INDU Rapport du Comité
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CHAPITRE 15 :
LE SECTEUR DES PRODUITS PÉTROLIERS
Contribution à l'économie et structure
L'industrie des produits pétroliers constitue le volet « en aval » du secteur du pétrole. Elle comprend 18 raffineries de pétrole et 13 000 points de vente routiers. Le pétrole brut (au rythme d'environ 1,6 million de barils par jour) est raffiné en une multitude de produits différents, les principaux étant l'essence automobile, le diesel, le carburant d'aviation, le mazout léger ou lourd, ainsi que d'autres produits comme les huiles et les graisses de lubrification, l'asphalte et les produits de charge pétrochimiques. L'Institut canadien des produits pétroliers (ICPP) a décrit au Comité les activités et l'impact économique de ses membres :
Les sociétés membres de l'ICPP ont investi plus de 6 milliards de dollars de capitaux dans ce secteur. [...] Notre industrie emploie directement 130 000 Canadiens [...] En plus [...], nous employons indirectement 100 000 autres Canadiens qui fournissent des biens et des services à notre secteur. [Andrew Stephens, Association canadienne des producteurs pétroliers, 11:15:35] |
Les plus gros raffineurs (la Compagnie pétrolière impériale Ltée, Petro-Canada et Shell Canada Ltée) contrôlent environ 56 % de la capacité de raffinage. Les 44 % restants sont contrôlés par 10 raffineurs régionaux43. Ressources naturelles Canada estime que 44 % de la capacité de raffinage dans notre pays appartient à des intérêts canadiens, ce qui signifie que la mainmise étrangère représente 56 % : les États-Unis se situant à 35 % et les sociétés européennes représentant la majeure partie des 21 % qui restent. Une proportion de 44 % des points de vente au détail appartiennent à des entreprises indépendantes.
Aussi bien le pétrole brut que les dérivés raffinés sont produits pour un marché nord-américain intégré; les échanges transfrontaliers Canada-États-Unis de ces produits largement indifférenciés sont importants à tous les niveaux (producteurs de pétrole et de gaz, raffineurs, négociants en gros, commerçants au détail ou consommateurs). Par définition, « marché continental intégré » signifie que les producteurs canadiens et américains sont en concurrence directe. Ainsi, au cours des années 1990, les industries canadiennes et américaines, « en amont » et « en aval » ont dû faire face à une croissance faible, voire nulle, de la demande, et toutes deux ont connu une baisse de leur marge bénéficiaire et de leur rentabilité.
Dans les circonstances actuelles, l'industrie reconnaît que les raffineries doivent fonctionner à environ 85 % de leur capacité pour être suffisamment rentables. Compte tenu de la demande relativement stagnante au cours des années 1990, l'industrie a dû rationaliser ses opérations. Pour cela, le nombre de raffineries, qui était de 40 au début des années 1980, a été ramené à 18 en 2000. Le nombre d'emplois a été diminué de manière encore plus radicale, de sorte que la productivité du travail dans l'industrie canadienne du raffinage du pétrole a augmenté régulièrement :
Nos employés sont très productifs. C'est ainsi que chaque employé de nos raffineries produit un chiffre d'affaires de 200 000 $ par an, ce qui est très supérieur à la moyenne des employés de l'industrie manufacturière, qui produisent 55 000 $ par an. Chaque employé de nos raffineries a un facteur multiplicateur de 7, ce qui veut dire que chaque emploi dans nos raffineries crée sept emplois ailleurs dans l'économie canadienne. [Andrew Stephens, 11:15:35] |
Toutefois, comme le montre la figure 1.5, la productivité du travail chez les raffineurs canadiens est considérablement plus basse que chez les raffineurs américains.
Le raffinage du pétrole et du gaz est également une industrie à forte intensité d'investissements, puisqu'elle exige 8 $ en capital pour chaque dollar d'extrant. Cette proportion est beaucoup plus haute que la proportion moyenne des industries manufacturières, qui est de 2,60 $ de capital pour chaque dollar d'extrant. Compte tenu de ce contexte, Industrie Canada évalue comme suit la tenue de l'industrie :
Le quotient des biens d'investissement (c.-à-d., la valeur des actifs des raffineries en dollars constants de 1986, ce qui comprend la machinerie, l'équipement et les structures) par rapport à la production quotidienne des raffineries représente la productivité du capital de l'industrie. Depuis 1988, cette productivité se situe en moyenne à 63 500 $ par mètre cube quotidien de production44. |
Au-delà des effets que peuvent avoir la productivité du travail et du capital sur les marges bénéficiaires et la rentabilité des raffineries, il faut reconnaître l'influence d'un certain nombre d'autres facteurs, dont certains échappent à la maîtrise des raffineurs45. Les facteurs d'exploitation sont l'accès à des matières premières peu coûteuses, la capacité de la raffinerie de traiter le pétrole lourd sulfureux et le brut non classique moins coûteux æ deux catégories de pétrole qui devraient, avec le temps, devenir plus abondantes et plus intéressantes sur le plan économique æ les économies d'échelle, et le contrôle des coûts. De plus, les raffineries sont obligées d'accepter les prix du marché à la fois pour leurs achats de brut et pour leurs ventes de produits.
Le secteur canadien du raffinage travaille essentiellement avec du brut peu sulfureux léger, surtout en Ontario, où il doit faire concurrence aux raffineries du nord des États-Unis qui ont une capacité considérable de cokage de brut lourd, ce qui leur permet d'utiliser du brut meilleur marché. Dans le même temps, la rationalisation de l'industrie a permis d'accroître la taille moyenne des raffineries canadiennes pour les rendre aussi concurrentielles que celles du nord des États-Unis. Voici comment Industrie Canada décrit les capacités relatives des raffineries canadiennes et américaines :
[L]'industrie canadienne [est] plus avancée en hydrocraquage et en craquage catalytique, alors que l'industrie américaine la devance en désulfuration du brut sulfureux et en mise en valeur des résidus de brut lourd. Les raffineurs américains sont cependant mieux placés pour transformer le brut plus sulfureux et plus lourd, qui est aussi meilleur marché. |
Pendant les années 80, les raffineurs canadiens n'ont pas autant investi dans la technologie de mise en valeur du brut sulfureux lourd que leurs homologues américains, car la différence de prix entre le brut canadien léger et lourd était fixée artificiellement par le gouvernement fédéral plutôt que par les forces du marché international. Or, cette différence de prix administrés (léger et lourd) était inférieure à celle du marché libre, et trop faible pour justifier de gros investissements. Comme le gouvernement américain n'administrait pas les prix du brut à cette époque, les phases du marché ont encouragé les raffineurs américains à investir dans une technologie de raffinage plus complexe46. |
Cette explication permet de supposer que les raffineurs américains ont un avantage concurrentiel par rapport aux raffineurs canadiens, en partie à cause de l'ingérence passée du gouvernement dans l'industrie. Les représentants de l'industrie se disent toutefois satisfaits de leur performance récente et de leur situation concurrentielle actuelle :
Lorsque les premières études ont été faites en 1990, nous étions dans la deuxième moitié du groupe dans le monde et en Amérique du Nord. Toutefois, tout au long des années 90, grâce à l'amélioration des procédés, aux capitaux investis et aux recours à la technologie, nous avons amélioré notre position face à la concurrence et nous figurons désormais dans la première moitié des concurrents dans le monde. Nous sommes parvenus à ce résultat malgré les inconvénients du climat canadien, la dispersion de notre population, la petite taille de nos usines à l'échelle du monde, etc. Je pense que ces statistiques tirées des coûts d'approvisionnement et des comparaisons avec les autres entreprises nous démontrent que notre secteur est concurrentiel face au reste du monde. [Andrew Stephens, 11:15:40] |
Aux initiatives de rationalisation, l'industrie a ajouté d'importants investissements dans l'informatique, afin d'améliorer ses fonctions d'administration aussi bien que de transformation :
[N]ous avons adopté des techniques axées avant tout sur l'information, par opposition à ce que j'appellerais des techniques axées sur les procédés ou sur les machines æ il s'agit de techniques d'information s'appliquant à tous nos systèmes d'exploitation, notre comptabilité, etc. [...] Il s'agit aussi [...] de l'application des ordinateurs à la simulation des procédés et de leur contrôle æ tout ce qui nous a aidé à mieux rentabiliser la transformation du pétrole brut en produits raffinés et à faire baisser nos coûts. Nous commençons à voir apparaître de nouvelles techniques qui nous intéressent énormément. Il s'agit de manière générale de techniques d'extraction du souffre du pétrole brut ou des produits dérivés. Étant donné que nous n'avions pas à le faire par le passé, il existait des techniques assez banales d'extraction à haute température et à forte pression qui étaient très onéreuses. Toutefois, à la suite de la législation qui nous a été imposée, nous avons vu apparaître certaines techniques moins coûteuses, à basse pression et à faible température, que l'industrie canadienne souhaiterait utiliser. [Andrew Stephens, 11:16:00-16:05] |
Du côté de la vente au détail ou de la mise en marché, le Canada n'a pas rationalisé ses stations --service dans la même mesure que les États-Unis. Selon l'industrie elle-même, pendant la majeure partie des années 1990, le Canada a exploité deux fois plus de stations-service par habitant que les États-Unis. Le volume des ventes au Canada (5 300 litres par jour) a donc été équivalent à environ la moitié de ce qu'il a été aux États-Unis (10 000 litres par jour en 1994). En même temps que la rationalisation (de 24 100, en 1980, le nombre de stations est tombé à 13 000, en 2000), on a procédé à une restructuration. Les marges bénéficiaires sur la vente d'essence au détail étant relativement faibles, les détaillants canadiens sont obligés pour survivre d'avoir recours à d'autres sources de revenu, dépanneur ou lave-auto par exemple.
Je crois que, d'une manière générale, on constate au cours des 10 ou 15 dernières années, ainsi que je le disais plus tôt, un mouvement vers l'efficacité et l'efficience. On observe une rationalisation croissante au niveau des stations-service au Canada. Nous avons encore du retard par rapport aux États-Unis dans le nombre moyen de voitures par station-service, mais je pense que nous allons voir se maintenir cette tendance à la rationalisation des points de vente. [Andrew Stephens, 11:16:35] |
D'après les études réalisées par l'industrie, c'est à cause du gouvernement que l'industrie canadienne n'a pas réussi à accroître son efficience par la rationalisation aussi bien que l'industrie américaine. Au Canada, il existe une réglementation environnementale plus sévère, qui exige le déclassement ou le retrait des réservoirs à carburant des stations. Il en coûte donc plus cher pour quitter l'industrie, d'où le nombre excessif de points de vente au détail pendant une période de déclin et, comme conséquence, des prix à la pompe plus élevés. (Pourrait-on dire que les États-Unis accordent une « subvention environnementale » aux détaillants?)
Perspectives et enjeux stratégiques
L'avenir de l'industrie sera largement tributaire de deux facteurs : la demande et les contraintes environnementales. La demande stagne depuis 15 ans, et les prévisions ne sont guère encourageantes. Si l'on ajoute les préoccupations écologiques à cette équation, on se trouve devant une grande incertitude. Voyons par exemple le pronostic de l'industrie quant aux effets de l'Accord de Kyoto :
Selon le scénario défini à Kyoto, on enregistrerait probablement une baisse de 35 % de la demande du carburant ou du mazout produit par nos raffineries. Or une baisse de 35 % créerait une très importante capacité excédentaire. Les raffineurs ne seraient donc guère portés à investir dans de nouvelles technologies, car ils ne pourraient pas s'attendre à le faire de manière rentable. [Andrew Stephens, 11:16:15] |
Considérons maintenant la colonne des dépenses. Le défi le plus grave des 10 prochaines années tiendra sans doute à la nécessité de produire des carburants de transport moins nocifs pour l'environnement (c.-à-d. des essences et des carburants diesel reformulés). Certes, les techniques de production des carburants reformulés existent, mais elles sont d'un coût prohibitif. Sous l'angle sociétal, les avantages sanitaires et environnementaux doivent être soupesés soigneusement face aux dépenses engagées, afin d'assurer un bon rapport coût-efficacité. L'efficience, grâce au choix des bons instruments économiques, est essentielle.
Il importe également de se demander comment l'application de mesures environnementales influera sur la compétitivité relative du Canada et des États-Unis dans un marché intégré nord-américain.
[J]e vais commencer par la question portant sur la normalisation des spécifications. L'exemple le plus souvent cité en ce moment est celui de la teneur en soufre de l'essence. À l'heure actuelle, le Canada a un règlement prévoyant que différents taux doivent être atteints en fonction d'un échéancier donné. Une loi analogue est en cours d'élaboration aux États-Unis, mais elle n'est pas encore en vigueur, et il se pourrait qu'il y ait des disparités. On peut penser aussi au sud de la Californie, dont le cadre législatif est différent et bien plus strict pour ce qui est de l'essence que partout ailleurs au monde. Il se trouve que depuis quelques années le raffinage n'est rentable qu'en Californie parce qu'il y a des barrières faisant obstacle à l'entrée des produits. [Andrew Stephens, 11:16:05] |
Désireux d'envisager ce problème sous un angle plus novateur, le Comité estime que la réglementation canadienne sur les caractéristiques de l'essence devrait imposer des normes environnementales sévères et rigoureuses, de manière à pousser l'industrie à innover et à maintenir son avance par rapport à la concurrence américaine. Ainsi, la stricte réglementation californienne cesserait-elle de faire obstacle à l'entrée de l'essence canadienne. Le Comité recommande :
28. Que le gouvernement du Canada fasse en sorte que la réglementation concernant la formulation des produits pétroliers, celle de l'essence surtout, soit dorénavant au moins aussi sévère que celle de l'État de Californie pour ce qui concerne la norme fixée et le calendrier d'application de l'industrie.
43 Ce sont : Irving Oil, Ultramar Canada Inc., Novacor Chimie (Canada) Inc., Newfoundland Processing Limited, Suncor Inc., Husky Oil Operations Limited, Chevron Canada Limited, Consumers' Cooperative Refineries Limited, Saskatchewan Asphalt et Parkland Industries Limited.
44 Industrie Canada, Cadres de compétitivité sectorielle : Les produits pétroliers, Partie I -- Vue d'ensemble et perspectives.
45 La rentabilité de l'industrie des produits pétroliers dépend de deux marges bénéficiaires : 1) la marge de raffinage, à savoir la différence entre les coûts du pétrole brut (les intrants) et la valeur des produits (les extrants) à la sortie de la raffinerie; et 2) la marge de détail, soit la différence entre le prix à la sortie de la raffinerie (qui est généralement considéré comme le prix de gros occasionnel) et le prix à la pompe (net de taxes). La marge bénéficiaire brute de l'industrie est le total des marges de raffinage et de détail. La rentabilité est la marge brute moins les frais d'exploitation, les coûts de la main-d'uvre et l'impôt sur le revenu.
46 Industrie Canada, op. cit.