Passer au contenu
Début du contenu

FEWO Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

CHAPITRE V. D’UN BUDGET TRADITIONNEL À UN BUDGET SENSIBLE À LA SEXOSPÉCIFICITÉ

Le Comité reconnaît qu’il existe des différences importantes entre l’approche traditionnelle (c’est-à-dire qui ne fait pas de distinction entre les sexes) et l’approche sensible à la sexospécificité dans l’établissement des budgets. Nous traiterons d’abord de la politique macroéconomique, le Comité ayant entendu des témoignages contradictoires sur la question de savoir si cet aspect des politiques peut être examiné du point de vue des sexes. Nous comparerons ensuite l’approche traditionnelle et l’approche sensible à la sexospécificité en examinant les dépenses et les recettes budgétaires[153]. Le chapitre contient des recommandations visant à assurer que les politiques de dépenses et d’imposition sont sensibles à la sexospécificité. Dans le chapitre suivant, nous traiterons de la façon de mettre en œuvre un budget sensible à la sexospécificité.

A. Politique macroéconomique et budgets sensibles à la sexospécificité

Dans son témoignage, le sous-ministre de Finances Canada a réaffirmé que Finances Canada se préoccupe « de la santé économique générale du pays[154] ». Il a informé le Comité que le ministère poursuit « une démarche globale en matière de mieux‑être pour tous les Canadiens — y compris les femmes[155] ». Le sous-ministre a ajouté que le ministère avait pour priorité de veiller à ce que l’économie globale soit « suffisamment dynamique pour favoriser la croissance, pour aider tous les Canadiens, et pour protéger les plus vulnérables d'entre eux dans cette période d'incertitude économique [156] ».

En ce qui concerne l’analyse comparative entre les sexes, Finances Canada fait la distinction entre politiques structurelles et politiques macroéconomiques[157]. Comme l’explique Mme Levonian, championne de l’ACS à Finances Canada :

Les politiques macroéconomiques portent sur des variables économiques globales comme les excédents ou les déficits budgétaires et le niveau de la dette publique. Ces politiques établissent le cadre économique et financier dans lequel les politiques structurelles sont élaborées. Comme les politiques macroéconomiques ne ciblent, par définition, aucun secteur ni aucun groupe en particulier, l’analyse comparative entre les sexes ne s’y applique pas.

En revanche, les politiques structurelles peuvent avoir des répercussions sur certains secteurs ou certaines couches de la population. Comme ces politiques pourraient avoir différentes répercussions mesurables sur les femmes et sur les hommes, c'est à elles que doit s'appliquer l'analyse comparative entre les sexes. Parmi les politiques structurelles qui incombent au ministère des Finances, mentionnons la politique fiscale et tarifaire, la gestion des emplois fédéraux, l'administration de transferts versés aux provinces et l'élaboration d'un cadre réglementaire efficace pour le secteur financier[158].

À la différence de Finances Canada, Mme Rhonda Sharp, une experte en matière de budgets sexospécifiques à l’Université South Australia, a expliqué au Comité que la stratégie macroéconomique et l’engagement du gouvernement envers l’égalité des sexes étaient deux facettes inhérentes à l’exercice budgétaire sexospécifique :

[…] le contexte économique et politique global, en particulier la stratégie macroéconomique qui est en place et les discours sur le rôle du gouvernement, joue un rôle fondamental pour ce qui est de décider de ce que l'on peut réaliser en termes d'égalité des sexes, mais surtout, tout aussi important, cela influence la conception de tout exercice de budgétisation tenant compte de l'égalité des sexes que l'on voudrait mettre en œuvre[159].

Un budget sensible à la sexospécificité considère la politique économique comme la clé de l’établissement d’un niveau de vie et de perspectives économiques convenables pour les femmes[160]. Y sont ainsi incorporés des objectifs de développement humain, la poursuite desquels entraîne une plus grande croissance économique. Mme Yalnizyan a donné l’explication qui suit :

Le développement humain est une affaire d'investissements publics et privés. Il ne vise pas exclusivement les femmes, mais les investissements pour aider les femmes produisent automatiquement dans les collectivités un effet multiplicateur considérable qui, curieusement, favorise une plus grande croissance économique. C'est un cercle vertueux que nous avons oublié au cours des 10 dernières années[161].

Dans l’approche budgétaire habituelle, on croit que les variables économiques finissent par faire sentir leurs effets sur l’ensemble de la population. Comme l’a dit une experte en budgets sensibles à la sexospécificité :

[…] on reconnaît de plus en plus que cet « effet de ruissellement » n’est pas automatique; au contraire, les problèmes liés à la pauvreté et à l’inégalité, y compris l’inégalité entre les sexes, doivent être placés au cœur même de la politique[162].

Les témoins ont souligné explicitement qu’un budget sensible à la sexospécificité doit comprendre des politiques structurelles et macroéconomiques. Mme Peckford a recommandé que Finances Canada se penche sur les effets différentiels que les politiques macroéconomiques ont sur les femmes, compte tenu de la multiplication des ouvrages écrits sur le sujet.

J’invite les membres du comité à se pencher sur ce choix et sur la possibilité de procéder à une ACS des politiques structurelles et macroéconomiques. Les chercheurs tentent maintenant de dresser le portrait global de la situation des femmes au point de vue macroéconomique. Le ministère des Finances ferait bien de s’en inspirer[163].

haut

Comme l’a en outre fait observer Mme Yalnizyan, étant donné qu’une proportion importante des femmes se situe dans les tranches de revenus inférieurs, la politique macroéconomique a un impact marqué sur leur vie de tous les jours. Une analyse comparative entre les sexes aide à « mettre en évidence » cet impact sur le revenu des femmes.

Vous avez mentionné des pressions économiques mondiales. Vous avez fait allusion au recul du secteur de la fabrication. De plus, nous devons tous faire face au resserrement du crédit. Il s'agit de facteurs primordiaux qui vont influer sur la macroéconomie. Dans chaque cas, les femmes sont au bas de l'échelle salariale. Dans chaque cas, une bonne ACS nous aidera à comprendre la façon dont la distribution des revenus change et dont les politiques gouvernementales influent sur cette distribution[164].

Le Comité convient que pour aller de l’avant avec un budget sensible à la sexospécificité qui reflète réellement la réalité de la vie des femmes, il est essentiel que Finances Canada se penche sur l’incidence des politiques macroéconomiques et des politiques structurelles. Par conséquent,

RECOMMANDATION 12

Le Comité recommande que Finances Canada effectue régulièrement une analyse comparative entre les sexes de la politique macroéconomique du gouvernement, qu’il fasse appel à l’expertise de chercheurs et d’universitaires qui ont analysé de quelle manière la politique macroéconomique a atténué ou exacerbé les inégalités entre les sexes, qu’il détermine, durant son analyse, comment pareille politique macroéconomique gouvernementale accroît, diminue ou laisse inchangées les pertes subies par la société en raison de l’inégalité entre les sexes, et que ces analyses soient appliquées aux budgets fédéraux subséquents.

B. L’aspect relatif aux dépenses

Les témoins ont maintes fois fait valoir que, pour assurer l’égalité des femmes, il faut investir des fonds publics dans des secteurs clés, notamment ceux du logement abordable, de la garde d’enfants et de l’éducation postsecondaire.

Mais nous savons quelles sont les choses simples qui peuvent faire avancer l'égalité des femmes, et on répète ces choses depuis plus de 20 ou 30 ans. Elles comprennent tout ce qui […] est lié au logement abordable, à la garde d'enfants, à l'accès à l'éducation postsecondaire. Ce ne sont pas des choses sexospécifiques, mais nous savons qu'elles améliorent la situation des femmes. Alors, il y a une courte liste d'éléments qui ouvrent des portes pour les femmes et réduisent les obstacles. Mais trouve-t-on certaines de ces choses dans le budget? Et dans quelle mesure le budget est-il axé sur l'avancement de l'égalité des femmes[165]?

Même si le gouvernement fédéral a affecté des dépenses dans ces domaines, on a fait valoir au Comité que ces ressources ne répondaient pas correctement aux besoins des femmes. Par exemple, un témoin a décrit l’effet des nouvelles dépenses en éducation postsecondaire sur les femmes. Son analyse a montré que le nouveau financement fédéral ne répondait pas suffisamment aux besoins de 1,3 million d’étudiants. Or, les femmes sont maintenant majoritaires parmi les étudiants du niveau postsecondaire et, par conséquent, elles sont plus touchées que les hommes par les hausses des droits de scolarité[166]. Dans leur témoignage, les représentants de Finances Canada ont dit du logement qu’il était un exemple de secteur où des progrès avaient été réalisés grâce aux dépenses gouvernementales en matière de logement abordable[167]. Toutefois, d’autres témoins ont souligné qu’il faudrait faire une analyse de l’incidence des bienfaits pour évaluer l’impact de ces dépenses :

Prenons l'exemple des logements à prix abordable. Trois ou quatre programmes vous ont été présentés. Qui en profite? De quelle façon? Est-ce que la situation s'est améliorée en dix ans? Ces questions sont importantes, et vont au fond des choses. Y a-t-il des preuves on non? À défaut de preuve, vous ne pouvez pas prétendre avoir réalisé des progrès[168].

Les témoins ont dit au Comité que, pour dresser un budget sensible à la sexospécificité, il faut analyser tant les compressions des dépenses que les nouvelles dépenses rendues possibles par les excédents budgétaires. Mme Yalnizyan a donné comme exemple les compressions brutales faites par le gouvernement fédéral durant la lutte contre le déficit au début des années 1990 et leurs effets néfastes sur les femmes. Elle a ajouté que le gouvernement n’a jamais rétabli le financement supprimé à cette époque-là lorsqu’il a commencé à profiter d’excédents budgétaires.

Le financement n'a toutefois jamais été rétabli en période de surplus budgétaire. Nous nous sommes donc retrouvés devant une situation où les femmes ne pouvaient compter avec certitude sur des programmes et des services extrêmement importants pour leur stabilité et celle de leur famille[169].

Les témoins ont fait valoir que les gouvernements devraient songer à analyser la façon dont ces excédents sont affectés. Comme l’a dit Mme Sharp :

Mais comme vous avez des surplus budgétaires, il est intéressant de s'attacher à l'usage qu'on entend en faire. C'est crucial au plan politique car il semble à première vue — ce qui est faux — que l'on n'enlève rien à personne, mais que l'on distribue simplement des avantages[170].

Plus précisément, Mme Yalnizyan a fait ressortir que les gouvernements doivent réinvestir dans leurs collectivités durant les périodes de croissance économique.

Toutefois, nous avons traversé une étrange décennie. Alors même que la situation économique était solide et en pleine croissance, et que les coffres publics se remplissaient, nous n'avons pas réussi à faire des investissements et à en récolter les bénéfices; que ce soit pour des centres communautaires où les enfants peuvent jouer, pour aider financièrement les femmes à payer les frais de garderie, pour fournir suffisamment de soins de santé afin que les femmes ne soient pas obligées de s'occuper des personnes âgées, handicapées ou malades à la maison. On aurait pu faire des investissements dans tellement de secteurs, et tout le monde aurait profité de la situation. Mais aujourd'hui, les investissements sont le domaine du secteur privé et le secteur public ne doit pas investir, il doit se tenir à l'écart du marché[171].

Comme nous en reparlerons dans la section suivante, le gouvernement fédéral a eu tendance à recourir à des dépenses fiscales pour financer les programmes sociaux. Le Comité a appris que les dépenses directes devraient également être envisagées comme une source de financement des programmes sociaux. Ainsi, les témoins ont invité Finances Canada à déterminer le meilleur mécanisme de financement d’un programme social particulier en consultant les ministères responsables et en élargissant le processus de consultation.

Encore une fois, cela élargit le processus de consultation et permet de mettre l'accent sur les sexes à une étape plus précoce, ce qui est la clé. Sans vouloir continuer de m'attaquer au ministère des Finances, j'ajouterais que vraiment, quand on parle de programmes sociaux complexes et importants, on a besoin d'autant d'information de la part des spécialistes de ces questions que des experts en finances[172].

Le Comité est d’avis qu’au moment d’élaborer un budget sensible à la sexospécificité, Finances Canada ne doit pas limiter son analyse comparative entre les sexes aux initiatives fiscales, mais plutôt l’étendre aux initiatives de dépenses déjà mises en œuvre ainsi qu’aux nouvelles initiatives de dépenses. Par conséquent,

RECOMMANDATION 13

Le Comité recommande que Finances Canada effectue une analyse de la répartition des avantages tirés des initiatives de dépenses publiques, tant les nouvelles que celles déjà mises en œuvre, qu’il examine l’incidence de ces dépenses sur les hommes et les femmes et les groupes d’hommes et de femmes, par catégorie de revenus, et, s’il y a eu, en fonction de l’âge, de l’état matrimonial et des personnes à charge, que ces analyses soient examinées périodiquement par le groupe consultatif d’experts de Condition féminine Canada, et qu’elles soient appliquées aux budgets fédéraux subséquents.

haut

C. L’aspect fiscal

1. Le régime fiscal 

La principale fonction du régime fiscal est de générer les revenus nécessaires pour couvrir les dépenses de l’État qui reflètent les priorités de la société. Il peut également servir directement à réaliser des objectifs de politique publique au moyen de l’application de taux spéciaux d’impôt, d’exemptions fiscales, de déductions, de remboursements, de reports et de crédits qui touchent le niveau et la répartition des impôts[173].

Le gouvernement obtient une grande partie de ses recettes en prélevant de l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés. Le Comité a appris que le régime fiscal n’est pas neutre quant à ses effets sur les sexes, n’ayant pas le même impact sur les hommes et les femmes. Les témoins ont expliqué au Comité que ce ne sont pas tous les objectifs gouvernementaux qui peuvent être atteints au moyen du régime fiscal ou de réductions d’impôt. Comme l’a souligné Mme Philipps :

Il est vrai que la solution de nombreux problèmes d'égalité passe par des dépenses directes de l'État. On ne peut pas tout faire au moyen du régime fiscal pour corriger les inégalités entre les sexes ou résoudre les problèmes des personnes à faible revenu.

C'est l'une des raisons pour lesquelles il faut étudier le budget sous l'angle de l'égalité entre les sexes. Il y a eu un tel virage vers les réductions d'impôt comme moyen de s'attaquer aux problèmes. Il faut examiner de près ces réductions pour voir si elles sont aussi efficaces pour les femmes que pour les hommes, pour les petits revenus et les revenus plus élevés[174].

De façon plus générale, Mme Yalnizyan a fait remarquer que les « politiques fiscales et budgétaires ont contribué à élargir ce fossé entre les riches et les pauvres dans notre société[175] ». Elle a cité un rapport récent de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui montre que les politiques fiscales adoptées par le Canada et d’autres pays ont eu « un effet plus favorable sur les groupes touchant un revenu plus élevé[176] ».

Mme Young et M. Good ont tous deux déclaré que les nouvelles mesures fiscales ne représentent qu’une faible proportion du budget. Il a été recommandé que l’analyse sexospécifique faite par Finances Canada porte non seulement sur les nouvelles mesures fiscales, mais encore sur les règles fiscales en vigueur[177]. Les témoins ont également qualifié d’insuffisante l’analyse comparative entre les sexes de Finances Canada, disant ne pas croire « que cette analyse suffira, compte tenu de ce qu'on y considère comme utile pour les femmes[178] ».

Mme Philipps a expliqué au Comité que le gouvernement pratiquait actuellement une politique fiscale non sexospécifique, « c'est-à-dire une politique qui ne tient pas compte expressément des différences entre les sexes[179] ». Elle a recommandé que quatre considérations soient appliquées à l’analyse comparative entre les sexes de la politique fiscale :

  1. Examiner l’effet de la politique fiscale sur les femmes tant du point de vue de la distribution que de celui du comportement[180];
  1. Examiner l'effet de la politique fiscale sur les hommes et les femmes d’un même foyer en tant que particuliers;
  1. Examiner l’effet de la politique fiscale sur différents groupes de femmes;
  1. Examiner l’effet de la politique fiscale sur les femmes à titre de salariées et de pourvoyeuses de soins non rémunérées.

(a) L’impôt sur le revenu des particuliers

Le Comité a appris qu’en 2007, 38 % des femmes et 24 % des hommes n’avaient pas produit de déclaration de revenu parce qu’ils n’avaient pas d’impôt à payer. Les témoins ont informé le Comité que lorsque le gouvernement fédéral réduit l’impôt sur le revenu, 38 % des femmes n’en profitent pas. D’ailleurs, les femmes qui ne paient pas d’impôt ne pourront pas profiter de mesures fiscales comme le nouveau crédit d’impôt pour enfants[181].

Le Comité a appris qu’un budget sensible à la sexospécificité tient compte de la catégorie de contribuables qui bénéficiera d’une baisse d’impôt et montre comment les avantages seront répartis entre les catégories de revenus et les sexes[182]. Tel que noté par Mme Yalnizyan, pareille analyse montre que « presque quatre femmes sur dix ne sont pas du tout touchées par le régime fiscal ».

Le fait est que 58 % des Canadiens assujettis à l'impôt ne dépassent pas [la] première tranche de revenu, [dont le plafond] est de 37 884 $. Environ 68 % des femmes, et 50 % des hommes, se trouvent dans cette catégorie. Cela veut donc dire que ces 3 milliards de dollars par année bénéficieront à la majorité des hommes et femmes canadiens qui sont assujettis à l'impôt.

Les trois quarts de tous les hommes canadiens profitent des réductions d'impôt, mais presque quatre femmes sur dix ne sont pas du tout touchées par le régime fiscal. Pourquoi? Eh bien, parce qu'elles ne gagnent même pas assez d'argent pour avoir à payer des impôts. Donc, pour quatre femmes sur dix, les réductions d'impôt sont sans intérêt[183].

Un budget sensible à la sexospécificité tient compte du coût de renonciation d’une réduction d’impôt étant donné que pareille réduction empêche le gouvernement fédéral de consacrer des fonds à ce qui est le plus important tant pour les hommes que pour les femmes.

Voilà ce que cet argent n'a pas permis de faire, alors que ce sont les priorités des femmes du Canada : des villes vivables, des mesures de soutien destinées aux familles, des nouveaux débouchés, la réduction de la pauvreté, une vie exempte de violence et l'accès à la justice fondamentale. Et, toutes ces mesures ne profiteraient pas uniquement aux femmes, mesdames et messieurs; elles profiteraient à tous[184].

(b) L’impôt sur le revenu des sociétés

Finances Canada a expliqué au Comité que « les mesures fiscales qui s'appliquent au revenu des particuliers se prêtent davantage à l'ACS que celles qui s'appliquent au revenu des entreprises ».

Dans le régime d'imposition du revenu des particuliers, dès qu'on apporte une modification, les particuliers sont directement touchés. Alors, quand les particuliers sont directement touchés, il est possible de faire une ACS pour [connaître les] conséquences [d’une mesure donnée] pour les femmes; pour les Autochtones, etc. Mais, quand les mesures visent les entreprises, il est plus difficile de faire l'ACS puisqu'il s'agit d'entreprises plutôt que de personnes qu'on cherche à cibler[185].

Contrairement à la conception de Finances Canada de l’analyse budgétaire, dans un budget sensible à la sexospécificité, on considère que les mesures fiscales s’appliquant au revenu des sociétés se prêtent à l’ACS. Le Comité a appris que pareille analyse révèle les répercussions plus larges des réductions de l’impôt sur le revenu des sociétés. Par exemple, une diminution de l’impôt sur le revenu des sociétés se traduit souvent par une baisse des recettes de l’État et donc une diminution des ressources servant à répondre aux besoins des femmes en matière de logement abordable et de garde d’enfants[186].

Les témoins ont souligné que les particuliers ont un fardeau fiscal disproportionné par rapport à celui des sociétés. Mme Lahey a présenté au Comité ses propres calculs montrant la perte de recettes attribuable aux réductions de l’impôt sur le revenu des sociétés.

D'après mes propres calculs, le Canada a perdu 3,1 milliards de dollars de recettes fiscales qui ont été investis à l'étranger par des sociétés canadiennes l'année dernière, et cela continuera d'être le cas chaque année. En même temps, d'après mes estimations, 3 milliards de dollars de plus sont perdus sous forme de réductions d'impôt intérieures. Donc, des sommes énormes quittent les entreprises ce qui a pour résultat de réduire considérablement les recettes fiscales. Comment cette situation se compare-t-elle à celle des particuliers? Eh bien, si les sociétés ne paient pas d'impôts, qui reste-t-il pour les payer[187]?

haut

Le Comité a appris que, compte tenu de la tendance vers la réduction de l’impôt sur le revenu des sociétés, l’impôt sur le revenu des particuliers représente maintenant une plus forte proportion des recettes fiscales du gouvernement fédéral que l’impôt sur le revenu des sociétés.

Dans les années 1960, l'impôt sur le revenu des particuliers représentait environ 30 % des recettes fiscales fédérales. Aujourd'hui, il [en] représente près de la moitié, soit 47 %. Examinons maintenant l'impôt sur les sociétés, à titre de comparaison. L'impôt sur les sociétés correspondait à 19 % des recettes fiscales fédérales dans les années 60, par rapport à seulement 13 % aujourd'hui. Nous parlons donc d'un changement massif; le gouvernement dépend de plus en plus de l'impôt sur le revenu des particuliers. Cela revient à imposer moins [le capital] et à imposer davantage le travail[188].

Il vaut la peine de signaler que les gouvernements ont appliqué des politiques de réduction de l’impôt sur le revenu des sociétés afin d’attirer des investissements et d’améliorer leur compétitivité. Toutefois, dans sa publication, Dépenses fiscales et évaluations 2007, Finances Canada a constaté « qu’il est difficile d’établir la preuve d’un lien entre l’impôt et l’investissement au moyen de données du monde réel[189] ».

Dans un budget sensible à la sexospécificité, on cherche à savoir si le régime fiscal est équitable pour les femmes et si les femmes assument une part disproportionnée du fardeau fiscal. Comme Mme Lahey l’a fait remarquer, une telle analyse requiert un examen « de l'effet conjugué des taxes à la consommation et de la structure des taux existante, prévue par la Loi de l'impôt sur le revenu[190] ». Après avoir procédé à cette analyse, Mme Lahey a informé le Comité que « l'effet cumulatif de la TPS, de la TVP, de l'impôt fédéral sur le revenu, de l'impôt provincial sur le revenu » a pour résultat « un fardeau lourd, écrasant » pour les femmes parce que leur revenu est plus faible[191].

Un membre du Comité a demandé à Finances Canada s’il serait possible d’effectuer une analyse comparative entre les sexes du régime fiscal. Pour Finances Canada, pareille analyse constituerait une « entreprise d'une grande envergure ».

Analyser le régime fiscal dans son ensemble du point de vue de l'analyse comparative entre les sexes constituerait une entreprise d'une grande envergure. À l'heure actuelle, le ministère des Finances n'a pas les ressources voulues pour se livrer à ce genre d'analyse. Si cela devenait une priorité pour les ministres, il faudrait alors que des fonds soient prévus pour que le ministère se dote des ressources nécessaires pour entreprendre ce genre d'analyse, mais à l'heure actuelle, il n'a pas les ressources voulues pour le faire[192].

Bien que le Comité reconnaisse qu’une analyse comparative entre les sexes du régime fiscal fédéral constituerait une entreprise colossale pour Finances Canada, il croit qu’une telle analyse est nécessaire pour corriger les iniquités dans le régime fiscal et assurer la réussite de l’établissement de budgets sensibles à la sexospécificité. Par conséquent,

RECOMMANDATION 14

Le Comité recommande que Finances Canada effectue une analyse comparative entre les sexes des politiques fiscales, tant les nouvelles que celles déjà en vigueur, y compris celles visant l’impôt sur le revenu des particuliers, l’impôt sur le revenu des sociétés et les taxes de vente et d’accise, qu’il tienne compte dans son analyse des effets différentiels, pour les hommes et les femmes, des dispositions relatives aux conjoints et des mesures fiscales applicables aux conjoints, qu’il élabore une analyse de la répartition des effets de ces politiques selon la catégorie de revenu et le sexe, et s’il y a lieu, en fonction de l’âge, de l’état matrimonial et des personnes à charge, que ces analyses soient examinées périodiquement par le groupe consultatif d’experts de Condition féminine Canada, et qu’elles soient appliquées aux budgets fédéraux subséquents.

RECOMMANDATION 15

Le Comité recommande que Finances Canada conçoive des solutions pour remédier aux iniquités entre les sexes dans le régime d’impôt sur le revenu des particuliers, qu’il fasse appel à l’expertise d’universitaires et de chercheurs dans le cadre de son analyse et de son examen, que des ressources suffisantes soient affectées à cette initiative, et que le ministère présente au Comité un rapport de son examen au plus tard en mai 2010.

2. Dépenses fiscales

Le Comité a appris que les dépenses fiscales sont considérées comme étant des dépenses « indirectes » qui passent souvent inaperçues[193]. Finances Canada est responsable de la partie du budget qui concerne les dépenses fiscales ainsi que de la déclaration et de l’évaluation de ces dépenses. Finances Canada publie chaque année des rapports de dépenses que l’on trouve sur son site web[194]. Ces rapports ne renferment aucune ventilation sexospécifique. Ils ne présentent que des données quantitatives et n’examinent pas les effets différents que peuvent avoir ces dépenses sur les hommes et les femmes.

Les témoins ont précisé que les dépenses fiscales servent de plus en plus à financer des programmes sociaux. Au lieu de consacrer directement des dépenses aux programmes sociaux, le gouvernement fédéral a créé un système de subventions diverses pour ces programmes. Essentiellement, « au lieu de financer un programme ou une activité donnés au moyen d'une subvention directe, on verse cette subvention par l'entremise du régime fiscal[195] ». Par exemple, le coût de la prestation fiscale pour le revenu gagné a été de 555 millions de dollars en 2007, et celui du fractionnement du revenu de pensions, de 665 millions de dollars. Les régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) constituent la plus grande partie des dépenses fiscales; ils ont entraîné pour quelque 11 milliards de dollars de dépenses fiscales nettes en 2007[196].

haut

Étant donné que le budget prévoit un montant appréciable de dépenses fiscales, les témoins ont recommandé que les comptes de dépenses fiscales publiés tous les ans fassent dorénavant partie intégrante du processus budgétaire.

Ce qu'il faudrait faire, c'est exiger que, dans chaque budget, il y ait un budget ou un compte des dépenses fiscales chaque année. On pourrait alors en prendre connaissance et être beaucoup mieux renseigné [...] sur les montants faramineux engagés à diverses fins publiques grâce aux dépenses fiscales. Il serait très important de le faire savoir aux Canadiens. En fait, si l'on fait l'addition, nous engageons autant ou presque autant en dépenses fiscales, par la porte arrière, que nous ne le faisons en dépenses directes[197].

Les témoins ont fait ressortir que le régime fiscal n’est peut-être pas le meilleur mécanisme pour répondre aux besoins des femmes, les aînées notamment. Le Comité a également entendu que si le gouvernement choisit de se servir du régime fiscal pour financer les programmes sociaux, il devrait songer à recourir aux crédits d’impôt remboursables.

Le seul type de réduction d'impôt dont peuvent profiter les femmes à faible revenu, ce sont les crédits remboursables [...] Vous voudrez peut-être envisager comme stratégie de réforme fiscale favorable à l'égalité entre les sexes la conversion d'un plus grand nombre de crédits non remboursables en crédits remboursables, précisément pour que ces femmes à faible revenu en profitent[198].

 Le Comité croit que, compte tenu du rôle important que jouent les dépenses fiscales dans le financement des programmes sociaux, il faut assurer une plus grande transparence afin de mieux comprendre l’incidence des dépenses fiscales sur les femmes. Par conséquent,

RECOMMANDATION 16

Le Comité recommande que Finances Canada insère dans toutes les publications budgétaires fédérales à venir des tableaux affichant un résumé des mesures de dépenses fiscales, les nouvelles comme celles déjà en vigueur.

RECOMMANDATION 17

Le Comité recommande que Finances Canada examine, analyse et évalue les répercussions différentes qu’ont les instruments de dépenses fiscales, y compris les crédits d’impôt remboursables, selon le sexe et la catégorie de revenu, et, s’il y a lieu, selon l’âge, l’état matrimonial et les personnes à charge, et que cette analyse soit appliquée aux budgets fédéraux subséquents.


[153]         Les analyses détaillées que le Comité a entendues au sujet de l’ACS par Finances Canada de certaines mesures fiscales dans les budgets récents se trouvent aux annexes A et B.

[154]         Robert Wright, sous-ministre, Finances, FEWO Témoignages, 15 avril 2008 (0830).

[155]         Ibid. (0840).

[156]         Ibid.

[157]         Louise Levonian, directrice générale, Direction de la politique de l’impôt, Finances, FEWO Témoignages, 11 mars 2008 (0905).

[158]         Ibid.

[159]         Rhonda Sharp, professeure d’économie, Hawke Research Institute for Sustainable Societies, Université South Australia, FEWO Témoignages, 5 décembre 2007 (1555).

[160]         Debbie Budlender, et al., Gender Budgets Make Cents, Commonwealth Secretariat, London, 2002, p. 23.

[161]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 1 avril 2008 (1020).

[162]         Debbie Budlender, et al., Gender Budgets Make Cents, Commonwealth Secretariat, London, 2002, p. 28. [Traduction]

[163]         Nancy Peckford, directrice des programmes, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, FEWO Témoignages, 15 avril 2008 (0940).

[164]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 15 avril 2008 (1000).

[165]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 1er avril 2008 (0905).

[166]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (1015).

[167]         Louise Levonian, directrice générale, Direction de la politique de l’impôt, Finances, FEWO Témoignages, 15 avril 2008 (0900).

[168]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 15 avril 2008 (0950).

[169]         Nancy Peckford, directrice des programmes, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, FEWO Témoignages, 10 décembre 2007 (1555).

[170]         Rhonda Sharp, professeure d’économie, Hawke Research Institute for Sustainable Societies, Université South Australia, FEWO Témoignages, 5 décembre 2007 (1630).

[171]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 1er avril 2008 (1020).

[172]         Claire Young, vice-doyenne principale et professeure, Faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (1000).

[173]         Finances Canada, Dépenses fiscales et évaluations 2007, p. 9.

[174]         Lisa Philipps, professeure agrégée, Osgoode Hall Law School, Université York, FEWO Témoignages, 28 novembre (1615).

[175]         Armine Yalnizyan, directrice de la recherche, Community Social Planning Council of Toronto, FEWO Témoignages, 5 décembre 2007 (1710).

[176]         OCDE, Taxing Wages 2006-2007. Special Feature: Tax Reforms and Tax Burdens, OCDE, mars 2008, p. 31. [Traduction]

[177]         David Good, professeur, École d’administration publique, Université de Victoria, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (0925).

[178]         Nancy Peckford, directrice des programmes, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, FEWO Témoignages, 10 décembre 2007 (1605).

[179]         Lisa Philipps, professeure agrégée, Osgoode Hall Law School, Université York, FEWO Témoignages, 28 novembre (1530).

[180]         Par l’analyse de l’effet de distribution, on cherche à déterminer qui profite de la modification de la fiscalité et si les femmes obtiennent une juste part des avantages du changement. Par l’analyse de l’effet de comportement, on cherche à déterminer en quoi les choix que feront les femmes différeront de ceux des hommes en raison de la modification fiscale.

[181]         Lisa Philipps, professeure agrégée, Osgoode Hall Law School, Université York, FEWO Témoignages, 28 November (1535).

[182]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 1er avril 2008 (0905).

[183]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0920).

[184]         Ibid.

[185]         Louise Levonian, directrice générale, Direction de la politique de l’impôt, Finances, FEWO Témoignages, 11 mars 2008 (0935).

[186]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (0920) (1005) (1055).

[187]         Kathleen Lahey, professeure, Institute of Women’s Studies, Université Queen’s, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (1005).

[188]         Armine Yalnizyan, économiste principale, Centre canadien de politiques alternatives, FEWO Témoignages, 13 mars 2008 (1005).

[189]         Finances Canada, Dépenses fiscales et évaluations 2007, p. 51.

[190]         Kathleen Lahey, professeure, Institute of Women's Studies, Université Queen’s, FEWO Témoignages, 28 novembre (1540).

[191]         Ibid. (1545).

[192]         Louise Levonian, directrice générale, Direction de la politique de l’impôt, Finances, FEWO Témoignages, 11 mars 2008 (0950).

[193]         David Good, professeur, École d’administration publique, Université de Victoria, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (0950).

[194]         Finances Canada, Dépenses fiscales du gouvernement du Canada, http://www.fin.gc.ca/purl/taxexp-f.html.

[195]         Claire Young, Les femmes, l'impôt et les programmes sociaux : Répercussions, selon le sexe, du financement des programmes sociaux par l'entremise du régime fiscal, Condition féminine Canada, octobre 2000, p. 9.

[196]         Finances Canada, Dépenses fiscales et évaluations 2007, p. 21.

[197]         David Good, professeur, School of Public Administration, Université de Victoria, FEWO Témoignages, 28 février 2008 (1010).

[198]         Lisa Philipps, professeure agrégée, Osgoode Hall Law School, Université York, FEWO Témoignages, 28 novembre 2007 (1535).

haut