canadiennes se soient trop fortement spécialisées dans le secteur des ressources naturelles et dans les entreprises manufacturières de faible et moyenne technologie plutôt que de haute technologie; il n'a toutefois pas proposé de lier ce fait à la dépréciation du dollar canadien et a laissé entendre que le Canada aurait été en meilleure posture s'il avait adopté la même approche que les États-Unis à cet égard29. C'est exactement ce que soutiennent ceux qui s'opposent à une stratégie axée sur la dépréciation ou le flottement du dollar canadien30.
Des témoins, inquiets de la dépréciation du dollar, ont déclaré :
Alors vraiment[...] si un dollar à 68 cents est une bonne idée, pourquoi ne pas essayer un dollar à 50 cents? La dépréciation de notre monnaie ne nous sera pas profitable[...]. À un moment donné, il y a un lien entre le coût des marchandises que nous importons et consommons et notre monnaie[...] Si nous nous sommes attachés à la compétitivité et au dollar canadien, c'est que sur une période assez prolongée[...] cela va commencer à se voir et cela se manifestera par une compétitivité affaiblie de nos industries. [Jim Frank, 8:10:05] |
Selon un témoin, la compétitivité est affaire de pressions :
[L]es entreprises deviennent concurrentielles au niveau mondial lorsqu'elles sont assujetties à des pressions, parce qu'elles sont obligées de faire des choix, d'être plus novatrices et d'investir de façon plus judicieuse. Les pressions sont donc très positives et chaque fois qu'on relâche la soupape en dépréciant notre devise, cela a une incidence négative sur les décisions que prennent les entreprises pour être concurrentielles grâce à des moyens plus pointus. Je trouve très triste l'évolution du dollar canadien. Elle nous a appauvris. Depuis[...] 1991, les Canadiens ont subi une baisse des salaires de l'ordre de 25 %. [...] C'est une situation qui nous appauvrit et qui n'incite pas nos entreprises à prendre les décisions qui leur permettront d'être concurrentielles. [Roger Martin, 22:11:30-11:35] |
Un autre témoin a présenté une version légèrement différente des choses :
Je ne suis pas convaincu que cela est dû nécessairement au fait que nos fabricants se laissent aller à une certaine complaisance. Ce qui s'est passé, c'est qu'à mesure que le dollar perd de sa valeur, bon nombre d'entreprises qui sont marginales et qui ne pourraient pas survivre avec un dollar plus élevé, et dont la productivité est sans doute moindre, réussissent à s'en tirer grâce à notre devise bon marché. [...] Il y a donc un certain nombre de secteurs où la baisse du dollar a en fait pour effet d'entraîner une baisse de productivité. [Douglas Porter, 22:11:30] |
D'autres soutiennent que le secteur manufacturier canadien peut conserver un avantage concurrentiel par rapport aux industries primaires pour ce qui est de la main-d'uvre et du capital, avec ou sans un dollar déprécié. Il est toujours bon de transférer les ressources des canards boiteux vers les secteurs plus prometteurs de l'économie, quels qu'ils soient.
D'autres témoins sont restés neutres dans l'ensemble :
Le premier [commentaire] est que la faiblesse de notre devise est un phénomène temporaire. Le dollar canadien ne restera pas aussi mou. Son atonie est due entre autres aux prix déprimés des produits primaires. Les termes de l'échange se sont détériorés davantage au cours de cette période qu'au cours de pratiquement n'importe quelle autre période de l'histoire du Canada, mais cette situation ne persistera pas indéfiniment. Les termes de l'échange ont des hauts et des bas. Mon deuxième commentaire, c'est qu'il ne faut pas oublier à ce propos que nous pouvons toujours compter sur des capitaux étrangers. L'épargne n'est pas suffisante pour couvrir nos besoins d'investissement. [...] L'épargne nationale ne suffit pas. Par conséquent, nous avons dû continuer à importer des capitaux. [David Slater, 10:10:05] |
Sur ce dernier point, un témoin a déclaré :
In 1979, [...] le financement coûtait environ 20 % de plus au Canada qu'aux États-Unis. En 1995, l'écart était passé à 90 %. Il s'agit là du coût du financement et non du coût du capital, c'est à dire du loyer de l'argent. Il représente ce qu'on appelle en économie le coût d'utilisation, c'est-à-dire l'utilisation d'une unité de services de financement. Les règles essentielles de l'économie nous indiquent qu'en présence d'un écart de prix aussi important, il n'est pas étonnant de voir les capitaux remplacés par la main-d'uvre. C'est exactement ce qui semble s'être produit, alors que l'inverse était vrai aux États-Unis. Quelles qu'en soient les raisons, cette différence remarquable dans les prix relatifs des intrants fait partie intégrante de l'évolution des écarts de productivité entre le Canada et les États-Unis. [Richard Harris, 20:16:10] |
Donc, un dollar canadien relativement faible serait en partie responsable :
Pour ce qui est du taux de change, il n'y a aucun doute possible. Au cours des années 90, l'écart spectaculaire observé au niveau des capitaux et de la main-d'uvre entre les deux pays était manifestement dû à la dépréciation réelle du dollar canadien. Nous importons de fortes quantités de matériel et d'outillage. Malgré la grande ouverture des marchés canadiens, la part des dépenses du Canada en matériel et outillage par rapport au PIB est de 11 % inférieure à ce qu'elle est aux Etats-Unis[...]. Ce sont des résultats très décevants[...]. Il est absolument certain que la dépréciation du taux de change a profité aux entreprises canadiennes en stimulant leurs exportations, mais elle comporte aussi un coût à long terme lorsque les entreprises veulent acquérir de nouvelles installations ou du nouveau matériel. [Richard Harris, 20:16:20] |
Des témoins ont rappelé au Comité que, en cette ère de mondialisation, une variation des prix relatifs des facteurs de production signifie que le facteur de production le moins mobile, la main-d'uvre, absorbera le gros de la dépréciation de la monnaie. Autrement dit, ce sont les travailleurs canadiens, et non les détenteurs de capitaux, qui s'appauvrissent31, pendant que les entreprises canadiennes conservent leur avantage concurrentiel :
En ce qui concerne le taux de change[...]. les Canadiens ont plus de mal que leurs homologues américains à importer des capitaux, mais ce n'est pas tout à fait le cas, car les entreprises américaines acquièrent des capitaux au même prix que les entreprises canadiennes. En fait, les entreprises canadiennes ont un avantage, car la main-d'uvre, qui se combine aux capitaux, leur coûte moins cher. Elles ont donc un avantage net sur leurs concurrentes américaines, même lorsqu'il s'agit d'acheter la même machine à Philadelphie. [John Helliwell, Université de Colombie-Britannique, 20:16:25] |
Somme toute, un dollar canadien relativement faible par rapport à son pendant américain présente des avantages à court terme, sous forme de demande extérieure de biens et services canadiens supérieure à ce qu'elle serait autrement. Un régime de change flottant permet donc à la monnaie de faire office d'amortisseur en cas de chocs commerciaux négatifs qui touchent le Canada et les États-Unis de façon asymétrique. Cet effet positif pèse plus lourd dans la balance que la hausse des coûts du capital à court terme pour la raison suivante :
Le Canada est un très gros exportateur à l'échelle mondiale, et un dollar faible nous rend plus concurrentiels pour vendre nos produits à l'étranger. Comme les capitaux nécessaires à la production de nos exportations ne constituent qu'un élément dans l'ensemble des coûts, la faiblesse de notre dollar améliore notre compétitivité[...], même s'il faut débourser davantage pour les capitaux. [Jonathan Kesselman, Université de Colombie-Britannique, 20:16:20] |
À plus long terme, cependant, une monnaie dépréciée peut hausser dans une certaine mesure le coût relatif du capital étranger, freinant ainsi son accumulation, ainsi que les changements techniques qu'il pourrait permettre32. Donc, un dollar flottant dissuade les entreprises canadiennes d'effectuer les ajustements structurels nécessaires et brouille les signaux économiques.
Le Comité estime que les arguments présentés par les deux camps ont du bon; l'expérience nous enseignera lesquels de ces effets économiques seront dominants. Comme de toute évidence il faut continuer les recherches, le Comité recommande :
10. Que les ministres de l'Industrie et des Finances mènent de concert une étude sur les avantages et les inconvénients d'un dollar flottant pour l'économie canadienne, qui sera axée plus particulièrement sur son incidence sur la productivité et la compétitivité du secteur des entreprises canadien.
Il ne faut pas perdre de vue, comme nous l'avons expliqué dans la section antérieure, que l'objectif ultime du comportement économique n'est pas la compétitivité, mais l'amélioration du niveau de vie et du bien-être économique de la population. À cet égard, le Canada n'a pas connu la situation idéale, soit celle où la compétitivité s'améliore en même temps que la monnaie s'apprécie. Un tel « cercle vertueux » a été décrit au Comité :
La situation idéale est celle où une entreprise accélère la croissance de sa productivité. Cela permet à l'entreprise de verser des salaires réels plus élevés, ce qui veut dire des revenus réels supérieurs pour les travailleurs concernés. Et, en faisant correspondre ces gains salariaux aux gains de productivité, on permet à l'entreprise de rester concurrentielle de sorte que le coût unitaire de sa main-d'uvre ne change pas et qu'elle peut continuer à acheter ses biens à l'étranger. Appelons ça le « cercle vertueux » que nous recherchons. À force, nous assisterons sans doute à une appréciation de notre taux de change, grâce à laquelle les Canadiens pourront acheter davantage de biens à l'étranger pour le même montant de dollars canadiens. Cela aboutira à une amélioration de leur revenu réel. Ce qu'il faut donc, c'est ce que l'on appelle une appréciation gagnée -- gagnée parce que la hausse de la productivité s'accélère. [Michael McCracken, 8:10:50] |
Le niveau de vie se mesure d'après le PIB par habitant d'un pays; au Canada, il était estimé en 1998 à 29 357 $. Industrie Canada a évalué le niveau de vie de l'Américain moyen à 46 712 $, compte tenu d'un taux de change de 67,4 cents US par dollar canadien, ou à 36 840 $, compte tenu d'un taux de change de 85 cents US, ce qu'utilise Statistique Canada pour calculer le pouvoir d'achat.
Il est très difficile de faire des comparaisons internationales, car de nombreux facteurs entrent en jeu, comme le taux de change. Si on utilise ce qu'on appelle la parité du pouvoir d'achat -- autrement dit, un dollar canadien a un pouvoir d'achat de 85 cents aux États-Unis, [...] ce qui n'est pas la vraie valeur du dollar, mais une valeur plus représentative du dollar -- la différence de revenu par habitant entre le Canada et les États-Unis s'élève à 7 500 $ par an et par personne. Si on utilise le taux de change qui prévalait à une époque, 67 cents, le chiffre monte à 17 000 $, ce qui est probablement trop. [Serge Nadeau, 2:9:35] |
L'écart de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis varie entre 20 % et 40 %, selon le mode de calcul.
La figure 5.2 permet d'établir des comparaisons plus générales, puisqu'elle illustre le niveau de vie des pays du G7 en 1989 et en 1996. Ce diagramme se fonde sur un indice, les États-Unis représentant 100. Pour faciliter la comparaison, le PIB par habitant de tous les pays du G7 ont été convertis en dollars américains de 1990 et corrigés de tout biais inflationniste pour la période. Les États-Unis affichant la plus forte productivité de tous les pays du G7, il n'est pas surprenant qu'ils aient le plus haut niveau de vie au monde. Au début de la décennie, le Canada se classait second parmi ces pays, et il occupe aujourd'hui la quatrième place, derrière le Japon et l'Allemagne. Au cours de la période, l'écart de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis s'est également creusé de cinq points de pourcentage.
Figure 5.2
Source : Organisation de coopération et de développement économiques
Réconcilier productivité et niveau de vie
Si l'on compare la place qu'occupe le Canada parmi les pays du G7 pour ce qui est du niveau de vie en 1989 et en 1996 et son classement au chapitre de la productivité pour 1989 et 1997, il y a correspondance. Dans le premier cas, le Canada est passé de la seconde à la quatrième place, et dans le second, de la seconde à la cinquième. Qui plus est, l'écart de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis, qui s'établissait à 20 % en 1989, a atteint 25 % en 1996, tandis que l'écart de productivité est demeuré constant, aux alentours de 20 %. Bien qu'il y ait un lien évident entre la productivité et le niveau de vie, ce lien n'est pas direct. Le Comité s'est fait expliquer la formule mathématique utilisée :
Le niveau de vie exprimé par la production par habitant est relié par une identité à une mesure de productivité. Cette identité est très simple. La production par habitant, qui est le critère de niveau de vie[...], est égale à la production par heures travaillées multipliée par le nombre d'heures travaillées et divisée par le nombre de personnes dans l'économie. Les deux facteurs, soit la production par habitant et la production par heures travaillées, devraient être très proches l'un de l'autre, à moins qu'il n'arrive quelque chose au troisième terme de l'équation, c'est-à-dire le nombre d'heures travaillées par le nombre de personnes dans l'économie. [John Baldwin, 2:9:15] |
Figure 5.3
Source : Statistique Canada
La figure 5.3 illustre la productivité et le niveau de vie au Canada au cours des deux derniers cycles économiques calculés selon cette formule mathématique; la tenue du Canada à ces deux chapitres a été expliquée de la façon suivante :
[C]e qui s'est passé dans les années 90 explique le déclin de notre niveau de vie. Ce n'est pas la productivité qui a diminué, c'est le ratio emplois-population. Si vous considérez le PIB par travailleur, il n'y a en fait pas eu de diminution dans les années 90 par rapport aux périodes antérieures[...]. Ce qui explique la détérioration de notre niveau de vie, c'est la chute du ratio emplois-population qui est due à un chômage plus important, mais aussi, et c'est la chose encore plus importante, à la très grande baisse du taux de participation de notre main-d'uvre[...] sans parler de la politique monétaire et de la politique fiscale, qui ont joué un rôle dans cette dégradation [...] [Andrew Sharpe, 8:10:00] |
D'autres causes ont été avancées :
Si notre niveau de vie est relativement peu élevé, c'est surtout à cause de notre piètre productivité. Outre le fait que notre rendement par ouvrier -- c'est-à-dire notre productivité -- est relativement faible, le pourcentage de la population qui occupe un emploi est moins élevé qu'aux États-Unis. Cette mollesse du secteur de l'emploi est principalement due à l'atonie de la demande globale et à une mobilité relativement limitée de la population. Les Canadiens persistent à rester dans des régions où le taux de chômage est élevé et où les chances d'amélioration de l'emploi sont quasi nulles. [Dale Orr, 10:9:20] |
La figure 5.3 confirme dans une large mesure ce point de vue. Entre 1989 et 1998, le taux de croissance du PIB par habitant a été inférieur à celui de la productivité du travail, dans une proportion qui représente exactement la somme des reculs du taux de participation, du taux d'emploi et du nombre d'heures par emploi au cours de cette période. La situation est exactement inverse de celle qui prévalait entre 1981 et 1989, au cours de laquelle la croissance du PIB par habitant était supérieure à celle de la productivité du travail. À cette époque, la participation de la main-d'uvre, l'emploi et le nombre d'heures ouvrées par travailleur étaient tous positifs.
La disparité de niveau de vie entre le Canada et les États-Unis dans les années 1990 a été expliquée ainsi au Comité :
Le fléchissement de notre niveau de vie par rapport à celui des Américains au cours des années 90 est dû à une piètre performance du marché du travail plutôt qu'à une productivité moindre. Au cours des années 90, notre niveau de productivité par rapport à celui des Américains s'est maintenu, mais pas notre niveau de vie. [Dale Orr, 10:9:20] |
Un représentant d'Industrie Canada a même été en mesure de chiffrer ces deux facteurs :
Les raisons pour lesquelles le Canada a un niveau de vie inférieur à celui des États-Unis sont très simples. [...]. Certes, il n'y a pas autant de gens qui travaillent au Canada, et cela explique environ 4 % de l'écart[...] ou 240 $ par an. Le reste, tout le reste, soit 96 %, s'explique par une productivité du travail moins élevée. [Serge Nadeau, 2:9:35] |
La productivité : maîtresse ou servante? Servante de quel maître?
Une idée qui est revenue souvent dans les témoignages entendus est que la productivité vise l'amélioration du niveau de vie. Le Comité estime néanmoins qu'il serait bon d'examiner la question de façon plus approfondie.
De toute évidence, la productivité ne constitue pas une fin en soi, mais plutôt un moyen : elle est servante, et non maîtresse, mais servante de quel maître? Le Comité a cherché un élément de réponse dans les comportements des pays du G7 à ce chapitre.
Si l'on examine le niveau de vie d'un pays par rapport à son niveau de productivité en 1989 et au milieu des années 1990, on découvre quelques liens intéressants. Le niveau de vie du Canada par rapport à celui des États-Unis cadre très bien avec le niveau de productivité respectifs de ces pays aux mêmes époques. C'est-à-dire qu'en 1989 le niveau de vie et la productivité au Canada représentaient respectivement 81,7 % et 82,2 % des équivalents américains; en 1996-1997, ces pourcentages étaient passés à 76,7 % et 81,3 %. Il est bon de noter à titre de comparaison qu'au cours de ces deux périodes, au Japon, c'est le niveau de vie qui s'est davantage rapproché des chiffres américains, tandis que, dans les pays européens (France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni), c'est l'inverse qui s'est produit.
Étant donné que le taux de participation de la main-d'uvre, le taux d'emploi et le nombre d'heures travaillées sont des facteurs qui relient la productivité et le niveau de vie, nous pouvons déduire les préférences pour ce qui est du marché du travail de chacun des pays du G7. Le Japon, plus que tout autre, consacre les retombées de sa productivité à l'amélioration du niveau de vie, les politiques relatives au marché du travail et l'éthique professionnelle assurant un taux de participation et d'emploi élevé. Le Canada et les États-Unis ont une éthique professionnelle similaire et des politiques relatives au marché du travail analogues, de sorte que la productivité de chacun de ces pays assure un meilleur équilibre entre le niveau de vie et les conditions du marché du travail que cela n'est le cas pour les autres pays du G7. Enfin, la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni veillent à ce que leur productivité assure un niveau de vie acceptable tout en tolérant la pire situation du marché du travail des pays du G7 (et en fournissant, par conséquent, les prestations de chômage et autres les plus généreuses).
On peut donc conclure de ce qui précède que la productivité peut servir divers maîtres; il n'est pas nécessaire qu'elle serve uniquement la prospérité, mesurée par le niveau de vie uniquement. Les processus de prise de décision doivent tenir compte de l'éthique professionnelle. La prospérité revêt divers aspects, et les objectifs d'une productivité élevée relèvent de choix de société que chaque pays doit effectuer.
28 Il y a de toute évidence, outre la supposée autosatisfaction de l'entreprise canadienne, d'autres facteurs qui entrent en jeu, qu'ils soient d'ordre politique (souveraineté et responsabilisation) ou économique (coûts supplémentaires liés aux risques de change, aux zones monétaires optimales, etc.).
29 Edward Wolff, Has Canada Specialized in the Wrong Manufacturing Industries?, présenté à la Conférence du Centre d'étude du niveau de vie, janvier 2000.
30 D'autres arguments pourraient expliquer ce résultat, y compris la possibilité que des lois fiscales avantageant les mauvais secteurs aient incité certaines entreprises à y affecter leurs ressources.
31 Bien entendu, la main-d'uvre jeune, mobile et hautement spécialisée pourrait échapper à ce sort en émigrant aux États-Unis, situation sur laquelle nous nous penchons au chapitre 8.
32 Tout comme la corrélation entre un dollar déprécié et une croissance de la productivité médiocre ne révèle aucun lien de cause à effet entre les variables -- la piètre croissance de la productivité du Canada par rapport aux États-Unis aurait pu déclencher une dépréciation du dollar canadien, contrairement à ce que l'on a expliqué plus haut --, la corrélation entre les coûts relatifs des services de financement et la dépréciation du dollar canadien n'établit pas la direction d'un éventuel effet causal; il se pourrait que ce soit la hausse des coûts relatifs des services du financement au Canada qui ait déclenché la dépréciation du dollar canadien.