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FAIT Rapport du Comité

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CHAPITRE 4 : GÉRER ET PROMOUVOIR LA
RELATION ÉCONOMIQUE NORD-AMÉRICAINE :
LES PRINCIPAUX ENJEUX

4.1       Introduction

Comme l’a déjà signalé le Comité, l’intégration économique de l’Amérique du nord s’est accélérée depuis l’instauration initiale du libre-échange, vers la fin des années 1980, une mesure qui consacrait le prolongement d’une tendance à long terme. Cette tendance à une plus grande intégration des marchés nord-américains s’est concrétisée même si le gouvernement fédéral s’est efforcé de diversifier les échanges du Canada à l’échelle mondiale. La politique commerciale du Canada, du moins avant le 11 septembre 2001, semblait axée davantage sur la multiplication des relations commerciales à l’extérieur de l’Amérique du Nord que sur un renforcement des liens économiques sur ce continent. Mais l’importance vitale et évidente de ces liens, mise en relief par les perturbations frontalières, de même que les incidences d’une concurrence croissante pour l’accès au marché américain1 ont redirigé l’attention sur les relations économiques avec les partenaires de l’ALENA. Dans un discours récent, le ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, a défini un « programme nord-américain » assorti des six objectifs suivants2 :

Tout d’abord, je veux augmenter notre part du marché américain. En général, le Canada fournit aux États-Unis environ 19 % de leurs importations, ce qui nous donne un poids commercial bien supérieur à notre poids économique dans le monde. Nous devrions viser à accroître notre part chaque année. Nous n’avons pas à être timides dans notre commerce avec les États-Unis. Nous devons essayer de l’augmenter.

Deuxièmement, je vise un accroissement des investissements bilatéraux dont le commerce dépend de plus en plus. […]

Troisièmement, nous devons faire progresser un programme de réglementation intelligente. […] Nous avons fait de grands progrès à cet égard dans l’ALENA, mais l’ALENA remonte déjà à dix ans et nous devons continuer à avancer. […]

Quatrièmement, nous devons faire des efforts sérieux pour mieux adapter la pratique des recours commerciaux à l’intégration croissante de l’espace économique commun en Amérique du Nord. […]

Cinquièmement, la frontière ne doit pas constituer un obstacle au commerce, à l’investissement et au développement des affaires. Je veux à cette fin écarter la frontière des limites géographiques des deux pays. […]

En sixième et dernier lieu, je crois qu’il est nécessaire d’entreprendre des efforts plus intelligents de sensibilisation et de représentation aux États-Unis.

Selon toute vraisemblance, il continuera d’y avoir sur le plan concret une intégration de plus en plus grande des liens en matière de commerce et d’investissement en Amérique du Nord, peu importe l’orientation stratégique des gouvernements; plusieurs témoins ont cependant indiqué qu’il pourrait y avoir des limites à cette approche « ascendante ». Selon le professeur Stephen Blank, de l’université Pace de New York, « la poursuite de l’intégration est bloquée par la persistance des différends commerciaux. Dans d’autres secteurs, les intérêts de chacun et les politiques gouvernementales entraînent un manque d’efficience3 ».

De l’avis du Comité, une analyse réaliste du nouvel espace économique de l’Amérique du Nord amène à conclure qu’il serait mal avisé et irréalisable sur le plan des politiques de chercher à nier ou à inverser cette réalité incontournable de l’interdépendance économique progressive. Face à l’évolution de l’intégration économique du continent, le principal choix se situe donc entre deux orientations générales pour la gestion de la relation économique nord-américaine.

La première option consiste essentiellement à maintenir le statu quo, ce qui donnerait au secteur privé la possibilité de définir le processus d’intégration additionnelle selon ses propres priorités. Selon un représentant en vue du monde des affaires, c’est le secteur privé qui a pris en main la direction du dossier de l’intégration continentale depuis la mise en œuvre de l’ALENA4. En vertu de ce scénario, les forces conjuguées du commerce, de la technologie et de la sécurité continueraient de renforcer sans cesse les liens entre les trois partenaires de l’ALENA. Comme l’a rappelé au Comité Danielle Goldfarb, de l’Institut C.D. Howe, l’option du statu quo suppose que le Canada gère la relation bilatérale « de façon ponctuelle et réactive — dossier par dossier, événement par événement — dans le contexte de l’ALENA. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais ce n’est pas une vision stratégique de la façon dont le Canada entrevoit les relations nord-américaines à l’avenir5 ».

Par ailleurs, les décideurs pourraient examiner attentivement les coûts et avantages de différentes options pour la gestion d’une intégration accrue, choisir une marche à suivre et évaluer les stratégies requises pour la mettre en œuvre. Ces stratégies s’appuieraient sur une nouvelle vision des relations nord-américaines. Daniel Schwanen croit « qu’il nous faudra inventer notre propre modèle d’intégration, un modèle propre au Canada et aux États-Unis, et peut-être au Mexique aussi, comme nous l’avons fait d’ailleurs au chapitre des relations commerciales6 ».

Dans son témoignage, Michael Hart, de l’université Carleton, a recensé un certain nombre de secteurs clés où il conviendrait d’élaborer des stratégies : « nous devons maintenant nous concentrer sur les défis posés par les transactions commerciales à la frontière; sur le travail inachevé de l’ALE, de l’ALENA et de l’OMC, en trouvant une solution au problème de la frontière qui ralentit les choses, qui entraîne des retards et qui provoque des coûts administratifs; sur les retombées de l’application de systèmes de réglementation différents, qui entraîne là encore des coûts que l’on pourrait éviter; sur les facteurs d’une intégration discrète de plus en plus poussée; et enfin et surtout, sur le fait que les institutions, les procédures et les réglementations des deux gouvernements correspondent certes à la réalité d’un accord de libre-échange, mais ne reflètent pas l’intégration profonde de nos deux pays, une intégration qui va beaucoup plus loin que l’accord de libre-échange et qui ressemble plutôt à une union douanière ou même à un marché commun7 ».

Après mûre réflexion, le Comité a conclu qu’il serait de loin préférable pour le gouvernement du Canada, après consultation avec des intervenants clés, de contribuer activement à façonner l’évolution de la relation du Canada avec les États-Unis et le Mexique — et de faire en sorte que nous en tirions le maximum d’avantages — plutôt que de laisser les événements dicter en quoi devrait consister l’avenir de la relation. Comme l’a signalé Jayson Myers, des Manufacturiers et Exportateurs du Canada : « La position du Canada en Amérique du Nord devrait être déterminée par des objectifs stratégiques clairs visant à faire mieux fonctionner notre économie intégrée […]8 ». Il faut donc élaborer une approche plus proactive de l’intégration et non se contenter de la démarche actuelle, improvisée et réactive. Le risque de l’inaction est que le Canada perde le contrôle sur son avenir économique et social, ce qui diminuerait ce à quoi il accorde tant d’importance, sa souveraineté.

On devra répondre à plusieurs questions cruciales avant de pouvoir formuler une approche aussi « militante » fondée sur les intérêts à long terme du Canada. Quelles solutions peut-on appliquer pour régler les dossiers en suspens de l’ALENA? Quel est le meilleur moyen d’améliorer les mécanismes existants de règlement des différends, voire d’empêcher que des différends ne surgissent? Quelles mesures peut-on prendre pour améliorer le climat économique au Canada? À quoi devrait ressembler la frontière de l’avenir? Comment rendre plus efficace le mouvement des biens, des services, des capitaux et des personnes sur le continent nord-américain? Quelles options s’offrent aux décideurs pour réaliser une plus grande intégration, et quels en sont les avantages et inconvénients? Un « compromis stratégique » avec les États-Unis, en vertu duquel le Canada offrirait une meilleure coopération en matière de sécurité et de défense en échange d’un accès élargi au marché américain, servirait-il au mieux les intérêts du Canada? Aurions-nous avantage à adopter une monnaie commune avec les États-Unis et, peut-être, avec le Mexique? Ces questions servent de toile de fond au présent chapitre sur la façon de gérer l’avenir de la relation économique nord-américaine dans le sens des intérêts canadiens.

4.2       Traiter les enjeux commerciaux et les dossiers en suspens de l’ALENA

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

[…] il ne faut pas oublier que l’ALE, l’ALENA et l’OMC sont des accords qui reflètent le degré d’intégration silencieuse qui résulte des choix individuels faits par les Canadiens, les Américains et les autres dans leur vie quotidienne, lorsqu’ils choisissent d’acheter certains produits et de vivre leur vie d’une certaine façon. Les gouvernements essaient de rattraper cette intégration silencieuse en mettant en place des règles qui reflètent les préférences et les priorités de la plupart des gens.

Michael Hart, université Carleton,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

Voici le message que votre comité peut transmettre au gouvernement du Canada : c’est notre intérêt qui doit primer dans les discussions commerciales internationales.

Jack Harris, chef du NPD pour Terre-Neuve et le Labrador,
Témoignages, réunion no 58, 25 février 2002.

Il est ridicule que les représentants de ce secteur au Canada soient obligés d’aller supplier cette commission aux États-Unis de ne pas leur appliquer des recours commerciaux, quand on sait que c’est un pays avec lequel nous sommes censés avoir des relations de libre-échange. Cela montre combien l’ALENA est équitable, ou plutôt inéquitable.

Randy Collins, député, Terre-Neuve
Témoignages, réunion no 58, 25 février 2002.

Je ne peux pas aborder la question de notre relation avec les États-Unis sans parler des deux documents qui en forment la charpente : l’Accord de libre-échange [entre le Canada et les États-Unis] et l’Accord de libre-échange nord-américain. Tant l’ALE que l’ALENA promettaient l’accès au marché américain et aucun des deux n’a tenu parole. Les États-Unis conservent de puissants leviers d’action qui protègent leurs industries. Notre expérience actuelle, dans l’industrie du bois d’œuvre résineux et dans l’aciérie, illustre cette absence d’accès assuré. Notre dispense des mesures américaines récentes en matière d’acier a résulté d’un effort intense de lobbying. Cet effort, aux États-Unis, a été mené par notre syndicat. Cela ne différait pas de ce qui se serait passé avant la signature des accords de libre-échange et, maintenant comme alors, parfois on gagne, parfois on perd. Le bois d’œuvre résineux est un exemple de ce qui se passe quand on perd. Nous avons troqué notre souveraineté pour l’illusion de l’accès aux marchés américains.

Lawrence McBrearty, Métallurgistes unis d’Amérique,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

[…] dans le contexte nord-américain, les subventions sont de longue date un sujet de friction dans les relations canado-américaines. Comme vous le savez, les États-Unis sont un des pays du monde qui recourent le plus fréquemment aux plaintes assorties de droits compensateurs, et les subventions canadiennes comme celles accordées au bois d’œuvre en ont très, très souvent été la cible, même si les plaintes antérieures ont été rejetées.

Kenneth Thomas, université du Missouri,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

Pour ce qui est des enjeux commerciaux, il est essentiel que nous réalisions des progrès en ce qui concerne les recours commerciaux. Il s’agit là d’un dossier clé de l’ALENA qui reste en suspens.

Sean Cooper, Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique,
Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.

Dans le domaine commercial, il ne fait aucun doute que les différends comme celui sur le bois d’œuvre résineux sont un virus qui sape la santé de nos économies et nos relations. Il n’y a pas de système en place qui puisse contenir ces actions politisées aux États-Unis. Il n’y en aura peut-être jamais, mais il y a certainement lieu de rechercher des mécanismes de règlement des différends commerciaux plus robustes.

George Haynal, université Harvard,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

Le 11 septembre fut une menace pour la paix et la sécurité mondiales. Une menace encore plus grande est en train de naître dans les élégants couloirs du Congrès américain. Comme nous le savons tous, on y a vu une avalanche de lois protectionnistes. Ce n’est pas simplement la question du bois d’œuvre résineux —  au sujet de laquelle beaucoup diront que les États-Unis sont en partie justifiés —  ce sont les droits sur l’acier et encore plus le projet de loi sur l’agriculture qui prévoit une majoration massive des subventions.

Fred McMahon, Institut Fraser,
Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.

L’Accord de libre-échange et l’ALENA sont ici pour rester, d’après vous. Les deux accords contiennent une disposition qui permet au Canada de s’en retirer simplement sur préavis de six mois. Si nous décidions de le faire, ce ne serait pas la fin du monde. On reviendrait tout simplement aux règles du GATT qui ont régi nos échanges avec les États-Unis pendant cinq décennies. Ces règles étaient beaucoup plus à l’avantage du Canada et de nos industries que les nouvelles règles.

David Orchard, Citizens Concerned About Free Trade,
Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.

Quant à l’alliance avec les États-Unis, j’aimerais rappeler qu’on se berce d’illusions si l’on pense que les Américains sont nos amis. Palmerston, un homme politique britannique des années 1800, a dit : «Les nations n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts». Nous l’avons constaté tout récemment lors du conflit sur le bois d’œuvre résineux et nous le verrons à nouveau dans le dossier de la Commission canadienne du blé; en fait nous le voyons chaque fois que l’on essaie d’obtenir un traitement équitable, comme c’est le cas auprès de l’OMC, puis il faut participer à de longues procédures avec nos supposés amis, les Américains. Je peux vous donner nombre d’exemples de situations semblables qu’ont vécues les paysans du Mexique, car ils ne peuvent lutter contre les arrivées massives sur les marchés de maïs américain vendu à un prix d’aubaine; c’était la même chose avec la Grenade il y a plusieurs années dans le dossier des bananes.

Tony Haynes, Diocèse catholique romain de Saskatoon,
Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.

L’intégration politique ou économique de l’Amérique du Nord dans le secteur agricole sera irréalisable tant que subsisteront des écarts importants entre les politiques canadiennes et les politiques américaines. Le cas le plus frappant est le U.S. Farm Bill, adopté par les membres de la Chambre et leurs confrères du Sénat le 1er mai. Il est ridicule d’harmoniser les régimes économiques alors que les États-Unis font des transferts de plus en plus considérables de subventions spéciales à l’agriculture. Les niveaux extrêmement élevés du soutien agricole aux États-Unis et dans l’Union européenne incitent les agriculteurs à faire des investissements peu rentables, ce qui entraîne une surproduction et une chute des prix mondiaux... Une intégration économique ou une harmonisation des politiques accrue ne donnerait pas nécessairement un accès plus facile ni plus sûr au marché américain en ce qui concerne les produits canadiens, notamment le blé, car les points de friction sont principalement liés à l’influence considérable que les intérêts agricoles américains ont sur leurs dirigeants politiques. Une intégration économique et politique accrue avec les États-Unis ne rimerait à rien tant que les agriculteurs et autres gens d’affaires canadiens continueront d’être la cible de manœuvres de harcèlement et que l’on n’aura pas adopté une solution commerciale adéquate pour garantir un accès sans entrave au marché américain.

Larry Hill, directeur, Commission canadienne du blé,
Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.

Qu’est-ce que cela signifie pour les relations entre les pays nord-américains? À peu près la même chose que ce à quoi on peut s’attendre d’un accord commercial. Faute d’une volonté politique en vue d’instaurer une communauté d’institutions et de politiques et devant les limites qu’imposerait une souveraineté, les améliorations ne peuvent qu’être marginales. Il peut être éventuellement possible de réduire les menaces à l’accès aux marchés que proposent les mécanismes de protectionnisme conditionnel que sont le dumping et les mesures compensatoires, et il pourrait éventuellement être possible d’imposer d’autres limites à certaines mesures telles que les subventions aux agriculteurs, mais guère plus sans doute. Autrement dit, il se pourrait que les relations commerciales soient parfois tendues, et c’est pourquoi le Canada doit être vigilant et préparé. Ce ne sera pas toujours très amical.

William Kerr, université de la Saskatchewan,
Estey Centre for Law and Economics in International Trade,
Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.

Le thème d’ensemble de mes remarques sera que l’état actuel des relations économiques Canada-États-Unis ne va probablement pas se maintenir. Les Canadiens vont s’efforcer plus activement que les Américains d’apporter les changements souhaités à ces relations. Il faudra que le programme de changement et d’action parte du Canada, sous l’impulsion de ses dirigeants politiques et économiques. Il faudra convaincre les États-Unis des avantages que pourrait entraîner un approfondissement des liens économiques entre les deux pays. Je ne dis pas cela pour être provocateur, je le dis très sincèrement.

Isaiah A. Litvak, Florida Atlantic University,
Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.

A.  Évaluer l’expérience nord-américaine du libre-échange

Un moyen d’évaluer la structure actuelle du commerce nord-américain consiste à prêter attention aux préoccupations que ne cessent de rapporter les médias et qui, bien entendu, ont fait surface dans les témoignages présentés au Comité, en ce qui concerne notamment les points suivants : le bois d’œuvre résineux, les subventions agricoles et le U.S. Farm Bill, la culture, l’énergie, l’acier, l’eau, les droits des entreprises en vertu du chapitre 11 de l’ALENA, et ainsi de suite. Il importe également d’envisager selon une perspective plus large le commerce entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, et de poser une question aussi simple que révélatrice : de façon générale, l’Accord de libre-échange (ALE) de 1989 entre le Canada et les États-Unis, et l’ALENA de 1994, ont-ils été bénéfiques pour le Canada?

Certaines des réponses obtenues par le Comité à cet égard sont reproduites au chapitre 1; il y est aussi question de la polarisation générale des points de vue entre d’une part les représentants des milieux d’affaires qui font état de résultats économiques très favorables, et, d’autre part, les porte-parole des milieux ouvriers qui critiquent fortement les accords et leurs répercussions sur les travailleurs et la société. Larry Morrison, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a parlé en ces termes d’un secteur clé de l’exportation :

L’industrie pétrolière s’est très bien tirée d’affaire au cours des dernières années parce qu’elle a vraiment su livrer concurrence sur le marché américain. Je crois que cette situation est attribuable à une bonne politique gouvernementale, qui a commencé par l’Accord de libre-échange nord-américain. Nous jouissons d’une pleine liberté d’accès au marché, et les gouvernements laissent les signaux des prix se manifester, quoique c’est parfois un peu pénible lorsque les prix grimpent. Les gouvernements se sont gardés d’adopter des politiques qui leur permettraient d’imposer certains tracés pour les pipelines, ou d’adopter certains traitements fiscaux qui pourraient nous nuire. Les règles du jeu sont les mêmes pour tous, dans une large mesure, il y a un accès libre au marché et on respecte fidèlement les principes du libre-échange9.

Par contraste, Lawrence McBrearty, des Métallurgistes unis d’Amérique, a déclaré que « tant l’ALE que l’ALENA promettaient l’accès au marché américain et aucun des deux n’a tenu parole. Les États-Unis conservent de puissants leviers d’action qui protègent leurs industries […] Nous avons troqué notre souveraineté pour l’illusion de l’accès aux marchés américains. L’ALENA, sans assurer d’accès, restreint les mesures que peut prendre le pays au nom de ses contribuables10 ». David Orchard, de Citizens Concerned About Free Trade, a poussé la réflexion un peu plus loin en réclamant que le Canada se retire de l’ALE et de l’ALENA; dans ce cas, a-t-il soutenu, le Canada serait régi uniquement par le GATT selon les règles de l’OMC, règles qui selon lui seraient beaucoup plus favorables au Canada11. William Kerr, de l’Estey Centre for Law and Economics in International Trade, de Saskatoon, a fait observer que le Canada pourrait certainement renoncer à l’ALENA — peut-être comme moyen de retrouver une partie de la souveraineté à laquelle il a renoncé volontairement — et relever par conséquent des règles de l’OMC, mais il a prévenu que ces règles « n’offrent pas autant de sécurité d’accès aux marchés américains ou mexicains alors que c’est le cas de l’ALENA12 ». Pour sa part, Stephen Clarkson, de l’université de Toronto, a fait remarquer ce qui suit : « Si je devais répondre par oui ou par non à votre question de savoir si nous serions mieux sans l’ALENA, même si la question est trop simplement posée, manifestement, je répondrais que nous nous trouverions mieux sans l’ALENA parce que, dans bien des secteurs, les règlements de l’OMC sont meilleurs que ceux de l’ALENA13 ».

Ce genre de polarisation des arguments, qui s’est répétée tout au long des audiences, fait voir au Comité que notre relation commerciale trilatérale fonctionne bien pour certains, et même pour beaucoup, mais non pour d’autres, et ce pour une variété de raisons : il y a là un signal que certains changements sont indiqués14. Lors de nos audiences à Mexico, Antonio Ortíz Mena, du Centro de Investigación y Docencia Económicas, a présenté une évaluation lucide de l’ALENA de même qu’un aperçu de certaines questions en suspens :

L’ALENA fonctionne très bien, si on songe à la hausse des échanges et des investissements dans les régions de l’Amérique du Nord. Il fonctionne peut-être mieux que les opposants et les partisans le prévoyaient en 1994. Par contre, on doit tenir compte de certains sujets importants si nous voulons que les avantages de l’ALENA soient partagés plus équitablement et que ses effets négatifs soient minimisés. Parmi [eux], il y a la réduction de la pauvreté, la distribution des revenus, la participation des petites et moyennes entreprises (PME) aux activités d’exportation, le développement régional et la complémentarité de la croissance économique et de la protection de l’environnement. Tous ces thèmes peuvent être regroupés sous la rubrique portant sur l’intégration économique et l’égalité sociale. De plus, il y a le sujet de l’abolition des frontières pour permettre les déplacements légaux des marchandises, des capitaux et de la population, et de la fermeture des frontières pour empêcher l’entrée illégale de ces marchandises, capitaux et populations15.

De nombreux thèmes importants se sont dégagés lorsque le Comité a entendu les témoins évaluer les résultats de l’ALE et de l’ALENA. Il en est question tout au long du présent chapitre, mais il convient d’attirer ici l’attention sur certaines notions à caractère général.

Premièrement, nombre de témoins ont indiqué que la très grande majorité des échanges commerciaux nord-américains se déroulent avec souplesse et sans incident. Donald MacKay, de la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL), a cherché à donner une image équilibrée de la situation et a refusé de dépeindre nos relations commerciales en fonction des conflits qu’elles engendrent. À son avis, « quelque 4 % du commerce sont sujets à contestation. Les autres 96 % vont bon train sans aucune difficulté16 ».

Plusieurs témoins ont souligné le succès relatif de la relation commerciale canado-américaine en décrivant le conflit du bois d’œuvre résineux comme étant un cas certes unique, mais une dérive néanmoins importante. Selon Brian Stevenson, de l’université de l’Alberta, lorsqu’on « se penche sur l’énormité de nos relations commerciales, et [qu’]on compare cela à nos différends commerciaux qui sont très importants pour nous, mais ne représentent pas vraiment un fort pourcentage de nos échanges commerciaux, on constate peut-être — et probablement que personne ne pourrait calculer cela exactement — que 99 % de nos relations bilatérales fonctionnent plutôt bien. Malheureusement, parfois, cette proportion de 1 % de différends commerciaux entre nous se retrouve dans des domaines qui nous touchent et nous préoccupent beaucoup, comme le secteur du bois d’œuvre résineux17 ». Le professeur Louis Balthazar, de l’Université Laval, a reconnu que « le bois d’œuvre résineux est un os et nous cause des ennuis, mais [que] la grande majorité de nos échanges économiques fonctionnent admirablement bien18 ». Le professeur George MacLean, de l’université du Manitoba, a quant à lui attiré l’attention sur les susceptibilités inhérentes à toute relation d’interdépendance :

Je ne pense pas que les problèmes que nous avons en ce qui concerne le bois d’œuvre résineux, qui sont concrets et importants, soient une raison suffisante pour affirmer que les échanges bilatéraux, les relations commerciales et les relations d’investissement avec les États-Unis sont un échec. C’est un raisonnement simpliste. […] certaines personnes disent que les relations économiques entre le Canada et les États-Unis ne sont pas efficaces à cause des problèmes qui se posent en ce qui concerne le bois d’œuvre résineux. Ce n’est aucunement le cas. Je dirais que dans tout état d’interdépendance, les relations peuvent parfois être tendues entre les partenaires. Quand un État ou un acteur prend une décision qui aura des conséquences pour son partenaire, celui-ci devient vulnérable. C’est évident. Nous l’avons toujours su. Il est manifeste que nous sommes vulnérables aux initiatives des États-Unis. Je suis toutefois convaincu que notre vulnérabilité serait beaucoup plus grande et qu’elle ne se limiterait pas à un seul secteur si nous n’avions pas des relations économiques étroites19.

Un deuxième thème s’est dégagé quant à la manière dont l’ALENA a contribué à prévenir l’instauration d’un imposant système nord-américain en étoile dans lequel les États-Unis occuperaient le centre de la structure et se contenteraient de conclure des accords bilatéraux avec les pays de leur choix. Certains, comme Laura Macdonald du Centre for North American Politics and Society de l’université Carleton, voient dans ce succès l’exemple dont le Canada devrait s’inspirer pour promouvoir des accords commerciaux infrarégionaux et des accords élargis de coopération dans l’ensemble des Amériques20. George MacLean a bien résumé ces idées :

Je pense qu’en ce qui concerne l’ALENA, nous sommes parvenus à éviter l’instauration d’un mécanisme en étoile comme celui que les Américains auraient voulu établir, à savoir des accords de libre-échange bilatéraux avec le Mexique, puis avec le Brésil, et ainsi de suite. Nous nous sommes affirmés et avons accepté de participer aux discussions en vue d’instaurer des relations bilatérales pour les transformer ensuite en relations multilatérales. Vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous sommes parvenus à enrayer le processus d’établissement d’un système en étoile dans les Amériques. Nous devons continuer dans cette voie pour maintenir des relations vraiment multilatérales, même si nous sommes encore moins intégrés dans le contexte de l’Amérique que nous ne l’étions avec le Mexique21.

Toutefois, dans son analyse, à paraître, de l’ALENA, John Foster observe avec justesse que malgré l’accord trilatéral, l’attitude d’intégration en étoile qu’adoptent les États-Unis lorsqu’ils négocient avec le Canada et le Mexique — attitude découlant des asymétries dans la taille et le pouvoir des partenaires — a prolongé l’existence de certains points de friction de première importance, comme les mesures américaines liées aux différends commerciaux22. Ces sujets de discorde sont examinés plus loin dans le présent chapitre.

Outre l’effet atténuant qu’il a eu sur la structure en étoile, l’ALENA a officiellement jeté les ponts entre le Canada et le Mexique — créant ainsi des occasions nouvelles et, comme on l’indique tout au long de ce rapport, encore inexploitées — et amené les deux pays à se rendre compte que les asymétries évidentes qu’ils partagent dans le régime de l’ALENA créent entre eux un lien spécial pouvant les renforcer dans leurs négociations avec le géant américain.

Ces asymétries et leur signification correspondent à un troisième grand thème. La taille du géant est énorme. Stephen Clarkson a fait remarquer qu’« en ce qui concerne les rapports de pouvoir, que l’on utilise le terme “domination”, “hégémonie”, “influence” ou “asymétrie”, il est clair que la différence entre le Canada et les États-Unis est énorme23 ». Selon Reg Whitaker, le poids tout à fait disproportionné des États-Unis dans la balance amène le gouvernement américain à prendre des décisions politiques qui ont une incidence directe sur ses partenaires de l’ALENA, car « ni le Canada ni le Mexique, même dans le cadre d’une alliance, n’auraient suffisamment de poids pour influer sérieusement sur l’emprise exercée par les institutions nationales américaines sur le processus décisionnel nord-américain24 ».

Résultats de ces asymétries, un quatrième et un cinquième thèmes communs ressortent, tel que l’a constaté le Comité : le manque d’intérêt relatif de l’administration américaine à l’égard des enjeux de l’intégration nord-américaine à l’heure actuelle, et sa tendance à agir de façon unilatérale. Il était clair, à la suite des réunions que le Comité a tenues à Washington, D.C., en mars 2002, que tout nouvel examen de l’infrastructure commerciale prévue dans l’ALENA serait selon toute probabilité effectué à l’initiative du Canada et du Mexique. Et même dans ce cas, rien ne garantit qu’on lui prêtera la moindre attention. David Zussman, du Forum des politiques publiques, a expliqué que le règlement des différends commerciaux au moyen de nouvelles structures institutionnelles « n’est probablement pas un aspect auquel les Américains consacreront beaucoup de temps car nous savons que ce n’est pas une question qu’ils considèrent particulièrement importante25 ». Isaiah Litvak, de l’université Florida Atlantic, a pour sa part fait observer que les Canadiens sont « polarisés jusqu’à l’obsession sur les États-Unis », tandis que les États-Unis « remarquent à peine le Canada et les Canadiens26 ».

Mais il y a de l’espoir. Le professeur Stephen Blank, de l’université Pace de New York, rappelle à juste titre que l’ALENA instaure une relation d’interdépendance, peu importe ce que dit ou fait le gouvernement américain :

[…] un tiers des exportations américaines va à nos partenaires de l’ALENA. C’est une réalité, c’est du concret. Les États-Unis dépendent beaucoup de cette relation. La prise de conscience de cette dépendance a amené de grands secteurs industriels, comme celui de l’automobile, à dire le 12 septembre : «Ne fermez pas la frontière. Autrement, vous mettrez au chômage des centaines de milliers d’Américains27 ».

Par ailleurs, devant l’agressivité dont les États-Unis font preuve dans leurs recours commerciaux, le Canada et le Mexique peuvent se demander quelle est la meilleure façon de faire face à de telles décisions politiques pouvant avoir des retombées économiques et sociales à l’échelle de l’Amérique du Nord. Aaron Cosbey, de l’Institut international du développement durable, souligne que dans le contexte situationnel, la façon de composer avec l’unilatéralisme américain consiste à « essayer de démontrer aux États-Unis qu’ils sont en fait les victimes de leur politique28 ». Le Comité est d’accord pour dire qu’en ce qui concerne le bois d’œuvre résineux et d’autres différends, ce genre de plaidoyer — dont il est question plus en détails au chapitre 5 — est certainement une stratégie que le Canada devrait envisager de mettre en œuvre de manière aussi efficace que possible. En outre, le gouvernement du Canada devrait « maintenir le cap » de sa stratégie juridique dans le conflit sur le bois d’œuvre résineux, tout en accordant à l’industrie et aux collectivités touchées une aide conforme aux règles de l’OMC.

Un accord commercial est un compromis politique. William Kerr décrit le compromis de l’ALENA comme se situant « entre, d’une part, le besoin sporadique de répondre à des demandes de protection de la part de ceux qui souffrent de difficultés économiques à court terme ou de la détérioration à long terme de leur compétitivité internationale et, d’autre part, le désir des entreprises souhaitant s’engager dans le commerce international d’avoir des règles fermes qui protégeraient leurs investissements de mesures frivoles de la part d’un gouvernement étranger29 ». Un sixième thème, exprimé par de nombreux témoins, est que ce compromis politique que constitue l’ALENA peut être biaisé en faveur des grandes sociétés. Stephen Clarkson décrit l’ALENA comme un élément de la « constitution externe » du Canada car il impose des limites à l’action gouvernementale et crée des droits et institutions pour certaines catégories d’activités liées au commerce30. En ce qui concerne les dispositions du chapitre 11 sur les différends opposant un investisseur et un État, il décrit comme une « aberration » le fait que l’ALENA donne à des entreprises étrangères le droit de poursuivre des gouvernements. Ces dispositions sont examinées en détail ci-dessous; qu’il suffise de dire ici que M. Clarkson n’est pas le seul à défendre cette opinion. Michael Bradfield, de l’université Dalhousie, s’étend sur le sujet et propose une solution éventuelle :

[…] je crois que tout accord commercial que nous signons devrait stipuler dans son préambule que rien dans l’accord ne l’emporte sur le droit des pays d’agir pour le bien-être de leur peuple ou pour la protection de l’environnement, et que rien dans l’accord ne peut abroger la Déclaration universelle des droits de l’homme, les conventions de l’Organisation internationale du travail ou autres conventions internationales de ce type. Actuellement, ces accords commerciaux passent devant toutes ces autres choses, devant les conventions internationales et les lois de chaque pays. Ce qui revient à dire qu’un outil, disons un marteau, peut être utilisé pour détruire ce que vous voulez détruire. La loi devrait prescrire qu’un marteau doit être utilisé pour construire et non pour détruire. Le problème est qu’au centre de ces accords est la supposition, même avec très peu de preuves à l’appui, que les sociétés agissent dans l’intérêt public31.

Peu importe la forme que prendra l’intégration à venir de l’Amérique du Nord, il faut se rappeler que ce continent n’existe pas en vase clos. Il importe en effet de ne pas perdre de vue le contexte commercial international dans lequel fonctionne l’Amérique du Nord. Des négociations se déroulent actuellement à l’échelle de l’hémisphère en vue de créer d’ici à janvier 2005 une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). En novembre 2001, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a lancé un nouveau cycle de négociations commerciales à Doha, au Qatar, intitulé « Programme de travail de Doha », et le nouveau directeur général de l’OMC, Supachai Panitchpakdi, a annoncé son intention de mener à terme ces pourparlers commerciaux vers le milieu ou la fin de 200432. En septembre 2003, le Mexique accueillera la réunion ministérielle de l’OMC à Cancun. Le Canada joue lui aussi un rôle de premier plan dans ce forum international, Sergio Marchi, l’ambassadeur du Canada auprès de l’OMC, ayant été nommé plus tôt cette année président du Conseil général, l’organe qui coordonne les activités courantes de l’OMC et supervise le nouveau cycle de négociations commerciales à l’échelle mondiale33. Et, bien entendu, les États-Unis vont négocier avec une vigueur et un enthousiasme renouvelés maintenant que l’administration Bush a obtenu l’autorisation tant convoitée de négocier des accords commerciaux selon la « procédure accélérée34 ».

Ce tour d’horizon de la scène internationale définit le contour d’un dernier thème : de l’avis de certains, nous devrions peut-être concentrer notre attention sur le forum de l’OMC afin de promouvoir à long terme les meilleurs avantages qui soient pour tous. Joseph Nye, de l’université Harvard, justifie de la façon suivante une démarche aussi focalisée :

Je crois que nous devrions surtout chercher à conclure les négociations de l’OMC qui ont été annoncées à Doha. Je crois que les accords régionaux de libre-échange ont un rôle légitime à jouer, mais nous devrions les envisager dans le contexte de l’ancien article 24 du GATT. Autrement dit, ils devraient viser davantage à créer des échanges qu’à les détourner. Conclure des accords régionaux qui soustraient des échanges au système commercial mondial ne fera pas de notre monde un monde meilleur. N’oublions pas une considération plus vaste, qui a été mentionnée à Doha, mais qui reste très importante, à savoir que la moitié de la population mondiale vit avec moins de 2 $ par jour... Il faut donc veiller à ne pas nous tourner vers des versions limitées du libre-échange qui nous donnent bonne conscience dans un certain contexte et qui nous font oublier que nous empêchons les pays en développement de profiter de la possibilité de prospérer grâce au commerce... Par conséquent, lorsqu’on se demande comment aborder le libre-échange à l’échelle de l’hémisphère et réaliser nos objectifs de libre-échange, il y a lieu de se demander si ce que nous faisons va nous conduire à un système économique international plus solide et meilleur qui servira les intérêts des pauvres gens des pays pauvres35.

Bien qu’il soit d’accord avec les observations du professeur Nye, le Comité ne voit pas pourquoi nous ne pourrions simultanément nous occuper du contexte commercial mondial et du contexte nord-américain. Pour maximiser le potentiel de chacun, il faudra du discernement et de l’esprit d’initiative. De toute évidence, il y a des questions et des enjeux clés — tout comme des différends, certains récents, d’autres de longue
date — qui se sont révélés ou ont évolué au cours des huit premières années de l’ALENA et qu’il faut s’employer à résoudre : ce sont les dossiers en suspens de l’ALENA. Comme l’a indiqué récemment le ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, « nous ne devons cependant pas en rester là. L’heure n’est pas à la complaisance. On dit qu’il y a une grande analogie entre la conduite d’une bicyclette et la négociation des accords commerciaux : si vous n’avancez plus, vous allez tomber. Il en va de même pour notre programme nord-américain36 ».

B.  Prévention et résolution des différends commerciaux

Les différends commerciaux sont le plus souvent le résultat de l’imposition unilatérale de mesures protectionnistes — subventions, droits de douane ou contingents — par un pays s’efforçant de protéger ses propres industries et son économie de la concurrence internationale. L’ALE et l’ALENA devaient prévenir tout protectionnisme unilatéral et supprimer les mesures protectionnistes en vigueur. Théoriquement, l’ALENA interdit toute mesure protectionniste relativement aux échanges entre le Canada, le Mexique et les États-Unis. Cependant, la réalité est tout autre, comme en témoignent les droits de douane punitifs extrêmement élevés que le service des douanes américain perçoit à la frontière canado-américaine auprès des producteurs canadiens de bois d’œuvre résineux.

Un bon nombre des témoins entendus par le Comité ont fait part de leur profonde frustration devant ce qu’ils qualifient de « protectionnisme américain » ou d’« unilatéralisme américain ». Robert Keyes de la Chambre de commerce du Canada a signalé que, lors d’une récente rencontre de la Chambre de commerce internationale à laquelle il participait, les représentants de 82 pays ont unanimement condamné la politique commerciale des États-Unis et ses aspects protectionnistes37. Durant les audiences que nous avons tenues en mars à Mexico, le sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Mexique, Enrique Berruga, a indiqué que le Canada et le Mexique devraient se concerter sur l’attitude à adopter vis-à-vis du protectionnisme américain. Larry Hill, de la Commission canadienne du blé, réclame des sanctions à l’égard des crédits à l’exportation abusifs accordés par les États-Unis et soutient qu’il serait futile de chercher à harmoniser davantage nos économies tant que seront en place les subventions massives aux agriculteurs américains prévues dans le Farm Bill des États-Unis38.

D’autres témoins ont parlé de la protection évidente que confère aux chantiers navals américains la Jones Act, une loi à laquelle les États-Unis n’ont jamais voulu renoncer a précisé Ivan Bernier de l’Université Laval39. Parlant des Américains, qui affirment que les producteurs canadiens de bois d’œuvre résineux bénéficient de subventions, Andrew Wynn-Williams, porte-parole de la chambre de commerce de la Colombie-Britannique, a dit : « […] c’est surtout une question de productivité et de qualité du bois qui rend nos produits beaucoup plus attrayants et moins coûteux. Cette question de subventions qui préoccupe tant les Américains est d’abord et avant tout affaire de part de marché. En fin de compte, tout ce qu’ils veulent, c’est protéger leur part de marché40 ». David Orchard estime quant à lui que l’ALE et l’ALENA protègent en fait davantage les États-Unis des exportations canadiennes en ajoutant un nouveau niveau par-dessus le processus du GATT, ce qui permet aux Américains d’agir en fonction de leurs propres lois sur le commerce41.

Il reste cependant que le protectionnisme existe, et a toujours existé, partout dans le monde. Il est impossible à éviter, surtout dans une démocratie. Joseph Nye a donné un aperçu de son analyse des différends commerciaux entre le Canada et les États-Unis et a expliqué pourquoi un certain degré de protectionnisme est inévitable dans une démocratie :

J’ai été frappé par le nombre de différends commerciaux entourant les pêches, le bois d’œuvre, les questions commerciales et l’eau, des conflits qui existaient déjà à l’époque et qui se poursuivent encore aujourd’hui. Je crois que le protectionnisme en général est endémique à toutes les démocraties. Dans un régime démocratique, les personnes qui se sentent fortement menacées ou préoccupées sont généralement très militantes et mobilisées du point de vue politique, et se tournent vers leur député ou leur membre du Congrès pour que l’on applique davantage de pression. Il s’avère souvent que les producteurs sont mieux organisés que les consommateurs. Il en résulte que les démocraties présentent un certain protectionnisme — c’est l’enfant qui pleure qui a le sein de sa mère42.

Le Comité pense qu’il serait utopique et infiniment frustrant de chercher à éliminer le protectionnisme. Selon lui, la meilleure manière de prévenir et de résoudre les différends commerciaux consiste à veiller à ce que le protectionnisme s’exerce dans le contexte de règles claires où les cas de protectionnisme unilatéral qui font le plus problème et causent le plus de dégâts peuvent être réglés d’une façon directe, juste et rapide.

1.    L’importance d’une démarche continentale reposant sur des règles

[…] parce qu’il est une petite économie, un petit pays, parce qu’il dépend tant du commerce et de l’accès aux marchés étrangers, en particulier au marché américain, le Canada a tout intérêt à ce qu’il existe un système reposant sur des règles grâce auquel nous ne serions pas tributaires de la bonté et de la générosité de notre partenaire commercial mais pourrions invoquer des règles claires, transparentes, ayant force exécutoire et dont le pouvoir décisionnel à caractère définitif serait reconnu par les parties au différend.

Robert K. Rae, « The Politics of Cross Border Dispute Resolution »,
Canada-United States Law Journal, vol. 26, 2000, p. 66.

Lorsque le Canada a entamé la négociation de l’ALE, il s’attendait qu’elle aboutisse à l’établissement d’un système de règlement des différends qui régirait la mise en œuvre de l’accord et offrirait au Canada une façon sûre de contester les mesures protectionnistes des Américains sans craindre d’être victime de la puissance relative considérable des États-Unis43. Par système reposant sur des règles, le Comité entend un système de résolution des différends qui repose sur des décisions contraignantes rendues par un organe indépendant et impartial, par opposition à un système davantage orienté sur la puissance reposant sur la diplomatie et le consensus et bien plus exposé aux influences politiques. Or, dans le système de règlement des différends que le Canada a obtenu lors de la négociation de l’ALE, et plus tard de l’ALENA, repose en partie seulement sur des règles. Certaines des règles ouvrent la porte à une intervention politique si bien que le Canada, et maintenant le Mexique aussi dans l’ALENA, risquent encore de faire les frais des décisions et de la puissance politiques des États-Unis.

Beaucoup de témoins ont réclamé l’établissement d’un système de règles à l’échelle du continent pour le règlement des différends. Reginald Stuart de l’université Mount Saint Vincent a souligné le caractère préventif d’un système reposant sur des règles. D’après lui, « un système fondé sur des règles était la meilleure façon de faire les choses, puisqu’il éliminait au départ un grand nombre de questions. La création d’un système élaboré (tribunaux de l’ALENA, etc.) a mis fin à un grand nombre de différends44 ». Richard Ouellet de l’Institut québécois des hautes études internationales n’a pas mâché ses mots : « Le système de règlement des différends commerciaux entre le Canada et les États-Unis doit bien fonctionner pour que l’intégration fonctionne bien45 ».

Tout en admettant la possibilité d’améliorer le processus de règlement des différends, Brian Crowley de l’Atlantic Institute of Market Studies a soutenu que « le Canada devra toujours tenter de régler les problèmes de commerce en se fondant sur les règles. C’est l’une des raisons principales de la création de l’accord de libre-échange. Sans traité où des règles et des mécanismes de résolution des différends sont établis, on demeure à la merci d’un partenaire plus fort46 ». Don Barry de l’université de Calgary a lui aussi souligné l’inégalité des forces et a ajouté : « Il est de notre intérêt qu’un maximum de nos interactions se déroulent dans un contexte où les problèmes sont réglés sur la base de normes agréées plutôt que sur la base d’un pur rapport de force. En outre, le Canada ne devrait pas hésiter à utiliser ces règles pour contester toute politique commerciale déloyale des États-Unis47. »

Le sous-ministre adjoint du MAECI responsable des Amériques, Marc Lortie, a expliqué que le Mexique sait parfaitement qu’il doit améliorer son système sur le plan des règles s’il veut « attirer des investissements étrangers48 ». Danielle Goldfarb de l’Institut C.D. Howe estime que n’importe quelle structure fondée sur des règles est avantageuse pour le Canada comme pour le Mexique, mais précise qu’elle « plaide toujours pour un cadre axé sur des règles et pour l’élargissement du cadre où nous évoluons actuellement […] Manifestement, le cadre existant n’est pas encore assez solide pour nous permettre de traiter des litiges de longue date et les plus sérieux49 ». L’universitaire américain Robert Pastor a lui aussi recommandé que le Canada réclame l’établissement d’un programme nord-américain d’élaboration de règles et d’institutions :

[…] Le Canada a toujours été en pointe s’agissant d’élaborer des règles et institutions internationales. Or, ce sont précisément elles qui manquent le plus en ce moment en Amérique du Nord. Ce sont elles qui vous prémuniront le mieux contre la puissance américaine. Les États-Unis ne vont pas toujours respecter toutes les règles — nous connaissons l’histoire — mais dans l’ensemble ils acceptent les institutions et les règles. Donc, si je me mets à votre place, je ne comprends pas pourquoi vous laisseriez le champ libre à la puissance brute. Pourquoi ne pas tirer parti de votre plus grande force, soit la création de règles et d’institutions50?

Les témoins ont aussi mis en garde le Canada contre la tentation de conclure des arrangements ponctuels — en particulier avec les États-Unis — en dehors d’un cadre fondé sur des règles. Mme Goldfarb estime qu’une telle « approche ponctuelle » convient dans le cas des examens par les groupes spéciaux binationaux constitués aux termes du chapitre 19, de « l’application abusive des lois américaines prévoyant des recours en matière de commerce », mais qu’elle ne constitue pas « une vision stratégique de la façon dont le Canada entrevoit les relations nord-américaines à l’avenir51 ». Quant à Louis Bélanger de l’Institut québécois des hautes études internationales, il a résumé en ces termes un thème souvent abordé :

Je pense qu’il faut d’abord résister à l’envie de traiter chaque problème de coopération sur une base ad hoc avec les Américains, ce qu’ils vont inévitablement tenter de faire avec nous dans le domaine de l’économie et de la sécurité. Donc, il faut essayer de résister à la tentation d’établir avec eux des règlements rapides de litiges au prix du sacrifice d’avantages futurs. Comme on le voit bien dans le cas du bois d’œuvre résineux et dans le cas du périmètre de sécurité, les Américains nous amènent à négocier des arrangements ad hoc, des arrangements non institutionnels, des arrangements hors ALENA, des arrangements hors accords institutionnels. Je crois que la tentation est souvent grande d’en arriver à des compromis rapides avec les Américains, parce qu’il y a des gains économiques à court terme qui sont pressants pour nous. Mais je crois qu’accepter cette logique équivaut à accepter une logique qui est perdante pour le Canada52.

Le Comité convient que le Canada doit chercher la solution aux différends commerciaux dans des mécanismes et des institutions fondés sur des règles. Le déséquilibre des forces au sein de l’ALENA place le Canada et le Mexique dans une position nettement désavantageuse dans toute négociation avec les États-Unis en dehors d’une infrastructure fondée sur des règles.

Recommandation 15

Le gouvernement du Canada devrait résister à la tentation d’essayer de marquer des points à court terme en acceptant des solutions réflexes et ponctuelles à ses différends commerciaux avec ses partenaires de l’ALENA. Les différends commerciaux devraient dans la mesure du possible, être réglés par la voie de mécanismes institutionnels fondés sur des règles, et le gouvernement devrait s’efforcer d’améliorer et d’étendre ces mécanismes à l’échelle du continent.

2.    Les mécanismes actuels de règlement des différends de l’ALENA

Les principales dispositions de l’ALENA relatives au règlement des différends sont de quatre ordres :

 §les dispositions du chapitre 11 sur le règlement des différends entre investisseurs et États par la voie de l’arbitrage;
 §les dispositions du chapitre 19 sur l’établissement de groupes spéciaux binationaux chargés d’examiner les droits antidumping et les droits compensateurs;
 §les dispositions du chapitre 20 sur la procédure de règlement des différends entre États;
 §les dispositions contenues dans les accords parallèles sur la procédure de règlement des différends dans les domaines de l’environnement et du travail53.

Dans le présent chapitre, on abordera tour à tour le chapitre 11, le chapitre 19 et les systèmes concernant les questions d’environnement et les questions de travail. On traite d’abord du chapitre 20 parce qu’il constitue le processus de règlement des différends utilisé dans l’interprétation générale de l’ALENA et le mécanisme employé par défaut pour les différends qui n’appartiennent pas à une ou l’autre des catégories particulières.

Les mécanismes de règlement des différends jouent un rôle dissuasif de premier plan. Leur existence même devrait suffire à prévenir les différends. Évidemment, ils ne peuvent avoir de valeur préventive que s’ils sont perçus comme étant exécutoires et le sont dans les faits, faute de quoi le mécanisme perd sa crédibilité. Or, les mécanismes prévus au chapitre 20 ne sont pas exécutoires, c’est-à-dire qu’ils n’aboutissent pas à des décisions contraignantes pour les parties.

Quand surgit un différend, la première étape consiste en des consultations entre les parties54. Si celles-ci échouent, il y a ensuite rencontre de la Commission de l’ALENA, un organe politique composé de ministres (ou de leurs délégués) représentant chacune des parties55. Avec cette étape, on entre de plain-pied dans le monde de la démocratie et des rapports de force, ce qui fait immédiatement dérailler le système censé reposer sur des règles. Si la Commission de l’ALENA n’arrive pas à trouver de solution, une des parties demande la constitution d’un groupe spécial arbitral56. Le groupe spécial est composé de personnes indépendantes, spécialistes du commerce international, de chacun des pays concernés. Après audition des parties, il produit un rapport contenant des recommandations qui ne sont pas immédiatement contraignantes. Ainsi, la décision finale demeure entre les mains des parties et est exposée aux forces de la diplomatie et du pouvoir.

Des analystes résument ainsi ces défauts du système :

Dans une large mesure, les parties sont donc forcées de participer au règlement de leurs propres différends dans la mesure où les négociations qui interviennent entre elles après la parution du rapport arbitral jouent un rôle déterminant dans l’issue du différend. Elles doivent en effet s’entendre sur une solution mutuellement satisfaisante, « laquelle devra normalement être conforme aux déterminations et aux recommandations du groupe spécial » (paragraphe 2018(1) de l’ALENA [c’est nous qui soulignons]). Ce sont donc les parties au différend qui, en dernière analyse, déterminent l’issue du problème, la Commission ne jouant aucun rôle à ce stade […] Concrètement, […] les parties se servent du rapport du groupe spécial comme base de négociation, le rapport marquant alors le début de nouvelles négociations et non le terme du différend. En conséquence, le règlement final du différend relève davantage de négociations bilatérales — entre les parties concernées — que d’un processus organisé logique. Il est donc le fait de la partie la plus forte laquelle, en l’absence de mécanisme d’appel ou d’examen de la solution convenue, est à peine liée par le rapport du groupe spécial. Cette particularité du mécanisme de règlement des différends nord-américain constitue probablement le principal facteur d’ordre structurel qui en explique la perméabilité au facteur politique.

La faiblesse du processus de règlement des différends de l’ALENA tient aussi au caractère non exécutoire des recommandations du groupe spécial. En effet, les recommandations du groupe spécial, comme celles de la Commission, ne sont pas contraignantes pour les États-Unis, le Canada ou le Mexique. Cette absence de force exécutoire touche non seulement le rapport final du groupe d’arbitrage mais aussi, indirectement et dans une certaine mesure, la solution négociée par les parties au différend57.

Il est important de noter que le processus de règlement des différends de l’OMC, énoncé dans le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends58, ne présente pas de tels défauts. Les différends sont réglés par l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC, lequel est composé de tous les membres de l’Organisation et choisit les groupes spéciaux au cas par cas59. Les membres des groupes spéciaux ne peuvent pas être des ressortissants de l’un ou l’autre pays partie au différend, ce qui caractérise le processus d’arbitrage par des tiers de l’OMC. Il n’y a nulle part à l’OMC l’équivalent de la Commission de l’ALENA, de nature politique, et qui permet aux parties à l’ALENA de jouer un rôle direct dans la résolution des différends qui les concernent. Comme l’a noté William Kerr, sous le régime de l’OMC, « l’étape de la mise en œuvre n’est pas politisée. En bref, le processus général de règlement des différends de l’ALENA est moins transparent que celui de l’OMC et accroît de ce fait les risques que présentent des investissements dans des activités internationales pour les entreprises du Canada et du Mexique60 ».

En outre, les rapports des groupes spéciaux de l’Organe de règlement des différends sont contraignants pour les parties concernées61, contrairement à ce que l’on observe dans le cas du chapitre 20 de l’ALENA où les recommandations du groupe spécial peuvent simplement déboucher sur d’autres négociations entre les parties, négociations exposées à des considérations politiques. La voie de l’OMC n’est pas qu’un beau rêve. En effet, l’article 2005 de l’ALENA prévoit que les différends qui ressortissent à la fois au chapitre 20 de l’ALENA et au GATT « pourront être réglés selon l’un ou l’autre instrument, au gré de la Partie plaignante62 ».

Les observations les plus pertinentes relativement à la révision du chapitre 20 ont été formulées par Antonio Ortíz Mena, du Centro de Investigación y Docencia Económicas, durant les audiences que le Comité a tenues en mars 2002 à Mexico :

Il faut donner force exécutoire aux décisions rendues aux termes du chapitre 20. Actuellement, les groupes spéciaux doivent se contenter de formuler des recommandations, mais la souplesse du processus général de règlement des différends constitue maintenant davantage un handicap qu’un atout, situation injustifiable puisque les décisions des groupes spéciaux de l’OMC sont désormais exécutoires. On pourrait opérer un changement en ce sens par la voie d’un mémorandum ou d’un protocole signé par les dirigeants des trois pays sans devoir pour autant renégocier l’ALENA63.

Le Comité est du même avis. Un mécanisme de règlement des différends doit pouvoir régler le différend et non servir simplement à formaliser des négociations à l’intérieur d’une structure fondée en partie seulement sur des règles. Il est hypocrite de qualifier ce type de structure de mécanisme efficace et exécutoire de règlement des différends. Le Comité espère qu’en faisant cause commune et en prenant pour exemple le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends de l’OMC, le Canada et le Mexique pourront convaincre les États-Unis de remédier aux lacunes du chapitre 20 que nous venons de décrire. Il importe en particulier, pour garantir un plus grand degré de certitude et pour éviter une politisation indue du processus de règlement des différends, de rendre automatiquement exécutoires les rapports des groupes spéciaux arbitraux et d’accroître la transparence du processus. S’il était impossible d’obtenir ces changements, le Canada, et le Mexique s’il le souhaite, devrait porter les différends afférents au chapitre 20 de l’ALENA devant le mécanisme de règlement des différends de l’OMC chaque fois que cela est possible.

Recommandation 16

Le gouvernement du Canada devrait s’entendre avec le Mexique pour amener les État-Unis à accepter d’améliorer les règles qui sont à la base du mécanisme général de règlement des différends du chapitre 20 de l’ALENA. Il faut rendre exécutoires les rapports finaux des groupes spéciaux arbitraux. S’il s’avérait impossible de procéder à ce changement, le gouvernement du Canada devrait s’efforcer d’exploiter au maximum les mécanismes multilatéraux de règlement des différends de l’OMC pour régler les différends qui ressortissent au chapitre 20 de l’ALENA.

De plus, le gouvernement devrait s’efforcer d’accroître la transparence du processus de règlement des différends en rendant publics tous les documents relatifs à un différend, sans causer un préjudice aux enterprises en cause. Il devrait également ouvrir davantage le processus en ne limitant pas la participation aux seuls pays membres de l’ALENA, mais en acceptant les tierces parties, par exemple les provinces, les organisations non gouvernementales et d’autres.

3.    Le spectre des lois sur les sanctions commerciales et la procédure par groupe spécial binational prévue au chapitre 19 de l’ALENA

Dans un discours qu’il prononçait récemment devant le Canadian-American Business Council, le ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, a déclaré que l’un des objectifs visés par les efforts déployés pour bâtir une Amérique du Nord améliorée consiste à « mieux adapter la pratique des recours commerciaux à l’intégration croissante de l’espace économique commun en Amérique du Nord64 ».

Ce qui a surtout poussé le Canada à conclure l’ALE, qui le forçait à renoncer à une bonne part de sa souveraineté, c’est la perspective d’un accès sans entrave au marché américain. La pierre angulaire de cette stratégie consistait à obtenir pour le Canada une exemption de l’application des sanctions commerciales américaines — en particulier les droits antidumping et les droits compensateurs — prévues dans les lois américaines sur le commerce. Or, un survol de la négociation de l’ALE à la fin des années 1980 montre clairement en quoi l’accès qu’a obtenu le Canada — et plus tard le Mexique dans le contexte de l’ALENA — au marché américain était loin d’être sûr et sans entrave. Il s’agit peut-être là du plus important dossier en souffrance de l’ALENA.

Les négociateurs américains ont carrément refusé l’exemption demandée parce qu’ils étaient convaincus que les produits canadiens étaient subventionnés et que les producteurs américains avaient besoin de la protection de la loi américaine sur les droits antidumping et les droits compensateurs65. Les Américains étaient si butés sur cette question que les négociations auraient échoué si le Canada avait insisté. Les négociateurs canadiens ont alors proposé de substituer les lois sur la concurrence
aux droits antidumping dans le contexte de l’ALE et la négociation d’un code de subvention — comportant notamment une définition de ce qui constitue une subvention —, afin de réduire le recours à des droits compensateurs66. Ces propositions n’ont pas eu d’écho, les Américains étant déterminés à ne pas aller au-delà des règles du GATT de l’époque et à conserver leurs lois sur les recours commerciaux67. Le gouvernement américain a contesté avec véhémence les affirmations des Canadiens voulant que les recours commerciaux des États-Unis soient par nature « politisés » du fait qu’ils sont déterminés exclusivement dans des institutions américaines — mais pour faire débloquer les négociations, les États-Unis ont proposé une solution provisoire où l’examen judiciaire courant des droits compensateurs et des droits antidumping par les tribunaux américains serait remplacé par un examen par des groupes spéciaux binationaux composés de spécialistes du commerce international des deux pays68.

Durant la négociation de l’ALENA, le Mexique a cherché, comme le Canada dans l’ALE, à obtenir un accès « sûr » au marché américain — et au marché canadien — et s’est donc battu ferme pour participer au mécanisme de règlement des différends par groupe spécial binational. Cela lui a été accordé à la condition qu’il révise ses lois sur le commerce international et ses processus d’examen administratif pour rendre ceux-ci plus explicites et transparents et plus proches des lois canadiennes et américaines69. Ainsi, le système des groupes spéciaux bilatéraux a été intégré au chapitre 19 de l’ALENA, en grande partie sous la forme qu’il avait dans l’ALE. Pour le Canada, le simple statu quo était en soi une victoire importante. Certains politiques américains voyaient dans le système de groupes spéciaux binationaux une atteinte inacceptable à la souveraineté américaine et des pressions considérables ont été exercées au Congrès pour atténuer ou complètement supprimer le processus prévu au chapitre 1970.

Le système de groupes spéciaux binationaux prévu au chapitre 19 a toujours suscité de nombreux commentaires — nos audiences n’ont pas fait exception — et joue un rôle crucial dans plusieurs différends importants, notamment dans ceux qui concernent le bois d’œuvre résineux, les subventions à l’agriculture et l’acier. Plus de 80 % des différends afférents à l’ALENA concernent les droits compensateurs et les droits antidumping et relèvent donc du chapitre 19.

Il est indéniable que le chapitre 19 a permis d’éviter de nombreuses mesures protectionnistes en Amérique du Nord. On en donne d’ailleurs des preuves dans le plus récent numéro de la série des Commentaires de l’Institut C.D. Howe intitulée « The Border Papers ». L’article en question, de l’avocat de Washington Patrick Macrory spécialisé en commerce international, et intitulé « NAFTA Chapter 19: A Successful Experiment in International Trade Dispute Resolution », défend la thèse selon laquelle le chapitre 19 « a permis de réprimer efficacement ce que les Canadiens qualifient d’excès de zèle de la part des autorités américaines dans l’application des dispositions législatives relatives aux droits compensateurs et aux droits antidumping71 ». M. Macrory note que, « abstraction faite du bois d’œuvre résineux, six produits canadiens seulement sont actuellement l’objet d’ordonnances de droits compensateurs ou de droits antidumping et que, dans la plupart des cas, le volume d’échanges est relativement faible et les droits courants bas72 ». Il souligne également que, « depuis l’institution de l’ALENA, les importations en provenance du Canada et du Mexique ont fait l’objet de bien moins d’enquêtes et d’ordonnances que les importations en provenance des autres parties du monde, peut-être en raison de l’intégration croissante des économies de ces deux pays avec l’économie américaine73 ».

Un des aspects fondamentaux du système de règlement des différends du chapitre 19 réside dans le fait que les groupes spéciaux binationaux ne créent ni n’appliquent de nouvelles dispositions législatives, non plus qu’ils n’appliquent de règles juridiques de fond trilatérales sur les droits compensateurs ou les droits antidumping (ces règles n’existent pas) : ils se contentent de revoir l’application des lois nationales du pays importateur pour s’assurer qu’elles sont correctement appliquées74. Ainsi, dans le cas des attaques menées par les États-Unis contre la politique canadienne, le groupe spécial examinerait les mesures prises par les organismes du gouvernement américain pour en vérifier la conformité aux lois américaines sur le commerce.

Un autre aspect clé réside dans l’article 1903 de l’ALENA, lequel prévoit que si une partie apporte des modifications à sa législation sur les droits compensateurs ou les droits antidumping et si ces modifications affectent une autre partie, cette dernière peut demander que les modifications en question soient renvoyées à un groupe spécial binational pour en obtenir un avis déclaratoire sur la conformité des modifications aux objectifs de libre-échange de l’ALENA ou aux dispositions du GATT et à l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC. L’existence de cette disposition est particulièrement pertinente dans le contexte des différends relatifs au bois d’œuvre résineux (on trouvera à l’encadré 2 un aperçu du différend et des cas particuliers).

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Le bois d’œuvre résineux canadien approvisionne le tiers du marché américain et représente à l’heure actuelle 10 milliards de dollars d’exportations annuelles pour le Canada. Le différend au sujet du bois d’œuvre résineux remonte au début des années 1980, le principal problème tenant aux droits de coupe que perçoivent les gouvernements provinciaux auprès des compagnies forestières privées contre le droit d’exploiter les ressources forestières situées sur les terres provinciales. Les Américains considèrent que ces droits sont trop faibles et constituent donc en fait une subvention.

Environ 94 % des forêts canadiennes appartiennent à l’État et font l’objet d’une abondante réglementation forestière. Aux termes du mode de faire-valoir répandu au Canada, les provinces donnent aux sociétés privées accès aux ressources forestières contre paiement de droits de coupe provinciaux et promesse d’assurer la gestion de la ressource. Par contre, aux États-Unis, près de 70 % des forêts (à l’origine de 90 % de la récolte annuelle de bois) appartiennent à des intérêts privés et environ 42 % des terres forestières sont assujetties à une réglementation similaire à la réglementation canadienne.

L’industrie américaine du bois de sciage — dirigée par un lobby puissant, la U.S. Coalition for Fair Lumber Imports — et les groupes de protection de l’environnement et les groupes autochtones des Premières nations affirment que le système canadien de faire-valoir et les pratiques de gestion forestières des administrations provinciales confèrent à l’industrie forestière des subventions déloyales. Ils soutiennent que les droits de coupe ne reflètent pas la juste valeur marchande du bois vendu et ont donc pour effet de fausser le marché puisqu’ils rendent le bois moins cher à couper qu’il ne le serait dans un système où les droits de coupe dépendraient des forces du marché. Ils affirment en outre que les gouvernements renoncent à des recettes substantielles au chapitre de la gestion forestière en fixant les droits de coupe à un niveau inférieur au niveau du marché.

En revanche, les gouvernements fédéral et provinciaux et les compagnies forestières canadiennes soutiennent que les pratiques actuelles d’établissement du prix du bois d’œuvre ne génèrent pas de subvention pour l’industrie forestière. Ils affirment que les droits de coupe imposés constituent non pas une subvention mais une taxe et que les recettes ainsi générées couvrent les coûts associés à la gestion commerciale des ressources forestières et au-delà. En outre, ils sont d’avis que le système de faire-valoir de la forêt au Canada est tout simplement différent du système américain et que les différences entre les deux systèmes sont accentuées par les importants contrastes dans la distribution relative des forêts entre les intérêts privés et les intérêts publics entre les deux pays.

Il est bien difficile de suivre les nombreux recours juridiques suscités par ce différend depuis 20 ans, et ce en dépit des articles nombreux publiés régulièrement dans les média à ce sujet. On trouvera ci-dessous une liste des principales affaires — chacune ayant commencé par une enquête du département américain du Commerce, suivie d’une décision — et une courte description de leur déroulement dans le contexte de l’ALENA et de l’OMC (les affaires sont identifiées par des chiffres romains par commodité) :

 Bois d’œuvre résineux I (Certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, 48 Fed Reg 24, 159 [1983]). Le département américain du Commerce statue que les droits de coupe provinciaux ne constituent pas une subvention.
 Bois d’œuvre résineux II (Certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, 51 Fed Reg 37, 483 [1986]). Le département américain du Commerce rend une détermination préliminaire voulant que les droits de coupe provinciaux constituent une subvention, mais le problème devient caduc à la suite d’un protocole d’entente canado-américain où le Canada s’engage à imposer des droits de 15 % sur les exportations à destination des États-Unis.
 Bois d’œuvre résineux III (Certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, 57 Fed Reg 22, 570 [1992]). Le département américain du Commerce statue que les droits de coupe provinciaux et les restrictions à l’exportation de grumes constituait des subventions. Cette décision est renversée par un groupe spécial binational constitué aux termes du chapitre 19 : Certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, USA-92-1904-01 (1993). La décision du groupe spécial est maintenue par un comité de contestation extraordinaire constitué aux termes du chapitre 19 : Certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, ECC-94-1904-01USA (1994).
 Bois d’œuvre résineux IV (Certains produits de bois d’œuvre résineux du Canada, 67 Fed Reg 15, 545 [2 avril, 2002] et 67 Fed Reg 15, 539 [April 2, 2002]). Le département américain du Commerce statue que les droits de coupe provinciaux constituent une subvention et que le Canada fait du dumping aux États-Unis. Ces décisions font l’objet d’un appel devant des groupes spéciaux binationaux constitués aux termes du chapitre 19 et de l’Organe de règlement des différends de l’OMC.

Principales sources : Patrick Macrory, « NAFTA Chapter 19: A Successful Experiment in International Trade Dispute Resolution », Commentaire no 168, Institut C.D. Howe, Toronto, septembre 2002; page Web intitulée « Démarches juridiques entreprises par le Canada » dans la section du bois d’œuvre résineux du site du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (www.dfait-maeci.gc.ca/~eicb/softwood/legal_action-fr.asp).

En 1994, les États-Unis ont perdu une autre de leurs nombreuses contestations des politiques de prix et d’attribution du bois d’œuvre canadien dans le système de groupes spéciaux binationaux de l’ALE. Suite à la décision de ce groupe en faveur du Canada, rendue au moment même où les États-Unis s’apprêtaient à adopter leur législation de mise en œuvre de l’OMC, le gouvernement américain a profité de l’occasion pour modifier sa législation sur les recours commerciaux pour renverser les aspects les plus controversés de la décision du groupe spécial binational. Le Canada a critiqué cette législation sur le plan de la mise en œuvre des résultats du cycle d’Uruguay des négociations commerciales mais, fait étonnant, n’a pas invoqué l’article 1903 de l’ALENA et demandé d’avis déclaratoire sur la conformité des modifications aux règles du commerce international. Selon certains analystes, cela témoigne de la faiblesse des règles afférentes au chapitre 19, le Canada ayant peut-être craint qu’un avis déclaratoire d’un groupe spécial ne compromette les relations canado-américaines dans l’avenir et que les États-Unis ne le respectent pas de toute façon75.

Avant l’ALE, les différends quant aux droits compensateurs ou aux droits antidumping émanant des États-Unis étaient réglés par les organismes américains et les seuls recours internes consistaient à faire revoir les décisions du gouvernement par les tribunaux nationaux des États-Unis. Les groupes spéciaux binationaux prévus au chapitre 19 remplacent maintenant cette procédure d’examen judiciaire. Le groupe spécial étudie le dossier et décide si la détermination finale de l’organisme public concerné est étayée par les faits et est conforme aux lois nationales. Il importe de noter que seules les déterminations finales des organismes américains en matière de droits compensateurs et de droits antidumping peuvent faire l’objet d’un examen par un groupe spécial binational, ce qui pose des problèmes au Canada.

Par exemple, le 9 août 2001, le département américain du Commerce a rendu une détermination préliminaire de subvention dans sa plus récente enquête sur le bois d’œuvre résineux canadien76. Se fondant sur cette détermination préliminaire, les États-Unis ont commencé à percevoir à la frontière des droits compensateurs sur le bois d’œuvre résineux en provenance du Canada le 4 septembre 2001, avec effet rétroactif au 17 mai 2001. Cependant, la détermination finale du département américain du Commerce n’a été publiée que le 2 avril 2002 et ce n’est qu’alors que le Canada a pu demander qu’un groupe spécial binational de l’ALENA revoie la décision. Ainsi, les producteurs canadiens ont dû payer des droits compensateurs pendant près d’un an avant que le processus d’examen par un groupe spécial binational ait même commencé. Quand un membre du Comité lui a demandé comment les producteurs canadiens s’y prenaient pour récupérer leur argent, Bob Flitton de Doman Industries Limited a répondu : « Comment récupérer cet argent? Nous ne le récupérerons pas. […] Nous devrions pouvoir le récupérer, mais il nous sera impossible de le faire77 ».

Recommandation 17

Lorsqu’un groupe spécial bilatéral de l’ALENA constate que la détermination finale d’un organe gouvernemental aboutissant à l’imposition de droits antidumping ou de droits compensateurs est erronée, les droits acquittés devraient être remboursés à l’exportateur étranger, par le pays qui a perçu les droits. Le gouvernement du Canada devrait donc proposer à ses partenaires de l’ALENA d’établir un système officiel de remboursement des droits ainsi payés avec effet rétroactif à la date fixée dans la décision préliminaire ou la décision finale d’imposition des droits en question.

C’est encore la législation nationale qui est appliquée aux termes du chapitre 19, mais le processus des groupes spéciaux binationaux était censé être plus transparent — puisque chaque pays fournit des membres du groupe — et aussi plus rapide puisqu’il est précisé au chapitre 19 qu’un groupe spécial binational doit rendre une décision finale dans les 315 jours de la date où la demande de constitution d’un groupe spécial est déposée78. Les groupes spéciaux sont composés de cinq personnes choisies parmi une liste de candidats dont au moins 25 sont choisis par chaque pays et dont la majorité doivent être des avocats ou des juges en exercice ou à la retraite79. Chaque pays partie au différend choisit deux membres; le cinquième membre est choisi par ces derniers, en général en alternance d’un pays à l’autre, de différend en différend. Le groupe spécial ne peut étudier que le dossier administratif qui lui est soumis et doit s’en remettre à la norme d’examen de la loi nationale concernée. Si les décisions du groupe sont exécutoires pour les parties au différend, elles ne font pas jurisprudence et ne peuvent pas servir de précédent d’application obligatoire dans d’autres affaires. Les groupes spéciaux peuvent maintenir, renverser ou renvoyer les déterminations des autorités nationales. On peut en appeler de la décision d’un groupe spécial devant un comité de contestation extraordinaire, mais seulement pour grave atteinte à la procédure de la part du groupe spécial ou d’un de ses membres80. En outre, le comité de contestation extraordinaire ne peut pas casser une décision sauf s’il constate une erreur de procédure qui « a sensiblement influé sur la décision du groupe spécial et menace l’intégrité du processus d’examen binational81 ».

Alors, est-ce que le processus d’examen par un groupe spécial binational fonctionne? Outre l’opinion favorable de Patrick Macrory citée précédemment, les avis formulés au sujet du chapitre 19 au Comité étaient dans l’ensemble assez encourageants. Mme Goldfarb de l’Institut C.D. Howe estime que ce mécanisme « a permis de contrôler l’application abusive des lois américaines prévoyant des recours en matière de commerce. Bon nombre d’experts ont signalé que les décisions rendues dans le cadre du mécanisme prévu au chapitre 19 étaient davantage fondées sur le droit que sur la politique82 ». Laura Macdonald de l’université Carleton ne pense pas que le Canada a de grandes chances d’obtenir un meilleur mécanisme dans le contexte nord-américain « et ce, du fait que les États-Unis sont dominants en Amérique du Nord, c’est la puissance hégémonique de la région qui ne souhaite évidemment pas établir des mécanismes plus adéquats ou remettre en question des problèmes comme ceux du bois d’œuvre résineux qui sont plus délicats [sur le] plan politique. J’aurais tendance à croire […qu’] il vaudrait mieux se fier aux mécanismes de l’OMC, plutôt que d’attendre la définition d’un nouveau processus en Amérique du Nord83 ». D’autres personnes aussi ont recommandé de compter davantage sur les mécanismes de l’OMC, mais Donald MacKay, qui a été un des négociateurs de l’ALENA pour le Canada et qui travaille actuellement à la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL), a comparé les processus de l’OMC et de l’ALENA et fait ressortir l’incomparable efficacité du second :

[…] lorsqu’il s’agit de discuter de mécanismes de résolution des différends, vous dites essentiellement que les gouvernements ou pays renoncent volontairement à une petite part de souveraineté en ce qui concerne leur capacité de décider unilatéralement à l’interne. Le chapitre 19 a en quelque sorte « multilatéralisé » ce phénomène, si je puis m’exprimer ainsi, l’étendant aux trois parties concernées par la voie des groupes spéciaux binationaux. Il n’existe rien d’analogue à l’OMC au sujet des droits antidumping et des droits compensateurs. Les négociations du cycle d’Uruguay ont certes mis à jour le mécanisme de résolution des différends au sein de l’OMC, mais quand on prend en compte le calendrier, le facteur coût et d’autres facteurs, on constate que le mécanisme de l’ALÉNA est plus rapide. Bien qu’aux yeux de plusieurs, il demeure trop lent, c’est ce qu’il y a de plus rapide au niveau multilatéral. Il peut évidemment être amélioré mais il faudrait que les responsables politiques s’y engagent84.

On a affirmé au Comité que la seule manière de vraiment remédier aux lacunes du processus prévu au chapitre 19 consiste à trouver un moyen d’échapper aux visées protectionnistes des lois américaines sur les droits antidumping et les droits compensateurs. Don Barry de l’université de Calgary estime que le processus de règlement des différends fonctionne « raisonnablement bien85 ». Le vrai problème, dit-il, réside dans l’absence de lois commerciales uniformes. Michael Bradfield de l’université Dalhousie pense pour sa part que c’est bien beau d’avoir « accès à des mécanismes de résolution de conflits qui nous permettent de dire si, oui ou non, ils appliquent correctement leurs lois, mais cela ne les empêche pas d’adopter des lois anti-libre-échange, qui sont actuellement à l’étude et qu’ils sont tout à fait prêts à étudier de nouveau86 ». Pour lui, la solution serait que les États-Unis « adaptent leurs lois nationales au libre-échange ». De même, Stephen Clarkson considère que l’échec de l’ALE et de l’ALENA tient au fait que le Canada, et le Mexique dans le second cas, n’ont pas obtenu d’exemption de l’application des lois américaines sur les droits antidumping et les droits compensateurs87.

Si le système de groupes spéciaux binationaux prévu au chapitre 19 est à de nombreux égards un système de règlement des différends fondé sur des règles, il repose cependant sur un ensemble hybride de lois qui relèvent du droit substantiel : les lois nationales du Canada, des États-Unis et du Mexique sur les droits compensateurs et les droits antidumping. En outre, si les règles fonctionnent la plupart du temps, ce sont les différends très politisés concernant des intérêts économiques majeurs — comme le différend relatif au bois d’œuvre résineux — qui font ressortir les lacunes du système prévu au chapitre 19 et l’inévitable influence des motivations d’ordre politique. Le Comité souscrit au recours au processus de l’ALENA — et à celui de l’OMC dans les cas appropriés — mais il est persuadé que la meilleure manière de prévenir et de régler les différends consiste à établir un ensemble de règles unique sur les droits compensateurs et les droits antidumping valable dans toute l’Amérique du Nord.

Durant les négociations de l’ALENA, il était entendu que le système des groupes spéciaux binationaux serait une mesure temporaire en vigueur pendant cinq à sept ans en attendant l’élaboration d’un nouveau régime unique de droits compensateurs et de droits antidumping88. En outre, l’article 1907 de l’ALE enjoint aux parties de constituer un groupe de travail chargé d’élaborer des disciplines et des règles plus efficaces concernant l’utilisation des subventions gouvernementales de même qu’un nouvel ensemble de règles concernant la fixation de prix inéquitables et les subventions gouvernementales. Or, rien n’a été accompli. Le système de groupes spéciaux bilatéraux est devenu permanent sous le régime de l’ALENA. Le groupe de travail a été dissout et les parties sont convenues de tenir des consultations générales régulières sur un nouveau régime de droits antidumping et de droits compensateurs. Le Comité est d’avis que le gouvernement du Canada devrait promouvoir activement de telles consultations en vue d’amener les États-Unis et le Mexique à collaborer à l’élaboration d’un régime nord-américain de droits antidumping et de droits compensateurs.

Nous savons très bien que ces consultations pourraient ne pas aller très loin compte tenu de la tendance protectionniste du gouvernement actuel des États-Unis. Et nous pensons, comme M. Macrory le dit dans son étude du chapitre 19, qu’il pourrait être illusoire d’espérer même des progrès modestes à ce chapitre dans le climat actuel. Cependant, nous estimons cependant important de maintenir la question à l’avant-scène dans l’esprit des décideurs et de l’aborder directement chaque fois que l’occasion s’en présente.

Recommandation 18

Le Comité souscrit au recours à la procédure d’examen par groupe spécial binational prévue au chapitre 19 de l’ALENA — et, au besoin, au mécanisme de règlement des différends de l’OMC — et recommande que le gouvernement du Canada continue d’exploiter toutes les voies légales qui s’offrent à lui pour le règlement satisfaisant des différends commerciaux actuels, en particulier dans le cas du différend concernant le bois d’œuvre résineux.

Recommandation 19

S’inspirant des négociations similaires actuellement en cours à l’OMC, le gouvernement du Canada devrait activement mener des consultations avec le Mexique et les États-Unis aux termes de l’article 1907 de l’ALENA en vue d’instituer un régime unique de droits compensateurs et de droits antidumping à l’échelle de l’Amérique du Nord.

4.    Lier ou ne pas lier?

La question de savoir s’il est opportun de lier des secteurs commerciaux — par exemple de se servir du secteur des ressources énergétiques comme moyen de pression dans le différend au sujet du bois d’œuvre résineux — a été abordée par plusieurs témoins. Elle a été soulevée le plus souvent au sujet du différend concernant le bois d’œuvre résineux par certaines des parties concernées, comme John Allan, président du B.C. Lumber Trade Council, qui demandent que le Canada lie ses échanges avec les États-Unis dans le secteur du bois d’œuvre résineux à ses exportations d’autres produits en vue de résoudre cet âpre différend89.

Il reste que la plupart des témoins hésitent à franchir le pas. Le professeur Don Barry de l’université de Calgary pense que les possibilités de compromis avec les États-Unis sont extrêmement limitées dans le contexte de la « guerre contre le terrorisme » qui, couplée à « un point de vue très étroit et circonscrit de ce qui constitue les intérêts américains » montre que « ce sont les politiques américaines intérieures qui détermineront le résultat de toute une gamme de questions économiques qui sont contestées entre le Canada et les États-Unis actuellement90 ». Joseph Nye de l’université Harvard a mis l’accent sur la réalité sous-jacente constante du déséquilibre des forces au sein de l’ALENA :

Je me méfierais donc quelque peu de la solidarité automatique, parce que l’on peut décider de lier le gaz ou l’eau à tel autre produit, et puis les Américains décideront peut-être de lier ce produit à quelque chose d’encore plus important. Ainsi, avant d’inclure tout cela dans le même paquet, vous devriez vous demander si c’est la meilleure stratégie pour le Canada. Je soupçonne que vous répondrez par la négative91.

On nous a aussi fortement mis en garde contre la tentation de lier des secteurs commerciaux comme forme de rétorsion. Le professeur George MacLean de l’université du Manitoba estime que la politique intérieure américaine joue un trop grand rôle dans les rapports canado-américains — qu’il a qualifiés de « ténus » — pour se risquer à recourir à cette solution92. Prenant comme exemple le différend sur le bois d’œuvre résineux, il a fait remarquer que

[l]e Canada prendrait de très gros risques en se servant d’un secteur où les relations sont harmonieuses, comme celui du gaz, pour prendre des mesures de représailles contre les États-Unis, surtout s’ils étaient disposés à ne pas respecter les décisions de l’OMC ou celles du tribunal de l’ALENA au sujet du bois d’œuvre résineux pour des raisons strictement politiques. S’ils sont prêts à agir ainsi en ce qui concerne ce secteur, que ne seraient-ils pas prêts à faire dans d’autres?

De même, Donald MacKay de la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL) a dit que pour « un pays aussi axé sur le commerce que le Canada […] la méthode des représailles […] fini[rai]t par nous nuire au lieu de nous aider93. »

Le Comité partage ce point de vue. La solidarisation des secteurs commerciaux comme moyen de règlement ou de rétorsion est un recours simplement trop risqué compte tenu de l’évident déséquilibre des forces entre le Canada et le Mexique et les États-Unis. Dans l’élaboration de stratégies prudentes et efficaces pour contrer les mesures protectionnistes des États-Unis, le Canada doit donc se concentrer sur la recherche de solutions individuelles à chaque différend à l’intérieur d’un cadre fondé sur des règles.

Recommandation 20

Généralement, le gouvernement du Canada devrait éviter de lier des secteurs commerciaux différents comme stratégie de résolution des différends ou de rétorsion. Le Canada devrait chercher à résoudre chaque différend indépendamment des autres, dans le contexte d’un cadre fondé sur des règles.

C.  La controverse autour du chapitre 11 de l’ALENA

Le « chapitre 11 » est une expression bien connue aux États-Unis : on y a recours pour obtenir la protection des tribunaux en vue d’éviter une faillite imminente. Or, dans l’Accord de libre-échange nord-américain — l’ALENA — le chapitre 11 a un autre sens. C’est la partie de l’ALENA qui traite de la protection des investisseurs étrangers du Canada, du Mexique et des États-Unis lorsqu’ils investissent dans un des autres pays membres de l’ALENA. Pour certains, le chapitre 11 est essentiel à la promotion de la libre circulation des capitaux sur un marché nord-américain de plus en plus libre. Pour d’autres, il représente un autre type de faillite — la faillite des politiques gouvernementales et du droit international à l’ère de la mondialisation de l’économie.

Howard Mann, Private Rights, Public Problems:
A Guide to NAFTA’s Controversial Chapter on Investor Rights
,
Institut international du développement durable et Fonds mondial pour la nature,
Winnipeg, 2001, p. 1.

Le chapitre 11 de l’ALENA s’est révélé un des aspects les plus controversés de l’Accord. Les commentateurs ont souvent cherché à savoir si la controverse est justifiée ou si les critiques formulées à l’égard du chapitre 11 sont fondées sur une analyse en profondeur. En fait, des analyses en profondeur des dispositions et de leur incidence appuient les arguments invoqués de part et d’autre94. La question n’a pas vraiment trait à la crédibilité des interlocuteurs et de leurs arguments, parce que les affaires mettant en cause un investisseur et un État soumises jusqu’à maintenant à la procédure arbitrale prévue par le chapitre 11 se passent essentiellement de commentaires95 et toute interprétation de ces affaires dépend principalement de l’opinion portée sur la question sous-jacente plus vaste. Il s’agit simplement d’une question de politique : comment en arriver à un équilibre entre la protection des investissements, y compris les droits corollaires des investisseurs privés, et le contrôle public de la politique gouvernementale. Le seul fait que le chapitre 11 ait suscité autant de commentaires — attribuables à une analyse en profondeur ou à l’émotion toute pure — donne à penser qu’il faut à tout prix remettre le statu quo en question et qu’il reste des choses à régler d’urgence dans le cadre de l’ALENA. Les audiences du Comité l’ont d’ailleurs confirmé catégoriquement.

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

[…] les sociétés qui souhaitent restreindre le pouvoir des gouvernements [de] les réglementer sont de grandes sociétés qui, pour ainsi dire par définition, ont un pouvoir économique qui les dégage du scénario du marché parfaitement concurrentiel des manuels d’économie et leur donne le pouvoir de protéger leur propre intérêt sans aider en même temps l’intérêt public. Le vrai problème est que les sociétés qui veulent exercer davantage de pouvoir, en particulier sur le gouvernement, et assumer moins de responsabilité envers le gouvernement sont les mêmes sociétés qui violent les conditions permettant au gouvernement d’accorder une charte d’entreprise et de supposer que la société servira l’intérêt public. La conclusion est donc que, plutôt que de conclure des ententes commerciales où nous accordons de plus en plus de pouvoir aux sociétés pour poursuivre le gouvernement si le gouvernement promulgue une loi sur l’environnement ou sur la santé qui fait perdre des bénéfices — ou des bénéfices éventuels — aux sociétés, nous ne devrions pas permettre aux sociétés de faire cela. En fait, étant donné le pouvoir croissant des sociétés, nous devons accroître le pouvoir de l’État pour qu’il puisse contrôler les créatures qu’il a en fait créées.

Michael Bradfield, université Dalhousie,
Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.

[…] jusqu’ici, la réputation du chapitre 11 n’avait rien à voir avec la réalité des décisions rendues par divers groupes spéciaux et tribunaux.

Michael Hart, université Carleton,
Témoignages, réunion n° 55, 5 février 2002.

[...] lorsqu’il a été transposé dans l’ALENA la portée en a été élargie, principalement par crainte de l’expropriation d’avoirs étrangers au Mexique. De ce fait, on [est] peut-être [allé] trop loin dans le libellé. En réalité, beaucoup de sociétés contestent les lois nationales en faisant valoir que le coût de la conformité à ces lois, même si elles sont non discriminatoires et promulguées à des fins publiques valides, est tel qu’on peut l’assimiler à une expropriation. Certains des comités d’arbitrage de l’ALENA ont suivi ce raisonnement et exigé que les sociétés soient indemnisées. Je trouve cela troublant, en partie parce que les producteurs nationaux astreints aux mêmes normes ne peuvent nécessairement prétendre à une indemnisation. Cette dernière sera coûteuse, mais surtout elle pourrait dissuader de réglementer. Nous pourrions devenir réticents à promulguer le genre de lois requises par l’environnement ou la santé publique si nous craignons que cela nous coûte des millions ou des milliards de dollars d’indemnité.

Kathryn Harrison, université de la Colombie-Britannique,
Témoignages, réunion n° 76, 6 mai 2002.

Les mécanismes de règlement des différends qui ont été établis en contrepartie ou en guise de récompense n’ont généralement pas donné les résultats escomptés [sans oublier] la nouvelle jurisprudence entourant le mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État qui est prévu au chapitre 11 de l’[ALENA]. Cette institution dont on connaît maintenant les tristes répercussions cause beaucoup de consternation parmi les grandes ONG au Canada de même qu’aux États-Unis et au Mexique. Sur le plan des institutions, la belle grande idée a non seulement été un échec, mais elle était piégée. Quand on débattait de l’[ALENA] en 1993, ce mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État était pratiquement invisible. Il est assez clair d’après les recherches sur la question que nos négociateurs n’en comprenaient pas l’importance, pas plus que la population ou le gouvernement.

Stephen Clarkson, université de Toronto,
Témoignages, réunion n° 77, 7 mai 2002.

À bien des égards, je constate que tout ce que mes parents ont construit est en train d’être détruit, et je rejette l’essentiel du blâme sur nos systèmes de tribunaux internationaux et sur les spéculateurs dont les décisions ont une influence sur moi. Et je n’ai moi absolument aucun moyen de les influencer. Alors je dois me demander qui est de mon côté. Qui défend vraiment ma collectivité? Y a-t-il quelqu’un pour affronter le capital international tout puissant dont l’agenda ne correspond pas du tout à celui qui, à mon avis, devrait être adopté pour notre pays?

Wayne Samuelson, Fédération du travail de l’Ontario,
Témoignages, réunion n° 79, 8 mai 2002.

Le problème avec le chapitre 11, me semble-t-il, c’est qu’il n’est pas très transparent. Il faut le reformuler. Nous pensons en termes canadiens, mais le Canada a également des investissements considérables aux États-Unis. Nous voudrions peut-être nous prévaloir de certaines des dispositions du chapitre 11, mais je pense qu’il faut reformuler le chapitre pour qu’il soit plus transparent. Les règles doivent être précisées plus clairement. De plus, certains groupes d’intérêts, pas uniquement les sociétés, devraient pouvoir se prévaloir de cette procédure [...] Ce n’est pas public. Je pense qu’il faut faire une mise à jour. Il faut que ce soit transparent et que plus de gens y aient accès.

Don Barry, université de Calgary,
Témoignages, réunion n° 80, 8 mai 2002.

Il y a eu des quantités d’investissements sans aucun problème et sans aucun différend. C’est comme les 95 % de nos échanges commerciaux avec les États-Unis qui se déroulent sans problème et dont on n’entend jamais parler. Par contre, on n’arrête pas d’entendre parler des problèmes que pose le reste. Des initiatives sont en cours pour clarifier et préciser l’application de ces accords. J’ai plusieurs sources de renseignements car je dirige également un comité d’arbitres canadiens qui travaille sur le chapitre 11. C’est ce que me disent les arbitres qui se plaignent entre autres de ne pas pouvoir faire leur travail en paix. Nous pourrions en discuter une autre fois car c’est assez complexe et les points d’interrogation ne manquent pas. La situation n’est ni simple ni claire.

Robert Keyes, Chambre de commerce du Canada,
Témoignages, réunion n° 89, 11 juin 2002.

Dans le cas de Methanex, on parle d’un juste équilibre entre le droit qu’a l’investisseur de rentabiliser [son] investissement et celui de la population d’avoir un environnement propre, salubre et sûr. C’est le genre d’équilibre qu’on essaye de réaliser tous les jours dans les instances gouvernementales normales, et nous avons un réseau d’institutions complexes qui s’emploient à établir ce genre d’équilibre dans tous les gouvernements de tous les pays industrialisés du monde. Mais ce genre d’équilibre ne peut pas être réalisé par une institution sans légitimité ni transparence, ni obligation de rendre compte. J’ai la conviction que c’est ce que nous avons aujourd’hui avec les procédures d’arbitrage du chapitre 11 de l’ALENA. Elles sont foncièrement inaptes à traiter d’autre chose que d’objectifs commerciaux, et voilà pourquoi je félicite Robert Pastor de sa suggestion, à savoir qu’il faut créer un tribunal expressément dans le contexte nord-américain pour établir ce genre d’équilibre. Il est évident que les dispositions du chapitre 11 vont causer d’autres problèmes du genre... [L]orsque nous traitons de questions qui dépassent le simple arbitrage des intérêts commerciaux, ce qui est de plus en plus souvent le cas avec le chapitre 11, il est insuffisant de confier ces contentieux à une institution qui n’a aucune légitimité ni transparence et qui ne rend aucun compte.

Aaron Cosbey, Institut international du développement durable,
Témoignages, réunion n° 80, 8 mai 2002.

1.    Fonctionnement du chapitre 11

Le but du chapitre 11 est de libéraliser et promouvoir l’investissement, surtout l’investissement étranger direct, en mettant en place un cadre fondé sur des règles qui protège les intérêts des investisseurs étrangers des actes de discrimination ou de distorsion du commerce du gouvernement du pays d’accueil. De telles règles n’ont rien de nouveau. Elles remontent aux traités bilatéraux d’investissement (TBI) — appelés au Canada accords sur la protection des investissements étrangers (APIE) — conclus en grand nombre par les États-Unis à la fin des années 1970 pour protéger les investissements américains contre l’instabilité politique, économique et juridique dans les pays étrangers96. Le chapitre 11 est unique en son genre, parce qu’il fait fond sur cet objectif à plusieurs égards : il favorise la libéralisation générale des investissements internationaux, du fait qu’il est une partie intégrante d’un accord plus vaste en matière de commerce et d’investissement soit l’ALENA; par le fait même, les dispositions du chapitre sont plus susceptibles d’être interprétées de manière libérale.

Le processus de règlement des différends entre un investisseur et un État, suivant lequel un investisseur privé étranger peut soumettre à l’arbitrage une plainte contre le gouvernement du pays partie à l’ALENA où il a investi pour un acte qui aurait entraîné, au dire de l’investisseur, une diminution de ses bénéfices ou des bénéfices escomptés, est l’élément le plus controversé du chapitre 11. L’article 1110 du chapitre 11 précise qu’un gouvernement partie à l’ALENA ne pourra prendre aucune mesure « équivalant à la nationalisation ou à l’expropriation » d’un investissement, sauf pour une raison d’intérêt public, sur une base non discriminatoire, en conformité avec l’application régulière de la loi, et seulement s’il verse une indemnité à l’investisseur étranger.

Le processus d’arbitrage est régi par les règles relatives à l’arbitrage commercial international97. L’investisseur et le gouvernement choisissent un arbitre chacun et le troisième est choisi soit conjointement, soit par une tierce partie neutre. La sentence arbitrale est exécutoire pour chaque partie, et les possibilités d’examen ou d’appel sont limitées. L’arbitrage se fait à huis clos, à moins que les parties ne conviennent du contraire (ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à maintenant). Le 31 juillet 2001, la Commission du libre-échange de l’ALENA a publié des Notes d’interprétation de certaines dispositions du chapitre 11, pour accroître la transparence des processus prévus et éclaircir les règles98. En vertu de ces Notes, chaque pays a convenu de rendre publics tous les documents soumis à un tribunal créé conformément au chapitre 11 ou produits par ce dernier, sous réserve de supprimer :

 §l’information commerciale de nature confidentielle;
 §l’information privilégiée ou ne pouvant être divulguée aux termes de la loi d’une partie;
 §l’information qu’une partie ne peut divulguer aux termes des règles d’arbitrage pertinentes, telles qu’elles sont appliquées.

Cependant, comme John Foster de l’Institut Nord-Sud le fait observer dans son évaluation de l’ALENA qui sera publiée prochainement, « les critiques se sont empressés de signaler qu’en l’absence d’une modification du traité, les règles d’arbitrage internationales prévaudraient et que « ‘le régime de confidentialité prévu par les règles d’arbitrage est à la fois explicite et clair’99 ».

2.    Perceptions des témoins concernant le chapitre 11

À maintes reprises, des témoins ont laissé entendre au Comité que le chapitre 11 doit être remanié. Par exemple, Stephen Clarkson de l’université de Toronto a soutenu que les négociateurs de l’ALENA, et encore moins le public, ne saisissaient pas pleinement l’importance du chapitre 11100. Comme il l’écrit dans un nouvel ouvrage sur les relations entre le Canada et les États-Unis, en raison de l’effet « supraconstitutionnel » du chapitre 11, « la question n’est plus de savoir quel palier de gouvernement — fédéral ou provincial — devrait établir un règlement. Elle consiste plutôt à savoir si un palier ou l’autre peut en établir un101 ». Lawrence McBreaty des Métallurgistes unis d’Amérique a fait valoir que l’ALENA protège les droits des investisseurs du secteur des entreprises, mais n’offre pas une protection aussi solide pour ce qui est des droits en matière d’environnement, du domaine du travail ou de la personne102.

Différents observateurs entendus à Mexico — dont Maria Theresa Gutierrez Haces et Isidro Morales, tous les deux professeurs à l’Universidad Nacional Autónoma de México, et Luis Tellez Kuenzler du groupe DESC — ont déclaré eux aussi qu’il fallait régler les problèmes liés au chapitre 11 pour permettre aux gouvernements de résister aux pressions exercées par les grandes entreprises. Antonio Ortíz Mena, du Centro de Investigación y Docencia Económicas de Mexico, a proposé que les trois pays concluent une entente précisant la portée et l’étendue du chapitre 11 pour ce qui est des questions environnementales103.

Figurent au nombre des aspects du chapitre 11 directement visés par une réforme en profondeur : la transparence, l’accessibilité, les répercussions à long terme pour les ressources naturelles et l’effet de « froid réglementaire ». Don Barry de l’université de Calgary a soutenu que les règles devraient être précisées plus clairement et que les groupes d’intérêts devraient avoir le droit de participer au processus pour contrebalancer l’influence des intérêts commerciaux104. Jack Harris, chef du Parti néo-démocrate de Terre-Neuve et Labrador, a attiré l’attention du Comité sur la plainte déposée par la Sunbelt Water Inc. de la Californie contre le Canada aux termes du chapitre 11, en raison de l’annulation par le gouvernement de la Colombie-Britannique d’un permis d’exportation d’eau en vrac105. Il a expliqué que le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador avait reçu des avis juridiques différents sur l’exportation d’eau en vrac : les avocats canadiens en sont arrivés à la conclusion que les exportations d’eau en vrac par une province ne créeraient pas de précédent exécutoire en vertu de l’ALENA pour ce qui est des autres provinces tandis qu’un avocat américain a soutenu le contraire.

Aaron Cosbey de l’Institut international du développement durable a affirmé qu’il n’existe « aucune solution de rechange à la réforme » et que l’affaire Methanex v. United States of America constitue un exemple concret de l’effet de « froid réglementaire » que le chapitre 11 risque de produire sur les gouvernements :

[...] cette entreprise canadienne, Methanex, qui poursuit les États-Unis à propos d’un règlement proposé par le gouvernement de la Californie et interdisant un additif à l’essence parce que ce gouvernement a des motifs de croire qu’il s’agit d’un carcinogène qui s’est retrouvé en grande quantité dans la nappe phréatique de la Californie. On croirait normalement que ce genre de règlement entre dans les attributions du gouvernement, et l’on ne penserait pas, si on s’en tient à la tradition internationale, qu’il s’agit là d’une expropriation. C’est ce qu’on appelle au niveau du droit international une mesure relative aux pouvoirs de police. Cependant, il n’y a aucune exclusion explicite dans le chapitre 11 de l’ALENA pour les pouvoirs de police; par conséquent, Methanex ainsi que plusieurs autres entreprises ont décidé de mettre le système à l’épreuve, et elles affirment que ce genre de mesure réglementaire, qui a un effet visible, palpable sur leurs investissements, constitue une expropriation et leur ouvre la porte à une indemnisation. En l’occurrence, elles ne demandent qu’une indemnisation d’un peu moins d’un milliard de dollars canadiens. Ce n’est pas l’argent ici qui fait problème. Le problème, c’est que ces entreprises cherchent à inhiber ce genre d’action réglementaire, pas seulement en Californie, mais aussi dans les autres États américains qui proposent une mesure semblable106.

D’autres ont fait valoir qu’il fallait se garder, à trop vouloir critiquer le chapitre 11, de passer à côté des avantages qu’il pouvait comporter. Michael Hart du Centre de droit et de politique commerciale (CDPC) de l’université Carleton a rédigé de nombreux documents au sujet du chapitre 11 et estime que les critiques formulées à l’égard de sa performance et de son incidence sur la capacité du gouvernement d’établir des politiques ont été exagérées107. Néanmoins, M. Hart et William Dymond, directeur exécutif du CDPC, ont proposé, dans le document qu’ils ont présenté à la conférence du CDPC sur le chapitre 11 tenue en janvier 2002, plusieurs modifications qu’on pourrait y apporter, dont la clarification de sa portée, l’amélioration de la transparence et la création d’un tribunal permanent chargé d’examiner les plaintes en vertu du chapitre 11108. Robert Keyes de la Chambre de Commerce du Canada s’est fait l’écho des observations rapportées au début du présent chapitre en disant que la plus grande partie des activités en matière de commerce et d’investissement entreprises dans le cadre de l’ALENA ne posent aucun problème. Il a reconnu qu’il faut clarifier le fonctionnement du chapitre 11, mais il a exhorté le Comité à tenir compte des avantages qu’il comporte sur le plan de la protection des investissements et à laisser le temps faire son œuvre.

[J]’espère que lors de la discussion sur le chapitre 11 nous ne perdrons pas de vue les principes de base de protection des investisseurs, de non-discrimination et de traitement équitable. Ce sont les principes sous-jacents aux mécanismes de protection des investisseurs, qu’ils soient contenus dans des ententes bilatérales — le Canada est le signataire d’une vingtaine d’entre elles —, qu’il s’agisse de l’ALENA ou qu’il s’agisse, comme cela sera le cas, des questions dites de Singapour dans le contexte de la négociation de Doha. L’objectif essentiel est de protéger les droits des investisseurs, et si nous voulons attirer des investisseurs et si nous voulons des investisseurs canadiens à l’étranger — et vous avez certainement vu les dernières statistiques sur le volume des investissements canadiens à l’étranger —, il faut garantir aux investisseurs un traitement équitable. On attribue au chapitre 11 presque tous les maux et je ne suis pas d’accord. Il s’agit d’un mécanisme dont la jurisprudence d’application n’est pas encore complètement écrite. Comme pour toute loi ou pour tout mécanisme, nous n’en avons pas encore défini les paramètres109.

Le Comité reconnaît que la protection des investisseurs étrangers est un élément important de la libéralisation du commerce et de la promotion de l’investissement étranger direct. Cependant, il est convaincu que l’actuel chapitre 11 de l’ALENA, notamment le processus de règlement des différends entre un investisseur et un État, pose de graves problèmes. Les préoccupations émises n’ont rien de nouveau pour nous. Nous avons recommandé, dans de récents rapports sur l’Organisation mondiale du commerce et la Zone de libre-échange des Amériques, que les dispositions relatives aux investisseurs et aux États soient exclues de tout nouvel accord. Nous n’avons pas changé d’avis et, dans le droit fil de ces recommandations, nous estimons que le chapitre 11 de l’ALENA, notamment le processus investisseur-État, devrait faire l’objet d’un examen complet.

Nous trouvons encourageant le récent changement d’orientation des États-Unis pour ce qui est de la protection des entreprises américaines contre toute mesure d’expropriation à l’étranger en vertu de dispositions relatives aux investissements comme celles du chapitre 11. Dans le cadre des négociations bilatérales avec le Chili et Singapour, les États-Unis cherchent à rétrécir le champ de la définition d’expropriation110. Par exemple, selon la proposition des États-Unis sur les dispositions en matière d’investissement, une « simple diminution » de la valeur d’un investissement ne constitue pas une expropriation. Dans l’affaire Methanex, l’entreprise soutient le contraire. Ce changement d’orientation, qui fait suite aux critiques du Congrès et des lobbyistes environnementaux à l’égard du chapitre 11, donne à penser que les États-Unis seraient vraisemblablement prêts à réévaluer certains aspects du chapitre 11. Le Comité y voit une occasion pour le Canada — et le Mexique — de proposer des mesures pour régler une importante question demeurée en suspens dans le cadre de l’ALENA.

Recommandation 21

Compte tenu du récent changement d’orientation des États-Unis à l’égard de certains aspects du chapitre 11 de l’ALENA, le gouvernement du Canada devrait revoir le plus tôt possible avec le Mexique et les États-Unis les éléments du chapitre 11 qui se sont révélés problématiques, notamment les dispositions concernant la relation investisseur-État.

D.  Évaluation de la coopération liée au commerce dans le domaine de l’environnement et du travail

Les accords parallèles à l’ALENA sur l’environnement et le travail doivent leur raison d’être principalement aux machinations politiques ourdies aux États-Unis après la conclusion de l’accord principal en août 1992. À la demande des groupes environnementalistes et des syndicats qui étaient furieux parce que l’ALENA ne répondait pas à leurs préoccupations, le candidat à la présidence Bill Clinton a déclaré, le 4 octobre 1992, « qu’il ne pourrait appuyer l’ALENA que s’il était accompagné de deux accords supplémentaires sur la protection de l’environnement et le travail. L’objet des accords supplémentaires, selon le gouverneur Clinton, serait ‘d’exiger de chaque pays qu’il applique ses propres normes en matière d’environnement et de travail’111 ». En 1993, on mettait la dernière main à l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACDE) et à l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT).

1.    La coopération dans le domaine de l’environnement

L’expérience de l’ALENA en matière d’environnement constitue à bien des égards un modèle en raison du mariage révolutionnaire du commerce et des considérations environnementales. Il ne fait aucun doute que l’ALENA et l’ANACDE auraient pu faire une plus large place aux priorités environnementales, mais l’exemple de l’ALENA est un début prometteur. Une récente compilation de comptes rendus détaillés sur l’expérience de l’ALENA au chapitre de l’environnement, Greening the Americas: NAFTA’s Lessons for Hemispheric Trade, donne un aperçu lucide et valable de la façon dont les enseignements tirés de l’ALENA pourront servir dans le cadre des négociations commerciales à venir — sur la Zone de libre-échange des Amériques, par exemple — à promouvoir l’intégration économique et la protection de l’environnement112.

La Commission de coopération environnementale de l’Amérique du Nord (CCE) créée par l’ANACDE est la plus « institutionnalisée » des institutions actuelles de l’ALENA de par sa conception. C’est ce que signalait sa directrice exécutive, Janine Ferretti, qui a comparé dans leurs grandes lignes la CCE, la Commission du libre-échange de l’ALENA et la Commission nord-américaine de coopération dans le domaine du travail :

Il y a la Commission du libre-échange, qui n’a ni organisme politique ni secrétariat nulle part; elle est composée de sections des trois gouvernements qui se réunissent et qui travaillent ensemble. C’est donc une organisation virtuelle à cet égard. La seconde institution est la Commission de coopération dans le domaine du travail, qui présente des caractéristiques des deux. Elle a un secrétariat basé à Washington, mais elle a aussi des sections très actives des trois ministères du Travail, qui se réunissent et en réalité effectuent certaines tâches qu’accomplirait un secrétariat. Donc la Commission nord-américaine de coopération environnementale est probablement celle des trois qui a le plus la personnalité d’une organisation internationale. Elle a son siège social ici [à Montréal] est dotée d’un effectif de 60 personnes provenant des trois pays, outre un bureau de liaison, et le secrétariat met en œuvre le programme de travail de la commission, lequel est approuvé par les trois gouvernements113.

Le Conseil de la CCE est composé de membres du Cabinet des trois gouvernements qui se réunissent au moins une fois l’an. Il existe également un Comité consultatif public mixte qui compte cinq représentants non gouvernementaux de chaque pays travaillant ensemble — mais indépendamment de leur gouvernement — pour éclairer le Conseil. L’article 14 de l’ANACDE autorise les particuliers et les organisations non gouvernementales à déposer une plainte alléguant que l’un des pays n’applique pas ses lois sur l’environnement. Si la plainte satisfait aux critères de l’article 14, la CCE peut enquêter en constituant un dossier factuel et le Conseil peut, par un vote des deux tiers, rendre le dossier factuel accessible au public. Depuis 1995, 35 communications ont été présentées en vertu de l’article 14 et trois dossiers factuels ont été publiés114.

L’ANACDE renferme également des dispositions relatives au règlement des différends qui sont essentiellement les suivantes : premièrement, consultations entre les parties au différend; deuxièmement, une séance spéciale du Conseil; troisièmement, institution d’un groupe spécial arbitral; et, quatrièmement, imposition de sanctions. Cette procédure de règlement des différends n’a encore jamais été utilisée. Lorsqu’il a témoigné devant le Comité en 2001, l’expert en droit de l’environnement et du commerce, Pierre Marc Johnson, a décrit en ces termes l’incidence que pourrait avoir son utilisation :

Ces dispositions n’ont pas eu à être appliquées jusqu’à maintenant parce qu’elles correspondent presque à appuyer sur le bouton rouge qui lancera la bombe nucléaire. Si vous contestez ce qui se fait dans un pays au titre de l’application des lois en matière d’environnement, si vous dites que ce pays ne fait pas son travail, cela correspond assez bien à une déclaration de guerre commerciale avant l’imposition de sanctions115.

Janine Ferretti et Pierre Marc Johnson ont tous deux décrit la façon dont l’ANACDE et la CCE avaient contribué au renforcement des capacités de mise en place d’une infrastructure environnementale au Mexique. Mme Ferretti a cependant signalé que « le Mexique aura beaucoup de mal à devenir un partenaire à part entière de l’ALENA à moins qu’il ne mette en place son infrastructure environnementale et qu’il soit capable de faire face aux difficultés qu’il pourrait rencontrer116 ». Elle a fait observer que la coopération du Mexique est essentielle au règlement de certains problèmes environnementaux — comme le transport à grande distance des polluants atmosphériques — qui ont de l’importance pour le Canada et les États-Unis, mais échappent à leur contrôle. Kathryn Harrison de l’université de la Colombie-Britannique a parlé du rôle de premier plan que la CCE a joué dans la récente décision du Mexique de créer un registre des rejets de substances toxiques modelé sur ceux du Canada et des États-Unis et sur le Registre nord-américain des rejets et des transferts de polluants de la CCE117.

De manière générale, les témoins ont dit voir dans la CCE une institution modèle qui fonctionne bien et qui devrait recevoir plus de ressources financières pour ses activités118, mais qui a également besoin de pouvoirs accrus de contrainte. Laura Macdonald, du Centre for North American Politics and Society de l’université Carleton, a parlé de la nécessité de mieux s’attaquer aux disparités sociales et économiques qui ont accompagné l’intégration nord-américaine jusqu’à maintenant119. Elle a dit préconiser « des mécanismes d’application plus musclés » et croire qu’il fallait « accroître le financement » de la CCE. Selon Daniel Schwanen, on pourrait faire jouer à la CCE « un rôle très utile en termes d’intégration » qui illustrerait comment la coopération et la prise de décisions trilatérales peuvent fonctionner dans la pratique120.

Le Comité convient qu’il faut accorder à la CCE des ressources et des pouvoirs de contrainte adéquats pour faire fond sur ses réussites. Nous trouvons qu’il est extrêmement troublant que les investisseurs privés puissent se prévaloir d’outils d’application de la loi puissants aux termes du chapitre 11 de l’ALENA alors que le mécanisme de règlement des différends prévu par l’ANACDE, qui a pour objet la protection de l’environnement dans l’intérêt public, est tellement délicat sur le plan politique qu’il n’est même jamais utilisé.

Recommandation 22

Le gouvernement du Canada devrait examiner avec les gouvernements mexicain et américain des moyens d’assurer un financement et un pouvoir de contrainte adéquats à la Commission de coopération environnementale de l’Amérique du Nord créée sous le régime de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement.

2.    La coopération dans le domaine du travail

L’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT) marque un grand tournant, puisqu’il a été le premier accord à établir un rapport important entre les droits et normes du travail et un accord commercial international. Chaque pays s’est engagé, aux termes de cet accord, à appliquer ses propres lois et normes en matière de travail et à promouvoir 11 principes du travail121. L’ANACT prévoit un processus de règlement des différends très semblable à celui de l’accord parallèle sur l’environnement, l’ANACDE décrit ci-dessus. Il convient cependant de signaler que des sanctions ne peuvent être imposées qu’à l’égard des plaintes se rapportant à trois des droits — le salaire minimum, le travail des enfants de même que la santé et la sécurité au travail. D’autres droits fondamentaux en matière de travail ne peuvent faire l’objet d’aucune sanction, y compris le droit d’organisation, le droit de négociation collective et le droit de grève122.

L’ANACT crée un cadre institutionnel légèrement différent de celui de l’ANACDE, et réellement moins indépendant. Chaque pays a établi un Bureau administratif national (BAN) qui a tendance à collaborer étroitement avec son ministère du Travail. L’institution coordonnatrice clé créée sous le régime de l’ANACT est la Commission de coopération dans le domaine du travail, constituée d’un secrétariat situé à Dallas, au Texas, et d’un conseil ministériel composé des trois ministres nationaux responsables du travail. Les plaintes au sujet des pratiques de travail d’un pays sont adressées à un BAN et peuvent être réglées par l’intermédiaire de consultations, d’une réunion du conseil ministériel ou d’un comité évaluatif d’experts. Seules les affaires se rapportant aux trois droits susmentionnés pouvant faire l’objet de sanctions peuvent être renvoyées à l’arbitrage et entraîner l’imposition de sanctions pour non-application.

L’ANACT a donné aux droits du travail une visibilité beaucoup plus grande dans le contexte du commerce et servi de tribune à la coopération et à la recherche trilatérales dans le domaine du travail. Il a également eu des effets indirects tangibles sur la politique gouvernementale. John Foster de l’Institut Nord-Sud écrit en effet que « durant les trois premières années d’existence de l’ALENA, le gouvernement mexicain a augmenté de 250 % les fonds consacrés à l’application de ses lois ouvrières123 ». Cependant, les représentants syndicaux qui ont témoigné devant le Comité se sont montrés extrêmement critiques à l’égard de l’accord, notamment de sa portée limitée et de la faiblesse des mesures d’exécution prévues. Lawrence McBrearty des Métallurgistes unis d’Amérique a exprimé sa frustration quant à la nature politisée du processus. Il a décrit en ces termes le résultat d’une plainte déposée par son organisation auprès du BAN du Canada : « Nous étions heureux car nous croyions avoir gagné la cause. Mais nous avions tort. Nous avons gagné la bataille, mais pas la guerre. Nous avons simplement obtenu que les ministres du Travail se rencontreront pour discuter davantage de l’affaire, mais il n’y a eu aucun progrès124 ».

Rob Hilliard de la Fédération du travail du Manitoba a dénoncé de façon plus cinglante encore l’inefficacité de la procédure relative aux plaintes de l’ANACT :

Les accords parallèles de l’ALENA sur le travail sont inefficaces. Ils sont totalement inefficaces. On y stipule même que l’on ne peut pas modifier les lois intérieures. La loi intérieure a préséance. Tout ce qu’ils mentionnent, c’est qu’il faut mettre en application vos lois intérieures, même si elles se sont avérées inefficaces. Nous en avons fait l’expérience lorsque le mouvement ouvrier canadien a tenté de s’appuyer sur ces dispositions dans le cas de violations flagrantes allant même à l’encontre de la législation du travail mexicaine. Elles se sont avérées totalement impuissantes pour ce qui est d’empêcher des syndicats manifestement sous la coupe de l’employeur d’avoir recours à la violence, la plupart du temps dans le but d’empêcher la création de syndicats légitimes. Les travailleurs canadiens n’ont aucun respect pour ce type de syndicats. Si vous voulez prendre des mesures concrètes pour améliorer le niveau de vie des travailleurs, insistez pour qu’une clause spéciale soit prévue à cet effet dans l’accord commercial. Il faut éviter d’attaquer les droits à la négociation collective, mais c’est une pratique courante et un trait caractéristique des accords commerciaux conclus dans le cadre de la mondialisation125.

Le Comité convient qu’il faut respecter et protéger les droits des travailleurs pour que l’ALENA soit couronné de succès à tous les paliers de la société. Les « conventions fondamentales » de l’Organisation internationale du travail (OIT) des Nations Unies sont considérées comme une protection de base pour les travailleurs partout dans le monde car elles définissent leurs droits fondamentaux en ce qui concerne la liberté d’association, l’abolition du travail forcé, l’égalité, l’élimination du travail des enfants126. Les normes de l’OIT sont souvent citées dans les dossiers soumis à l’ANACT. Force nous est de tirer une conclusion analogue à celle à laquelle nous en sommes arrivés au sujet de la protection de l’environnement en vertu de l’ANACDE : si les droits des investisseurs étrangers peuvent être si bien protégés sous le régime du chapitre 11 de l’ALENA, les droits des travailleurs devraient jouir d’une protection tout aussi efficace. En outre, on devrait veiller à ce que le Secrétariat de l’ANACT dispose d’un financement adéquat.

Recommandation 23

Le gouvernement du Canada devrait entamer des pourparlers avec les gouvernements du Mexique et des États-Unis sur les moyens à prendre pour améliorer l’application des normes et du droit touchant les travailleurs dans le cadre de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT). On devrait également discuter d’un financement adéquat pour le Secrétariat de l’ANACT.

E.  De nouvelles institutions de l’ALENA?

L’ALENA ne repose pas à l’heure actuelle sur un cadre institutionnel solide. L’intégration économique à grande échelle en Amérique du Nord n’a pas été accompagnée d’un niveau correspondant d’intégration institutionnelle; en fait, les institutions supranationales existantes — les commissions de coopération dans le domaine de l’environnement et du travail — sont faibles. D’après Robert Pastor, l’un des plus fiers défenseurs d’une communauté nord-américaine, parmi les universitaires, l’ALENA « n’a envisagé aucune approche unifiée pour que se réalise la promesse qu’il renferme, ni aucune réponse aux nouvelles menaces. L’ALENA a tout simplement supposé que les peuples d’Amérique du Nord profiteraient comme par magie du libre-échange et que les trois gouvernements régleraient les problèmes anciens ou nouveaux127 ».

Qui plus est, l’ALENA a peut-être créé un partenariat économique entre trois pays, mais il n’a prévu aucun lien institutionnel en dehors des échanges et du commerce. Stephen Clarkson de l’université de Toronto a fait le commentaire qui suit à propos de ce à quoi les négociations de l’ALENA n’ont pas abouti : « […] nous n’avons pas obtenu en échange le genre d’institutions qui auraient donné au Canada une voix à Washington semblable à la voix qu’a le Danemark à Bruxelles. » Quand il est question des institutions de l’ALENA, il est difficile d’éviter de faire des comparaisons avec l’Union européenne (UE) qui peut compter sur toute une gamme d’institutions pour régir le commerce et l’économie.

De bonnes raisons historiques expliquent l’absence de structure institutionnelle de l’ALENA. D’après Alberta Sbragia, professeure de sciences politiques à l’université de Pittsburgh, la « surinstitutionnalisation » de l’UE est le prix que les plus petits pays d’Europe ont exigé pour la création de l’Union européenne. Parce que les nations d’Europe souhaitaient éviter la création d’une hégémonie européenne au lendemain de la première et de la seconde guerres mondiales, l’UE a été créée parallèlement à de nombreuses institutions supranationales capables de tenir en échec les nations plus puissantes comme l’Allemagne et la France. Par contraste, soutient Mme Sbragia, la création de l’Accord de libre-échange nord-américain qui se distingue par l’absence d’institutions peut être attribuée directement à la présence d’une hégémonie, celle des États-Unis, qui ne tient pas du tout à voir son pouvoir restreint128.

L’économiste Daniel Schwanen a fait valoir un point semblable lorsqu’il a déclaré ce qui suit au Comité : « Une structure de prise de décision intergouvernementale commune, comme un conseil de style Union européenne, dont on parle parfois, ne pourrait pas fonctionner en Amérique du Nord en raison, d’une part, de la différence de taille entre nos pays et, d’autre part, du fait que le Congrès protège jalousement ses pouvoirs129. » M. Schwanen propose plutôt d’utiliser la CCE comme modèle pour les nouvelles institutions de l’ALENA axées sur le commerce :

Nous pourrions créer des organismes indépendants, suivant le modèle de la Commission pour la coopération environnementale, dont le rôle serait de recueillir de l’information pour le Canada et les États-Unis et de présenter des rapports communs sur des questions comme les subventions, les pratiques environnementales, les compétences professionnelles et les normes sur les produits, pour l’Amérique du Nord.

Des organismes nationaux, comme la Commission du commerce international aux États-Unis et le Tribunal canadien du commerce extérieur à Ottawa, continueraient d’avoir la responsabilité de l’administration des lois nationales et de la protection des intérêts du public, chacun dans son pays. Mais toute décision qui créerait des obstacles explicites au commerce pour leur région, comme des droits compensateurs, devrait être fondée sur les rapports d’enquête préparés par ces organismes indépendants et multinationaux qui, comme la Commission nord-américaine de coopération environnementale, tiendraient compte largement des idées du public et des spécialistes. Entre autres avantages, cette procédure réduirait le risque que des organismes de réglementation soient accaparés par des intérêts privés, aux dépens du public.

Essentiellement, nos pays demeurent souverains et ni l’un ni l’autre ne renoncera à ses lois sur le commerce ni à sa capacité d’imposer, par exemple, des droits compensateurs ou antidumping. Mais si nous pouvons créer un mécanisme qui fera en sorte que ces décisions soient prises en fonction d’études qui prennent en compte les idées du public, nous nous serons rapprochés de la reconnaissance mutuelle130.

En l’absence de solides institutions de l’ALENA, le Canada et le Mexique devront, s’ils veulent vendre leurs produits sur le marché américain, continuer à obéir aux règles commerciales des États-Unis. Comme Perrin Beatty le faisait observer : « De nombreuses questions découlant de l’ALE et de l’ALENA demeurent en suspens — les droits antidumping, les droits compensateurs, l’agriculture et le bois d’œuvre résineux pour n’en nommer que quelques-unes. L’intégration ne saurait se poursuivre en l’absence d’une véritable infrastructure pour régler ces questions et d’autres encore qui se poseront inévitablement. La domination politique et économique des États-Unis, conjuguée aux problèmes d’attributions qui se posent au Canada entre le gouvernement fédéral et les provinces, rend particulièrement difficile la création de telles institutions131. »

Outre les commissions de coopération dans le domaine de l’environnement et du travail, l’infrastructure institutionnelle actuelle de l’ALENA englobe la Commission du libre-échange, de nombreux comités et groupes de travail et le Secrétariat de l’ALENA, qui compte une section dans chaque pays132. L’annexe du présent chapitre présente une liste exhaustive des organismes intergouvernementaux de l’ALENA ou inspirés par celui-ci. La Commission du libre-échange, composée de représentants de niveau ministériel de chaque pays, est la principale institution de l’ALENA, mais elle n’est pas une institution permanente au sens physique ou opérationnel du terme puisqu’elle se réunit simplement une fois l’an, ou au besoin, pour surveiller la mise en œuvre et l’évolution de l’ALENA. Chaque pays désigne un haut fonctionnaire chargé du commerce — il s’agit des trois « coordonnateurs » de l’ALENA — qui veille à la gestion et à l’administration au jour le jour du programme de travail de l’ALENA, en grande partie par l’entremise des divers groupes de travail et comités. Le Secrétariat de l’ALENA est responsable de l’administration du mécanisme de règlement des différends prévue par l’accord133. Il fournit également son aide à la Commission du libre-échange de même qu’aux groupes de travail et aux comités.

Pour ce qui est du cadre de l’ALENA et des défis que suppose l’administration d’une économie nord-américaine de plus en plus intégrée, de nombreux témoins ont parlé de l’importance d’institutions plus efficaces et plus démocratiquement responsables au niveau trilatéral, un sujet que nous examinerons plus à fond au chapitre 5. En ce qui concerne notamment la gestion des relations commerciales toujours plus étroites entre les trois pays, certains témoins ont soutenu qu’il fallait envisager de nouvelles structures politiques et juridiques officielles. À cet égard, Robert Pastor a été l’un des témoins les plus explicites parmi ceux qui nous ont présenté des suggestions quant à la création d’institutions nord-américaines. Son argument en faveur d’un tel trilatéralisme est le suivant : « le fait pour les parlementaires des trois pays de se retrouver renforcerait la capacité à comprendre quels problèmes sont communs et quelles solutions devraient être élaborées en commun ». Outre une « commission nord-américaine » très importante et un « groupe parlementaire nord-américain » — au sujet duquel il a indiqué « J’ose dire que le Congrès américain aurait grand besoin d’entendre les préoccupations et les sensibilités de nos deux voisins » — M. Pastor a suggéré que soit créé :

[...] un tribunal permanent du commerce et de l’investissement, en remplacement du mécanisme de règlement des différends au cas par cas. Nous avons maintenant suffisamment de précédents pour ne plus nous en remettre à des arbitres choisis pour chaque conflit, ne serait-ce que parce que ce mécanisme prête de plus en plus à des conflits d’intérêt. Un tribunal permanent nous permettrait de tirer les leçons de ces précédents et de régler plus rapidement certains des différends relatifs au commerce et à l’investissement134.

Le Comité convient que des institutions nord-américaines plus fortes fondées sur des règles aideraient le Canada à maximiser son potentiel aux termes de l’ALENA tout en continuant à exercer un contrôle sur sa souveraineté et son orientation politique. Quant à une meilleure coopération parlementaire, Donald MacKay de la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL) a fait observer que les échanges entre représentants élus peuvent grandement contribuer au règlement des différends commerciaux135. Le point le plus important qu’il faudra retenir dans le chapitre qui suit sur les futures structures trilatérales éventuelles, c’est qu’il sera probablement impossible d’améliorer sensiblement la structure actuelle de l’ALENA sans l’ajout d’un nouveau cadre institutionnel plus solide. Pour reprendre les propos d’Aaron Cosbey de l’Institut international du développement durable :

Pastor a fait de bonnes observations. Les contentieux qu’on a vu apparaître, qu’il s’agisse du bois d’œuvre résineux et de toutes les autres, n’ont pas été bien gérés parce qu’ils n’ont pas été prévus, et comme ils n’ont pas été prévus, on n’a pas pu les empêcher. Nous ne pouvons pas non plus en tirer des leçons quelconques sur le plan institutionnel étant donné que nous n’avons aucune institution vouée à la gestion de l’intégration commerciale et de l’Amérique du Nord.

Nous disposons d’outils de gestion critique dans les mécanismes de règlement des différends, mais à titre d’exemple, la Commission du libre-échange n’a pas de secrétariat. Celui-ci n’existe pas. Il est inconcevable, quand on compare le modèle de l’Union européenne au modèle nord-américain, d’imaginer que dans un processus aussi éparpillé que celui-là, l’on puisse avoir une intégration gérée qui prenne en compte les divers objectifs gouvernementaux que nous avons, pas seulement ceux qui sont de nature économique, mais aussi ceux qui sont de nature non commerciale, et qu’on puisse en tirer un résultat qui soit bénéfique136.

En ce qui concerne plus précisément la création d’un tribunal nord-américain permanent du commerce et de l’investissement, M. Pastor a donné à entendre au Comité qu’elle fournirait l’occasion d’améliorer les mécanismes actuels de règlement des différends de l’ALENA137. Il a fait observer que les mécanismes ont bien fonctionné jusqu’à maintenant, mais qu’ils présentent de graves lacunes imputables à leur nature aléatoire : il est de plus en plus difficile de trouver pour les groupes spéciaux se rapportant au chapitre 19, des candidats sans conflits d’intérêts, parce qu’ils ne reçoivent aucune rémunération et que le volume de travail en cause est substantiel en raison de la jurisprudence grandissante. Le Comité convient que le regroupement des divers processus de règlement des différends de l’ALENA sous la compétence d’un tribunal trinational permanent unique, composé de juges rémunérés nommés à long terme, permettrait de régler plus efficacement les différends commerciaux.

Nous sommes conscients de la résistance à laquelle les propositions de création d’institutions pourraient vraisemblablement se heurter aux États-Unis étant donné le climat politique protectionniste actuel et l’importance accordée à la sécurité au lendemain des événements du 11 septembre. Nous avons constaté lors de nos réunions à Washington le peu d’intérêt suscité chez les législateurs américains par les nouvelles idées d’intégration nord-américaine. Nous avons par contre été encouragés par l’enthousiasme, dans le domaine de la coopération, dont nous avons été témoins à Mexico en mars lorsque nous avons rencontré des représentants et des observateurs mexicains. Nous croyons que le Canada devrait faire fond sur cet enthousiasme pour poursuivre la discussion à propos de la création de nouvelles institutions nord-américaines, même si ce n’est au départ qu’à l’échelle bilatérale.

Recommandation 24

Le gouvernement du Canada devrait entamer des pourparlers avec le Mexique et les États-Unis sur l’éventuelle création d’un tribunal nord-américain permanent du commerce et de l’investissement, afin que les processus de règlement des différends prévus par l’ALENA relèvent dorénavant d’un organisme juridique trinational unique.

4.3       La nécessité d’une frontière efficace pour le commerce

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Au sujet de l’ouverture des frontières, elles sont nécessaires. Il faut une plus libre circulation des biens et des services, non seulement en raison de ses avantages économiques mais aussi, ce qui est plus important, étant donné les événements récents, parce que plus on consacre d’énergie à bloquer, inspecter, taxer ou interdire la circulation légitime de produits ou de personnes aux frontières, moins il en reste pour lutter contre les graves menaces à la sécurité.

Daniel Schwanen, Institut de recherche sur les politiques publiques,
Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.

[…] puisque les échanges commerciaux sont si importants pour notre pays, surtout en ce qui concerne les échanges avec les États-Unis, le Canada doit, autant que possible, maintenir sa frontière ouverte et en faciliter le passage afin de favoriser une meilleure circulation de nos biens et services

Teresa Cyrus, université Dalhousie,
Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.

Il est vrai que l’économie canadienne est de plus en plus intégrée à celle des États-Unis et que les problèmes de frontières depuis le 11 septembre illustrent vraiment combien nous sommes à la merci de circonstances qui peuvent gêner notre accès à ce marché important.

Jayson Myers, Manufacturiers et Exportateurs du Canada,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

Depuis le 11 septembre, nous sommes tous plus conscients du nombre d’entreprises et d’emplois qui dépendent d’un passage facile de la frontière et de la fragilité du système. Si la question d’un nouveau « programme nord-américain » paraissait assez théorique avant le 11 septembre, nous savons qu’elle est devenue cruciale aujourd’hui.

Stephen Blank, Pace University,
Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.

Plusieurs personnes, donc, sont devenues inquiètes. Notre souci était de garder la frontière ouverte et de maintenir la libre circulation des biens réguliers, des touristes innocents et de ceux qui visitaient leur famille. Leur souci était de resserrer les mesures de sécurité à la frontière pour assurer une protection accrue.

Reginald Stuart, université Mount Saint Vincent,
Témoignages, réunion n59, 26 février 2002.

Les soucis des Américains en matière de sécurité ont, bien sûr, imposé au Canada de lourds coûts économiques du fait de ralentissements et de blocages à la frontière. Ces coûts sont également ressentis par les Américains. Cependant, les coûts américains correspondent à une bien plus faible proportion du PIB américain, comparativement à la situation que l’on vit ici au Canada. Par ailleurs, suite au 11 septembre, les Américains se sont résolus à absorber tous les coûts, quels qu’ils soient, qu’il leur faudra consentir pour établir la sécurité à l’intérieur de leur territoire. Il revient donc clairement au Canada de détourner l’attention des Américains de la frontière canado-américaine comme étant un risque pour la sécurité, en convainquant les Américains que les exigences en matière de sécurité des États-Unis sont bien remplies au Canada. […] Les initiatives conjointes autour de la notion de « frontière intelligente » vont dans la bonne direction. Le prédédouanement des personnes et marchandises, la mise en œuvre de technologies nouvelles, telles que les identificateurs biométriques incorporés dans les passeports et documents de voyage, le partage des renseignements et les contrôles conjoints peuvent faire beaucoup pour calmer les craintes sécuritaires légitimes des États-Unis.

Reg Whitaker, université de Victoria,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

Par conséquent, étant donné ces relations confortables, nous faisons beaucoup de choses naturellement, sans beaucoup y réfléchir. Pour cette raison, nos frontières ont été énormément négligées jusqu’au 11 septembre. Le rythme du commerce a largement dépassé la capacité de l’appareillage et de l’infrastructure frontalières qui, sans être tombés en panne, ont quand même connu quelques ratés. […] depuis le 11 septembre, la Chambre de commerce fait valoir qu’une gestion efficace des frontières est dans l’intérêt des deux pays et qu’il s’agit vraiment d’une question stratégique pour le Canada. Si nous voulons attirer l’investissement étranger qui desservira l’ALENA à partir du Canada, il faut que la frontière fonctionne bien. […]

Suite aux événements du 11 septembre et à l’élaboration d’un plan d’action comprenant 30 mesures pour une administration efficace de la frontière, les ministres et les fonctionnaires canadiens méritent d’être félicités pour la façon dont ils ont conduit les discussions avec leurs homologues américains. La plupart des idées sont venues du Canada et non pas des États-Unis. En allant au-devant des coups, nous avons réussi à faire en sorte que non seulement la frontière reste ouverte, mais également que les solutions envisagées dans ce nouveau programme de sécurité tiennent compte de nos intérêts.

Robert Keyes, Chambre de commerce du Canada,
Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.

Des progrès importants ont déjà été accomplis grâce au dialogue entre nos deux gouvernements, notamment le dialogue qui a débouché sur l’accord sur la frontière efficace annoncé par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, John Manley, et le gouverneur Tom Ridge, le directeur de la sécurité du territoire, en décembre. On a déjà accompli beaucoup de travail dans le cadre de cet accord, mais je dois dire que je ne suis pas étonné par les commentaires de la presse qui fait état cette fin de semaine d’une certaine frustration face à la lenteur de la mise en œuvre de cet accord sur la frontière.

Michael Hart, université Carleton,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

Le problème, c’est que malgré que nous soyons le point de passage le plus fréquenté et le plus vital entre le Canada et les États-Unis, aucune nouvelle infrastructure pour prendre en compte cette réalité n’a été construite depuis environ 1930. La région de Windsor—Essex doit faire face aux besoins du XXIesiècle avec notre infrastructure routière datant de la grande dépression.

Michael Hurst, maire de Windsor,
Témoignages, réunion no 81, 9 mai 2002.

[…] nous estimons que le moment est venu pour que les gouvernements de part et d’autre de la frontière passent à l’action en vue de mettre en œuvre le plan d’action en 30 points contenus dans la déclaration concernant la frontière efficace. Les gouvernements doivent faire en sorte que l’administration de la frontière suive le courant de l’évolution économique. Or, l’administration de la frontière n’a pas suivi l’évolution économique depuis la conclusion de l’ALE.

Sean Cooper, Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique,
Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.

Même si je soutiens que la déclaration relative à la frontière intelligente est une initiative vraiment utile et importante, et qu’il y a lieu d’en féliciter le gouvernement, cela ne suffit pas. On s’est contenté d’apporter certaines améliorations au cadre actuel, au lieu d’intervenir de manière proactive en revoyant de façon fondamentale le but de la frontière, ce que nous pouvons faire à cet endroit-là et ce que nous pourrions faire ailleurs.

Danielle Goldfarb, Institut C.D. Howe,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

Selon mon recensement, l’Agence des douanes et du revenu Canada applique 186 règlements. Ce n’est pas elle qui les a créés. C’était des décisions politiques. J’imagine que certaines de ces restrictions touchent l’importation de fouets de fiacre, car la frontière ne date pas d’hier. À ma connaissance, il n’y a pas eu d’analyse concertée des restrictions à la frontière et de leur raison d’être.

George Haynal, université Harvard,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

A.  L’ALENA et la frontière

Bien avant les attentats du 11 septembre, la frontière canado-américaine était fortement sollicitée par le trafic considérable de biens et de voyageurs, en particulier aux postes frontières clés. On peut dire que cette frontière, par où transite la plus importante relation commerciale de la planète, est victime de « sa popularité ». Nul doute que le rythme du commerce canado-américain a dépassé les moyens et l’infrastructure en place pour y faire face.

Avant le 11 septembre, on avait pris des mesures pour proposer des changements aux problèmes de la frontière. Une des principales mesures a été l’établissement, en octobre 1999, d’un partenariat canado-américain (PSCA) par le premier ministre Chrétien et le président Clinton pour examiner l’avenir de la gestion de la frontière commune. Ce partenariat s’appuye sur trois principes directeurs :

 §La simplification, l’harmonisation et la collaboration en matière de politique et de gestion frontalières;
 §L’expansion de la coopération à la frontière et au-delà;
 §La collaboration face aux menaces communes venues de l’extérieur du Canada et des États-Unis.

Le premier rapport du PSCA, en décembre 2000, recommande qu’en vertu du partenariat, on poursuive des échanges canado-américains avec des intervenants publics et privés sur les questions frontalières. On y encourage également une plus grande coopération par des mécanismes bilatéraux comme l’accord sur la frontière commune, Vision de la frontière, le Forum sur la criminalité transfrontalière et les mécanismes de consultation sur les transporteurs routiers.

De nombreuses discussions ont eu lieu par le truchement de ces mécanismes bilatéraux, mais on ne peut pas dire que les deux gouvernements se soient précipités pour mettre en œuvre les solutions proposées. Selon Robert Keyes de la Chambre de commerce du Canada, une politique d’« indifférence bienveillante » à l’égard des infrastructures frontalières a eu pour effet de les laisser se détériorer (par exemple, les routes menant à la frontière, les procédures et installations de contrôle, personnel douanier) et de causer des problèmes même avant les attentats du 11 septembre. En fait, les lacunes des infrastructures et des ressources humaines ont sérieusement gêné les efforts pour répondre à la croissance du trafic aux postes frontaliers de plus en plus congestionnés comme au pont Ambassador entre Windsor et Detroit, où transite chaque année un volume de biens égal aux échanges commerciaux entre les États-Unis et le Japon.

M. Keyes a fait remarquer que même si le commerce canado-américain s’est accru considérablement ces dernières années — il a sextuplé, selon ses calculs — les ressources allouées à la frontière sont restées les mêmes. Par conséquent, il y a beaucoup à faire pour faciliter le commerce canado-américain, simplifier les procédures à la frontière, réinvestir dans les infrastructures, accroître les ressources douanières des deux côtés de la frontière.

B.  Répercussions du 11 septembre

Les attentats terroristes aux États-Unis ont mis en lumière plusieurs problèmes le long de la frontière longue de près de 9 000 km qui sépare le Canada de son voisin du Sud. On a déjà signalé l’insuffisance des infrastructures et du personnel; par ailleurs, la sécurité a mobilisé l’attention. Un sentiment d’insécurité, alimenté notamment par l’affaire Ahmed Ressam à la fin de 1999, venait de la crainte que des criminels et les personnes soupçonnées de terrorisme pouvaient traverser facilement la frontière. On a réclamé davantage de contrôles et de mesures de sécurité pour se protéger, mais sans restreindre indûment le commerce et les déplacements essentiels à l’intérieur de l’Amérique du Nord.

Après le 11 septembre, il est devenu clair que les États-Unis renforceraient la sécurité à ses frontières. Le renforcement sans précédent des contrôles (douaniers armés aux frontières, par exemple), a mis au grand jour, de façon soudaine et percutante, des préoccupations latentes depuis des années. La décision américaine de fermer brièvement la frontière ce jour-là, et la sécurité renforcée depuis, avec 100 % d’inspections, ont fait ressortir l’extrême dépendance de notre prospérité envers le marché américain. Nos exportations vers les États-Unis représentent environ le tiers de notre PIB. De toute évidence, le Canada est gravement touché par toute perturbation à la frontière américaine découlant du sentiment accru de vulnérabilité des Américains.

Les exportateurs ont craint que le passage de la frontière ne soit resserré indéfiniment, perturbant le libre passage des biens entre les deux pays. Immédiatement après les attentats, les retards à la frontière duraient souvent de 8 à 20 heures, et ont été particulièrement graves pour les localités frontalières du Canada comme pour les secteurs très dépendants de la facilité du passage de la frontière (transport aérien, hôtellerie et restauration, camionnage, industries dépendant de livraisons juste à temps, comme la construction automobile et les pièces de voiture). Aux États-Unis, les géants Ford Motor Company et DaimlerChrysler ont annoncé des fermetures d’usines possibles à cause d’une pénurie de pièces normalement acheminées juste à temps depuis le Canada mais retardées à la frontière.

Les entreprises décident souvent de s’installer au Canada en pensant qu’elles seront en mesure de bien desservir le marché américain à partir de chez nous. Dans un rapport de novembre 2001 sur les problèmes frontaliers, le Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux, qui relève du présent Comité, a noté que « sans accès fiable à ce marché convoité, les sociétés étrangères pourraient être réticentes à s’établir au Canada. D’autres entreprises, canadiennes et étrangères, pourraient vouloir déménager leurs installations existantes au sud de la frontière138 ».

Immédiatement après le 11 septembre, on a craint que l’économie canadienne ne souffre beaucoup et à long terme si rien n’était fait pour trouver une solution commune aux problèmes frontaliers émanant du nouveau contexte sécuritaire. Des groupes d’entreprises et sectoriels, notamment la Coalition pour des frontières sécuritaires et efficaces sur le plan commercial (qui a publié en décembre 2001 un rapport détaillé, Repenser nos frontières : Un plan d’action), ont réclamé à grands cris une collaboration bilatérale sur divers fronts touchant la sécurité frontalière, y compris dans des domaines sensibles comme l’immigration et le droit d’asile, l’évaluation du risque et le partage de données.

Deux rapports de l’an dernier, intitulés respectivement Vers une frontière sûre et propice à l’efficacité commerciale, et Le Canada et le défi nord-américain : Gérer nos relations dans un contexte de sécurité accrue, formulent eux aussi plusieurs recommandations et observations pour sécuriser une frontière demeurant raisonnablement ouverte et pour élargir le débat à des problèmes de sécurité plus larges, à la fois pour inclure le Mexique dans une perspective nord-américaine et pour voir où l’action multilatérale à grande échelle pourrait s’imposer pour contrer de manière efficace la menace terroriste.

Durant nos audiences de 2002 sur l’intégration nord-américaine, plusieurs témoins ont insisté sur la nécessité de maintenir une frontière ouverte au commerce et au trafic légitimes tout en contrant de manière efficace les menaces à la sécurité. Comme John Furey de la Chambre de commerce de Saint-Jean l’a déclaré au Comité, le Canada profite de la plus longue frontière non défendue au monde (depuis la guerre de 1812) et ne peut pas se permettre de perdre cet avantage139. Teresa Cyrus se dit d’accord : étant donné l’importance du commerce international pour le Canada, il est impérieux que la frontière reste le plus ouverte possible140. Pour sa part, Daniel Schwanen de l’Institut de recherche en politiques publiques souligne les avantages éventuels, à la fois pour l’économie et pour la sécurité, d’un passage plus facile des biens et services141.

C.  Mesures récentes

Heureusement, comme on l’indique au chapitre 3, des mesures concrètes ont été prises après les attentats du 11 septembre. Le gouvernement du Canada a adopté certaines mesures pour réduire les retards à la frontière et, en même temps, y assurer une sécurité suffisante. Mentionnons l’emploi de douaniers supplémentaires, la désignation de voies réservées au trafic commercial, l’ouverture de nouvelles voies pour les véhicules transportant des passagers et la désignation de voies de traitement spécial pour les camions ayant déjà passé le contrôle de dédouanement accéléré.

Outre ses propres mesures indépendantes, le gouvernement fédéral a également collaboré avec les Américains à une stratégie frontalière commune. Le 12 décembre 2001, les deux pays ont signé une déclaration créant une « frontière intelligente pour le XXIe siècle142 ». La déclaration formule 21 objectifs nouveaux et développe neuf initiatives récentes définies dans la déclaration conjointe en huit points concernant la coopération sur la sécurité de la frontière et les questions touchant les migrations régionales (signée le 3 décembre 2001) et l’entente signée entre la GRC et le FBI pour améliorer l’échange des données sur les empreintes digitales.

La déclaration s’accompagne d’un plan d’action en 30 points, appuyé sur quatre piliers : la circulation sécuritaire des personnes, la circulation sécuritaire des biens, la sécurité des infrastructures, la coordination et le partage de l’information. Le plan est destiné à favoriser la collaboration pour ce qui est de déterminer les menaces à la sécurité et d’y réagir, tout en accélérant le passage légitime des personnes et des biens à la frontière. Il s’inspire fortement du principe de la gestion du risque, en concentrant les ressources sur les personnes et les produits qui présentent le plus de risque. Un groupe de travail sur la frontière canadienne a été créé pour assurer la mise en œuvre de ce plan.

De nombreux témoins nous ont exprimé leur satisfaction à l’égard des progrès accomplis pour corriger de manière conjointe les lacunes à la frontière. Par ailleurs, Robert Keyes de la Chambre de commerce du Canada a peut-être le mieux exprimé le sentiment partagé par d’autres à l’effet que la décision canadienne de prendre l’initiative à la frontière avait permis qu’elle demeure ouverte et que les intérêts du Canada soient considérés dans les solutions proposées143. Le Comité est d’avis que le train de réformes frontalières, qui incorpore une approche cohérente de gestion du risque, illustre le succès que le Canada peut obtenir lorsqu’il présente aux Américains un projet de réforme concret et de grande portée. De fait, le projet de gestion frontalière préparé par le vice-premier ministre John Manley et ses fonctionnaires n’a guère été modifié par les États-Unis.

Pour réaliser le plan d’action de manière efficace, les deux gouvernements ont prévu des ressources financières considérables. Au Canada, le budget fédéral du 10 décembre 2001 alloue 1,2 milliard de dollars sur plusieurs années aux mesures destinées à rendre la frontière plus sûre, plus ouverte et plus efficace. Près de la moitié de cette somme est destinée à l’amélioration des infrastructures frontalières (amélioration des routes d’accès, ajout de nouvelles voies, achat de détecteurs électroniques pour une inspection plus rapide); l’autre moitié sera consacrée à la sécurité frontalière par des mesures d’application de la loi, de renseignement antiterroriste, et l’achat de matériel. La majeure partie des fonds d’infrastructure ira aux six principaux postes frontaliers du Canada.

En janvier 2002, le président Bush a annoncé que son administration chercherait à obtenir 10,7 milliards de dollars américains dans le prochain budget annuel, spécialement pour accroître la sécurité à la frontière, en plus des hausses massives prévues au budget de la défense. Des soldats américains devaient être déployés à la frontière canadienne et à la frontière mexicaine.

D.  Nécessité d’autres améliorations

Le 28 juin 2002, le vice-premier ministre John Manley et le conseiller de la Maison-Blanche à la Sécurité du territoire Tom Ridge ont publié un rapport d’étape généralement positif sur la mise en œuvre de la Déclaration sur la frontière intelligente et le Plan d’action en 30 points. Ce rapport a été suivi, le 6 décembre 2002, d’un rapport d’étape annuel concernant le Plan d’action sur la frontière intelligente144. Il ressort clairement de ce rapport qu’il reste beaucoup à faire. Il convient aussi de mentionner que les deux Parties à la Déclaration sur la frontière intelligente ont maintenant invité les chefs d’entreprises à prendre part à la réunion annuelle articulée autour de l’Accord sur la frontière commune, ce qui renforcera le processus devant permettre au secteur privé de faire des suggestions.

Sur une note positive, le Canada a cherché des façons nouvelles d’accélérer le mouvement de biens préapprouvés de faible risque par des programmes comme celui de l’Autocotisation des douanes (PAD) de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Ce programme, lancé le 6 décembre 2001 après plusieurs années de planification, réduit la pression à la frontière par la préapprobation des entreprises de faible risque et la vérification postérieure de leurs livres. De la même manière, le gouvernement américain a récemment dévoilé son nouveau programme du partenariat douanes-commerce contre le terrorisme (C-TPAT), qui accélère le passage à la frontière des expéditeurs commerciaux à faible risque tout en exigeant des compagnies canadiennes qui expédient des biens aux États-Unis de respecter des exigences de sécurité strictes.

En septembre 2002, le président Bush et le premier ministre Chrétien ont annoncé le lancement officiel d’un programme conjoint (Programme d’expéditions rapides et sécuritaires, EXPRES) facilitant le passage d’envois commerciaux à la frontière. EXPRES s’inspire de deux programmes unilatéraux (PAD et C-TPAT) et crée notamment des voies rapides pour les marchandises à faible risque (achetées par des importateurs préautorisés et transportées par des chauffeurs et des transporteurs préautorisés). On espère que le contrôle électronique rapide des camionneurs dans ces voies permettra d’accélérer leur passage à la frontière. Des voies rapides seront donc ouvertes dès le 16 décembre 2002 dans trois des postes frontaliers commerciaux les plus fréquentés (Windsor-Detroit; Sarnia-Port Huron et Fort Erie-Buffalo) dans le cadre de ce programme.

En outre, des voies rapides destinées aux voyageurs (et non aux expéditeurs) préautorisés à faible risque ont ouvert en juin 2002 à deux postes frontaliers entre la Colombie-Britannique et l’État de Washington. L’expansion de ce programme, NEXUS, à tous les postes frontaliers doit avoir lieu d’ici la fin de l’année. On prévoit également lancer un nouveau programme incorporant les voies rapides aux aéroports pour les voyageurs à faible risque, NEXUS-Air. Des projets pilotes à Ottawa et à Montréal doivent démarrer au début de 2003.

Malgré toutes ces mesures, ce ne sont pas tous les témoins qui sont heureux du rythme des changements en cours à la frontière. Ainsi, Sean Cooper de la Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique insiste sur le besoin d’une mise en œuvre rapide de bon nombre de mesures annoncées dans le plan d’action145, tandis que Michael Hart de l’université Carleton dit comprendre la frustration qui résulte de la lenteur de la mise en œuvre de l’accord frontalier146.

Le Comité constate que les délais (attribuables aux nouveaux règlements sur la sécurité) et à la lourdeur administrative continuent de retarder le camionnage. Une enquête menée en mai 2002 par KPMG auprès des compagnies de camionnage transfrontalier révèle que l’entrée aux États-Unis prend 20 % plus de temps qu’en mai 2001, à cause des exigences de sécurité accrues. On observe également des retards pour les camions qui entrent au Canada. En tout et pour tout, les progrès dans le développement des infrastructures requises pour améliorer le réseau de postes frontaliers ont été lents. Les passages très utilisés comme Windsor147 ont besoin de postes frontaliers additionnels ou de l’agrandissement des postes existants pour les voies séparées nécessaires à l’accélération du trafic148. La nécessité d’investir dans l’infrastructure des frontières a été réitérée par la Chambre de Commerce du Canada dans sa récente déclaration sur le progrès aux frontières.

Pour résoudre la situation, il faudra à la fois dépenser beaucoup pour des infrastructures importantes et mettre en place des mesures de sécurité accélérées. On espère que les programmes EXPRES et NEXUS permettront de réduire les retards. Cependant, les crédits requis aux États-Unis pour mettre la technologie à niveau et augmenter le nombre de douaniers n’ont pas été autorisés par le Congrès, même si Tom Ridge s’est engagé à fournir davantage de fonds pour les infrastructures et le personnel. On a toujours invoqué le manque de fonds provenant de Washington pour doter davantage de postes de douaniers du côté américain de la frontière comme cause de retards à la frontière149. De plus, comme l’a souligné récemment la Chambre de Commerce du Canada, les progrès réalisés pour le pré-dédouanement à l’écart de la frontière ont été minimes.

Recommandation 25

Étant donné le besoin criant de nouvelles infrastructures aux postes frontaliers canado-américains clés, le gouvernement du Canada devrait accélérer les efforts pour les construire aux points frontaliers existants et encourager davantage son vis-à-vis américain à faire de même.

En outre, Jérôme Turcq de l’Alliance de la fonction publique du Canada a indiqué au Comité que l’effectif canadien de douaniers continue d’être inférieur aux besoins, que le contrôle de certains postes frontaliers était jugé déficient, que la formation donnée aux étudiants engagés durant les périodes de pointe l’été était trop brève, que la supervision était insuffisante et, enfin, que la formation donnée aux douaniers pour superviser leurs collègues de l’immigration étaient également de piètre qualité150.

Recommandation 26

Le gouvernement du Canada devrait faire correspondre le nombre d’agents des douanes et de l’immigration aux postes frontaliers aux besoins actuels, étant donné les nouvelles exigences de sécurité qui reposent sur eux. Il convient d’améliorer la formation et l’équipement à la disposition des douaniers.

On constate une autre lacune du système : la réglementation des douanes demeure vétuste et les douaniers continuent de privilégier la collecte de recettes, qui ont sensiblement diminué au fil des ans, plutôt que la recherche de façons d’accélérer le trafic à la frontière. Ainsi, dans son témoignage, George Haynal a signalé que les douaniers doivent appliquer au total 186 instruments législatifs151, ce qui représente un nombre faramineux.

Recommandation 27

Le gouvernement du Canada devrait revoir en profondeur les règlements de douane appliqués à l’heure actuelle par les douaniers de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, afin de les mettre à jour. Les douaniers devraient être parfaitement informés de tout changement résultant, afin de les rendre plus aptes à gérer la situation dans le contexte frontalier d’aujourd’hui.

Plusieurs témoins favorisent des mesures encore plus radicales que les mesures étapistes appliquées ou prévues. Ainsi, Danielle Goldfarb de l’Institut C.D. Howe réclame un réexamen de la justification même de la frontière152. Michael MacDonald de l’Atlantic Institute for Market Studies affirme qu’il y a plus que la congestion aux postes frontaliers importants comme Windsor-Detroit et que les fonctionnaires fédéraux devraient considérer l’ensemble des problèmes153. La Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique suggère dans son mémoire au Comité que la gestion de la frontière fasse partie intégrante d’une vision à long terme de la relation canado-américaine154.

Dans le contexte d’une frontière repensée, plusieurs témoins ont suggéré l’établissement d’un nouveau périmètre de sécurité, ou zone de confiance, pour toute l’Amérique du Nord. Selon ce scénario, abordé au chapitre 3, les patrouilles frontalières pourraient se rendre dans des lieux très divers en Amérique du Nord et à l’extérieur. Laura Macdonald a évoqué l’Accord de Schengen, qui facilite les déplacements entre la plupart des États membres de l’Union européenne; elle craint qu’en Amérique du Nord une telle mesure n’impose au Canada d’harmoniser ou d’adapter graduellement de nombreuses politiques à celles des États-Unis, en sacrifiant sa souveraineté155. Pour sa part, Gordon Gibson de l’Institut Fraser affirme que la frontière devrait être protégée par un périmètre de sécurité commun, mais qu’il n’y a à peu près aucune possibilité d’éliminer la frontière étant donné la nécessité de contrôler ou de prévenir la circulation de produits illégaux comme les drogues entre les deux pays156.

Recommandation 28

Le gouvernement du Canada devrait entreprendre l’examen complet des options à long terme pour la frontière canado-américaine et présenter les résultats au public. Cette étude devrait comporter une évaluation de l’expérience européenne du passage simplifié des biens et des personnes entre la plupart des pays membres de l’Union européenne et l’analyse des implications d’un éventuel périmètre de sécurité autour de l’Amérique du Nord.

Enfin, il convient de mentionner deux autres questions. D’abord, le discours sur l’état de l’Union du président Bush en janvier 2002 indique que des contrôles additionnels à l’entrée et à la sortie seront imposés aux visiteurs des États-Unis. Certaines de ces dispositions sont susceptibles de ne pas s’appliquer aux citoyens canadiens, mais les problèmes émanant de l’article 110 de la Loi sur l’immigration du Congrès, il y a plusieurs années, donnent à penser que le Canada devra contrôler la situation de très près pour éviter d’autres problèmes qui pourraient en découler à la frontière.

La deuxième question à considérer, c’est la trilatéralisation possible des questions frontalières. Le Mexique préférerait traiter la frontière dans le cadre de l’ALENA, mais le Canada et les États-Unis continuent de favoriser un processus bilatéral. À ce sujet, Mme Macdonald a indiqué au Comité qu’il y aura « inévitablement trilatéralisation de problèmes considérés jusque là comme bilatéraux157 ». Elle a donné l’exemple de l’accord américano-mexicain sur la frontière intelligente, inspiré de l’accord canado-américain préalable. Cependant, cet exemple n’a guère à voir avec la trilatéralisation et constitue plutôt un exemple de « double bilatéralisme ». Nous reviendrons sur ce thème du « trilatéralisme » par rapport au bilatéralisme au chapitre 5 sur les options d’intégration.

4.4       Favoriser la compétitivité de l’économie canadienne en Amérique du Nord

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Le Canada court le risque de devenir une économie plus marginalisée en Amérique du Nord. Ici, les conséquences sont très claires. Comme pour les entreprises canadiennes, il ne suffit pas d’être aussi bons que les États-Unis en ce qui concerne le climat économique et les investissements. Le Canada ne pourra contrer l’attraction puissante du marché américain qu’en offrant le meilleur environnement fiscal et financier, la meilleure infrastructure et le meilleur rendement pour les capitaux investis en Amérique du Nord. L’objectif commun de tous les gouvernements de notre pays devrait être de faire du Canada le meilleur endroit en Amérique du Nord pour installer une entreprise, investir, fabriquer, exporter, travailler et se développer. […] À mon avis, nos rapports économiques avec les États-Unis doivent aussi devenir une question nationale portant sur les moyens les plus efficaces d’améliorer la productivité de l’industrie canadienne.

Jayson Myers, Manufacturiers et Exportateurs du Canada,
Témoignages, réunion n55, 5 février 2002.

Il y a un écart de productivité de 18 % à l’échelle de l’économie entre le Canada et les États-Unis. Dans le secteur manufacturier, par exemple, l’écart de productivité est encore plus grand, soit 34 %. Il s’agit d’un écart important, mais je ne vois aucune raison pour laquelle le Canada ne pourrait pas être aussi productif au travail que son voisin du Sud. […] l’écart entre le Canada et les États-Unis sur le plan du PIB réel par habitant, mesuré selon la parité des pouvoirs d’achat, était de plus de 8 000 $ en 2001. Pour une famille de quatre membres, cela représente 33 000 $ par an. L’écart de productivité explique près de 90 % de l’écart entre les revenus.

Peter Harder, Industrie Canada,
Témoignages, réunion n90, 13 juin 2002.

Comme nous sommes étroitement dépendants des États-Unis et étroitement liés à eux, les décideurs canadiens, lorsqu’ils élaborent des initiatives dans le domaine de la fiscalité, de la concurrence, de la technologie, de l’environnement, de l’exportation, etc., doivent soupeser les répercussions de leurs politiques à la lumière de cette interdépendance. S’ils ne le font pas, ils risquent d’entraîner des conséquences négatives et difficilement supportables pour le Canada.

Isaiah A. Litvak,
Florida Atlantic University,
Témoignages, réunion n87, 4 juin 2002.

[…] nous avons de nombreux avantages : un système de santé, une main-d’œuvre hautement qualifiée, notre dollar et nos coûts de production. Notre régime fiscal s’améliore. Nous avons beaucoup progressé. Nous avons encore du chemin à faire, mais nous sommes en progrès.

Robert Keyes, vice-président, Division internationale,
Chambre de commerce du Canada,
Témoignages, réunion n89, 11 juin 2002.

Améliorer le climat économique au Canada

Plusieurs témoins ont traité des façons d’améliorer la capacité concurrentielle du Canada face aux États-Unis dans le contexte de l’intégration économique continentale d’aujourd’hui. Ainsi, Sean McCarthy de la section terre-neuvienne des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, affirme que le milieu des affaires doit s’améliorer au pays pour que l’on puisse profiter davantage de l’intégration économique nord-américaine. Selon Jayson Myers du bureau national du même organisme, la clé de l’accroissement de la compétitivité et, à terme, de l’amélioration du niveau de vie des Canadiens, se trouve dans la réduction de l’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis. Selon lui, on pourrait contribuer à cet objectif en favorisant l’investissement dans les nouvelles technologies et l’accroissement de l’innovation chez les entreprises canadiennes, ainsi qu’en investissant dans la main-d’œuvre du Canada et en accélérant l’arrivée de nouveaux produits sur le marché158. Il propose les solutions suivantes :

 §élimination de l’impôt sur l’investissement dans les nouvelles technologies;
 §élimination de l’impôt sur le capital;
 §amélioration des crédits d’impôt à la recherche et au développement;
 §élimination des obstacles provinciaux au commerce à l’intérieur du Canada;
 §élimination des incohérences et des chevauchements des règlements canadiens159.

Peter Harder d’Industrie Canada a avancé des arguments analogues devant le Comité. Il considère que la meilleure façon d’éliminer l’écart de productivité consiste à attirer et à retenir l’investissement. De fait, la part canadienne de l’investissement étranger direct a diminué à 6 % seulement, en 2000, alors que l’économie américaine vigoureuse a gagné une part de marché correspondante. Pour surmonter le défi de l’intégration économique nord-américaine, il a réclamé « de l’innovation et le développement de l’activité canadienne dans les produits à valeur ajoutée; la création d’un climat susceptible d’attirer l’investissement; la fidélisation et l’attraction du capital humain et du savoir; enfin, la recherche continuelle de réduction des obstacles et des entraves à la libre circulation des biens, des services et des ressources productives dans l’économie160 ».

Isaiah Litvak de la Florida Atlantic University affirme qu’il est impérieux que les décideurs canadiens mettent en place un cadre politique approprié afin que le Canada soit la « destination de choix pour l’établissement et la croissance des entreprises dans l’espace nord-américain161 ». Ainsi, les taux d’imposition du Canada devraient à tout le moins se comparer à ceux des États-Unis. Autrement, l’investissement passera aux États-Unis, les sièges sociaux seront transférés au sud et les professionnels et les entrepreneurs suivront.

Recommandation 29

Pour que l’économie du Canada demeure concurrentielle au sein d’un ensemble nord-américain de plus en plus intégré et fasse progresser le niveau de vie des Canadiens, le gouvernement devrait mettre en œuvre d’urgence des mesures supplémentaires pour réduire l’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis. Il faudrait mettre en œuvre des allégements fiscaux et réglementaires, collaborer avec les provinces pour éliminer les obstacles interprovinciaux au commerce et favoriser l’investissement dans la main-d’œuvre.

4.5       Options de gestion de l’intégration économique accrue de l’Amérique du Nord

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Il est temps d’établir un marché sans frontière régi par un ensemble de règles uniques, mis en œuvre et administré par les deux gouvernements dans le but de soutenir leurs intérêts communs au sein d’une économie nord-américaine fonctionnelle et sûre. À cette fin, les deux gouvernements doivent examiner les modalités d’une nouvelle entente, enchâssée dans un ALENA augmenté, qui mette en œuvre des règles, des méthodes et des institutions adaptées à la réalité d’une intégration frontalière toujours plus étroite et mutuellement avantageuse pour les parties.

Michael Hart, université Carleton,
Mémoire, réunion no 55, 5 février 2002.

Nous avons parlé un peu du dollar, mais je pense que la question d’une union douanière avec les États-Unis, qui serait l’étape suivante de l’argument intégrationniste, est tout aussi problématique. C’est peut-être un peu plus dangereux car c’est moins évident, tandis que la monnaie c’est quelque chose que tout le monde a devant les yeux chaque jour. Le fait que la politique commerciale soit établie à Washington, n’est pas exactement aussi évident. Par ailleurs — et encore une fois, le fait même que nous parlions d’une telle chose fait peur — si on songe à la façon dont une union douanière pourrait être négociée avec les États-Unis, je peux imaginer tous les autres éléments que cela comporterait. Comme on le fait remarquer avec raison dans ce document d’information, l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et l’ALENA n’exemptent pas l’industrie canadienne des mesures compensatoires et antidumping américaines.

Rod Hill, université du Nouveau-Brunswick,
Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002.

Lorsqu’une intervention ponctuelle ne porte pas fruit ou ne suffit pas à nous garantir l’accès au marché américain, nous devrions vraiment commencer à adopter une vision ou un cadre plus vaste et proactif […] Si nous adoptons cette vision générale, cela nous permettra d’avoir de nouvelles possibilités de négociation où le Canada aura quelque chose à proposer en échange de ce qu’il cherche à obtenir, et qu’il n’aura que peu de chances d’obtenir si nous continuons à réagir de façon ponctuelle. [...]

Par exemple, le Canada pourrait demander l’élimination des lois américaines relatives à l’antidumping et aux droits compensateurs — chose que nous ne réussirons jamais à obtenir si cela ne s’inscrit pas dans un ensemble plus vaste d’initiatives. Et les États-Unis pourraient, de leur côté, s’intéresser à l’amélioration de la sécurité énergétique et de la collaboration en matière de défense. En connaissant les intérêts des deux pays, nous pourrons convaincre les États-Unis d’atteindre les objectifs du Canada, ce qui nous permettra de garantir davantage notre accès au marché américain. […]

Je tiens simplement à signaler qu’une optique qui prévoit ce genre de collaboration stratégique, ou une politique plus générale, ne signifie pas nécessairement que le Canada ne pourra pas ou ne devrait pas continuer à améliorer progressivement les structures actuelles de l’ALENA — par exemple en étendant le programme de visas de l’ALENA au personnel technique. De même, une optique qui intéresse les États-Unis ne signifie pas nécessairement que le Canada devra adopter la norme américaine. La reconnaissance réciproque des normes de nos deux pays faciliterait grandement les échanges sans toutefois harmoniser nos politiques. Cela s’est fait avec succès, en Europe.

Danielle Goldfarb, Institut C.D. Howe,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

À court terme, bien sûr, comme je l’ai dit, l’approfondissement de l’ALENA s’avérera la bonne solution. La déclaration sur la frontière intelligente est une mesure importante en vue de l’approfondissement de l’ALENA, et je me réjouis de voir qu’elle est mise en œuvre ici. […] Si nous pouvons aller un peu plus loin et harmoniser nos normes et nos procédures de façon qu’elles deviennent prévisibles pour les entreprises et que la circulation commerciale devienne prévisible aussi, ce serait excellent.

À long terme, nous devrions peut-être envisager l’union douanière. Ce n’est pas une panacée. L’union douanière ne réglera pas tous les problèmes parce que les trois pays aimeraient conserver leur indépendance et leur pouvoir unilatéral de prendre des mesures commerciales. Toutefois, l’union douanière permettrait au moins en bonne partie de réduire les irritants commerciaux. Elle faciliterait la circulation des produits. Peut-être pourrions-nous aller un peu plus loin pour faciliter la circulation des personnes aussi.

Alfie Morgan, Chambre de commerce de Windsor et district,
Témoignages, réunion no 81, 9 mai 2002.

L’union douanière nous permettrait certainement d’approfondir notre intégration économique, mais elle n’entraînerait pas nécessairement un marché unique. Dans un avenir prévisible, les marchandises feraient toujours l’objet de taxes différentes, se négocieraient avec des devises différentes et seraient visées par des réglementations intérieures différentes. Nous ne disons pas que nous allons renoncer complètement à notre réglementation. Un tarif douanier externe ne représente qu’un élément de l’entreprise globale d’intégration, qui est quelque chose de beaucoup plus vaste que cela.

Certains ont suggéré de commencer par des secteurs précis pour voir ce que l’on pouvait faire. Le secteur de l’acier serait un bon exemple. C’est un secteur dans lequel il y a déjà beaucoup de chevauchements entre les pays quant à la propriété, à l’origine des matières premières et même à la représentation syndicale. Ce secteur pourrait être un excellent test pour permettre au Canada et aux États-Unis non seulement d’améliorer l’efficacité actuelle de ce secteur, mais aussi d’évaluer les répercussions réelles qu’aurait un tarif douanier externe commun.

Sean Cooper, Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique,
Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.

Selon moi, si nous créons une union douanière, en vertu de laquelle les tarifs que les Japonais devraient payer seraient essentiellement les mêmes, peu importe que les produits soient exportés aux États-Unis ou au Canada, cela éliminera l’obligation très lourde d’avoir des règles d’origine très rigoureuses. Nous créerions une situation en vertu de laquelle les échanges commerciaux transfrontaliers seraient véritablement libres. [...] Par conséquent, il y aurait une certaine diminution de notre souveraineté. Toutefois, selon moi, les avantages l’emporteraient largement sur les inconvénients. Ces avantages sont une intégration plus étroite et une activité commerciale accrue à la frontière canado-américaine. Nous n’aurions plus à nous préoccuper des règles d’origine et des formalités administratives.

Barry Scholnick, université de l’Alberta,
Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.

Certains ont suggéré de progresser à cet effet vers une union douanière. Personnellement, je ne sais pas ce qui serait assez grand. [...] Une vision nord-américaine nous aidera à orienter nos politiques dans une direction constructive. Elle nous aidera aussi à renforcer nos accords intergouvernementaux intérieurs et à réaligner nos structures fiscales et réglementaires pour les rendre plus efficaces. Elle aidera en outre les décideurs à réfléchir à notre situation ambiguë, dans laquelle nous faisons en quelque sorte partie de quelque chose de nord-américain, sans trop savoir ce que ce quelque chose représente exactement.

Guy Stanley, université d’Ottawa,
Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.

Wendy Dobson n’a probablement pas tort lorsqu’elle nous engage à lancer des idées hardies pour pousser les Américains à s’impliquer. Nous devons envisager un marché commun, afin que les marchandises puissent traverser facilement la frontière. Ceci est lié aux questions de sécurité. Nous devrions nous doter d’un périmètre commun autour de ce marché commun de sorte que toute marchandise ayant passé les contrôles de sécurité nécessaires pour le Canada puisse passer aux États-Unis et vice versa. […] Nous devrions convaincre les États-Unis d’adopter un mécanisme de règlement des différends vraiment efficace. Nous pourrions y parvenir si nous leur proposions quelque chose qui attirerait leur attention. Vous avez dit tout à l’heure combien il était difficile de retenir leur attention. Vous pourriez leur proposer l’idée d’un marché commun, d’un périmètre commun au lieu de vous contenter de petites mesures ici et là sur le plan de la sécurité ou sur ce dossier.

Fred McMahon, Institut Fraser,
Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.

En ce qui concerne la politique économique extérieure du Canada, je pense que les objectifs à court terme du Canada en matière d’intégration économique nord-américaine devraient être axés sur la création d’un marché commun qui augmenterait la mobilité des produits et services et celle des travailleurs entre les trois pays partenaires de l’ALENA. Une union économique encore plus élaborée, comme l’Union européenne, n’est pas une perspective réaliste étant donné les défis particuliers que doit relever un pays en développement comme le Mexique. En outre, on ne sait pas très bien si l’harmonisation des politiques sociales ou monétaires du Canada et des États-Unis serait réalisable, voire souhaitable. [...] L’uniformisation des règlements en ce qui concerne les subventions et la concurrence entre les deux États réduirait considérablement la fréquence des recours à la réglementation commerciale. [...] Le Canada réclamerait une mise en œuvre échelonnée des critères réglementaires en matière de subventions, de concurrence, d’environnement, de ressources, voire d’union douanière. [...] Le Canada doit déterminer les avantages que présenterait une telle intégration avec les États-Unis. Un marché commun améliorerait l’accès du Canada au commerce américain. Par contre, une union économique diminuerait probablement son influence et ses options.

George MacLean, université du Manitoba,
Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.

Voici donc dans quel contexte j’envisage la question d’une union douanière et en fait toute la question de la politique commerciale canadienne : du côté politique, du côté coût, il y a la question énorme de notre souveraineté, mais il y a également la réalité de la vie économique au Canada et le fait qu’il nous faille exporter pour prospérer. [...] Cela exigera néanmoins la modification de l’[ALE], alors ce n’est pas une chose simple. Il faudrait que certaines parties de l’accord soient réouvertes, et il se pourrait que quelques-uns des éléments les plus controversés — le chapitre 11 — y soient rattachés. Il y aurait certainement des questions à régler à ce niveau-là.

Richard Harris, université Simon Fraser,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

En raison [...] tout particulièrement des coûts astronomiques qu’entraînent tous les retards dans la circulation des marchandises à la frontière, je crois que nous sommes voués à conclure, tôt ou tard, un traité d’union douanière avec les États-Unis. Ce sont des centaines de millions de dollars par jour qui ont été perdus aux mois de septembre et d’octobre à cause des retards à la frontière. Je sais qu’il y a beaucoup de réticence à cela, que le gouvernement n’est pas prêt à aller jusque-là, mais je ne vois vraiment pas comment nous pourrions y échapper. Ça prendra le temps que ça voudra. Les impératifs économiques qui nous lient à notre voisin sont beaucoup plus imposants que ceux qui lient les pays européens. Comme je le disais plus tôt, il n’y a pas deux pays qui commercent autant que le Canada et les États-Unis. Pourtant, les pays européens ont aboli les contrôles frontaliers et ont établi la libre circulation des biens et des personnes.

Louis Balthazar, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Les différences ont leur valeur [...] surtout quand les besoins diffèrent d’une administration à l’autre. Mais cela ne signifie pas pour autant que le Canada ne doit pas ou ne devrait pas prendre des mesures pour faciliter et rendre moins coûteux les mouvements de marchandises et de personnes aux frontières nord-américaines, ou adopter les mesures nécessaires pour réduire au minimum les risques pour sa sécurité et celle des autres. Mais ce faisant, il ne faut pas se laisser abandonner à un sentiment fataliste quant à l’assimilation ou à la convergence des normes. [...] Avec une union douanière, nous aurions des tarifs harmonisés, il ne serait plus nécessaire de prouver avant d’exporter un produit qu’il est d’origine nord-américaine. L’union douanière aurait des avantages, mais il faudrait encore se demander si on cesserait, aux États-Unis, de nous imposer des droits antidumping, des droits compensatoires, si nous aurions accès aux marchés publics américains, etc. Toutes ces questions n’ont pas été réglées par l’accord de libre-échange.

Daniel Schwanen, Institut de recherche en politiques publiques,
Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.

Il est très difficile de faire marche arrière une fois les dispositions en place et une fois que cette première intégration commence à exercer des pressions pour une intégration plus poussée. Cela entraîne des conséquences à long terme que nous ne pouvons pas prévoir et par conséquent, il nous faut, à mon avis, être extrêmement prudents. De toute façon, à court terme, nous n’aurons pas une bonne idée de ce que cela signifie. Je ne vois pas non plus de preuves que l’administration actuelle s’intéresse à une grande idée.

Don Barry, université de Calgary,
Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.

Je maintiens plus que jamais que la voie la plus sûre est celle du gradualisme. Mes inquiétudes sont le fait de mes antécédents en tant que politicologue, et du côté des processus et de celui des objectifs. Négocier pour une grande idée, un cadre formel d’intégration accrue, serait une grave erreur, car en tant que stratégie, cela ignore ou déforme le contexte politique.

Reg Whitaker, université de Victoria,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

[...] L’ALENA semble de plus en plus être un arrangement ponctuel qui, pour être élargi et pour renforcer les aspects commerciaux, sociaux ou politiques de nos relations avec le Mexique et les États-Unis, exigera un effort politique majeur. Il semble actuellement qu’aux États-Unis, voire même au Canada, il n’y ait pas de volonté de faire avancer les relations commerciales vers une intégration économique encore plus poussée, sans doute en partie parce qu’on ne s’est pas encore complètement ajusté aux changements qu’a entraînés l’ALENA.

William Kerr, Centre Estey pour le droit et l’économie dans le
commerce international, Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.

Pour tirer parti des débouchés de l’espace économique nord-américain, le Canada doit examiner ses politiques et ses programmes pour déterminer s’ils contribuent à susciter des occasions économiques permettant aux Canadiens de participer à des activités à valeur ajoutée et à des activités axées sur le savoir au Canada, créent des mesures incitatives pour les investissements canadiens et étrangers, favorisent l’esprit d’entreprise et la volonté d’agir du secteur privé, réduisent les risques à la frontière, favorisent l’efficacité du fonctionnement des marchés nord-américains, permettent au Canada d’accroître sa productivité et sa performance sur le plan de l’innovation et jouent en faveur du Canada quand il s’agit de persuader des personnes hautement qualifiées dans certaines disciplines clés de l’économie du savoir qu’il fait bon vivre et travailler dans le Canada du XXIe siècle.

Wendy Dobson, de l’École de gestion Rotman de l’Université de Toronto, a récemment exprimé une idée intéressante. Pour elle, il est maintenant temps d’agir. Le Canada devrait prendre les devants avant que les États-Unis ne soient obligés de réagir. Les événements tragiques du 11 septembre ont ouvert un créneau dans lequel le Canada peut se permettre de « penser grand » et d’engager le dialogue avec les États-Unis. Elle croit que les démarches de faible envergure passent inaperçues dans le système politique américain. Selon elle, il est possible de conclure une entente stratégique. La souveraineté, ce n’est pas seulement ce que nous cédons, c’est aussi ce que nous gagnons.

Peter Harder, Industrie Canada,
Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002

Dans l’ensemble, elles partent du principe que, pour faire avancer l’intégration nord-américaine, ce qu’il faut maintenant, c’est de faire un grand bond en avant. Mais j’espère que votre comité, même s’il doit explorer toutes les possibilités, restera sceptique à l’égard des grands changements proposés. [...] Il est extrêmement peu probable que le système américain réponde cette fois-ci. [...] Deuxièmement, que le grand danger dans une grande idée, c’est qu’elle peut contenir de petites idées qui ne sont ni suffisamment discutées ni suffisamment comprises, comme la bombe à retardement que constitue le mécanisme de règlement des différends du chapitre 11 que nous avons accepté les yeux fermés sans en mesurer les conséquences. Ma conclusion est assez simple, peu spectaculaire, et peut-être pas très séduisante. Il faut y aller une question à la fois, être plus prudent et régler les questions qui doivent l’être.

Stephen Clarkson, université de Toronto,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

A.  Le débat entourant l’intégration accrue

Récemment, un débat s’est engagé sur les avantages de pousser encore plus loin l’intégration économique. Comme le Comité l’a déjà fait remarqué, la réaction américaine aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 a donné un sentiment d’urgence aux discussions sur la forme que prendra l’intégration économique entre le Canada et les États-Unis. De façon générale, les partisans de l’intégration économique insistent sur les économies administratives et l’efficacité associées à l’élimination des règles d’origine, des contrôles à la frontière et des autres obstacles commerciaux. L’approfondissement de l’intégration en Amérique du Nord a mené des analystes du commerce, comme Michael Hart et William Dymond, à affirmer que les règles complexes qui régissent le commerce et les échanges transfrontaliers « nuisent au commerce et aux investissements. Les lourdes règles d’origine, les restrictions discriminatoires des gouvernements en matière d’approvisionnements, les procédures antidumping complexes, les enquêtes indiscrètes pour les droits compensateurs, les exigences réglementaires encombrantes, les considérations de sécurité vexatoires, les procédures coûteuses d’immigration et les autres mesures restrictives demeurent en place et découragent les décisions d’investissements dûment réfléchies et nuisent au commerce créateur de richesse162 ».

Dans son témoignage devant le Comité, M. Hart a indiqué que le Canada et les États-Unis « essaient d’établir un marché commun respectant les règles, les institutions et les modalités propres à une zone de libre-échange163 ». Préconisant un ALENA augmenté et mieux connu, il a demandé aux deux gouvernements « de gérer leurs relations et de renforcer les cadres institutionnels et méthodologiques, dans le but de gommer les différences, de réduire les conflits, de prévoir le changement, d’exploiter les possibilités et de gérer globalement le processus d’intégration164 ».

Pour leur part, les opposants à un lien économique officiel soulignent la perte de la souveraineté en matière de commerce et d’autres domaines de politique que pourrait entraîner l’intégration accrue. Comme l’a affirmé un observateur de l’intégration nord-américaine, les inquiétudes politiques associées à la synchronisation accentuée avec les États-Unis ont déjà empêché le gouvernement du Canada de promouvoir activement le resserrement des liens entre les deux pays165. Don Barry de l’université de Calgary a mis en garde le Comité lorsqu’il a affirmé que non seulement il serait difficile de faire marche arrière après la signature d’une entente officielle d’intégration accrue, mais une fois l’entente mise en œuvre, elle exercerait des pressions pour une intégration plus poussée166. Le Comité a aussi noté l’avertissement de Robert Keyes de la Chambre de commerce du Canada, qui a déclaré que « la réouverture de l’ALENA pourrait également poser des problèmes. [...] Cela peut ramener les discussions sur un sujet que vous préféreriez éviter, nous confronter à de nouvelles exigences ou mettre sur le tapis des questions qui avaient été laissées de côté167 ».

Une autre préoccupation plus générale : si l’on se concentre sur les zones commerciales régionales (comme l’UE, l’ALENA ou l’APEC), le régime de commerce multilatéral supervisé par l’Organisation mondiale du commerce serait affaibli. La preuve à l’appui de cette théorie n’est pas, cependant, concluante. Bien des analystes prétendent que l’apparition de zones commerciales fondées sur le libre-échange pourrait, au contraire, renforcer le système commercial international.

Les progrès de l’intégration européenne réalisés grâce à l’élargissement de l’Union européenne ont également nourri les spéculations concernant la viabilité d’une « communauté » économique similaire en Amérique du Nord, voire une forme d’union quelconque. Ce qui complique le dossier de l’intégration au Canada, c’est que le Canada (tout comme le Mexique) n’est pas aussi fort que les États-Unis sur le plan économique, militaire et démographique. Un tel déséquilibre, déjà à l’esprit des responsables de l’élaboration des politiques canadiennes, compliquerait énormément les négociations d’une intégration économique poussée. Il faudrait surmonter un préjugé existant, que décrit Reg Whitaker : « Le poids disproportionnellement énorme des États-Unis au sein de l’ALENA est tel que lorsque des décisions politiques sont prises, elles sont presque invariablement celles de l’administration et du Congrès américains, des tribunaux et des divers organes administratifs et de réglementation du gouvernement américain [...]168 ». Une question importante demeure : étant donné le déséquilibre du pouvoir, le modèle de l’UE est-il valable pour le Canada?

Il faut mentionner aussi le manque apparent d’intérêt des Américains à l’égard d’une intégration économique continentale approfondie. Étant donné la différence de taille des économies nord-américaines et le fait que les exportations de marchandises des États-Unis au Canada représentent tout au plus 2 % du PIB américain, quel avantage les États-Unis peuvent-ils en retirer? Il semble que les « grandes idées », comme une union douanière, ne sont pas une priorité des États-Unis, contrairement à la libre circulation des biens à la frontière. Cette impression a été renforcée lors de la réunion que le Comité a tenue à Washington. Comme l’a si bien dit Doris Meissner du Fonds Carnegie lors de la réunion finale, les mesures relatives à la « frontière intelligente » « sont les seules à l’heure actuelle qui bénéficient de la volonté politique américaine ».

Cette opinion était partagée par les témoins au Canada. Par exemple, d’après Don Barry, l’administration américaine ne s’intéresse par à de telles grandes idées169. William Kerr, du Centre Estey pour le droit et l’économie dans le commerce international, estime que ces nouveaux arrangements sont prématurés, car « on ne s’est pas encore complètement ajusté aux changements qu’a entraînés l’ALENA170 ». Stephen Clarkson doute fort des raisons qui pousseraient le Canada à consacrer ses efforts à de « grandes idées », ajoutant que l’administration américaine ne répondrait pas à l’ouverture du Canada et que ce type de propositions renfermerait « de petites idées qui ne sont ni suffisamment discutées ni suffisamment comprises, comme la bombe à retardement que constitue le mécanisme de règlement des différends du chapitre 11 que nous avons accepté les yeux fermés sans en mesurer les conséquences171 ».

Même si les Américains (et les Canadiens) s’intéressaient réellement au resserrement des liens économiques continentaux, il est incertain qu’ils adopteraient une démarche trilatérale unique. En vertu de cette démarche, les trois pays négocieraient conjointement au lieu de procéder en parallèle (c’est-à-dire des négociations
Canada- États-Unis et des négociations Mexique-États-Unis).

Les responsables de l’élaboration des politiques aux États-Unis et au Canada continuent de percevoir l’ALENA comme une « double entente bilatérale », « en deux temps », plutôt que comme un accord trilatéral. Dans le premier cas, on pourrait inviter le Mexique à s’y joindre « après avoir consolidé sa modernisation172 ». Le gouvernement du Canada, par exemple, continue de mettre l’accent sur ses relations bilatérales avec chacun des partenaires de l’ALENA, même si ses relations avec le Mexique prennent de plus en plus d’importance. Selon d’autres observateurs, une démarche bilatérale en matière de coopération est préférable à une démarche qui engage les trois pays. Robert Keyes de la Chambre de commerce du Canada a souligné que les relations canado-américaines sont beaucoup plus développées que nos relations avec le Mexique et que, par conséquent, il faut accorder toute notre attention aux États-Unis173. Michael Hart est d’accord sur ce point, avançant que le Canada et le Mexique devraient poursuivre leurs efforts d’intégration en parallèle (non pas conjointement) jusqu’à ce que leurs intérêts se rejoignent davantage.

D’autres témoins divergeaient quant au modèle d’intégration. D’après Gordon Mace, un modèle d’intégration à deux temps est dangereux car il attise les peurs que suscite le modèle de « l’étoile et ses satellites » (les États-Unis sont l’étoile tandis que le Canada et le Mexique sont les satellites), un écueil que l’ALENA a tenté d’éviter la première fois174. Plusieurs témoins ont suggéré que le fait que deux pays (pas seulement le Canada) négocient avec les États-Unis pourrait se révéler utile si le Mexique aide à contrebalancer les intérêts américains. D’autres ont indiqué que même si la réalisation d’une véritable zone commerciale nord-américaine demeurait un objectif à long terme, le Canada devrait commencer à élaborer des mécanismes trilatéraux pour discuter des intérêts communs comme la migration, la sécurité, l’énergie et les travailleurs.

Si une transformation des relations commerciales nord-américaines est souhaitée, quelle forme devrait-elle prendre? L’intégration devrait-elle se faire selon le cadre analytique traditionnel « du haut vers le bas » (zone de libre-échange, suivie d’une union douanière, suivi d’un marché commun, suivi d’une union économique et monétaire éventuelle), fondé en partie sur le modèle européen? Ou l’intégration devrait-elle se faire progressivement, en réglant des problèmes individuellement, dans un contexte moins officiel, sans orientation précise? Ou encore, faudrait-il prendre un peu de chaque démarche? La prochaine section décrit les options qui s’offrent et leurs avantages respectifs.

B.  Options de l’intégration « du haut vers le bas »

On pourrait suivre l’exemple européen et adopter une progression logique, qui irait des accords de libre-échange (l’intégration la plus minimale) à l’union douanière, au marché commun puis à l’union économique175. On présume qu’il faudrait un traité international entre les trois pays membres de l’ALENA ou entre le Canada et les États-Unis pour officialiser les nouvelles relations.

1.    Union douanière

Premièrement, on pourrait créer une union douanière. Dans un tel cadre, les pays participants s’engageraient à supprimer toute restriction sur leurs échanges et à adopter un tarif extérieur commun (et un même régime de contingentement) à l’égard des pays non membres. À l’heure actuelle, un grand nombre des marchandises qui circulent dans l’ALENA sont produites entièrement ou en partie à l’extérieur de la zone, d’où les règles d’origine destinées à déterminer ce qui est imposable et ce qui ne l’est pas. À défaut de telles règles, les entreprises seraient incitées à acheminer les importations dans la zone de libre-échange en passant par le pays ayant le tarif extérieur le plus bas.

D’une façon générale, les marchandises expédiées partout en Amérique du Nord doivent être accompagnées d’une importante documentation, afin que chaque pays puisse appliquer ses propres tarifs aux produits ou à leurs éléments provenant de l’extérieur de la zone de l’ALENA. Dans une union douanière, toutefois, les importations seraient partout assujetties aux mêmes droits, et les règles d’origine servant à prouver que telle marchandise a été produite en Amérique du Nord deviendraient inutiles. Une fois dédouanés à l’entrée dans l’espace économique de l’ALENA, les produits pourraient circuler d’un pays à l’autre sans difficulté ni intervention.

Une union douanière suppose que les États participants renoncent à une part de leur liberté décisionnelle (pour établir une politique commerciale extérieure et des tarifs extérieurs communs) contre certains avantages économiques (élimination des règles d’origine). Des témoins ont toutefois souligné que, certes une harmonisation des listes douanières forcerait le Canada à abaisser ses droits et à les ramener au niveau de ceux des États-Unis, mais que, pour près de 40 % des postes tarifaires, l’écart actuel est déjà de 1 % ou moins. De plus, comme l’a rappelé Barry Scholnick, professeur à l’université de l’Alberta, ces réductions tarifaires ne toucheraient que les 20 % du commerce canadien qui concerne des pays autres que les États-Unis et le Mexique176. En d’autres termes, il semble que l’harmonisation des tarifs douaniers ne poserait guère de problèmes177. Selon Michael Hart, « ce 1 % est à l’origine de règles et partant de nombreux formulaires à remplir, des formalités qui équivalent à une taxe de 3 ou 4 %178 ».

Autre aspect de cette question : l’harmonisation de la politique générale en matière de commerce extérieur entre les partenaires de l’ALENA. Comme c’est le cas pour l’UE, l’éventuelle union douanière fonctionnerait vraisemblablement comme un bloc lors des négociations commerciales internationales à venir. Par conséquent, la capacité de chaque État membre d’agir indépendamment sur le plan de sa politique commerciale extérieure serait touchée. La Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique estime que « le Canada et les États-Unis devront en arriver à un consensus sur la tenue de négociations commerciales globales. Sinon, les deux pays devront à tout le moins réduire considérablement leurs divergences179 ». Rod Hill, professeur à l’université du Nouveau-Brunswick, à Saint-Jean, redoute que, dans le cadre d’une union douanière, la politique commerciale ne soit décidée à Washington180. La Chambre de commerce du Canada met elle aussi en doute la capacité du Canada d’agir indépendamment de ses partenaires dans une telle union. En matière d’agriculture, par exemple, ses régimes de gestion des approvisionnements pourraient être menacés181.

Notons aussi que les mesures de nature commerciale et économique ont gagné en importance en tant qu’outils de mise en œuvre de la politique étrangère ces dernières années et que la mise en place d’une union douanière impliquerait l’harmonisation d’une partie de notre politique étrangère. Pensons, par exemple, à Cuba ou à l’Iran, avec lesquels le Canada maintient des liens commerciaux alors qu’ils sont tous deux visés par un embargo américain.

Côté avantages, par contre, l’élimination des règles d’origine devrait permettre de réduire les dépenses administratives et de faire des économies d’efficience à la frontière. Selon plusieurs témoins, en effet, en réduisant les exigences au chapitre des inspections frontalières et des formalités, on pourrait réaliser des économies allant jusqu’à 2 ou 3 % du PIB de l’ALENA. Louis Balthazar, professeur à l’Université Laval, estime qu’une union douanière avec les États-Unis est inévitable à terme, étant donné la formidable intégration économique déjà existante et la nécessité d’éviter les coûteux retards à la frontière, comme ceux qui ont suivi immédiatement les événements du 11 septembre182.

L’établissement d’une union douanière intégrale supprimerait également pour le Canada un motif de friction important, à savoir la tendance des États-Unis à adopter des lois intérieures sur les recours commerciaux comme mécanismes protectionnistes. L’union douanière supposerait des recours commerciaux communs (droits antidumping et compensateurs) contre les pays extérieurs à l’ALENA et elle interdirait ce type de dispositif entre les pays membres. Bref, dans une union douanière intégrale, les États-Unis ne pourraient plus appliquer des droits compensateurs ou antidumping contre ses partenaires de l’ALENA. Comme l’a dit Alfie Morgan, de la Chambre de commerce de Windsor et du district, « une union douanière permettrait au moins en bonne partie de réduire les irritants commerciaux. Elle faciliterait la circulation des produits183 ».

Toutefois, comme le craignent certains observateurs, Rod Hill, par exemple184, les États-Unis pourraient insister pour que soit maintenu leur droit de recourir à des mécanismes tels les droits antidumping et compensateurs à l’égard du commerce à l’intérieur de la zone de l’ALENA. Les Américains pourraient également continuer d’imposer des obstacles non tarifaires (inspections sanitaires, règles de sécurité, etc.) aux exportations canadiennes185.

Même alors, soutient l’économiste Richard Harris, de l’université Simon Fraser, dans un document de travail sur l’intégration économique nord-américaine préparé récemment pour Industrie Canada186, la mise en place d’une union douanière intermédiaire comporterait des avantages économiques, sous la forme d’une diminution des dépenses liées à l’administration et aux transactions. Selon cette option, le Canada, les États-Unis et le Mexique adopteraient un tarif externe commun et harmoniseraient leurs autres politiques en matière de commerce international, mais les pays de l’ALENA pourraient continuer d’appliquer des droits antidumping et compensateurs à leurs frontières internes. Lors de sa comparution devant le Comité, M. Harris est allé jusqu’à parler des règles d’origine comme d’un réel obstacle au commerce, en cette époque d’intégration verticale croissante des entreprises187.

Enfin, M. Harris a évoqué la possibilité que — au lieu de transformer l’actuel accord de libre-échange en une union douanière — l’on applique les principes de ce type d’union aux industries qui ont le plus besoin d’un allègement des règles d’origine188. Sean Cooper et Alfie Morgan ont tous deux suggéré que l’industrie nord-américaine de l’acier, déjà fortement intégrée, serve de prototype à une union douanière. Selon eux, dans ce secteur, une partie considérable des droits de propriété, des sources d’approvisionnement et de la représentation syndicale chevauche la frontière. Un prototype de ce genre permettrait, pensent-ils, de mesurer les effets sur le Canada du passage éventuel à un tarif externe commun.

À Mexico, Rafael Rubio, président du comité des affaires internationales de l’Association des producteurs d’acier du Mexique, était du même avis. Il a souligné que le North American Steel Council était pour la première fois présidé par un Canadien. Selon lui, dans ce secteur hautement intégré de l’économie nord-américaine, le temps est venu d’abandonner les mesures temporaires et les recours commerciaux pour adopter des solutions à long terme. « Nous devons envisager une forme d’union douanière. Nous devons franchir ce pas. » Peut-être existe-t-il d’autres industries où les Canadiens pourraient songer à adopter des tarifs externes communs, dans le contexte de l’ALENA, pour des motifs pragmatiques189. Le Comité estime donc que ces possibilités méritent d’être étudiées sérieusement, aux fins d’établir les meilleurs moyens de bien servir les intérêts du Canada.

2.    Marché commun

Les trois pays pourraient aussi, à terme, constituer un marché commun dans lequel les capitaux, les personnes, les biens et les services circuleraient librement. À l’heure actuelle, les frontières entre les pays membres de l’ALENA font obstacle. Une mobilité accrue de la main-d’œuvre est réellement l’objectif principal à ce stade du processus d’intégration, car elle favoriserait l’efficience économique et la hausse des revenus. Dans un marché commun, tous les obstacles aux mouvements temporaires ou permanents des citoyens entre les États membres seraient supprimés.

Souvent, le marché commun est associé à une convergence des politiques financières et monétaires et à l’élimination des obstacles non tarifaires comme la réglementation des normes sur les produits. Ce type d’union permet un degré plus élevé d’harmonisation des politiques.

L’expérience de l’UE donne à penser qu’un marché commun nord-américain procurerait aux trois partenaires de l’ALENA des avantages non négligeables sur les plans de la concurrence et de la productivité190. Beaucoup craignent toutefois que la suppression des obstacles sans convergence préalable des revenus dans l’ensemble du territoire, provoque une très forte migration entre le Mexique, relativement pauvre, et les États-Unis. On redoute que l’arrivée massive de migrants mexicains menace le niveau de vie des pays plus riches, surtout les États-Unis191. Ce phénomène n’a pas eu lieu en Europe, où les migrations entre États membres et même entre régions d’un même État ont toujours été faibles, en raison surtout de facteurs linguistiques et culturels. Les écarts de revenus observables en Europe ne sont pas suffisants pour neutraliser ces facteurs. Enfin, il faut aussi considérer qu’un marché commun nécessiterait la création d’une série d’institutions politiques et juridiques bilatérales ou à l’échelle de l’ALENA, qui n’existent tout simplement pas pour l’instant.

Un certain nombre de nos témoins verraient d’un bon œil l’établissement d’un marché commun. Sean McCarthy, de la section de Terre-Neuve et du Labrador des Manufacturiers et Exportateurs du Canada estime qu’il faut d’urgence accroître la mobilité transfrontalière des travailleurs, dans un sens comme dans l’autre192. George MacLean, professeur à l’université du Manitoba, partage cet avis. Selon lui, la mobilité des biens, des services et de la main-d’œuvre, de même que l’élimination d’une lourde législation relative aux recours commerciaux (droits compensateurs et antidumping) à l’intérieur de l’Amérique du Nord, auraient des avantages pour le Canada — des avantages qui seraient rendus possibles par la création d’un marché commun.

3.    Union économique

Troisièmement, on pourrait envisager la forme la plus poussée de l’intégration, à savoir une union économique, au sein de laquelle seraient harmonisées les règles de la concurrence ainsi que les politiques, monétaires, financières et structurelles. Il faudrait instaurer des institutions et des lois supranationales (en remplacement des lois nationales) pour régir le commerce à l’intérieur de l’union, ainsi qu’une coordination générale du transport et des politiques régionales et industrielles. Une telle union pourrait s’accompagner d’une monnaie commune, le dollar américain peut-être, et d’une politique monétaire unifiée, ce dont traite la section suivante.

La création de l’Union européenne a incité certains à envisager la possibilité d’une union économique analogue en Amérique du Nord. Par exemple, le président du Mexique, Vicente Fox, s’est dit favorable à l’instauration progressive d’une union douanière et d’un marché commun à l’européenne, ainsi qu’à la mise en place d’autres éléments clés associés à une intégration étroite : politique monétaire commune et coordination améliorée des politiques, notamment.

La « Vision 2020 » de Vicente Fox prévoit également la création d’un fonds destiné à atténuer les disparités économiques entre le Mexique, plus pauvre — dans le Sud surtout —, et ses partenaires de l’ALENA. Ce mécanisme serait analogue aux fonds de cohésion sociale organisés pour certains pays de l’UE, comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et la Grèce193. Dans l’idéal, aux yeux du Mexique, il faudrait que la source de financement soit constituée par un nouvel instrument propre à l’ALENA, soit une Banque nord-américaine de développement. Certains estiment toutefois que la Banque interaméricaine de développement joue déjà ce rôle. Jusqu’à maintenant, il ne semble pas exister de consensus ni à Washington ni à Ottawa sur la création d’un fonds ou d’un mécanisme de financement nord-américain supplémentaire pour répondre aux besoins de développement du Mexique. Nous y reviendrons au chapitre 5.

Le Comité n’a entendu pratiquement aucun témoignage sur les avantages (ou les inconvénients) d’une union économique nord-américaine. Peut-être cela signifie-t-il que cette option n’est pas jugée réalisable dans un avenir prévisible. George MacLean, un des rares témoins qui en ont parlé, s’y oppose, car « on ne peut pas affirmer que l’harmonisation des politiques sociales ou monétaires du Canada et des États-Unis serait réalisable, ni même souhaitable194 », a-t-il dit.

4.    Des choix plus complexes qu’il n’y paraît

Dans la réalité, toutefois, les choix ne sont pas toujours aussi nettement démarqués. En pratique, les différentes étapes de l’intégration ne suscitent pas toutes le même degré de coopération supranationale. Par exemple, le Canada ne cesse de réclamer une plus grande coopération en ce qui concerne l’utilisation des recours commerciaux (droits antidumping et compensateurs) en Amérique du Nord, un problème extrêmement important pour notre pays. Nombreux sont les Canadiens qui trouvent que l’ALENA est insatisfaisant à ce chapitre.

Ces recours commerciaux semblent illogiques dans un contexte de libéralisation du commerce, et il reste beaucoup à faire pour en éliminer l’utilisation sur le continent. La vraie question, toutefois, c’est celle de savoir si les États-Unis accepteront ou non les changements suggérés. Il n’est pas certain que la mise en place d’une union douanière, par exemple, supprimerait l’application du régime des recours commerciaux aux pays membres de cette union.

C.  Les démarches « de bas en haut »

Même avant les événements du 11 septembre, des groupes de gens d’affaires estimaient que le fonctionnement de l’ALENA laissait à désirer. En effet, répétons-le, la liste des motifs de discorde est longue : abus des procédures relatives aux droits antidumping et compensateurs, autres différends commerciaux portant sur des obstacles non tarifaires, par exemple : complexités des règles d’origine; restrictions appliquées aux marchés d’État; lois maritimes américaines désuètes qui empêchent les sociétés canadiennes d’accéder aux marchés américains du transport et de la construction maritimes; exigences différentes relatives aux normes de produits, à l’étiquetage, à la mise à l’essai et à la certification, etc.

De plus, dans la perspective d’une intégration économique et des problèmes liés à la protection de l’environnement, aux migrations et aux transports transfrontaliers, la coopération est indispensable pour que chaque pays puisse atteindre ses objectifs économiques, sociaux, environnementaux et sécuritaires. Dans le domaine des transports, par exemple, il faut réfléchir à l’accroissement du trafic dans les couloirs existants. Des coalitions de gens d’affaires et de représentants des pouvoirs publics réclament au moins 11 corridors commerciaux trilatéraux dans le cadre d’un plan intégré de transport et d’infrastructure.

Il existe deux possibilités de changements plus progressifs et moins structurés. Richard Harris, dans le document qu’il a préparé pour Industrie Canada, souligne que l’intégration de l’Amérique du Nord se réalise malgré l’absence d’un marché commun officiel et que certains secteurs subissent déjà des pressions en faveur d’une convergence ou d’une harmonisation des politiques. Ces pressions augmenteront à mesure que progressera l’inévitable intégration des économies canadienne et américaine.

Devant cette réalité, M. Harris propose que l’on envisage des mécanismes plus souples pour faciliter la mobilité transfrontalière à l’intérieur de la zone de l’ALENA et pour assurer une convergence graduelle des politiques. Cette démarche « de bas en haut » suppose une convergence dans un certain nombre de domaines stratégiques comme les questions frontalières, les transports, la mobilité de la main-d’œuvre, la concurrence sur le plan fiscal, les taux du change, les règlements et la politique de concurrence, la politique commerciale administrative (droits antidumping et compensateurs), les problèmes de protection de l’environnement et de ressources naturelles, et enfin, les droits sur la propriété intellectuelle.

En procédant à une harmonisation progressive, comme celle qui touche les procédures douanières et d’immigration depuis le 11 septembre, le Canada pourrait, selon M. Harris, aboutir à une forme d’intégration de plus en plus comparable à un marché commun en bonne et due forme. L’harmonisation des politiques nord-américaines dans les domaines mentionnés ci-dessus pourrait se poursuivre par le truchement d’ententes bilatérales ou trilatérales. Selon cette méthode, les transformations seraient entreprises parce qu’elles favorisent la prospérité du Canada et répondent aux besoins sociaux et économiques du pays.

Il existe une autre voie, qui reconnaît la nécessité d’améliorer la relation nord-américaine tout en procédant de façon réaliste. C’est ce que Daniel Schwanen appelle l’« interopérabilité ». Selon cette formule, chaque pays garderait ses politiques et systèmes propres, mais veillerait à ce que ceux-ci autorisent les autres pays « à coopérer efficacement de manière continue dans des domaines où leur interdépendance poussée signifie qu’un manque de coopération pourrait entraîner de lourdes pertes195 ». Selon M. Schwanen, « ce type d’entente favoriserait des relations économiques et sécuritaires avantageuses pour toutes les parties, sans compromettre les pouvoirs existants des parlements nationaux196 ».

M. Schwanen fait reposer cette interopérabilité sur quatre piliers :

 §« La nécessité, pour chaque pays, de reconnaître et de corriger les pratiques qui entraînent des risques graves pour les intérêts légitimes de l’autre. Par exemple, en matière de sécurité, empêcher que l’on contrevienne à ses propres lois, mais aussi tenir compte des menaces que les mouvements transfrontaliers pourraient entraîner pour les pays partenaires ».
 §« Une meilleure gestion des différences les moins menaçantes (normes, règles de qualification ou politiques, p. ex.) qui sont susceptibles de causer des frictions au moment où les produits ou les personnes passent la frontière. Pour cela, il faudrait par exemple une reconnaissance mutuelle (c.-à-d. que chaque pays reconnaisse les normes de l’autre) et la création d’arbitres de détermination des faits, sur le modèle de la Commission de coopération économique. Bien sûr, la réussite pour ce qui a trait à ce pilier dépendrait de la volonté des États-Unis d’aplanir les « différences les moins menaçantes ». Comme l’affaire du bois d’œuvre le prouve, cette volonté fait souvent défaut ».
 §« Une coopération de base plus grande dans l’établissement des normes et règlements eux-mêmes et dans l’allègement des divers processus d’approbation réglementaire, lorsque les vastes objectifs qui sous-tendent les normes sont manifestement les mêmes de part et d’autre ». Ici encore, comme c’est le cas pour la viabilité d’institutions politiques supranationales en Amérique du Nord, on se demande si les États-Unis, en tant que puissance continentale dominante, ne préféreraient pas, plutôt que l’élaboration de normes et de réglementations communes, l’adoption pure et simple des normes américaines par le Canada. »
 §« Une connectivité et une compatibilité améliorées entre les structures de transport197 ».

1.    Problèmes de réglementation

Tandis que les marchés et les systèmes de production sont de plus en plus intégrés, les entreprises se butent à d’autres obstacles non tarifaires, à savoir : les différences en matière de normes (santé et sécurité, emballage, sécurité en matière d’électricité, contrôle des émissions de gaz, analyse des aliments, langue), de règlements, d’étiquetage, etc. Inévitablement, tout cela s’accompagne de dépenses supplémentaires, de double emploi, de retards, et ainsi de suite. Pour le commerce, chaque règlement suppose des dépenses qui équivalent à des droits de douane. Avant qu’un produit passe la frontière, il peut devoir être modifié physiquement, réétiqueté ou faire l’objet d’une vérification de son origine et de ses composants198.

En gros, il y a trois solutions possibles à ce problème : la reconnaissance mutuelle; l’harmonisation; et les politiques communes. En Europe, l’harmonisation des réglementations, jugée coûteuse et inefficace, a été remplacée par un accord selon lequel chaque gouvernement reconnaît les règlements des autres. Selon ce scénario de reconnaissance mutuelle, dès lors qu’un produit répond aux normes du pays A, il peut entrer dans le pays B sans restriction, à condition que le pays A accorde la réciproque au pays B199. Pour sa part, l’Institut Fraser, qui a son siège à Vancouver, appelle à une harmonisation des politiques réglementaires, ou à des mécanismes visant une reconnaissance mutuelle des politiques réglementaires, dans les domaines du transport, de l’environnement, des espèces menacées, de l’énergie, des lois sur la concurrence et des produits pharmaceutiques. Soulignons que le ministre du Commerce international, Pierre Pettigrew, dans l’allocution qu’il a prononcée le 16 octobre devant le Conseil des gens d’affaires Canada-États-Unis, a préconisé une reconnaissance mutuelle des réglementations.200

Plusieurs des témoins entendus par le Comité souhaitent une harmonisation réglementaire plus poussée. Par exemple, Alfie Morgan trouve que nous devrions « harmoniser nos normes et nos procédures de façon qu’elles deviennent prévisibles pour les entreprises et que la circulation commerciale devienne prévisible aussi201 ». Guy Stanley, de l’Université d’Ottawa, est du même avis. Selon lui, il faudrait instaurer des initiatives « conçues pour assujettir les réseaux et les secteurs qui sont tellement importants sur le plan économique à un même ensemble de règles. Dans certains cas, cela implique un dépassement du traitement national202 ». À titre d’exemples, il a cité la protection de l’environnement, les services financiers, les télécommunications et l’agriculture, domaines où une convergence plus grande des règles de fonctionnement et des normes réglementaires favoriserait la prospérité de l’Amérique du Nord.

En revanche, Robert Keyes, de la Chambre de commerce du Canada, et Danielle Goldfarb, de l’Institut C.D. Howe, souhaiteraient plutôt une démarche fondée sur la reconnaissance mutuelle : « L’avantage de la reconnaissance mutuelle, c’est qu’elle oblige chaque partie à reconnaître les normes de l’autre. Cela ne signifie pas que l’une ou l’autre partie doive modifier ses normes. Du point de vue politique, cela me semble faisable et ne nous oblige pas à harmoniser nos normes avec celles des États-Unis. La reconnaissance mutuelle nous permettrait de faire progresser nos relations et de garantir un meilleur accès au marché américain tout en évitant la question épineuse de l’harmonisation203 ». D’après les témoins, la reconnaissance mutuelle pourrait être menée en procédant secteur par secteur, ou encore marchandise par marchandise.

Michael Hart défend lui aussi cette solution. À son avis, « il n’est nullement nécessaire pour le Canada et les États-Unis d’harmoniser les règlements, mais chaque pays pourrait profiter d’un processus de reconnaissance mutuelle des règlements de l’autre, car, dans la plupart des cas, les différences réglementaires entre les deux pays sont très minimes et le fruit de leur histoire et de leur système législatif respectifs, et ainsi de suite204 ».

Recommandation 30

Lorsqu’il évaluera les mesures à prendre pour alléger le fardeau que l’existence de plusieurs systèmes réglementaires impose aux sociétés qui mènent des activités en Amérique du Nord et pour éviter les inconvénients d’une harmonisation réglementaire, le gouvernement du Canada, en consultation avec les provinces, devrait envisager sérieusement de conclure, avec ses partenaires de l’ALENA, des ententes visant une reconnaissance mutuelle des règlements existants. Selon ces ententes, les États reconnaîtraient le cas échéant les normes réglementaires des uns et des autres, ce qui faciliterait le commerce transfrontalier.

2.    Problèmes de transport

Étant donné le volume du commerce Canada-États-Unis/ALENA, il importe qu’un système de transport efficace et économique soit en vigueur pour faciliter le passage aux postes frontaliers de notre frontière commune, qu’il s’agisse de transport terrestre (routes, ponts et chemins de fer), aérien ou maritime, dans toutes les régions du Canada. L’un des défis que comporte la mise en place d’un réseau de couloirs commerciaux nord-américains réside dans les partenariats que cela suppose entre les ministères fédéraux, entre les gouvernements fédéral et provinciaux, entre le Canada, les États-Unis et le Mexique et entre les secteurs privé et public. En mettant l’accent sur un programme d’infrastructure à large portée, le gouvernement répondrait aux nombreux intervenants qui souhaitent un système de transport nord-américain et national à la fois complet, intégré et intermodal. Ce serait le moyen de prouver à nos partenaires de l’ALENA que le Canada est déterminé à faciliter le commerce et à améliorer les voies de transport transfrontalières.

Cela pourrait être particulièrement important dans des secteurs comme les chemins de fer, où l’on observe déjà une intégration de l’industrie nord-américaine, et le transport routier, où les deux pays s’efforcent d’harmoniser leurs réglementations et d’assurer le mouvement continu des marchandises. En ce qui concerne le rail, les options transfrontalières n’ont pas été entravées par les événements du 11 septembre, car l’échange électronique simplifié de données sur le trafic ferroviaire se fait déjà avant le passage réel de la frontière. Pour ces raisons, l’Association des chemins de fer du Canada soutient que les voies ferrées offrent un « avantage comparatif » lorsqu’il s’agit de transport transfrontalier de marchandises205. En revanche, il serait urgent de supprimer les différences qui existent entre les normes de sécurité canadiennes et américaines, car cela constitue un véritable problème pour l’industrie du transport routier.

Le plan continental intégré pour l’amélioration des transports entre les trois pays de l’ALENA pourrait prévoir des normes communes sur la sécurité des véhicules, de même que l’élimination des restrictions qui interdisent le recours aux transporteurs étrangers (lignes aériennes) pour assurer le transport intérieur. Si l’harmonisation des normes s’avérait difficile, on pourrait commencer par établir des normes minimales, puis faire en sorte que chaque pays reconnaisse les normes de l’autre (reconnaissance mutuelle). À propos du transport aérien, John Furey, de la Chambre de commerce de Saint-Jean, est favorable à l’instauration du cabotage dans la politique canadienne en matière de transport aérien206. Les transporteurs étrangers pourraient ainsi assurer le déplacement des passagers entre deux destinations canadiennes.

Ces dernières années, des administrations locales canadiennes, des entreprises et des organismes liés au commerce ont formé des associations de promotion des corridors commerciaux, souvent avec la participation de leurs homologues américains, afin de soutenir les intérêts économiques de leurs régions, en facilitant le transport et, par conséquent, en encourageant le commerce, le tourisme et l’investissement. Un des importants facteurs qui ont contribué à la formation de ces associations a été l’adoption de la Transportation Equity Act for the 21st Century (TEA-21), loi américaine qui prévoit d’autoriser jusqu’à 219 milliards de dollars américains pour assurer des programmes de transport de surface au cours des cinq prochaines années. Sur cette somme, environ 700 millions de dollars au total (140 millions annuellement), seront directement attribués à des projets liés à des corridors et à la frontière. Ces programmes sont financés par l’entremise du Highway Trust Fund, qui recueille une partie des taxes sur les carburants pour les consacrer ensuite à l’amélioration des routes.

Reconnaissant l’importance des corridors pour la facilitation du commerce et le développement économique, en 1997, le gouvernement canadien a créé un Groupe de travail interministériel sur les corridors de commerce et de transport. Sa mission est la suivante : servir de point central pour la consultation et l’échange de renseignements entre les provinces, les parties prenantes et les groupes de promotion des corridors; servir de mécanisme pour coordonner les efforts déployés de concert avec le Département des transports des États-Unis, notamment en ce qui concerne l’infrastructure frontalière et les programmes de promotion des corridors, mais aussi les systèmes intelligents de transport (STI), la reconnaissance réciproque des normes, la recherche et la compilation de données.

Sean Cooper a évoqué les « craintes relativement à certains éléments concernant la création de ce couloir commercial dans notre pays. […] Ce que nous craignons, […] c’est que le gouvernement fédéral fasse passer ce couloir commercial du Québec à l’État de New York qui deviendrait ainsi le couloir de l’est. Encore là, on se trouverait à exclure la Nouvelle-Angleterre et le Canada atlantique, et nous voulons donc nous assurer que la transcanadienne de St. John’s jusqu’à la frontière du Nouveau-Brunswick, et de là jusqu’au Maine, jusqu’à New York, demeure une priorité essentielle dans le développement de ce couloir commercial dans notre pays207 ».

Annoncé dans le discours du budget de février 2000, le Programme stratégique d’infrastructures routières disposera de 600 millions de dollars, à compter de 2002, dont 63 millions serviront expressément à l’amélioration des passages frontaliers et de leurs abords. De plus, des fonds seront consacrés aux systèmes intelligents de transport, afin de promouvoir une utilisation plus efficace de l’infrastructure existante. Le budget de décembre 2001 a annoncé l’attribution de 600 millions de dollars sur cinq ans à un nouveau programme d’infrastructures frontalières, destiné à assurer une capacité suffisante pour soutenir le commerce aux principaux passages frontaliers du Canada. Grâce à un partenariat avec les provinces, les municipalités et le secteur privé, le gouvernement fédéral participera au financement de l’amélioration des infrastructures, à la frontière et à ses abords. Voici quelques exemples de ces interventions : l’amélioration ou la création de routes menant aux passages frontaliers; la création de centres de traitement des véhicules commerciaux, afin d’accélérer les dédouanements; et des systèmes intelligents de transport. Le Canada collaborera avec les États-Unis à la coordination des démarches entourant l’infrastructure frontalière.

La modernisation de l’infrastructure n’est qu’un des éléments du développement des corridors. Des politiques et des initiatives du gouvernement fédéral sont axées également sur les volets suivants : l’harmonisation des normes; le Programme d’autocotisation des douanes de l’Agence des douanes et du revenu du Canada; l’élaboration d’un cadre pour la coordination des initiatives de transport et pour la modernisation de l’infrastructure frontalière, selon les principes énoncés dans le Mémoire de coopération conclu entre Transports Canada et le département des Transports des États-Unis.

D.  Et maintenant?

Wendy Dobson (et d’autres, y compris certains des témoins du Comité) souhaitent que le Canada négocie une union douanière avec les États-Unis, un marché commun ou encore une entente qui permettra au Canada de tirer avantage d’une économie nord-américaine unifiée208. Cette « grande idée » visionnaire devrait, dans l’idéal, procurer au Canada un meilleur accès aux marchés américains. Pour être acceptables, dans la perspective canadienne, les nouvelles modalités devront comporter l’abolition des règles antidumping et des droits compensateurs. En échange, le Canada devra vraisemblablement accepter des arrangements continentaux encore plus étroits en matière de défense et de sécurité, des politiques communes concernant la frontière, l’immigration, l’énergie, etc., comme le déterminerait la négociation d’une telle « entente stratégique ». La logique sous-jacente de cet argument veut qu’il soit impossible d’envisager l’objectif économique que constitue une intégration bilatérale plus approfondie, sans tenir compte des préoccupations des États-Unis en matière de sécurité. Bien entendu, il faut supposer que le but lui-même soit conforme aux intérêts canadiens.

Comme le Comité l’a déjà mentionné dans le présent rapport, un certain nombre de témoins contesteraient les deux hypothèses qui sous-tendent les propositions formulées dans une telle « entente ». D’autres acceptent mal cette approche fondée sur une « grande idée » tant par pragmatisme stratégique que pour des motifs philosophiques. Ces derniers choisissent au contraire de défendre une méthode plus prudente et plus progressive pour la gestion de l’intégration de l’Amérique du Nord, de manière à protéger et à faire avancer les meilleurs intérêts du Canada.

Le Comité souscrit à l’opinion selon laquelle les mesures supplémentaires qui sont susceptibles d’apporter des avantages importants au Canada grâce à une intégration économique continentale plus poussée « peuvent être débattues en toute légitimité », comme l’a dit si habilement Reg Whitaker209. Pour cela, il y aurait peut-être lieu de prendre en considération des éléments appartenant aussi bien à l’approche « visionnaire » qu’à la démarche progressive. Comme nous l’a déclaré à Mexico Antonio Ortiz Mena, du Centro de Investigación y Docencia Económicas, si l’on consacre notre attention toute entière aux « grandes idées », on retardera peut-être la prise de mesures nécessaires à court terme (infrastructures de transport, cabotage, mise en place d’un régime de transport routier nord-américain, décentralisation des frontières, amélioration du règlement des différends, convergence graduelle des tarifs extérieurs). Les autres mesures immédiates préconisées par certains des témoins entendus par le Comité ont déjà été citées dans le présent rapport.

Pendant la réalisation de ces mesures, on pourrait lancer un débat sur les mérites relatifs des changements les plus audacieux associés à la « grande idée ». Le Comité a reçu beaucoup de témoignages aussi bien favorables que défavorables au principe d’une union douanière nord-américaine. Sans nous prononcer sur la question, il nous semblerait utile que le gouvernement fédéral entreprenne une évaluation détaillée des avantages et des inconvénients éventuels de cette option. Dans le cadre d’une telle étude, l’industrie nord-américaine de l’acier, déjà fortement intégrée, pourrait servir de prototype, parmi d’autres, à un type ou un autre d’union douanière élargie.

Recommandation 31

Le gouvernement du Canada devrait aborder l’intégration économique de l’Amérique du Nord sous deux angles. Les obstacles connus à une conduite efficace des transactions transfrontalières pourraient être éliminés de façon progressive, en accord avec les autres États parties à l’ALENA. D’autre part, sans prendre position quant au bien-fondé d’une union douanière nord-américaine, le Comité estimerait utile que le gouvernement entreprenne parallèlement un examen détaillé des avantages et des inconvénients de la notion d’union douanière dans le contexte nord-américain. Cette étude pourrait mesurer l’opportunité de prendre, entre autres, l’intégration de l’industrie nord-américaine de l’acier comme modèle d’une union douanière plus large, d’un type ou d’un autre.

4.6             Vers une monnaie commune?

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

La Chambre de commerce du Canada a adopté comme position qu’il était entièrement acceptable de maintenir le taux de change flottant, étant donné les importantes différences observées dans la structure fondamentale des économies canadienne et américaine. Il se peut que, d’ici 10 ou 20 ans, les économies canadienne et américaine aient une structure qui se ressemble davantage. Dans ce cas, les avantages d’un taux de change flottant risquent de diminuer, et il sera possible d’envisager d’autres régimes de change.

Chambre de commerce du Canada,
Mémoire, Ottawa, juin 2002.

Ce n’est pas une fausseté que de dire que la monnaie canadienne est encore basée sur les ressources naturelles et que l’économie canadienne est encore, beaucoup plus que l’économie américaine, basée sur les ressources naturelles. Elle l’est peut-être moins qu’avant, mais elle l’est encore, et cela exige que nous ayons une flexibilité monétaire tout simplement parce que le prix de nos ressources naturelles, le prix de ce qu’on exporte peut baisser. À ce moment-là, on a besoin d’un coussin qui nous permet d’exporter d’autres choses, qui nous permet d’exporter des produits manufacturiers. Ce coussin-là, c’est le dollar canadien.

Daniel Schwanen, Institut de recherche en politiques publiques,
Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.

L’adoption d’un régime de change fixe ou, plus fondamentalement, la création de l’UMNA ne ferait pas disparaître les différences entre nos deux économies. En l’absence d’ajustements possibles du taux de change, les perturbations économiques touchant davantage le Canada se feraient sentir avec beaucoup plus de vigueur sur le marché du travail. On peut donc craindre que le taux de chômage canadien ne devienne plus volatile.

Benoît Carmichael, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Certains experts disent que le Canada devrait adopter le dollar américain comme devise commune. Je crois que cela confirmerait nos pertes en revenus réels et retirerait à la Banque du Canada toute marge de manœuvre pour orienter notre politique monétaire. […] le débat sur la dollarisation porte actuellement sur les symptômes du malaise économique du Canada et non pas sur sa cause profonde qui est notre faible productivité.

Jayson Myers, Manufacturiers et Exportateurs du Canada,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

Ça me fait toujours rire quand on utilise le mot «commune». S’il est question de prendre le dollar américain, je ne vois pas ce que le dollar a de commun. C’est la monnaie d’un autre pays.

Richard Ouellet, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Nous devons bien savoir où nous mettons les pieds. C’est évidemment vous qui allez décider de la façon de procéder, mais il faut que nous examinions la situation pour savoir quelles seront les retombées sur notre compétitivité mondiale. Nous tenons aussi à préserver notre identité et nous sommes reconnus comme des partenaires de l’économie mondiale.

Sean Cooper, Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique,
Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.

Pour ce qui est de la monnaie commune, je crois en effet qu’on ne doit pas aborder cette question en fonction de tabous. Je suis d’accord que c’est une question qui doit être étudiée.

Louis Bélanger, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.

Une question distincte du fonds de développement est la problématique monétaire. Nous avons trois options. La première est la dollarisation de fait. En d’autres termes, aucun gouvernement ne prend de décisions mais le Canada et le Mexique utilisent de plus en plus le dollar US. […] La deuxième option est la dollarisation de jure. Les trois gouvernements s’assoient et décident d’adopter le dollar comme monnaie unique. La troisième option est une monnaie commune. […] Je pense que la plus probable est la dollarisation de facto […]

Robert Pastor,
Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.

Je prédis que la devise sera très volatile en l’absence d’un changement formel dans le régime monétaire, et cette volatilité jouera et à la hausse et à la baisse. J’ignore à quel niveau elle se stabilisera à long terme, mais étant donné que le dollar canadien est une devise de plus en plus marginale à l’échelle mondiale, de très petits mouvements dans les flux de capitaux ont des effets très importants sur la valeur de la devise.

Richard Harris, université Simon Fraser,
Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.

En fait, la seule question qui se pose est de savoir si, au cours de la prochaine décennie, c’est nous qui gérerons la question de la devise ou si c’est elle qui nous gérera par le biais de ce qu’on appelle la dollarisation. […] Au bout du compte, dans 10 ou 20 ans, nous nous servirons du dollar américain, sans tirer parti de la proposition de cette grande idée, sans ancienneté et sans influence sur l’organisme régissant le dollar, sans la dignité de ceux qui ont leur destin en main.

Gordon F. Gibson, Institut Fraser,
Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.

A.  Situons le débat

Sauf pour la période entre 1962 et 1970, lorsque le taux de change du Canada était fixe par rapport à celui des États-Unis, les forces du marché ont déterminé la valeur du dollar canadien depuis la Deuxième Guerre mondiale. Depuis l’effondrement du système Bretton Woods en 1971, quand les États-Unis ont détaché leur dollar de l’or, le système monétaire canadien a été régi exclusivement par des taux de change flottants. Aucun autre pays développé ne peut se vanter d’avoir eu des taux de change flottants pendant une période si longue et presque dénuée de crises.

Ces dernières années, plusieurs facteurs ont entraîné un débat sur l’opportunité pour le Canada de chercher à obtenir un taux de change plus stable soit dans le cadre d’une union monétaire avec les États-Unis (et peut-être avec le Mexique), soit dans le cadre de l’adoption du dollar américain comme monnaie nationale, ce qu’on appelle la dollarisation. Il ne fait aucun doute que la création de l’Union économique et monétaire (UEM) en Europe ainsi que l’implantation parallèle de l’euro comme principale monnaie du continent ont contribué à stimuler l’intérêt à l’égard d’une union monétaire nord-américaine (UMNA) analogue. Il est permis de penser que le facteur suivant est encore plus important : la dévalorisation accélérée du dollar canadien depuis le déclenchement de la crise financière asiatique en 1997 a amené certains observateurs à préconiser des taux de change plus fixes au Canada.

Ces deux solutions sont fondamentalement différentes. Dans le cadre de la dollarisation, le Canada abandonnerait simplement sa monnaie pour adopter le dollar américain comme monnaie légale. Selon les sondages EKOS, cette solution semble être peu populaire au sein de la population canadienne (on favoriserait davantage une nouvelle monnaie continentale). Par contre, l’union monétaire impliquerait la création d’une monnaie nord-américaine analogue à l’euro, qui serait mise en œuvre probablement après une certaine période de taux de change fixe. Nombreux sont ceux qui considèrent que cette solution a peu de chances d’être retenue, puisqu’il faudrait convaincre les États-Unis d’abandonner leur propre monnaie, à laquelle ils sont profondément attachés.

Même si le Canada pouvait négocier une union monétaire avec les États-Unis et le Mexique, il lui faudrait presque certainement adopter un taux de change fixe jusqu’à ce que soient établies les modalités détaillées de la transition vers l’adoption d’une nouvelle monnaie. Donner suite à un tel scénario pourrait entraîner un débat intensif, particulièrement parce que, selon la parité des pouvoirs d’achat (PPA) établie par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le dollar canadien devrait s’échanger plus près de 84 cents américains plutôt qu’au niveau de 62 à 64 cents américains, comme ce fut le cas l’année dernière. Si un taux de change fixe n’était pas établi correctement, le pouvoir d’achat réel des Canadiens pourrait diminuer.

B.  Le pour et le contre d’une monnaie commune

Pour évaluer les bénéfices et les inconvénients d’une monnaie commune, il faut en fin de compte soupeser les avantages économiques par rapport aux coûts économiques et politiques. Même s’il s’agit d’une question essentiellement économique, il est utile de se rappeler que les monnaies sont généralement créées pour satisfaire à des besoins et politiques (notamment, solidifier les liens entre les pays de l’UE) et économiques. Au bout du compte, le principal obstacle dans la démarche visant un taux de change fixe ou une union monétaire ou encore une dollarisation légalisée est probablement politique; néanmoins, il s’agit finalement de déterminer combien le Canada est disposé à perdre pour profiter des avantages de l’utilisation du dollar américain.

1.    Le pour

Les arguments justifiant l’adoption d’une monnaie commune reposent sur deux points : les gains microéconomiques qui sont attribuables à l’élimination des risques et de l’instabilité de la monnaie; les entreprises qui sont moins enclines à améliorer leur productivité lorsque le taux de change est flottant. Les arguments économiques favorisant l’adoption d’une monnaie commune reposent habituellement sur l’éventualité des résultats ci-après :

 §l’élimination des coûts de transaction lors d’un échange de monnaies;
 §la réduction de l’instabilité découlant des fluctuations quotidiennes dans la valeur de la monnaie et l’élimination de l’incertitude au sujet de l’orientation que prendra la monnaie;
 §la transparence accrue des coûts et des prix pour les pays en cause;
 §l’élimination de la prime pour risque de perte sur les taux d’intérêt à long terme.

Adopter une monnaie commune en vertu d’une union monétaire ou d’une autre solution mettrait fin aux fluctuations monétaires. De plus, les exportateurs et les importateurs canadiens sauraient avec plus de certitude sur quoi fonder leurs décisions quotidiennes et à long terme. À l’heure actuelle, le recours à trois monnaies différentes dans le cadre de l’ALENA représente un obstacle important aux échanges commerciaux et au mouvement des capitaux. Les importateurs et les exportateurs, les touristes et les voyageurs d’affaires ainsi que les spécialistes des mouvements de capitaux entre les pays doivent acheter et vendre des devises, acquitter les coûts de transaction et composer avec l’instabilité des taux de change. Les coûts en devises peuvent atteindre jusqu’à un demi pour cent au Canada et au Mexique, soit plus qu’aux États-Unis210. L’élimination des risques découlant des fluctuations des taux de change et du désalignement entre les monnaies pourrait améliorer à la fois l’efficience économique, la compétitivité et la prise de décisions en matière d’investissements. Cette instabilité et ce désalignement sont inquiétants puisqu’ils accentuent l’incertitude, obstacle susceptible de restreindre de façon permanente les échanges et les investissements.

Les tenants d’une monnaie commune font également valoir que cette solution pourrait réduire les taux d’intérêt des obligations d’État à long terme. L’explication est simple : lorsque le taux de change est flottant, les investisseurs exigent une « prime de risque » pour compenser l’instabilité de la monnaie et sa possibilité d’une dévalorisation à long terme. Par conséquent, une prime de risque s’ajoute aux taux d’intérêt, ce qui est susceptible de décourager les investissements, de nuire à la productivité et, par la suite, de freiner la croissance économique du pays en cause211. Une union monétaire met fin aux fluctuations monétaires et, partant, à la prime de risque. Les nouveaux taux d’intérêt relativement moins élevés pourraient stimuler les investissements, ce qui devrait entraîner par la suite une hausse de la productivité et de la croissance212.

La transparence accrue des coûts et des prix au Canada comme aux États-Unis constituerait un autre avantage d’une instabilité moindre du taux de change. Dans un système de taux de change flottant, il est difficile d’établir une distinction entre les changements imputables à des facteurs réels (comme les fluctuations dans la productivité) et ceux qui sont temporaires ou modestes. Lorsqu’une monnaie s’apprécie, ce manque de transparence peut donner lieu à des plaintes de dumping et de prix abusifs contre des sociétés étrangères, sans compter l’augmentation considérable de la pénétration des importations sur le marché intérieur qui en découle. Comme l’affirme un expert : « Cette situation serait impossible avec un système de taux de change fixe; tous pourraient mieux se rendre compte que les chances sont égales, et les intervenants pourraient mieux distinguer les modifications dans les coûts réels par rapport à celles dans le taux de change. Une telle situation pourrait réduire la tension qu’engendre actuellement l’application par les États-Unis de lois sur les droits antidumping et compensateurs contre les exportations canadiennes213. » Dans la mesure où un taux de change fixe ou encore une monnaie commune éliminerait ce problème, le nombre de différends commerciaux diminuerait et l’efficience économique augmenterait, ce qui devrait déboucher sur une diminution des coûts.

Une monnaie commune ou un taux de change fixe pourrait également réduire les coûts de transaction, les entreprises n’étant plus tenues de couvrir leurs ventes en dollars américains. Selon une estimation, l’élimination des coûts de conversion monétaire pourrait entraîner des gains annuels susceptibles d’atteindre 3 milliards de dollars214. La diminution des coûts de transaction de devises favoriserait les échanges, et le revenu du Canada augmenterait par conséquent, les ressources consacrées à la gestion des risques de change pouvant alors être affectées à d’autres domaines, notamment à la production. Cette réduction des coûts pourrait engendrer des avantages dynamiques supérieurs à ce que laissaient entrevoir les baisses dans les coûts initiaux.

Par contre, certains ont fait valoir que les coûts de transaction des devises sont peut-être exagérés. Le Canada a disposé d’un système de change flexible pendant une grande partie de l’après-guerre et a tout de même réussi à mettre en place le premier flux commercial bilatéral au monde. Les frais directs (p. ex., ceux de conversion) et connexes de l’utilisation de plus d’une devise (notamment, couverture et comptabilité) ne représentent généralement pas une proportion importante du coût total du commerce transnational. En ce qui concerne les échanges commerciaux du Canada avec les États-Unis notamment, il n’y a qu’une seule « étape » pour obtenir des devises américaines. Il faut comparer cette situation avec ce qui se passe en Europe, où les gains découlant de l’élimination de l’incertitude des taux de change et des coûts de transaction se multiplieront considérablement, en fonction du nombre de devises en cause. Des coûts de transaction inférieurs et une plus grande certitude économique en raison de la réduction des risques de change ont incité beaucoup plus les pays européens à adopter une monnaie commune.

Finalement, certains analystes signalent qu’une union monétaire avec les États-Unis encouragerait la flexibilité des prix et des salaires au fur et à mesure que les entreprises et les employés canadiens et américains accorderaient une attention plus grande à leur position concurrentielle en Amérique du Nord. Toutes choses étant égales par ailleurs, cette situation devrait améliorer l’efficience économique, les salaires et les prix se rajustant plus rapidement et plus justement en fonction des conditions économiques215.

Les tenants de l’abandon du dollar canadien prétendent souvent que la faiblesse de celui-ci a protégé les entreprises canadiennes contre toute l’ampleur de la concurrence étrangère; ces entreprises n’ont donc pas amélioré leur productivité de façon à favoriser une meilleure prospérité. Cependant, l’hypothèse du « dollar paresseux » est controversée et semble être peu étayée.

Ceux qui préconisent une monnaie commune font valoir que la chute du dollar canadien au cours des 25 dernières années a été très marquée et a contrecarré les aspirations économiques du pays. Selon eux, le régime monétaire actuel n’a engendré qu’un cycle infernal de dévaluation monétaire, de faible productivité et de chute vertigineuse du niveau de vie au Canada. Par contre, un dollar commun contribuerait à mettre fin à l’érosion de la productivité et de la valeur de la monnaie du Canada, ce qui constitue les principaux facteurs favorisant la richesse à long terme d’un pays.

L’argument permettant d’établir un lien entre le dollar canadien et notre productivité repose sur deux points. Premièrement, des études empiriques ont montré que la valeur du dollar canadien au cours des 25 dernières années avait épousé de près la tendance dans les prix des produits de base. Par conséquent, les taux de change flottants ont retardé les corrections que devait apporter le secteur des ressources : la dévalorisation du dollar canadien a protégé les fabricants de produits de base contre les répercussions complètes de la chute des prix mondiaux et a retardé le transfert nécessaire de la main-d’œuvre et des capitaux, de la fabrication des produits de base vers des secteurs d’activité de pointe favorisant la productivité216. Ce scénario pose un problème : la tendance à long terme des prix des produits de base a été à la baisse, mais la politique actuelle régissant le taux de change continue de renforcer notre dépendance à l’égard des exportations des produits de base, ce qui entraîne une réduction de notre niveau de vie.

Deuxièmement, certains soutiennent que la faiblesse du dollar contribue à garder nos exportations concurrentielles sans qu’il faille accroître la productivité. Même si elle peut procurer au Canada un avantage concurrentiel à court terme, la dévalorisation de notre dollar incite moins l’industrie canadienne à apporter les modifications structurelles nécessaires qui seraient susceptibles d’améliorer la productivité. En outre, si les technologies et le matériel essentiels aux innovations doivent être importés, toute dépréciation importante du dollar fera augmenter le prix des importations. À cause de la faiblesse du dollar, les entreprises éprouveront peut-être également plus de difficulté à verser des salaires concurrentiels qui permettent d’attirer les travailleurs étrangers et de conserver les employés actuels. Par conséquent, avec cette dépréciation constante de notre dollar, les entreprises canadiennes n’étaient pas aussi intéressées à effectuer les investissements pertinents ni à embaucher les travailleurs nécessaires afin d’améliorer leur productivité. Un expert a émis l’opinion suivante : « Au Canada, la solide croissance de la demande lors de la reprise et les faibles taux de change ont probablement retardé jusqu’à la toute fin de la décennie les investissements qui auraient permis d’améliorer la productivité de notre secteur manufacturier217. » Par conséquent, aligner une monnaie sur une devise plus forte enlèverait la « béquille » que procure le taux de change flottant sur le plan de la concurrence218.

Dans les textes économiques, cet effet perçu est connu sous le nom de l’hypothèse des « entreprises paresseuses » parce que les auteurs supposent que celles-ci ne seraient plus intéressées à adopter des comportements favorisant la maximisation des profits. Autrement dit, les entreprises n’adoptent pas les comportements propres à une situation de concurrence sauvage comme elles le feraient normalement, selon la théorie économique. Après tout, si la faiblesse du dollar procure effectivement aux entreprises un nouvel avantage temporaire, elles devraient, toujours selon la théorie, tabler sur les occasions d’accroître leur part de marché au détriment de leurs concurrents (ce qui est exposé dans les plaintes de dumping liées aux modifications modestes de la valeur d’une monnaie), tout en investissant dans les nouvelles technologies. Même si la dépréciation de la monnaie porte le prix des importations de machinerie à un niveau prohibitif, il devrait y avoir suffisamment d’incitatifs pour que les entreprises locales comblent l’écart. C’est précisément la stratégie que les entreprises japonaises ont adoptée pendant une bonne partie de l’après-guerre : durant la période où le système de Bretton Woods était en vigueur et au cours d’une bonne partie de la décennie 1980.

Selon les tenants du taux de change flottant, l’hypothèse des « entreprises paresseuses » est un mythe. Ils citent le Japon à titre d’exemple. Après tout, les conseils d’administration des entreprises, prétendent-ils, sont payés pour veiller à ce que la gestion cherche constamment des solutions afin de maximiser les profits et la valeur des actions, quel que soit le taux de change. Si les entreprises ne fonctionnent pas ainsi, elles subiront les contrecoups du marché et affaibliront leur compétitivité.

Les tenants ajoutent que les critiques n’ont présenté aucune preuve montrant la relation de cause à effet entre la chute prolongée du dollar canadien (en chiffres réels) depuis le milieu des années 1970 et la faible croissance de la productivité. En fait, ils soulignent que c’est plutôt l’inverse : les fluctuations dans la productivité entraînent des modifications aux taux de change réels, et les baisses du taux de change ne représentent qu’un symptôme du déclin économique219. Selon la recherche empirique effectuée par la Banque du Canada et d’autres établissements, le déclin du rendement économique du Canada depuis 1970 peut être attribué essentiellement à deux facteurs : les variations dans les prix des produits de base (qui ont provoqué des chocs économiques) et l’écart entre le taux d’inflation au Canada et celui aux États-Unis220.

De plus, la dépréciation du dollar canadien n’a pas complètement compensé la récente baisse dans les prix des produits de base sur les marchés mondiaux. Tandis que la diminution des prix des produits de base du tout début de 1997 à la fin de 1998 (crise financière asiatique) s’établissait à environ 20 %, le taux de change n’a chuté que de 8 %, et les fabricants de produits de base n’ont pas été protégés complètement contre le choc extérieur. C’est pourquoi la main-d’œuvre et les investisseurs continuaient d’être incités à occuper d’autres créneaux de l’économie, comme la fabrication. Par conséquent, les taux de change flottants n’ont pas totalement réfréné les adaptations industrielles qui auraient pu se produire autrement.

Finalement, les tenants d’une monnaie commune font valoir que des taux de change flottants n’ont pas été bénéfiques au Canada : la faiblesse permanente du dollar canadien laisse supposer que, parfois, les marchés cambistes ne réussissent pas très bien à indiquer le prix exact des monnaies, et la spéculation à court terme sur les devises ne fait qu’exacerber la tendance des devises à dépasser et à ne pas atteindre leur valeur « réelle » (c.-à-d., la valeur qui reflète la force ou la faiblesse sous-jacente de l’économie). Si elles se prolongent assez longtemps, ces distorsions peuvent nuire à la productivité et à la croissance à long terme en retardant le passage de la main-d’œuvre et des investisseurs à des secteurs beaucoup plus productifs. Par contre, un taux de change fixe, une dollarisation ou une union monétaire enlèverait toute portée pratique à ces préoccupations.

2.    Le contre

Sur le plan négatif, les tenants du statu quo proposent plusieurs arguments : le Canada et les États-Unis (et peut-être le Mexique) ne représentent pas encore une « zone monétaire optimale » (ZMO), un concept proposé par Robert Mundell, économiste canadien qui a remporté le prix Nobel en 1999; les taux de change flottants sont utiles pour atténuer les chocs extérieurs que subit le système économique; notre pays ne dirigerait plus sa politique monétaire et serait aux prises avec les difficultés inhérentes à l’application d’une politique monétaire unique; l’introduction d’une monnaie commune pourrait mettre fin au seigneuriage (revenu touché par un pays qui imprime sa propre monnaie, moins le coût réel de l’impression).

Premièrement, certains doutent beaucoup que les trois partenaires de l’ALENA constituent une zone monétaire optimale. Mundell établit comme principe qu’une union monétaire devrait idéalement être créée uniquement lorsque quatre conditions économiques sont réunies. D’abord, les pays membres devraient être parvenus à des niveaux relativement élevés d’intégration commerciale. C’est probablement l’argument le plus persuasif en faveur d’une union monétaire pour le Canada et les États-Unis : plus de 85 % des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis, et les échanges commerciaux bilatéraux ont plus que doublé au cours de la dernière décennie.

De plus, les pays contractant une union monétaire devraient être dotés de structures économiques analogues, de sorte que les chocs extérieurs, comme une augmentation subite des prix de l’énergie, influent d’une façon relativement uniforme sur eux. Un taux de change fixe ou une union monétaire peuvent ne pas se révéler utiles lorsque les pays en cause sont touchés différemment par les mêmes chocs économiques. Plusieurs opposants à l’intégration monétaire sont d’avis que les économies américaines et canadiennes sont en fait assez différentes. Par exemple, le Canada est un exportateur net de produits de base, tandis que les États-Unis en sont un importateur net. Sur le plan du volume des échanges, les exportations des produits de base continuent de représenter plus de 30 % des exportations totales du Canada. Même si à l’heure actuelle cette proportion est inférieure de la moitié à ce qu’elle était il y a 25 ans, elle est encore beaucoup plus élevée que dans les autres pays industrialisés et devrait se maintenir vraisemblablement à ce niveau dans un avenir prévisible. Leur instabilité caractéristique fait des prix des produits de base un important choc économique extérieur pour le Canada.

En outre, un système de transfert visant à assurer une protection contre les chocs propres à une région constitue un autre préalable à l’établissement d’une zone monétaire optimale. Les pays participants pourraient notamment coordonner leurs politiques fiscales de façon à ce que les recettes et les dépenses aplanissent les variations du cycle économique. Tel est le principe justifiant les conditions financières établies dans le pacte européen de stabilité et de croissance. Les pays membres aux prises avec des déficits supérieurs à 3 % et un ratio de la dette au PIB supérieur à 60 % peuvent devoir payer une amende pouvant atteindre un demi pour cent de leur PIB annuel.

Historiquement, les conditions préalables à une zone monétaire optimale ont rarement été réunies, même au sein des zones monétaires actuelles, y compris l’Union européenne, où une monnaie commune a été adoptée principalement pour favoriser l’intégration politique plutôt que pour satisfaire à des raisons économiques. Il est possible d’en conclure que la création d’une monnaie commune est davantage une question politique qu’économique.

Cependant, les tenants du taux de change fixe croient que l’économie canadienne est de plus en plus intégrée à celle des États-Unis et que les quatre conditions établies par Mundell à l’établissement d’une union monétaire se concrétisent encore davantage.

Il existe un deuxième argument important contre l’adoption d’une monnaie commune : les taux de change flottants ont été bénéfiques à notre pays en l’aidant à tenir le coup pendant les brèves tempêtes économiques comme la crise financière asiatique en 1997-1998, lorsque le Canada s’est retrouvé dans une position concurrentielle affaiblie en raison de la dévaluation marquée de plusieurs monnaies de l’Asie du Sud-Est. Si le Canada avait fonctionné dans un régime de taux de change fixe, ce qui précède habituellement une union monétaire, la Banque du Canada aurait été tenue d’acheter de sa monnaie ou de majorer ses taux d’intérêt à court terme afin de maintenir la valeur de sa monnaie ou les deux. Parallèlement, les entreprises auraient dû réduire leurs coûts en baissant les salaires ou, plus vraisemblablement, en procédant à des mises à pied et en fermant des usines.

Dans un régime de taux de change flottant, c’est le dollar canadien qui doit s’adapter lors des chocs économiques et non pas les salaires et les prix ou encore l’emploi et la production. Étant donné le lien étroit entre la valeur du dollar canadien et les prix des produits de base sur les marchés mondiaux, le dollar canadien a joué un rôle « tampon » important. Lorsque les prix mondiaux des produits de base augmentent, le dollar canadien est solide. Lorsqu’ils baissent, le taux de change flottant du Canada a tendance à avoir un effet tampon lors d’un choc, en rendant les exportations canadiennes plus abordables sur les marchés mondiaux.

Troisièmement, une monnaie commune ne permettrait pas au Canada d’appliquer une politique monétaire indépendante. Un problème se pose cependant : une politique monétaire « unique » ne conviendrait peut-être pas à tous les participants, et une politique monétaire établie en fonction des besoins des États-Unis pourrait nuire au Canada. En Europe, la croissance rapide et l’inflation accélérée dans les régions périphériques pourraient amener la Banque centrale européenne à majorer ses taux d’intérêt. Parallèlement, d’autres pays membres de l’Union européenne (notamment l’Allemagne) pourraient devoir composer avec un ralentissement économique qu’exacerberaient les taux d’intérêts relevés. Autrement dit, une politique monétaire pourrait être pertinente dans un pays et ne pas l’être dans un autre si leurs structures économiques respectives sont différentes.

Dans le cadre d’une union, le Canada devrait abandonner une partie de sa souveraineté. Une union monétaire pourrait déboucher sur une situation où le Canada aurait voix au chapitre au sein de la banque centrale nord-américaine proposée (qui fonctionnerait notamment comme une banque fédérale de réserve) lorsque viendrait le temps d’établir la politique monétaire. Toutefois, si la dollarisation était adoptée, le Canada perdrait complètement sa souveraineté, puisque toutes les décisions relatives aux taux d’intérêt et à la masse monétaire seraient prises aux États-Unis, et le Canada serait peu ou point consulté.

Les pays contractant une union monétaire ou envisageant de le faire sont souvent motivés par la perspective d’obtenir une politique monétaire pertinente. Il peut en découler des avantages importants lorsque les principaux partenaires commerciaux sont moins tolérants à l’égard de l’inflation que la banque centrale du pays. Dans un tel scénario, la contrainte imposée à la politique monétaire par un régime de taux de change fixe est en fait considérée comme un élément positif. Par exemple, nombreux sont ceux qui prétendent que certains pays de l’Amérique latine assujettis à des taux de change flottants sont moins enclins à suivre les politiques économiques pertinentes que les pays régis par des taux fixes. Au Canada, la situation est naturellement assez différente, car notre politique monétaire est généralement tenue en haute estime.

L’envers de la médaille est le suivant : les membres d’une union monétaire perdent une partie de leur indépendance économique et politique en cédant leurs responsabilités en matière de formulation de la politique monétaire. Historiquement, de nombreux gouvernements nationaux ont hésité à adopter la devise d’un autre pays, de crainte de perdre la maîtrise de leur politique monétaire, notamment la capacité de fixer indépendamment les taux d’intérêt ou d’imprimer de l’argent. À tort ou à raison, nombreux sont les nationalistes économiques et les Canadiens qui se préoccupent du fait que l’adhésion à une union monétaire pourrait déboucher en fin de compte sur une union politique.

Étant donné leur position dominante en Amérique du Nord et, en fait, dans le monde, les États-Unis n’ont aucun besoin urgent ni désir apparent de parrainer une union monétaire nord-américaine (UMNA). C’est soit le Canada soit le Mexique qui devrait vraisemblablement la proposer, ce qui amènerait presque certainement les deux pays à adopter le dollar américain221. Cela semble être particulièrement vraisemblable, étant donné l’attachement profond des Américains envers leur dollar. De plus, le gouvernement américain ne souhaiterait probablement pas abandonner son pouvoir décisionnaire — ou le revenu tiré du seigneuriage (voir les explications dans les paragraphes suivants) — afin de favoriser une telle union. Le Canada et le Mexique devraient donc céder à la Réserve fédérale américaine une part importante de leurs responsabilités sur leurs politiques monétaires respectives. Le mieux que le Canada pourrait probablement espérer serait que la Banque du Canada devienne la 13e banque fédérale de réserve.

Encore là, il serait plus vraisemblable que les autorités monétaires américaines prendraient leurs décisions en fonction surtout des facteurs économiques les touchant. Par exemple, la Réserve fédérale pourrait très bien fixer les taux d’intérêt à des niveaux que les Canadiens n’aimeraient pas, peut-être afin de freiner une économie américaine robuste, qui ne serait pas au diapason du cycle économique au Canada. Une telle mesure ne poserait pas tellement un problème si les Canadiens pouvaient déménager facilement aux États-Unis pour profiter des perspectives économiques supérieures. Cependant, le déplacement de la main-d’œuvre entre les deux pays est très restreint, principalement pour des raisons institutionnelles. Aucun marché commun ni aucun mouvement libre de main-d’œuvre n’a encore vu le jour en Amérique du Nord pour appuyer une union monétaire.

À long terme, la théorie veut que la politique monétaire ne peut influencer que le taux d’inflation. Les tenants du taux de change flottant font valoir que la Banque du Canada a mieux réussi que la Réserve fédérale américaine à maîtriser l’inflation et que, par conséquent, les motifs justifiant la création d’une union monétaire pour cette raison sont rares ou absents. Pour prouver leurs propos, ils signalent que le taux d’inflation du Canada était inférieur à celui des États-Unis pendant la plus grande partie des années 1990. Par contre, les opposants se demandent si la perte de souveraineté serait si importante, soulignant que la Banque du Canada n’avait pas affiché beaucoup d’indépendance vis-à-vis de la Réserve fédérale américaine au cours des 20 dernières années en ce qui concerne la politique monétaire, et que les conséquences récentes de la baisse du taux d’inflation ont coûté cher, en l’occurrence la récession prolongée du début des années 1990. Le cycle économique du Canada étant considérablement tributaire de celui de notre voisin du Sud, il arrive souvent que le gouverneur de la Banque du Canada n’ait d’autre choix que de modifier les taux d’intérêt au Canada en fonction des décisions prises par les États-Unis à cet égard.

Finalement, abandonner les taux de change flottants pourrait entraîner la perte des recettes de seigneuriage. Actuellement, la Banque du Canada touche quelque 1,5 milliard de dollars en droits annuels de seigneuriage au pays : revenu du gouvernement pour l’émission de monnaie, le tout sans intérêt. L’adoption pure et simple de la devise américaine compromettrait ces recettes pour le Canada, puisque celles-ci commenceraient à être versées à la Réserve fédérale américaine. Dans le cadre d’une union monétaire nord-américaine, les recettes de seigneuriage pourraient être conservées; par contre, la Monnaie royale canadienne pourrait continuer d’émettre les billets et les pièces qui porteraient éventuellement un symbole nord-américain d’un côté et un symbole canadien de l’autre. Le tout devrait naturellement faire l’objet de négociations.

C.  Opinions des témoins sur le débat

Sur le bien-fondé général de l’abandon par le Canada de sa monnaie, les témoignages entendus par le Comité, notamment lors des réunions à Washington et à Mexico, étaient essentiellement négatifs. Dans une grande mesure, les critiques d’un tel changement portent sur deux points : les problèmes découlant des structures économiques différentes en Amérique du Nord et, sur le plan de la politique monétaire, la perte du processus décisionnaire qu’entraînerait l’adoption d’une monnaie commune.

En ce qui concerne le premier point, plusieurs témoins ont signalé l’opportunité de conserver un taux de change flottant jusqu’à ce que les économies canadienne et américaine deviennent plus semblables sur le plan structurel. Certains ont fait valoir que, l’économie canadienne devant composer avec des chocs différents de ceux avec lesquels l’économie de notre voisin est aux prises, il serait utile que le Canada dispose d’un taux de change flottant pour s’attaquer à de tels chocs. Par exemple, une baisse du prix mondial de nos exportations pourrait dévaloriser notre dollar, ce qui nous protégerait du choc extérieur tout en permettant aux entreprises canadiennes d’écouler leurs produits sur le marché américain.

Quant à la politique monétaire, le Comité a entendu fréquemment l’argument qu’une monnaie commune diminuerait notre souveraineté en réduisant ou en éliminant le contrôle exercé par le Canada sur une telle politique : la Banque du Canada ne jouirait plus de sa souplesse actuelle pour influer sur cette dernière. Par contre, on a fait valoir que, jusqu’à présent, les taux de change flottants ont été bénéfiques au Canada dans ses échanges commerciaux transfrontaliers, sur lesquels la dollarisation n’a exercé aucune influence. Au Canada, le processus d’élaboration de la politique monétaire est pertinent. Il y a par conséquent peu de facteurs incitant le Canada à le remplacer par un processus américain.

En ce qui concerne l’éventualité d’une zone monétaire nord-américaine, Susan Minushkin, du Centro de Investigación y Docencia Económicas, a expliqué au Comité, à Mexico, que le degré d’intégration financière entre les trois pays variait de « très avancé » entre le Canada et les États-Unis à « presque inexistant » entre le Canada et le Mexique. Même si le taux de change très instable du peso par rapport au dollar continue d’être préoccupant — parce que récemment le peso était trop élevé, à l’opposé de la situation du dollar canadien —, l’intérêt du Mexique pour la dollarisation a été refroidi par ce qu’ont vécu dernièrement des pays de l’Amérique latine comme l’Argentine. Il n’est pas plus facile d’expliquer comment un tel changement aiderait le Mexique à faire face à ce qu’il estime être des problèmes urgents dans le contexte nord-américain : l’inégalité des revenus et la mobilité de la main-d’œuvre. Selon Mme Minushkin, les Mexicains ne caressent nullement l’illusion d’être représentés au sein d’une autorité monétaire commune, qui a peu de chances de voir le jour, en mettant les choses au mieux. Par conséquent, l’union monétaire peut être étudiée et pourrait se révéler une bonne solution « dans 20 ans », mais dans les circonstances actuelles, « l’Amérique du Nord n’est pas encore prête222 ».

Plusieurs témoins ont également fait valoir qu’une union monétaire a très peu de chances d’être créée, principalement en raison du manque d’intérêt de la part des Américains. Comme Laurence Meyer, spécialiste distingué au Center for Strategic and International Studies et ancien membre du conseil d’administration de la Réserve fédérale américaine jusqu’en janvier 2002, a indiqué au Comité à Washington que rien n’indiquait que les États-Unis partageraient un jour leurs pouvoirs monétaires avec un autre pays. Comme seule option réaliste, il reste la dollarisation de jure (selon la terminologie précitée de Robert Pastor).

Cependant, les observations formulées sur la question de la monnaie unique n’ont pas toutes été négatives. Plusieurs témoins ont apporté des points positifs : l’adoption d’une monnaie commune éliminerait l’incertitude du taux de change, ce qui faciliterait la croissance des échanges entre le Canada et les États-Unis, même si la perte de la souveraineté monétaire qui en découlerait dépasserait vraisemblablement tous les avantages obtenus.

Trois autres arguments ont été énoncés pour appuyer le principe du taux de change plus fixe. Premièrement, plusieurs témoins ont fait remarquer que la faible valeur de notre monnaie a contribué à « protéger » nos très bas niveaux de productivité. Selon eux, la chute du dollar a permis aux entreprises canadiennes de demeurer concurrentielles sans qu’elles ne soient tenues d’innover et d’augmenter la productivité en conséquence. Voici les propos de Gordon Gibson à cet égard : « […] la soupape que représente le faible dollar a permis à l’économie canadienne de tarder à s’adapter à des circonstances plus modernes223 ».

Cependant, d’autres témoins ont fait valoir le contraire en soulignant que notre monnaie se revaloriserait, une fois éliminées les causes profondes de notre faible productivité. Adopter la dollarisation avec les taux de change d’aujourd’hui réduirait malheureusement les revenus réels. Selon cette théorie, la solution préférable consisterait à mettre en œuvre un programme efficace d’amélioration de la productivité.

Deuxièmement, M. Gibson a estimé que, dans 10 à 20 ans, la dollarisation de facto sera chose faite, et le Canada ne se retrouvera alors pas dans une position lui permettant d’obtenir les avantages d’une union monétaire : seigneuriage, influence sur la politique monétaire, etc.

Troisièmement, Fred McMahon, a signalé la trop grande importance accordée aux préoccupations relatives à la perte de souveraineté qu’entraînerait l’abandon du processus décisionnaire dans le domaine monétaire, ajoutant que l’objectif de la politique monétaire resterait le même malgré les changements d’orientation et que toutes les banques centrales ont comme « seul objectif clair » la stabilité des prix.

Enfin, malgré la résistance générale des témoins à l’ensemble du concept de l’intégration monétaire, plusieurs ont indiqué qu’il fallait examiner sérieusement la question, du point de vue canadien. Cette proposition est peut-être pertinente, quelle que soit notre opinion sur la question. Cet examen devrait chercher notamment à déterminer dans quelle mesure l’économie canadienne est déjà dollarisée. Comme l’a signalé Robert Pastor au Comité, il se produit à l’heure actuelle une dollarisation de facto en Amérique du Nord, c’est-à-dire que « le Canada et le Mexique utilisent de plus en plus le dollar américain. Les entreprises et les touristes utilisent le dollar, tout le monde utilise le dollar. Je crois savoir que plus de la moitié des dépôts bancaires au Canada s’effectuent aujourd’hui en dollars américains. Presque toutes les transactions des grandes sociétés se font en dollars. Si nous ne faisons rien, nous allons dans cette direction224 ».

D.  Opinions du Comité sur l’intégration monétaire

Le débat sur l’intégration monétaire a tendance à dégager les avantages microéconomiques d’une monnaie commune par rapport à deux éventualités : l’incapacité des taux de change fixes de s’adapter aux chocs économiques externes; la perte de souveraineté subie par les pays qui abandonnent leur monnaie et leur processus décisionnaire en matière de politique monétaire. Choisir entre ces deux éventualités n’est pas une mince tâche, les opposants à l’intégration monétaire et les tenants de celle-ci faisant valoir des points de vue pertinents et déterminants.

Quelle que soit l’issue du débat, la théorie de la « zone monétaire optimale » nous apprend que le Canada est loin de satisfaire à trois des quatre conditions essentielles pour adhérer à une union monétaire : les écarts dans les structures économiques respectives du Canada et du reste de l’Amérique du Nord; le manque de mobilité de la main-d’œuvre entre les partenaires de l’ALENA; l’absence d’un système de transferts fiscaux afin d’offrir une protection contre les chocs économiques propres à une région.

Même si les conditions relatives à la zone monétaire optimale n’ont pu être respectées, les différences ne sont pas insurmontables ni nécessairement permanentes. De plus, les taux de change flottants deviendront probablement moins utiles pour exercer un effet tampon en cas de fluctuations importantes dans les prix des produits de base, à mesure que les services et les produits manufacturés domineront de plus en plus les exportations canadiennes, comme c’est le cas aux États-Unis. L’économie canadienne pouvant de moins en moins compter sur les exportations de produits de base, il pourrait se révéler opportun ultérieurement de se pencher de nouveau sur les coûts et les avantages d’une union monétaire nord-américaine. Même les cadres supérieurs de la Banque du Canada, établissement dont la survie même serait menacée par l’adoption d’une monnaie commune, ont laissé entendre que l’intégration monétaire pourrait finir par constituer une option viable .

À brève échéance, le Comité est d’avis que la réaction stratégique appropriée consiste à prendre des mesures énergiques pour renforcer le dollar canadien au lieu de l’abandonner. Le Comité adhére à la majorité des témoignages selon lesquels l’intérêt fondamental du Canada réside dans le maintien d’un taux de change flottant.

Recommandation 32

Étant donné que certaines conditions préalables et essentielles à l’intégration monétaire nord-américaine — similarité des structures économiques des pays membres de l’ALENA, mobilité de la main-d’œuvre entre les pays et mise en œuvre d’un système de transferts fiscaux — ne sont pas réunies à l’heure actuelle, le gouvernement canadien devrait refuser les invitations à abandonner son régime de taux flottant. Il devrait continuer d’examiner attentivement les options à long terme qui s’offrent à lui sur le plan monétaire et en profiter pour évaluer dans quelle mesure l’économie canadienne est déjà dollarisée, et les répercussions connexes de cette dollarisation.


1Le Canada ne peut se permettre de tenir ce marché pour acquis. D’après une étude récente de l’économiste en chef de la société J. P. Morgan, Ted Carmichael, si le Canada demeure de loin le plus gros exportateur vers les États-Unis (18,5 % des exportations totales vers ce pays), sa part du marché a marqué un recul par rapport à la crête de 19,5 % de l’après-ALENA atteinte en 1996 (voir Jacqueline Thorpe, « Canada Gives Back NAFTA Gains », National Post, 19 octobre 2002, p. 1).
2L’hon. Pierre Pettigrew, notes pour une allocution à la 8e Cérémonie annuelle de remise des prix canado-américains d’excellence en affaires et au Forum international des affaires, « Le Canada que nous voulons dans l’Amérique du Nord que nous bâtissons », Toronto, 16 octobre 2002 à l’adresse : www.dfait-maeci.gc.ca.
3Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
4Perrin Beatty, Isolation or Integration — Canada in North America, notes pour une présentation à la Brookings Institution, Washington (D.C.), 6 décembre 2001, p. 8.
5Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
6Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.
7Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
8Ibid.
9Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
10Mémoire, réunion no 77, 7 mai 2002.
11Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.
12Ibid.
13Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
14Voir également le vigoureux débat qui vient d’être publié sur les résultats de l’ALENA entre, d’une part, John Cavanagh et Sarah Anderson, de l’Institute for Policy Studies de Washington D.C., d’autre part, Jaime Serra et J. Enrique Espinoza qui ont été négociateurs pour la partie mexicaine de l’ALENA : « Happily Ever NAFTA? », Foreign Policy, no 132, septembre-octobre 2002, p. 58-65. M. Cavanagh et Mme Anderson soutiennent que l’ALENA a stimulé l’investissement et le commerce, mais que « les travailleurs, les collectivités et l’environnement des trois pays ont souffert de ses lacunes ». M. Serre et M. Espinoza rétorquent qu’on ne peut sous-estimer les avantages financiers importants et incontestables de l’ALENA pour le Mexique, ainsi que les incidences positives sur tous les aspects de la vie économique et sociale de ce pays.
15Mémoire, « L’avenir de l’intégration en Amérique du Nord », présenté au Comité à la séance qu’il a tenue à l’ambassade du Canada à Mexico, 14 mars 2002.
16Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
17Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002.
18Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
19Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
20Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
21Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
22John W. Foster, « NAFTA at Eight: Cross Currents », USA and Canada 2003, 5édition, Europa Publications, Londres, à paraître, p. 1 de l’exemplaire anticipé; cité avec permission.
23Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
24Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
25Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
26Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.
27Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
28Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
29Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.
30Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002. M. Clarkson développe cet argument dans son nouvel ouvrage, Uncle Sam and Us: Globalization, Neoconservatism, and the Canadian State, en particulier aux chapitres 3 et 4.
31Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
32Eileen Ng. « WTO Chief Would Like to Finish Doha Round in 2004 », Agence France Presse, 5 septembre 2002 à l’adresse : www.tradeobservatory.org.
33« L’ambassadeur du Canada auprès de l’OMC jouera un rôle de premier plan dans les négociations commerciales internationales », Communiqué de presse no 15, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Ottawa, 15 février 2002, à l’adresse :
34L’autorisation de négocier des accords commerciaux est la pièce maîtresse de la Trade Adjustment and Assistance Act (H.R. 3009), signée par le président Bush et devenue loi américaine le 6 août 2002. Ce pouvoir, qui est venu à expiration en 1994 et n’a pu être renouvelé malgré les tentatives à cette fin de l’administration Clinton, permet au président de négocier de nouveaux accords commerciaux et de les présenter au Congrès américain pour un vote d’acceptation ou de rejet dans un délai de 90 jours, sans qu’il soit possible de les modifier : essentiellement, l’accord négocié est « à prendre ou à laisser ». Voir Elisabeth Bumiller, « Bush Signs Trade Bill, Restoring Broad Presidential Authority », The New York Times, 7 août 2002, p. A5.
35Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.
36Pettigrew (octobre 2002.)
37Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
38Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
39Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
40Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
41Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.
42Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.
43     Willam C. Graham, « Dispute Resolution in the Canada-United States Free Trade Agreement: One Element of a Complex Relationship », Revue de droit de McGill, vol. 37, 1992, p. 544 et 551.
44Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
45Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
46Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
47Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
48Témoignages, réunion no 57, 19 février 2002. Le sous-secrétaire du ministère de l’Économie du Mexique, Angel Villalobos, a annoncé récemment que des modifications seraient bientôt apportées à la loi sur le commerce extérieur afin de simplifier la procédure judiciaire que doivent suivre les producteurs nationaux pour se défendre dans le contexte de l’ALENA. M. Villalobos a aussi annoncé que le Mexique allait ouvrir sous peu un bureau de la Société de règlement des différends à Mexico pour faciliter le règlement des différends afférents à l’ALENA. Voir Stephen Lewis, « Mexico takes strides toward NAFTA dispute resolution », Food Chemical News, vol. 44, no 37, 28 octobre 2002.
49Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
50Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
51Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
52Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
53Il s’agit là uniquement des mécanismes pertinents dans le contexte du présent rapport. Il importe de noter que l’ALENA contient aussi des dispositions relativement à l’arbitrage des différends concernant les services financiers (chapitre 14), à l’examen indépendant des marchés publics (chapitre 10), et aux différends relatifs à la propriété intellectuelle (chapitre 17). Pour un aperçu de tous les mécanismes de règlement des différends de l’ALENA, voir William A. Kerr, « Greener Multilateral Pastures for Canada and Mexico: Dispute Settlement in North American Trade Agreements », Journal of World Trade, vol. 35, décembre 2001, p. 1172-79.
54ALENA, article 2006.
55ALENA, articles 2001 et 2007.
56     ALENA, article 2008.
57     Vilaysoun Loungnarath et Céline Stehly, « The General Dispute Settlement Mechanism in the North American Free Trade Agreement and the World Trade Organization System: Is North American Regionalism Really Preferable to Multilateralism? », Journal of World Trade, vol. 34, février 2000, p. 45-46.
58Le texte intégral du Mémorandum d’accord sur le règlement des différends se trouve à la page suivante du site de l’OMC : www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm.
59     Gabrielle Marceau, « NAFTA and WTO Dispute Settlement Rules: A Thematic Comparison », Journal of World Trade, vol. 31, avril 1997, p. 42.
60Kerr (2001), p. 1174.
61Marceau (1997), p. 66. Les rapports des groupes spéciaux sont automatiquement adoptés par l’ORD et engagent donc les parties au différend à moins que les membres de l’OMC décident par consensus de ne pas le faire. Il faut noter que le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends offre aussi un processus d’appel complet relativement aux aspects juridiques des décisions des groupes spéciaux.
62Certaines exceptions éventuelle sont énoncées à l’article 2005. Si une tierce partie désire engager relativement à la question en litige une procédure de règlement des différends en vertu de l’ALENA, les parties devront s’entendre sur le recours à un seul et même instrument. À défaut d’entente, la procédure de règlement sera normalement engagée en vertu de l’ALENA. Si la question touche des accords en matière d’environnement et de conservation (article 104), des mesures sanitaires ou phytosanitaires (chapitre 7) ou des mesures normatives (chapitre 9), la partie défenderesse peut demander que la question soit examinée uniquement en vertu de l’ALENA.
63Mémoire, « The Future of Integration in North America », soumis au Comité durant l’audience qu’il a tenue à l’ambassade du Canada à Mexico, 14 mars 2002.
64     Pettigrew (octobre 2002.)
65     Eric J. Pan, « Assessing the NAFTA Chapter 19 Binational Panel System: An Experiment in International Adjudication », Harvard International Law Journal, vol. 40, printemps 1999, p. 383.
66     Gilbert R. Winham, « NAFTA Chapter 19 and the Development of International Administrative Law: Applications in Antidumping and Competition Law », Journal of World Trade, vol. 32, février 1998, p. 69.
67    Michael Hart, Decision at Midnight: Inside the Canada-U.S. Free Trade Negotiations, Vancouver, University of British Columbia Press, 1994, cité dans Gilbert Gagné, « North American Free Trade, Canada, and U.S. Trade Remedies: An Assessment After Ten Years », World Economy, vol. 23, p. 80. Il importe de noter que le cycle d’Uruguay des négociations commerciales à l’origine de la création de l’OMC a abouti à un ensemble de règles sur les subventions, l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires. En outre, les négociations actuelles de Doha devraient permettre d’élargir cet accord pour y inclure les mesures antidumping, et les États-Unis ont accepté de prendre part à ces négociations. Cependant, dans la proposition qu’ils soumettaient récemment à l’OMC au sujet des droits compensateurs et des droits antidumping, les États-Unis précisaient que toute entente sur le dumping et les subventions devait préserver l’efficacité des lois nationales sur les recours commerciaux. Voir « USTR Submits Proposal to WTO on Dumping, Subsidies », U.S. Department of State Office of International Information Programs, Washington File, 17 octobre 2002, à l’adresse : usinfo.state.gov.
68     Winham (1998), p. 69-70.
69     Ibid., p. 71-74.
70     Gilbert R. Winham, « Dispute Settlement in NAFTA and the FTA », dans Steven Globerman et Michael Walker, éd., Assessing NAFTA : A Trinational Analysis, Institut Fraser, Vancouver, 1993, p. 270.
71     Patrick Macrory, « NAFTA Chapter 19: A Successful Experiment in International Trade Dispute Resolution », Commentaire no 168, Institut C.D. Howe, Toronto, septembre 2002, résumé de l’étude.
72Ibid., p. 2. Une bonne part de l’étude est consacrée à l’analyse du différend concernant le bois d’œuvre résineux. Voir aussi Patrick Macrory, « Another Chapter in the lumber saga », National Post, 10 octobre 2002, p. A19.
73Macrory (2002), p. 2.
74ALENA, article 1902.
75Gagné (2000), p. 87-88.
76Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international « Softwood Lumber U.S. Trade Actions : Chronology & Background (2001 to present) »,  24 mai 2002 à l’adresse :
77Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
78ALENA, article 1904(14).
79ALENA, Annexe 1901.2, articles 1-2.
80ALENA, article 1904(13), Annexe 1904.13. Le comité est composé d’un juge ou d’un ancien juge de chaque pays choisi par les parties à partir d’une liste de 15 personnes (cinq personnes de chaque pays).
81ALENA, article 1904(13)b).
82Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
83Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
84Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
85Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
86Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
87Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
88L’article 1906 de l’ALE énonce explicitement cette intention : « Les dispositions du présent chapitre seront en vigueur pour une période de cinq ans, en attendant que l’un et l’autre pays élaborent un nouveau régime de réglementation applicable à leur commerce bilatéral en matière de droits antidumping et compensateurs. Si un tel régime n’est pas convenu et mis en œuvre au terme de cette période de cinq ans, les dispositions du présent chapitre seront prorogées pour une période supplémentaire de deux ans. À défaut d’entente au sujet de la mise en œuvre d’un nouveau régime au terme de cette période de deux ans, l’une ou l’autre Partie pourra dénoncer l’Accord sur préavis de six mois. »
89     Voir Gordon Hoekstra, « Time to get tough with Americans in lumber fight », The Prince George Citizen, 31 mai 2002, p. D4.
90Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
91Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.
92Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
93Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
94Pour des exemples de telles analyses voir Howard Mann, Private Rights, Public Problems: A Guide to NAFTA’s Controversial Chapter on Investor Rights, Institut international du développement durable et Fonds mondial pour la nature, Winnipeg, 2001; et Michael M. Hart et William A. Dymond, « NAFTA Chapter 11: Precedents, Principles, Prospects », document présenté à la Conférence sur le chapitre 11 de l’ALENA, Centre de droit et de politique commerciale, université Carleton, Ottawa, 18 janvier 2002.
95Pour un résumé des affaires relatives au chapitre 11 voir Mann (2001) et Hart et Dymond (2002). Il est en outre possible de consulter le site Web du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international pour un aperçu de nombreuses causes entendues à l’adresse : www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/NAFTA-f.asp.
96Kenneth Vandeveld, United States Investment Treaties: Policy and Practice, Law and Taxation Publishers, Boston (Mass.), 1992, p. 22, cité dans Aaron Cosbey, « NAFTA’s Chapter 11 and the Environment », document d’information pour le Comité consultatif public mixte de la Commission de coopération environnementale, Ottawa, 17-18 juin 2002.
97L’investisseur peut choisir soit les règles du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) — administrées sous l’égide de la Banque mondiale — soit le Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).
98Ces Notes sont accessibles sur le site Web du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à l’adresse suivante : www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/NAFTA-Interpr-f.asp.
99Foster (2002), p. 10 de l’avant-projet de publication.
100Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
101Stephen Clarkson, Uncle Sam and Us: Globalization, Neoconservatism, and the Canadian State, University of Toronto Press et Woodrow Wilson Press, Toronto, 2002. Dans un récent document de travail, l’avocat spécialiste du commerce Jon Johnson souligne la portée potentielle des accords commerciaux et fait observer que l’assurance-maladie ne serait jamais devenue réalité au Canada si l’ALENA était entré en vigueur avant la nationalisation du régime canadien de soins de santé, voir Brian Laghi, « NAFTA could increase health costs, study says », The Globe and Mail, 28 septembre 2002, p. A8.
102Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
103Mémoire, « L’avenir de l’intégration en Amérique du Nord », présenté au Comité lors de sa réunion à l’ambassade canadienne à Mexico, 14 mars 2002.
104Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
105Témoignages, réunion no 58, 25 février 2002.
106Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
107Voir Hart et Dymond (2002), p. 18-21.
108Ibid., p. 21-25.
109Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
110« Administration Proposes Higher Tresholds for Investor Suits », Inside U.S. Trade, vol. 20, no 39, 27 septembre 2002, p. 1; voir également Edward Alden, « U.S. does about face on expropriation », National Post, 2 octobre 2002, p. B1.
111Pierre Marc Johnson et André Beaulieu, The Environment and NAFTA: Understanding and Implementing the New Continental Law, Island Press, Washington (D.C.), 1996, p. 30-31.
112Voir Carolyn L. Deere et Daniel C. Esty, éd., Greening the Americas: NAFTA’s Lessons for Hemispheric Trade, The MIT Press, Cambridge (Mass.), 2002.
113Témoignages, réunion no 62, 27 février 2002.
114Pour plus de détails sur l’état d’avancement de toutes les communications, voir la page suivante du site Web de la CCE : www.cec.org/citizen/status/index.cfm?varlan=francais.
115Témoignages, réunion no 5, 22 mars 2001.
116Témoignages, réunion no 62, 27 février 2002.
117Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
118La CCE a un budget annuel total de 9 millions de dollars américains, la contribution de chaque gouvernement étant la même.
119Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
120Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.
121Les 11 principes du travail visés par l’ANACT sont les suivants : 1) liberté d’association et protection du droit d’organisation; 2) droit de négociation collective; 3) droit de grève; 4) interdiction du travail forcé; 5) protections accordées aux enfants et aux jeunes en matière de travail; 6) normes minimales d’emploi; 7) élimination de la discrimination en matière d’emploi; 8) égalité de la rémunération entre les hommes et les femmes; 9) prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles; 10) indemnisation en cas d’accidents de travail et de maladies professionnelles; et 11) protection des travailleurs migrants. Voir la page suivante du site Web de la Commission de coopération dans le domaine du travail :
122Foster (2002), p. 11 de l’avant-projet de publication.
123Ibid., p. 12.
124Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
125Témoignages, réunion n° 75, 6 mai 2002.
126 Les huit « conventions fondamentales » de l’OIT sont : la Convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical,1948 — (no 87); la Convention sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 —  (no 98); la Convention sur le travail forcé, 1930 — (no 29); la Convention sur l’abolition du travail forcé, 1957 — (no 105); la Convention concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 — (no 111); la Convention sur l’égalité de rémunération, 1951 — (no 100); la Convention sur l’âge minimum, 1973 — (no 138); la Convention sur les pires formes de travail des enfants, 1999 — (no 182). On peut les consulter au site Web de l’OIT, à l’adresse www.ilo.org/ilolex/french/convdisp2.htm.
127Robert A. Pastor, Toward A North American Community: Lessons From The Old World For The New, Institute for International Economics, Washington (D.C.), août 2001, p. 2.
128Alberta Sbragia, « The ECB, the Euro, and National Politics: The Implications for the Governance of Europe’s Political Economy », document présenté à la conférence Challenges to Governance in North America and the European Union, Université Carleton, 8 février 2002.
129Daniel Schwanen, « Interoperability, not convergence », Options politiques, novembre 2001, p. 47.
130Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.
131Beatty (2001), p. 11.
132Pour un aperçu des institutions de l’ALENA, voir Les institutions de l’ALENA, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Ottawa, 2001 à l’adresse : www.dfait-maeci.gc.ca/nafta-alena/inst-f.asp. Pour plus de détails voir : Les institutions de l’ALENA : La performance et le potentiel environnementaux de la Commission du libre-échange et autres organes connexes à l’ALENA, Commission de coopération environnementale, Montréal, 1997 à l’adresse : www.cec.org/files/pdf/ECONOMY/NAFTfr_FR.pdf.
133En ce qui concerne, notamment, les chapitres 14, 19 et 20 et certains aspects du chapitre 11. Le Secrétariat a un site Web trinational où il est possible de trouver de l’information sur les différends relatifs aux chapitres 19 et 20, www.nafta-sec-alena.org/, et chaque section nationale tient un registre de la procédure relative aux différends.
134Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
135Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
136Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
137Ibid.
138Vers une frontière sûre et propice à l’efficacité commerciale, Rapport du Sous-comité du commerce, des différends commerciaux et des investissements internationaux du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, novembre 2001, p. 5.
139Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002.
140Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
141Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002.
142Le Canada et les États-Unis signent la Déclaration pour la création d’une frontière intelligente, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, Communiqué no 162, 12 décembre 2001.
143Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
144On peut trouver ce document à l’adresse Web suivante :
145Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.
146Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
147Michael Hurst, le maire de la ville de Windsor, a dit au Comité que sa ville a besoin d’un nouveau lien entre l’autoroute 401 et le réseau autoroutier américain pour répondre aux besoins des 13 millions de véhicules (dont 3,4 millions de camions) qui traversent la frontière à Windsor chaque année.
148Chambre de commerce du Canada,  Achèvement du plan d’action en 30 points canado-américain, 3 décembre 2002.
149Ibid.
150Témoignages, réunion no 62, 27 février 2002.
151Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.
152Témoignages, réunion no 77, 7 mai 7 2002.
153Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
154Mémoire, Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique, Présentation sur les relations nord-américaines et l’ordre du jour du G8, 27 février 2002.
155Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
156Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
157Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
158Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
159Ibid.
160Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
161Témoignages, réunion no 87, 4 juin 2002.
162Michael Hart et William Dymond, Common Borders, Shared Destinies: Canada, the United States and Deepening Integration, Centre for Trade Policy and Law, université Carleton, 2001, p. 3.
163Mémoire, réunion no 55, 5 février 2002.
164Ibid.
165Beatty (2001), p. 8.
166Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
167Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
168Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
169Ibid.
170Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002.
171Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
172Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
173Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
174Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
175Cette progression est expliquée en détail dans l’ouvrage de Rolf Mirus et Nataliya Rylska, Economic Integration: Free Trade Areas vs. Customs Unions, Western Centre for Economic Research, 2001, p. 3-6.
176Barry Scholnick, commentaires présentés au Comité, 9 mai 2002.
177Mémoire, Chambre de commerce des provinces de l’Atlantique, Audiences publiques sur les relations nord-américaines et l’ordre du jour du G8, 27 février 2002.
178Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
179Ibid.
180Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002.
181Mémoire, Chambre de commerce du Canada, Intégration économique Canada-États-Unis : orientations pour l’avenir, juin 2002.
182Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
183Témoignages, réunion no 81, 9 mai 2002.
184Ibid.
185Chambre de commerce du Canada, 2002.
186Richard G. Harris, L’intégration économique de l’Amérique du Nord : problématique et recherches futures, document de discussion d’Industrie Canada no 10, avril 2001.
187Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
188Ibid.
189Voir, par exemple, le rapport d’octobre 2002 que nous a remis l’Association canadienne des fabricants de produits chimiques, Strengthening the North American Economic Partnership: A Report on Issues and Opportunities for the Industrial Chemical Sector.
190Barry Bosworth, Integrating North America: Lessons from Europe, notes de discussion pour la conférence de décembre 2001 sur l’intégration nord-américaine organisée par la Brookings Institution, p.5.
191Herbert Grubel et Fred McMahon, « Creating a Common Frontier for North America: Opportunities and Problems », Fraser Forum, mars 2002, p. 18.
192Témoignages, réunion no 58, 25 février 2002.
193Essentiellement, ce que le Mexique propose, c’est la création de transferts fiscaux entre le Nord et le Sud, comme ceux qui existent en Europe.
194Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
195Daniel Schwanen, « Interoperability, not Convergence », Options politiques, novembre 2001, p. 47.
196Ibid., p. 49.
197Ibid., p. 49.
198Grubel et McMahon (2002), p. 19.
199Beatty (2001).
200« Le Canada que nous voulons dans l’Amérique du Nord que nous bâtissons » (2002).
201Témoignages, réunion no 81, 9 mai 2002.
202Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.
203   Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
204Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
205Mémoire, Association des chemins de fer du Canada, juin 2002.
206Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002.
207Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.
208Wendy Dobson, « Shaping the Future of the North American Economic Space: A Framework for Action », Institut C.D. Howe, Commentaire n162, avril 2002.
209Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
210Herbert Grubel et Fred McMahon (2002), p. 18.
211Morgan Guaranty Trust Company Economic Research, J.P. Morgan, Monetary Union in the Americas, notes de recherche en économie, New York, 12 février 1999, p. 6.
212Pour que ce scénario soit plausible, il faut supposer que la nouvelle banque centrale (ou réserve fédérale) réussirait d’une façon convaincante à appliquer efficacement sa politique monétaire. Une hausse de la prime de risque de perte sur les taux d’intérêt est naturellement tout à fait possible si la politique monétaire est moins convaincante après une telle union qu’avant celle-ci.
213Richard G. Harris, « Trade, Money, and Wealth in the Canadian Economy », C.D. Howe Institute Benefactors Lecture, septembre 1993, p. 39-40.
214John Murray, Why Canada Needs a Flexible Exchange Rate, document rédigé pour la conférence tenue à l’université Western Washington, 30 avril 1999, p. 8.
215Thomas J. Courchene et Richard G. Harris, « From Fixing to Monetary Union: Options for North American Currency Integration », C.D. Howe Institute, Commentaire, 1999, p. 2.
216Cet argument repose sur deux hypothèses : premièrement, il implique que la dépréciation de la monnaie ne se traduit pas directement par une hausse des prix intérieurs pour les autres biens, particulièrement ceux utilisés dans la fabrication des produits de base. Le cas échéant, les fabricants de produits de base au pays devraient composer avec une augmentation des coûts de production et hausser leurs prix pour conserver leur marge bénéficiaire (si la demande demeurait constante), ce qui annulerait certains des avantages de la dévaluation; deuxièmement, l’argument tient compte du fait que la baisse des prix stabilisera la demande (unités physiques de biens) ou la fera augmenter.
217Harris (1993), p. 36.
218Certaines preuves empiriques viennent étayer l’hypothèse que la faiblesse de notre dollar a nui à notre productivité. Consulter notamment « What Do We Do With The Dollar? », Options politiques, janvier/février 1999, p. 32.
219Murray (1999), p. 16.
220En fait, le taux d’inflation du Canada du début des années 1970 à 1992, était supérieur à celui des États-Unis. Les taux d’intérêt du Canada étaient aussi plus élevés, ce qui a signifié une diminution des investissements et de la productivité ainsi que la baisse vertigineuse du dollar.
221Parmi les solutions prônant un taux de change fixe, la dollarisation officielle entraînerait la plus grande perte de souveraineté quant à politique monétaire au Canada.
222Dans une étude récente sur les perspectives d’intégration nord-américaine, Rogelio Ramirez de la O, économiste mexicain, a conclu également que l’intégration monétaire n’est ni pertinente, ni nécessaire, ni souhaitable sur le plan économique. Voir Le Mexique : L’ALENA et les perspectives d’intégration nord américaine, The Border Papers, C.D. Howe Institute, Commentary, no. 172, novembre 2002,à l’adresse : www.cdhowe.org.
223Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
224Témoignages, réunion no 56, 7 février 2002.