Passer au contenu
Début du contenu

INDU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY

COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 7 décembre 1999

• 1530

[Traduction]

La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare maintenant la séance ouverte pour l'étude, conformément au mandat que lui confère le paragraphe 108(2) du Règlement, des pratiques anticoncurrentielles en matière de prix et de la Loi sur la concurrence.

Nous sommes très heureux d'accueillir cet après-midi le professeur Gilles Paquet et le professeur Anthony VanDuzer, de l'Université d'Ottawa.

Je vous laisse la parole pour un mot d'introduction.

M. Anthony VanDuzer (professeur, Université d'Ottawa): Je vous remercie beaucoup, madame la présidente et membres du comité. Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui avec mon collègue Gilles Paquet.

Comme vous le savez, au cours des derniers mois, on nous a chargés de constituer un rapport sur les pratiques anticoncurrentielles en matière de prix et la Loi sur la concurrence. Le rapport a été déposé au comité le 25 novembre 1999. J'ai pensé prendre quelques minutes pour décrire le travail que nous avons fait dans le rapport et souligner certaines des conclusions qui sont, selon moi, les plus importantes. J'espère ainsi présenter clairement le contexte dans lequel vos questions doivent s'inscrire. Je serai heureux de répondre aux questions.

Comme vous le savez tous, le projet de loi d'initiative parlementaire C-235, présenté par M. McTeague, membre du comité, et étudié l'an dernier par le comité, est à l'origine de ce rapport. À la fin des délibérations du comité, une résolution voulant que le comité effectue un examen des dispositions de la Loi sur la concurrence concernant les pratiques anticoncurrentielles en matière de prix a été adoptée. Le commissaire de la concurrence, Konrad von Finckenstein, qui a témoigné devant le comité le 25 novembre 1999, a mandaté le professeur Paquet et moi-même à constituer ce rapport que vous avez maintenant devant vous. Nous l'avons réalisé au cours de l'été dernier et au début de l'automne.

Dans ce rapport, nous avons voulu commencer par examiner les trois grands types de pratiques anticoncurrentielles en matière de prix qui avaient fait l'objet de l'étude, soit les prix d'éviction, la discrimination par les prix et le maintien des prix. Nous avons commencé par nous pencher sur la théorie économique qui a été mise au point pour tenter de définir les circonstances dans lesquelles ce type de pratiques a réellement un effet anticoncurrentiel. Cela fait, nous avons ensuite examiné la loi elle-même, son interprétation et son application par le bureau, ainsi que la jurisprudence très limitée relative aux pratiques d'imposition de prix anticoncurrentiels au Canada. Nous avons cherché à comparer les précédents et les dispositions législatives au type de régime qui conviendrait d'après les conclusions de notre analyse économique.

La dernière partie du rapport est une étude de l'expérience concrète du bureau en ce qui a trait aux mesures prises pour faire appliquer la loi. Pour une période de cinq ans se terminant le 31 mars 1999, nous avons examiné pratiquement tous les dossiers complets du bureau concernant les prix anticoncurrentiels dans les trois domaines que j'ai mentionnés. Nous avons interrogé des fonctionnaires du Bureau de la concurrence ainsi que différents intéressés qui avaient témoigné devant le comité au cours des audiences sur le projet de loi C-235.

C'est donc ainsi que nous avons procédé. Voici maintenant ce que nous avons trouvé. Pour résumer, je vais simplement aborder séparément chacune des trois catégories de pratiques anticoncurrentielles en matière de prix, parce que je pense qu'elles soulèvent des questions assez distinctes.

Si l'on prend d'abord la discrimination par les prix, nous constatons que la loi interdit cette pratique et précise qu'il est interdit de fixer un prix pour un certain acheteur si le même prix n'est pas offert à un autre acheteur. Ce n'est une infraction que lorsque les acheteurs sont en concurrence et qu'ils achètent la même qualité et la même quantité de biens. Essentiellement, c'est donc une infraction criminelle en soi.

• 1535

Ce qui nous préoccupe, c'est la manière dont l'infraction est structurée dans la loi. Ce n'est pas particulièrement bien conçu. Je pense que l'un des gros défauts de la loi, c'est qu'elle ne s'applique pas aux transactions sur des services ou sur la propriété intellectuelle, une partie de plus en plus importante de l'activité économique quotidienne au Canada, comme vous allez le constater.

Notre deuxième préoccupation en ce qui a trait à la discrimination par les prix, c'est que le comportement lui-même n'est pas foncièrement criminel. Le fait de demander différents prix à différentes personnes n'est pas une situation aussi moralement inacceptable que le truquage des offres ou les conspirations visant à contrer la concurrence.

La troisième préoccupation fondamentale que nous ayons, et peut-être la plus importante, c'est que la discrimination par les prix n'est pas toujours anticoncurrentielle. Tout dépend beaucoup des circonstances. La règle prévue actuellement par la loi ne nous permet pas de vérifier les circonstances—elle s'applique à tous les types de discrimination par les prix, qu'ils soient anticoncurrentiels ou non.

Je suppose que, en fin de compte, nous avons ressenti cela parce que l'article n'est pas conçu pour être un outil précis permettant d'éviter la discrimination par les prix anticoncurrentielle, mais plutôt pour avoir sur le marché l'effet de décourager les gens de s'engager dans une entreprise d'établissement de prix innovatrice et d'adopter des pratiques de vente à rabais et que ce n'était donc pas une disposition adéquate.

Si l'on se penche sur l'application de cette disposition, nous constatons que, au cours des cinq années que nous avons examinées, il y a eu peu de plaintes, ce qui est assez étrange, compte tenu que cette pratique est très répandue sur le marché. En moyenne, on a compté seulement quelque 12 plaintes par année pour chacune des cinq années. Toutefois, je ne crois pas que nous puissions nécessairement conclure à partir de là que la disposition n'a pas d'effet. C'est une disposition assez claire, pour laquelle le bureau a pris la peine de déterminer avec soin l'interprétation qu'il faut en faire et les grandes lignes d'application. En conséquence, je pense qu'elle est assez bien comprise sur le marché. Certaines réactions de certains intéressés confirment ce que je dis là. Donc, compte tenu que ce n'est pas un instrument adéquat mais qu'il a tout de même un effet sur le marché, cela nous permet de douter de l'efficacité de son fonctionnement.

Le deuxième élément que nous avons examiné, c'est la pratique de prix d'éviction, qui est, de loin, le comportement anticoncurrentiel le plus difficile à cerner avec des règles appropriées. La disposition de base de la loi prévoit que c'est un acte criminel que de se livrer à une politique de vente de produits à des prix déraisonnablement bas, cette politique ayant pour effet ou tendance de sensiblement réduire la concurrence ou d'éliminer un concurrent, ou étant destinée à avoir un semblable effet.

Je pense que le principal problème que pose cette disposition, c'est qu'elle est très vague. Rien n'indique clairement ce qu'est un prix déraisonnablement bas. Nous avons eu très peu de cas d'interprétation de cette disposition. C'est donc difficile pour nous d'en comprendre le sens exact. En conséquence, il est très difficile d'utiliser cette disposition comme un guide fiable nous permettant de distinguer la concurrence agressive qui entraîne une réduction des prix de la pratique de prix d'éviction. Pour rectifier cette incertitude, le bureau a émis des lignes directrices permettant d'interpréter cette disposition sur les prix d'éviction. Ces lignes directrices suivent plus ou moins le modèle qu'entraînerait notre analyse économique. Toutefois, les lignes directrices elles-mêmes, du moins de la manière dont elles sont appliquées au Canada, posent quelques problèmes.

L'un des problèmes, c'est qu'elles établissent une norme très élevée. Pour avoir des prix qui sont déraisonnablement bas en vertu des lignes directrices, il faut être en mesure d'établir que le présumé prédateur, celui qui est à l'origine de cette campagne de prix très bas, a suffisamment de pouvoir sur le marché pour que, à la fin de sa campagne, après avoir soit conduit un concurrent à la faillite, soit lui avoir servi une dure leçon ou l'avoir découragé de se lancer dans ce marché, il puisse relever ses prix unilatéralement à un niveau plus élevé que le niveau qui aurait cours sur un marché concurrentiel pour récupérer toutes les pertes encourues au cours de la campagne de prix d'éviction et pour faire quelque profit supplémentaire, évidemment.

• 1540

La difficulté que pose cette sorte de norme, dans la plupart des circonstances, c'est qu'il faut prédire comment le marché réagira. Que fera le prédateur et, s'il hausse les prix, quelle sera la réaction des autres participants sur le marché? Les nouveaux intéressés vont-ils se tailler une place et, par le fruit de leur concurrence, réduire la capacité du prédateur de récupérer les pertes qu'il a encourues au cours de la campagne d'éviction?

Pour faire ce genre de prédictions, il faut des preuves économétriques. Comme nous le savons tous, et avec tout le respect que je dois à mon collègue, c'est vraiment impossible de trouver deux économistes qui s'entendent. En conséquence, il est extrêmement difficile de prouver hors de tout doute raisonnable—c'est la norme en droit criminel—que ces conditions seront remplies. C'est l'une de nos préoccupations.

Une deuxième préoccupation au sujet de ces lignes directrices, c'est qu'elles ont été publiées en 1992 et qu'elles ne reflètent pas pleinement les leçons tirées au cours des dernières années des situations où des prix d'éviction peuvent être pratiqués. On a trouvé beaucoup d'indices économiques et d'analyses économiques qui laissent croire qu'une vaste gamme de circonstances pourrait conduire à une stratégie d'éviction, notamment le succès d'une entreprise qui s'est établi une réputation de dur grâce à ses pratiques de prix d'éviction.

Cela se passe à peu près comme ceci. Le prédateur s'engage dans une pratique de bas prix et se taille une réputation de dur sur le marché—autrement dit, si quelqu'un veut lui faire concurrence, on sait qu'il abaissera ses prix à un niveau où un nouvel arrivant ne pourrait faire de profits. Ce genre d'histoire n'est pas parmi les situations abordées dans les lignes directrices, et on n'y trouve pas non plus d'autres barrières stratégiques. À notre avis, c'est un défaut, parce que ça veut dire que les lignes directrices ne sont pas assez adaptables pour englober toutes les circonstances où les stratégies d'éviction peuvent se produire.

Notre autre préoccupation a trait au fait que, sur le plan de l'application, au cours des cinq années qui ont fait l'objet de l'examen, on a enregistré 382 plaintes traitant de prix d'éviction et qu'aucune mesure officielle d'application de la loi n'a été prise. Le nombre de règlements négociés est aussi relativement petit dans les cas de pratique de prix d'éviction. Je crois qu'il faut être très clair sur le fait qu'on ne peut pas tirer de conclusion précise—et nous ne l'avons pas fait—au sujet du bilan du bureau en matière d'application. Pour déterminer s'il s'agit d'un bon bilan ou d'un mauvais bilan, il faudrait en savoir plus sur les priorités relatives du bureau quant à ses autres activités, compte tenu de ses contraintes budgétaires.

Nous devons tous reconnaître, je pense, que les litiges coûtent très cher. Néanmoins, l'application de la loi sur ce point nous préoccupe.

Comme je l'ai dit il y a un moment, l'une des choses qui nous préoccupent est le fait que les lignes directrices elles-mêmes ne sont peut-être pas conçues pour englober toutes les formes de ce que nous considérons maintenant comme une pratique de prix d'éviction.

Deuxièmement, le critère utilisé par le bureau pour choisir les cas qui devront suivre un processus d'application non officiel ne tient pas compte de certains des indices de d'intention d'éviction dont il est question dans les lignes directrices et qui, selon notre analyse économique, seraient importants. L'un d'eux est l'intention. En prenant la décision de prendre des mesures au sujet d'un cas d'imposition de prix d'éviction, le bureau ne tient absolument pas compte du fait qu'il y ait eu apparence d'intention ou non—c'est-à-dire apparence qu'on a voulu conduire quelqu'un à la faillite ou l'exclure du marché. On ne tient pas non plus compte de toutes les preuves d'établissement de prix sous le coût de revient, mais seulement de certains éléments de preuve. C'est une enquête limitée.

L'autre aspect de ces critères de sélection des cas devant faire l'objet d'une vérification qui cause une certaine difficulté ou qui pourrait causer une certaine difficulté dans les cas de pratique de prix d'éviction, c'est qu'on considère—avec raison je pense—des questions de gestion. Ce que cela signifie, c'est qu'on envisage le coût probable associé à l'obtention d'une résolution dans un cas particulier. Si l'on envisage une procédure de contestation complète qui prendra beaucoup de temps et qui exigera toutes sortes d'éléments de preuve complexes sur le plan économique, ce sera évidemment une proposition beaucoup plus coûteuse. Malheureusement, dans les cas d'établissement de prix d'éviction, presque tous les cas dénoncés correspondent à cette description. La raison, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, c'est qu'on peut toujours se demander si l'entreprise pratiquant les prix d'éviction a suffisamment de pouvoir pour récupérer son investissement après avoir appliqué ce stratagème. C'est l'un des problèmes.

• 1545

L'autre problème, c'est que la loi, comme je l'ai dit, est incertaine. Ce n'est pas clair du tout de savoir comment les tribunaux interpréteront les mots «déraisonnablement bas» dans des circonstances données. En conséquence, le défendeur trouvera toujours un argument en sa faveur. Donc, la perspective de vraiment mener à bonne fin une telle affaire sans que cela donne lieu à un processus interminable est assez mince. Par conséquent, du point de vue de la gestion, les cas de pratique de prix d'éviction demeureront assez bas dans l'ordre des priorités sur le plan des mesures d'application de la loi.

Pour ces raisons, nous avons trouvé qu'il serait utile de soulever d'autres cas pour éclaircir la loi, mettre ses faiblesses en lumière et aider à faire des mesures d'application de la loi des menaces crédibles.

Encore une fois, je dois insister sur le fait que je n'affirme pas catégoriquement qu'il faut apporter davantage de descriptions de cas. Je dis simplement que nous avons identifié certains facteurs qui tendent à laisser croire que certains cas méritent d'être contrés dans le domaine de l'établissement de prix d'éviction.

J'ai une dernière chose à dire avant de céder la parole à d'autres. Je veux faire quelques observations au sujet du maintien des prix.

Le maintien des prix est un acte criminel en vertu de la loi. Une infraction en ce sens est commise quand une personne tente de faire monter ou d'empêcher qu'on ne réduise le prix demandé par une autre personne. La disposition actuelle a été extraordinaire pour le bureau, en réalité. Elle a donné lieu à un grand nombre de poursuites dans le passé, même s'il y en a moins eu au cours de la période qui a fait l'objet de notre examen, soit la période de cinq ans se terminant le 31 mars 1999.

Cette diminution du nombre de poursuites s'explique du fait que le bureau a—avec raison je crois—traité ces affaires dans le cadre d'une sorte de processus de résolution de problèmes de rechange. Autrement dit, le bureau a essayé de régler ces problèmes en obtenant que les personnes pratiquant cette stratégie cessent de le faire. Il peut y arriver simplement en offrant à ces gens l'information pertinente concernant les dispositions de la loi ou en leur rendant visite, ou dans certains cas en obtenant qu'ils signent une ordonnance d'interdiction, qui est en général un moyen bien moins coûteux de s'assurer du respect de la loi, par rapport à un procès en bonne et due forme.

Cette disposition a donc été très utile. La seule chose qui nous inquiète, c'est que, dans certaines circonstances, du moins, elle est un peu générale, dans le sens que, économiquement, il existe certaines catégories de maintien des prix où cette pratique se justifie pour des raisons d'efficience. Autrement dit, il se peut que ce soit une bonne chose pour le marché, dans l'ensemble, pour des raisons d'efficience, que de pratiquer le maintien des prix.

L'exemple classique est celui du fournisseur qui demande au détaillant à qui il vend ses produits de maintenir ses prix à un niveau particulier, de manière à encourager le détaillant à attaquer la concurrence autrement que par les prix, habituellement pour l'amener à offrir un service de grande qualité aux clients ou pour assurer le maintien de l'image de marque associée au produit.

Donc, dans la mesure où le maintien des prix peut se justifier pour des raisons d'efficience, l'interdiction prévue par la loi, qui en fait un acte criminel en soi, englobe probablement trop de cas.

C'était un résumé des principaux éléments des constatations présentées dans le rapport. Madame la présidente, je me ferai un plaisir de répondre aux questions.

La présidente: Je suis sûre qu'il y aura beaucoup de questions.

Monsieur Brien, avez-vous des questions maintenant?

[Français]

M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): Oui, j'en ai une.

Avez-vous examiné comment fonctionnait en pratique, au Québec, l'application de la Loi sur la protection du consommateur? Avez-vous vérifié si on réussissait à limiter, dans certains cas, la tarification négative?

• 1550

M. Gilles Paquet (professeur, Université d'Ottawa): On n'a pas examiné le cas du Québec en particulier. Le fait est qu'aussitôt qu'on a une loi qui renforce un petit peu le travail des consommateurs ou la capacité des consommateurs d'être protégés, évidemment, on va décourager certaines de ces pratiques. Notre examen a surtout été un examen de la façon dont le Bureau de la concurrence avait travaillé au cours des dernières années et non pas un examen plus général de la façon dont la loi avait été appliquée différemment d'une province à l'autre.

[Traduction]

Je vais laisser la parole à mon collègue là-dessus, mais je ne crois pas que nous ayons rien remarqué de très précis concernant le Québec.

M. Anthony VanDuzer: Oui, c'est vrai. Le mandat que nous avions, en fait le mandat qui nous avait été confié par le comité, était d'examiner la Loi sur la concurrence elle-même. Nous avons donc examiné des dispositions comparables aux États-Unis et en Europe, mais comme, dans le contexte canadien, la Loi sur la concurrence est exclusivement de compétence fédérale, nous n'avons pas examiné les initiatives prises par certaines des provinces dans ces domaines.

[Français]

M. Pierre Brien: Mon autre question concerne la définition de ce qu'on désigne par «nouveaux services». Vous êtes-vous demandé ce que pourrait être un nouveau service et vous êtes-vous interrogés sur la difficulté de définir, en pratique, ce que cela pourrait être?

Je pense entre autres à tout le secteur de la distribution des chaînes spécialisées ou des chaînes télé qui font actuellement partie du service de base, mais qui deviendraient éventuellement des chaînes spécialisées. Est-ce que ce sont des nouveaux services ou non? C'est un exemple que je donne. Est-ce que vous vous êtes arrêtés au fait que le mot n'est pas défini comme tel? Est-ce qu'il y a beaucoup de problèmes pratiques qui peuvent entourer l'application de ce concept?

[Traduction]

M. Anthony VanDuzer: Je ne suis pas tout à fait sûr de bien comprendre votre question.

La présidente: Professeur VanDuzer, je pense que M. Brien parle du projet de loi C-276, dont le comité n'a pas encore été saisi. Nous discutons actuellement du rapport. Je pense donc que, parce que le projet de loi C-276 vise aussi à modifier la Loi sur la concurrence et que la terminologie qu'il comporte...

[Français]

M. Pierre Brien: Oui, oui.

[Traduction]

La présidente: ... ne permet pas encore de définir «nouveau service»...

[Français]

M. Pierre Brien: Effectivement.

[Traduction]

La présidente: Je pense que c'est de cela qu'il parle. Je ne sais pas si vous voulez répondre ou non.

M. Anthony VanDuzer: J'ai bien peur de ne pas pouvoir.

[Français]

M. Pierre Brien: D'accord. Vous avez raison, mais si vous avez une opinion sur le sujet, vous pourrez m'en faire part par la suite.

[Traduction]

La présidente: Très bien.

M. Anthony VanDuzer: J'ai peut-être un élément à présenter qui pourrait être pertinent. Quand j'ai parlé de service dans le contexte de la discrimination par les prix, je pensais à ce que je considère comme une restriction désuète de la loi qui restreint l'application de la disposition sur la discrimination par les prix aux articles définis dans la loi, et les services ne figurent pas dans ces articles. La plupart des dispositions de la loi ne font pas ce genre de distinction.

[Français]

M. Pierre Brien: D'accord. Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Brien.

[Traduction]

Monsieur Lastewka.

M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, madame la présidente. Je remercie aussi les témoins du sommaire qu'ils nous ont présenté.

Dans tout cela, il y a une chose qui me chicote, c'est de savoir si la Loi sur la concurrence est bien actuelle. Pourriez- vous nous en parler? La Loi sur la concurrence devrait-elle être révisée automatiquement à intervalles réguliers, même si l'on sait que cet examen est un long processus? Autrement, comment rester à jour en tenant compte de la technologie et de tout le reste?

M. Anthony VanDuzer: Je trouve que c'est une excellente question, même si, je l'admets, nous ne l'avons pas abordée directement.

Pour ce que cela vaut, je dirai que, du point de vue du rapport, qui traite de l'établissement des prix, l'une des choses que nous avons constatée c'est que notre compréhension du fonctionnement de l'économie évolue constamment. Autrement dit, l'apprentissage, si vous voulez, en matière de pratiques d'établissement des prix anticoncurrentielles, continue à évoluer, et il a changé—très radicalement dans certains cas—au cours des 10 ou 15 dernières années. En conséquence, ce n'est peut-être pas surprenant que les lignes directrices du bureau pour l'application de la loi, qui ont été émises en réaction à la pratique de prix d'éviction et à la discrimination par les prix, en 1992, et qui reflétaient probablement le niveau de connaissance qu'on avait de ces phénomènes deux ou trois ans plus tôt, ne tiennent pas pleinement compte de toutes les réflexions et de toutes les analyses réalisées depuis ce temps.

• 1555

C'est un fait également que les activités sous-jacentes changent radicalement. L'une des choses dont nous avons parlé dans le rapport, c'est les changements fondamentaux qui se manifestent dans l'ensemble de l'économie canadienne dans les domaines de la nouvelle technologie, le rythme accru de l'innovation et ce genre de choses, qui ont des conséquences directes sur la façon dont il faut envisager la Loi sur la concurrence, la position dominante dans un marché, la pratique de bas prix et des choses comme ça. Je pense donc certainement que les travaux que nous avons faits confirmeraient votre observation qu'il faut toujours penser à ces questions pour déterminer à quel point notre Loi sur la concurrence sera efficace.

Quant à savoir le genre de processus qu'il faudrait mettre en place pour ce faire, encore une fois, ce n'est pas une chose à laquelle nous nous sommes arrêtés dans le rapport, mais je pense que le bureau lui-même a pris des initiatives pour mettre sur pied un service chargé des modifications qui, en pratique, s'occupe d'examiner continuellement les besoins de changement.

Une autre chose a été faite—et encore là, je pense que c'est un exercice utile—dans le domaine des regroupements d'entreprises. Dans la dernière série de modifications, on a prévu certaines dispositions réglementaires. Les règlements peuvent être changés beaucoup plus facilement que la loi pour tenir compte de ces conditions particulières du marché.

Gilles, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Gilles Paquet: Il faut reconnaître que, dans toute loi de ce genre, comme dans la Loi sur les banques, qui doit être révisée tous les dix ans parce qu'on croit que l'évolution de l'industrie est assez rapide pour qu'il soit nécessaire de réviser ces choses... Ce que je crois comprendre dans vos paroles au sujet de la nécessité d'un examen périodique de la loi n'est probablement pas entièrement déraisonnable, parce que nous avons... Je veux dire, le fait de sous-estimer l'habileté des intérêts du marché est toujours une erreur.

Par exemple, nous ne pouvons rien faire contre les stratégies d'établissement des prix très complexes pratiquées au sein de l'industrie aérienne, de nos jours. Les sociétés aériennes ont intégré un élément de hasard dans l'établissement de leurs prix. Si vous voulez vraiment savoir quel est le meilleur moyen d'obtenir le meilleur prix sur un vol de A à B, vous devrez travailler d'arrache-pied 24 heurs sur 24. Elles ont une extraordinaire capacité d'offrir un large éventail de ce qui semble être des services très différents.

Il se pourrait donc que votre voisin de siège dans l'avion ait payé sa place beaucoup moins cher que vous. Pourtant, rien ne pourrait être isolé comme étant un indice de pratique stratégique exercée par une entreprise qui semble vouloir exploiter le consommateur. Pourtant, nous savons que c'est un processus très complexe qui mène à ce résultat.

Donc, d'une certaine manière, et vous avez probablement raison, une révision en profondeur de la loi tous les dix ans pourrait s'avérer un bon moyen de la mettre à jour pour tenir compte des nouvelles pratiques.

La présidente: Merci, monsieur Lastewka.

Monsieur Jones.

M. Jim Jones (Markham, PC): Sur ces trois différents types d'infractions concernant l'établissement des prix, qui a la responsabilité de dénoncer un incident? Faut-il toujours que quelqu'un porte plainte au bureau, ou le bureau prend-il l'initiative de faire quelque chose à ce sujet?

Je pense surtout à l'affaire Microsoft, aux États-Unis, et à la poursuite contre cette société par le procureur général des États-Unis. Je pense que c'était une pratique de prix d'éviction. Quelque 19 ou 21 États ont aussi intenté des poursuites. Pourquoi le Bureau de la concurrence du Canada n'a-t-il pas aussi intenté des poursuites pour les mêmes raisons, au nom des consommateurs canadiens? Fallait-il d'abord que quelqu'un porte plainte?

M. Anthony VanDuzer: Je ne peux pas parler de l'affaire Microsoft comme telle, parce que je ne suis pas assez au courant. Il faudrait vous adresser directement au bureau à ce sujet.

En général, la loi fait en sorte que le bureau peut être saisi d'une affaire de différentes manières. Le bureau peut prendre l'initiative. Le plus souvent, c'est à la suite de plaintes, parce que la disposition législative tend à préconiser ce type d'intervention. Elle procure un cadre d'activités du marché. Quand quelqu'un a l'impression qu'un certain comportement sur le marché ne se conforme pas au cadre prévu dans la loi, il porte plainte.

Je pense que c'est, de loin, la procédure la plus courante, bien que les plaintes ne soient pas toujours adressées directement au bureau. Un certain nombre d'entre elles sont formulées par des parlementaires, différents cabinets de ministres ou d'autres organismes gouvernementaux.

Il se peut aussi que le bureau prenne l'initiative, dans le sens qu'il peut, et qu'il le fait parfois, prendre l'initiative relativement à certaines affaires qui sont dévoilées au grand jour. Il est aussi habilité à agir ainsi.

• 1600

Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner plus de détails sur la façon dont ils procèdent, parce que ce n'est pas quelque chose que j'ai examiné dans le contexte de ce travail.

M. Jim Jones: Si vous regardez ces différentes plaintes, y en a-t-il parmi elles qui ont été formulées par le Bureau de la concurrence lui-même?

M. Anthony VanDuzer: J'ai eu la chance d'examiner beaucoup de ses dossiers, et certaines questions étaient étudiées parce qu'on avait décelé un problème sur le marché, pas nécessairement parce que quelqu'un s'était plaint d'avoir été lésé. Je ne pourrais pas vous en préciser le nombre, mais j'ai vu de ces cas.

M. Jim Jones: Je trouve simplement étrange que, dans ce cas particulier, en agissant ainsi, ils avaient l'intention de nuire à Netscape. Pourtant, notre gouvernement n'a rien fait au nom de l'industrie pour au moins examiner la situation.

M. Anthony VanDuzer: J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre vraiment là-dessus. Je n'ai tout simplement pas l'information quant à la manière dont le bureau aurait pris cela en compte.

M. Jim Jones: Quelle était encore votre définition du «maintien des prix»? Cela m'a échappé.

M. Anthony VanDuzer: En vertu de la loi, le «maintien des prix» est défini comme toute tentative d'empêcher la réduction du prix demandé par une autre personne ou d'encourager son augmentation.

M. Jim Jones: Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Jones.

Nous allons maintenant entendre M. McTeague.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, madame la présidente.

Je suis heureux que nous accueillions aujourd'hui les professeurs.

Professeur VanDuzer, vous et moi avons passé beaucoup de temps au cours de l'été à discuter de points de détail relatifs à la Loi sur la concurrence. J'aimerais connaître certaines de vos conclusions, qui portaient évidemment sur les trois grandes questions de la discrimination par les prix, de la pratique de prix d'éviction et du maintien vertical des prix.

Je remarque cependant que votre mandat vous limitait dans vos efforts pour examiner à fond l'embêtant problème de la fixation des prix. Certaines choses me préoccupent. Je vous en ai parlé, et j'en ai discuté par le passé avec le comité. M. Jones a formulé certaines observations très intéressantes à savoir pourquoi certaines choses se passent aux États-Unis et pas au Canada. Dans plusieurs circonstances, que ce soit bien ou mal, les lignes directrices sur l'application de la loi et la loi elle-même disent beaucoup de choses, mais il semble qu'il serait pratiquement impossible de faire respecter leur application.

C'est pour cette raison, professeur VanDuzer, que cela m'a vraiment intéressé d'apprendre que vous avez suggéré—parce que vous croyez que les dispositions actuelles englobent trop de circonstances, surtout l'article 61 et d'autres selon lesquelles certaines pratiques seraient des infractions en soi—que nous adoptions plutôt un modèle d'examen civil. Je précise d'abord et avant tout qu'il s'agit-là d'un système qui ne pourrait pas donner lieu à une injonction et qui ne s'appliquerait pas à tout le monde en matière réelle.

J'aimerais donc savoir pourquoi vous nous suggérez un chemin détourné, compte tenu de vos préoccupations au sujet des ressources du Bureau de la concurrence et du fait qu'il semble que le nombre d'affaires qui ont soudainement été signalées au bureau soulève des inquiétudes à savoir s'il est capable de faire appliquer ces mesures.

Franchement, professeur VanDuzer, dans le cas du maintien des prix, on a certainement suffisamment de jurisprudence. Tout récemment, le bureau a réussi à intenter un certain nombre de poursuites.

Je vais aller droit au but. Croyez-vous que, en soumettant ces actions anticoncurrentielles à un examen civil, le bureau sera capable d'assurer la protection voulue pour la concurrence? Ou croyez-vous qu'il y aurait place pour des améliorations autres que la possibilité pour le bureau de commander un examen civil sur ces activités?

Seriez-vous d'accord avec une autre amélioration, soit la création d'un droit d'application générale d'intenter des poursuites personnelles, c'est-à-dire de donner une plus grande portée à l'article 36 afin que nous puissions permettre à d'autres d'obtenir dédommagement pour les torts qu'ils ont subis afin que cette même procédure permette à ceux qui auraient été lésés indirectement d'avoir également droit à une certaine indemnité?

Appuieriez-vous l'idée d'une disposition d'indemnisation à triple effet, comme c'est le cas aux États-Unis, malgré ce que l'Association du Barreau canadien a suggéré?

Je sais que ce sont des questions difficiles, mais je pense qu'elles sont quand même importantes dans une économie continentale, où l'on parle beaucoup de l'importance d'avoir des partenariats commerciaux avec les États-Unis. Notre milieu des affaires préconise depuis quelques années une solide relation avec nos partenaires américains, mais c'est pratiquement... Il y a de toute évidence beaucoup de différence dans la manière dont les lois sont appliquées.

• 1605

M. Anthony VanDuzer: Bon. Permettez-moi de commencer avec l'idée que ces trois formes de fixation des prix anticoncurrentielles devraient être traitées dans un contexte civil. Je pense que, pour répondre vraiment à la question, il faut faire la distinction entre les trois types.

Si le député parle d'abord de la discrimination par les prix, je suppose... Tout d'abord, je pense que la raison première de la reconnaissance de ce comportement comme un acte criminel, c'est que la compétence législative ayant permis l'adoption de la Loi sur la concurrence a longtemps été considérée comme relevant exclusivement du droit criminel. Donc, historiquement, c'est un peu pour cette raison qu'une grande partie de la loi traite les comportements anticoncurrentiels dans une perspective de droit criminel. Je pense que c'est maintenant clair, à partir de ce qu'on a vu dans la jurisprudence constitutionnelle récente, que ce n'est plus nécessaire. Cette explication historique ne semble plus nous lier les mains.

La deuxième chose, c'est que, en général, pour ce qui est de la discrimination par les prix, ce n'est pas, à mon avis, une activité foncièrement criminelle, comme je l'ai dit au départ. Le fait de demander différents prix à différentes personnes peut avoir des conséquences anticoncurrentielles dans certains cas, mais, comme nous avons essayé de l'expliquer dans le rapport, la documentation d'ordre économique ne nous permet pas de déterminer clairement quels sont exactement ces effets anticoncurrentiels.

Ce ne sont certainement pas tous les cas de discrimination par les prix qui sont anticoncurrentiels, et ce n'est certainement pas vrai que c'est toujours mauvais. Étant donné la difficulté de définir exactement quand la discrimination par les prix est une pratique anticoncurrentielle, il me semble que, comme pour certains autres cas, il sera extrêmement difficile de prouver hors de tout doute raisonnable que ces pratiques sont anticoncurrentielles. Je ne suis pas du tout en désaccord avec vous sur le fait qu'il est utile, en principe, d'avoir une disposition de droit criminel comme mesure de dissuasion, mais elle ne sera dissuasive que si elle est applicable. Si elle n'est pas applicable, elle n'est pas très dissuasive.

M. Dan McTeague: Sur ce point, professeur VanDuzer, si le modèle d'examen civil que vous proposez est aussi impossible à appliquer—parce qu'il exige qu'on examine presque tous les cas séparément sans qu'il y ait d'application générale—ne croiriez- vous pas que votre solution risque d'avoir des effets qui ne soient pas plus bénéfiques que le système que vous cherchez à améliorer?

M. Anthony VanDuzer: Si je comprends bien votre question, vous parlez de la manière dont les dispositions civiles de la loi fonctionnent. Tout d'abord, seul le commissaire a le pouvoir de les faire appliquer. Ensuite, le résultat d'une mesure visant à faire respecter leur application serait une ordonnance à l'endroit de la personne qui a commis cette activité que le directeur a remise en question. C'est ainsi que le système fonctionne.

À mon avis, il y a un effet dissuasif important qui découle des décisions dans de tels cas. Cela n'est pas directement applicable à d'autres personnes, mais cela indique les circonstances qui amènent le directeur à prendre des mesures et celles qui amènent le tribunal de la concurrence à trouver une solution. Généralement, la solution est une ordonnance d'interdiction concernant la pratique en question.

Je pense que les avocats qui se penchent sur l'application des dispositions civiles examinent assez attentivement les quelques cas qui se sont produits, parce qu'ils croient que le principe de l'application générale est défini dans ce cadre.

M. Dan McTeague: Puisqu'il n'y a pas d'opprobre général et qu'il n'y a pas d'application générale, un bon avocat ne pourrait- il pas facilement laisser entendre que les chances de se faire prendre sont d'une sur un millier? Les probabilités et la prépondérance des preuves font que, si vous êtes cité par le tribunal et que seul le directeur peut recommander que le tribunal soit saisi de cette affaire, et si le tribunal juge qu'il y a un problème, ce n'est qu'alors qu'une ordonnance est émise contre la personne en question. Cela n'entraîne pas l'opprobre général. Il n'y a pas d'application possible dans l'industrie générale. Cela envoie le mauvais message.

Quand on parle d'affaires au civil, je pourrais saisir un tribunal d'une affaire avec des partenaires commerciaux aux États-Unis. Le FTC pourrait travailler en mon nom, ou le procureur général pourrait le faire. Je me demande simplement si, actuellement, nous ne serions pas en train de mettre tout en oeuvre pour aboutir à un résultat très précis qui, finalement, sera inapplicable, ce qui fera qu'on pourra s'en tirer aisément. Ainsi, les modifications que vous proposez enverraient le mauvais message au monde des affaires.

• 1610

M. Anthony VanDuzer: Juste pour être clair quant aux recommandations, comme je le disais, ce que nous avons essayé de faire dans le rapport, c'est une sorte de rapport de rendement. Nous n'avons pas réellement passé beaucoup de temps a nous demander exactement comment les changements devraient se faire pour corriger certains des problèmes que nous avons constatés. Nous n'avons pas eu l'impression que c'était au nombre de nos attributions.

Sur la question de la dissuasion, il me semble que, comme je le disais il y a un moment, les décisions du tribunal dans les cas d'abus de position dominante—le principal domaine dont le tribunal se soit occupé jusqu'à maintenant—ont été déterminantes en précisant l'effet de l'application de l'article 79. Je pense qu'elles ont un effet très important quant à la manière dont les gens interprètent leurs responsabilités et la manière dont les avocats interprètent la loi. Bien sûr, d'après moi, le tribunal a eu tout autant d'influence que ne l'aurait eu n'importe quelle décision judiciaire sur l'établissement de prix d'éviction.

L'un des avantages du tribunal, c'est qu'il est composé d'experts compétents et bien versées en économie. Ils sont en mesure d'analyser les preuves de nature économique quelquefois complexes qui sont couramment présentées dans le cadre de ce type d'audiences. Ainsi, nous avons tendance à obtenir des décisions plutôt longues et bien réfléchies. On ne peut pas toujours compter sur les tribunaux généralistes—et je ne suis pas indûment critique à leur égard en disant cela—pour procéder à ce type d'analyse.

La présidente: Merci, monsieur McTeague.

Monsieur Riis.

M. Nelson Riis (Kamloops, Thompson and Highland Valleys, NPD): Merci, madame la présente.

Professeurs, merci de votre exposé, de vos recommandations et de votre historique.

Je me demande si je peux renverser la situation quelque peu. Vous avez souvent parlé des preuves de nature économique complexes dont on a besoin dans ces affaires. Je sais que vous êtes ici en tant que professeurs, et vous êtes d'excellents professeurs d'ailleurs. Je me demande si vous pourriez n'être pour un instant que de simples citoyens. Non pas que vous ne soyez pas des gens ordinaires au départ, mais soyez simplement des citoyens qui, comme nous, examinent un secteur de notre économie appelé le secteur pétrolier, ainsi que le prix de l'essence.

S'il y a une chose que nous disent nos électeurs, c'est que le Bureau de la concurrence et la Loi sur la concurrence ne fonctionnent pas très bien, en fonction de l'expérience quotidienne que vivent chaque jour des dizaines de milliers d'électeurs, si on croit les centaines d'appels téléphoniques que nous recevons. Je sais que nous parlons d'une façon très précise ici et nous essayons de déterminer si cette question doit être réglée sur le plan civil ou criminel ou de voir les initiatives qui s'imposent... En tant que citoyen, lorsque vous achetez l'essence, pensez-vous que la Loi sur la concurrence fonctionne?

M. Anthony VanDuzer: Chose certaine, en tant que citoyen je suis conscient en particulier de la montée des prix que nous vivons à l'heure actuelle. Permettez-moi de ne pas parler en tant que simple citoyen un instant mais de continuer de m'exprimer à titre d'expert.

Il est évident qu'une partie de la genèse de ce rapport réside dans la préoccupation des gens historiquement au sujet de l'essence. Toutefois, dans le cadre de la rédaction du rapport, nous avons essayé d'aborder la question de façon générale. Nous avons tenté de nous pencher sur toutes les industries. Nous étions sensibles à ce qui se passait dans le secteur pétrolier, mais nous avons examiné les documents présentés au comité dans le cadre des audiences sur le projet de loi C-235, ainsi que d'autres rapports portant sur l'essence. C'est un des moyens que nous avons utilisés pour essayer de nous informer au sujet de l'efficacité de la loi en général. Nous n'avons pas cherché à parvenir et nous ne sommes pas parvenus à des conclusions précises sur l'efficacité de la Loi sur la concurrence dans le cas de l'essence.

Une des limites qui nous était imposée et dont M. McTeague a parlée résidait dans le fait que nous n'étions pas censés nous pencher sur la théorie d'une conspiration. Comme vous le savez, j'en suis persuadé, lorsqu'il est question du prix de l'essence, les gens pensent souvent à une sorte de conspiration entre les grandes sociétés pétrolières intégrées qui expliquerait que nous devions subir les prix qui nous sont imposés à l'heure actuelle. Cela débordait du cadre de notre enquête.

• 1615

Il y a des allégations au sujet d'autres types de méthodes d'établissement des prix dans le secteur pétrolier. Là encore, comme M. McTeague l'a mentionné, à ma connaissance, les prix imposés ont fait l'objet d'au moins deux poursuites fructueuses dans le secteur pétrolier et le bureau en a lancé une nouvelle contre Irving Oil à la fin de septembre. On s'opposait dans ces cas à des tentatives de la part des compagnies pétrolières pour s'entendre fondamentalement pour maintenir le prix à un certain niveau ou on s'élevait du moins contre le fait qu'une personne puisse donner un signal en ce sens aux compagnies pétrolières.

Je crois qu'il ne fait aucun doute qu'on doit s'attaquer à ce que je pourrais appeler ce régime horizontal de prix imposés. En ce qui concerne la question soulevée par M. McTeague à laquelle je n'ai pas eu la chance de répondre, nous devrions continuer de nous attaquer à cela au niveau criminel. Cela ne fait aucun doute. La question est plutôt claire. Chose certaine, il n'y a rien dans notre rapport quant à un changement quelconque qui pourrait faire qu'il soit plus difficile pour le bureau d'agir ainsi dans les cas de prix imposés et je ne voudrais pas voir un tel changement.

Il y a également dans le secteur pétrolier des préoccupations au sujet de l'établissement de prix abusifs, même si la conséquence pour le consommateur—et je crois comprendre que c'est cela qui est vraiment à la base de votre question—est une réduction des prix, du moins à court terme. Ainsi, si on s'inquiète de la montée des prix, ce n'est certes pas l'établissement de prix abusifs qui en est la cause. On craint plutôt que cette pratique n'accule à la faillite des producteurs indépendants et à long terme, nous serons confrontés à un marché beaucoup plus concentré sur lequel les prix seront probablement plus élevés. C'est l'analyse de la question, mais là encore, cela débordait du cadre de notre rapport.

M. Nelson Riis: Je me demande maintenant de vous placer en tant que citoyen et de nous dire ce que vous pensez de la situation au sujet du prix de l'essence.

M. Anthony VanDuzer: Je maugrée lorsque je fais le plein. Je sympathise certes à ce niveau, mais rien ne me prouve que c'est un problème de concurrence qui est à la base de cette situation. Ainsi, même si je suis exaspéré, à l'instar de beaucoup de Canadiens, par la montée des prix, je crois que ce n'est pas une question de concurrence qui explique cela, si ce n'est peut-être le fait qu'il y a un cartel étranger appelé l'OPEP qui essaie de limiter l'offre et fait monter le cours international du pétrole.

La présidente: Professeur Paquet.

M. Gilles Paquet: Permettez-moi d'être plus imprudent que mon collègue juriste qui, par définition, est plus prudent.

La concurrence n'a jamais garanti des prix moindres. La concurrence est un processus censé permettre au jeu de l'offre et de la demande de fonctionner le plus librement possible. Nous savons que dans le cas de l'essence, les grosses compagnies pétrolières pourraient éliminer les indépendants en trois minutes si elles décidaient de le faire.

Je ne fais que des hypothèses. Je n'ai aucune étude que nous avons effectuée là-dessus. Vous nous demandez de nous comporter comme de simples citoyens. Je n'ai pas d'automobile et je ne grogne pas donc. Je regarde le problème de loin. Cependant, je dis que si les grosses pétrolières n'éliminent pas les indépendants, elles gagnent moins d'argent. Il est alors peu surprenant qu'elles profitent de la moindre occasion, avant un week-end important ou une période de vacances prolongée, pour relever le prix, afin d'obtenir une partie de ces profits élevés si elles le peuvent. Les indépendants, qui n'ont aucune raison de croire qu'il y ait de la loyauté dans le secteur, vont suivre automatiquement. Cela veut-il dire qu'il y a une conspiration? Non.

Comme le professeur VanDuzer l'a mentionné, nous savons qu'il existe une assez bonne concurrence. Les indépendants sont toujours disposés à se lancer s'ils peuvent faire de l'argent. Cependant, s'il y a apparence de concurrence, si on a toutes les raisons de croire que ces indépendants peuvent prospérer et si un groupe, à un moment donné, en fonction de l'augmentation du prix du pétrole brut sur le marché mondial augmente le prix de quelques cents et tout le monde suit, est-ce un parallélisme conscient ou une conspiration?

• 1620

Je ne voudrais pas être celui au Bureau de la concurrence qui essaie de prouver cela, car il serait très difficile de monter un dossier solide contre les grosses compagnies. L'un commence et tout le monde suit. S'agissait-il d'une conspiration? Pourrait-on jamais le prouver? Je ne le pense pas.

Cela fait partie de ce que nous appelons les nouvelles pratiques intelligentes des entreprises. Le fait est qu'elles sont en mesure de traiter leurs affaires d'une nouvelle façon dans bien des cas, lorsque les gens se servent de leur automobile. C'est la bonne vieille façon de profiter des gens. Si vous tentiez de faire baisser le prix, car plus vous produisez, moins vos coûts de production sont élevés, surtout lorsque votre part du marché vous permet de dominer le marché et d'imposer les normes...

M. Gates a été en mesure de nous imposer un produit inférieur aux produits de Apple et d'autres parce qu'il a réussi à s'emparer de la majeure partie du marché. J'ignore pourquoi nous avons acheté son produit, mais nous l'avons fait. Et maintenant, nous sommes pris. D'une certain façon, la vente à un prix inférieur était un moyen d'être concurrentiel. Ce n'était pas une chose qu'on pouvait percevoir comme destructrice, car M. Gates était en mesure de réduire le prix en s'emparant d'une grande part du marché.

Ainsi, comme le professeur VanDuzer l'a signalé, certaines de ces choses dépendent du contexte. C'est pourquoi nous avons dit dans l'une de nos recommandations non pas que le bureau n'est pas compétent au niveau de l'industrie, mais qu'il doit surveiller de très près les pratiques de l'industrie, car les entreprises sont extrêmement habiles lorsqu'il s'agit d'élaborer de nouvelles façons de faire. Une personne qui dépend d'un manuel d'économie ne s'en sortira pas. Les intéressés ont donc besoin de renseignements beaucoup plus difficiles à obtenir avec de faibles ressources quand on sait qu'il y a beaucoup de créativité de l'autre côté.

La présidente: Merci, monsieur Riis.

Monsieur Pickard, je vous en prie.

M. Jerry Pickard (Chatham—Kent Essex, Lib.): Messieurs, je sais que la question de l'essence fait les manchettes, mais le processus relié à la concurrence maintenant touche une question avec laquelle je me suis familiarisé au cours de la dernière année.

Une entreprise canadienne—et je ne donnerai pas les noms pour éviter qu'on ne s'arrête sur l'entreprise—offrait un produit et elle a accusé une entreprise américaine de faire du dumping au Canada. On a jugé que l'entreprise américaine faisait bel et bien du dumping. On lui a imposé un droit de 66 p. 100 qu'elle a contesté devant un tribunal canadien. Ce dernier a écouté les arguments et réduit le droit à 25 p. 100. Une fois que le tribunal a remis sa recommandation au ministre qui a confirmé la décision, le Bureau de la concurrence a jugé que cela n'était pas approprié. Le Bureau de la concurrence a donc contesté la décision du gouvernement canadien. Ainsi, le Bureau canadien de la concurrence a contesté le gouvernement du Canada afin d'ouvrir le marché canadien à une entreprise américaine qui avait déjà été accusée de faire du dumping et avait été reconnue coupable.

Le problème que j'ai avec ce processus, c'est que les entreprises canadiennes respectent les règles. Par contre, une autre entreprise peut venir s'établir au Canada, prendre toutes sortes de mesures une fois qu'elle est reconnue coupable et le Bureau de la concurrence défend cette entreprise étrangère même s'il sait qu'elle fait du dumping. Ne pourrions-nous pas améliorer notre système ou le modifier quelque peu pour ne pas en arriver là?

M. Anthony VanDuzer: Eh bien, c'est une question tout à fait raisonnable, mais nous ne l'avons pas étudiée dans notre rapport, j'en ai peur. Je peux répondre si vous le souhaitez, même si cela ne faisait pas partie de notre mandat.

M. Jerry Pickard: Je vais être aussi direct que possible. Le Bureau canadien de la concurrence a contesté le gouvernement canadien devant un tribunal international. C'est répréhensible, selon moi.

• 1625

M. Anthony VanDuzer: En ce qui concerne le rapport, nous n'avons pas examiné le rôle de défenseur d'intérêts particuliers du bureau, aux termes de la loi, non seulement devant les tribunaux, mais également de façon générale dans le cadre du processus de réglementation. Cela fait partie...

M. Jerry Pickard: Cela va plus loin. Il s'agit d'une contestation aux termes de l'ALENA par le Bureau de la concurrence contre le gouvernement canadien et une entreprise canadienne. Pour moi, cela est tout à fait insensé.

M. Anthony VanDuzer: Je le répète, ce n'est pas une question que nous avons abordée dans notre rapport, mais le bureau se préoccupe de la concurrence sur le marché canadien. J'ignore les faits dans ce cas particulier, mais je sais qu'une des choses ayant des répercussions sur la concurrence sur le marché canadien, c'est l'accès pour les concurrents étrangers. Si le résultat de la poursuite pour dumping était l'imposition d'un droit restreignant l'accès et créant, en fait, une barrière douanière derrière laquelle une entreprise canadienne détenait, dans les faits, un monopole... Je le répète, je ne dis pas que c'est votre cas, mais si ça l'était, il s'agirait d'un problème de concurrence visé par les objectifs de la Loi sur la concurrence qui est censée protéger l'intérêt public. Ainsi, je peux voir comment cela pourrait se produire.

M. Gilles Paquet: Si vous me permettez de faire des conjectures, je ne connais pas tous les détails de l'affaire non plus, mais le Bureau de la concurrence a...

M. Jerry Pickard: Heinz-Gerber est un bon cas pour vous.

M. Gilles Paquet: Très bien. La question est de savoir si le Bureau de la concurrence s'inquiète seulement de la concurrence et non du concurrent... Il n'incombe pas au Bureau de la concurrence de protéger l'entreprise canadienne, de protéger un concurrent, mais de protéger le processus de concurrence. Si, en fait, comme le professeur VanDuzer l'a signalé, le gouvernement a créé une barrière qui empêche la concurrence, ce qui est très rentable pour une entreprise canadienne, il est facile de comprendre pourquoi le Bureau de la concurrence pourrait ne pas être d'accord avec le gouvernement canadien. Ce dernier peut être très intéressé à protéger une entreprise canadienne, mais ce n'est pas la mission du Bureau de la concurrence.

Le grand problème avec la loi, c'est que très souvent, des gens vont se plaindre du fait qu'une petite entreprise canadienne est écartée du marché, mais le Bureau de la concurrence n'est pas censé protéger un concurrent, mais s'assurer que le processus est relativement équitable. Je dirais qu'il n'est probablement pas naturel que les deux institutions canadiennes exposent publiquement leurs différends, mais si, en fait, l'une est intéressée à sauver une entreprise, un concurrent, et l'autre se préoccupe du processus de concurrence, on peut facilement comprendre qu'elles ne soient pas d'accord.

M. Jerry Pickard: Je pourrais peut-être revenir sur Heinz- Gerber.

Il y a eu contestation. On a jugé que Gerber faisait du dumping au Canada. Cette société avait retiré toute sa production du Canada cinq ans plus tôt. L'entreprise canadienne n'avait aucune protection contre ce dumping à part cette contestation.

Lorsqu'on a reconnu Gerber coupable et on lui a imposé un droit de 66 p. 100, elle s'est adressée à un tribunal. Il est évident que vous savez tous deux qu'un tribunal est censé donner des réponses relativement à un processus et décider ce qui est équitable. Le tribunal a jugé qu'un droit de 25 p. 100 était équitable.

À ce moment-là, la société Gerber avait un choix. Elle pouvait accepter la décision car elle avait vraiment des pratiques déloyales. C'est une énorme société. Il n'est pas question d'une petite entreprise. Elle est beaucoup plus importante que Heinz puisqu'elle est à peu près dix fois plus grosse sur ce marché. Elle pourrait facilement, avec une journée de production, répondre aux besoins du marché canadien pour six mois. Le fait est cependant qu'elle a décidé de ne pas vendre son produit au Canada à cause d'un droit de 25 p. 100 alors qu'elle l'écoulait à un prix beaucoup moindre auparavant. Ainsi, elle pouvait faire cela sur le marché. Par contre, pour faire intervenir le Bureau de la concurrence, elle a déclaré qu'elle ne ferait plus entrer de produits au Canada. Le Bureau de la concurrence est donc allé défendre sur la scène internationale une entreprise étrangère. Pour moi, si les intéressés faisaient...

La présidente: Monsieur Pickard, nous commençons à nous éloigner du rapport.

M. Jerry Pickard: Je reconnais que je m'éloigne du rapport, mais cela touche la mission fondamentale du Bureau de la concurrence et ses orientations, car il fait exactement l'inverse de ce dont on parle ici.

• 1630

La présidente: Je vous permets de terminer, mais pour votre gouverne, je tiens à préciser que nous n'avons pas demandé au professeur VanDuzer ou au professeur Paquet de parler de toute la loi, mais simplement de ce qu'ils avaient préparé. Cependant, s'ils veulent formuler des observations...

M. Jerry Pickard: Pardonnez-moi de m'être éloigné du sujet, mais je pense que c'est l'inverse de ce dont nous discutons ici.

M. Anthony VanDuzer: Je le répète, on s'éloigne pas mal de ce que nous avons abordé dans le rapport, mais en ce qui concerne le processus relatif au dumping lui-même, ce n'est pas vraiment une question d'équité à l'égard de l'économie canadienne. Il s'agit plutôt d'établir s'il y a dumping et de voir si cela cause un préjudice à une entreprise canadienne. C'est la seule question que doit trancher le Tribunal canadien du commerce extérieur. Ainsi, de façon générale, le tribunal ne tient pas compte de l'intérêt public en général. Il y a un mécanisme lui permettant de faire cela, mais on s'en sert rarement et on ne le fait pas automatiquement.

Dans ce cas, il est fort possible que le Tribunal canadien du commerce extérieur, compte tenu de l'étroitesse de sa préoccupation maîtresse, dise que l'arrivée de ces importations sur le marché nuit bel et bien à un secteur industriel canadien.

En même temps, il est tout aussi pensable que, après examen, le Bureau de la concurrence en vienne à la conclusion que l'entreprise canadienne est effectivement lésée, mais que la concurrence est bonne pour le marché en général car, en l'absence de cette concurrence, il risquerait d'y avoir un monopole ou une forte domination du marché.

Sans parler directement des faits intéressant cette affaire, je crois comprendre, compte tenu de la nature de ces deux institutions, comment il risque d'y avoir conflit. Je ne suis donc pas surpris que cela arrive et je ne crois pas non plus que ce soit une chose particulièrement mauvaise.

Je crois qu'un des problèmes que nous avons en tant que Canadiens, c'est celui de l'application de la législation antidumping aux États-Unis. Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette législation vise surtout à protéger l'industrie américaine et c'est cette insistance à protéger l'industrie américaine qui, d'une certaine façon, pose problème.

La présidente: Merci.

Merci beaucoup, monsieur Pickard.

Messieurs Jones et Riis, avez-vous d'autres questions? Non? La parole est donc à M. McTeague, puis à M. Malhi.

M. Dan McTeague: Merci, madame la présidente.

Je suis content de voir que nous sommes revenus à notre point de départ, à savoir la question de l'essence. Comme le présent comité m'a permis de prendre la parole, j'ai décidé de ne pas m'en tenir à la question de l'essence, mais, depuis trois ou quatre ans que je travaille sur cette question, je vois bien que tous les chemins mènent à Rome. Tous les chemins mènent à la Loi sur la concurrence.

Et compte tenu des problèmes qui sont inhérents au secteur de l'essence, de la possibilité qu'a celui-ci d'établir des prix abusifs, de sa position dominante et de l'abus qu'il en fait, compte tenu de la situation qui a cours aux États-Unis et de ce qui se passe à l'heure actuelle—par exemple, la société Pen Dragon Prints, en Colombie-Britannique, n'a pas les moyens de mettre son produit sur les tablettes des grandes compagnies pharmaceutiques du Canada, des grandes chaînes pharmaceutiques parce que le secteur de l'épicerie peut exercer d'énormes pressions—il semble que ce qui vaut pour l'essence et la façon dont on perçoit ce secteur vaut aussi pour bien d'autres secteurs industriels.

Je dirais que vous êtes plutôt limités dans votre capacité d'examiner la Loi sur la concurrence. Ma première réaction lorsque j'ai appris que je comparaîtrais ici sur le projet de loi C-235 a été de reconnaître que nombre de mes collègues ne comprennent pas bien la Loi sur la concurrence. En fait, si vous m'aviez demandé il y a trois ans si j'allais me spécialiser là-dedans, je vous aurais soupçonné de perdre la tête, mais, lorsque quelque chose ne va pas, la population s'attend à ce que nous trouvions une solution et la plus évidente, c'est bien sûr la comparaison entre le Canada et les États-Unis.

Tout comme vous,—et j'ai lu une partie de votre analyse—j'ai comparé la façon dont la loi américaine est appliquée avec celle dont nos lois équivalentes sont appliquées par le FTC, le ministère de la Justice—il est intéressant de voir que la loi américaine permet de contester un médicament ou une opinion médicale ailleurs qu'aux États-Unis, alors que la loi canadienne ne le permet pas.

Je me demande si, lorsque vous avez examiné la loi américaine sur la concurrence, vous avez cerné des lacunes dans notre propre loi et trouvé comment nous pourrions obtenir au Canada le même niveau de protection contre la concurrence qu'aux États-Unis, compte tenu surtout de la tendance de notre Barreau à être plutôt contre que pour la concurrence.

• 1635

M. Anthony VanDuzer: Il existe plusieurs différences manifestes et, encore là, elles dépendent un peu du secteur de l'établissement de prix anticoncurrentiels dont on parle. Comme vous l'avez signalé vous-même, au plan des poursuites, une des différentes clés est le droit de réclamer des dommages-intérêts au civil. Au sens américain, cela veut essentiellement dire que l'on peut intenter des poursuites et exiger réparation devant un tribunal si l'on est victime de prix abusifs ou de discrimination par les prix ou d'un régime de prix imposés, possibilité qui est plutôt limitée au Canada.

Conformément à l'article 36 de la Loi sur la concurrence, les parties ont le droit d'exiger réparation directement. Ce qui distingue principalement l'article 36 et les disposition de la Clayton Act américaine qui permet d'exiger réparation au civil dans ce domaine, c'est le montant des dommages-intérêts. Vous n'êtes certes pas sans savoir que, aux États-Unis, la loi permet d'obtenir trois fois les dommages-intérêts auxquels on aurait autrement droit, alors que l'article 36 prévoit seulement des dommages- intérêts simples.

Pour ce qui est des poursuites, outre la division antitrust du ministère américain de la Justice, il y a la Federal Trade Commission. Celle-ci est une espèce de croisement entre le Tribunal de la concurrence et le Bureau de la concurrence en ce sens qu'elle s'occupe à la fois de faire enquête et de délivrer des ordonnances de cesser et de s'abstenir des pratiques anticoncurrentielles.

Un problème que nous avons cerné au sujet des prix abusifs, c'est le manque de certitude de la loi. Une solution serait de trouver le moyen d'encourager les litiges. Nous avons proposé des moyens dont le Bureau de la concurrence pourrait légèrement modifier son approche pour encourager une meilleure détermination des cas à défendre au criminel.

Si le bureau pouvait entreprendre davantage d'affaires, cela encouragerait les litiges privés. S'il pouvait faire ainsi preuve de leadership en défendant un plus grand nombre d'affaires, cela susciterait sans doute un plus grand nombre de poursuites privées en vertu de l'article 36.

M. Dan McTeague: Professeurs VanDuzer et Paquet, je voudrais avoir votre opinion à tous deux là-dessus. J'ai ici les conclusions de certaines personnes qui ont admirablement examiné cette question et qui ont conclu que, dans certains secteurs, la loi canadienne a pour effet d'autoriser au Canada une conduite qui serait considérée comme criminelle aux États-Unis.

Compte tenu des restrictions, vous semblez avoir les mains liées par ce que l'on peut voir ici. Étant donné que notre économie évolue très rapidement, que le secteur industriel est de plus en plus dominé par un ou deux intervenants seulement, que la solution ne réside pas nécessairement dans une baisse des prix ni dans la suppression d'une partie de la concurrence, mais dans une combinaison des deux, je me demande si nous ne devrions pas envisager une refonte complète plutôt qu'un rafistolage de notre Loi sur la concurrence. Peut-être faudrait-il la rendre plus pertinente, plus conviviale et plus en harmonie avec les lois des autres pays industrialisés, qui semblent avoir des moyens beaucoup plus efficaces et vigoureux d'assurer la concurrence et de protéger, au bout du compte, les droits des consommateurs à l'égard des prix.

M. Anthony VanDuzer: Il faudrait prévoir dans ce sens un accès privé au tribunal. Je sais que, lorsque le commissaire a comparu ici, devant vous, il y a deux semaines, il a dit vouloir assurer un accès privé au tribunal, dans une catégorie limitée de cas du moins.

M. Dan McTeague: Mais, pourquoi le tribunal? Pourquoi ne pas simplement permettre que cela soit défendu devant n'importe quel tribunal compétent, comme cela se fait à 20 milles au sud de la frontière?

M. Anthony VanDuzer: Soyons clairs! Avec quatre des dispositions existantes relatives au criminel, qui sont essentiellement celles que nous avons examinées, cela est possible conformément à la loi actuelle. On peut invoquer l'article 36 devant le tribunal, n'est-ce pas?

M. Dan McTeague: Ce n'est pas grand-chose, n'est-ce pas, professeur? Et il a été très rarement invoqué.

M. Anthony VanDuzer: Il a été très rarement invoqué, et il n'entrait pas vraiment dans notre mandat d'en trouver la raison.

M. Dan McTeague: Oui, je comprends.

• 1640

M. Anthony VanDuzer: Les professeurs Roach et Trebilcock, de l'Université de Toronto, ont mené en 1996 une étude assez fouillée qui exposait toutes les différences entre les deux systèmes. Leur conclusion est au bout du compte que non seulement l'article 36 devrait être refondu pour être plus efficace, mais qu'il faudrait autoriser un accès privé au tribunal. Telle était donc leur recommandation.

Dans leur rapport, ils disaient avoir des réticences à passer, disons, à un plein régime de triples dommages-intérêts dans la mesure où cela risquait d'encourager les litiges stratégiques—à savoir, les litiges qui visent non pas tant à obtenir réparation qu'à causer des problèmes à un concurrent. Ils étaient d'accord à certaines conditions mais, au bout du compte, ils en venaient à la conclusion qu'il fallait refondre l'article 36 et autoriser l'accès privé au tribunal.

M. Dan McTeague: Cela revient à ce que disait M. Jones. C'est ce qui fait que Microsoft peut être qualifié de monopole aux États- Unis. Au Canada, Il n'y a probablement pas moyen d'empêcher ne serait-ce que la dernière détermination des prix par la société Hoffmann-LaRoche, contre lesquels les Canadiens sont, en fait, protégés jusqu'à un certain point par procuration par suite des démarches américaines...

Je connais bien les préoccupations de Trebilcock et de Roach, mais il me semble que si l'on accepte de faire du cas par cas au civil, le tribunal sera complètement débordé. Comment allez-vous persuader les gens qu'ils peuvent chercher à obtenir justice si un seul tribunal s'occupe de tous les cas, un par un?

M. Anthony VanDuzer: S'il s'agit de la loi actuelle, le mandat du tribunal est de traiter des choses conformément à la disposition concernant l'examen au civil, qui ne couvre pas—du moins pas aussi expressément qu'une disposition concernant l'examen au criminel—les prix abusifs, la discrimination par les prix et un régime de prix imposés. Tout cela relève de l'examen au criminel. On peut, à l'égard de toutes ces questions, intenter des poursuites conformément à l'article 36. Il est vrai qu'il existe des restrictions, dont certaines sont inhérentes aux dispositions de fond elles-mêmes.

L'accès au tribunal dans le présent régime se rapporte donc aux délits qui sont prévus dans les dispositions de la loi concernant les poursuites civiles, à savoir: l'abus de position dominante, la vente liée, l'exclusivité, la limitation du marché et plusieurs autres.

Pour bien répondre à votre question, je dois savoir de quels comportements en particulier vous parlez.

M. Dan McTeague: Dans le Robert's Rules of order de 1992, il est dit ceci:

    Il n'y a pas de droit privé de poursuite en dommages-intérêts résultant de violations des dispositions d'examen au civil.

L'édition de 1999 de Nozick prévoit clairement ceci:

    Cela réduit les possibilités d'application privée de la Loi sur la concurrence, même si l'on y apportait des amendements permettant que l'on intente des poursuites privées devant le tribunal.

Ce que ces deux personnes laissent entendre, c'est que, quelles que soient votre détermination et la réparation que vous voulez obtenir, il est impossible de s'assurer que la Loi sur la concurrence soit efficace. Cela ne fonctionne certes pas à l'égard des dispositions concernant le criminel, en ce sens qu'il faudrait se demander si les délits devraient être examinés en tant que tels. Ce que vous proposez ici, sans envisager les conséquences réelles du «civil» par opposition à ce qui est «examinable au plan civil», fait que vous serez loin d'être efficace—et, comme on pouvait s'y attendre, le résultat sera aussi inutile que le présent statu quo.

M. Anthony VanDuzer: Il faut établir clairement ce dont nous parlons ici. Et s'il est question de discrimination par les prix, je répète que cela ne me dérange pas vraiment car, pour moi, cela ne constitue pas en soi une activité criminelle. Les dispositions de la loi américaine en ce qui concerne la discrimination par les prix ne sont habituellement pas appliquées et sont régulièrement critiquées par quiconque les examine.

M. Dan McTeague: Vous voulez parler de la loi Robinson-Patman, aux États-Unis, sur la question des produits d'épicerie.

M. Anthony VanDuzer: C'est exact.

M. Dan McTeague: Cela m'intéresse aussi, mais ce sera pour une autre fois, madame la présidente.

Si vous dites qu'il y a un seul aspect de cela qui ne semble pas créer de problème à vos yeux et que nous devrions peut-être le transférer, d'accord, transférons-le! Mais comprenons bien, à l'instar de la plupart des gens au Canada, que lorsqu'on délaisse le modèle criminel, le modèle civil n'est pas du tout un modèle civil, mais, en fait, un moyen très restreint et très limité de demander réparation et d'obtenir justice au bout du compte.

• 1645

M. Anthony VanDuzer: Je ne disconviens pas que le tribunal ne peut accorder qu'une réparation limitée. Il faut dire que l'on n'a aucunement droit à une réparation. La seule chose qu'on peut obtenir, dans le modèle actuel, c'est une ordonnance enjoignant à la partie de mettre fin à son comportement.

Il faudrait peut-être songer à la réparation que peut accorder efficacement le tribunal avant d'y laisser accéder directement des parties privées.

M. Dan McTeague: Ce sera pour une autre fois, madame la présidente.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur McTeague.

S'il vous plaît, monsieur Malhi.

M. Gurbax Singh Malhi (Bramalea—Gore—Malton—Springdale, Lib.): Chaque fois que le prix de l'essence monte, des gens appellent au bureau de comté, comme le signalait tout à l'heure mon collègue, et ils blâment parfois le gouvernement fédéral. Quel rôle le Bureau de la concurrence joue-t-il là-dedans?

M. Anthony VanDuzer: Je répète que notre rapport ne visait pas exclusivement le secteur de l'essence, mais les pratiques de détermination des prix en général et, en fait, une sous-catégorie seulement de ces pratiques.

Lorsque les gens sont préoccupés par les prix, ils téléphonent au Bureau de la concurrence parce qu'il arrive au moins des cas où ces allégations touchent à des questions relevant de la compétence du bureau.

Une décision a été rendue récemment, par exemple, concernant le prix de l'essence en Saskatchewan. Six résidents de cette province avaient présenté une plainte et l'on a examiné tout un éventail de questions concernant la loi de la concurrence. Un tas d'allégations ont été faites et, dans sa réponse, le bureau a rassemblé des faits pour expliquer ce qui se passait. À partir de cela, il a évalué l'applicabilité potentielle des dispositions de la loi. C'est le travail du bureau de faire cela et il l'a fait dans ce cas-là.

Au cours des 20 dernières années, le bureau a passé énormément de temps à enquêter sur le secteur de l'essence. Un groupe de gens du bureau a passé presque tout son temps à examiner des plaintes relatives à l'essence. Je crois donc que le bureau prend la chose au sérieux. Il a examiné le problème. Et, comme le commissaire l'a reconnu franchement lorsqu'il a comparu devant vous, le 25 novembre, il n'a encore pas trouvé de problème de concurrence. Cela ne veut pas dire que des prix élevés ne posent en général pas un problème dans l'économie, mais seulement que cela ne vient pas d'un problème de concurrence.

M. Gurbax Singh Malhi: Autrement dit, lorsque des plaintes surgissent à cet égard, on ne peut pas dire qu'il revient au gouvernement provincial de fixer les prix?

M. Anthony VanDuzer: Comme il s'agit de réglementer directement les prix, c'est une question de compétence provinciale.

Le gouvernement du Québec et celui de l'Île-du-Prince-Édouard ont adopté un régime de réglementation. D'autres provinces, dont l'Ontario, ont envisagé cette possibilité et ont décidé de ne pas emprunter cette voie. C'est la province de l'Ontario vers laquelle il faut se tourner s'il est question d'un programme visant à aborder directement la réglementation des prix.

M. Gurbax Singh Malhi: Savez-vous pourquoi le gouvernement de l'Ontario n'a pas voulu non plus s'engager dans cette voie? Y a-t- il une raison précise?

M. Anthony VanDuzer: Je ne sais pas vraiment pourquoi il ne l'a pas fait.

M. Gurbax Singh Malhi: Je vous remercie.

La présidente: Je vous remercie monsieur Malhi.

La parole est à M. Jones.

M. Jim Jones: Dans le cadre de votre enquête, vous l'avez comparée à la loi sur la concurrence des États-Unis. Quel est le titre de leur loi? Porte-t-elle aussi le titre de loi sur la concurrence?

M. Anthony VanDuzer: Non. Malheureusement, la situation n'est pas si simple. Ils ont tout un éventail de lois qui, en règle générale, sont désignées par le nom des gens qui les ont proposées.

M. Jim Jones: Serait-il juste de dire que, par rapport à ce qui se produit aux États-Unis, la Loi sur la concurrence et le bureau sont davantage axés sur la réaction aux plaintes que sur l'intervention au nom de l'équité et l'adoption de mesures visant à prévenir l'apparition d'une concurrence déloyale? Par rapport à ce qui est raisonnable, si les États-Unis entreprennent une enquête et relèvent quelque chose qui semble inéquitable, ils réagissent au lieu d'attendre que quelqu'un porte plainte. Notre processus est tout simplement davantage axé sur les plaintes.

• 1650

M. Anthony VanDuzer: Il est quelque peu difficile pour moi de répondre à cette question. Il ne fait aucun doute qu'une très grande partie des ressources du bureau de la concurrence au Canada dans le secteur de l'établissement des prix s'occupent des plaintes. C'est la principale façon dont le bureau acquiert de l'information commerciale concernant les pratiques en matière d'établissement des prix. Comme je l'ai mentionné auparavant, il n'y a pas que les intervenants sur les marchés qui se plaignent; des plaintes peuvent également être présentées indirectement par des gens comme vous, députés, membres des cabinets des ministres, etc.

Il est possible, et je sais que cela se produit à l'occasion, que le bureau intervienne de son propre chef suite à une plainte en matière d'établissement des prix. Dans d'autres secteurs d'activité qui peuvent avoir une plus grande visibilité, le bureau peut être davantage porté à agir. Je pense avant tout aux fusions. Ainsi, si des membres du bureau apprennent qu'un fusion se prépare, soit parce qu'ils l'ont lu dans les revues et journaux financiers ou parce qu'ils l'ont appris d'une autre source du secteur, ils peuvent alors intervenir directement de leur propre initiative. Dans le domaine de l'établissement des prix, cependant, il est probablement juste de dire qu'ils se contentent surtout de réagir.

Il convient toutefois de souligner qu'au cours des dernières années le bureau a consacré beaucoup d'énergie à la mise en oeuvre d'une stratégie de communication visant à expliquer son rôle et les services qu'il dispense, à établir en particulier le contact avec les petites entreprises et les consommateurs en vue de les amener à faire part de leurs problèmes, ainsi qu'à expliquer ce que peut faire le bureau et ce qui relève davantage d'autres organismes du gouvernement.

Aux États-Unis, les choses se déroulent en règle générale à peu près de la même façon. Il existe différents organismes auxquels on peut porter plainte. On trouve ainsi la division antitrust du ministère de la Justice et la Commission fédérale du commerce. Ces deux instances peuvent adopter des mesures de leur propre chef mais, autant que je sache, elles se contentent dans la majorité des cas de réagir aux plaintes.

M. Jim Jones: J'ai été déçu de l'attitude du bureau dans l'affaire très retentissante de Microsoft. Le bureau n'a pas analysé ce dossier en vue de déterminer s'il y avait quelque chose qui n'allait pas du point de vue de la protection des autres entreprises et, dans une moindre mesure, des consommateurs du pays, c'est-à-dire qu'il n'a pas cherché à déterminer si Microsoft avait ou non recours à des pratiques de concurrence déloyales. J'estime qu'ils auraient dû se pencher sur ce dossier en vue de déterminer s'il y avait des motifs valables de porter des accusations ou à tout le moins de dire non, car tout ce qu'ils font est accepté en matière de concurrence au Canada. J'estime simplement qu'ils auraient dû prendre l'initiative d'analyser ce dossier.

M. Anthony VanDuzer: Je ne suis pas en mesure de dire qu'ils ne l'ont pas fait. Je ne suis pas un employé du bureau. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait dans ce cas.

Je sais cependant que les autorités antitrust des États-Unis et du Canada entretiennent des liens très étroits. Il arrive de plus en plus souvent qu'elles collaborent dans le cadre d'enquêtes. C'est là une façon de faire dont on aurait pu tirer partie dans ce genre de situation.

Je souligne de nouveau qu'il se peut qu'on l'ait fait. Je ne suis pas au courant de ce que le bureau a fait ou n'a pas fait dans ce cas particulier.

M. Jim Jones: Essentiellement, cependant, vous dites que le bureau réagit le plus souvent aux plaintes au lieu d'être proactif et de chercher à déterminer si des infractions ont été commises?

M. Anthony VanDuzer: Oui. C'est une description assez juste de la situation.

M. Jim Jones: C'est bien. Je vous remercie.

La présidente: La parole est à M. Cannis.

M. John Cannis (Scarborough-Centre, Lib.): Je n'ai qu'une question au sujet de ce que vient de dire M. Jones. Est-il indiqué qu'un organisme d'enquête soit proactif? La plainte ne devrait-elle pas être déposée devant un bureau, en l'instance le Bureau de la concurrence, qui adopterait ensuite les mesures voulues? J'essaie simplement de comprendre ce que M. Jones vient de dire.

M. Anthony VanDuzer: Comme l'a mentionné le professeur Paquet il y a quelques minutes, la responsabilité ou le mandat du bureau en vertu de la loi est de veiller à ce que le processus concurrentiel soit sain et dynamique au Canada. Pour ce faire, il suffit parfois de réagir aux plaintes; en d'autres occasions, il faut faire preuve d'un peu plus d'initiative.

Comme je l'ai dit, dans le domaine des fusions, par exemple, il arrive souvent que le bureau prenne l'initiative, même si personne ne le lui a demandé. C'est en partie en raison de la nature du processus de fusion. Le bureau est donc tourné vers l'extérieur. Dans le domaine de l'établissement des prix, le bureau a davantage tendance à réagir parce que les problèmes qui se présentent, souvent dans de petits marchés, ont trait à des gens qui subissent des effets négatifs pour quelque motif que ce soit.

• 1655

M. Gilles Paquet: Permettez-moi d'apporter ici quelques précisions. Le Bureau de la concurrence est un service très spécialisé. Si votre seul outil est un marteau, tout commence à ressembler à un clou, et vous pouvez alors commencer à chercher partout des occasions de vous en servir.

Il faut se rappeler qu'en Europe, par exemple, bon nombre des comportements susceptibles d'être jugés comme étant anticoncurrentiels en Amérique du Nord seraient là-bas très permissibles. La nouvelle économie mène de plus en plus à des formes de coentreprises, à des mesures qui ressemblent à de la collusion mais qui, en réalité, sont concurrentielles dans le contexte large. Le Bureau de la concurrence est obligé de faire preuve de beaucoup de prudence, car si l'on cherche très étroitement à tout interdire, on peut effectivement placer les entreprises nord-américaines dans une situation encore beaucoup plus difficile à l'échelle mondiale. Le bureau est donc obligé de réagir lorsque quelqu'un est touché. Toutefois, le cas échéant, cela peut tout simplement vouloir dire que le processus est dynamique, même si ce concurrent est éliminé.

Comme vous l'avez dit, être proactif peut être dans certains cas très utile. Mais si l'on devait partir du principe que la concurrence est la condition nécessaire et suffisante pour que le Canada y trouve son compte, il faudrait aussi craindre qu'il en résulte des excès.

M. Jim Jones: Puis-je revenir sur cette dernière intervention et sur celle de M. Cannis?

Voici ce que je voulais dire. Si vous déposez une plainte au Bureau de la concurrence au nom d'une entreprise, la pénalité que peut vous imposer quiconque a fait l'objet de votre plainte et la perte qui peut en découler sont plus élevées que si vous ne réagissiez pas à l'infraction. En pareil cas, ne serait-il pas bien de pouvoir compter sur un organisme qui, de temps à autre, analyse la situation sur une base proactive?

M. Gilles Paquet: En principe, vous avez raison. Le problème tient au fait que l'on croit—c'est du moins le cas en Amérique du Nord, mais ce n'est certainement pas le cas en Asie ou en Europe—que la concurrence est en elle-même la source de toutes bonnes choses.

Dans les pays d'Europe et d'Asie, on pense que la solution pourrait résider dans un dosage de concurrence et de collaboration. Le danger qui guette le Bureau de la concurrence s'il est proactif ou son hésitation à le devenir s'explique de la façon suivante. Dans certains cas, il se peut que vous ayez contre à quelque chose qui semble anticoncurrentiel, mais que votre intervention puisse placer des entreprises nord-américaines, par exemple, dans une situation très difficile par rapport à leurs concurrents mondiaux.

Toutefois, cette observation n'infirme pas votre point de vue selon lequel il existe manifestement une place pour une intervention unilatérale et un travail proactif de la part du Bureau de la concurrence, même si personne n'a déposé de plainte. Vous avez raison.

M. Anthony VanDuzer: Je n'ai qu'une chose à ajouter. Avant la modification en profondeur de la loi, on avait la Commission sur les pratiques restrictives du commerce dont le mandat consistait à mener à l'occasion des études sur les secteurs d'activité. Si un secteur d'activité donné soulevait des préoccupations, une étude générale très vaste en était faite en vue de déterminer tous les problèmes susceptibles de s'y présenter sur le plan de la concurrence. Un rapport était ensuite produit et déposé. Dans la mesure où il soulevait des préoccupations particulières, des mesures d'exécution pouvaient être adoptées.

Ce mécanisme dont nous ne disposons pas à l'heure actuelle existait dans l'ancienne version de la loi. Il prévoyait un organisme indépendant qui se chargeait effectivement d'effectuer ce genre d'étude générale.

M. Jim Jones: À mon avis, quand se présentent des affaires qui sont presque mondiales et très retentissantes, comme certaines de celles que connaissent les États-Unis, il n'est que prudent que nos autorités—en l'instance le Bureau de la concurrence—analysent la situation en vue de déterminer si des infractions ont été commises dans notre pays et n'attendent pas que des entreprises ou des gens se présentent afin de déposer une plainte.

M. Walt Lastewka: Qu'est-ce qui vous dit que le bureau ne recueille pas d'information?

M. Jim Jones: Je ne sais pas si c'est le cas.

M. Walt Lastewka: Tant qu'aucune annonce n'a été faite, vous ne savez pas ce qu'il fait. C'est là que réside le problème dans de nombreux cas.

• 1700

M. Anthony VanDuzer: Je me contenterai d'ajouter que pendant la dernière année, il est arrivé que des condamnations soient prononcées ou que des mesures soient adoptées aux États-Unis et qu'une mesure parallèle soit prise au Canada. Il y a notamment eu une affaire concernant des vitamines, mais j'en ai oublié les détails.

M. Dan McTeague: Il s'agit de l'affaire Archer Daniels Midland et Offmann-La Roche que j'ai évoquée plus tôt.

M. Anthony VanDuzer: Vous avez raison. Dans l'affaire des vitamines, les Américains ont essentiellement pris les devants et adopté des mesures, puis le Bureau de la concurrence a essentiellement été en mesure de négocier un règlement sans avoir à recourir à une procédure contestée. Dans ce cas particulier, le Bureau s'est non seulement livré au type d'intervention dont vous parlez, mais il a effectivement été en mesure d'obtenir un résultat d'une façon qui a été très rentable pour les contribuables. Il arrive donc que cela se produise.

La présidente: J'ai une seule question au sujet de laquelle j'aimerais avoir votre point de vue. Nous essayons de déterminer pourquoi le Bureau de la concurrence semble réticent à recourir à des procédures civiles dans les cas de ventes à prix imposé et d'établissement d'un prix abusif.

M. Anthony VanDuzer: Vous voulez savoir pourquoi il manifeste de la réticence?

La présidente: Il semble manifester une certaine réticence.

M. Anthony VanDuzer: Vous voulez que je me fonde sur la position adoptée par le commissaire lorsqu'il a comparu devant vous?

J'ai lu le compte rendu et je n'ai pas eu de discussion avec des représentants du bureau à ce sujet par la suite. Toutefois, je crois comprendre qu'ils entretiennent certaines des mêmes préoccupations que M. McTeague concernant l'importance du recours criminel comme moyen pour prévenir les pires types de comportement. Il est ici principalement question d'un régime horizontal de prix imposé, soit le genre de situation où une personne cherche à convaincre ses concurrents de maintenir leurs prix à un niveau élevé, et de l'établissement de prix abusifs, où il existe une intention d'éliminer un concurrent.

Si j'ai bien compris le compte rendu, ce sont les domaines qui, à leur avis, devraient primordialement continuer à faire partie du volet de la loi prévoyant un recours criminel. Pour ce qui est de la discrimination par les prix, je crois que je peux à juste titre dire que le commissaire a convenu en dernière analyse avec moi que c'est un aspect qui pourrait être intégré dans la partie de la loi prévoyant un recours civil.

Pour ce qui est d'un régime vertical de prix imposé, il y a eu peu de discussion à ce sujet devant le comité de sorte que je ne connais pas exactement la position du Bureau à ce sujet dans le moment.

La présidente: D'accord.

L'un de vous a-t-il quelque chose à ajouter avant que nous mettions fin à la séance d'aujourd'hui?

M. Anthony VanDuzer: Je tiens à remercier le comité de nous avoir demandé de venir lui parler de notre travail.

La présidente: Nous vous remercions du travail que vous accomplissez et de notre venue ici pour en discuter avec le comité. Comme vous pouvez sans doute le constater, la Loi sur la concurrence intéresse au plus haut point bon nombre des membres du comité, et il semble que dans l'avenir nous pourrions même aller au-delà de votre étude. C'est cependant là une décision que le comité n'a pas encore prise.

Nous vous remercions et nous espérons avoir la possibilité de vous rencontrer de nouveau dans l'avenir.

La séance est levée.