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INST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le lundi 7 avril 2003




¹ 1535
V         Le président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.))
V         M. Stephen Ross («Professor of Law, University of Illinois College of Law», À titre individuel)

¹ 1540
V         Le président
V         Mme Kasia Majewski (analyste de politiques, Chambre de commerce du Canada)
V         M. John Clifford (partenaire, McMillan Binch, Chambre de commerce du Canada)

¹ 1545

¹ 1550
V         Le président
V         James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest)
V         M. Stephen Ross
V         M. James Rajotte
V         M. Stephen Ross
V         Le président
V         M. John Clifford

¹ 1555
V         M. Stephen Ross
V         M. James Rajotte
V         M. Stephen Ross

º 1600
V         Le président
V         M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.)
V         M. John Clifford
V         M. Stephen Ross

º 1605
V         Le président
V         M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne)

º 1610
V         M. Stephen Ross
V         M. Brian Fitzpatrick
V         M. Stephen Ross
V         M. Brian Fitzpatrick
V         M. Stephen Ross

º 1615
V         M. Brian Fitzpatrick
V         Le président
V         M. Brian Fitzpatrick
V         M. Dan McTeague (Pickering--Ajax--Uxbridge)
V         M. John Clifford

º 1620
V         M. Dan McTeague
V         M. John Clifford
V         M. Dan McTeague

º 1625
V         M. John Clifford
V         Le président
V         M. Stephen Ross
V         Le président
V         M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.)

º 1630
V         M. John Clifford
V         M. Andy Savoy
V         M. Stephen Ross
V         M. Andy Savoy
V         M. John Clifford
V         M. Andy Savoy
V         M. Stephen Ross
V         M. Andy Savoy

º 1635
V         M. John Clifford
V         M. Andy Savoy
V         M. John Clifford
V         M. Andy Savoy
V         M. Stephen Ross
V         Le président
V         M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.)

º 1640
V         M. Stephen Ross
V         M. Brent St. Denis
V         Prof. Stephen Ross
V         M. Brent St. Denis
V         M. John Clifford

º 1645
V         Prof. Stephen Ross
V         M. John Clifford
V         M. Brent St. Denis
V         Le président
V         M. Brian Fitzpatrick
V         M. Stephen Ross
V         M. Brian Fitzpatrick
V         M. Stephen Ross
V         Le président
V         M. Brian Fitzpatrick

º 1650
V         M. Stephen Ross
V         M. Brian Fitzpatrick
V         Le président
V         M. Dan McTeague

º 1655
V         M. John Clifford
V         M. Dan McTeague
V         M. John Clifford
V         M. Dan McTeague
V         M. John Clifford
V         M. Dan McTeague

» 1700
V         M. John Clifford
V         M. Stephen Ross
V         Le président
V         M. Brian Fitzpatrick

» 1705
V         M. Stephen Ross
V         M. Brian Fitzpatrick
V         Le président
V         M. Larry Bagnell
V         M. John Clifford
V         M. Larry Bagnell
V         M. John Clifford
V         M. Larry Bagnell
V         M. John Clifford
V         M. Larry Bagnell

» 1710
V         M. John Clifford
V         M. Larry Bagnell
V         M. Stephen Ross
V         M. Larry Bagnell
V         M. John Clifford

» 1715
V         M. Stephen Ross
V         M. Larry Bagnell
V         M. Stephen Ross
V         Le président
V         M. John Clifford
V         Le président
V         M. Dan Shaw (attaché de recherche auprès du comité)

» 1720
V         M. Stephen Ross
V         M. Dan Shaw
V         M. Stephen Ross
V         M. Dan Shaw
V         M. John Clifford
V         M. Stephen Ross

» 1725
V         Le président
V         M. Geoffrey Kieley (attaché de recherche auprès du comité)
V         M. Stephen Ross
V         M. John Clifford
V         M. Brian Fitzpatrick
V         Le président
V         M. Dan McTeague
V         M. John Clifford

» 1730
V         M. Stephen Ross
V         Le président










CANADA

Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie


NUMÉRO 035 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 7 avril 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): Aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous faisons l'examen du projet de loi C-249, la loi modifiant la Loi sur la concurrence.

    Nous accueillons aujourd'hui un représentant de la Chambre de commerce du Canada, qui témoigne à titre personnel, un professeur de droit de l'University of Illinois College of Law, M. Stephen Ross. Nous vous souhaitons la bienvenue. De la Chambre de commerce du Canada, nous accueillons aussi Kasia Majewski et John Clifford. Nous commencerons, conformément à l'ordre du jour, avec M. Ross.

+-

    M. Stephen Ross («Professor of Law, University of Illinois College of Law», À titre individuel): Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité.

    C'est vraiment un plaisir et un honneur pour moi, un voisin du sud, d'avoir été invité à venir témoigner aujourd'hui devant votre comité pour discuter de mesures législatives qui pourraient être adoptées en réponse à des décisions récentes du Tribunal de la concurrence et de la Cour d'appel fédérale concernant le droit canadien des fusions.

    Je donne des cours de droit de la concurrence et de droit comparatif Canada-États-Unis à l'Université de l'Illinois, et par téléconférence à l'Université de la Colombie-Britannique-Britannique. Mes recherches englobent des travaux sur le droit de la concurrence du Canada et des États-Unis et j'ai écrit un certain nombre d'articles sur le traitement des gains d'efficience, un sujet dont je discute également dans mon traité en un volume sur le droit américain.

    Je devrais aussi ajouter, en passant, qu'après avoir déjà rédigé deux de mes trois articles sur l'affaire Superior Propane, alors qu'elle était à l'examen, j'ai brièvement discuté des détails de cette affaire avec le Bureau de la concurrence, au sujet des aspects juridiques de l'appel.

    Je peux vous assurer que mon témoignage n'est nullement inspiré d'une certaine attitude américaine visant à imposer du côté canadien l'approche de nos tribunaux. Une bonne partie de mes travaux en droit comparatif sont axés sur les importants écarts qui différencient nos deux pays quant à leur institution, leur économie et leurs valeurs. Comme je l'ai déjà signalé ailleurs, les suggestions que je fais en matière de réforme législative au Canada diffèrent du droit américain.

    Le Canada représente un plus petit marché, de sorte que vous devez vous résoudre plus souvent que les apôtres américains de la concurrence à un accommodement entre un gain d'efficience et une emprise accrue sur le marché.

    Plusieurs préoccupations pourraient justifier un écart par rapport à la norme de prix américaine en vigueur qui interdit les acquisitions lorsqu'il est probable que la fusion se traduira par une augmentation des prix pour les consommateurs. Je mentionne en passant qu'à mon avis, une saine politique canadienne de la concurrence, comme en témoigne l'intention initiale du Parlement dans l'article 96, veut que ces écarts soient justifiés et non acceptés en bloc.

    Mon travail repose sur la notion que le droit de la concurrence devrait protéger les consommateurs, et mon principal argument en ce sens n'est pas basé sur les principes de l'économie de bien-être qui semblent avoir dominé le débat universitaire et juridique sur ce sujet. Je crois plutôt qu'une approche centrée sur le consommateur tient à deux hypothèses clés avec lesquelles j'espère que vous êtes d'accord.

    Premièrement, dans une démocratie, les politiques d'intérêt public devraient soit améliorer le sort d'une majorité de citoyens, soit fournir à la majorité une bonne raison qui justifie les sacrifices auxquels elle consent.

    Deuxièmement, la plupart des Canadiens entretiennent avec l'économie une relation de consommateurs et de travailleurs, et non d'actionnaires. Ces deux éléments m'amènent à conclure qu'une politique d'intérêt public ayant pour effet de transférer systématiquement la richesse des consommateurs vers les actionnaires est généralement malsaine, sauf si elle se justifie par des retombées qui profitent à la plupart des Canadiens en tant que travailleurs, ou pour des raisons non économiques.

    Votre comité et le gouvernement doivent se demander sérieusement s'il sera jamais justifié d'autoriser une législation canadienne des fusions qui donne à certaines entités le pouvoir économique d'augmenter les prix, de refuser aux consommateurs des choix compétitifs et de transférer la richesse de la majorité des Canadiens, en tant que consommateurs, à une minorité de Canadiens et d'étrangers en tant qu'actionnaires.

    De fait, depuis que j'ai rédigé ces observations, j'ai eu l'occasion d'entendre les observations, la semaine dernière, du vice-président McTeague et du commissaire von Fickenstein, qui laissent entendre que, peut-être, l'obligation de justifier—et ce sont les mots de M. McTeague—un minimum de dommages concurrentiels—pour les consommateurs afin de permettre aux entreprises canadiennes de pouvoir être concurrentielles à l'échelle mondiale n'est plus nécessaire.

    D'autres ont suggéré que la défense fondée sur l'efficience contribue à améliorer la qualité des produits ou permet aux entreprises de survivre dans des régions où la concurrence ne serait pas rentable. Je crois que l'analyse de l'article 92 tenait déjà compte du premier argument. Une fusion qui améliore la qualité ne nuirait pas beaucoup à la concurrence.

    Le deuxième argument est un enjeu légitime dont pourrait traiter spécifiquement une nouvelle loi, mais je ne vois aucun avantage pour le public à permettre aux sociétés d'augmenter les prix, de réduire les coûts et de conserver pour elles-mêmes tous les avantages. La majorité des économistes canadiens semblent favoriser une norme sans rapport avec la concurrence internationale, mais plutôt axée uniquement sur la maximisation de la richesse totale du pays, abstraction faite de la manière dont cette richesse est distribuée. Pourquoi la Chambre des communes, qui représente les électeurs canadiens, souscrirait-elle à une telle politique?

    Supposons une démocratie pure et simple : une société formée de 10 personnes et régie par le vote majoritaire. Supposons que chacune d'entre elles gagne 10 $ et il qu'on pose la question de savoir si Adam et Betty peuvent lancer une opération qui leur rapporterait chacun un revenu de 50 $, tout en réduisant le revenu des huit autres citoyens de moitié, à 5 $ chacun. Normalement la collectivité rejette cette proposition, même si elle devrait avoir pour résultat de rehausser le bien-être économique global en faisant passer le revenu total de 100 $ à 140 $.

    Je fais remarquer dans mon exemple que la proposition ne sera pas rejetée parce qu'Adam et Betty sont plus riches, ou parce que Gord, et Hermione, Isabel et John obtiennent une plus grande utilité marginale par dollar qu'Adam et Betty; elle sera rejetée simplement parce qu'elle enrichit deux personnes et en appauvrit huit autres sans justification.

    Il existe des exceptions importantes, que je décris en détail dans mon mémoire, où je cite les articles qui demeurent vrais dans toutes les démocraties, simples ou complexes, et le droit public canadien ne repose pas et ne devrait pas reposer sur une règle majoritaire implacable, mais il reste qu'on devrait pouvoir invoquer une bonne raison lorsqu'on prend une mesure qui empire le sort de la majorité.

    S'il est possible qu'un jour, un grand nombre de Canadiens soient propriétaires d'actions, soit au moins un investissement individuel ou dans le cadre de fonds de pension comme la Caisse de dépôt et de déplacement du Québec, et qu'une politique favorisant les actionnaires au détriment des consommateurs améliore la situation de la plupart d'entre eux, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il n'existe pas non plus d'arguments liés à la justice sociale que peuvent faire valoir les grandes entreprises canadiennes pour justifier un quelconque droit moral d'aller chercher de l'argent qui se trouve maintenant dans les poches des consommateurs canadiens.

    Il n'est donc guère étonnant que les débats législatifs concernant le plaidoyer de l'efficience n'appuie en rien l'argument d'économistes canadiens selon lequel la maximisation de la richesse devrait être l'objectif du texte de loi. Cela dit, on ne doit guère se surprendre non plus du fait que les deux autres grands régimes de droit de la concurrence, les États-Unis et l'Union européenne, exigent que les gains d'efficience soient largement partagés avec les consommateurs lors d'une fusion anticoncurrentielle.

    Le projet de loi C-249 vise à clarifier l'intention du Parlement que la Loi sur la concurrence soit interprétée de façon à bénéficier à la plupart des Canadiens. Ce faisant, le projet de loi s'inscrit dans une longue tradition de rectification parlementaire face à des interprétations trop étroites du droit de la concurrence par l'appareil judiciaire.

    Je pense que la décision, dans l'affaire Superior Propane, mériterait également d'être clarifiée par le Parlement. La loi actuelle est, pour parler franchement, un gâchis. Sauf décision contraire de la Cour suprême du Canada, la loi permet au tribunal d'adopter une démarche excessivement étroite qui, trop souvent, ne tient aucun compte des préoccupations visant les prix concurrentiels et le choix des consommateurs.

    La plupart des Canadiens n'approuvent pas l'interdiction du Code criminel à l'égard du vol parce que ce crime va donner lieu à des pertes d'efficience, bien que le crime entraînera effectivement des pertes d'efficience. Je signale, en passant, que s'il était intéressé uniquement à des transferts équitables de richesse, le Parlement pourrait bien légaliser le cambriolage, lequel consiste souvent à enlever un bien à des victimes riches pour le donner à des criminels pauvres.

    De même, j'avance que le Parlement n'a pas voulu promouvoir une concurrence des prix et un meilleur choix pour le consommateur parce que les Canadiens pauvres ont besoin de plus d'argent, ou parce que l'utilité marginale de leur dollar est plus grande. C'est plutôt que les bénéfices d'une économie concurrentielle doivent profiter à tous les Canadiens, même, pour utiliser un exemple de la documentation, aux riches adeptes du ski alpin qui paient leurs frais de remonte-pente et d'entreprise pouvant appartenir à la Caisse de dépôt. Je m'excuse pour mon horrible prononciation en français.

    Plutôt que de confier au Tribunal de la concurrence un vaste pouvoir de redistribution, il est beaucoup plus sensé d'utiliser le pouvoir d'imposition et de dépenses du Parlement pour atteindre ces objectifs.

    Cela dit, je vous exhorte à refaire un examen critique des raisons fondamentales qui font que vous voulez mettre en place une défense fondée sur l'efficience. Ma propre démarche serait de permettre au Tribunal de la concurrence et au système judiciaire de continuer à établir le droit dans ce domaine, sous réserve d'une renouvellement de la philosophie du Bureau de la concurrence à cet égard.

    Je ne mettrai certainement pas en question votre jugement de vouloir vous joindre aux États-Unis et à l'Union européenne en insistant que les fusions ne nuisent pas aux consommateurs, mais si vous voulez préserver une approche canadienne unique, je suggère que vous annuliez tout simplement la décision dans l'affaire Superior Propane et spécifiiez des circonstances où, pour utiliser les termes de M. McTeague, un minimum de dommages aux consommateurs puisse être justifié d'après la politique publique.

    Je remercie le comité et je suis impatient de répondre à vos questions.

¹  +-(1540)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Le témoin suivant représente la Chambre de commerce.

+-

    Mme Kasia Majewski (analyste de politiques, Chambre de commerce du Canada): Bon après-midi, monsieur le président.

    Je m'appelle Kasia Majewski. Je suis analyste des politiques pour la Chambre de commerce du Canada.

    Je vous remercie de nous avoir invité aujourd'hui à comparaître devant vous au sujet de cette étude.

    Notre observation générale, si je peux l'énoncer, est que nous pensons qu'une scène politique publique découle du processus qui accorde à tous les intéressés et à toutes les personnes touchées tout le temps qu'il faut pour participer au processus législatif et commenter la loi. Si le gouvernement est d'avis que des changements sont nécessaires relativement au plaidoyer de l'efficience, nous insistons vivement sur ce genre de démarche.

    Je vais laisser la parole à mon collègue, John Clifford, partenaire chez McMillan Binch, qui fera les observations spécifiques sur le projet de loi qui est proposé. 

+-

    M. John Clifford (partenaire, McMillan Binch, Chambre de commerce du Canada): Merci, Kasia, et merci monsieur le président de nous avoir invités à participer aujourd'hui à la discussion sur le projet de loi C-249 qui est proposé.

    Nous vous avons remis un mémoire au sujet de ce projet de loi en novembre 2002. Toutefois, l'amendement proposé au projet de loi C-249 a enlevé toute raison d'être à nos commentaires formulés en novembre. Nous nous concentrons aujourd'hui sur le projet de loi modifié.

    La Chambre de commerce du Canada continue de croire que la défense fondée sur l'efficience est un élément important du Régime de concurrence du Canada et que tout changement devrait être fait de façon judicieuse et dans le cadre du processus actuel de réforme de la loi.

    Le projet de loi C-249 propose de modifier l'article 96 de la Loi sur la concurrence qui établit ce qu'il est convenu d'appeler une défense fondée sur l'efficience. Essentiellement, l'article 96 prescrit qu'une fusion anticoncurrentielle—c'est-à-dire qui empêche la concurrence ou la réduit sensiblement—ne doit pas être interdite si elle permet à l'économie canadienne de réaliser des gains d'efficience qui supassent et neutralisent les effets anticoncurrentiels de la fusion.

    D'après ce que nous comprenons du nouvel amendement que nous propose M. McTeague, le projet de loi voudrait de modifier l'article 96 du projet de loi C-249 en supprimant la défense fondée sur l'efficience de la Loi sur la concurrence. Les gains d'efficience seraient plutôt considérés comme un facteur dans l'analyse préalable à la fusion qui se fait en vertu de l'article 92. Le nouvel amendement instruit en outre le tribunal de tenir compte des surplus de gains d'efficience pour le consommateur dans l'analyse d'une éventuelle fusion.

    Vous avez entendu des témoins, et en entendrez d'autres, demander quel est le rôle que jouent les gains d'efficience dans le processus de fusion qui est important. C'est une question que bien d'autres compétences se posent.

    Le plaidoyer de l'efficience, dans la Loi sur la concurrence, n'est pas un résidu de l'ancienne loi; l'article 96 lui-même est plutôt le résultat d'un processus entamé avec l'introduction du projet de loi C-256 en 1971, qui était la conclusion d'un long débat, qui avait duré près de 16 ans, entre divers groupes d'intervenants. L'histoire législative et le débat sont bien résumés par le Tribunal de la concurrence dans la décision qu'il a prise à la suite d'un réexamen, dans l'affaire Superior Propane.

    En reconnaissant que le Canada est à la fois une économie très modeste et très ouverte, l'article 96 vise à procurer à l'ensemble de l'économie canadienne des avantages qui, en l'absence d'une telle protection, seraient perdus lorsque l'autorité de réglementation en matière de concurrence interdit certaines fusions. En deux mots, l'article 96 a pour but de promouvoir la productivité de l'économie canadienne.

    L'efficience résultant de la fusion peut aussi accroître la compétitivité du secteur industriel dans le marché mondial en réduisant le double emploi et en permettant aux entreprises d'accroître l'efficience de la production. Elle peut augmenter la qualité des produits ou permettre a une entreprise de survivre et de continuer de servir des clients dans une région où il est difficile de faire des profits. C'est l'objet de l'article 96 sous sa forme actuelle.

    Cet objectif s'insère dans la tradition de la Loi sur la concurrence du Canada. Au contraire des lois antitrust des États-Unis, qui visent à protéger et à avantager les consommateurs, nos lois cherchent à assurer la création de cadres du marché pour promouvoir la concurrence et le fonctionnement efficace des marchés. Ceci, à son tour, entraînera des avantages pour tous les segments de la société.

    En promulguant le projet de loi C-249, le Parlement indiquerait non seulement que les gains en efficience ne sont pas au centre des politiques canadiennes en matière de concurrence, comme nous croyons qu'ils devraient l'être, mais aussi que la législation canadienne en matière de concurrence devrait intervenir dans la répartition et de la richesse et du revenu. C'est là un rôle auquel elle est mal adaptée. Il existe d'autres mécanismes, par exemple le régime fiscal, qui sont mieux conçus pour la répartition de la richesse et du revenu.

    La Loi sur la concurrence convient mieux à la tâche de favoriser l'enrichissement du Canada, promouvoir l'efficience, la productivité, l'adaptabilité, le potentiel novateur, la vigueur et la taille de l'économie canadienne. Autrement dit la loi s'intéresse à la richesse dans son ensemble et au moyen de la faire croître, non à qui elle doivent aller les parts du gâteau. Elle n'est pas un mécanisme de répartition de la richesse et on ne peut pas lui faire assumer cette fonction de façon efficace.

    Donc, cette résolution, dans l'affaire Superior Propane, en faveur des fusions, nécessite l'apport de changements à cet article. Le plaidoyer d'efficience a été appliqué de façon très judicieuse. Depuis 1986, au moment de l'adoption des dispositions sur la fusion de la Loi sur la concurrence, aucun compte rendu ne fait état d'une occasion où le commissaire de la concurrence aurait décidé de ne pas contester une fusion parce que les gains en efficience surpassaient les effets anticoncurrentiels de la fusion.

    L'affaire Superior Propane est la seule dont la défense ait été fondée sur le principe de l'efficience en 15 ans d'existence de ce type de plaidoyer. L'affaire a été chaudement débattue par le commissaire et les intéressés, en partie à cause du fait que la position même du commissaire dans l'affaire était en contradiction ses propres directives en matière de fusion. L'affaire Superior Propane a clarifié les règles s'appliquant au recours au un plaidoyer d'efficience. Elle a lancé le processus d'établissement d'une jurisprudence relativement à cet article important de la Loi sur la concurrence.

    La Chambre estime que l'article 96, telle que l'interprètent le Tribunal de la concurrence et la Cour d'appel fédérale, est exploitable et qu'aucune modification de l'article n'est nécessaire pour l'instant. Nous pensons que la raison pour laquelle il y a eu si peu de procès fondés sur l'article 96 est que les fusions qui entraînent une réduction importante de la concurrence mais génèrent néanmoins des gains d'efficience qui neutralisent et excèdent le niveau de réduction de la concurrence sont très rares.

¹  +-(1545)  

    Cependant, si l'existence de la défense fondée sur l'efficience devait entraîner une vague de fusions efficaces, il apparaît à la Chambre de commerce du Canada que le pays profiterait, parce que de telles fusions seraient avantageuses pour l'économie, donc ces fusions devraient être permises.

    Même si l'on devait envisager une modification de la loi, il n'y a aucune urgence à le faire. Nous faisons cette observation en ce qui concerne les amendements au projet de loi C-249 qui ont été proposés à ce comité. Toute modification de l'article 96, ou de tout autre article de la Loi sur la concurrence devraient être assujettie à une analyse et à un examen minutieux. C'est la recommandation même de ce comité qui, dans son plan d'actualisation du régime de concurrence canadien récemment publié, recommande de constituer un groupe indépendant d'experts, chargé d'étudier le rôle des gains d'efficience dans tous les articles de la Loi sur la concurrence prévoyant un examen en droit civil, et non pas seulement dans le cadre de l'article 96.

    Les amendements proposés au projet de loi C-249 représentent un changement fondamental dans l'examen des gains d'efficience dans toute analyse de fusion. Dans le fond, l'offense serait abolie et les gains d'efficience liés au consommateur deviendraient l'un des nombreux facteurs que devraient examiner le Tribunal et le Bureau de la concurrence. Un tel changement fondamental de la politique ne devrait se faire qu'après un examen et un débat approfondis.

    De l'avis de la Chambre, d'après un examen préliminaire, étant donné que nous n'avons appris l'existence de cet amendement qu'il y a un peu plus d'une semaine, le projet de loi C-249 suscitera l'incertitude et réduira la valeur des gains d'efficience de telle manière qu'ils auront peu de pertinence dans une analyse de fusion.

    En deux mots, nous pensons que le projet de loi C-249 qui est proposé ne devrait pas être promulgué. L'entrée en vigueur de cet amendement ne ferait qu'indiquer que l'objectif de la Loi sur la concurrence n'est pas de maximiser l'efficience et la vigueur de l'économie canadienne. Nous pensons que cela aurait une incidence gravement nuisible à l'orientation législative future de la loi et à son application.

    Nous recommandons que le gouvernement s'acquitte de son engagement d'examiner le rôle des gains d'efficience dans les fusions et entreprenne des consultations exhaustives de tous les intervenants sur cet enjeu important et complexe.

    Monsieur le président, merci encore de nous avoir donné cette occasion d'exprimer notre point de vue. Je répondrai volontiers à vos questions.

¹  +-(1550)  

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Rajotte, vous avez huit minutes.

+-

    James Rajotte (Edmonton-Sud-Ouest): Merci beaucoup d'être venu aujourd'hui. J'apprécie bien vos présentations. Je les ai trouvées très bien faites.

    Peut-être puis-je commencer avec M. Ross. Étant donné ce que vient d'exposer la Chambre, et particulièrement... Avez-vous leur mémoire?

+-

    M. Stephen Ross: J'ai discuté avec eux de sa substance, alors s'il n'y a pas eu de surprise.

+-

    M. James Rajotte: Au point 6, ils disent que notre loi, la loi canadienne, s'efforce de faire en sorte que des cadres soient en place dans le marché pour promouvoir la concurrence et le fonctionnement efficient des marchés. Ceci, à sont tour, profitera à tous les segments de la société. Si je dois mettre toutes mes cartes sur la table, c'est exactement ce que nous pensons. Est-ce ainsi que vous lisez la loi canadienne, en comparaison de la loi américaine?

    Vous parlez, à la page 2 de votre document, de la notion voulant que « le droit de la concurrence devrait protéger les consommateurs ». Cela semble conforme à l'orientation que les États-Unis ont décidé d'adopter. Mais alors, vous poursuivez en disant que votre principal argument en ce sens « n'est pas basé sur les principes de l'économie de bien-être ». C'est l'impression que me laisse votre présentation. Vous dites que la Loi sur la concurrence devrait protéger les consommateurs. Pouvez-vous expliquer comment votre argument n'est pas basé sur l'économie de bien-être, parce que c'est certainement l'impression que j'en ai eue.

+-

    M. Stephen Ross: Je pense pouvoir répondre à vos questions, je l'espère, par ce qui suit.

    Avec tout le respect que je vous dois, je ne tiens pas à ergoter au sujet de leur histoire, mais je ne suis pas d'accord qu'une loi qui favorise le fonctionnement efficient des marchés profitera forcément à tous les segments de la société. L'affaire Superior Propane en est un exemple. Je pense qu'il y a des cas—pas beaucoup, c'est certain, et nous nous entendons là-dessus—où, étant donné la manière dont la richesse des actionnaires est distribuée et étant donné les marchés ouverts voulant que tellement de vendeurs, au Canada, sont des entreprises américaines que, en vertu de l'ALENA, vous devez traiter équitablement, je ne pense pas qu'il soit vrai que le fonctionnement efficient profitera forcément à tous les segments de la société canadienne.

    La raison pour laquelle je dis que mon argument n'est pas conforme aux aspects économiques du bien-être total, c'est que le bien-être total s'intéresse à la grosseur de la part de la tarte. Ce que je dis, c'est que dans les démocraties, on essaie de déterminer combien de gens reçoivent quelle part de la tarte. Une proposition voulant que deux grosses pizzas au pepperoni, dans une ville comme Montréal, un vendredi, où il peut y avoir des catholiques qui ne mangent pas de viande pendant le Carême et des juifs et des musulmans qui ne mangent pas de porc... ils s'opposeront à l'ajout d'une plus grosse pizza si elle doit être au pepperoni et ils préféreraient peut-être une plus petite pizza si elle est au fromage.

    Peut-être vous ai-je dérouté avec cet argument?

    Des voix: Oh, oh!

    M. Stephen Ross: Mais, le fait est que l'approche fondée sur le bien-être s'intéresse à la grosseur de la tarte et peu importe la façon dont elle est divisée. L'objet de mon travail, c'est qu'il faut s'intéresser à la manière dont elle est divisée et non pas, comme on nous l'a laissé entendre, de favoriser les riches ou les pauvres. C'est que dans ce cas, comme pour tout, il faut songer à ce qui profite au plus grand nombre de Canadiens.

    Je ne pense pas, étant donné la situation actuelle des actionnaires de sociétés au Canada, que la loi, telle qu'elle est, profite aux Canadiens.

+-

    Le président: Voulez-vous répondre à cela, monsieur Clifford?

+-

    M. John Clifford: Notre approche a toujours été, d'abord, d'observer la richesse totale de l'économie sans tenir compte de ce qui est aux Américains, aux Canadiens, aux Européens ou à quiconque. C'est une question de déterminer, dans une analyse, quel est le résultat le plus efficient? Je peux reconnaître que, dans certaines circonstances, il y aura certains groupes qui subiront des pertes et d'autres des profits, mais les profits seront supérieurs aux pertes, et c'est justement la principale raison d'être de l'article 96.

    Je pense aussi qu'il est très important de voir l'article 96 dans le contexte de l'intégralité du cadre de la Loi sur la concurrence. Ce n'est qu'un article qui s'insère dans une loi très vaste. L'article sur l'examen des fusions, en particulier, n'est pas centré sur les consommateurs seulement, mais sur tout un éventail de facteurs et tout une gamme de considérations, les consommateurs n'étant que l'un d'eux.

¹  +-(1555)  

+-

    M. Stephen Ross: Ce n'est pas à moi de vous dire ce que devrait être la politique publique canadienne. Je peux toutefois dire que s'il y a des raisons spécifiques qui feraient que la majorité des Canadiens, qui sont des consommateurs, devraient se retrouver plus pauvres qu'avant, c'est à vous de décider, mais vous devriez déterminer dans quelle circonstance ce serait.

    La Chambre en propose trois, dans ses commentaires. Je ne pense pas que la première réduise vraiment la concurrence, la qualité améliorée du produit. Pour ce qui est deux autres, si vous pensez qu'il devrait y avoir des fusions qui réduiraient grandement la concurrence mais favoriseraient la compétitivité mondiale ou permettraient aux entreprises de rester concurrentielles dans certaines régions, je pense certainement qu'il serait légitime, au plan de la politique publique, que vous le disiez clairement, et à mon avis vous devriez le faire. Il est certain que rien, dans l'affaire Superior Propane, n'indique que la fusion était nécessaire pour accroître la compétitivité ou protéger une entreprise canadienne desservant une région particulière du Canada.

+-

    M. James Rajotte: Vous voyez, c'est là que ça se complique pour un responsable des politiques, parce que vous avez parlé d'envisager une fusion potentielle en fonction de ce qu'elle profite à tous les segments de la société canadienne. Je dirais, je crois, en voulant être réaliste... Je ne sais pas, même une fusion ou même lorsque des compagnies se divisent, il y aura toujours des gens qui en souffriront ou des gens qui seront déplacés.

    Une question que j'aurais à poser, c'est si le Bureau de la concurrence ou le Tribunal de la concurrence peuvent vraiment bien cerner les avantages ou inconvénients sociaux qui découleraient d'une fusion potentielle? Je ne sais pas dans quelle mesure vous connaissez l'industrie du transport au Canada, mais prenons l'exemple d'Air Canada qui, en fait, a complètement englouti les lignes aériennes Canadian international. On peut démontrer que cela n'a pas profité aux consommateurs du pays, mais quelle est censée être la réaction des parlementaires, en tant que responsables des politiques, dans cette situation? Le fait est que c'est souvent la réglementation du gouvernement qui, indirectement, crée la situation où ces grandes compagnies prennent de l'expansion.

    Peut-être pourriez-vous seulement nous donner quelque conseil, particulièrement étant donné que nous pourrions avoir d'autres fusions dans l'industrie aérienne. Nous pourrions certainement recevoir d'autres propositions de fusion dans le secteur bancaire, et je crois que c'est sûrement ce à quoi ce comité pense en cherchant à cerner l'impact que pourrait avoir cet amendement sur le processus.

+-

    M. Stephen Ross: Vous auriez le choix entre plusieurs réponses en matière de politiques. Vous pourriez avoir des lois visant des secteurs spécifiques de l'industrie, comme vous l'avez fait pour la fusion d'Air Canada. Vous pouvez déterminer un cadre valable pour la plupart des situations. La différence, je crois, entre ma position et celle de la Chambre, c'est que ma règle implicite est fondée sur un principe majoritaire, quelque chose qui profite au plus grand nombre possible de Canadiens.

    Il y a une différence fondamentale entre les choix du marché et ceux du gouvernement. Les choix du gouvernement partent du principe d'une personne pour un vote. Les choix du marché sont fondés sur celui qu'un dollar vaut un vote. Je pense que M. Clifford a raison. L'une des choses que fait le plaidoyer de l'efficience, c'est qu'il exige que, lorsqu'il doit y avoir des gagnants et des perdants, il faut choisir qui sera le gagnant et qui sera le perdant. Le plaidoyer de l'efficience fait en sorte que le gagnant est celui qui a le plus d'argent. Le cadre que je propose veut que la règle implicite soit que le côté qui l'emporte est celui où il y a le plus de gagnants et le moins de perdants possible. Je pense que c'est un point de départ.

    Je ne connais pas très bien les détails de la question. Vous avez des politiques spécifiques pour faire qu'une part des actions restent canadiennes, un enjeu auquel, je le sais, les Canadiens sont sensibles, mais pas tellement les Américains. Il y a diverses considérations d'ordre politique dont vous devez tenir compte en faisant ces choix, mais il me semble que ce sont là, en fait, vos choix en matière de politiques, de faire que ce soit spécifique à l'industrie, ou de faire une règle générale, mais alors vous devez choisir quel genre de généralisation vous voulez.

º  +-(1600)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Rajotte.

    Monsieur Bagnell.

+-

    M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): Merci.

    Je vais, d'emblée, exposer mon parti pris. Je pense qu'il nous faut un changement, soit un changement au moins aussi grand que le petit changement que nous envisageons, l'amendement, ou quelque chose de plus rigoureux comme ce qui a été proposé à l'origine. C'est en partie à cause de Superior Propane, qui, vous le savez, fait beaucoup de tort à ma circonscription, le Yukon. Je n'ai pas encore entendu quelqu'un exprimer devant nous son accord avec cette décision.

    Les questions que j'ai à vous poser, comme à tous les témoins, visent à déterminer si le projet de loi original, le plus strict, ou le plus faible qui a été modifié auraient résolu ce problème ou contribué à mieux le résoudre. Certaines personnes disent oui. D'autres ont dit que c'est le pouvoir de prendre la décision, et non pas la manière dont est libellée la loi actuelle, qui ferait qu'il y aurait de meilleures décisions.

    Il a été fascinant de vous entendre commenter le changement législatif dans cette affaire particulière. Vous dites être ravi d'être ici aujourd'hui, mais nous sommes tout aussi ravis d'avoir un représentant de notre ami et allié le plus proche, du sud de la frontière.

    La question que j'ai à poser à la Chambre est la suivante. Comment pouvons-nous éviter ce genre de problème? Est-ce que le projet de loi, tel qu'il est, y parviendrait, ou est-ce que ces nouveaux changement le permettraient, ou encore devrions-nous tout simplement légiférer contre eux? Ceci est à la lumière du fait que l'amendement permettant la défense fondée sur l'efficience est encore à l'examen; il n'est pas supprimé; ce n'est pas juste pour dire que c'est dans le contexte de l'examen possible d'autres solutions. Donc, la défense fondée sur l'efficience est toujours bel et bien là.

    Dans votre mémoire au numéro 6, vous dites que sur les fusions remises en question, seulement une recourt au plaidoyer de l'efficience en vertu de l'article 96. On pourrait donc dire que dans 100 p. 100 des cas où elle est appliquée, elle ne fonctionne pas.

+-

    M. John Clifford: Je pourrais répondre à plusieurs éléments de votre difficile question. Pour ce qui est de savoir si la loi doit être modifiée pour composer avec les problèmes perçus qui en découlent, je ne suis pas sûr que la décision serait la même aujourd'hui si il fallait recommencer à partir de zéro. La raison à cela est que c'est la première affaire qui s'est appuyée sur l'article 96, et personne ne savait exactement comment on pouvait pondérer les effets anticoncurrentiels comparativement aux gains d'efficience, ce qui est un peu comparer des pommes et des oranges, ce qu'on a toujours pensé des avocats antitrust.

    Ce que cette affaire a vraiment contribué à réaliser dans une large mesure, c'est à clarifier l'approche. Elle est passée par plusieurs décisions du tribunal et de la cour d'appel fédérale, et nous avons finalement déterminé que la norme de surplus total, qui est vraiment du jargon économique, est l'approche qui devrait être appliquée dans toute affaire qui s'appuie sur l'article 96.

    Je pense que toute nouvelle affaire, maintenant, sera traitée autrement parce que la norme est désormais connue. Si on fait un examen rétrospectif de l'affaire Superior Propane, et le tribunal y fait allusion dans sa révision de la décision, vous y verrez l'hypothèse que si les preuves présentées au tribunal avaient été différentes, le résultat aurait peut-être été autre. Le tribunal doit prendre une décision d'après les faits qui lui sont présentés. Donc, la question reste de savoir si les faits seraient différents si nous devions recommencer à zéro aujourd'hui.

    Je peux dire que les amendements qui sont proposés donneraient lieu à une approche différente de l'affaire Superior Propane. En particulier, le projet de loi C-240 modifié instruit le tribunal de ne tenir compte que des gains d'efficience. Ce n'est donc pas une défense absolue. Ce n'est pas une victoire absolue. Qui sait quel degré de gain d'efficience serait nécessaire pour l'emporter avec ce plaidoyer? C'est l'incertitude qui m'inquiète. Le tribunal est aussi instruit de ne tenir compte que des gains d'efficience qui se rapportent au surplus pour les consommateurs. Cela réduit réellement la gamme des gains d'efficience qui pourraient être pertinents. Je pense que l'application de cette norme à Superior Propane aurait entraîné un résultat différent. Mais encore, je ne pense pas qu'au bout du compte il faille cet amendement pour avoir un résultat différent.

+-

    M. Stephen Ross: J'aimerais répondre à cela. Mon très bon ami et homonyme—bien qu'hélas nous n'ayons aucun lien de parenté—le professeur Thomas Ross, a expliqué dans son témoignage comment, à son avis, le résultat aurait pu être différent dans l'affaire Superior Propane, même avec la loi en vigueur actuellement

    En deux mots, voici la différence. Disons que le prix concurrentiel d'un bien est de 10 $ et que chaque membre du comité l'achète pour 10 $. Supposons que le prix monte à 15 $ parce qu'il n'y a que quelques acheteurs, et que la concurrence n'est pas très efficace. M. Bagnell et M. Savoy décident de ne pas acheter le produit, et le reste d'entre vous payez 5 $ de plus. Ce que je dis, c'est que ces 5 $ de plus, que tous les autres paient, est le dommage dont il faut tenir compte. La Chambre dit «Peu nous importe les 5 $ que vous payez de plus. Nous ne préoccupons que du fait que M. Bagnell et M. Savoy dépensent maintenant leur argent sur quelque chose d'autre qui est moins efficient». Ça s'appelle une perte économique. Supposons que les compagnies qui restent se fusionnent pour constituer un monopole et que le prix monte à 20 $. En conséquence, M. St. Denis et M. Marcil n'achètent plus le produit, et les autres continuent de l'acheter.

    Ce qu'a fait le tribunal, dans l'affaire Superior Propane, c'est qu'il ne s'est intéressé qu'à M. St. Denis et à M. Marcil. Il n'a pas tenu compte de M. Savoy et de M. Bagnell, parce qu'ils n'achetaient pas de propane avant la fusion. Ils avaient déjà cessé d'acheter du propane parce qu'il y avait seulement deux grandes compagnies dans la plupart des marchés et que le prix était déjà supérieur au niveau compétitif. Selon le professeur Ross, il faudrait aussi tenir compte de la perte qu'ont subie M. Bagnell et M. Savoy et si on le fait, le résultat pourrait être différent. C'est un point de vue valable.

    Mais laissez-moi comparer le libellé proposé relativement à l'effet sur les ressources du Bureau et à la manière dont il devrait plaider une cause. À ce que je comprends du libellé proposé, le Bureau devrait prouver que la fusion serait susceptible de pousser les prix à la hausse et, en prenant cette décision, il devrait tenir compte des gains d'efficience qui pourraient se répercuter sur les marchés par la suite. C'est tout ce qu'ils ont à prouver. Ils n'ont pas besoin de démontrer exactement jusqu'où iront les prix, seulement qu'il y aurait une hausse importante des prix. C'est difficile à prouver, mais faisable.

    En vertu de la loi actuelle, le Bureau doit prouver que les prix augmenteront d'un montant spécifique. Dans ce cas-ci, c'était 40 millions de dollars par année en propane. Il est beaucoup plus difficile de démontrer dans quelle mesure une fusion provoquera une hausse des prix. De plus, ils devront aussi prouver, d'après la perspective de Tom Ross, non seulement le montant de la hausse après la fusion, mais il leur faudrait aussi déterminer—et comment on peut y parvenir dans un marché comme celui du propane, je ne le sais pas—quel serait le prix concurrentiel. Déjà, ils doivent déterminer si c'est messieurs St. Denis et Marcil ou messieurs St. Denis, Marcil et McTeague qui n'achèteraient pas le produit dans ce cas-là. Mais maintenant, Tom Ross dit reprenez l'examen et déterminez combien il y a là de Savoy et de Bagnell, puis comparez cela à la défense fondée sur l'efficience.

    L'un des avantages du nouveau libellé qui est proposé, et dont on n'a pas parlé, c'est que, je pense, il réduirait et simplifierait nettement les délibérations, et cela permettrait au bureau de faire un meilleur usage de l'argent des contribuables.

º  +-(1605)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Fitzpatrick.

+-

    M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne): Vous avez un peu titillé mon intérêt, ici. Je me rappelle des années 70, lorsque General Motors avait une énorme concentration de marché... [Note de la rédaction : Difficultés techniques]. C'est ainsi que ça s'est passé. Nous le savons.

    Je voudrais revenir sur votre argument des 15 $. Je me rappelle, Xerox, General Electric, IBM et même Harley-Davidson, pour autant qu'on le sache. S'ils commencent à jouer de l'argument des 15 $ et à abuser de leur position sur le marché en perdant de vue la qualité et le service et tout le reste, le marché a un moyen intéressant de corriger ces problèmes. Cela fait partie de la dynamique du système de marché. Je pense que cela corrige bien plus de problèmes que toutes les inventions de tribunaux et d'organismes publics mis ensemble.

    Je vais seulement vous laisser commenter cela, parce qu'il y a des tas d'exemples auxquels je peux penser qui s'insèrent dans cette catégorie. Vous pourriez prendre Ford avant General Motors.

º  +-(1610)  

+-

    M. Stephen Ross: Vous avez absolument raison. Je pense que cela pourrait expliquer aussi en partie le mode de pensée original—et il faudrait, alors, que vous en discutiez avec les gens qui étaient là à l'époque—sur le plaidoyer de l'efficience, et pourquoi je soutiendrai que ce type de plaidoyer, au Canada, est peut-être moins nécessaire. Il y a 20 ans, les responsables de l'application de la loi antitrust appliquaient une démarche d'analyse de ce qui pourrait être une réduction importante de la concurrence qui était nettement moins sophistiquée qu'aujourd'hui. La sophistication, en grande partie, est allée dans le sens d'une plus grande tolérance des fusions privées.

    Ce que je dirais, c'est que si le Bureau fait son travail, prenez l'exemple de General Motors, s'il y avait une fusion entre General Motors et American Motors—je ne sais pas si vous vous rappelez American Motors; en fait, ils ont fusionné avec Chrysler—ils auraient dit si nous avions seulement baissé les barrières commerciales... Maintenant, les barrières commerciales sont anéanties par le libre-échange. Les Toyota, Honda, et autres compagnies vont se faire une place dans le marché. S'ils font leur travail, ils constatent sûrement une réduction importante de la concurrence seulement lorsque d'importants obstacles à l'accès empêchent le processus de se réaliser comme vous le décrivez.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Je voudrais poursuivre un peu sur le sujet. J'ai eu l'occasion, à un moment donné, de lire un ouvrage de M. Edwards Deming sur le monopole et la concentration du pouvoir. Il défendait à l'époque le point de vue qu'on peut avoir des monopoles qui sont des organisations de qualité et qui ont beaucoup à leur avantage, et avec une bonne gestion, elles sont axées sur la qualité et ont la culture appropriée. Il pouvait donner de nombreux exemples. Il dirait probablement que General Electric est un bon exemple aujourd'hui, ou Boeing.

    Selon lui, on peut établir des rapports à long terme avec ses clients et ses fournisseurs. On évite de prendre les raccourcis sur le marché. On peut envisager la planification à long terme. On peut dépenser beaucoup d'argent sur la R-D parce qu'on n'est pas acculé au pied du mur relativement à beaucoup de ces choses. On peut appliquer le principe de standardisation, qui aide tout le monde sur le marché. Il donnerait des tas d'exemples de cas où cela a fonctionné dans le passé, pour démontrer que ce n'est pas toujours une mauvaise chose.

    Au Canada, nous n'avons pas une économie de l'envergure de celle des États-Unis. Nous avons beaucoup de régions comme le Yukon, dont a parlé mon ami à maintes reprises. L'affaire Superior Propane me pose des problèmes, parce que s'il n'y a que deux compagnies pour fournir le propane sur le marché canadien—c'est un marché très limité—quelqu'un qui pense qu'il y a vraiment de la concurrence dans cette situation est en plein rêve. Le marché sera exploité, et il n'y aura pas de concurrence. Peut-être pourrait-on même soutenir que la fusion des deux compagnies serait avantageuse plutôt que nuisible.

    D'après moi, si on abuse de son pouvoir de monopole—et Deming en dirait autant—et qu'on ne veut pas fournir de service au client, etc., quelqu'un d'autre viendra et prendra la place, comme l'a fait Toyota ou Honda avec General Motors.

+-

    M. Stephen Ross: Pour commencer, un économiste astucieux a donné une réponse partielle en faisant remarquer qu'au bout du compte, on finit tous par mourir. C'est vrai qu'à long terme, presque tout va finir comme ça. La question c'est combien de temps on est prêts à tolérer des abus de la position de monopole et des abus des consommateurs avant que cela arrive. Je dirais que si le Bureau et le Tribunal de la concurrence font leur travail, la dynamique dont vous parlez, monsieur Fitzpatrick, est susceptible de survenir dans une période relativement courte, et alors ils ne devraient pas intervenir, même en vertu du nouveau libellé qui est proposé.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Je voudrais seulement faire un commentaire là-dessus, si vous permettez. Dans l'économie mondiale d'aujourd'hui, ce n'est pas très long. Il y a beaucoup d'exemples. Si vous devez vous asseoir sur votre derrière et adopter une attitude offensante, cela n'est pas très long. Nous vivons une époque révolutionnaire, et vous vous ferez botter le derrière si vous faites ça.

+-

    M. Stephen Ross: Je suis d'accord. Si je peux revenir sur une chose, cependant, je pense que c'est pourquoi on remarque que beaucoup de ces procès ne concernent pas la concurrence mondiale. Nous avons une économie de plus en plus mondiale, mais nous ne pouvons pas feindre d'ignorer que des millions de consommateurs, chaque jour, achètent des biens et des services de gens qui n'ont pas d'interaction dans une économie mondiale. Je pense que ce n'est pas un hasard que le marché, ici, ne soit pas le marché mondial pour les grandes compagnies d'exploitation ou d'extraction du propane, ou de quoi que ce soit d'autres. C'est pour le transport et la livraison de propane, surtout à de petites entreprises et des domiciles familiaux. Ce n'est pas un marché mondial. C'est pourquoi je suis tout à fait d'accord avec vous, que pour la plus grande partie du marché, la dynamique est exactement celle que vous décrivez. Je soupçonne que c'est pourquoi, sur la grande majorité des marchés, la plupart du temps, le Bureau approuve les fusions.

º  +-(1615)  

+-

    M. Brian Fitzpatrick: En ce qui concerne ma propre foi dans le Canada—et vous ne connaissez probablement pas aussi bien la question—je pense que bien des régions où nous avons des problèmes, au Canada, à cause du manque de concurrence et de la concentration du pouvoir, sont ces régions mêmes où le gouvernement est intervenu, où il est intervenu pour mettre à l'abri ces compagnies et ces organisations, pour une raison ou une autre, contre les pouvoirs diaboliques du sud, de l'Europe, du Japon ou d'ailleurs, et il se trouve que c'est très avantageux pour la société canadienne.

    Je suis d'accord avec eux. Nous perdons l'avantage d'un système de marché libre en privant les consommateurs de la compétition, et le gouvernement est le plus grand coupable dans ce pays.

+-

    Le président: Voulez-vous terminer là-dessus?

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Non, c'est ma déclaration.

+-

    M. Dan McTeague (Pickering--Ajax--Uxbridge): Vous pourrez sûrement utiliser votre PSA dans un an et demi, quand les élections seront déclenchées. J'espère que vous n'imputerez pas cette dépense à votre budget.

    Chers collègues, monsieur Clifford, madame Majewski, merci d'être venus nous rencontrer. Monsieur Ross, merci d'avoir fait le voyage au Canada. Je sais que vous avez beaucoup écrit sur le sujet. Je tiens à vous dire que ce dossier m'intéresse de près. J'ai commencé à m'y intéresser avant même qu'il ne fasse l'objet de différends entre le Bureau et le Tribunal, le Tribunal et la Cour, et vice-versa.

    J'aimerais vous poser quelques questions. Mais d'abord, monsieur Ross, je voudrais apporter une précision. M. Pitofsky, l'ancien président de la Commission fédérale du commerce, a déclaré que :

Les gains en efficience ne devraient presque jamais justifier un fusionnement qui résulterait en un monopole ou quasi monopole. Ils ne devraient pas servir à justifier une transaction autrement illégale.

Les gains en efficience devraient être pris en compte non pas lorsque le fusionnement résulte en un monopole ou un quasi monopole, mais lorsqu'il est relativement clair que la transaction va donner lieu à des gains en efficience, que les consommateurs vont vraisemblablement en tirer profit, et que les gains en efficience ne peuvent être réalisés d'une façon qui se veut moins anticoncurrentielle.

    À mon avis, c'est le traitement qu'on accorde aux gains en efficience aux États-Unis qui est au coeur du problème. Nous en avons discuté avec Tom Ross, qui est une autorité en la matière. Il a fait une observation intéressante au sujet de l'arrêt Superior quand il a comparu devant le comité, la semaine dernière. Il a dit que Superior n'aurait pas dû avoir gain de cause. Bien entendu, on avait utilisé la défense d'efficience comme fondement dans cette affaire.

    Je voudrais, avant de vous poser une question, monsieur Ross, m'adresser à la Chambre de commerce. On précise ici que :

L'affaire Superior Propane a permis de clarifier les règles relatives à la défense fondée sur l'efficience.

    En ce qui me concerne, et mon point de vue vaut ce qu'il vaut, cette affaire a créé un précédent très dangereux. Frank Matheson, du cabinet Charles Rivers Associates, et Ralph Winter, un de vos collègues, monsieur Ross, ont conclu que :

... comme le reconnaît le Tribunal, les gains en efficience relativement modestes peuvent contribuer à neutraliser sensiblement la diminution de la concurrence. Avant l'arrêt Superior Propane, les avocats en droit de la concurrence auraient sans doute conseillé à leurs clients, comme il se doit, de ne pas procéder à des fusions qui auraient pour effet de diminuer considérablement la concurrence. Toutefois, depuis l'arrêt Superior Propane, de tels conseils sont considérés comme étant trop prudents dans le cas des fusions qui entraînent des gains en efficience importants.

    Compte tenu du fait qu'un précédent a été établi, qu'un grand nombre de spécialistes des questions juridiques et économiques croient qu'il s'agit là d'un précédent, comment pouvez-vous dire que cette affaire clarifie les règles quand celle-ci est remportée par défaut, monsieur Clifford?

+-

    M. John Clifford: Vous soulevez des points fort intéressants, monsieur McTeague. Merci.

    Cette affaire constitue un précédent majeur, car elle répond à des questions très importantes qui sont restées sans réponse dans la loi. Mentionnons, par exemple, la question de savoir comment les gains en efficience sont mesurés. Vous avez cité M. Pitofsky, qui affirme que les gains en efficience ne devraient pas servir à justifier un fusionnement. Toutefois, il n'explique pas comment les gains doivent être mesurés. Doivent-ils être considérés comme un surplus du consommateur? Un surplus total? Ce sont là des termes économiques que l'on retrouve dans la décision Superior Propane.

    En fait, ce jugement clarifie la façon dont les gains en efficience doivent être mesurés dans le cas d'un fusionnement. Pour ce qui est des conseils donnés aux parties à une fusion éventuelle, nous leur avons toujours dit qu'une fusion peut entraîner une diminution considérable de la concurrence, mais que celle-ci peut être évitée si les gains en efficience contribuent à neutraliser l'effet anticoncurrentiel. La question posée était toujours la même : « Mais comment mesurer cet effet neutralisant? » Les règles ont donc été clarifiées, ce qui est très important.

    Il ne faut pas oublier que l'affaire Superior Propane a ceci d'extraordinaire qu'il s'agit de la première cause, en 15 ans, qui s'appuie sur cet article. Elle met en lumière le fait que la défense fondée sur l'efficience pour justifier un fusionnement anticoncurrentiel n'est invoquée avec succès que dans de très rares cas. En effet, on autorise chaque année des milliers et des milliers de fusions qui entraînent des gains en efficience considérables. Toutefois, ces gains ne servent pas à légitimer une fusion anticoncurrentielle parce que, plus souvent qu'autrement, ces fusions ne sont pas jugées anticoncurrentielles.

º  +-(1620)  

+-

    M. Dan McTeague: Merci de la réponse. Un de vos collègues, M. Baldanza, a déclaré, après avoir analysé l'affaire, qu'on avait négligé, en fait, de prendre en compte tous les facteurs. Bien que le Tribunal ait accepté certaines des méthodes utilisées pour évaluer les répercussions de la fusion, celles-ci ont été minimisées, et j'oserais même dire, sauf votre respect, banalisées en faveur des gains d'efficience réalisés par l'entreprise.

    Je vois mal comment on peut dire qu'une décision a été rendue dans le cas de Superior et qu'il va y avoir une diminution considérable de la concurrence. Les articles 92 et 93 démontrent que cette décision est dangereuse, pour des raisons évidentes. Les consommateurs vont payer 8 p. 100 de plus pour le produit. Et, soit dit en passant, le Tribunal a dit que seulement 20 p. 100 des consommateurs allaient être touchés, parce qu'au bout du compte, ce sont tous les autres intermédiaires—Esso, Imperial Oil, etc.—qui vont payer. Or, nous savons qu'ils vont finir par refiler la facture aux consommateurs.

    Je me demande si l'on ne cherche pas, ici, à minimiser l'effet de distribution. C'est une question qui relève du domaine de la taxation. Je vous félicite, d'ailleurs, d'avoir dit que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle à ce chapitre. Certains vont être heureux de l'entendre, mais pas ce comité-ci. J'aimerais savoir ce que vous entendez par distribution. On voit très bien, ici, que la distribution s'entend du transfert de la richesse d'un groupe de particuliers, c'est-à-dire les consommateurs, aux actionnaires.

    Sauf votre respect, monsieur Clifford, cela me fait beaucoup penser à cette théorie péjorative selon laquelle la richesse finit par se propager aux couches les plus modestes de la population. Je ne trouve pas que cette façon de faire sert l'intérêt public. Peu importe les motifs invoqués, il est clair que la décision Superior crée un précédent très dangereux et pour les consommateurs et pour la concurrence, si je me reporte à l'objet de la Loi sur la concurrence.

+-

    M. John Clifford: Vous soulevez des points forts intéressants, monsieur McTeague.

    Le Tribunal, dans la première décision rendue dans l'affaire Superior Propane et dans le nouvel examen de celle-ci, a mesuré les pertes que subiraient les consommateurs et les gains d'efficience qui, d'après les parties, résulteraient du fusionnement. Il a conclu que les gains d'efficience l'emportaient de loin sur les effets négatifs que subiraient la concurrence.

    Le Tribunal a rejeté les arguments du commissaire au sujet de l'effet de distribution, parce que rien ne permettait de conclure que le transfert serait préjudiciable sur le plan social. Rien ne permettait de conclure que seuls les consommateurs seraient touchés, comme l'a laissé entendre le commissaire.

    Le Tribunal a fondé sa décision sur les faits propres à cette affaire. Nous avons fini par accepter le fait qu'il s'agissait là d'une décision importante qui allait faire avancer la jurisprudence. Or, le projet de loi C-249, qui est à l'étude aujourd'hui, propose un changement d'orientation majeur au chapitre de l'analyse des fusionnements au Canada et de l'évaluation des gains en efficience qui résultent des fusionnements, anticoncurrentiels ou autres. Or, il s'agit là d'un changement fort important qui doit faire l'objet d'un débat plus approfondi et ouvert.

    La loi et les règles actuelles sont, à notre avis, tout à fait applicables. Nous savons très bien ce que veut dire le critère du surplus total. Ce critère a pour objet de favoriser l'efficience et la croissance de l'économie dans son ensemble.

+-

    M. Dan McTeague: Monsieur Clifford, le Canada est le seul pays au monde qui applique le critère du surplus total. Voici un autre commentaire très éloquent tiré du document, cité plus tôt, de Charles Rivers and Associates et de Ralph Winter, de l'Université de Toronto. Tout comme dans l'affaire Superior Propane,le Tribunal pourrait dire que :

Si Parlement avait voulu que les transferts des consommateurs aux actionnaires soient pris en compte, il l'aurait très clairement énoncé dans l'objet de la loi.

    Personne ici ne remet en question le bien-fondé de la décision Superior. C'est la première fois, en fait, que la validité du critère a été vérifiée. On l'a jugé inadéquat pour la simple raison qu'il autorise ce qu'aucun autre pays n'autorise, à savoir le transfert de la richesse d'un groupe— que nous représentons tous—à un autre. Or, nous ne savons pas si ce dernier groupe a à coeur les intérêts concurrentiels du pays.

    Je voudrais savoir pourquoi, 17 ans plus tard, il nous est impossible de dire que ce critère n'est pas applicable. Il a en tout cas posé les jalons de la monopolisation du Canada, si je me fie à la décision Superior Propane. Pourquoi devrions-nous accepter et tolérer un critère qu'aucun autre pays n'imposerait à ses propres citoyens? Pourquoi le faites-vous?

º  +-(1625)  

+-

    M. John Clifford: Je ne prône pas... [Note de la rédaction: Difficultés techniques]... la monopolisation du pays. Les fusionnements, dans la plupart des cas, entraînent des gains d'efficience. C'est souvent pour cette raison qu'ils se produisent. Rares sont les cas où les gains d'efficience sont suffisamment importants pour l'emporter sur les résultats pervers anticoncurrentiels. Superior Propane, si l'on se fonde sur les preuves qui ont été fournies au Tribunal, est l'un de ces cas, que l'on soit d'accord ou non avec le résultat.

    Je pense que le groupe visé dans ce cas-ci est l'économie canadienne dans son ensemble, et pas seulement les consommateurs, les entreprises ou les travailleurs. Nous sommes tous des consommateurs, des producteurs, des travailleurs. Nous tirons tous profit des gains d'efficience qui résultent d'un fusionnement. Le fait que le Canada soit le seul pays qui applique la défense fondée sur l'efficience n'est pas nécessairement une mauvaise chose.

    L'article adopté en 1986 a fait l'objet de 15 ou 16 années de débats concertés sur les fusionnements. La loi sur les fusionnements en vigueur aux États-Unis, par exemple, ne se fonde pas sur ce moyen de défense. La loi a évolué au fur et à mesure des précédents qui ont été établis, une disposition de portée générale ayant été incluse dans la loi pénale. La loi américaine a connu un cheminement très différent.

    J'ai eu l'occasion de lire le mémoire que le professeur Tom Ross a envoyé au comité, la semaine dernière. Il affirme dans celui-ci, tout comme dans le rapport qu'il a préparé à l'intention du Bureau de la concurrence, qu'il existe d'autres pays—d'autres puissances économiques—qui tiennent compte des gains d'efficience et de la pertinence de ces gains dans leur analyse des fusionnements. Ils prennent la question très au sérieux. La communauté internationale semble être en voie d'adopter une approche nouvelle qui met l'accent sur l'importance des gains d'efficience.

+-

    Le président: Monsieur Ross, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

+-

    M. Stephen Ross: Je voudrais tout simplement faire un commentaire au sujet du dernier point qui a été soulevé. Le rapport détaillé que le professeur Ross a préparé à l'intention du Bureau de la concurrence, et où il est question de nombreux autres pays, constitue une source d'information utile. Je suis d'accord sur l'essentiel, mais je n'appuie pas ses conclusions.

    J'ai grandi à Los Angeles, où j'ai suivi des cours d'espagnol. Quand j'ai voulu faire des études sur le Canada, je me suis inscrit à un cours de français. Cela ne fait pas de moi un francophone. Or, le fait que des pays qui ont adopté une approche très négative ou simpliste à l'égard des gains d'efficience considèrent aujourd'hui ces gains sous un angle différent—et c'est ce qu'il dit—ne signifie pas qu'ils acceptent de plus en plus le critère qui, à son avis, sert de fondement à la politique canadienne, soit le critère du surplus total.

    Je ne connais aucun autre pays qui applique ce critère. Les pays—et je cite l'exemple du Royaume-Uni—sont en train de passer d'un régime où les tribunaux tenaient compte de tous les facteurs, ou qui favorisait les producteurs ou quelque chose du genre, à une loi qui met davantage l'accent sur les consommateurs. Donc, s'il est vrai que le Canada se trouve à l'extrême gauche et l'Amérique des années 60, elle, à l'extrême droite—ou vice-versa—le fait qu'on se rapproche de la position du Canada ne signifie pas que l'approche adoptée par les économistes constitue la nouvelle mode.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Savoy.

+-

    M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Merci d'être venus me rencontrer.

    Concernant le précédent que crée l'arrêt Superior Propane, vous avez dit, monsieur Clifford, qu'on avait noté, lors de l'examen de l'affaire, que si l'information avait été présentée de façon différente, la décision aurait peut-être été tout autre. C'est ce que j'ai compris. Or, quand on crée un précédent, qu'on cherche à faire avancer la jurisprudence, l'examen n'est pas aussi pertinent que la décision elle-même. La décision Superior Propane ne crée-t-elle pas un précédent dangereux?

    J'aimerais savoir ce que vous pensez tous les deux de la jurisprudence qui a été établie, du précédent qui a été créé. On peut penser, après coup, que la décision rendue était erronée ou que les données auraient dû être présentées différemment, mais le fait est qu'un précédent a été créé. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. N'allons-nous pas, dorénavant, nous fonder sur la jurisprudence qui a été établie?

º  +-(1630)  

+-

    M. John Clifford: Vous avez raison de dire, monsieur Savoy, que nous allons nous fonder sur la jurisprudence qui a été établie. La décision crée un précédent. Si une autre cause fondée sur l'article 96—en supposant qu'il ne sera pas modifié—est entendue au cours des 15 prochaines années, nous allons examiner les faits considérés dans l'affaire Superior Propane, les preuves qui ont été soumises au Tribunal, ce qui a été démontré et non.

    C'est à cela que je faisais allusion quand j'ai dit que je ne savais pas si la décision Superior Propane serait la même si l'affaire était débattue aujourd'hui. Nous connaissons maintenant la méthode qui sera utilisée pour mesurer les gains en efficience. Nous connaissons maintenant les faits qui sont tenus pour avérés ou non, qui auraient pu influencer le résultat. En tant qu'avocat spécialisé dans les lois antitrust, si je devais plaider cette cause de nouveau, ou une cause similaire, au nom du commissaire, je chercherais peut-être à démontrer que les pertes subies par l'économie étaient plus importantes que prévu et que les avantages, les gains d'efficience n'ont pas neutralisé les coûts.

    Donc, oui, cette affaire crée un précédent, mais je pense que les choses vont se passer différemment la prochaine fois.

+-

    M. Andy Savoy: Êtes-vous d'accord?

+-

    M. Stephen Ross: Oui.

+-

    M. Andy Savoy: Très bien. Donc, vous dites que le poids de la preuve ne reposerait pas sur le précédent qui a été créé, sur la décision qui a été rendue, mais sur l'analyse.

    J'essaie tout simplement de voir comment on procéderait. Est-ce qu'on insisterait davantage sur le précédent créé par l'arrêt Superior Propane, ou est-ce qu'on insisterait davantage sur l'analyse, les enseignements tirés de cette affaire?

+-

    M. John Clifford: Je pense, monsieur Savoy... Ce qu'il faut maintenant considérer, c'est le caractère jurisprudentiel de la décision. Je fais allusion ici aux paramètres qui ont été établis, aux faits qu'il faudra dorénavant considérer. C'est ce qui explique la pertinence de la décision.

+-

    M. Andy Savoy: D'accord.

+-

    M. Stephen Ross: Puis-je faire un commentaire?

    Comme j'ai essayé de l'expliquer plus tôt, et vous pourriez peut-être demander conseil à ce sujet à la Section sur le droit de la concurrence de l'Association du barreau canadien ou au Bureau, il est important de considérer les éléments de preuve que le Bureau—vous pouvez même le faire avec la décision Superior Propane—devra dorénavant fournir en vertu de la loi actuelle et de l'amendement qui est proposé au projet de loi C-249.

    À mon avis, pour ce qui est de l'analyse, le libellé proposé exigera moins de ressources que le précédent créé par l'affaire Superior Propane, même si nous connaissons maintenant les règles qui doivent être appliquées et même si les conséquences économiques qui doivent être invoquées à titre d'éléments de preuve sont plus claires. C'est un facteur qui doit également être pris en compte, puisque plus le gouvernement doit fournir des éléments de preuve, plus cela risque de coûter cher aux contribuables et, comme M. Fitzpatrick l'a dit, plus le dossier risque d'être saboté. On évitera de compliquer les choses si le gouvernement prend le genre de mesures qui s'imposent dans une économie axée sur le marché libre.

+-

    M. Andy Savoy: C'est là que je voulais en venir, donc, merci beaucoup.

    Pour ce qui est de ma deuxième question, monsieur Clifford, vous dites au paragraphe 13 de votre exposé qu'en vertu de l'amendement proposé, la défense fondée sur l'efficience disparaîtrait dans toute analyse des fusionnements. Je n'ai pas l'impression que c'est ce que dit l'amendement. Pouvez-vous nous donner des précisions?

    M. John Clifford: Oui.

    M. Andy Savoy: Je ne pense pas que la défense fondée sur l'efficience disparaîtrait.

º  +-(1635)  

+-

    M. John Clifford: Vous posez là une question intéressante qu'il est important de clarifier. La loi actuelle précise que les fusions anticoncurrentielles ne devraient pas être interdites si les gains d'efficience l'emportent sur l'effet concurrentiel. C'est très clair. Si les gains sont plus importants, la fusion est autorisée et vous passez à l'étape suivante.

    Le projet de loi C-249, dans sa version modifiée, précise que les efficiences doivent être prises en compte. Il n'est pas certain qu'elles vont l'emporter sur les autres facteurs. On ne fait aucune mention de l'importance des gains d'efficience ou de leur effet neutralisant. Les gains en efficience s'ajoutent aux autres facteurs qui sont énumérés à l'article 93 de la loi. Ce sont là les facteurs que le Bureau et le Tribunal doivent considérer lorsqu'ils examinent une demande de fusionnement.

    Par exemple, l'article 93 énumère sept ou huit facteurs différents. Mentionnons, par exemple, la mesure dans laquelle il y aurait encore de la concurrence réelle dans un marché, les entraves à l'excès à un marché, l'importance de la concurrence étrangère—tous ces facteurs qui doivent être pris en considération dans une analyse de fusionnement. Il n'y a pas un facteur qui l'emporte sur les autres.

    L'importance à accorder à un facteur particulier, et c'est ce que propose ce nouveau projet de loi, serait soumise au pouvoir discrétionnaire du Bureau et du Tribunal. Ce sont eux qui décideraient de l'importance à accorder à un facteur particulier. Ce sont eux qui décideraient si les gains en efficience seraient toujours considérés comme un facteur important. Toutefois, d'autres raisons pourraient entraîner le rejet d'une demande de fusionnement. La défense claire et positive qui est fondée sur l'efficience cède sa place à l'analyse discrétionnaire.

+-

    M. Andy Savoy: Donc, la défense fondée sur l'efficience existe toujours, sauf qu'elle est moins importante. Autrement dit, ce moyen de défense ne disparaît pas. Il est tout simplement moins important.

+-

    M. John Clifford: Il ne s'agit absolument pas de défense à mon avis, c'est simplement une indication donnée au Bureau et au Tribunal qui doivent y penser lorsqu'ils font l'analyse du fusionnement.

+-

    M. Andy Savoy: Qu'en pensez-vous, monsieur Ross?

+-

    M. Stephen Ross: Je comprends pourquoi des gens fortunés embauchent M. Clifford et lui versent des honoraires comparables aux frais de service de McMillan Binch; c'est en effet un avocat fort efficace et je crois qu'il envisage la défense dans le contexte du droit pénal, c'est-à-dire que vous présentez un argument, vous le prouvez et vous gagnez.

    Dans ce sens-là, il a raison de dire que l'amendement abolirait une défense fondée sur l'efficience, vu qu'il ne s'agit pas de défense spécifique, justifiable, affirmative, permettant au défendeur de gagner. Il est toutefois parfaitement clair qu'il existe plusieurs exemples. En fait, en raison de ce libellé, M. Clifford pourrait se trouver lui-même devant le Tribunal et présenter une défense fondée sur l'efficience afin de prouver pourquoi il ne faudrait pas empêcher un fusionnement. Un fusionnement pourrait créer un nombre très limité de sociétés, mais les efficiences pourraient permettre aux parties fusionnées de neutraliser l'emprise unilatérale sur le marché de la société numéro un sur le marché, si elles-mêmes ne sont pas le numéro un.

    Un fusionnement pourrait modifier les coûts et l'innovation sur le marché à tel point que même si, par exemple, il reste trois sociétés, la probabilité que ces trois sociétés se livrent véritablement concurrence est importante, alors que ce ne serait pas le cas si elles s'associaient, comme l'ont fait dans le passé les trois grandes sociétés automobiles. Cela prouverait que la concurrence ne présente aucun avantage.

    Il est fort possible que cela encouragerait les choix en matière de produits. Par exemple, supposons que deux grands fabricants de télévision s'associent pour offrir une nouvelle télévision à haute définition ou quelque chose du genre, qu'ils ne pourraient pas offrir autrement. Cette innovation serait un facteur à considérer.

    En outre—et il s'agit là d'une différence importante par rapport aux États-Unis et à la loi américaine—actuellement, la loi canadienne, d'après mon interprétation de l'amendement proposé, permettrait de sauvegarder un fusionnement, même s'il diminue la concurrence sur un marché donné.

    J'ai donné l'exemple dans mon premier article, celui qui est paru dans l'Antitrust Law Journal, du fusionnement à l'avantage de tous les Canadiens à l'exception des pêcheurs de homard au Nouveau-Brunswick et dans le Maine. Le Tribunal aurait le pouvoir discrétionnaire d'approuver ce fusionnement. À mon avis donc, les efficiences sont toujours envisagées comme il le faut sous ce libellé, mais je suis d'accord pour dire, compte tenu de la façon de penser des avocats, que le fait de supprimer la défense absolue se traduit par un changement important par rapport à la loi en vigueur.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Savoy.

    Monsieur St. Denis.

+-

    M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous d'être ici.

    J'aimerais poser mes questions d'un point de vue philosophique, de redistribution et de la richesse.

    Ce ne serait certainement pas dans l'intention de quelque gouvernement de notre pays de trouver la façon parfaite de redistribuer la richesse. Cela va en quelque sorte à l'encontre de la notion d'une société libre, etc. Ceci étant dit, les gouvernements canadiens ont en général pour philosophie de trouver une meilleure façon de redistribuer la richesse pour éviter que des membres de notre société ne soient extrêmement pauvres, indépendamment de la raison pour laquelle ils sont pauvres.

    Si nous acceptons le fait que le système fiscal et le filet de sécurité sociale ne permettent pas parfaitement d'atteindre les objectifs du gouvernement en matière de redistribution de la richesse, je me demande alors si cette humble tentative, dans ce contexte, dans le contexte de la Loi sur la concurrence, de redistribution de la richesse en supprimant la défense fondée sur les gains en efficiences, défense qui serait prise en charge par le bureau, représente un progrès important en matière de redistribution de la richesse ou un petit progrès? Apporterons-nous un changement fondamental en matière de redistribution de la richesse ou s'agit-il d'une pièce mineure du casse-tête de la redistribution?

º  +-(1640)  

+-

    M. Stephen Ross: À mon avis, si vous mettez de côté les détails découlant de l'approche des poids compensateurs envisagée dans l'affaire du propane, où l'on examinait en fait les richesses des consommateurs, si vous mettez un instant ce test de côté, je pense—et c'est ce que je veux prouver—que les consommateurs doivent être protégés au Canada non pas parce qu'ils sont pauvres, mais parce que la plupart sont des consommateurs. Je dirais qu'une proposition qui enrichit M. Lastewka et M. Fitzpatrick aux dépens des quatre autres d'entre vous est censément une mauvaise idée.

    Je n'ai pas la moindre idée de votre revenu personnel ni de vos richesses. Je suppose que vos salaires gouvernementaux sont relativement décents si bien que vous êtes raisonnablement à l'aise. Peut-être que certains d'entre vous sont plus riches que d'autres, mais cela m'importe peu. C'est ce que je présume.

    Si en fait il s'avère que vous, monsieur St. Denis, avez des besoins particuliers et que le reste de la collectivité doit vous redistribuer des richesses à cause de tels besoins, c'est une question distincte et je ne crois pas que la Loi sur la concurrence devrait s'y intéresser.

    Par conséquent, je ne parle pas de redistribution des richesses, mais de règle majoritaire. La Chambre peut régler la question, mais je crois qu'il s'agit en fait de maximiser les richesses de tout un chacun sans se soucier de qui se retrouve gagnant ou perdant. Je m'oppose en fait à des ententes privées qui empirent le sort de la majorité.

    Cela nous ramène en partie à une philosophie de la common law que M. Fitzpatrick risque de ne pas trouver intéressante, mais il suffit de revenir à l'ancienne common law de l'Angleterre pour s'apercevoir qu'il était présumé que sur un marché libre, les gens se livrent concurrence et que lorsqu'ils conviennent de fusionner—qu'il s'agisse d'un cartel ou d'un fusionnement—ils doivent présenter des justifications. C'est peut-être une différence philosophique fondamentale.

    Si deux entités veulent fusionner, alors qu'elles se livraient concurrence auparavant et qu'elles ne vont plus le faire, deux approches philosophiques interviennent. La première consiste à dire qu'une justification s'impose et que si le sort de la majorité va empirer, c'est une mauvaise idée. La seconde consiste à dire que si deux entités veulent fusionner, vous, c'est-à-dire le gouvernement, ou nous, soit la société, devons justifier la raison pour laquelle nous leur disons qu'elles ne peuvent fusionner. Je crois que cela pourrait éclairer le débat ainsi que la philosophie à cet égard.

+-

    M. Brent St. Denis: S'agit-il donc d'un grand ou d'un petit changement, monsieur Ross?

+-

    Prof. Stephen Ross: Cet amendement en particulier est un petit changement.

+-

    M. Brent St. Denis: Monsieur Clifford.

+-

    M. John Clifford: À mon avis, c'est un grand changement, mais je pense que son effet va être minime.

    C'est un grand changement, car il modifie de manière fondamentale la façon dont nous envisageons ou apprécions l'efficience—je vois M. Ross hocher la tête, il est peut-être d'accord avec moi. Vous dites en fait qu'il faut oublier le surplus du producteur et mettre l'accent sur le surplus du consommateur; c'est vraiment ce qui importe et vous supprimez donc la défense.

º  +-(1645)  

+-

    Prof. Stephen Ross: Je suis d'accord avec son analyse.

+-

    M. John Clifford: À mon avis, cette analyse de l'article 96 ne vaut que pour très peu de cas, si bien que le changement n'aura qu'un léger impact. Il en aura certainement sur l'approche, mais en fait, il ne va pouvoir être invoqué que dans très peu de cas.

+-

    M. Brent St. Denis: D'accord, c'est parfait.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Fitzpatrick.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Au chapitre de la Loi sur la concurrence, si nous commençons à parler de redistribution des richesses et de notions d'équité de la part de l'État, etc., cela me dérange. Je me souviens qu'en plein milieu de la grève qui s'est déroulée cette année au Venezuela, le dictateur, ou le président, a saisi toutes les usines de bière et de Coca-Cola en déclarant que les droits collectifs du peuple l'emportaient sur les droits des propriétaires de ces usines, qui ont alors dû distribuer équitablement le Coca-Cola et la bière aux habitants de son pays.

    Si nous commençons à envisager de recourir à la politique officielle à ces fins, je ne sais pas où cela nous mènera. La plupart des Canadiens aimeraient bien pouvoir assister aux finales de hockey de la LNH, mais nous savons fort bien que seuls quelques élus peuvent se le permettre. Ce n'est peut-être pas juste et ce n'est peut-être pas bien, mais c'est la réalité.

    J'aimerais soulever une question au sujet de l'interventionnisme dans votre pays, qui continue de vous poser des problèmes, puisque ces interventions ont eu lieu dans l'intérêt de ce qui était considéré juste en matière de redistribution des richesses, etc. Je pense par exemple aux télécommunications, à l'industrie du transport aérien, etc. Peut-être que le consommateur et le public ont considérablement profité de ces genres d'interventions à court terme, puisqu'elles leur offraient plus de choix, des prix moins élevés, etc., mais à long terme, de graves problèmes surgissent.

    Si les entreprises ne peuvent pas avoir les efficiences voulues pour réaliser un bénéfice décent et réinvestir, etc., je crois qu'au bout du compte, ce n'est pas bon, pas seulement pour ces entreprises, mais aussi pour le grand public.

    Si je soulève la question, c'est parce que je ne sais pas jusqu'où vous voulez en venir dans le contexte de ces politiques en matière de concurrence. Je pense que dans votre pays, le marché a corrigé la plupart des abus des monopoles. En fait, les diverses interventions du gouvernement à cet égard se sont soldées par de piètres résultats.

+-

    M. Stephen Ross: Je suis d'accord avec vos observations générales au sujet de plusieurs décisions politiques erronées. Par contre, pour ce qui est de l'aviation commerciale, je ne souscris pas à la façon dont vous qualifiez l'intervention en cause. Il se peut que le marché ait été désorganisé, mais le gouvernement s'est en fait retiré de la réglementation dans ce domaine. Je pense que l'aviation commerciale est peut-être l'exception qui confirme la règle, mais cela ne concourt pas à susciter la confiance dans les marchés libres tels que vous les préconisez aujourd'hui, car, ce qui est arrivé, c'est que nous...

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Je pense que vous ne faites que répondre à la façon dont notre ministre des Transports a décrit l'industrie du transport aérien aux États-Unis.

+-

    M. Stephen Ross: Le marché américain était soumis à une réglementation extrême qui, j'en suis convaincu, vous aurait déplu au plus au point. Le gouvernement s'est retiré de l'industrie et en fait, le secrétaire aux transports a mis de côté les règles antitrust habituelles et approuvé plusieurs fusionnements qui ont donné lieu à l'existence de sociétés dominantes dans les systèmes étoilés qui font maintenant faillite.

    Dans le domaine des télécommunications, je dirais qu'il est trop tôt pour se prononcer. Je respecte certainement le point de vue voulant que AT&T—Ma Bell—la seule société qui était propriétaire de tout, ait tiré quelques avantages. Mais je dirais que si c'est véritablement votre philosophie, l'article 26 ne devrait alors pas vous poser de problèmes puisque vous ramenez en fait la Loi sur la concurrence au niveau de ce qui peut-être existait dans les années 50 au Canada. C'est à vous de juger si c'est une bonne idée ou non.

+-

    Le président: C'est un fanatique des années 50.

    Monsieur Fitzpatrick, veuillez poursuivre.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: J'allais soulever un autre point. Je viens d'une région rurale de la Saskatchewan où l'on dit que ces monopoles ou concentrations de pouvoirs et fusionnements entraînent toutes sortes de problèmes. Il est intéressant de noter qu'il y a près de 40 ans, la plupart des collectivités rurales de la Saskatchewan dépendaient du propane, alors que pratiquement plus personne ne l'utilise aujourd'hui. L'explication en est fort simple : si vous ne servez pas la clientèle et si vous ne faites pas ce qu'il faut faire, d'autres s'introduisent sur le marché et toutes sortes de changements surviennent. Le gaz naturel est arrivé sur le marché en raison d'une meilleure situation économique. Les compagnies de propane pratiquaient des tarifs trop élevés ou profitaient trop du marché si bien que les compagnies de gaz naturel ont pu percer le marché.

    Bien d'autres améliorations sont intervenues. Les gens ont commencé à beaucoup mieux isoler leurs maisons, à y installer de bien meilleures fenêtres et à prendre toutes sortes de mesures écologiques—ce que les politiciens au Canada qualifieraient de mesures pro-Kyoto.

    On suppose ici que le public ne dispose d'aucun choix. Il s'agit à mon avis d'une idée fausse car si c'est ce que vous pensez du consommateur et du client, vous allez vous retrouver perdant à long terme, sans compter que vos actionnaires vont souffrir de ce genre de stratégie.

    Je voulais simplement souligner ce point.

º  +-(1650)  

+-

    M. Stephen Ross: Monsieur Fitzpatrick, vous avez tout à fait raison de le faire dans le cadre de notre débat. Je ne suis absolument pas qualifié pour parler de la nature de la concurrence en matière de chauffage dans les zones rurales de la Saskatchewan, contrairement à vous. Je vous encouragerais, monsieur McTeague, et d'autres, à participer à ce débat.

    Si en fait, au bout d'un laps de temps raisonnablement court, les électeurs des régions rurales de la Saskatchewan ont réagi face au monopole de Superior Propane en optant pour d'autres formules de chauffage, pour une meilleure isolation de leurs maisons, etc.,—dans la mesure où il s'agit d'un laps de temps tolérable, je dirais alors qu'il n'aurait pas fallu conclure à une diminution substantielle de la concurrence; c'est là que le Tribunal a fait erreur.

    Par contre, si le laps de temps nécessaire aux processus dynamiques dont vous parlez vous apparaît excessivement long, je crois alors que lesdits processus ne sont pas vraiment suffisants et qu'une intervention du gouvernement s'impose. C'est ce dont vous devez débattre.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: En ce qui concerne l'affaire Superior Propane, ce qui me dérangerait beaucoup, c'est qu'il serait possible—mais cela n'est pas arrivé—que la politique officielle empêche l'entrée sur ce marché d'autres sociétés capables de régler la situation, car cela crée vraiment beaucoup de problèmes. Le consommateur serait alors pris en otage. Dans notre pays, cela arrive trop souvent en raison de nos politiques et de notre réglementation. Nous protégeons ces monopoles et empêchons en fait l'entrée sur le marché d'autres entreprises susceptibles de corriger le problème.

+-

    Le président: Y a-t-il des observations?

    Monsieur McTeague.

+-

    M. Dan McTeague: Monsieur le président, merci de nouveau. Il n'arrive pas souvent qu'un vice-président puisse poser des questions.

    Je me retrouve un peu en conflit d'intérêts, puisqu'il s'agit de mon projet de loi. Par conséquent, ne vous méprenez pas sur ce que j'ai à dire.

    M. Fitzpatrick a parlé des agriculteurs de la Saskatchewan en particulier. Ce qu'il a dit m'a intéressé, car je lisais aujourd'hui un article au sujet de l'appel d'offres de Superior pour Petro-Can. Cela remonte à longtemps—désolé, le journal est un peu abîmé—le vendredi 17 juillet 1998 :

Le propane est couramment utilisé dans les villes pour les barbecues privés et par certains taxis, sans compter que de nombreux résidents des zones rurales l'utilisent pour chauffer les maisons et alimenter les appareils. Les agriculteurs utilisent le propane pour les séchoirs à céréales en particulier. « Les agriculteurs ne voudraient pas avoir affaire avec une seule grosse société de propane, » d'après Darrin Qualman, secrétaire exécutif du Syndicat national des cultivateurs, à Saskatoon. « Une emprise accrue sur le marché permet d'établir le prix du produit en fonction de ce que le marché peut supporter. »

    De toute évidence, ce qui s'est passé à ce sujet est fort intéressant.

    J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit, monsieur Clifford. Je suis désolé d'avoir à proposer pareil amendement. Nous le présentons à la lumière de ce qui s'est produit dans l'affaire Superior. Ni vous ni moi ne pouvions savoir ce qu'il en ressortirait.

    En ce qui concerne votre évaluation initiale du projet de loi C-249 et de cet amendement, pensez-vous qu'il s'agisse d'un amendement plus acceptable que celui que j'avais proposé à l'origine? Il maintient le concept des efficiences, qui ne sont pas reléguées, par exemple, à un simple test auprès des consommateurs.

    Vous avez parlé un peu d'autres pays. Je me demande si l'amendement proposé, si le fait d'en faire un facteur, nonobstant tout ce qui se trouve dans l'article 93 au sujet des barrières à l'entrée et de la disparition d'un concurrent dynamique et efficace, tout ce que nous qualifions de... L'article 93 ne vous pose aucun problème, si je comprends bien.

º  +-(1655)  

+-

    M. John Clifford: Non.

+-

    M. Dan McTeague: Par conséquent, le fait de le prévoir en tant que facteur, même si ce n'est pas l'absolu, comme cela l'a déjà été déterminé, si l'article 93 ne vous pose pas de problème...

    J'aimerais savoir jusqu'à quel point votre organisation considère que cet amendement va plus loin que le projet de loi initial et se rapproche de l'objectif que vous poursuivez, soit au moins garantir le traitement de l'efficience? Je comprends bien que vous tenez à un traitement absolu, indépendant. Reconnaissez-vous toutefois que cette proposition est bien meilleure que l'originale?

+-

    M. John Clifford: Nos observations sur le projet de loi original apparaissent dans notre mémoire de novembre. Les amendements présentés ici vont beaucoup plus loin, car ils suppriment la possibilité de défense fondée sur l'efficience. Le fait est que les facteurs de l'article 93 dont nous avons fait mention auparavant sont des mesures acceptées qui permettent de déterminer l'impact d'une transaction sur la concurrence—par exemple, des barrières plus élevées à l'entrée et une vive concurrence. Cela vous permet d'évaluer l'état de la concurrence susceptible de résulter du fusionnement, s'il a lieu.

    Les efficiences ont un effet neutralisant. Je ne crois pas que l'examen des efficiences permette d'évaluer comme il le faut un effet monopolistique. Elles permettent de pondérer un tel effet à partir du moment où vous considérez qu'il existe et qu'il ne s'agit pas de savoir s'il faut sauvegarder ou non ces monopoles, compte tenu de l'existence d'efficience sur le marché de façon plus générale.

    Pour revenir à votre question précise sur ce projet de loi, je considère qu'il s'agit d'un changement profond d'approche politique vu qu'il prévoit clairement de ne prendre en compte que certains éléments du surplus du consommateur et non de mettre l'accent sur le surplus du producteur. L'évaluation des efficiences est donc radicalement modifiée.

+-

    M. Dan McTeague: Un peu plus tôt, monsieur Clifford, je vous ai cité les observations de l'ancien président Pitofsky. Bien sûr, je parlais des propos qu'il a tenus à l'hôtel Metropole, à Bruxelles, en Belgique, les 14 et 15 septembre, alors qu'il était question des approches de la communauté européenne et des approches américaines en matière de fusionnements internationaux. Il s'agit bien sûr des points de vue de l'autorité en la matière.

    Dans le cadre de son allocution fort intéressante—car bien sûr il en a été question—il a également parlé des révisions de 1997 mais aussi d'un point dont le comité n'a pas eu l'occasion de discuter, je crois, soit soumettre l'efficience à une analyse des effets concurrentiels—en d'autres termes, avoir recours à un test.

    Ce que j'ai cherché à faire dans le cadre de ce projet de loi, monsieur Clifford, et je le dis pour vos membres, c'est exactement la même chose. En effet, selon nous, les efficiences ne devraient pas être envisagées de façon isolée et stérile, mais plutôt faire l'objet d'un vaste test en matière de concurrence, puisqu'elles peuvent en fait entraîner le refus ou le rejet du processus de concurrence.

    J'aimerais savoir si la Chambre de commerce du Canada, compte tenu des autres problèmes relatifs au libre-échange, à l'ALENA et à l'Organisation mondiale du commerce—auxquels, bien sûr, votre organisation est très sensible et très favorable—ne serait pas en contradiction si elle défendait un point de vue sur la scène nationale qu'elle aurait du mal à défendre sur la scène internationale ou qui, du moins la placerait en position de conflit par rapport à d'autres organisations et d'autres ententes.

+-

    M. John Clifford: La Chambre de commerce cherche à être cohérente dans tout ce qu'elle entreprend, que ce soit à l'échelle nationale ou internationale. Ce qui préoccupe la Chambre à propos du projet de loi C-249, c'est que, s'il est adopté, une vaste gamme de gains en efficience ne seront pas pris en compte. Nous serons forcés de tenir compte des avantages pour les consommateurs uniquement et non pas pour les producteurs. Cela constitue un changement de politique considérable, qui revêt de l'importance pour la Chambre et ses membres. Ne pas tenir compte d'importants gains en efficience et en productivité nous préoccupe et constituera une inquiétude dans d'autres contextes également.

+-

    M. Dan McTeague: Est-ce que vous ou la Chambre de commerce seriez en faveur d'une échelle mobile en ce qui concerne les gains en efficience? Par exemple, des gains importants en efficience qui risqueraient d'avoir ou qui ont des effets anti-concurrentiels l'emporteraient sur le type de gains en efficience que vous recherchez—cela fait référence au test dont j'ai parlé un peu plus tôt—de sorte que plus les effets anti-concurrentiels sont grands, moins vous seriez en mesure de les neutraliser.

    Là où je veux en venir, monsieur Clifford, c'est que nous nous sommes efforcés en élaborant ce projet de loi de trouver des façons de rendre bien des gens très heureux, car nous comprenons que le Canada est unique et une exception dans un monde qui n'aborde pas les gains en efficience avec autant d'enthousiasme que votre organisme ou que dans l'interprétation de la loi.

    Votre organisme a-t-il formulé des commentaires à l'intention de certains des nombreux universitaires dans le monde qui ont exprimé leur point de vue—qui comptent parmi eux des économistes qui ne sont pas nécessairement canadiens. Leur avez-vous dit que le Canada fait davantage face à la concurrence internationale? C'est dans ce contexte, comme vous et le commissaire l'avez souligné un peu plus tôt, que nous devrions certainement examiner d'autres tests qui existent ailleurs dans le monde.

    Estimez-vous que nous... Vous savez où je veux en venir.

»  +-(1700)  

+-

    M. John Clifford: Nous ne nous sommes pas penchés sur cette question précise dont vous parlez. Je crois qu'en théorie les échelles mobiles constituent un concept difficile, mais le fait est que la loi actuelle permet le recours à des échelles mobiles. Plus les effets anti-concurrentiels sont grands, plus il faut réaliser des gains en efficience pour les neutraliser.

    La Cour d'appel fédérale a clairement déclaré qu'il faut examiner également d'autres effets, ce qui aide à pondérer les gains en efficience. Vous en arriverez à un nombre lors de vos calculs, mais un jugement sera porté, car le Tribunal devra évaluer si les gains en efficience seront en effet réalisés. Plus le chiffre associé aux gains en efficience s'approche de l'ampleur des effets anti-concurrentiels, plus le Tribunal et le Bureau, selon moi, auront des doutes au sujet de ce chiffre, car il n'est pas toujours garanti que les gains en efficience seront atteints.

+-

    M. Stephen Ross: Le recours à une échelle mobile semble être l'approche que la juge Reed a proposée dans le cadre de l'affaire Hillsdown. Je conviens qu'en vertu de la loi actuelle, une telle approche pourrait être envisagée.

    Lorsqu'une affaire est mise entre les mains d'un tribunal, qu'attendez-vous de ce tribunal? Lorsqu'il a répondu à la question de M. Savoy, M. Clifford a laissé entendre qu'il estime qu'un juge opiniâtre pourrait complètement faire abstraction de tous les gains en efficience, ce qui serait tout à fait terrible.

    Lorsque je lis les décisions rendues par les juges du Tribunal de la concurrence, je n'ai pas la même opinion. Le tribunal qui a jugé l'affaire concernant Superior Propane était formé de trois membres. Le juge et le professeur d'économie avaient trouvé des gains certains en efficience. C'est la femme d'affaires qui s'est dite très sceptique à propos de ces gains.

    Je conviens avec M. Fitzpatrick que de nombreuses initiatives gouvernementales qui cherchent à modifier l'économie s'avèrent peu judicieuses, et je dois dire aussi que les statistiques prouvent également, du moins aux États-Unis, qu'au moins les deux tiers des fusions ne produisent aucun des avantages escomptés.

    Ce qui est difficile, c'est d'évaluer si les gains en efficience seront réalisés ou non. Ce problème existe déjà dans la loi actuelle et continuerait d'exister si le projet de loi demeure rédigé tel qu'il l'est.

+-

    Le président: Monsieur Fitzpatrick, a-t-il obtenu votre attention?

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Je conviens avec vous que, étant donné la feuille de route des fusions, les investisseurs devraient faire preuve de prudence à leur égard. Warren Buffet a beaucoup écrit au sujet des fusions—qui généralement s'avèrent catastrophiques. Je ne suis pas certain que le gouvernement devrait essayer de contrôler les fusions. Elles font partie des rouages du marché.

    Il existe au Canada des entités qui n'existent pas aux États-Unis. Il s'agit des fiducies de revenu. Superior Propane n'est pas réellement une société à responsabilité limitée cotée à la bourse comme une société traditionnelle; elle est une fiducie de revenu. Si je comprends bien, les bénéfices nets de ce type de société sont transmis aux détenteurs d'unités. Il s'agit là d'une source de revenus pour un grand nombre de retraités au Canada. Il existe beaucoup de fiducies de revenu au Canada, mais je crois que la question est de savoir si elles abusent de leur pouvoir. Je crois savoir que le rendement net des détenteurs d'unités se situe aux alentours de 8 ou 9 p. 100. Est-ce qu'un rendement de 8 ou 9 p. 100 pour les investisseurs indique que la société en question abuse de son pouvoir?

»  +-(1705)  

+-

    M. Stephen Ross: Je ne connais pas suffisamment l'analyse des marchés financiers pour vous répondre. Je ne suis pas la bonne personne pour parler de cette question, car dès que j'ai acheté des actions de Microsoft, elles se sont effondrées.

    Un économiste américain bien connu a déclaré que les fusions sont au monde des affaires ce que les médicaments sont à la chirurgie. Il me semble, monsieur Fitzpatrick, que vous avez laissé entendre, et je crois qu'il s'agit d'une approche respectable—qu'une approche qui peut être adoptée dans le domaine de la concurrence consiste à permettre aux sociétés de faire ce qu'elles veulent. Lorsqu'une société abuse de son pouvoir, le gouvernement intervient pour régulariser ses prix et la punir ou prendre une autre mesure quelconque. Pour reprendre l'analogie dont je viens de parler, cela serait l'équivalent de la chirurgie. Laissez faire ce que les gens veulent, et s'ils contractent une infection, il y a toujours la chirurgie. Entre-temps, ne renforçons pas le système immunitaire avec des antibiotiques.

    Au cours des 50 dernières années, la pratique a été d'utiliser des antibiotiques. Parfois, vous augmentez votre immunité, et parfois, les antibiotiques empirent votre état, mais entre-temps, nous évitons la possibilité que des situations abusives se produisent.

    Je crois qu'il s'agit d'une position respectable en matière de politique publique. Ce n'est pas celle qui est traduite dans la loi actuelle sur la concurrence, mais je crois qu'il est certes valable de laisser le marché libre et de réglementer lorsque nous constatons un abus évident. Mais ce n'est pas l'approche que les Canadiens et les Américains ont adopté.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: Je ne veux pas qu'on pense que ce que je vais dire représente entièrement mon point de vue. L'industrie aérienne australienne a éprouvé des problèmes en ce qui concerne les petits transporteurs. Le transporteur principal a refusé l'intervention du gouvernement. D'après ce que je peux comprendre, l'industrie aérienne australienne se porte beaucoup mieux que la nôtre aujourd'hui.

    Le gouvernement canadien est intervenu massivement. Nous avons éprouvé des problèmes en tentant d'imposer des conditions. Je crois que la plupart de ces conditions n'ont pas fonctionné; elles ont été très inefficaces. Il aurait peut-être mieux valu que nous laissions l'industrie régler ses problèmes. J'ose espérer que cette fois-ci, le gouvernement suivra l'autre approche.

+-

    Le président: Je cède la parole à monsieur Bagnell, et ensuite je la donnerai aux attachés de recherche qui ont des questions à poser.

+-

    M. Larry Bagnell: Merci.

    Monsieur Clifford, votre préoccupation à l'égard de l'amendement proposé serait-elle amoindrie si nous utilisions les mots «profiter aux consommateurs... aura vraisemblablement pour effet d'entraîner des gains en efficience, notamment...»? Je sais que ce qui vous préoccupe, c'est que, lorsqu'on lit l'article, on comprend que les gains en efficience sont examinés que si le fusionnement profite aux consommateurs et engendre des prix compétitifs ou un choix dans les produits. Ces éléments doivent être présents, sinon le fusionnement ne sera pas autorisé. Pourrions-nous nous pencher là-dessus? Ce n'était peut-être pas ce qu'on voulait dire.

+-

    M. John Clifford: C'est de cette façon que j'interprète le projet de loi, c'est-à-dire que les mots « notamment des prix compétitifs ou un choix dans les produits » vous orientent vers les éléments auxquels vous pouvez penser et laissent entendre que vous pouvez seulement examiner les gains en efficience qui profiteront aux consommateurs.

+-

    M. Larry Bagnell: Et ces gains doivent inclure «des prix compétitifs ou un choix dans les produits».

+-

    M. John Clifford: Vous pourriez supprimer ces mots et cela ne changerait rien au contenu du projet de loi.

+-

    M. Larry Bagnell: Pour vous.

+-

    M. John Clifford: À mes yeux.

+-

    M. Larry Bagnell: Donc, les gains en efficience doivent profiter aux consommateurs.

»  +-(1710)  

+-

    M. John Clifford: C'est exact.

+-

    M. Larry Bagnell: D'accord. Merci.

    Monsieur Ross, pouvez-vous nous exposer d'autres façons de régler les cas touchant la concurrence, comme celui de Superior Propane. Vous en avez mentionné une lors de votre exposé.

    Je pense que le système ne fonctionne pas. Il existe probablement des centaines et des centaines de petits cas, que le système ne peut pas traiter selon moi. Si le système fait partie intégrante de notre société, il devrait pouvoir traiter tous les cas.

    Quelle autre méthode existe-t-il pour régler les cas de sociétés dont les pratiques sont anticoncurrentielles? Vous avez parlé qu'une province ou un territoire pourrait adopter une loi en vue de régler le problème. Mais que pouvons-nous faire d'autre?

+-

    M. Stephen Ross: Comme je l'ai dit, je crois qu'il existe plusieurs approches qui peuvent être adoptées dans le cas des fusions anticoncurrentielles. L'une d'elles—et c'est celle que le tribunal a suivie dans le cas de Superior Propane—est de ne rien faire, car au bout du compte les choses se tasseront. Les actionnaires sont souvent des retraités. Même s'ils ne sont pas retraités, les riches dépenseront. Les Canadiens ordinaires en profiteront.

    Nous pouvons aussi décider d'autoriser certaines fusions qui entraînent certains types de gains en efficience qui profitent clairement aux Canadiens. Je ne crois pas que c'était le cas en ce qui concerne Superior Propane, mais je peux imaginer que si, par exemple, Bombardier et une autre société qui fabrique également de petits jets régionaux fusionnaient...

    Il est vrai qu'Air Canada est l'un des acheteurs, mais la plupart des acheteurs se trouvent ailleurs dans le monde. Si une fusion inhabituelle survenait, par exemple si deux sociétés canadiennes qui dominent le marché mondial souhaitent fusionner, et que cette fusion entraîne des gains en efficience, l'autorisation pourrait être accordée dans ce cas-là.

    Vous pourriez aussi adopter l'approche de la Chambre de commerce du Canada. La Chambre a établi trois raisons précises pour lesquelles elle estime que les gains en efficience peuvent être invoqués comme argument de défense. Si ces trois raisons s'avèrent valables, nous pourrions tolérer un minimum de concurrence, comme l'a dit M. McTeague.

    Nous pourrions aussi adopter l'approche proposée par M. Fitzpatrick, qui combine deux des éléments dont nous avons parlé, c'est-à-dire laisser les sociétés faire ce qu'elles veulent, car les monopoles comportent certains avantages. Mais s'il s'agit de produits dont les gens ont réellement besoin, nous permettrons aux provinces et aux territoires d'établir des règlements à l'égard des biens essentiels, conformément aux droits de propriété et aux droits civils qu'ils détiennent. Ils pourraient les réglementer et régulariser le prix, ou ils pourraient mettre un terme au monopole, etc. Il s'agit-là d'une autre approche.

    Nous pourrions aussi adopter l'approche qui est suivie dans la plupart du monde. Lorsque des sociétés en concurrence proposent de ne plus se faire concurrence, et que cela sera considérablement désavantageux pour les consommateurs, le fusionnement ne devrait pas être permis, même après avoir examiné tous les gains en efficience.

+-

    M. Larry Bagnell: Selon moi, la loi vise à faire en sorte que la concurrence fonctionne, qu'il existe de la concurrence dans nos marchés libres.

    Peut-être pourriez-vous formuler des commentaires à ce sujet. L'amendement vise simplement à faire en sorte que, dans une situation particulière, un fusionnement ne soit pas autorisé... Je présume que beaucoup de recherches économiques laissent entendre que dans bien des cas, lorsqu'une société détient un monopole, elle est moins efficace sur le plan des coûts et des dépenses, ce qui n'est pas avantageux pour la société et les consommateurs.

+-

    M. John Clifford: Monsieur Bagnell, vous avez tout à fait raison de dire que la Loi sur la concurrence vise à créer une structure favorisant la concurrence. Mais elle vise un certain nombre d'autres objectifs également. La croissance efficiente du marché canadien et les avantages pour les consommateurs en sont deux autres, et je crois qu'il est important, du point de vue d'une politique, de ne pas mettre l'accent sur un objectif en particulier, mais de tenter plutôt, par l'entremise de l'adoption et de la modification de lois, d'en arriver à une approche équilibrée qui englobe le plus grand nombre possible de ces objectifs, si ce n'est l'ensemble de ceux-ci.

    Ce qui préoccupe la Chambre de commerce, c'est que l'amendement se concentre seulement sur les avantages pour le consommateur. Il ne tient pas compte d'autres moyens très importants de réaliser des gains en efficience lors d'un fusionnement.

»  +-(1715)  

+-

    M. Stephen Ross: Je conviens avec M. Clifford que l'amendement met l'accent sur certains éléments au détriment d'autres. Je crois que le problème que comporte la loi actuelle est qu'elle accorde trop d'importance à certains facteurs. C'est pourquoi je suis en désaccord avec la position de M. Clifford. Au bout du compte, le comité devra trancher.

+-

    M. Larry Bagnell: Aucun d'entre vous n'a commenté le fait que, selon les recherches, si une société détient un monopole, elle tend à être moins efficace qu'une autre qui n'est pas dans cette situation, ce qui, par conséquent, serait désavantageux pour...

+-

    M. Stephen Ross: Je crois que c'est généralement vrai selon la littérature. Pour cette raison, il serait légitime de la part du Bureau de la concurrence, dans une affaire concernant un fusionnement créant un monopole, de demander au tribunal de vérifier si le futur monopole risque d'entraîner des pertes d'efficience. Bref, c'est déjà un facteur qui pourrait être pris en compte, même au regard de la défense fondée sur l'efficience.

    J'aimerais également souligner autre chose. Bon nombre des éléments sur lesquels vous me posez des questions se caractérisent par des différences entre le Canada et les États-Unis. Pour répondre à la dernière question, je crois que c'est un autre facteur à prendre en compte. Il y a deux moyens de parer aux pertes d'efficience dans un grand marché libre. Il y a d'abord la pression de la concurrence, puis il y a la prise de contrôle d'entreprises. Lorsqu'une entreprise est manque d'efficience, elle risque d'être acculée à la faillite par une rivale. Elle risque également de devoir fermer parce qu'un actionnaire, un investisseur ou un banquier spécialisé en placements estime pourvoir la diriger de façon plus efficiente et qu'il la reprend. C'est vrai aux États-Unis comme au Canada. Cependant, il y a au Canada beaucoup plus de joueurs importants qui sont de propriété familiale ou dont les actionnaires sont peu nombreux. Le pouvoir du marché de prendre le contrôle des entreprises afin de discipliner les gestionnaires inefficients est moindre au Canada qu'aux États-Unis. Pour être honnête, je crois que cela peut être considéré comme un facteur dans la défense fondée sur l'efficience. Toutefois, pour les raisons que je vous ai données, je crois que le Canada a plus de raisons d'être vigilant quant aux sociétés qui obtiennent un monopole que les grands marchés comme les États-Unis ou l'Europe, où les marchés financiers peuvent être plus ouverts.

+-

    Le président: Monsieur Clifford.

+-

    M. John Clifford: Je suis généralement d'accord avec ce que M. Ross dit, bien que je ne sache pas si nous devons vraiment être plus vigilants que d'autres pays. Je crois que nous devrions tous surveiller les pertes d'efficience, parce qu'elles vont à l'encontre de la croissance privilégiée dans l'économie.

+-

    Le président: Monsieur Shaw, vous avez une question.

+-

    M. Dan Shaw (attaché de recherche auprès du comité): J'ai une question en deux volets. Elle s'adresse aux deux témoins. Pour l'instant, l'article 96 évalue les pertes inertes par rapport aux pertes d'efficience. Ainsi, si les pertes d'efficience représentent 10 millions de dollars et les pertes inertes 20 millions de dollars, le fusionnement ne sera pas accepté. On ne l'autorisera pas. Dans la situation inverse, il sera autorisé.

    Lorsqu'on compare des montants de 10 et de 5 millions de dollars, on compare des pommes à des pommes. Si l'on prend la modification de M. McTeague, qui renvoie à l'article 93, on compare des facteurs qui diminuent sensiblement la concurrence à des pertes d'efficience. Si l'on compare 10 millions de dollars à deux ou trois producteurs et à d'autres facteurs comme la concurrence étrangère, ne compare-t-on pas des pommes à des oranges? En fonction de quoi l'importance de chacun est-elle établie?

    La deuxième partie de ma question s'adresse davantage à M. Ross. Vous avez dit croire que le fardeau de la preuve serait moindre si le projet de loi était adopté. Mais selon le libellé, il faut évaluer si « le fusionnement... proposé a eu pour effet ou aura vraisemblablement pour effet d'entraîner des gains en efficience qui apporteront des avantages aux consommateurs ». Encore faut-il savoir à quel point la demande est élastique et quels seront les prix et les quantités réels après le fusionnement. Encore faut-il savoir lesquelles de ces pertes d'efficience correspondent à des économies en coûts fixes et lesquelles correspondent à des économies relatives à la marge. Je ne vois donc pas ce qu'il faudra prouver. Pouvez-vous m'expliquer en quoi je me trompe?

»  +-(1720)  

+-

    M. Stephen Ross: Laissez-moi vous présenter les choses dans l'autre sens, monsieur Shaw.

    La réponse à votre question, c'est que dans une affaire comme celle de Superior Propane, il n'y avait aucun avantage pour les consommateurs. Il n'y a donc rien à prouver en ce sens. Il suffit d'analyser la demande en vertu de l'article 92, qui vise à déterminer les pertes d'efficience selon la probabilité d'une hausse substantielle de prix. À moins de circonstances inhabituelles entraînant une hausse de prix ou une augmentation du choix de produits, par exemple, si les pertes d'efficience ne sont pas suffisamment grandes pour retarder une baisse importante de la concurrence, les gains en efficience découlant du fusionnement ne profiteront pas aux consommateurs.

+-

    M. Dan Shaw: Comment faites-vous pour déterminer les pertes d'efficience? Ne faut-il pas prouver l'élasticité des prix? Dans cette modification, on parle de gains en efficience qui apportent des avantages. Ainsi, les consommateurs doivent en tirer profit. Pour savoir à quel point ils peuvent en tirer profit, il faut savoir de quels types d'économies on parle et connaître l'élasticité des prix de la demande. En quoi le fardeau de la preuve s'en trouve-t-il réduit?

+-

    M. Stephen Ross: Pour l'instant, je dois admettre mon manque relatif de qualifications aux avocats plaidants du Bureau. Je vais donc seulement vous dire que dans le cadre de mes travaux sur cette affaire, j'ai eu diverses occasions de parler à des avocats antitrust américains, qui m'ont affirmé que le fardeau de la preuve d'une diminution importante de la concurrence était beaucoup plus léger. Ils ont besoin de beaucoup moins de ressources que le bureau canadien, parce qu'ils n'ont pas à préciser les montants des hausses. Il leur suffit d'établir que même en tenant compte de toutes les pertes d'efficience, les sociétés restantes continueront d'exercer un pouvoir unilatéral suffisant sur le marché.

+-

    M. Dan Shaw: Mais vous évitez de répondre à ma question. Comment déterminez-vous les pertes d'efficience auxquelles vous comparez le tout?

    Quoi qu'il en soit, si vous pouvez répondre à la première partie de ma question...

+-

    M. John Clifford: Je ne sais pas comment on peut les mesurer à la lumière de la modification proposée. Si l'on se fie à l'expérience américaine dont nous a parlé brièvement M. Ross, peut-être les choses sont-elles plus simples là-bas, parce qu'on n'y tient pas autant compte des gains en efficience. Il y a donc moins d'éléments à considérer.

    Je conviens avec vous que pour déterminer s'il y a diminution ou empêchement important de la concurrence, il faut a priori faire fi des urgences ou du moins ce serait le cas si ce projet de loi était adopté, parce qu'il faut toujours effectuer une analyse complète et tenter d'évaluer les effets négatifs du fusionnement sur la concurrence.

    Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-249 présume qu'aux fins d'analyse, il faut tenir compte des gains et des efficiences qui procurent aux consommateurs des avantages qu'ils n'obtiendraient probablement pas s'il n'y avait pas fusionnement. Comment fait-on pour le déterminer? Il faut vraiment se demander ce que chaque partie ferait dans l'avenir si le fusionnement n'avait pas lieu. Comment fait-on pour le prouver?

    À mon avis, c'est très subjectif. Si l'on croit que le fusionnement va apporter des avantages aux consommateurs, il faut toujours les évaluer. Il faut toujours trouver un moyen d'estimer des montants pour rendre les choses plus mesurables. Comme vous le dites, il s'agit un peu de comparer des pommes à des oranges.

+-

    M. Stephen Ross: Je suis d'accord pour dire que si l'on tient compte des efficiences, il faut toujours en estimer la valeur. Mais dans le cas des fusionnements, je crois que c'est ce qui se fait actuellement en vertu de la loi. Le Bureau est libre de soutenir que les parties au fusionnement pourraient atteindre l'efficience visée autrement, ce qui porterait le tribunal à refuser le fusionnement en vertu de la loi canadienne actuelle. Je crois donc que le mécanisme que vous décrivez et l'hypothèse que vous soulevez sont déjà possible aux termes de la loi canadienne actuelle et qu'ils sont mis à l'épreuve. Il y a de quoi s'y perdre, mais cet article n'empire pas les choses.

»  +-(1725)  

+-

    Le président: Monsieur Kieley, vous aviez une question?

+-

    M. Geoffrey Kieley (attaché de recherche auprès du comité): Merci. J'ai une brève question.

    Monsieur Ross, je crois que vous en arrivez vraiment à la question que se pose le comité : la loi actuelle, telle qu'elle a été interprétée dans l'affaire de Superior, vaut-elle mieux que toutes les modifications proposées? L'autre monsieur Ross laissait entendre, contrairement à vous, que cette loi n'était pas un gâchis, que le jugement Superior avait permis de la clarifier et que nous avions maintenant une norme de surplus total qualifié.

    Ma question s'adresse à la Chambre et à vous. Par surplus total qualifié, on entend qu'il va falloir faire une analyse du surplus total, ce qui est très bien et peut permettre d'arriver à de bons résultats en manipulant les chiffres, mais s'il y a redistribution flagrante, le tribunal aura toujours un pouvoir discrétionnaire de dire que même si les chiffres semblent bons, le fusionnement ne peut avoir lieu en raison de la redistribution. Cela s'inscrirait-il bien dans votre approche axée sur le consommateur et s'agit-il d'un compromis qui satisferait la Chambre, compte tenu de l'interprétation actuelle?

+-

    M. Stephen Ross: Si vous m'assurez que le juge du Tribunal de la concurrence sera l'honorable Dan McTeague, je dirais que cette norme qualifiée convient tout à fait. Si vous m'assurez que le juge du Tribunal de la concurrence sera l'honorable Marc Nadon—ce qui n'est pas possible, puisqu'il a été promu—je vous dirais que le tribunal ne l'autorisera pas et que cette norme sera particulièrement néfaste pour le consommateur.

    Il vous reste donc à consulter vos propres avocats pour déterminer comment le juge moyen du Tribunal de la concurrence se prononcera. Selon mon analyse de la jurisprudence du Tribunal et compte tenu du raisonnement exposé par le juge Nadon, la norme qualifiée ne se distingue pas beaucoup de la norme du surplus total. C'est précisément ce pourquoi M. Tom Ross, qui préconisait la norme du surplus total a priori, estime que la norme qualifiée, qui n'a pas grand-chose à voir avec la qualification, serait une bonne idée.

+-

    M. John Clifford: La Chambre croit que la norme qualifiée actuelle serait envisageable. On la comprend. Elle confère un pouvoir discrétionnaire dans les calculs afin qu'il n'y ait pas de redistribution flagrante, dans la mesure où cela pose problème. Elle nous permet également d'effectuer des analyses au cas par cas sur le plan qualitatif, qui vont bien au-delà du simple calcul et de tous les efforts possibles pour obtenir les meilleurs résultats à la lumière des preuves rassemblées.

+-

    M. Brian Fitzpatrick: J'ai seulement une brève observation à faire sur le Canada et son système de soins de santé. L'argument ultime martelé par les gens, du moins certainement par ceux de l'autre côté, sur le grand avantage d'un monopole sous l'égide de l'État au Canada, c'est les grands gains en efficience que ce monopole public permet de réaliser. J'observe seulement qu'ils utilisent constamment cet argument dans le débat sur la prestation de soins de santé.

    Je crois qu'environ 90 p. 100 de la population canadienne habite à moins de 250 kilomètres de la frontière américaine. Le reste du pays est très peu peuplé, les services sont difficiles à obtenir et tout le reste. La réalité dans bon nombre de marchés, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de place à la concurrence féroce. Les collectivités sont chanceuses si un camion parvient chez elles, si un autobus s'y rend, s'il y a un supermarché ainsi qu'une société énergétique ou électrique qui leur offre des services. C'est la réalité et dans ce contexte, il faut se doter d'une réglementation visant à protéger les personnes dans cette situation. C'est la réalité du Canada.

+-

    Le président: Monsieur McTeague, voulez-vous poser une brève question pour terminer?

+-

    M. Dan McTeague: Monsieur le président, je vous remercie.

    Selon Fasken Martineau et Baldanza, il semble bien que chez les juristes, les opinions sont partagées. Les transferts que les sociétés fusionnées exercent des consommateurs aux actionnaires en raison du prix élevé du propane ne sont pas pris en compte.

    En fait, il y a une question simple que je voudrais vraiment poser aux deux témoins, si vous pouvez y répondre. Si nous sommes prêts à mettre de côté les intérêts et la richesse des consommateurs, comment pouvons-nous attirer la clientèle étrangère?

+-

    M. John Clifford: Je ne crois pas que nous recommandions de mettre de côté les intérêts des consommateurs. Je crois que nous recommandons que les intérêts des consommateurs soient pris en compte et évalués en fonction d'autres intérêts à considérer aux termes de la Loi sur la concurrence.

    En bout de ligne, nous reculons et affirmons que c'est une loi-cadre. Elle doit être facilement applicable et avantageuse sur le plan économique. Les lois actuelles le sont, et elles respectent les objectifs généraux de la loi.

»  -(1730)  

+-

    M. Stephen Ross: Avant de vous répondre, j'aimerais remercier les membres du comité pour leur hospitalité et les féliciter. C'est la première fois que j'ai la chance de témoigner devant un comité de votre Parlement. J'ai eu l'honneur de témoigner devant divers comités du Sénat et du Congrès américains. Je dois dire que je n'ai jamais vu tant d'attention accordée à deux témoins qui ne sont pas des sommités des ligues majeures, je n'ai jamais vu de séances où les projecteurs de C-SPAN n'étaient pas braqués et où, bien qu'il y ait eu des discours et des débats de pure forme, la plupart des questions étaient des efforts légitimes visant à vérifier l'opinion des députés, beaucoup plus que ce que l'on observe chez vos compatriotes du Sud. C'est donc une expérience très positive pour moi.

    Pour répondre à votre question en substance, monsieur McTeague, je crois que la mise en valeur sur les marchés étrangers était au centre des débats en 1986, et c'est une préoccupation légitime. Vous avez observé que les choses avaient changé depuis 17 ans et que nous n'avions peut-être plus besoin de cela. M. von Finckenstein l'a également mentionné.

    Je crois qu'il revient au comité de prendre une décision, mais je doute qu'il soit approprié ou nécessaire dans une loi-cadre, comme M. Clifford l'a dit, de créer un régime qui exploite systématiquement des millions de consommateurs canadiens parce qu'une autre politique pourrait devoir s'appliquer dans certains cas. À mon avis, la meilleure chose à faire dans une telle situation consiste à prévoir des dispositions juridiques ou une défense, soit des facteurs à prendre en considération afin que les fusionnements que vous jugez nécessaires pour demeurer concurrentiels sur la scène internationale soient permis.

    Cela ne signifie pas qu'il faut faire fi de tous ces cas, et je crois que le propane est l'un d'eux, car on voit bien que les consommateurs de M. Bagnell sont gravement exploités et qu'ils n'en retirent aucun avantage. S'il y a lieu d'exploiter les consommateurs ou les électeurs de M. Bagnell dans certaines circonstances, ou peut-être les électeurs de la région rurale de M. Fitzpatrick, pour que tous les Canadiens puissent jouir d'emplois intéressants ou de quelque chose du genre, il n'en revient qu'à vous à trouver un compromis. Je peux certainement pas le déterminer pour vous. Mais s'il n'y a pas de compromis à faire, je ne vois aucune raison de permettre de telles choses.

-

    Le président: Je vous remercie beaucoup. Cela met fin à notre séance d'aujourd'hui.

    J'aimerais remercier tous les témoins pour leur présence parmi nous et pour ce vrai bon dialogue sur le projet de loi C-249. Je vous remercie beaucoup et je vous souhaite un bon retour à la maison, que ce soit en automobile ou en avion. Merci.

    La séance est levée.