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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 043 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 9 décembre 2014

[Enregistrement électronique]

  (1535)  

[Traduction]

    Bon après-midi, chers collègues.
    Pour continuer notre étude sur la défense nord-américaine, nous accueillons deux témoins à titre personnel: M. Whitney Lackenbauer, professeur, Department of History, St. Jerome's University, et M. Robert Huebert, professeur associé, Department of Political Science, University of Calgary.
    Monsieur Lackenbauer, si vous voulez bien commencer.
    Merci de me donner la possibilité de témoigner devant vous.
    Les changements climatiques, les nouvelles ressources accessibles, les nouvelles routes maritimes, les différends frontaliers non réglés, les annonces de nouveaux investissements dans les capacités militaires pour défendre la souveraineté — il n’est pas étonnant que l’Arctique ait soulevé autant d’intérêt et suscité autant de perceptions erronées au cours de la dernière décennie, engendrant d’éternels débats sur la question de savoir si l’avenir de la région sera voué à la coopération ou condamné à une concurrence débridée et à des conflits.
    Les évaluations des observateurs diffèrent quant à la probabilité des développements ou le moment où ils se feront; leurs points de vue sur les questions générales en matière de gouvernance et au plan géopolitique sont aussi divergents. Certaines personnes, comme moi-même, font valoir que le régime de l’Arctique est bien ancré dans la coopération. D’autres, notamment M. Huebert, s’attendent à une hausse de la concurrence et des conflits.
    Ces cadres sont très importants pour façonner les attentes du gouvernement du Canada et, surtout, des Forces armées canadiennes. Si l’on estime que la région est au bord du conflit, alors les ressources constabulaires sont insuffisantes. Par contre, dans les déclarations militaires officielles, les dirigeants disent ne s’attendre à aucune menace militaire conventionnelle, mais plutôt à une hausse des défis au plan de la sûreté et de la sécurité; ils indiquent aussi le besoin de ressources adaptées à un rôle de soutien dans un cadre pangouvernemental, idées dont vous ont fait part le général Beare et le général Loos il y a quelques mois.
    Au lieu de faire une avalanche de nouveaux investissements dans les capacités de combat pour réagir à une menace de crise au plan de la sécurité, comme Rob voudra peut-être nous le faire croire, les cadres officiels donnent aux Forces canadiennes les conseils utiles et judicieux dont elles ont besoin pour aider d'autres ministères à composer avec les questions de sécurité et à intervenir en cas d’urgences non militaires dans l’Arctique.
     Bien que d’autres programmes d’immobilisations coûteux se trouvent toujours au stade de la définition de projet ou de la conception, ou ont été réduits comme dans le cas de Nanisivik, cela ne signifie pas que le Canada accuse, au plan des capacités de combat, des lacunes importantes qui nous rendent vulnérables dans un contexte arctique de plus en plus hostile. Il est prudent et rationnel d’honorer les investissements promis dans le contexte de la stratégie nationale pour l’Arctique avant de se préparer rationnellement à combattre un fantastique ennemi qu’on aurait évoqué à cause d’idées préconçues datant de la guerre froide et d’événements internationaux sans lien avec les différends dans l’Arctique.
    Mon premier argument porte sur les événements internationaux et les évaluations des risques. Il est important pour les commentateurs et analystes d’envisager les pires scénarios. Cela permet de cerner les risques et faiblesses potentiels au plan militaire. En accordant une attention excessive à de vagues éventualités et en les cernant à tort comme des probabilités, l’on risque de mal affecter les ressources, tant intellectuelles que matérielles. Cela peut finir par susciter des soupçons et de la paranoïa injustifiés. Ce sont précisément ces messages qui pourraient nous placer devant un dilemme au plan de la sécurité.
    Malgré tout l’encre qui a coulé concernant les différends frontaliers et l’incertitude entourant le tracé du plateau continental étendu dans l’Arctique, les déclarations officielles de tous les États de l’Arctique sont promptes à dissiper le mythe que ces questions comptent d’importants éléments de défense. Ce n’est pas le cas. En dépit de toutes les levées de boucliers avec la Russie concernant la dorsale Lomonosov et le pôle Nord, qui génèrent des grands titres accrocheurs dans les deux pays, il est simpliste et erroné de tracer des parallèles entre l’agression de la Russie en Ukraine et l’établissement des limites extérieures de ses droits souverains dans l’Arctique.
    La crise ukrainienne a montré que les politiques de l’Arctique ne sont pas à l’abri des événements internationaux. Nous devons bien faire la distinction entre les menaces pour la sécurité mondiale et les menaces pour la sécurité de l’Arctique. L’Ukraine a des implications plus vastes pour l’OTAN et la sécurité mondiale, mais je pense qu’il n’y a pas lieu de voir un lien direct entre ce qui se passe en Ukraine et les intentions des Russes dans l’Arctique. On a vraiment tendance à confondre les menaces internationales et les menaces particulières dans cette région.
    Bien entendu, l’aventurisme russe a une incidence importante sur le Canada et la défense. Je veux insister sur le fait que je ne le vois pas comme une question relative à l’Arctique. Le pays qui a le plus à perdre si cette région est instable est la Russie. Les Russes devront faire face à des défis de taille au cours des prochains mois si les prix du pétrole et du gaz restent à leurs niveaux actuels.
    Malgré l’hostilité diplomatique qu’a créé l’annexion de la Crimée par les Russes, rien n’indique que la Russie ou tout autre État de l’Arctique ait l’intention de déroger du cadre international existant pour faire valoir ses droits souverains ou justifier des revendications juridiques.
    Les possibilités associées aux ressources arctiques enflamment aussi l’imagination et nous portent à échafauder des scénarios sensationnels peu réalistes de concurrence débridée pour les droits et le territoire arctique. Malgré la richesse des ressources de cette région, il n’y a pas lieu de craindre une course à l’armement entre États circumpolaires en vue d’un conflit causé par les ressources naturelles.
    L’on ne mène pas les activités d’exploration dans un vide juridique dans lequel les États pourraient éprouver le besoin de se disputer l’accès aux ressources et leur contrôle. Chaque État arctique côtier s’est dit intéressé à encourager l'exploitation responsable des ressources sur son territoire conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Tout ce qui en déroge créerait de l’instabilité; cela nuirait donc aux investissements et ralentirait le développement, ce qui est contraire aux intérêts que les États de l’Arctique ont manifestés.
     La meilleure façon de protéger l’Arctique dans ce contexte est sans doute de clarifier la réglementation environnementale, par exemple les exigences en matière de forage, les lois relatives à la responsabilité corporative et les intérêts des peuples autochtones, pas une fixation sur l’aspect militaire.
    Bien entendu, toutes les discussions concernant le développement des ressources restent toujours très hypothétiques. Les scénarios changent constamment. Le prix du pétrole et du gaz ces derniers mois montre bien la subjectivité et l’instabilité des tendances en matière de développement de l’Arctique face à l’offre et à la demande dans le marché mondial.
     Il est aussi important de noter que les États-Unis sont arrivés à des conclusions très semblables à celles que je vous présente et auxquelles le Canada est aussi arrivé. La stratégie pour l’Arctique du département de la Défense des États-Unis énonce que, compte tenu du contexte financier lamentable dans ce pays, il n’est pas surprenant que les politiques étatsuniennes soient hésitantes et évasives en ce qui touche les investissements dans l’Arctique, car on est très incertain de la nature des développements dans la région et du moment où ils se concrétiseront. Ils répètent que les investissements prématurés et non nécessaires, incités par des raisonnements réactionnaires, détourneront les ressources de priorités plus urgentes. La stratégie pour l’Arctique fait aussi la mise en garde que voici:
Le fait de prendre des mesures trop énergiques pour répondre aux futurs risques prévus en matière de sécurité pourrait susciter de la méfiance et des malentendus et engendrer pareils risques.
     Alors les États-Unis ont une stratégie pour l’Arctique et une feuille de route pour la marine dans cette région; elles adoptent plutôt une définition très générale de la sécurité qui fait allusion aux avantages de partager le fardeau entre agences et avec les partenaires internationaux. La feuille de route de la marine des États-Unis prédit que la région restera « un environnement de sécurité à faible risque » dans « un avenir prévisible ». Pour atteindre la paix et la stabilité recherchées, le rapport insiste sur le besoin d’investir dans le partenariat unique et durable dont les États-Unis jouissent avec le Canada.
    La raison pour laquelle je soulève ce point devant un comité parlementaire canadien est que, une fois que nous allons au-delà de notre dialogue très limitatif sur la souveraineté, nous commençons à vraiment voir que les intérêts et priorités canadiennes et étatsuniennes dans l’Arctique, particulièrement en ce qui touche la défense et la sécurité, sont très bien alignés. Nous avons un partenariat de longue date, sous la forme du NORAD, et toutes sortes d’autres relations bilatérales solides qui nous permettent de gérer conjointement la défense dans la région.
    Malgré les pressions exercées dans certaines sphères canadiennes pour nationaliser la défense de l’Arctique canadien, comme si le fait de collaborer avec des alliés étatsuniens diminuait notre souveraineté, je pense qu’il ne faut pas raisonner ainsi, car on risquerait grandement de mal affecter les ressources pour renforcer en quelque sorte nos capacités de défense indépendantes dans l’Arctique en vue de répondre à une menace pour notre souveraineté qui n’existe pas aujourd’hui et qui n’a pas vraiment existé depuis les premiers jours de la guerre froide. Pendant la période de questions, nous pourrons faire le lien avec les capacités et les programmes potentiels comme les navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique et autres.
     Il est aussi très utile pour le Canada de gérer les questions dans le cadre d’une relation bilatérale plutôt que dans le cadre plus général de l’OTAN, car cela fait en sorte qu’il soit plus facile de gérer les désaccords concernant le statut des eaux de l’archipel arctique du Canada de façons qui, autrement, seraient beaucoup plus difficiles ou même impossibles à faire dans un comité plénier.
     La collaboration avec les alliés est primordiale, les documents stratégiques canadiens – comme leurs équivalents étatsuniens – insistent pour dire qu’il n’y aura pas de menace militaire concevable dans un avenir proche et que nous devrions surtout nous attacher à la sûreté et à la sécurité. Il est clair que les cadres stratégiques générés par les Forces canadiennes mettent explicitement l'accent sur les aspects sécuritaires des opérations; le général Beare vous en a parlé.
    Cela signifie ou suppose une approche pangouvernementale ou globale en reconnaissance du fait que ce sont souvent d’autres ministères ou organismes gouvernementaux qui sont responsables des questions de sûreté et de sécurité. Le point dont la plupart des commentateurs dans les médias et le milieu universitaire ne tiennent pas compte est la quantité de travail qu’on a accompli pour clarifier et rationaliser les relations entre les ministères concernés.

  (1540)  

    Le ministère de la Défense nationale dirige certainement en arrière-plan, mais il joue un rôle de soutien. Les activités menées dans le cadre d’exercices pangouvernementaux comme l’Opération Nanook et de mécanismes comme le groupe de travail sur la sécurité de l’Arctique se font souvent à l’abri du regard des politiciens et des membres du public, mais je dirais que ces relations sont absolument essentielles pour nous permettre de répondre efficacement et de façon appropriée aux types de dangers et de menaces que nous verrons probablement dans un avenir proche.
     Parlant de relations, il serait négligent de ma part de ne pas mentionner l’une des pierres angulaires les plus uniquement canadiennes de notre défense de l’Arctique: les Rangers canadiens. Pour être honnête avec vous, je suis le lieutenant-colonel honoraire du 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens. Les Rangers sont un bon exemple de cas où il est essentiel que les capacités modestes soient ancrées dans les collectivités, dans les relations avec les habitants du Nord. Pour bien agir dans ces régions, ces relations sont primordiales. Les Rangers servent, depuis longtemps, de multiplicateur de force pour les unités méridionales qui doivent monter et fonctionner dans un environnement très austère et difficile. Ils forment aussi un pont crucial entre les collectivités de l’Arctique et d’autres éléments des Forces canadiennes, et je les mentionne parce qu’ils représentent une initiative phare du premier ministre Harper. Leur nombre a été haussé à 5 000, mais nous ne devons pas non plus oublier que l’expansion ne se résume pas à un chiffre sur un bout de papier. Pour accomplir leur mission, il leur faut aussi être appuyés par des instructeurs et du personnel au quartier général.
    Alors en terminant, les déclarations politiques sont souvent faites dans une atmosphère passionnée dans laquelle, oui, nous nous sommes vivement opposés à l’expansionnisme russe en Europe. Certains de ces commentaires se rapportent peut-être aux arguments que Rob va présenter concernant la probabilité d’un conflit dans l’Arctique. Cependant, je crois qu’il est très important que les priorités régionales et les évaluations des menaces qui ont sous-tendu la défense de l’Arctique et les cadres de sécurité au cours de la dernière décennie au Canada restent solides. Notre approche pangouvernementale conçue pour prévoir les scénarios de sécurité dans lesquels des combats ne sont pas nécessaires, s’y préparer et intervenir ne devraient pas être détournée par un retour en arrière vers la guerre froide.
    Merci.

  (1545)  

    Merci, monsieur Lackenbauer.
    Monsieur Huebert, vous avez 10 minutes.
    Premièrement, je suis ravi de pouvoir être ici pour vous parler d’un sujet d’une importance aussi capitale pour le Canada.
    Mes remarques partiront du principe que nous sommes actuellement témoins d’une transformation fondamentale de l’environnement de sécurité de l’Arctique. De bien des façons, les types de transformations que nous voyons en ce moment sont semblables à ceux que nous avons observés à la fin de la guerre froide; ils sont tout aussi puissants qu’eux et que les facteurs qui y ont mené, bien sûr. J’aimerais soulever trois points importants pour expliquer les ramifications de cette transformation pour le Canada.
     Le premier, bien entendu, est l’élément fondamental, ce qui est à l’origine de ce changement et pourquoi nous devrions le voir comme étant à long terme, déstabilisant et crucial pour les intérêts du Canada.
    Mon deuxième point portera sur certains indicateurs de ce changement. Qu’est-ce qui nous dit que ce ne sont que des mots? Qu’est-ce qui nous dit qu’il ne s’agit pas de rhétorique, que ce que nous voyons dans la région de l’Arctique est, en fait, une transformation du régime de sécurité et que, bien que j’aimerais pouvoir partager la vision optimiste de M. Lackenbauer concernant la coopération et le progrès, les indicateurs, du moins l’interprétation que j’en fais, me disent malheureusement autre chose.
     Le dernier point, et selon moi le plus important, est celui de savoir où se trouvent les points de pression. À quoi le Canada doit-il porter attention à long terme et qu’est-ce que cela signifie au plan des types d’intervention que nous devons prévoir?
    Quatre facteurs importants expliquent les raisons pour lesquelles nous sommes témoins de cette transformation. Le premier, et celui qui a suscité le plus d’attention, est bien sûr l’incidence des changements climatiques. La réalité d’une calotte glaciaire qui ne sera probablement plus permanente sera celle que nos enfants connaîtront. C’est quelque chose que les humains n’ont jamais vu.
     Il y a aussi la reconnaissance de nouvelles ressources. Je ne suis pas d’accord avec mon savant collègue, car j’estime que les ressources sont exploitées. Lorsque nous prenons la production de diamants seulement dans les Territoires du Nord-Ouest, nous constatons que les ressources ont déjà commencé à être exploitées. Le projet minier Mary River a amorcé la production de ce qui sera probablement la plus grande source de minerai de fer au monde, point final. Alors l’exploitation a déjà commencé.
    Le troisième facteur est l’intérêt de la communauté internationale. Le fait que les Chinois, les Japonais et les Sud-Coréens ont tous maintenant un très grand intérêt pour l’Arctique, tout comme bien des Européens, montre aussi la nature changeante du secteur.
    Mais peut-être que le point le plus crucial et celui qui, selon moi, est le plus négligé, est l’importance stratégique croissante de l’Arctique pour les Américains et les Russes qui va bien au-delà de tout ce qui concerne la situation actuelle en Ukraine. Elle représente plutôt des intérêts stratégiques de base qui, sans égard aux changements climatiques et à l’exploitation des ressources, seront le défi fondamental auquel le Canada devra faire face.
    De quels indicateurs disposons-nous? Nous pouvons aborder la chose en fait de politiques. Jusqu’à 2006, aucun pays de l’Arctique n’avait de politiques en matière de sécurité pour cette région, alors que maintenant, ils en ont tous. Évidemment, tout le monde est très positif au début et affirme son intention de coopérer et d’y maintenir la paix, etc., mais ils concluent tous leurs déclarations en affirmant qu’ils sont prêts à défendre leurs intérêts nationaux unilatéralement si nécessaire. Alors c’est un commentaire rhétorique à double sens.
    Cependant, nous voyons aussi clairement qu’il y a des développements de forces. Les Russes, surtout à partir du début du deuxième mandat de Poutine, ont commencé à revigorer leurs capacités stratégiques de dissuasion axées sur la capacité de leurs sous-marins, tant leurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins que leurs sous-marins nucléaires. Bien sûr, pour des raisons géographiques, ils doivent se situer dans le Nord. Les Russes ne stationnent pas leurs vieux sous-marins sur leur côte du Pacifique, même s’ils affirment les traiter tous également. Ce n’est simplement pas ce qu’ils font dans les faits.
    Nous constatons que les Américains développent leurs capacités stratégiques, notamment leurs capacités anti-stratégiques, en Alaska. Alors nous voyons des indicateurs qui vont au-delà des simples questions constabulaires dans l’Arctique; il s’agit plutôt d’importants indicateurs stratégiques.
    Nous sommes aussi témoins de la tenue d’exercices dont nous pensions qu'ils avaient pris fin avec la guerre froide. Le Canada a été le premier à lancer ses opérations vers 2002, mais depuis ce temps, des pays comme la Russie, les États-Unis et la Norvège ont régulièrement des exercices l’hiver auxquels participent jusqu’à 10 000 soldats, ce qui représente un effort et une entreprise de taille.

  (1550)  

    Où se trouvent les sources de tension? Qu'est-ce qui devrait nous préoccuper dans un tel contexte?
    La première source de tension, c'est évidemment le secteur pétrolier et gazier. Tout le monde se concentre là-dessus. On parle tous de la ruée vers les ressources. Je suis d'accord avec M. Lackenbauer: en effet, peu d'indices permettent de croire que nous serons aux prises avec un conflit concernant le pétrole. Bien sûr, le prix du pétrole fluctue constamment. Par exemple, d'aucuns soupçonnent que les Saoudiens produisent actuellement des excédents non seulement pour exercer une pression sur la Russie — encore une fois, dans le contexte géopolitique plus large —, mais aussi pour écarter les producteurs indépendants et les industries de moyenne puissance dans le Dakota du Nord qui, selon leurs dires, inondent le marché. Il y a toutes sortes de facteurs géopolitiques intéressants.
    Le problème auquel nous ferons probablement face, c'est la sécurité environnementale. De nombreuses ONG, tant en Russie qu'au Groenland, envoient des militants sur les lieux pour essayer d'arrêter physiquement l'exploration pétrolière. Le défi que le Canada devra relever dans ce domaine se présentera à l'étape du forage pétrolier dans les deltas de Beaufort et du Mackenzie, et je suis tout à fait convaincu que ce sera le cas à long terme. Serons-nous alors prêts à réagir au genre de situation que les habitants du Groenland et de la Russie ont dû subir?
    J'aimerais maintenant aborder les deux enjeux qui, selon moi, représentent les principales sources de tension. Il y a d'abord les ressources halieutiques. L'attribution du fond marin aux termes de l'article 76 ne tient pas compte de la colonne d'eau au-delà des 200 milles nautiques. Lorsque la glace aura disparu pour de bon, beaucoup de chercheurs estiment que les stocks de poissons se déplaceront vers le Nord. Il y a donc lieu de s'attendre à ce que des pêcheurs étrangers souhaitent vivement déménager dans la région. Ajoutez à cela le facteur de la baisse des stocks mondiaux. Des experts de l'Université de Victoria et de l'Université Dalhousie ont déjà sonné l'alarme à propos d'une crise mondiale imminente dans le secteur des pêches. Si les faits montrent bel et bien qu'un stock limité se déplace vers le Nord, nous ferons face — j'ose le dire — au même genre de crise qui nous a opposés aux Espagnols en 1995 et qui a également éclaté entre les Britanniques et les Islandais dans leurs eaux. Il s'agit d'une crise qui surgit de plus en plus souvent à l'échelle mondiale.
    Pour terminer, je voudrais parler de ce qui constitue, à mon sens, le plus grand problème, l'enjeu sur lequel personne ne veut se pencher, mais qui nuira aux intérêts canadiens en matière de défense dans l'Arctique: l'évolution de l'équilibre stratégique dans la région de l'Arctique. Les Russes ont trois besoins stratégiques de base. Le premier, c'est la stabilité nucléaire et, dans notre contexte, cela se traduit par la dissuasion. Leur principale politique de sécurité se résume toujours au maintien de leur capacité de dissuasion nucléaire. Le deuxième aspect important de leur déclaration en matière de sécurité, c'est qu'ils s'opposent à l'expansion de l'OTAN. Le troisième, c'est qu'ils veulent mettre un terme aux systèmes américains de missiles antibalistiques. Voilà donc les trois exigences de base en matière de défense, qui s'appliquent aussi à l'Arctique.
    Pour maintenir et moderniser leur stabilité nucléaire, les Russes reconstruisent leur force sous-marine. D'ailleurs, nous les avons aidés à mettre hors service bon nombre de leurs équipements de l'époque de la guerre froide... dans le cadre de programmes de collaboration que nous avons établis entre la société AMEC et le G... eh bien, ce qui était alors le G8. Aujourd'hui, les Russes reconstruisent ces équipements, qui seront ensuite déployés dans le Nord. Ils reconstruisent les bases qui permettront de protéger leurs infrastructures. Peu importe ce qui se passe dans le Nord, ces mesures viennent intensifier les difficultés auxquelles fait face le Canada.
    La crise qui sévit en Ukraine a été déclenchée, en grande partie, parce que les Russes craignaient que les Ukrainiens se joignent à l'OTAN. Il faut reconnaître que ce n'est pas la première fois que les Russes s'engagent dans une telle activité. En 2007, l'intervention des Russes en Géorgie, de l'avis de nombreux analystes, était attribuable au fait que la Géorgie envisageait ouvertement de se joindre à l'OTAN. En tout cas, nous pouvons croire les Russes sur parole lorsqu'ils affirment avoir des craintes.
    La question sur laquelle on doit s'attarder maintenant, c'est: que se passe-t-il dans le contexte de la Finlande et de la Suède? Ces deux pays songent de plus en plus à la possibilité de se joindre à l'OTAN. S'ils décident de le faire, cela signifie alors que le Conseil de l'Arctique comptera sept pays membres de l'OTAN et un pays non membre de l'OTAN. Cela n'augure rien de bon pour la collaboration future.
    Passons maintenant au troisième aspect, et cela m'amène à ma dernière observation sur le développement des capacités stratégiques américaines dans l'Arctique. Les deux principales initiatives américaines en matière de défense sont, d'une part, l'entretien de la dissuasion et, d'autre part, la protection de la sécurité intérieure, particulièrement la protection contre le risque d'une attaque au missile.

  (1555)  

    C'est là que le NORAD entre en ligne de compte. Chaque fois que les Nord-Coréens font quelque chose pour énerver nos voisins du Sud, les Américains — démocrates et républicains, tous confondus —, ripostent en augmentant le nombre d'intercepteurs dans la phase balistique à Fort Greely, en Alaska. C'est à 70 milles de la frontière canado-américaine du Yukon. Et chaque fois que les Américains agissent ainsi, les Russes et les Chinois interprètent cette mesure comme une attaque dirigée contre eux, et non contre les Nord-Coréens.
    À la lumière de ce qui précède, j'ai du mal à croire que nous nous dirigeons vers une ère de collaboration. J'aurais bien voulu qu'on puisse continuer la collaboration impressionnante des 15 dernières années. Quand on examine la situation au-delà de l'Arctique et qu'on tient compte des impératifs stratégiques des Russes et des Américains — c'est-à-dire des exigences liées aux stocks de poissons —, force est de constater que l'Arctique deviendra un régime moins propice à la collaboration. Ce régime de sécurité internationale en développement sera plus problématique, et la situation s'aggravera encore avant de s'améliorer.
    Merci beaucoup.
    Merci, monsieur Huebert.
    Nous allons maintenant passer à notre premier tour de questions, et chaque intervenant aura droit à sept minutes. Monsieur Norlock, vous avez la parole.
    Merci beaucoup, monsieur le président et, par votre entremise, j'aimerais remercier les témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
    La première question, je l'espère, pourra être répondue brièvement. C'est, en quelque sorte, une réplique de M. Huebert qui s'adresse à M. Lackenbauer, et je remercie d'ailleurs la Bibliothèque du Parlement d'avoir proposé cette question.
    Selon Jane’s Defence Weekly, la Russie est en voie de renouveler « 70 % et plus de son stock d'armes et d'équipement d'ici  2020 ». Le gouvernement russe prévoit en fait augmenter de 32,8 % ses dépenses au titre de la défense en 2015, ce qui représentera la plus importante augmentation annuelle du budget de la défense depuis 10 à 12 ans. En outre, la Russie prévoit accroître ses dépenses militaires jusqu'en 2025. Certains de ces fonds serviront à renforcer ses capacités militaires dans l'Arctique, notamment en construisant de nouvelles bases aériennes et en postant des troupes supplémentaires dans ses régions polaires ainsi qu'en augmentant la taille de sa flotte du Nord. Cela correspond à l'information que M. Huebert vient de nous fournir.
    Comment continuez-vous à défendre l'affirmation selon laquelle il n'y a rien à craindre, notamment en ce qui concerne certaines des dernières politiques expansionnistes de M. Poutine en Europe de l'Est?
    Très bien. Merci d'avoir posé la question.
    N'oubliez pas de laisser du temps à M. Huebert.
    Absolument.
    L'objectif des Russes d'accroître leurs dépenses est, en grande partie, une simple aspiration. M. Poutine a des plans ambitieux, et c'est tant mieux pour lui. Quant à savoir s'il pourra, oui ou non, les financer, je crois qu'il y a fort lieu d'en douter.
    Dans les nouvelles bases aériennes, les Russes sortent des boules à mites les anciennes bases aériennes et les infrastructures de la guerre froide. À mon avis, le redéploiement des troupes n'est que de la poudre aux yeux pour la population russe. Il ne s'agit pas de capacités offensives qui peuvent être déployées n'importe où dans l'Arctique. Où vont-ils aller et que vont-ils saisir? Ils ne peuvent rien faire sans risquer de déclencher la troisième guerre mondiale, ce qui n'est certainement pas dans le grand intérêt stratégique de la Russie.
    En ce qui concerne leur flotte du Nord, ces plans de recapitalisation ont été pris à la légère pendant plus d'une décennie. Les capacités se sont détériorées depuis la fin de la guerre froide. Même si les Russes parvenaient à réaliser leurs rêves les plus fous pour leur flotte du Nord, cette infrastructure ne serait plus que l'ombre d'elle-même. C'est, pour eux, une façon de maintenir leur crédibilité sur l'échiquier mondial.
    Je ne considère pas la flotte du Nord comme étant une capacité dédiée à l'Arctique, même si elle est déployée dans cette région. Une bonne partie des mesures prises par les Russes revêtent un aspect défensif, mais je ne vois là aucune dimension offensive qui devrait inquiéter les Canadiens à ce stade-ci.
    Nos observateurs et analystes surveilleront l'évolution de la situation, et bon nombre de mes conclusions reposent sur l'idée que M. Poutine est un acteur rationnel. Peut-être que certaines de ses actions pourraient soulever des doutes là-dessus.
    Merci.
    Je répondrai qu'il faut examiner à quoi sert l'argent. Si on lit régulièrement la revue Jane et d'autres sources ouvertes, on voit bien que ce ne sont pas que de beaux discours. Les Russes ont déjà remis en état trois nouveaux sous-marins à propulsion nucléaire. À ce qu'il paraît, ils ont eu des ennuis avec le missile, mais ils sont déterminés à y consacrer les ressources voulues. Ils en construisent trois autres au moment où l'on se parle. S'ajoutent à cela deux nouveaux sous-marins d'attaque.
    Quand on entre dans les détails, on constate que ce ne sont pas des paroles en l'air. Les Russes joignent le geste à la parole... et c'est à quoi se résume leur équilibre stratégique. Regardez un peu les investissements qu'ils font.
    Nous savons aussi qu'ils investissent dans leurs capacités aériennes, particulièrement en ce qui concerne les missiles de croisière. Quand on parle d'avions construits en 1958 — les Tupolev 95 —, ça fait rire les gens, mais encore faut-il savoir ce que transportent ces appareils. Cela varie des missiles KH55 aux missiles KH101 et KH102, qui posent le plus grand problème aux forces de l'OTAN.
    Bref, selon moi, c'est tout le contraire. J'entrevois des difficultés. Dans les années 1990, la Russie était une économie de la taille des Pays-Bas, mais aujourd'hui, elle est en train de s'affirmer de nouveau comme une grande puissance. Il y a toutes sortes de défis. Oui, ils ont connu de faux départs. Toutefois, le dévouement dont ils ont fait preuve de 2007 à 2014 compromet leur détermination à reconquérir, un jour ou l'autre, cette capacité militaire.

  (1600)  

     Merci.
    Je crois que M. Huebert a parlé du mouvement des stocks de poissons, phénomène attribuable au réchauffement des eaux du Nord et à la disponibilité d'une alimentation de base — vous savez, les gros poissons qui se nourrissent de plus petits poissons.
    Voici ce que j'en pense. Quand des pays sont en difficulté, surtout dans le cas des régimes autocratiques ou des dictatures, comme la Chine où règne le communisme et où il y a un très grand nombre de bouches à nourrir, les guerres ou les conflits de l'avenir ne porteront pas tant sur le pétrole ou d'autres ressources que sur la nourriture et l'eau douce. Dans cette perspective, il y a d'autres pays qu'on ne doit pas perdre de vue. Je fais surtout allusion à la Chine, ce géant qui dort et qui doit nourrir une classe moyenne en pleine expansion qui voudra plus de viande, plus de légumes et plus de produits auxquels nous, les occidentaux, avons accès et que les Chinois souhaitent également obtenir, j'en suis sûr. Je n'oublie pas non plus la Russie, bien que son économie soit très faible. D'habitude, dans les dictatures, lorsqu'il y a ce genre de situations, on cherche à provoquer des querelles pour faire oublier aux habitants les vrais problèmes auxquels ils font face.
    Commençons par vous, monsieur Huebert, très brièvement...
    Vous avez une minute et demie.
    Divisez-la par deux.
    Monsieur Huebert, puis M. Lackenbauer.
    Nous voyons déjà ce que l'avenir nous réserve.
    Les Russes et les Chinois ont cessé de contribuer à tout effort international visant à créer ce qu'on appelle des zones de protection marine dans l'Antarctique en vue de préserver les stocks de poissons qui s'y trouvent. Le Canada et les États-Unis sont les seuls deux pays à avoir imposé... et à avoir reconnu le problème; avec du recul, ils ont compris ce qui se passe avec les poissons. À l'heure actuelle, il s'agit des deux seuls pays qui appuient des moratoires sur la pêche commerciale dans leurs eaux arctiques. Au Canada, nous n'appelons pas cela des moratoires, mais c'est ce dont il s'agit dans les faits. Voilà autant d'aspects qui nous divisent déjà.
    Je pense que M. Huebert omet pourtant d'expliquer la raison pour laquelle on a décrété un moratoire: il n'y a aucune preuve qui appuie ou qui réfute l'idée selon laquelle il existe des stocks de poissons dans le haut bassin de l'Arctique. Tout le reste est conforme au droit international. Selon moi, les sources de tension, pour peu qu'il y en ait, ne se manifesteront pas dans l'Arctique. Ces types de querelles auront lieu dans les régions où la présence de stocks de poissons ne fait aucun doute, preuves à l'appui. Encore une fois, on parle de situations hypothétiques qui ne se concrétiseront pas avant plusieurs décennies. En imposant le moratoire, nous reconnaissons qu'il n'y a tout simplement aucune preuve, d'une manière ou d'une autre, sur les stocks de poissons. Bien entendu, nous continuerons de surveiller la situation, mais je ne pense pas que cette question mérite toute notre attention à court ou à moyen terme.
    Merci.
    Merci, monsieur Norlock.

[Français]

     Madame Michaud, vous avez maintenant la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins de leurs présentations.
    Ma première question s'adresse à M. Huebert. Monsieur Lackenbauer, si vous voulez compléter par la suite, vous serez le bienvenu.
    Je trouve intéressant qu'on ait parlé de l'impact des changements climatiques au sein de ce comité. C'est un sujet qu'on n'aborde pas très souvent ici, voire jamais. Il y a probablement certaines explications à cela, notamment à cause de la façon dont le gouvernement gère la réglementation du secteur gazier et pétrolier. Toutefois, en ce qui concerne cette question, c'est un autre enjeu.
    La question que j'aimerais vous poser aujourd'hui est la suivante. Selon vous, quelles répercussions les changements climatiques ont-ils sur la sécurité du Canada dans l'Arctique et sur les opérations militaires? Je pense notamment à la fonte des glaces, mais il y a d'autres répercussions.
    J'aimerais entendre votre opinion à propos de ces préoccupations.

[Traduction]

    Il y a deux facteurs.
    D'abord, les changements climatiques ont des répercussions sur la sécurité humaine. Autrement dit, les gens qui vivent dans l'Arctique — aussi bien les Autochtones que les non-Autochtones — se voient obligés de transformer la façon dont ils assurent leur subsistance, et je dirais que cela se fait à une échelle sans précédent. C'est une transformation totale et absolue de leur mode de vie, qui s'accompagne aussi d'autres facteurs liés à la mondialisation.
    Du point de vue de la sécurité traditionnelle, la réponse est simple: l'accès. Nous aurons à faire face aux allées et venues... de la communauté internationale, comme jamais auparavant. En effet, Franklin n'avait pas pu mener à bien son expédition à cause des impacts des changements climatiques. À l'époque où John Franklin essayait de franchir le passage du Nord-Ouest, la région connaissait une des pires saisons des glaces. Aujourd'hui, c'est l'opposé. Nous observons une diminution des glaces, et les mêmes pressions qui avaient amené John Franklin à essayer de trouver le passage du Nord-Ouest poussent maintenant les Chinois à agir. Regardez ce que font les Chinois au Groenland. Regardez ce qui se passe en Islande. Jetez un coup d'oeil aux nouveaux types de collaboration internationale. Voilà pourquoi je prévois qu'il y aura des défis. L'accès est donc un des facteurs.

  (1605)  

[Français]

    Je vous remercie.

[Traduction]

    Merci d'avoir posé la question. Je suis heureux que vous ayez soulevé un problème qui est un peu plus immédiat que bon nombre des autres sujets de discussion.
    En ce qui concerne les menaces et les dangers, sachez que les évaluations de menaces militaires qui sont effectuées dans l'ensemble du gouvernement — du ministère de la Sécurité publique jusqu'à Environnement Canada — mettent beaucoup plus l'accent sur les incertitudes. D'ailleurs, Rob et moi, nous nous rejoignons sur ce point. Il s'agit d'activités liées à la mise en valeur des ressources. Je ne vois pas en quoi l'industrie du diamant se rapporte à la défense, pour reprendre l'exemple donné par Rob lorsqu'il a expliqué pourquoi la situation dans l'Arctique devrait nous inquiéter. Par contre, l'intensification des projets de mise en valeur des ressources présente certainement des problèmes en matière de sécurité publique et de criminalité, ce qui est attribuable à un accès accru. À mes yeux, c'est une question distincte de celle des menaces pour la défense. C'est là une distinction importante qu'on omet souvent de faire. Bon nombre des menaces et des dangers qui sont concrets à l'heure actuelle se rapportent aux conditions changeantes: l'imprévisibilité de gagner sa vie grâce à la chasse dans sa collectivité et de se fier à l'état des glaces pour se déplacer entre les collectivités; l'absence de vagues parce qu'il n'y a pas autant de concentration de glaces dans la mer de Beaufort, ce qui touche les collectivités et aggrave l'érosion côtière; il y a aussi la détérioration du pergélisol. Si je soulève cette question devant le comité, c'est parce que, vu les capacités modestes que le gouvernement du Canada et d'autres gouvernements possèdent dans l'Arctique, on ne tarde pas à faire appel au ministère de la Défense nationale et aux Forces canadiennes, deux entités ayant les capacités nécessaires pour intervenir lors d'une situation d'urgence.
    Quand on songe aux changements climatiques, aux incertitudes et aux impacts locaux réels qui touchent déjà les Canadiens, c'est une façon appropriée de reconnaître et de justifier la nécessité d'améliorer les capacités des Forces armées canadiennes. Ce n'est pas pour livrer des guerres imaginaires dans un avenir fantasque. Nous avons de bonnes raisons de renforcer les capacités maintenant, et ces raisons ont trait à la sécurité communautaire.

[Français]

     Je vous remercie beaucoup de votre réponse très complète et informative. Vous m'amenez ainsi à ma prochaine question.
    Quel serait l'impact des changements climatiques sur le travail des Rangers, qui est un groupe que vous connaissez bien? J'aimerais que vous nous parliez davantage de cet aspect.

[Traduction]

    Certainement. Les Rangers représentent une organisation qui est établie depuis longtemps. Ils sont là depuis 1947. Ils ont réussi à trouver un équilibre tout à fait incroyable entre, d'une part, les dimensions de leur mandat ayant trait à la sécurité nationale et, d'autre part, la protection des intérêts des collectivités.
    C'est sûr que leurs opérations courantes posent des défis, comme c'est le cas pour tous les autres habitants du Nord quand il s'agit de mener des activités sur le terrain. Il y a plus d'imprévisibilité, et les sentiers... Les cycles saisonniers, jadis bien connus, sont maintenant remis en question. En tout cas, on fait de plus en plus appel aux Rangers pour des opérations de recherche et de sauvetage au sol afin d'épauler la Gendarmerie royale du Canada. Quoi qu'il en soit, les Rangers forment un groupe organisé dans les collectivités et, à ce titre, ils sont appelés à intervenir de plus en plus souvent. En même temps, les projets de mise en valeur des ressources, entre autres, leur offrent des possibilités d'emploi, ce qui réduit leur disponibilité.
    Dans le cas des Rangers, il faut s'assurer qu'ils ont non seulement les outils nécessaires, mais aussi l'appui des instructeurs et du personnel pour leur permettre de faire leur travail.
    Les Rangers font partie intégrante de la famille des Forces armées canadiennes. Là encore, ce n'est pas parce qu'ils font leur travail depuis des décennies qu'on peut présumer qu'ils seront en mesure de continuer à le faire dans l'avenir, sans aucune aide accrue et sans aucune attention. Je crois qu'ils sont les premiers à constater que bon nombre des menaces, des dangers et des défis associés à la région de l'Arctique du XXIe siècle n'ont rien à voir avec la nécessité de leur fournir de nouveaux outils dignes des membres de la Première réserve et de les préparer à livrer des guerres; il s'agit plutôt de répondre adéquatement aux défis auxquels ils font face sur le terrain.

[Français]

    Merci beaucoup.
    Je vais aborder un sujet différent.
    Récemment, le directeur parlementaire du budget a publié un rapport sur les navires de patrouille extracôtiers dans l'Arctique. Il soulignait dans ce rapport que, malheureusement, il semble que le gouvernement ne soit pas en mesure de respecter sa promesse de fournir de six à huit navires de ce type à un coût de 2,8 milliards de dollars d'ici 2024. Ce ne serait que quatre ou même trois navires, si les délais continuent à s'accroître.
    Selon vous, quelle serait l'incidence d'une réduction potentielle du nombre de navires extracôtiers dans l'Arctique sur les capacités de la Marine dans cette région du pays?

  (1610)  

[Traduction]

    Brièvement, je vous prie.
    L'impact serait assez dévastateur.
    La règle de base pour la marine, c'est que, pour chaque trois navires qu'elle possède, elle peut en déployer un en mer. Cette capacité est là en cas de nécessité, mais quand on parle de réduire le nombre de navires, de huit à environ trois, cela signifie quand même qu'un navire doit être disponible à tout moment. Et il s'agit là, bien entendu, d'un problème de taille en raison de la vaste superficie de la région.
    Avez-vous quelque chose à ajouter brièvement sur ce point, monsieur Lackenbauer?
    Oui. Je suis inquiet, parce que les coûts augmentent d'une année à l'autre, chaque fois que des projets de ce genre sont retardés. Encore une fois, je ne pense pas que notre degré de vulnérabilité augmente du simple fait que nous n'avons pas déployé ces navires avant une date déterminée. En fait, ce serait en contradiction avec ce que je vous ai dit dans mon évaluation générale des menaces, à savoir que nous ne faisons pas face à une menace militaire grave dans la région. Ce qui m'inquiète, c'est que chaque année, des projets de la sorte sont reportés. À force de les remettre à plus tard, il y aura une réduction. Je le répète, ce sont des produits livrables importants. Je crois qu'ils s'inscrivent dans le contexte pangouvernemental. Il s'agit de plateformes très polyvalentes qui jouent un rôle crucial. Ce serait vraiment dommage si elles finissaient par être reléguées aux oubliettes.
     Merci.
    Monsieur Williamson, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Même si je suis tenté de parler du nombre de navires que les Chantiers maritimes Irving... ou que les constructeurs de navires finiront par livrer, je dirais aux fins du compte rendu que nous envisageons d'inviter leurs représentants à témoigner devant notre comité à un moment donné au cours de la nouvelle année, parce qu'ils jouent un rôle important dans la défense de l'Arctique et la protection de notre souveraineté là-bas. Nous aurons ainsi une idée de ce qu'ils prévoient faire.
    Messieurs, merci beaucoup d'être ici aujourd'hui. Vous nous avez dressé un portrait assez intéressant, mais je me demande, monsieur Huebert, où cela nous conduira. Vous avez parlé de la possibilité que le trafic maritime s'intensifie dans le Nord et que les Russes renforcent la présence de leur armée ou de leur marine dans la région. Qu'est-ce que cela signifie concrètement pour la présence canadienne dans l'Arctique, plus précisément dans le passage du Nord-Ouest, à l'intérieur de la limite des 200 milles? Pouvez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?
    Absolument. Il y a deux facteurs, et c'est ce qui tourmentera les stratèges canadiens, parce qu'il faudra se doter des capacités dont M. Lackenbauer a parlé. On aura besoin de capacités constabulaires pour s'occuper de problèmes inévitables liés à la navigation, comme l'échouage, le naufrage... il y a peu d'infrastructures, peu de capacités sur ce front. Nous avons eu beaucoup de chance jusqu'ici pour ce qui est des échouages, car les conditions étaient favorables. Nous n'avons pas eu à nous inquiéter de pertes de vies. Mais nous y serons confrontés un jour ou l'autre.
    Nous aurons donc besoin d'une capacité constabulaire, comme celle qui existe sur les côtes Est et Ouest du Canada. Autrement dit, l'océan Arctique ressemblera beaucoup aux océans Pacifique et Atlantique, mais pour ce faire, il faudra une certaine série de capacités. Toutefois, l'élément le plus difficile — et il s'agit d'un point de divergence entre M. Lackenbauer et moi —, c'est que nous aurons à définir notre orientation stratégique générale. Nous ne pourrons pas contourner, par exemple, la question de la participation au système américain des missiles antibalistiques. Les Américains sont en train de le construire. Cela provoque une réaction, et j'ose affirmer que nous aurons peut-être à suivre l'exemple des Norvégiens, qui envisagent de moderniser leurs frégates existantes pour les doter d'une capacité de missiles antibalistiques. Il s'agit de bons navires, déjà en partant, mais on y intégrera cette fonction. C'est la rumeur qui court pour l'instant.
    La question qui se pose est la suivante: comment peut-on avoir un bras naval et une force aérienne qui peuvent non seulement exécuter les capacités constabulaires quotidiennes — et c'est cet aspect qui attirera le plus l'attention des médias —, mais aussi faire face aux changements stratégiques à long terme? Les Américains s'éloignent de la stratégie de dissuasion nucléaire. Si leur capacité de missiles antibalistiques remporte succès, quoi qu'ils en disent, cela changera l'équilibre. Comme nous partageons le même continent, nous aurons à déterminer ce que cela signifie pour notre position en matière de défense.
    Je m'éloigne un peu du sujet de l'Arctique, mais bon nombre des capacités que nous aurons à envisager seront liées à l'Arctique. Il faudra réexaminer le Système d'alerte du Nord dans le cadre du NORAD et revoir la décision de ne pas participer au système des missiles antibalistiques. Il faudra aussi réexaminer la décision du Canada voulant que nous souscrivions à la position de l'OTAN à l'égard des missiles antibalistiques, ce qui est, à mon sens, quelque peu contradictoire.
    Voilà autant de points d'interrogation qui portent sur les petits et les grands enjeux. Il faudra prendre des mesures en même temps, avec des outils coûteux, ce qui ne sera pas une mince affaire.

  (1615)  

    Monsieur Lackenbauer, avez-vous quelque chose à ajouter?
    Oui, si vous me le permettez. Je crois que certaines des solutions consistent à créer des appareils pour intercepter les éventuels bombardiers russes qui mettront à l'épreuve les frontières. Ils ne transgresseront pas l'espace aérien canadien. Ce serait là un acte de guerre, mais nous devons être à leur hauteur pour démontrer notre détermination défensive. Il n'y a aucun doute là-dessus. C'est un scénario bien établi depuis la guerre froide. Je pense qu'il y a eu des cas de pertes de vie. Il y a quelques années, rappelons-nous, un premier avion s'était écrasé à Resolute; c'est là un parfait exemple. Fort heureusement, nous avions des forces sur le terrain dans le cadre de l'opération Nanook.
    Est-ce un présage de ce qui nous attend? Peut-être bien, mais là encore, il ne s'agit pas de réagir à des idées de renforcement des capacités en vue d'une présumée course aux armements dans l'Arctique; il s'agit de trouver des solutions d'ordre civil. Au fond, ce qui compte, c'est la connaissance de la situation et du domaine maritime dans le contexte des eaux arctiques. Ainsi, nous pourrons non seulement échanger de l'information entre les ministères et les organismes à l'échelle fédérale, tout en reconnaissant que ces questions brouillent les limites entre la sécurité et la sûreté et parfois la défense, mais aussi déterminer s'il y a moyen d'échanger de l'information avec nos alliés, que ce soit le Groenland, le Danemark ou les États-Unis. Dans l'état actuel des choses, il est difficile de recueillir diverses formes de renseignements ou d'informations. À mon avis, plus nous réussirons à avoir une idée de la situation, mieux nous pourrons remplir ces exigences.
    J'essaie de récapituler. Nous devons prendre beaucoup de mesures, sans manquer notre coup: la GRC, le prépositionnement pour les interventions d'urgence, le déploiement de l'équipement partout dans le Nord, la présence de la Garde côtière, la mise à jour de l'installation des radars et un rôle pour la marine. Dites-nous ce que vous en pensez. Aussi, que pensez-vous du rôle du NORAD dans la composante navale?
    Vous avez une minute à partager entre vos deux.
    Le NORAD doit prendre au sérieux l'engagement qu'il a pris en 2006 pour le volet naval. La question est de savoir comment s'y prendre. Comment se procurer les capteurs? Voici le problème auquel nous faisons face actuellement en ce qui concerne le NORAD: étant donné la crise économique qui sévit encore aux États-Unis et leur incapacité politique d'aller de l'avant, nous devrons payer un peu plus que les quelque 10 % que nous avions l'habitude de verser au NORAD. Dans le dossier de l'Arctique et du transport maritime, le Canada doit faire ce qui s'impose, mais il ne faut savoir que cela nous coûtera beaucoup plus que jamais.
    Je suis tout à fait d'accord avec Rob sur ce point, et je pense que les mémoires que vous avez reçus de la part de MM. Charron et Fergusson sont tout à fait pertinents. Le NORAD permettra d'intégrer le composant de surveillance maritime. Il s'agit d'un partenariat très résilient et de longue date qui fonctionne très bien. Voilà un aspect essentiel, et c'est là que nous devons investir nos ressources en collaboration avec notre principal partenaire et allié.
    Merci.
    Monsieur McKay, vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie, tous les deux, de nous avoir fait des exposés bien réfléchis et provocateurs. Je les ai trouvés fort intéressants.
    Selon l'information fournie par la Bibliothèque du Parlement, les dépenses en matière de défense augmenteront d'environ 33 % l'année prochaine, mais il faut dire que 33 % de zéro ne vaut toujours rien. Le rouble est en chute libre, tout comme l'économie russe. Le gouvernement russe se heurte à une vive résistance en Ukraine. La Russie a un accès direct à la Baltique, et l'histoire nous montre que les Russes se plaisent à faire des menaces de guerre. Or, personne n'a jamais été capable de déclencher un conflit dans l'Arctique.
    Je me demande si la précarité de l'économie russe rend cette discussion quelque peu inutile. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas important et qu'on ne doit pas s'y préparer, mais à certains égards, il ne s'agit que d'une crise du jour.
    L'un ou l'autre...

  (1620)  

    Je me lance en premier.
    Je vous répondrai d'emblée que les Finlandais ne seraient pas d'accord pour dire que les Russes ne lanceront jamais d'attaques dans le Nord. La guerre en hiver, c'est un petit peu différent, mais le défi auquel nous faisons face, c'est que peu importe la conjoncture russe... et beaucoup craignent que les Saoudiens inondent le marché pour punir les Russes ou pour appuyer la politique étrangère américaine. C'est un sujet qui revient souvent dans les documents non classifiés. Cette mesure pourrait faire partie de l'ensemble...
    Pourriez-vous m'expliquer cela?
    Étant donné l'importance du pétrole pour la Russie, si on a une offre excédentaire, cela envoie un message très subtil aux Russes: on n'impose peu-être pas de sanctions officielles contre eux, mais s'ils continuent à prendre des mesures hostiles contre l'Ukraine, ils pourront s'attendre à un effondrement des prix du pétrole. A-t-on des preuves tangibles à l'appui? Absolument pas, mais c'est un facteur dont il faut tenir compte et...
    C'est tout un message pour le Canada aussi.
    Je pense que, dans ce contexte-là, nous sommes des dommages collatéraux; regardez ce qui se passe avec les pipelines. Le problème, c'est que les Russes se trouvent dans l'obligation d'intervenir, peu importe les risques de chute libre. Selon eux, une riposte s'impose lorsque l'OTAN se rapproche de leurs frontières. Je dois dire que la Suède et la Finlande font beaucoup de tapage à propos d'une telle éventualité.
    Vous parlez du point de vue historique de la Russie; justement, une des réalités historiques, c'est qu'à partir du moment où les Russes ne se soucient pas du fait que leur économie soit en chute libre, comme c'était le cas sous le régime stalinien, après la purge de 1937-1938, ils n'hésiteront pas à réagir lorsqu'ils estiment que leur sécurité de base...
    Dans un tel contexte, le gagnant est celui qui a le plus gros compte en banque, parce qu'il faut beaucoup d'argent pour déployer des forces. Ce n'est pas comme si on pouvait dépêcher des millions de soldats — littéralement des millions —, sans une gestion compétente, ce qui leur coûterait la vie. Il faut de l'équipement perfectionné, accompagné d'un portefeuille bien garni.
    Bien sûr, Rob dresse un portrait intéressant des Russes, comme s'ils étaient occupés à effectuer ces nouveaux investissements et à construire ces nouveaux sous-marins. À quand remonte au juste la création de ces sous-marins? Dans certains cas, à la fin des années 1990. Les Russes ont mis beaucoup de temps à exécuter une partie très modeste de leur programme de recapitalisation, et leur flotte du Nord n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était durant la guerre froide.
    Donc, toute cette incroyable croissance budgétaire que vous venez de décrire se manifeste aussi sur le plan de leurs immobilisations. Les Russes ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils ont déjà été. À certains égards, si les Russes n'agissent pas, faute de pouvoir se défendre, je crains qu'ils prennent des mesures irréfléchies de peur de se trouver en situation de vulnérabilité.
    Pour l'essentiel, les Russes ont des capacités défensives modestes qui stabilisent la situation et qui leur donnent l'assurance d'exercer un effet dissuasif efficace. Cet argument n'est pas contraire à ce que j'ai fait valoir dans mon exposé, à savoir que l'Arctique se dirige vers une plus grande paix, et ce, depuis la fin de la guerre froide. En fait, les investissements modestes effectués par les Russes dans le secteur de la défense, pour peu que cela plaise à la population nationale, peuvent mener à l'objectif escompté dans l'Arctique: un monde circumpolaire plus stable et plus sûr.
    Il y a quelques années, Frédéric Lasserre a corédigé un article très intéressant, paru dans le Journal of Military and Strategic Studies , où il dément le mythe évoqué par Rob, c'est-à-dire la course aux armements dans l'Arctique. L'auteur de l'article retrace un grand nombre des annonces faites par les Russes pour montrer que la plupart de leurs investissements dans les immobilisations remontaient loin, bien avant le rayonnement international de l'Arctique. Donc, au fond, la remise en question de l'idée d'une course aux armements se prête tout à fait bien, selon moi, à une discussion ou à un débat.
    Toujours sur le plan financier, on sait que la Russie fait face à des difficultés financières de taille. Or, ce n'est pas le cas de la Chine, qui a vraiment des fonds et des capacités.
    J'aimerais savoir ce que vous pensez de la relation entre la Chine et la Russie dans l'Arctique. D'où la question: ne devrions-nous pas nous inquiéter davantage de la présence de la Chine dans l'Arctique plutôt que de celle de la Russie?
    C'est une excellente question.
    Les relations entre les Chinois et les Russes sont de plus en plus complexes. Dans le contexte actuel, les Russes considèrent les Chinois comme leur principale source de ressources. Ils essaient de vendre leurs ressources à la Chine; nous l'avons constaté dans une série d'annonces qui ont été faites.
    D'un autre côté, je pense que les Russes ont clairement indiqué qu'ils sont aussi préoccupés par certaines positions des Chinois à propos de l'Arctique. Les Chinois ne nous ont pas fait savoir officiellement ce qu'ils pensent du statut de la route maritime du Nord et du passage du Nord-Ouest. S'agit-il de voies navigables intérieures ou internationales? Selon moi, les Russes pensent que les Chinois finiront par appuyer la liberté des mers, mais encore une fois, ce n'est qu'une hypothèse.
    Cette relation se développe. Les Russes regardent par-dessus leur épaule. Ils voient également la situation de plus en plus dynamique de la Chine, et je pense qu'ils voient une occasion de se servir des Chinois pour faire contrepoids à l'Occident. Cependant, ils sont conscients qu'ils continuent de représenter un défi sur le plan de la sécurité pour l'avenir et ils doivent assurer un équilibre à ce chapitre par rapport à l'Arctique.
    Pour ce qui est de la menace que constitue la Chine pour la sécurité, il y a beaucoup de spéculations. Tout dépend de la façon dont on veut interpréter la motivation des Chinois. Je sais que M. Lackenbauer dira que jusqu'à maintenant, les Chinois ont tout à fait respecté les règles établies, et j'en conviens, mais ils commencent à exercer une très forte pression sur le plan des ressources dans cette situation. Regardez ce qui se passe au Groenland. Il y a un projet de loi qui vise à permettre à des travailleurs étrangers, à jusqu'à 10 000 travailleurs chinois d'aller travailler dans le secteur minier au Groenland. Je ne sais pas trop ce qui va se produire dans ce contexte après les dernières élections.

  (1625)  

    Merci, monsieur McKay.
    Madame Gallant, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    La Russie a également mis sur pied un commandement de l'Arctique et entraîné des forces spéciales de combat. Sous le gouvernement précédent, à la première notion de menace des Russes dans l'Arctique, nous avions mis sur pied le Régiment aéroporté du Canada et nous pouvions déployer rapidement 500 parachutistes n'importe où dans l'Arctique, jusqu'à ce que le gouvernement Chrétien le démantèle en 1995.
    Nous avons maintenant une force réduite, comme on l'a déjà mentionné. Selon vous, compte tenu de la mise sur pied par la Russie du commandement spécial de l'Arctique et de l'entraînement spécial de combat de ses forces, devrions-nous envisager davantage que ce que nous avons déjà dans l'Arctique?
    Je crois qu'il faut se demander quel est l'objectif de la Russie en ce qui concerne ses forces de combat. Si elle les utilise ou les considère comme des forces expéditionnaires, j'ignore où elles vont aller. Nous avons toujours eu assez de difficulté à maintenir nos propres forces dans notre territoire arctique; l'idée que les Russes puissent parachuter des forces terrestres en territoire souverain canadien et, par le fait même, déclencher la troisième guerre mondiale est un scénario tout à fait improbable, à mon avis.
    Les mesures dans lesquelles nous avons investi ou sur lesquelles nous mettons l'accent — pour la mise en place de groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique appuyés par des capacités dans le sud, exercés dans le nord, et guidés, dirigés et formés par les Rangers canadiens —, selon moi, sont des mesures appropriées pour montrer que nous sommes engagés sur le plan de la défense et pour créer des scénarios d'instruction très intéressants pour les membres des Forces armées canadiennes qui se rendent dans le Nord, acquièrent des connaissances sur leur pays et développent leurs compétences, qu'ils peuvent utiliser partout dans le monde. Elles sont aussi appropriées pour affirmer notre présence, ne serait-ce que pour convaincre les Canadiens que nous faisons quelque chose d'urgent dans la région. Pour moi, c'est suffisant.
    Le démantèlement du Régiment aéroporté du Canada est donc un sujet très intéressant dont j'aimerais beaucoup discuter du point de vue de notre capacité à intervenir dans le cas très improbable d'une incursion russe. Je pense que nous verrions beaucoup d'alliés venir nous soutenir. Mais nous avons certainement les capacités nécessaires pour faire face à toute menace en ce sens.
    Je conviens que les forces terrestres sont de moindre importance. Ce que font les Russes sur le plan des capacités terrestres a davantage à voir avec les activités constabulaires dont j'ai parlé. Nous devons surveiller ce qu'ils font en mer et dans les airs... Cela signifie que nous devons absolument en faire plus au chapitre de notre capacité de surveillance et nous assurer que les programmes comme...
    Quel est le nom du programme associé au dispositif d'écoute sous-marine?
    Surveillance du Nord.
    Nous devons nous assurer que les programmes comme Surveillance du Nord sont adoptés sur le plan de la procédure. Nous devons remplacer les cellules des CF-18 à la fin de leur cycle de vie. Il nous faut donc une surveillance et une capacité d'intervention d'un point de vue aérospatial. Constellation RADARSAT et ce type de systèmes qui sont bien implantés doivent être maintenus et élargis. Autrement dit, notre plan est bon, mais nous devons le mettre en oeuvre.
    Monsieur Huebert, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, vous avez écrit abondamment au sujet du Conseil de l'Arctique, qui est présidé actuellement par le Canada, et des conflits potentiels qui pourraient survenir au sein du conseil entre la Russie et d'autres membres. Quelle a été l'incidence de l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur les relations au sein du Conseil de l'Arctique? Selon vous, des problèmes pourraient-ils se poser lorsque la Russie assumera à nouveau la présidence?

  (1630)  

    Oui et non. C'est la réponse typique d'un universitaire. On a pu continuer d'accomplir du bon travail sur le plan du développement aux niveaux inférieurs. Les Canadiens se souviendront et seront très fiers, à juste titre, des travaux de développement du conseil économique, auxquels participe la Russie.
    Or, les problèmes que nous entrevoyons et qui se concrétisent, malheureusement, comme je l'ai écrit, concernent des questions liées à un contexte politique élargi. Par exemple, nous avons le Traité sur la recherche et le sauvetage dont le Conseil de l'Arctique est très fier, et à juste titre. Les Russes n'ont pas participé à l'exercice cette année. Selon les termes du traité, je crois que cette situation était à prévoir. Ils n'ont pas participé.
    Sous la présidence du Canada, nous avons également créé un groupe du chef d'état-major pour l'Arctique qui devait se réunir. Malheureusement, ce projet a été reporté indéfiniment.
    Nous voyons les efforts déployés pour communiquer, discuter et renforcer la confiance du côté militaire. Je dirais que c'est la conséquence la plus directe au Conseil de l'Arctique. À long terme, il y a la question de savoir ce que feront les Finlandais et les Suédois. Ce sera un enjeu politique plus vaste.
    Merci.

[Français]

     Monsieur Brahmi, vous avez la parole. Vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Professeur Lackenbauer, vous avez parlé du lien qui, selon certaines personnes, existe entre ce qui se passe en Ukraine et le danger réel en Arctique. Ces personnes pensent que cela pourrait avoir des conséquences sur l'Arctique. Je pense que beaucoup de gens sont d'accord avec vous pour dire qu'il n'y a pas de lien entre les deux.
     Selon vous, quelle est la perception de la part de la Russie étant donné que des policiers canadiens forment des policiers ukrainiens, ce qu'on pourrait appeler en anglais avoir des Canadian boots on the ground? Quelle est la perception à cet égard? Est-ce perçu comme un acte agressif ou est-ce une chose qui n'est pas très importante?

[Traduction]

    D'après ce que j'ai vu, c'est intéressant. Le Canada joue un rôle fascinant dans la perception des menaces de la Russie relativement à l'Arctique. Nous sommes considérés par Poutine depuis 2007 comme le pays ou l'État arctique qui s'arme, se reconstruit et se prépare — à faire tout ce que les Russes imaginent que nous pouvons faire en tant qu'acteur révisionniste dans la région —, comme si nous étions le pays qui se prépare à un conflit semblable à celui dont a parlé Rob et le pays à l'origine de cette course aux armements.
    C'est choquant pour les Canadiens. Nous considérons que nous réagissons aux événements qui se produisent ailleurs. On nous présente comme une menace en Russie. Autant les propos de 2009 ou 2010 jusqu'au début de cette année devenaient plus... Le ministre Baird avait même un article de journal, au début de l'année, qui soulignait que même si nous sommes en désaccord avec les Russes sur des questions comme les droits des homosexuels, par exemple, nous nous entendons généralement bien avec eux en ce qui concerne l'Arctique.
    Cela a semblé changer rapidement à la suite de l'agression en Crimée et en Ukraine; le discours a changé. Poutine s'est dit consterné que le Canada associe les questions de l'Ukraine et de l'Arctique et il a déclaré qu'il s'agissait d'un lien fallacieux. On a également continué de véhiculer dans les médias russes que nous confondons à tort deux questions distinctes, du moins dans l'esprit des Russes. Ce qu'ils considèrent comme la réponse à un intérêt nationaliste légitime en Crimée n'est en rien comparable au fait de prendre des mesures offensives dans l'Arctique, alors que leurs intérêts sont purement défensifs. La question de savoir ce que nous en pensons et si nous croyons cela crédible est presque secondaire par rapport au fait que cela s'est enraciné en Russie.
    Quant à la façon dont ils perçoivent l'intervention canadienne dans la crise ukrainienne en général, cela dépasse mon domaine d'expertise, mais j'ai vérifié comment cela se traduit dans les perceptions sur l'Arctique; ils le voient comme un autre exemple, comme l'a dit Poutine, de l'ingérence du Canada dans les affaires des autres. Il a dit que si le Canada avait réagi à une agression dans l'Arctique, la Russie comprendrait, car le Canada est un pays arctique lui aussi. Mais pour Poutine, le Canada, en intervenant en Ukraine — ce que j'appuie, soit dit en passant — va au-delà de son propre mandat ou de sa zone d'intérêt.

  (1635)  

[Français]

     Y a-t-il une différence entre la perception du régime Poutine et celle de la société civile russe? En effet, la Russie a aussi légitimement le droit d'assurer sa protection immédiate. On peut donc comprendre que, à l'instar du fait que les Américains n'acceptaient pas qu'il y ait des missiles à Cuba, il serait difficile pour la Russie d'accepter que la base de Sébastopol fasse partie d'un pays de l'OTAN. Y a-t-il, d'un côté, une différence entre le régime Poutine et, de l'autre, la société russe d'une façon plus générale?

[Traduction]

    Honnêtement, je l'ignore. Je ne suis pas spécialiste des affaires internes de la Russie. Rob pourrait peut-être répondre à cette question.
    Le problème qui se pose en ce qui concerne la Russie et la société civile, c'est que lorsqu'il est question de l'Arctique, nous constatons que Poutine prend des mesures très décisives pour limiter le rôle de la société civile. Nous savons tous, par exemple, que Poutine a pris des mesures radicales contre l'organisation autochtone RAIPON et qu'il l'a faite radier en novembre 2012. Elle a par la suite été réinscrite, mais des rapports révèlent que le gouvernement russe tente maintenant de faire siéger certains de ses représentants à son conseil de gouvernance et à ceux d'autres mouvements de la société civile dans le Nord. Cela semble indiquer que la capacité de faire la distinction entre la société civile en Russie et le gouvernement russe diminue.
    Merci.
    Monsieur Leung, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'estime que beaucoup de ces discussions pourraient être très théoriques si nous examinions la possibilité d'un tel scénario. Nous avons la capacité d'effectuer de la surveillance et d'affirmer notre souveraineté dans l'Arctique. Il est facile d'y placer des installations pour avoir un droit de priorité. Nous ne verrons jamais un autre pays venir planter son drapeau sur notre territoire et dire qu'il le revendique; cela n'arrivera pas.
    Ma question porte sur l'exercice de cette souveraineté. Si des navires japonais, chinois, russes ou scandinaves traversent l'océan Arctique pour venir pêcher, accidentellement ou volontairement, ou s'ils tentent d'emprunter le passage du Nord-Ouest pour raccourcir leurs liaisons commerciales de l'Atlantique au Pacifique, comment faisons-nous respecter notre souveraineté? Pour ce qui est de la société civile, nous pourrions facilement négocier, mais pour les pays avec qui nous ne pouvons pas négocier de traité, comment pouvons-nous faire respecter notre souveraineté dans cette région?
    Eh bien, dans les deux exemples que vous citez, elle doit être exercée différemment. S'il s'agit d'un navire qui emprunte le passage du Nord-Ouest et qui ne respecte pas les lois canadiennes — le système NORDREG et la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques —, il faudrait que nous nous adressions aux tribunaux pour régler le problème. Nous avons dit que c'est ce que nous allions faire, et c'est ce que nous ferons. Nous n'utiliserons pas une force directe pour faire respecter notre souveraineté.
    La question relative à la pêche est plus problématique. Une étude réalisée actuellement à l'Université d'Ottawa tente de déterminer le nombre réel de navires de pêche qui pénètrent dans les eaux canadiennes, en particulier dans le détroit de Davis. Les données RADARSAT laissent croire que cela arrive très souvent. Pour que cela cesse, on doit se rendre carrément sur place pour intervenir. Il devra y avoir une patrouille capable de se rendre dans le détroit de Davis pour s'occuper des Groenlandais, des Féroïens et des autres; nous commençons à croire qu'ils traversent beaucoup plus fréquemment qu'auparavant. Il doit y avoir deux types de régimes d'application de la loi, et les deux doivent être utilisés le plus rigoureusement possible.
    Mais cela signifie-t-il que notre garde côtière doit être soutenue par une force navale?
    Toutes ces réponses... Je ne crois pas que l'on établisse la distinction. On demande souvent: garde côtière ou Marine? À mon avis, en ce qui concerne l'Arctique, cela revient au même et une approche pangouvernementale est nécessaire.
    Je ne suis pas d'accord, car nous avons des mandats, et les ministères et organismes sont censés s'en tenir à leurs rôles. Le seul moyen qui peut fonctionner, c'est de voir cela du point de vue de la défense nord-américaine; les forces armées ont la capacité de collaborer avec tous les partenaires dans le cadre de cette approche exhaustive pangouvernementale qui ne perçoit pas cela comme négligeable d'un point de vue juridique. C'est en fait d'une grande importance.
    Avant que nous soyons confrontés à des situations de crise — et vous parlez de la guerre du flétan en guise d'analogie —, nous avons du temps, puisqu'il n'y a ni crise ni danger évident et immédiat aujourd'hui, d'arranger les relations et de bien faire les choses. Si vous ne devez retenir qu'une seule chose de mes observations, que ce soit l'importance d'instaurer de bonnes relations avant qu'une crise survienne afin de pouvoir intervenir de façon appropriée plutôt que de réagir. Je pense qu'il est très important que les interventions permettent aussi aux membres des Forces armées canadiennes de s'en tenir à leur rôle, d'agir dans les limites de leur mandat et de ne pas être forcés par l'opinion publique ou politique de faire des choses qui vont au-delà de ce à quoi nous devrions nous attendre d'eux en tant que Canadiens.
    Il est primordial pour moi que l'on fasse la distinction entre la sécurité et la souveraineté. Assurer l'intégrité territoriale et la protection du Canada fait évidemment partie du mandat de la Défense et, bien sûr, les militaires s'en occuperont. Mais dans bien d'autres cas, il est important de ne pas confier la responsabilité aux Forces armées canadiennes, sous l'égide de la Défense, d'intervenir en cas de menaces et de dangers qui ne sont pas liés au domaine de la défense.

  (1640)  

    Parlons un peu de retenue. Dans la majorité des pays, il y a une...
    Soyez bref, s'il vous plaît.
    ... il y a une société civile avec laquelle nous pouvons communiquer. Que se passe-t-il si la Corée du Nord essaie de le faire?
    C'est à ce moment qu'il faut avoir la capacité de les repousser. Un point, c’est tout.
    Merci beaucoup de respecter la directive de la présidence.
    Monsieur Sullivan, vous avez cinq minutes, s’il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins.
    Vous avez mentionné plus tôt l'utilisation du passage du Nord-Ouest comme route de transport. Le ministre des Transports pensait il y a cinq ans que c’était extraordinaire et que ce serait une réalité d'ici peu, alors que cette année la ministre a dit — et les mots utilisés lors de la conférence de presse étaient qu'elle avait mis cette idée sur la glace — que le passage du Nord-Ouest ne serait pas une réalité de sitôt. Cependant, comme la banquise fond en raison des changements climatiques, cela s'en vient.
    Qu'est-ce que le gouvernement canadien devra faire en ce qui concerne son armée — ses Rangers, ses militaires et peut-être sa garde côtière — en vue de créer, de maintenir, de surveiller et de défendre adéquatement un passage du Nord-Ouest saisonnier, mais permanent? Le trafic maritime est déjà passablement élevé à partir du port de Churchill; on y transporte environ un demi-million de tonnes de grain par année. On propose aussi de transporter du pétrole à partir de ce port. Certains s'inquiètent grandement que nous n'ayons pas encore suffisamment cartographié l’espace marin dans le Nord canadien pour vraiment savoir ce que nous faisons. En tant que pays, que devrions-nous faire pour nous préparer adéquatement à ce que l'avenir nous réserve?
    Vous avez donné beaucoup d’éléments de réponses dans vos questions.
    Premièrement, en ce qui concerne l’établissement des cartes marines, la garde côtière s'entend généralement pour dire que nous avons cartographié selon des normes modernes environ 5 à 10 % de l’espace marin, ce qui signifie que de 90 à 95 % de l’espace marin n'est pas cartographié adéquatement. Il faut donc le faire. En fin de compte, pour vous donner une réponse rapide, nous devons commencer à traiter l'Arctique comme nous traitons les côtes de l’Atlantique et du Pacifique. Nous devons créer un tel rapport. Il faut un tel régime réglementaire. Le problème que nous devrons surmonter, c'est qu'une vaste partie de ce qui constitue l'Arctique est dépourvue de l'infrastructure que l'on retrouve sur les côtes Est et Ouest. Il faudra donc aussi traiter du problème d'infrastructure, parce que nous aurons un jour de meilleures installations portuaires que ce qu'on retrouve actuellement, par exemple, à Iqaluit ou à Tuktoyaktuk ou à tout autre endroit que nous utilisons comme lieu de refuge. Lorsque les glaces se retireront, nous devrons aborder cette question.
    Un collègue et moi-même avons produit un rapport qui a été publié la semaine dernière et qui s'intitule On Uncertain Ice. Je doute énormément que le passage du Nord-Ouest soit utilisé comme route de transport très achalandée, du moins pour ce qui est de la période pour laquelle nous sommes capables de faire des prévisions. Cela signifie qu'il faut faire la distinction entre le passage du Nord-Ouest, comme on l'entend souvent généralement, soit une route de passage, et les eaux canadiennes dans l'Arctique. En ce qui a trait au port de Churchill et à d'autres activités de réapprovisionnement des collectivités, le trafic de navires augmente, mais il n'y a aucune activité liée à la souveraineté à cet égard. Si des navires entrent dans des ports canadiens ou se rendent dans des collectivités canadiennes, les gens doivent déclarer ce qu'ils font en sol canadien. Il n'y a pas une forte composante liée à la défense quant à bon nombre de ces activités.
    Si d’une certaine manière nous surmontons bon nombre d'obstacles — et il y a encore beaucoup d'obstacles à la navigation dans les eaux canadiennes de l’Arctique, et vous en avez mentionné quelques-uns —, la majorité des activités seront de nature policière. S’il y a de plus en plus d'activités et qu'il y a des menaces, on serait en droit d'espérer que des navires de patrouille extracôtiers et de l'Arctique pourraient être déployés dans la région et qu'un brise-glace lourd viendrait prêter main-forte à nos brise-glaces de taille moyenne en vue d'ouvrir la voie aux forces de l’ordre ou aux agents de l’ASFC ou à toute autre personne nécessaire pour s'occuper de la menace perçue. En grande partie, ce ne seront pas à la base des activités liées à la défense.
    Par contre, lorsque ce sera en fait le cas... les activités sous-marines potentielles. Cela va de soi. Je crois que Rob a déjà mentionné à juste titre le Projet de démonstration de technologies de surveillance du Nord, qui existe maintenant depuis quelques années. Je ne suis pas au courant de ce qui a été obtenu, mais le projet examine les diverses capacités — les moyens sous la surface, en surface et dans l’espace — et regroupe toutes les données générées pour avoir une meilleure idée de la situation opérationnelle. D’après moi, c’est la première étape concernant ce qu’il faut mettre en place: harmoniser la cueillette de renseignements et concevoir les technologies adéquates pour être en mesure de venir compléter ce que nous avons actuellement. Lorsqu’il y aura plus d’activités, même si cela ne représente peut-être pas une menace à notre souveraineté et que je ne prévois pas de transport commercial international de grande envergure en transit dans nos eaux, je crois que nous voudrons tout de même avoir des yeux et des oreilles sur place; avoir les capacités d’intervenir en cas de déversement d’hydrocarbures; avoir des plans en matière de recherche et de sauvetage; et répondre à toute menace qui pourrait planer sur des collectivités canadiennes. Bon nombre de ces menaces ne seront pas liées à la défense.

  (1645)  

    Merci.
    Monsieur Bezan, s’il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie nos témoins d’être venus témoigner devant notre comité et de nous faire part de leurs points de vue très divergents sur la défense, en particulier dans l’Arctique.
    Monsieur Lackenbauer, vous avez dit que votre exposé d’aujourd’hui reposait sur le principe que le président Poutine est une personne raisonnable et rationnelle. Diriez-vous que l’invasion et l’annexion de la Crimée ont été faites par un être raisonnable et rationnel qui agit de manière responsable par rapport à ce qui prévaut sur la scène internationale?
    Non. Par contre, je crois que le risque qu’il peut présenter et peu importe ses motivations... Certains débattent actuellement du caractère intentionnel de tout cela. L’objectif était-il d’avoir accès à des ports de mer et à certaines réserves gazières que la révolution du gaz de schiste aurait permis à l’Ukraine d’aller exploiter et ainsi de faire contrepoids à l’influence de Moscou? C’est passablement le cas.
    Pour répondre à votre question, je ne crois pas qu’il est raisonnable; il est peut-être rationnel. Tout ce que je dis, c’est que Poutine pense probablement qu’il peut poser des gestes en Crimée et s’en tirer, soit des gestes qu’il ne pourrait pas poser ailleurs dans le monde.
    Ce n’est pas la Crimée. Il a déjà déclenché une guerre dans le Donbass, une région de l’Est de l’Ukraine. Des troupes sont massées en Transnistrie, et la situation inquiète réellement la Moldavie. En fin de semaine, des bombardiers Bear russes ont volé à proximité de l’espace aérien de l’Estonie et de la Lettonie et ont été interceptés par des chasseurs CF-18. Poutine et l’armée russe ont effectué plus de 20 sorties en septembre qui ont violé l’espace aérien de l’OTAN et du NORAD, et des appareils russes ont survolé la Suède, ce qui se veut une véritable déclaration de guerre. Ces appareils ont survolé l’espace aérien suédois avant d’être interceptés au beau milieu du pays par un appareil Griffin.
    Il est question ici d’une personne qui n’agit pas de manière rationnelle ou raisonnable et qui joue les fiers-à-bras. Je remets en doute ce que vous avez dit, à savoir qu’il ne représente pas une menace à notre souveraineté.
    Toutes les choses que vous avancez sont vraies pour la région dont vous parlez. Quels sont les risques que Poutine utilise ses tactiques de fiers-à-bras en Arctique, dans un territoire en dehors de la souveraineté de la Russie, un territoire qu’il n’a jamais occupé et sur lequel il n’a donc pas de droits qui peuvent être mal interprétés et présentés à la population russe comme des droits légitimes? Si vous avancez que Poutine est susceptible d’adopter le même état d’esprit sur l’île d’Ellesmere que celui qui l’anime en Ukraine ou relativement aux intérêts en Estonie, je ne suis pas d’accord.
    Je vous donne l’exemple de l’Alaska. Ce territoire a appartenu à la Russie jusqu’en 1870.
    Et ce sera la troisième guerre mondiale, et nous testerons la défense antimissiles balistiques dans les environs de Moscou...
    Je parle des capacités nucléaires de la Russie. Poutine les mentionne tout le temps dans ses discours. Son allocution de vendredi au Kremlin dépassait les bornes et était teintée de propos belliqueux, pour ainsi dire, mais je crois que c'est une personne qui présente une réelle menace, et le Canada doit défendre sa souveraineté.
    Je tiens seulement à le dire aux fins du compte rendu.
    Mon opinion rejoint plus ce qu’a dit M. Huebert. Monsieur, vous avez mentionné être un colonel honoraire des Rangers. Nous avons entendu des témoins nous dire que nous pourrions utiliser beaucoup plus nos Rangers, y compris pour des opérations de recherche et de sauvetage et l'utilisation de véhicules aériens sans pilote.
    J'aimerais vous entendre, messieurs, sur la manière dont les véhicules aériens sans pilote peuvent jouer un rôle dans la défense, la surveillance et les activités de recherche en Arctique, ainsi que la façon d'inclure les Rangers dans tout cela.

  (1650)  

    D’accord. Merci. Je crois que c'est une excellente question.
    Les véhicules aériens sans pilote soulèvent également des défis et des questions techniques. Compte tenu des capacités satellitaires et des GPS à des latitudes très élevées, ce sont des questions scientifiques et technologiques très intéressantes sur lesquelles le Canada peut se pencher. Nous sommes déjà des chefs de file mondiaux en ce qui a trait aux véhicules sous-marins autonomes et j'aimerais voir le Canada jouer un plus grand rôle dans l’utilisation des véhicules aériens sans pilote dans l’Arctique et compléter le tout avec divers systèmes de détection et de surveillance humaine, comme les Rangers, en vue de créer un portrait opérationnel commun et d’être au courant de la situation. J'appuie fortement une telle utilisation; je crois que c'est la voie de l'avenir.
    Le général Loos et le général Beare vous ont certainement parlé des défis liés à la couverture d’un aussi vaste territoire. C’est excellent d'avoir des systèmes sans pilote ou non habités qui peuvent se rendre sur place et effectuer une grande partie des activités de patrouille pour venir prêter main-forte aux Rangers dans leur travail. À mon avis, nous devrions explorer plus en détail cette option, parce qu'elle a des applications utiles en matière de recherche et de sauvetage, sans toutefois perdre de vue que les services de recherche et de sauvetage aériens relèvent du MDN; que les services de recherche et de sauvetage maritimes relèvent de la garde côtière; et que les services de recherche et de sauvetage terrestres relèvent de la police, soit la GRC, dans le Nord canadien. En respectant cela et en reconnaissant que certains systèmes militaires peuvent venir appuyer des mesures en ce sens dans le cadre d'une approche pangouvernementale, je crois que c'est exactement ce que nous devrions faire.
    Les véhicules aériens sans pilote sont la voie de l'avenir. Tout le monde sait que le Nord canadien présente des défis uniques. Il y a notamment la question de la visibilité directe, la faible population, les problèmes liés au relevé de sa position GPS, mais ce sont toutes des questions de nature technique pour lesquelles le Canada trouvera des solutions en temps et lieu.
    Évidemment, le problème est qu'une grande partie de cette technologie est dispendieuse.
    Merci.
    Madame Gallant.
    Merci, monsieur le président.
    Par votre entremise, j’aimerais mentionner que le gouvernement canadien a ouvert un Centre d'instruction des Forces armées canadiennes dans l'Arctique à Resolute Bay, au Nunavut. Le commandant de l'armée a dit que « Le Centre d’instruction dans l’Arctique constitue un exemple concret de la présence accrue de l’Armée dans le Nord canadien. Ce centre procurera à l’Armée canadienne le soutien et les ressources nécessaires pour protéger l’Arctique. »
    Compte tenu des investissements de la Russie dans des bases militaires dans l'Arctique, comme nous en avons déjà parlé, à quel point cet investissement est-il important? Est-ce suffisant? Que pourrions-nous ou devrions-nous faire de plus?
    Eh bien, c'est une première étape cruciale. Personne ne conteste qu'à la fin de la guerre froide nous avons perdu la capacité d'utiliser nos forces terrestres dans le Nord canadien, à l'exception des Rangers, et je tiens à le dire très clairement. Les Rangers ont bien entendu toujours conservé cette capacité. Nous avons tout simplement perdu cette capacité, et nous nous en sommes rendu compte lorsque nous avons recommencé à tenir des exercices dans le Nord canadien. En septembre 2002, les FC ont tenu un exercice, et les gens se sont dit qu'en septembre il n'est pas vraiment nécessaire d'apporter de l'équipement hivernal. Nous avons eu des accidents qui sont passés très près d'être mortels, en raison tout simplement de perceptions erronées concernant l'environnement.
    Notre expérience depuis 2002 démontre clairement que nous devons en fait nous rendre sur place. Quelqu’un a sous-entendu que c'était purement pour des raisons universitaires. Il faut aller dans ce territoire; il faut acquérir de l'expérience sur ce terrain. Par conséquent, la création d'un centre d'instruction à Resolute... En passant, j'aimerais mentionner que les possibilités de collaboration entre les FC et le personnel du Programme du plateau continental polaire sont extraordinaires. C'est ainsi qu'il faut procéder. Il faut avoir une telle collaboration.
    De plus, j'ajouterai que nos alliés nous disent vouloir participer à des exercices avec nous. Voilà également une étape très importante en vue d'améliorer nos relations, comme M. Lackenbauer en a parlé plus tôt.
    Je crois que le centre d’instruction est un bon exemple d'une grande réussite. Le budget prévu était de 62 millions de dollars, mais le centre n'a coûté au final que 25 millions de dollars en collaborant avec le Programme du plateau continental polaire. Ce centre permet l’instruction de nos militaires et la mise en place d’une infrastructure à la fois civile et militaire dont nous pouvons nous servir comme base d'opérations avancée dans le cas très peu probable où nous ayons besoin de déployer des troupes dans la région et d’y mener des opérations durant une longue période. D'après moi, ce centre est une grande réussite.
    Jusqu'à présent, il n'y a pas eu beaucoup de formations données à ce centre. Il est certainement possible d'en faire plus, mais il faut que cela corresponde évidemment aux priorités globales du Canada et à ce que nous voulons faire dans les prochaines années en ce qui concerne nos Forces canadiennes. Mettrons-nous principalement l'accent sur la préparation de nos troupes à des opérations dans l'Arctique? Devrons-nous plutôt intervenir ailleurs dans le monde, comme en Ukraine? Comme je l'ai déjà dit, c'est quelque chose que j'appuie; je reconnais que nous pouvons en faire plus pour défendre le Nord canadien et le reste de notre territoire — la défense nord-américaine — en menant des opérations à l'étranger qu’en adoptant une mentalité de forteresse et en nous concentrant sur notre territoire comme s'il fallait être sur nos gardes aux confins de notre territoire arctique.
    Je crois que nous formons nos troupes, et l’instruction qui est donnée dans ce centre sert à renforcer nos capacités dans l’Arctique, comme Rob l’a dit, et à renforcer la cohésion des petites unités, l’esprit de corps et les capacités individuelles; les Canadiens pourront ensuite se rendre à l'étranger et faire bon usage de l’instruction reçue.

  (1655)  

    Le brise-glace le plus grand et le plus performant de la Garde côtière canadienne, soit le NGCC Louis S. St-Laurent, devrait être déclassé en 2017. La Garde côtière canadienne achètera un nouveau brise-glace polaire qui pourra être utilisé dans l'Arctique durant une plus longue période et dans des conditions plus difficiles que ce qui est actuellement le cas.
    Comment notre nouveau brise-glace se compare-t-il à ce qu’ont les autres nations de l'Arctique? Je rappelle que, lorsque les brise-glaces finlandais ont enfin été prêts à prendre la mer, la Finlande n'en avait plus besoin, parce que les eaux étaient libres. Croyez-vous que c'est important pour le Canada? Comment notre brise-glace se comparera-t-il avec ce qu’ont d'autres pays? Nous retrouverons-nous dans la même situation, à savoir que nous n'en aurons plus besoin lorsque le brise-glace sera enfin prêt?
    C’est une excellente question, mais la situation a depuis évolué. Les Finlandais viennent de débattre de la question de long en large et ont en fait annulé la décision à cet égard. Autrement dit, la Finlande amorcera bientôt une recapitalisation de grande envergure, parce que la diminution des glaces signifie en fait qu'il y en a davantage. C'est paradoxal. Dans un territoire où les glaces fondent, il faut en fait plus de brise-glaces. Je sais que cela semble illogique, mais la Garde côtière canadienne vous dira la même chose.
    En ce qui concerne ce que cela signifie pour le Canada, le Diefenbaker remplacera le Louis St-Laurent. Ce dont nous avons impérativement besoin, c'est de remplacer nos brise-glaces de taille moyenne, soit les véritables bêtes de somme. Ce n'est pas politiquement attrayant. Les gens n'aiment pas parler de l'acquisition de navires de taille moyenne, mais c'est d’une absolue nécessité.
    Pour revenir à votre question, en comparaison, les Russes ont une longueur d'avance. Pour ce qui est des dépenses en immobilisations, ils construisent deux nouveaux brise-glaces de la même trempe que leur plus gros brise-glace, dont c’est le 50e anniversaire. Il s’agit du plus puissant brise-glace au monde. C'est un brise-glace à propulsion nucléaire; c'est ce que nous avions pour habitude d'appeler un Polar 10. C'est un navire très puissant. Les Russes en construisent donc deux nouveaux. Ils construisent également des brise-glaces de taille moyenne pour répondre à l'augmentation bien réelle du trafic transpolaire qui emprunte la route maritime du nord.
    Les Américains se sont embourbés dans une situation que personne n'arrive à comprendre. Ils sont sur le point d'avoir un seul brise-glace en état de fonctionner, voir un et demi s'ils arrivent à faire fonctionner le Polar Sea. Ils se trouvent en situation critique. Les Norvégiens se trouvent à peu près dans la même situation que nous, mais il est intéressant de regarder ce qui se passe du côté de la Chine. Les autorités chinoises commencent à parler d'agrandir leur flotte de brise-glaces. Il sera intéressant de voir si c'est du vent, comme certains le pensent, ou si les Chinois iront de l'avant en ce sens.
    Et le temps est écoulé.
    Pour la dernière minute qui nous reste, messieurs, comme vous êtes là, j’aimerais me prévaloir de mon privilège en tant que président. Nos divers témoins nous ont proposé diverses options en ce qui concerne le NORAD, soit de l'étendre pour en faire un système prêt à toute éventualité, de conserver le système d'alerte maritime ou de revenir au concept original plus simple de défense de l’espace aérien nord-américain.
    Aux fins du compte rendu, j'aimerais brièvement entendre vos recommandations en tenant compte de la manière dont les capacités militaires actuelles de la Russie dans le Nord, de la menace originelle, à savoir l’Union soviétique, se comparent aux capacités actuelles du Canada.
    C’est une question facile. Nous devons nous préparer à toute éventualité. Je vois plus loin que seulement... Les Russes intensifient les sorties de leurs bombardiers à long rayon d'action; j'ajouterai aussi qu’ils le font également pour la première fois avec leurs chasseurs. La Russie a en fait envoyé un MiG, ce qu'elle n'avait même jamais fait lors de la guerre froide. C’est le premier; dans le domaine aérospatial, nous devons aussi considérer que la géographie de l'Arctique signifie que même dans le cas d’un conflit avec la Corée du Nord — et je vous rappelle que le Canada n'a jamais signé de traité de paix après la guerre de Corée de 1950... Si quelque chose met le feu aux poudres...
    C'est également bien entendu la voie d'accès. C'est à ce moment qu'entre en action le NORAD. Qu’il s'agisse des Nord-Coréens ou d'un futur possible enjeu aérospatial du côté des Chinois... La réponse est le NORAD. Cet organisme doit se pencher sur cet aspect et examiner les capacités aérospatiales et maritimes et toute autre capacité imaginable.
    Professeur Lackenbauer?
    Le Canada et les États-Unis se considèrent mutuellement comme des partenaires importants dans l'Arctique, en particulier dans le domaine de la défense. Je crois que le NORAD est une grande réussite. Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Rob, à savoir que nous devrions nous préparer à toute éventualité.

  (1700)  

    D’accord. Merci à nos deux témoins de leur présence et de leurs réponses.
    Chers collègues, nous suspendrons brièvement nos travaux, puis nous reprendrons la séance pour nous occuper des travaux du comité.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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