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AGRI Rapport du Comité

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LES JEUNES AGRICULTEURS: L’AVENIR DE L’AGRICULTURE

INTRODUCTION

La population agricole canadienne vieillit, en effet, l’âge moyen des exploitants agricoles est passé de 48 à 52 ans entre 1996 et 2006. Par ailleurs, Il y a de moins en moins de jeunes disponibles pour remplacer les exploitants qui se retirent des activités agricoles. Ce constat est préoccupant parce que les jeunes agriculteurs sont garants de l’avenir de l’agriculture et parce qu’ils jouent un rôle primordial dans le développement économique du milieu rural. En effet, plusieurs activités dans les collectivités rurales dépendent de la production agricole notamment les activités de meunerie, de quincaillerie, d’abattoir et de transport. Conscient de ces divers enjeux et désireux de savoir comment le gouvernement peut améliorer ses programmes et politiques pour garder les jeunes dans le secteur agricole, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (appelé ci-après le « Comité ») a décidé de consulter les agriculteurs. À cet effet, le Comité s’est déplacé, entre le 26 avril et le 13 mai, dans les quatre provinces de l’Ouest, en Ontario, au Québec et dans les Maritimes. Le Comité a ainsi rencontré 132 producteurs — incluant des jeunes agriculteurs — et des organisations agricoles provinciales. Il a aussi visité 18 fermes et entreprises liées à l’agriculture. Le Comité a également tenu des audiences à Ottawa au cours desquelles il a eu à consulter 17 témoins.

Ces audiences et visites ont permis aux membres du Comité de réaliser que les jeunes agriculteurs canadiens, en plus d’avoir l’esprit d’entreprise, sont innovateurs et tournés vers le marché; ce ne sont pas des entrepreneurs ordinaires, car ils travaillent dans un secteur qui, généralement, exige d’importantes dépenses en immobilisations, alors que le rendement est relativement faible. Lors de sa tournée pancanadienne, le Comité a rencontré un grand nombre de jeunes agriculteurs et découvert qu’ils comprennent très bien les défis qui les attendent s’ils veulent entrer et prospérer dans le secteur agricole. Le Comité s’est principalement inspiré des observations de ces jeunes agriculteurs pour formuler ses recommandations sur l’orientation générale des politiques ou les programmes particuliers.

Le gouvernement fédéral appuie les organismes de jeunes agriculteurs, comme la Table pancanadienne de la relève agricole (TPRA) et le Conseil des 4-H du Canada, et offre diverses mesures, comme l’exemption pour gains en capital, afin de faciliter la succession agricole. Le Comité constate toutefois qu’il n’existe pas de politique fédérale exhaustive visant les jeunes ou les nouveaux agriculteurs. Comme l’a signalé un témoin, bien que le cadre de la politique agricole au Canada s’intitule « Cultivons l’avenir », les jeunes agriculteurs ne figurent pas dans le texte de l’entente. On pourrait remédier à cette omission, puisque l’avenir de l’agriculture repose sur les nouveaux venus capables de revigorer l’industrie.

Les jeunes agriculteurs savent aussi très bien que le secteur agricole fait face à de nombreuses difficultés, liées notamment à l’augmentation des coûts de production, à la diminution des marges de profit, aux questions de commerce et de mise en marché et au soutien gouvernemental. Les membres du Comité pensent comme eux que la croissance de l’agriculture au Canada est subordonnée à la rentabilité. Comme l’a déclaré un jeune agriculteur au Comité :

Je vois peu de jeunes agriculteurs désireux de s’engager dans une entreprise qui les oblige à dépenser pour ne rien gagner.[1]

Le présent rapport est divisé en parties qui correspondent aux trois grands thèmes dont ont parlé les témoins. La première partie porte sur l’évolution de l’agriculture vécue par les agriculteurs qui ont connu une époque où travailler fort pour gagner sa vie était l’élément principal et qui voient maintenant un environnement où, pour réussir, il faut acquérir de plus en plus des compétences avancées de gestionnaire et adopter de nouvelles technologies. La deuxième partie porte sur les difficultés que doivent relever les jeunes agriculteurs qui veulent entrer dans le secteur, ainsi que sur la nécessité de prévoir des programmes précis pour les aider à surmonter ces difficultés. La troisième partie examine l’élément principal nécessaire pour attirer des nouveaux agriculteurs, c’est-à-dire l’accroissement de la rentabilité de l’agriculture.

Le Comité a parcouru le Canada pour rencontrer des jeunes agriculteurs à une période de l’année où les producteurs sont particulièrement occupés. Il souhaite donc remercier tous les témoins qui ont délaissé temporairement les travaux de la ferme afin de participer à l’étude.

Avant toute discussion avec les jeunes agriculteurs sur l’avenir de l’agriculture, il faut d’abord bien comprendre la perception qu’ont les agriculteurs des changements subis par l’agriculture au cours des dernières décennies. L’urbanisation, le vieillissement de la population, la mondialisation de l’économie et l’intégration de la chaîne agroalimentaire ont opéré des changements fondamentaux et structurels dans les fermes elles-mêmes. Plus précisément, le secteur agricole a dû adapter ses structures et ses pratiques de production afin de tenir compte des nouveaux marchés et des demandes des consommateurs. Certes, cette adaptation crée de nouvelles possibilités, mais elle présente également quelques difficultés pour les acteurs du milieu agricole, notamment les jeunes agriculteurs.

La production agricole est aux prises avec le vieillissement des agriculteurs. Selon les données de Statistique Canada, l’âge moyen des agriculteurs a augmenté d’environ quatre ans entre 1996 et 2006 (tableau 1).

Tableau 1 — Âge moyen des exploitants agricoles[2]
2006 2001 1996
52,0 49,9 48,4

Source : Statistique Canada, Données chronologiques du Recensement de l’agriculture, section 6.

Le vieillissement de la population a fait diminuer de 14 % le nombre d’agriculteurs de moins de 55 ans et augmenter de 11 % le nombre d’agriculteurs de 55 ans et plus (figure 1). Cela signifie qu’il y a de moins en moins de jeunes pour remplacer les agriculteurs qui prennent leur retraite.

Figure 1 — Variation dans le nombre d’exploitants agricoles par groupe d’âge au Canada

Source : Statistique Canada, Données chronologiques du Recensement de l’agriculture, section 6.

Le nombre de fermes a chuté de 17 % entre 1996 et 2006 (passant d’environ 277 000 à 229 000). Cette chute, conjuguée à l’augmentation de la production et à l’adoption de nouvelles technologies, a fait que la superficie des exploitations a augmenté de 20 % au cours de la même période (voir annexe A pour le détail des statistiques)[3]. Cette hausse de la superficie des fermes est vue comme une façon d’accroître la rentabilité puisque, selon certains témoins, elle permet aux agriculteurs de profiter des avantages qu’offrent les économies d’échelle.

À l’heure actuelle, les exploitations agricoles prennent de l’expansion parce que c’est le seul moyen d’être rentable [...] les économies d’échelle nous permettent d’y arriver.[4]
[…] tout se joue dans la réalisation d’économies d’échelle. Ce n’est un secret pour personne. Ce n’est pas toujours mieux de produire plus, mais c’est ce que nous devons faire pour payer nos comptes; nous devons réaliser des économies d’échelle[5].

Toutefois, la concentration qui s’opère dans le secteur agricole ne doit pas faire perdre de vue l’importance de conserver aussi des petites fermes.

Les petites fermes qui ont du succès sont nombreuses […]. Beaucoup d’entre elles commercialisent directement leurs fruits et légumes, il y a les jardins potagers et ainsi de suite, et l’agriculture rapporte à ces gens-là en fait.[6]

D’ailleurs, les petites exploitations, comme les grandes, contribuent à la vitalité des communautés rurales. Comme l’a mentionné M. Doug Scott, elles permettent aussi aux jeunes agriculteurs de lancer leur carrière[7]. Par ailleurs, les plus vieilles exploitations fortement capitalisées, par leur présence et leur capacité à surpayer la terre et les actifs, peuvent créer un obstacle à l’entrée des jeunes agriculteurs dans le secteur agricole.

Les témoins ont aussi reconnu que les économies d’échelle, la tendance à la concentration et la nécessité de rester compétitif à l’échelle nationale et internationale sont autant de facteurs qui incitent les producteurs à investir dans leurs opérations. Par conséquent, l’agriculture nécessite une capitalisation de plus en plus forte. Les producteurs doivent investir dans les bâtiments, la machinerie et l’équipement nécessaires pour devenir plus efficients et satisfaire le consommateur qui réclame des denrées à faible prix. Les conditions du marché font également gonfler la valeur des actifs comme la terre et les quotas. De telles situations peuvent créer des difficultés pour les jeunes agriculteurs puisque l’accroissement de la valeur des actifs n’est pas toujours accompagné de revenus suffisants.

Du côté de la demande, les consommateurs sont de plus en plus exigeants en ce qui concerne la qualité et la salubrité des aliments et les pratiques écologiques. Répondre à ces exigences est un défi pour les agriculteurs canadiens qui doivent aussi adopter des nouvelles technologies, améliorer leurs pratiques agricoles et se conformer aux normes et à la réglementation. Cette adaptation entraîne des coûts de fonctionnement plus élevés que les producteurs sont prêts à engager. Alors que les fermes prennent de l’ampleur et nécessitent plus de capital et de haute technologie, l’image que se fait la société de l’agriculture ne colle plus à la nouvelle réalité. Les témoins ont dit être conscients de la rupture entre la population, en général, et le milieu agricole : de nombreuses personnes ne savent pas d’où proviennent les aliments qu’elles consomment ou n’ont aucune idée de ce qu’est l’agriculture.

Comme beaucoup de consommateurs ne comprennent pas ce qu’est l’agriculture, de nombreux producteurs — principalement des agriculteurs dont les produits ne sont pas soumis à la gestion de l’offre — ne réussissent pas à obtenir des prix plus élevés pour tenir compte du coût croissant de la production et ils déplorent cette situation.

Les gens veulent la meilleure qualité au prix le plus bas[8].
Je crois qu’il y a un autre élément important au Canada : c’est la mentalité des consommateurs, qui veulent payer leurs aliments moins cher. Je sais que dans d’autres pays où la norme de qualité des aliments est élevée, comme au Canada, les consommateurs sont prêts à l’assumer. Nous devrions mieux renseigner les consommateurs à ce sujet et leur montrer les normes canadiennes, pour qu’ils acceptent d’en assumer le coût[9].
[…] cela nous amène à nous demander pourquoi nous continuons de nous battre pour produire des aliments sains et de grande qualité pour des gens qui ne valorisent pas les aliments locaux et ne les apprécient pas[10].

D’après les témoins, les consommateurs recommencent à vouloir savoir où et comment les aliments sont cultivés. En ce qui concerne les marchés de niche, les producteurs souhaitent produire des aliments certifiés ou mettre au point des projets d’alimentation locale qui leur permettront d’obtenir des prix équitables sur le marché.

Nous avons effectué des études de marché et des tests auprès des consommateurs, et nous comprenons qu’il y a actuellement une très grande volonté de la part des consommateurs d’acheter des produits locaux et des produits de la Colombie-Britannique[11].

Bien que les agriculteurs soient des preneurs de prix et que les demandes des consommateurs entraînent l’accroissement des coûts de production, les témoins ont dit comprendre que ces besoins peuvent offrir de nouveaux débouchés en matière de technologie verte et de marchés à créneaux. D’ailleurs, la production d’« énergie de remplacement » est vue comme une façon de diversifier les sources de revenu des agriculteurs.

Une autre solution pour l’industrie agricole qui profiterait à tout le monde ainsi qu’à l’avenir de l’industrie agricole, c’est l’énergie verte. Il est toujours profitable d’avoir une autre source de revenus pour payer les coûts annuels de production de plus en plus élevés. Des digesteurs à méthane, des éoliennes, des panneaux solaires, des matières solides obtenues à l’aide de presses et des fibres non décomposées n’en sont que quelques exemples[12].

Les témoins ont reconnu que pour être concurrentiels dans une économie plus mondialisée et profiter des nouveaux débouchés, ils doivent avoir des compétences de gestionnaire et les nouveaux agriculteurs doivent traiter leur exploitation comme une entreprise. Pour réussir de nos jours dans le secteur agricole, il faut des compétences bien différentes de celles observées il y a deux générations, et les producteurs sont conscients de ce changement :

Je vais même aller un peu plus loin et remonter jusqu’à l’époque de mon grand-père, où celui qui travaillait le plus fort avançait dans la vie. Autre changement, c’est que quiconque trouvait moyen d’être plus efficace réussissait. Aujourd’hui, dans ma génération, la réussite sourit à celui qui sait s’adapter à la technologie, à celui qui sait voir au-delà des problèmes terre à terre du quotidien. Un pistolet-graisseur et des clés dans les poches ne suffisent plus; il faut compter aussi sur l’agronomie et le savoir-faire agricole. Il est pratiquement impossible d’entrer dans le jeu à moins d’avoir les deux. Plusieurs éléments nous divisent au niveau de la rentabilité : le marketing, les accords commerciaux, et même dans le cas d’une multinationale, les partenariats. Ce n’est pas la peur d’affronter de nouveaux défis... des technologies qui vont du pourcentage de variation de l’imagerie satellite, que nous utilisons sur nos fermes, jusqu’au guidage par cinématique en temps réel, le RTK[13]. Ce sont de petites choses auxquelles nous nous adaptons et qui font une différence aujourd’hui. Il faut s’appuyer sur l’informatique et la technologie pour aller de l’avant. Nous devons compter aussi sur d’autres éléments importants, essentiels pour simplement entrer dans le jeu[14].

L’agriculture possède toutes les qualités pour être un choix de carrière stimulant et intéressant parce qu’elle exige un esprit d’initiative et des compétences de gestionnaire, ainsi que le recours à des connaissances et des technologies de pointe pour cultiver des produits, et parce qu’elle offre un mode de vie unique et le sentiment réconfortant d’alimenter la planète.


[1]              Dylan Jackson, le Comité, Témoignages, réunion n17, 3e session, 40e législature, Wiarton, Ontario, 4 mai 2010, 0850.

[2]              Statistique Canada définit un exploitant agricole comme étant une personne responsable de prendre des décisions de gestion quotidiennes nécessaires à la bonne marche d’une ferme de recensement ou d’une exploitation agricole. Jusqu’à trois exploitants agricoles peuvent être inscrits par ferme.

[3]              Statistique Canada, certaines données chronologiques du Recensement de l’agriculture, « Section 1 — Un portrait statistique de l’agriculture, Canada et provinces : années de recensement 1921 à 2006 », tableau 1.1.

[4]              Barb Stefanyshyn, le Comité, Témoignages, réunion n14, 3e session, 40e législature, Lanigan, Saskatchewan, 28 avril 2010, 1310.

[5]              Brian Lewis, le Comité, Témoignages, réunion n16, 3e session, 40e législature, Ilderton, Ontario, 3 mai 2010, 1330.

[6]              Doug Scott, le Comité, Témoignages, réunion n13, 3e session, 40e législature, Crossfield, Alberta, 27 avril 2010, 0755.

[7]              Ibid.

[8]              Joe Bouchard, le Comité, Témoignages, réunion n15, 3e session, 40e législature, Portage la Prairie, Manitoba, 29 avril 2010, 0910.

[9]              Kerry Froese, le Comité, Témoignages, réunion n12, 3e session, 40e législature, Kelowna, Colombie-Britannique, 26 avril 2010, 1030.

[10]           Tim Ansems, le Comité, Témoignages, réunion n21, 3e session, 40législature, Wolfville, Nouvelle-Écosse, 12 mai 2010, 1115.

[11]           Christine Dendy, le Comité, Témoignages, réunion n12, 3e session, 40législature, Kelowna, Colombie-Britannique, 26 avril 2010, 1125.

[12]           Karl Von Waldow, le Comité, Témoignages, réunion n20, 3e session, 40e législature, Sussex, Nouveau‑Brunswick, 11 mai 2010, 0900.

[13]           Le RTK, ou guidage par cinématique en temps réel, est un système de guidage qui utilise un signal satellite GPS et un deuxième signal d’un point fixe sur terre, habituellement une tour de transmission qui corrige les erreurs et permet d’atteindre une plus grande précision.

[14]           Brad Hanmer, le Comité, Témoignages, réunion n14, 3e session, 40e législature, Lanigan, Saskatchewan, 28 avril 2010, 1600.