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ACVA Rapport du Comité

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VERS LA FIN DE L'ITINÉRANCE CHEZ LES VÉTÉRANS

Introduction

C’est aux États-Unis que s’est d’abord révélé le problème de l’itinérance chez les vétérans. Au milieu des années 1980 et au début des années 1990, une série d’études a montré que les vétérans masculins pourraient représenter jusqu’à 26 % de la population itinérante américaine, alors que les vétérans représentaient 11 % de la population mâle américaine adulte[1]. En Australie et au Royaume-Uni, des études réalisées au milieu des années 2 000 suggèrent une représentation beaucoup plus faible, à 3 % de la population itinérante masculine[2].

Au Canada, la prise de conscience du phénomène a été plus tardive. À partir du milieu des années 2 000, des comptes-rendus anecdotiques provenant d’organismes communautaires ont suggéré que les vétérans pourraient représenter une proportion importante de la population itinérante au Canada. L’étude de Ray et Forchuk publiée en 2011 fut la première à s’intéresser à cette problématique dans un contexte national. L’objectif de l’étude n’était toutefois pas d’estimer l’envergure du problème au pays, mais bien de comprendre la dynamique phénoménologique du parcours de 54 vétérans itinérants à partir de leur expérience subjective. Les trois thèmes qui sont le plus clairement ressortis furent : la spirale descendante que déclenche l’alcoolisme; la disparité dans la qualité des services offerts, tant par les refuges que par les institutions publiques; et finalement le choc de la transition de la vie militaire à la vie civile.

À partir des résultats de cette première étude, de l’engagement soutenu d’organismes communautaires, et de la volonté d’Anciens Combattants Canada de participer à la résolution de ce problème, des études ont été lancées afin de mieux cerner l’ampleur du problème et d’identifier les services dont la mise en œuvre donnerait les meilleurs résultats. Ces efforts ont commencé à porter fruit et permettent d’avoir une idée plus précise de la nature du problème de l’itinérance chez les vétérans au Canada, et d’identifier, parmi la multitude des initiatives mises de l’avant au cours de la dernière décennie, celles qui sont les plus prometteuses.

Le présent rapport veut donc faire le point sur ce qui a été entrepris au cours des dernières années sur trois dimensions du problème de l’itinérance chez les vétérans canadiens qui orientent les trois sections du présent rapport :

  • 1) La délimitation de l’étendue du phénomène à partir des études statistiques les plus récentes et de certaines critiques qui leur ont été adressées;
  • 2) La place qu’occupe la lutte contre l’itinérance chez les vétérans au sein du gouvernement du Canada, et en particulier de la part d’Anciens Combattants Canada;
  • 3) Les multiples initiatives mises de l’avant par le secteur communautaire et le secteur privé afin de venir en aide aux vétérans itinérants, ainsi que le soutien que pourrait leur offrir le gouvernement du Canada.

Pour donner suite à la résolution adoptée le 19 juin 2018, le Comité a mené ses délibérations au cours de six réunions durant lesquelles 22 témoins ont comparu. Les principaux constats qui ressortent de l’étude du Comité sont à l’effet que :

  • Le problème de l’itinérance touche vraisemblablement entre 3 000 et 5 000 vétérans, soit entre 4,6/1000 et 7,7/1000 des quelque 650 000 vétérans vivant au Canada;
  • L’envergure limitée du problème permet d’envisager la possibilité d’élaborer une stratégie concertée qui éliminerait complètement l’itinérance chez les vétérans en quelques années;
  • L’implication vigoureuse d’Anciens Combattants Canada, grâce à l’effet de levier de ses programmes de réadaptation et de soutien financier, est une condition essentielle à la réussite de toute initiative touchant les vétérans itinérants;
  • Anciens Combattants Canada ne peut cependant qu’avoir une présence limitée sur le terrain et doit compter sur les interventions multiples des organisations communautaires qui, seules, sont en mesure de rétablir la relation de confiance entre chaque vétéran itinérant et les institutions publiques capables de mobiliser les ressources nécessaires à leur réintégration.

Les problèmes qui affectent les vétérans itinérants illustrent clairement, par leur gravité, des problèmes similaires à ceux que rencontrent les autres vétérans qui vivent une transition difficile après leur libération des Forces armées canadiennes. Tout ce qu’il est possible d’apprendre au sujet des vétérans itinérants, et tout ce qui est susceptible de les aider, pourra par la suite servir à élaborer des mesures de prévention chez les vétérans à risque et à mieux soutenir ceux et celles qui vivent des difficultés, peu importe leur gravité.

Envergure du problème

La première étude nationale touchant l’itinérance chez les vétérans canadiens a été publiée en mars 2015 par Emploi et Développement social Canada (EDSC)[3]. Selon cette étude, « la plupart des vétérans itinérants sont des hommes adultes et, dans l’ensemble, ils ont tendance à être plus âgés que les autres vétérans itinérants » (p. 8). Sur les 700 000 vétérans vivant au Canada en 2014, environ 2 250 ont eu recours à des refuges pour sans-abri cette année-là. Bien sûr, comme nous le verrons plus loin, le recours aux refuges ne suffit pas à estimer le nombre total de vétérans itinérants au pays, mais il permet d’établir une base objective qui servira à mesurer l’évolution du problème dans l’avenir, et de comparer l’étendue du problème au Canada à celle qui prévaut dans d’autres pays[4]. Parmi tous les utilisateurs de refuges inscrits au Système d'information sur les personnes et les familles sans abri, environ 2,7 % étaient des vétérans[5]. Ce taux est beaucoup plus faible que celui signalé aux États-Unis (É.-U.) pour la même année. En 2014, selon le Annual Homelessness Assessment Report (AHAR), 11,3 % des itinérants adultes aux États-Unis étaient des vétérans.

Toutefois, cette comparaison entre les États-Unis et le Canada peut être trompeuse, car elle ne tient pas compte de la proportion beaucoup plus élevée de vétérans aux États-Unis. De plus, le gouvernement américain, depuis une quinzaine d’années, a déployé des efforts considérables afin de faire diminuer le nombre de vétérans itinérants dans le pays, et ceux-ci ont porté fruit. En effet, le rapport 2017 de l’AHAR [disponible en anglais seulement] a montré que le nombre de vétérans itinérants aux États-Unis est passé de 73 367 en 2009 à 40 056 en 2017. Il est impossible de comparer les tendances au Canada, car le rapport d’EDSC est le premier à fournir des données fiables sur la question à l’échelle nationale.

En 2014, il y avait environ 21 millions de vétérans aux États-Unis, soit 30 fois plus qu’au Canada, pour une population qui est environ neuf fois plus nombreuse : 318,6 millions aux États-Unis, comparativement à 35,5 millions au Canada. Si l’on compare le nombre de vétérans qui ont utilisé les refuges en 2014 au nombre de vétérans au pays, le ratio au Canada représente plus du double de celui des États-Unis. Au Canada, le ratio est de 3,2/1 000 (2 250 sur 700 000 anciens combattants) et aux États-Unis, il est de 1,5/1 000 (32 119 sur 21 millions[6]). Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences : une définition plus large du terme « vétéran » au Canada, une plus grande visibilité et un plus grand nombre de points d’accès aux services aux États-Unis (152 hôpitaux pour vétérans, 1 400 cliniques externes/centres pour les vétérans, nombreux organismes de bienfaisance locaux), différents réseaux de refuges dans les deux pays, ainsi que différents profils des utilisateurs des refuges. Avec les données actuellement disponibles, il n’est pas possible de déterminer si le problème est proportionnellement plus grave au Canada qu’aux États-Unis.

Deux ans après l’étude initiale d’EDSC, une autre étude a permis de préciser les résultats concernant le nombre de vétérans itinérants au Canada en 2014. À partir d’un échantillon plus étendu et plus précis, il fut estimé que « en 2014, 2,2 % de la clientèle des refuges – 2 950 personnes, selon les estimations – a déclaré avoir servi dans les forces armées[7]. » Selon Aaron Segaert, auteur et chercheur principal de ces deux études, « le chiffre de 2 950 est plus exact que l'estimation de 2 250 vétérans dans l'étude initiale[8]. » Toujours selon M. Segaert, et contrairement aux données américaines, les vétérans canadiens ne sont pas surreprésentés dans les refuges. En effet, ils représentent au Canada entre 2 et 3 % de la population totale des refuges, alors qu’ils comptent pour 2,4 % de la population canadienne[9].

D’autres témoins ont fait part au Comité de statistiques tendant à dépeindre l’itinérance chez les vétérans comme étant un problème plus grave que ce qu’a pu identifier l’étude d’EDSC. Par exemple, Faith McIntyre, d’ACC, a affirmé que les vétérans représentaient 5 % de tous les sans-abris canadiens, et non 2 à 3 %[10]. La différence provient de la méthode utilisée pour faire le décompte. Les données présentées par Mme McIntyre découlent d’un décompte ponctuel établi au printemps de 2016 par EDSC. Des mandataires du ministère se sont rendus dans les refuges du pays durant une journée donnée, afin d’y dénombrer le nombre total de personnes ayant utilisé le refuge durant cette journée. Le chiffre de 5 % représente la proportion des personnes dénombrées qui ont affirmé avoir déjà fait partie des Forces armées canadiennes.

Les données tirées d’un dénombrement ponctuel ne permettent pas d’estimer le nombre de vétérans sans-abris aussi précisément que la méthode sur une année complète. Par exemple, à Vancouver, ces dénombrements ponctuels donnent des résultats très différents d’une année à l’autre : 95 en 2015, 127 en 2016, 168 en 2017, et 111 en 2018[11]. Selon le président de la Mission Old Brewery de Montréal, environ 2 % des clients de l’organisme sont des vétérans[12]. Le dénombrement sur une année entière permet d’avoir une vision d’ensemble qui évite les sous-estimations ou les exagérations.

Il faut évidemment prendre toutes ces estimations avec réserve. Par exemple, il est possible que les vétérans itinérants aient tendance à moins utiliser les refuges que les autres. Selon Cheryl Forchuk, les vétérans n’apprécieraient guère, par exemple, la nature désorganisée des services offerts dans les refuges[13]. C’est également ce qu’a affirmé Angus Stanfield, de Cockrell House :

[Les vétérans] sont plus susceptibles d'éviter la société, les milieux urbains. Vous ne les verrez pas assis sur le coin d'une rue dans une ville. Cela nous ramène à cette fierté. Nombre de ceux qui sont encore en âge de le faire vivent possiblement dans la forêt. Nous en trouvons qui vivent là, ou ils vivent parfois dans une roulotte sur un terrain, loin de tout. Il y en a aussi qui dorment chez des connaissances[14].

À la lumière des études disponibles, et en tenant compte des réserves évoquées, il est possible d’avancer provisoirement que le nombre total de vétérans sans-abris au Canada se situe entre 3 000 et 5 000 personnes.

Portrait des vétérans itinérants canadiens

Ces études permettent également de faire ressortir certaines caractéristiques distinctives des vétérans sans-abris au Canada. Tout d’abord, bien que les femmes représentent entre 10 et 15 % du nombre total de vétérans, 30 % des vétérans sans-abris utilisant les refuges sont des femmes. Cette proportion est la même que celle de l’ensemble de la population des refuges. Parmi les vétérans sans abri qui ont recours aux refuges et qui ont moins de 30 ans, plus de la moitié sont des femmes[15].

Une autre distinction est que les vétérans ont un taux d’itinérance épisodique plus élevé que les autres utilisateurs de refuges, ce qui signifie qu’ils sont environ deux fois plus susceptibles que les autres de vivre au moins trois épisodes d’itinérance au cours d’une même année[16].

Selon les analyses présentées par Cheryl Forchuk, les vétérans itinérants canadiens sont très différents de ceux analysés dans les recherches américaines[17]. Tout d’abord, leur service militaire fut une expérience positive pour la plupart des vétérans canadiens interrogés, contrairement à l’évaluation très négative faite par les vétérans américains. Cela pourrait expliquer en partie que plus du quart des vétérans libérés depuis 1998 vivent une transition difficile[18]. Selon Matthew Pearce, de la Mission Old Brewery, la plupart des vétérans qui ont eu recours à ce refuge de Montréal n’avaient pas d’expérience de combat, et avaient quitté les FAC depuis au moins une dizaine d’années[19].

Les vétérans canadiens interrogés tendent également à avoir eu une consommation d’alcool plus importante durant leur service militaire, et ont développé une consommation problématique durant les 10 à 20 années qui ont suivi leur libération.

Finalement, selon Mme Forchuk, même chez ceux qui en souffrent, le trouble de stress post-traumatique constitue rarement la cause sous-jacente de l’itinérance chez les vétérans[20]. Les causes sont à rechercher dans les autres facteurs, comme la difficulté d’adaptation à la vie civile et la consommation excessive d’alcool ou d’autres substances. Debbie Lowther, de VETS Canada, a décrit la complexité des enjeux interreliés qui peuvent mener les vétérans à l’itinérance :

Nous savons que de nombreuses voies mènent à l'itinérance, comme la pauvreté, le manque de logements abordables, la perte d'un emploi ou l'instabilité professionnelle, la maladie mentale et la toxicomanie, les problèmes de santé physique, la violence familiale ou conjugale et l'éclatement de la famille ou du mariage. Ce qui distingue les vétérans, c'est qu'ils sont aux prises non seulement avec tous ces problèmes, mais aussi avec leur transition de la vie militaire à la vie civile. J'ai dit que la culture militaire était unique, ce qui veut dire que le vétéran doit essayer de s'adapter à une nouvelle culture civile, tout en ayant l'impression d'avoir perdu son identité et de le faire sans le réseau de soutien social qui a toujours été si important[21].

Tous ces facteurs illustrent la complexité du phénomène, ainsi que la multiplicité des causes possibles de cette spirale descendante qui conduit les vétérans à l’itinérance. Afin de prévenir les conséquences néfastes de cette spirale, et de s’assurer que les vétérans à risque reçoivent tout le soutien dont ils ont besoin, le Comité recommande :

Recommandation 1

Qu'Anciens Combattants Canada travaille en partenariat avec les organismes communautaires qui se consacrent à aider les vétérans, de manière à établir des moyens de maintenir un contact continu entre le Ministère et les vétérans, avec la permission de ces derniers.

Recommandation 2

Qu'Anciens Combattants Canada prenne note des divers signes des vétérans qui pourraient être à risque d'itinérance et s'engage de façon proactive auprès d'eux pour prévenir l'itinérance.

Besoins en recherche

La section précédente permet de faire ressortir à la fois l’importance de la recherche comme point de départ dans l’identification des problèmes, ainsi que les lacunes dans ces recherches. Par exemple, la surreprésentation des femmes dans la population des vétérans itinérants, en comparaison de leur proportion de l’ensemble des vétérans, doit être mieux expliquée, afin de permettre l’élaboration de programmes et de services qui tiennent compte des particularités de leurs besoins qui tendent à être négligés. Il n’existe aucune étude sur cette question, comme il n’existe aucune étude sur la surreprésentation des vétérans autochtones dans la population itinérante, malgré des témoignages anecdotiques à cet effet[22]. Comme l’évoquait avec éloquence Phil Ralph, de Wounded Warriors Canada :

Soutenir la recherche n'a rien de flamboyant, mais c'est essentiel. Nous y consacrons d'ailleurs une partie substantielle de notre budget. Tous nos programmes font l'objet de recherches continues, qu'elles soient menées par l'Institut canadien de recherche et de traitement en sécurité publique ou par l'Université de Victoria. Certes, gérer nos programmes de cette façon nous coûte plus cher, mais cela nous permet d'avoir des données probantes pour déterminer la meilleure façon de procéder, au lieu de nous fier sur les opinions de Pierre, Jean, Jacques, qui trouve que quelque chose est une bonne idée. Il est important d'établir des liens entre les diverses initiatives[23].

Réaffirmant l’importance de fonder l’élaboration de programmes sur les données probantes les plus récentes qui sont disponibles, le Comité recommande :

Recommandation 3

Qu’Anciens Combattants Canada, en collaboration avec Emploi et Développement social Canada et les organismes qui soutiennent la recherche universitaire, poursuivent leurs efforts afin de mieux comprendre le phénomène de l’itinérance chez les vétérans, en tenant compte de la surreprésentation des femmes et des Autochtones.

Un problème qui peut être réglé

L’itinérance chez les vétérans est donc un problème bien réel, mais il n’a pas la gravité de la situation qui a prévalu aux États-Unis au cours des vingt dernières années. Ce que démontrent également les efforts déployés par le gouvernement américain, c’est qu’il s’agit d’un problème qui, à partir d’une approche vigoureuse et concertée, peut être réglé. Avec des statistiques faisant état d’entre 3 000 et 5 000 vétérans itinérants ou à risque d’itinérance au Canada, il s’agit d’un problème qui peut être réglé ici aussi. L’itinérance des vétérans au Canada est un phénomène qu’il est possible de faire disparaître, un ou une vétéran à la fois.

C’est le message qu’a porté avec vigueur Matthew Pearce, président et chef de la direction de la Mission Old Brewery, qui est active à Montréal depuis 1889. Les refuges fournissent un soutien d’urgence essentiel qui contribue certainement à sauver des vies, mais, selon M. Pearce, « si c'est tout ce que nous offrions, nous facilitions l'itinérance[24]. » Pour sortir ces personnes de la rue, la véritable solution réside dans le passage du refuge vers des solutions d’hébergement à long terme :

Nous ne nous sommes pas contentés de trouver un moyen de loger 18 ou 19 vétérans. Nous avons entrepris d'éliminer l'itinérance des vétérans à Montréal. Nous nous sommes dit que, si nous en voyons environ 45 par année et que nous étions la principale ressource, il devait bien y en avoir cinq ou six qui ne venaient pas chez nous et qui allaient ailleurs. Cependant, nous voyons passer la majeure partie de la population des vétérans itinérants à Montréal. Selon nous, un tel nombre peut tout à fait être éliminé[25].

Cette idée a été reprise par Tim Richter, président et directeur général de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance :

Avec un effort concerté et un sentiment d'urgence, on pourrait éliminer l'itinérance des vétérans au Canada en trois ans ou moins. […] Il faut documenter les noms et les besoins uniques de chaque vétéran itinérant et avoir la capacité de communiquer l'information entre les intervenants communautaires pouvant les héberger et les soutenir. Nous devons pouvoir contrôler le rendement, cerner les fluctuations, déterminer les problèmes et intervenir en temps réel. […] Nous devrions créer à même l'Allocation canadienne pour le logement une prestation pour le logement à l'intention des vétérans administrée par le gouvernement fédéral[26].

Les statistiques présentées par les divers organismes tendent à renforcer cette conviction qu’il s’agit d’un problème auquel il y a des solutions. Par exemple, lorsque Dave Gordon, de la Légion royale canadienne, est venu présenter les diverses initiatives financées par son organisation, les chiffres rapportés permettent aisément de concevoir que, derrière les statistiques, il y a des individus particuliers ayant vécu des situations difficiles, mais qu’il est possible d’intervenir auprès d’eux d’une manière qui fera une différence sur la suite de leur parcours :

Nous avons les noms de tous les vétérans qui se sont présentés à nous et que nous avons identifiés. Nous pouvons retourner dans leur dossier et voir l'aide que nous leur avons fournie. Nous sommes très heureux de dire que nous avons trouvé de l'hébergement pour environ 350 des 667 vétérans que nous avons identifiés.
Nous avons des statistiques très détaillées. Comme je l'ai dit, nous offrons des services dans 134 villes; nous en avons identifié 280 à Toronto, 45 à London, 45 à Kingston, sept à Trenton, deux à Belleville, etc. Nous avons ces statistiques. Nous pouvons les étayer et vous dire le montant exact qui a été dépensé pour chaque intervention dans n'importe laquelle de ces villes[27].

La personnalisation des interventions est une condition primordiale à la solution du problème, selon M. Richter :

Il faut nous rappeler que nous allons mettre fin à l'itinérance chez les vétérans une personne à la fois. Nous devons effectuer des interventions personnalisées. Nous tombons dans la généralisation en ce qui concerne les vétérans, mais je peux vous dire qu'une vétérante sans-abri de 23 ans est très différente d'un vétéran âgé de 35 ans qui a combattu en Afghanistan et qui souffre d'une incapacité physique et d'un vétéran en temps de paix, âgé de 50 ans, qui ne souffre d'aucune blessure liée au service pouvant expliquer son itinérance[28].

Confiants que le phénomène de l’itinérance chez les vétérans est un problème qui peut être éradiqué, les membres du Comité recommandent :

Recommandation 4

Qu’Anciens Combattants Canada continue, en partenariat avec les autres organisations fédérales, provinciales, territoriales et municipales concernées, ainsi qu’avec les organisations communautaires dévouées au soutien des vétérans en difficulté, de mette en œuvre des plans d’action tels que la Stratégie nationale sur le logement afin d’éliminer l’itinérance chez les vétérans.

Pour qu’un tel plan puisse réussir, l’une des premières barrières à surmonter est la lenteur du processus de confirmation des états de service du vétéran afin de vérifier son admissibilité aux programmes d’ACC. Il s’agit d’un problème en apparence simple, mais il peut avoir des conséquences très importantes, car avant de pouvoir participer au Programme des Sentinelles de la Mission Old Brewery, confirmer le statut de vétéran est une condition. Selon M. Pearce, plusieurs personnes en situation d’itinérance peuvent se présenter à des refuges en déclarant faussement être des vétérans, en espérant se rendre admissibles à des programmes d’aide :

Nous avons découvert que le fait de contrôler les états de service des gens, pour ainsi dire, afin de déterminer s'il s'agissait vraiment de vétérans par l'intermédiaire d'ACC était un processus long, difficile et chronophage. Vous devez comprendre que, si un sans-abri se présente dans un refuge, que ce soit un vétéran ou non, il ne restera peut-être pas longtemps dans une telle situation. Si on ne peut pas intervenir très rapidement auprès de lui, on le perd, et il disparaît. Dans certains cas, il a fallu deux mois pour procéder aux vérifications. Nous avons perdu certains vétérans en cours de route, qui ont peut-être réglé leur problème d'itinérance par eux-mêmes, mais ils n'ont pas participé au programme des Sentinelles[29].

Cette lenteur administrative pour une information qui paraît si simple à obtenir est difficile à comprendre. Il est possible que la création d’une carte d’identité pour les vétérans, en vigueur depuis septembre 2018, atténue ce problème pour les personnes qui sont récemment devenues des vétérans, mais quand on sait que les problèmes d’itinérance se manifestent en général une dizaine d’années au moins après la libération du service militaire, la plupart des personnes à risque aujourd’hui ne peuvent pas compter sur cette solution. Le Comité recommande donc :

Recommandation 5

Qu’Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense nationale s’assurent que la confirmation des états de service d’un vétéran puisse être obtenue dans un délai raisonnable.

Programmes d’Anciens Combattants Canada touchant les vétérans itinérants

Sur son site Web, Anciens Combattants Canada (ACC) offre une page présentant son soutien aux anciens combattants sans abri. Malheureusement, la page n’a pas été mise à jour depuis trois ans. En effet, on y retrouve une présentation de l’étude d’EDSC citée plus haut[30] avec la mention que cette étude « sera publiée à l’automne 2016[31] », alors qu’elle est disponible depuis deux ans. La page « Contexte » de cette section sur l’itinérance renvoie à une étude de 2013. À part une courte sous-section ajoutée récemment pour présenter le Fonds d’urgence pour les vétérans, les autres pages de la section sont soit désuètes, soit présentent une information très générale qui ne permet pas d’avoir une bonne compréhension du phénomène de l’itinérance chez les vétérans au Canada.

Sachant que le site web d’ACC est fréquemment le premier point de contact et la première source d’information consultée par les vétérans, le peu d’attention portée à la section sur l’itinérance peut donner l’impression que l’itinérance chez les vétérans ne constitue pas une priorité. Le Comité recommande donc :

Recommandation 6

Qu’Anciens Combattants Canada s’assure que la section de son site web portant sur l’itinérance chez les vétérans soit mise à jour régulièrement et présente les informations les plus récentes.

Les mesures prises par ACC comportent deux volets : le financement d’urgence pour les vétérans en situation de crise et l’aide aux vétérans itinérants par l’entremise d’organismes locaux soutenus par le ministère. Bien entendu, les vétérans itinérants sont également admissibles aux programmes d’ACC offerts à tous les anciens combattants, y compris les programmes de transition et les services de santé mentale.

Fonds d’urgence pour les vétérans

Annoncé dans le budget de 2017 et en vigueur depuis le 1er avril 2018 : « Le Fonds d’urgence pour les vétérans (FUV) a pour but de permettre à Anciens Combattants Canada (ACC) de fournir des fonds pour aider les vétérans et leurs familles en temps de crise et dans les situations financières d’urgence qui menacent leur santé et leur bien-être[32]. »

Le financement du FUV a été fixé à 1 million de dollars par année pendant quatre ans. Selon Robert Tomljenovic, d’ACC, « en date du 15 novembre, il y avait eu 416 approbations, et environ 676 519 $ avaient été versés[33]. Étant donné la demande élevée, le gouvernement a demandé que soit ajouté un montant additionnel de 300 000 $ par l’entremise du Budget supplémentaire des dépenses B pour 2018-2019.

Le montant maximal payable par vétéran est de 2 500 $ par exercice financier. Dans des circonstances exceptionnelles, le montant payable peut atteindre 10 000 $. L’objectif du programme est de verser des paiements uniques pour les dépenses admissibles qui comprennent la nourriture, les vêtements, le logement, les soins médicaux et les dépenses pour assurer la sécurité et le logement. Les dépenses récurrentes comme le loyer ou les paiements de voiture ne sont pas admissibles. Le cas échéant, ACC versera des paiements à des tiers au nom des demandeurs[34]. Les vétérans n’ont pas besoin de recevoir d’autres avantages d’ACC pour être admissibles au FUV.

Avant la création du FUV, ACC pouvait offrir une aide financière aux vétérans à faible revenu, mais les conditions d’admissibilité et les processus d’approbation étaient plus complexes et prenaient plus de temps que ce qui a été établi pour le FUV. La plupart du temps, le ministère devait faire appel à des organisations tierces[35]. Par exemple, une aide financière aux vétérans itinérants est offerte par l’entremise du Fonds du coquelicot de la Légion royale canadienne, de la Caisse de bienfaisance de la Marine royale canadienne et du programme Appuyons nos troupes, administré par les Services de bien-être et de maintien du moral des Forces armées canadiennes.

Aux fins du FUV, ACC définit une urgence comme :

une situation nécessitant une action immédiate. Si un soutien financier n’est pas accordé, la situation aura une incidence directe sur la santé et la sécurité du vétéran ou des membres de sa famille. Une urgence peut être causée par un événement précis, ou peut résulter d’autres circonstances imprévues ayant contribué à un besoin urgent et actuel de financement[36].

Le critère le plus important afin de déterminer si un besoin représente ou non une urgence selon les critères du FUV semble être celui de la non-récurrence. Par exemple, le paiement du premier et du dernier mois de loyer constitue un paiement unique, et sa valeur ne doit pas dépasser le montant admissible de 2 500$, à moins de circonstances exceptionnelles[37]. Une fois que cette aide ponctuelle a été fournie, s’il existe des besoins récurrents qui ne répondent pas aux critères d’aide d’urgence du FUV, ou pour du soutien d’appoint, comme les « trousses d’appartement » offertes par la Légion royale canadienne, le ministère pourra demander l’intervention d’autres organisations[38].

Lors de son témoignage, Ralph Mahar, directeur général de l’Association des Anciens de la GRC, a déploré que les vétérans de la GRC, dont 7 000 sont membres de l’organisation qu’il représente, ne soient pas admissibles au FUV[39]. Cela illustre les ambiguïtés qui existent quant au rôle qu’ACC est en mesure de jouer dans le soutien aux vétérans de la GRC. Ces derniers sont admissibles à certains programmes d’ACC en vertu de plusieurs protocoles d’entente, dont celui par lequel ACC verse aux vétérans de la GRC souffrant d’une invalidité une pension d’invalidité selon les critères et les montants fixés par la Loi sur les pensions.

Pour qu’ACC puisse fournir une aide d’urgence aux vétérans de la GRC à partir du FUV, il faudrait donc qu’un protocole d’entente soit signé entre les deux organisations. Présentement, selon M. Mahar, l’Association des Anciens de la GRC peut aider ses membres dans le besoin grâce au Fonds de bienfaisance, mais ce fonds ne bénéficie que d’un financement annuel de 50 000$.

Après une année d’opération, le FUV a clairement démontré qu’il répondait à un besoin. Il est vraisemblable de croire qu’il répondrait à un besoin similaire si les vétérans de la GRC y avaient accès. Le Comité recommande donc :

Recommandation 7

Qu’Anciens Combattants Canada et la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) signent un protocole d’entente qui permettrait aux vétérans de la GRC d’être admissibles au Fonds d’urgence pour les vétérans selon les mêmes modalités que les vétérans des Forces armées canadiennes.

Sensibilisation du secteur communautaire

La lutte contre l’itinérance exige l’implication active de tous les paliers de gouvernement, en coordination étroite avec les organismes communautaires qui en connaissent le mieux les multiples dimensions à l’échelle locale. Il existe quelques organisations communautaires dont la mission consiste à soutenir les vétérans itinérants, mais la plupart se consacrent à aider les personnes dans le besoin, sans nécessairement être sensibilisées aux besoins particuliers des vétérans. La présence nationale d’ACC, ainsi que les programmes que le ministère est en mesure d’offrir pour aider les vétérans en difficulté, lui confère de fait un rôle national de sensibilisation du secteur communautaire[40].

Selon Robert Tomljenovic, d’ACC, la première barrière que rencontrent les organismes qui souhaitent faciliter le contact entre les vétérans en difficulté et le ministère, est le peu de confiance qu’ils témoignent envers les institutions gouvernementales :

Dans mes bureaux, nous avons vu des vétérans qui ont été désignés comme très hésitants à venir au bureau ou à parler à — et je cite — un représentant du gouvernement. Dans ces cas, nous ne les pressons pas. La première chose que nous devons faire, c'est instaurer la confiance avec un vétéran qui éprouve cette sorte de paranoïa par rapport au ministère ou qui, pour quelque raison que ce soit, a eu une mauvaise expérience dans l'armée ou dans sa vie personnelle.
Nous ne pressons pas la gestion du cas. Nous ne pressons pas ce que nous appelons l'élaboration d'un plan d'intervention et l'établissement d'objectifs. Le besoin immédiat est d'établir la confiance, même si cela veut dire que nous rendons visite chaque jour aux vétérans pendant 5 à 10 minutes, peut-être avec un travailleur communautaire, si le vétéran en a un.
Jusqu'à ce que cette confiance soit établie, c'est très difficile pour eux de participer[41].

Il faut donc que les personnes qui travaillent dans les organismes communautaires soient capables de sensibiliser les vétérans en difficulté quant aux avantages d’entrer en contact avec le ministère. Pour faciliter ce contact, ACC a multiplié ses efforts pour se faire connaître auprès des organismes qui aident les itinérants.

ACC a, par exemple, mis une affiche à la disposition des organismes qui aident les itinérants pour les aider à identifier les vétérans parmi leurs clients. Selon le site Web d’ACC, « ACC a fourni de l’information sur ses programmes et services à environ 200 organismes communautaires qui travaillent avec les sans-abris dans plus de 50 villes du pays, y compris des renseignements clés sur la façon de communiquer avec ACC ». L’objectif est de distribuer cette affiche à 2 000 endroits stratégiques à travers le pays[42].

Afin de sensibiliser les organismes communautaires aux besoins particuliers des vétérans sans abri, ACC a organisé une Table ronde sur l’itinérance, le 7 juin 2018 à Ottawa, à laquelle ont participé 70 participants qui, selon Mme McIntyre, d’ACC, « étaient tous considérés comme des experts du domaine de l'itinérance, particulièrement en ce qui concerne les vétérans[43]. »

Le premier résultat de cette table ronde fut la création d’une carte interactive sur laquelle on retrouve une liste de plus d’une centaine d’organisations capables de venir en aide aux vétérans en difficulté. Reconnaissant les efforts déployés par ACC, Debbie Lowther, de VETS Canada, a tout de même déploré l’éparpillement qui semble résulter de ces initiatives. Selon elle, il existe un petit nombre d’organisations qui sont véritablement capables de bien s’occuper des vétérans sans abri, et elles se retrouvent un peu noyées parmi la multitude des organismes qui s’occupent des itinérants de manière générale :

La carte interactive montre que la Légion royale canadienne est présente en Ontario seulement et VETS Canada, à Halifax seulement, alors que nous sommes tous deux des organismes nationaux.
Mon intention ici n'est pas de paraître critique ou négative, mais cela fait beaucoup de monde, et ce que les vétérans sans abri souhaitent plus que toute autre chose, comme toutes les personnes en situation d'itinérance, c'est de recevoir de l'aide d'un organisme crédible qui joindra les actes à la parole. Ils ne sont pas intéressés à traiter avec une agence de liaison ou un intermédiaire qui va simplement les diriger vers quelqu'un d'autre.
Nous ne pensons pas naïvement qu'une seule organisation peut résoudre ce problème. Nous savons qu'il faut un effort de collaboration, mais nous savons aussi qu'un vétéran est plus susceptible d'accepter l'aide d'une personne qui parle le même langage que lui, qui comprend sa culture et qui peut lui offrir un soutien immédiat[44].

Cela dit, la présence de personnes ayant vécu des expériences similaires ne peut pas remplacer une certaine forme d’expertise spécialisée. Autrement dit, le fait d’être un vétéran ne permet pas nécessairement de venir en aide adéquatement à d’autres vétérans. Philip Ralph, de Wounded Warriors Canada, a bien expliqué l’équilibre qui devait être maintenu entre l’expertise professionnelle et l’empathie personnelle envers les vétérans :

Dans certains de nos programmes — je vais prendre le programme COPE comme exemple —, les cliniciens ne sont pas nécessairement des anciens combattants, mais ce sont des gens qui comprennent le service militaire et les traumatismes. Ces cliniciens sont parmi les meilleurs au Canada pour prendre soin des gens. Dans ce groupe, un couple, qui a suivi le programme, revient un an plus tard pour renforcer la crédibilité des cliniciens et du discours véhiculé. Les membres du couple deviennent les pairs mentors du groupe. Ainsi, on utilise les forces des anciens combattants tout en ayant recours à l'expertise présente dans la société.
[…]
Il faut prendre les forces des anciens combattants et les conjuguer à celles d'experts et de personnes d'autres professions qui les appuient afin que les deux parties se parlent et qu'ils comblent cet écart[45].

Mme McIntyre a reconnu la préférence des vétérans pour des organisations dont l’action se concentre de manière spécifique sur leurs besoins particuliers. Les projets qui ont les meilleures chances de réussite sont ceux qui permettent l’interaction des vétérans avec d’autres vétérans, tout en tirant profit des compétences disponibles auprès d’autres ressources. Cette approche a été confirmée par les études d’ACC visant à définir les meilleures pratiques touchant le logement pour les vétérans en difficulté :

Nous avons effectué des études pilotes sur des modèles de logement il y a quelques années avec Emploi et Développement social Canada dans diverses villes du pays. Pour la plupart, les modèles les plus réussis étaient ceux où des vétérans étaient logés avec des vétérans, où cette culture et ce soutien par les pairs étaient offerts dans le cadre de ce modèle de logement[46].

Il faut donc distinguer les efforts de sensibilisation qui doivent être menés auprès d’un grand nombre d’organisations qui sont susceptibles d’interagir avec des vétérans en difficulté. Parmi elles, il y a bien sûr les refuges, les organismes dont la mission est de s’occuper des itinérants, mais aussi les corps policiers[47] et de nombreux services municipaux. Ces organisations doivent être sensibilisées à la réalité des vétérans itinérants, comme elles doivent être sensibilisées à toutes les problématiques spécifiques qui peuvent croiser l’itinérance. La Stratégie nationale sur le logement du gouvernement du Canada identifie onze populations vulnérables, dont font partie les vétérans, et chacune devrait évidemment faire l’objet d’efforts de sensibilisation de la part des ministères concernés.

Cela dit, les organisations dont c’est la mission principale, dont VETS Canada sur le plan national, ou l’une des missions clairement définies, de venir en aide aux vétérans en difficulté, devraient occuper une place de choix dans cette architecture complexe et diversifiée. Les actions de plusieurs d’entre elles sont présentées dans la section suivante de ce rapport, et elles devraient être considérées comme des partenaires privilégiés. Elles pourraient notamment servir de relais aux efforts de sensibilisation d’ACC, puisqu’elles sont beaucoup plus en mesure que le ministère d’identifier les organismes qui, sur le terrain, ont les capacités de bien venir en aide aux vétérans sans abris.

Gestion de cas spécifique aux sans-abris

Une fois que les vétérans à risque ont été identifiés, et qu’ils ont accepté d’entrer en contact avec ACC, le ministère doit être en mesure de les aider efficacement, de façon à renforcer le lien de confiance qui peut demeurer fragile. Les membres du Comité n’ont pas de doute que les agents de service aux vétérans et les gestionnaires de cas agissent dans le meilleur intérêt des vétérans qu’ils souhaitent aider. Il arrive cependant que les conditions ne soient pas optimales et nuisent au rétablissement. Les témoignages recueillis par le Comité peuvent parfois être anecdotiques et constituer des exceptions malheureuses à un contexte d’ensemble qui est généralement efficace. Dans le cadre de cette étude sur les vétérans itinérants, William Webb, lors de son témoignage, a soulevé un problème troublant quant au roulement des personnes engagées comme gestionnaires de cas. M. Webb, après avoir été orienté par une gestionnaire de cas dont les services furent grandement appréciés, a affirmé avoir été suivi à plusieurs reprises par des employés embauchés pour des contrats de trois mois[48].

Il est possible de comprendre que, dans certains contextes, il soit nécessaire d’avoir recours à de tels employés en raison d’une pénurie temporaire de personnes qualifiées ou pour toute autre raison. Le ministère devrait cependant s’assurer que les vétérans qui sont à risque de retomber dans l’itinérance ne soient pas placés dans une situation qui, comme celle décrite par M. Webb, nuit très clairement au maintien d’un climat de confiance salutaire entre ACC et les vétérans.

Les vétérans et la Stratégie nationale sur le logement

Lancée en novembre 2017, la Stratégie nationale sur le logement est un projet de dix ans visant :

  • « une réduction de 50 % du nombre de personnes en situation d’itinérance chronique;
  • l’élimination des besoins en matière de logement pour 530 000 familles;
  • la réparation et la modernisation de 300 000 logements;
  • la construction de 100 000 nouveaux logements[49]. »

Pilotée par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), cette stratégie prévoit des investissements fédéraux de 20,5 milliards sur 12 ans, auxquels s’ajouteront des investissements comparables provenant des provinces et territoires. Elle identifie six « domaines d’action prioritaires » :

  • des logements pour les plus démunis – les populations vulnérables
  • la durabilité des logements sociaux
  • le logement des Autochtones
  • le logement dans le Nord
  • des logements et des collectivités durables
  • une offre équilibrée de logements

Parmi les populations désignées dans le premier domaine d’intervention, celui des « populations vulnérables », on retrouve :

  • les femmes et les enfants fuyant la violence familiale;
  • les personnes âgées;
  • les jeunes adultes;
  • les peuples autochtones;
  • les personnes handicapées;
  • les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie;
  • les anciens combattants;
  • les membres de la communauté LGBTQ2+;
  • les groupes racialisés;
  • les immigrants récents, en particulier les réfugiés;
  • les personnes en situation d’itinérance.

Les vétérans constituent donc l’une des onze populations vulnérables visées par le premier de six domaines d’action prioritaires. Dans la foulée de cette stratégie, ACC est présentement en train d’élaborer sa propre stratégie de lutte à l’itinérance chez les vétérans afin de coordonner ses actions avec celles de la SCHL et d’EDSC[50]. Selon Mme McIntyre, cette stratégie propre à ACC est en cours d’élaboration :

Nous travaillons sur la stratégie d'ACC, Retour à la maison, destinée à prévenir et à enrayer l'itinérance chez les vétérans. Cette stratégie propose plusieurs objectifs qui garantiront que les vétérans sans abri du Canada recevront l'aide dont ils ont besoin pour parvenir à la stabilité en matière de logement et au bien-être, et contribueront à réduire la probabilité qu'un vétéran devienne itinérant[51].

Lors de son témoignage, Raymond McInnis, de la Légion royale canadienne, a déploré la lenteur dans le dévoilement de cette stratégie :

En 2016, nous avons été informés d'une stratégie et d'un plan d'action d'Anciens Combattants Canada sur l'itinérance, qui seraient axés sur les vétérans et fondés sur des données probantes et des résultats. On nous a dit que cela permettrait à ACC et à ses partenaires de mieux identifier et aider les vétérans sans abri et en crise et de prévenir l'itinérance chez eux. À ce jour, nous n'avons vu aucun signe de progrès[52].

Un élément clé de cette stratégie d’ACC serait une meilleure coordination des programmes et des projets entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux, et les municipalités. Présentement, comme l’ont expliqué quelques témoins, il est par exemple difficile de mettre en œuvre des projets touchant le logement des vétérans en raison de la résistance des provinces et des municipalités. Par exemple, Suzanne Le, directrice générale de Multifaith Housing Initiative, a affirmé que « de nombreuses provinces, l'Ontario y compris, et de nombreuses villes, comme Ottawa, refusent de financer des projets et des programmes pour les vétérans, peu importe lesquels. Elles nous excluent spécifiquement à ce chapitre, parce qu'elles croient que cela relève du gouvernement fédéral[53]. » Alors qu’elle aurait pu obtenir un financement provincial et municipal si son projet avait été destiné aux personnes itinérantes de manière générale, l’organisation a dû lancer une campagne de financement de grande envergure qui, à terme, lui permettra de lever 5 millions de dollars pour la réalisation du projet[54]. Autrement dit, le fait que l’une des conditions d’admissibilité au financement fédéral soit l’implication des gouvernements provinciaux, laquelle passe habituellement par celle des municipalités, crée une barrière supplémentaire qui nuit au développement des phases initiales des projets de logement touchant les vétérans.

Pour sa part, la Fondation Home for Heroes (FHH), fondée en 2016, a pour mission le développement de projets destinés aux vétérans en difficulté. Le modèle utilisé est celui d’un regroupement d’une vingtaine de petites résidences dont le coût de construction est évalué à environ 125 000$ par unité[55]. Des projets sont en cours à Calgary et à Edmonton. Selon David Howard, président de la FHH, cette dispute de juridiction a freiné la mise en œuvre des projets de l’organisation :

Les municipalités et les provinces nous disent qu'il y a beaucoup de vétérans itinérants et que ce n'est pas leur problème, c'est le problème d'Ottawa, un problème qui relève de la compétence fédérale. Nous avons de la difficulté à les convaincre qu'ils devraient nous donner un terrain pour réaliser le projet. C'est l'un des obstacles que nous rencontrons. Nous comprenons que des logements pour les itinérants ne relèvent pas du mandat d'Anciens Combattants, et c'est un problème pour nous. Nous avons de la difficulté à obtenir du soutien et des fonds si ça ne relève pas du mandat du ministère[56].

Afin de s’assurer que les organisations intéressées à développer des projets de logement orientés vers la lutte contre l’itinérance chez les vétérans obtiennent une oreille aussi attentive que les autres lorsqu’elles présentent leur projet aux autorités provinciales, territoriales et municipales, le Comité recommande :

Recommandation 8

Qu’Anciens Combattants Canada, en collaboration avec la Société canadienne d’hypothèque et de logement, s’assure que les projets de logement visant à lutter contre l’itinérance chez les vétérans reçoivent un financement spécifique et dédié dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement.

Au cours de la dernière décennie, dans la foulée de cette prise de conscience du phénomène de l’itinérance chez les vétérans, on a vu éclore plusieurs projets d’hébergement destinés aux vétérans en difficulté. À l’initiative de la ville de London, en 2012, les villes de Toronto, London, Calgary et Victoria, en collaboration avec la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance (SPLI) du gouvernement du Canada, ACC et plusieurs organismes communautaires, ont lancé un projet visant à développer un Modèle canadien pour l’hébergement et le soutien des anciens combattants en situation d’itinérance. Dre Cheryl Forchuk, de l’Univesity of Western Ontario et membre du Comité de direction du projet, est venue présenter au Comité les conclusions du rapport d’évaluation de ce modèle.

Dans le cadre de ce projet, qui s’est étalé sur deux ans, 78 vétérans ont été accueillis dans l’une des 56 places mises à leur disponibilité dans quatre emplacements offrant des types d’hébergement différents. Le projet reposait sur les principes suivants :

  • Faire en sorte que les vétérans soient aidés par leurs pairs;
  • Séparer les vétérans des autres sans-abri;
  • Faire la promotion du respect de soi;
  • Offrir un environnement structuré;
  • S’occuper de la toxicomanie;
  • Se concentrer sur le processus de transition vers un logement durable;
  • Avoir un noyau d’au moins six vétérans par emplacement;
  • Mettre en application l’approche de Logement d’abord (l’accès à l’hébergement n’est pas conditionnel à la participation à un programme de réadaptation);
  • Mettre en application l’approche de la réduction des risques (les personnes hébergées ne doivent pas s’abstenir de consommer de l’alcool ou des drogues, mais doivent respecter certaines règles communes)[57].

Le projet a permis d’identifier quatre éléments centraux à prendre en considération dans le développement de projets d’hébergement destinés aux vétérans sans abri :

  • Les solutions d’hébergement permanent offrant des services de soutien doivent être préférées aux modèles d’hébergement transitoire;
  • Les programmes doivent adopter les principes de Logement d’abord et de réduction des risques;
  • L’offre d’hébergement doit tenir compte des conditions de vie particulières des vétérans, et s’assurer de mieux intégrer les femmes vétérans et les familles[58];
  • Les résultats doivent être vérifiables et centrés sur la stabilité domiciliaire, et la diminution du recours aux services d’urgence (refuges, postes de police, salles d’urgence)[59].

Ce projet a permis de fournir un cadre auquel peuvent se référer tous les projets qui ont vu le jour au cours des dernières années, dont quelques-uns sont présentés rapidement dans la section qui suit.

Plusieurs témoins ont également indiqué que, puisque la stabilité du logement était le critère permettant le mieux de prédire qu’une personne sera capable de sortir de l’itinérance, une allocation de supplément au loyer ferait une différence majeure dans les chances de réussite pour les vétérans. Selon M. Pearce :

Nous faisons une offre à une personne et un acte de foi pour des gens qui ont vécu dans la rue pendant un certain temps. Si nous pouvons leur offrir un financement stable sur une certaine période, et je ferais même valoir que, dans le cas de ceux pour qui c'est possible, un financement décroissant... Par exemple, le supplément au loyer s'élève à un certain montant la première année, auquel on soustrait 100 $ la deuxième année, puis un autre 100 $ l'année suivante. Au fil du temps, ceux qui peuvent survivre de cette manière réduisent leur dépendance et augmentent leur autonomie.
Lorsque l'horizon du financement n'est que de un ou deux ans, nous n'avons tout simplement pas de latitude. Cela ne permet pas de promettre à un itinérant que nous serons là pour lui pendant une période assez longue. Je pense que le fait de prolonger l'horizon est un bon investissement pour ce qui est de stabiliser la situation des personnes sorties de l'itinérance[60].

Insistant sur la priorité accordée par le gouvernement du Canada aux vétérans dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement, le Comité recommande :

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada crée une allocation de loyer destinées aux vétérans en situation d’itinérance et que cette allocation fasse partie de sa stratégie globale pour enrayer l’itinérance chez les vétérans.

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada s’assure que les initiatives touchant les vétérans dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement soient ouvertes aux vétérans possédant un chien de service.

L’exemple de Cockrell House

Fondée en 2009, Cockrell House, de Victoria, est l’un des quatre emplacements ayant participé à l’élaboration du Modèle canadien pour l’hébergement et le soutien des anciens combattants en situation d’itinérance. Elle est une maison de transition de huit places, et ne permet donc pas de fournir de solution permanente aux besoins d’hébergement des vétérans itinérants. Trois à cinq autres personnes peuvent être hébergées temporairement dans d’autres appartements privés ou dans des locaux aménagés par la section locale de la Légion royale canadienne. L’un des résidents est embauché comme responsable.

Selon Angus Stanfield, président de l’établissement, à l’arrivée de nouveaux résidents, le premier pas consiste à jumeler la personne avec un gestionnaire de cas d’ACC[61]. La durée moyenne de séjour est d’environ un an, mais plusieurs y demeurent durant deux ans, et certains plus de deux ans. Des limites de séjour de trois, puis de deux ans, avaient été établies au début, mais elles ont été abandonnées. Le coût d’exploitation de l’établissement est d’environ 1 100$ par mois par résident[62]. Quelques mois après leur arrivée, la situation individuelle des résidents est évaluée, et ils sont invités à verser une contribution, entre 200 et 500$, selon leur revenu.

Cockrell House ne reçoit aucun financement des gouvernements, mais, comme l’a affirmé M. Stanfield, « Nous ne pourrions pas survivre sans la Légion royale canadienne[63]. »

Le projet de Multifaith Housing Initiative 

Alors que Cockrell House gère déjà une maison de transition pour vétérans depuis une dizaine d’années, la Multifaith Housing Initiative (MHI) prévoit démarrer la phase de construction de son projet au cours de l’année 2019. La MHI est un organisme de bienfaisance établi à Ottawa depuis 2002, et sa mission consiste à fournir un logement et du soutien aux personnes en situation d’itinérance et aux membres de leur famille. Fondée par l’archidiocèse d’Ottawa, l’organisation possède déjà des logements pour itinérants, mais elle voulait développer un projet qui serait destiné aux vétérans. Elle compte sur un bassin de bénévoles provenant d’environ 70 groupes confessionnels de la région, mais les locataires des résidences qu’elle administre n’ont aucune exigence à respecter en matière de religion ou d’appartenance à une confession particulière[64].

Selon Suzanne Le, directrice générale de la MHI, le projet de logements abordables pour les vétérans adopte l’approche Logement d’abord. L’objectif est de construire 40 unités de logements supervisés avec accès à des services de soutien intégrés en santé mentale et en gestion des dépendances. La construction se fera sur le site de l’ancienne base aérienne de Rockliffe, dans l’est d’Ottawa, qui a été déclarée « bien immobilier fédéral excédentaire » par le ministère de la Défense nationale, et qui, en vertu d’un programme d’Emploi et Développement social Canada, est offert au développement d’initiatives venant en aide aux personnes sans abri[65]. Le projet se fera en partenariat avec Salus d’Ottawa, Anciens Combattants Canada, l'organisme Soldiers Helping Soldiers, la Direction provinciale de l'Ontario et le District G de la Légion royale canadienne, l'organisme La Patrie gravée sur le coeur, les Services de bien-être et moral des Forces canadiennes, l'organisme Appuyons nos troupes et l'organisme Helmets to Hardhats.

Les problèmes de juridiction qui peuvent nuire au financement public de projets destinés aux vétérans ont déjà été évoqués plus haut. Cela a forcé la MHI à mener une campagne de financement de grande envergure qui permettra, à terme, la réalisation du projet. Cela démontre bien sûr que de tels projets peuvent se concrétiser avec un soutien financier limité des autorités publiques, mais l’enjeu tient davantage au fait que ces difficultés de financement sont directement liées au fait que le projet visait la clientèle particulière des vétérans, ce qui tend à entraîner un désengagement des autorités provinciales et municipales.

Partenariats communautaires

Cette section présente certaines initiatives mises de l’avant par les organisations communautaires qui viennent en aide aux vétérans sans abris et que le Comité a pu rencontrer dans le cadre de la présente étude. Ces organisations ont fréquemment lancé des initiatives locales ou régionales dont la réussite a par la suite permis d’obtenir du soutien de la part d’ACC, de la Légion royale canadienne, ou d’autres organismes de financement afin d’en étendre la portée.

VETS Canada

VETS Canada a débuté en 2010 à Halifax en tant qu’initiative de soutien par les pairs pour aider les vétérans itinérants et à risque. Leurs activités se sont rapidement développées et, en 2014, l’organisme a signé une entente avec ACC et est devenu un fournisseur de services officiel pour les vétérans sans abri et en situation de crise. Il y a maintenant des « directeurs des opérations régionales » dans chaque province.

Chaque année, VETS Canada organise une tournée au cours de laquelle des centaines de bénévoles parcourent les rues des grandes villes du Canada pour identifier les itinérants dans le besoin et les diriger vers les services appropriés. Elle offre des logements de transition d’urgence à Halifax, Vancouver et Ottawa, et elle a récemment ouvert un « centre d’accueil et de soutien » à Ottawa. VETS Canada a récemment lancé l’Initiative de soutien du capitaine Nicola Goddard pour les femmes vétérans en crise, financée par la Fondation True Patriot Love. L’une de ses premières tâches consistera à préparer un guide pour aider les femmes vétérans sans abri ou en crise.

Selon Debbie Lowther, présidente et co-fondatrice de l’organisme, VETS Canada reçoit entre 200 et 300 demandes d’aide chaque mois à la grandeur du pays :

Ces demandes nous parviennent de diverses façons, par l'entremise de notre ligne téléphonique 1-888, de notre site Web ou de nos plateformes sur les médias sociaux, et, plus récemment, grâce à notre centre d'accueil et de soutien pour les vétérans, qui vient d'ouvrir ses portes, ici à Ottawa, et à notre centre de soutien aux vétérans, dont l'ouverture a été annoncée récemment à Edmonton. Certaines de ces demandes nous sont transmises par l'entremise d'autres organisations ou organismes. Environ la moitié des dossiers que nous recevons chaque mois proviennent de gestionnaires de cas d'Anciens Combattants Canada[66].

Depuis l’entrée en vigueur du Fonds pour le bien-être des vétérans (FBEVF), le 1er avril 2018, ACC ne reconnaît plus VETS Canada comme fournisseurs de services spécialisés, mais plutôt comme l’un des organismes admissibles à un financement provenant du FBEVF. Selon Mme Lowther, VETS Canada a obtenu d’ACC le même financement que celui de l’année précédente, mais elle s’inquiète que la multiplication des organisations entraîne un saupoudrage des fonds qui dilue à la capacité des organismes ayant fait leurs preuves de continuer à fournir le même niveau de service[67].

Sur 155 organisations qui ont déposé une demande, 21 se sont partagé une aide totale de 3 millions de dollars. De ces 21 organisations, trois ont des activités dirigées vers le soutien aux vétérans sans abri : VETS Canada, la campagne RESPECT et la Mission Old Brewery[68].

La Légion royale canadienne

Grâce à son programme « Leave the Streets Behind », la Légion royale canadienne (LRC) peut offrir une aide financière aux vétérans itinérants et à risque ainsi que des logements d’urgence. Elle s’associe à VETS Canada et à d’autres organismes comme Soldiers Helping Soldiers pour venir en aide aux vétérans qui pourraient être dans le besoin. Sa Campagne du Coquelicot permet à la LRC de ne pas dépendre des fonds publics pour ses activités. Ses initiatives pour aider les vétérans en difficulté n’a donc reçu aucun financement du FBEVF.

Le programme Leave the Streets Behind a été lancé par la Direction ontarienne de la LRC en 2009. Le programme a été étendu à l’ensemble du pays grâce à un financement initial de 500 000 $ en 2012 qui sert à assurer que chaque direction provinciale mette sur pied un programme de soutien aux vétérans sans abri. En tout, plus de 2 millions de dollars ont été déboursés dans le cadre de ses activités[69]. Raymond McInnis, de la Direction nationale de la LRC, a donné quelques exemples d’initiatives rendues possibles par ce financement :

Un partenariat a été établi avec Mainstay Housing à Toronto pour soutenir trois emplacements à Toronto, sur les rues Parliament et Bathurst, de même que 10 appartements dans le village des athlètes des Jeux panaméricains. À ce jour, la Direction provinciale de l'Ontario a aidé 667 vétérans sans abri dans 139 collectivités en Ontario, y compris 62 femmes.
La Direction provinciale de la Colombie-Britannique et du Yukon fournit un soutien financier au Veterans Manor dans l'est de Vancouver et à la maison Cockrell à Victoria, une maison de transition qui est actuellement remplie. Il y a neuf chambres, et elles sont toujours pleines.
La Direction provinciale de l'Alberta et des Territoires du Nord-Ouest exploite une banque alimentaire depuis plus de 20 ans et travaille aujourd'hui directement avec la banque alimentaire de Calgary pour aider de nombreux vétérans de la collectivité. Elle collabore également avec des premiers intervenants, les services sociaux et Anciens Combattants Canada pour identifier et aider les vétérans sans abri. Bien qu'elle ne tienne pas de statistiques détaillées, elle estime qu'au cours des trois dernières années, plus de 60 vétérans et membres de leur famille ont profité d'un refuge d'urgence. Le nombre de vétérans qu'ils ont aidés à payer leur loyer pour éviter qu'ils deviennent sans-abri est de plus du double.
La Direction provinciale de la Nouvelle-Écosse et du Nunavut a lancé le programme de sensibilisation des vétérans, rassemblant des ressources communautaires et établissant des partenariats pour offrir une aide proactive aux vétérans sans abri[70].

Le réseau national développé par la LRC depuis un siècle lui permet de coordonner des interventions sur le plan local d’une manière irremplaçable. Il est donc difficile d’envisager un plan d’ensemble pour enrayer l’itinérance chez les vétérans qui n’impliquerait pas activement la LRC.

Wounded Warriors Canada

Fondé à la fin des années 2 000, Wounded Warriors Canada (WWC) a adopté une approche de spécialisation progressive de ses interventions, de manière à combler des lacunes que l’organisation avait identifiées tout en évitant les redoublements de programmes mis en œuvre par d’autres. Cela l’a amenée, au cours des six dernières années, à concentrer ses efforts en santé mentale. L’organisme investira cette année 3,2 millions de dollars pour l’ensemble de ses programmes[71]. Dans cet esprit de complémentarité que met de l’avant WWC, l’organisation s’est associée à VETS Canada pour lui permettre d’étendre son programme, plutôt que de lancer un nouveau programme de soutien aux vétérans itinérants.

Autres organisations

Soldiers Helping Soldiers

Soldiers Helping Soldiers (SHS) existe depuis six ans à Ottawa, mais a été constituée en société sans but lucratif en 2017[72]. Le lieutenant-général à la retraite Stuart Beare, président du conseil d’administration de l’organisme, l’a présenté en ces termes :

Nous sommes un organisme bénévole qui aide à chercher les anciens combattants qui vivent dans la rue et à rétablir des liens avec eux. Nous les repérons et nous établissons des liens avec eux. […] Nous bâtissons une relation personnelle avec les vétérans itinérants et, ensuite, nous les aidons à établir des liens avec les gens qui peuvent les aider et facilitons leur interconnectivité avec eux. Notre mission consiste essentiellement à « marcher côte à côte » avec les vétérans itinérants au lieu de leur « fournir des services » et à faciliter leur accès aux experts en prestation de services afin qu'ils puissent obtenir les services dont ils ont besoin. En gros, voilà qui nous sommes et ce que nous cherchons à accomplir.
Tous ceux qui travaillent pour Soldiers Helping Soldiers sont des bénévoles, y compris les membres actifs des Forces canadiennes qui ont reçu la permission de travailler avec nous à titre de bénévoles en uniforme afin d'inclure l'uniforme dans notre milieu[73].

Fonds de bienfaisance de la Marine royale canadienne

Fondé en 1942, le Fonds de bienfaisance de la Marine royale canadienne (MRC) fournit de l’aide financière de dernier recours, sous forme de subventions ou de prêts, et de l’aide aux études aux vétérans de la MRC, et à leurs personnes à charge. En 2018, pour l’ensemble de ses programmes, le Fonds a versé près de 600 000 $ à 237 personnes[74]. L’aide d’urgence est l’un de ces programmes, et compte pour 15 à 20 % des dépenses totales. Cette aide d’urgence est similaire à ce qu’offre le Fonds d’urgence pour les vétérans, pour un maximum de 1 000 $ par personne. Selon Robert Cléroux, président du Fonds, les demandes servent habituellement à bonifier l’aide offerte par ACC, VETS Canada ou la Légion royale canadienne. Le Fonds a versé un peu plus d’une centaine de telles subventions l’année dernière.

Campagne RESPECT

La campagne RESPECT est une initiative visant le réseautage des multiples organisations visant à soutenir les vétérans les premiers répondants à la retraite. Selon Stephen Gregory, fondateur de l’organisation, le projet a démarré à Montréal, et grâce à un financement du Fonds pour le bien-être des vétérans et de leur famille, il a pu être étendu à 19 villes au Canada[75]. L’un des objectifs de ces rencontres collaboratives est d’établir une carte permettant d’identifier sur le plan local les organisations capables d’offrir des services aux vétérans[76].

Conclusion

L’itinérance est un phénomène complexe dont la solution exige la coordination d’un grand nombre d’interventions dont certaines de grande envergure sur le plan national et d’autres très concrètes dans chacune des communautés affectées par ce problème. Dans le cas des vétérans, le phénomène prend une dimension particulière, car étant donné la nature ciblée des interventions qu’il est possible de mener, il est concevable de mettre en œuvre un programme qui permettrait d’éliminer l’itinérance chez les vétérans. C’est là la recommandation principale de ce rapport.

Il existe probablement entre 3 000 et 5 000 vétérans itinérants ou à haut risque d’itinérance au Canada. Leur profil est extrêmement varié et il est impossible d’établir un modèle général qui s’adapterait adéquatement à leurs besoins. Il faut donc une solution qui leur permet d’être pris en charge individuellement dans leur communauté et qui passe par la stabilité du logement. C’est là le principe dit du Logement d’abord dont le pari fondamental consiste à dire qu’il faut en premier lieu trouver une solution stable au logement d’une personne en difficulté, avant d’aborder toute autre problématique ayant pu contribuer à faire glisser cette personne dans la spirale menant à l’itinérance.

Les vétérans ont été identifiés comme une population à risque dans le cadre de la Stratégie nationale sur le logement. Cela offre un levier de financement incomparable qui permet d’envisager la coordination nationale des initiatives visant à mettre fin à l’itinérance des vétérans. Anciens Combattants Canada a un rôle clé à jouer en tant que relais entre les organisations locales qui rencontrent un ou une à la fois les vétérans en difficulté et les programmes fédéraux les mieux adaptés à leurs besoins. C’est pourquoi les membres du Comité attendent avec impatience le lancement de la stratégie du ministère pour lutter contre l’itinérance, dont on prévoit le lancement depuis quelques années déjà.

Certaines organisations communautaires dont l’expertise et le rayonnement national ont déjà produit des résultats remarquables doivent également être reconnues comme des partenaires privilégiés de cette stratégie. VETS Canada a contribué plus que toute autre organisation à la prise de conscience nationale du phénomène de l’itinérance chez les vétérans. De son côté, la Légion royale canadienne, par la capillarité de sa présence à la grandeur du territoire canadien, est tout simplement irremplaçable comme intermédiaire permettant de traduire localement de tels objectifs nationaux.

Finalement, dans chaque communauté, des citoyens et citoyennes de tous les horizons reconnaissent la valeur inestimable de l’engagement des vétérans et sont déjà prêts à se mobiliser pour cette cause, au moindre signal du lancement d’une action concertée par les autorités publiques, à tous les paliers de gouvernement, qui fera appel à leur solidarité. Les conditions sont donc réunies pour que, grâce à une initiative qui devra être pilotée par le gouvernement du Canada, en collaboration avec les provinces, les territoires, l’ensemble des municipalités, des dizaines d’organismes communautaires, la générosité du secteur privé et la volonté sincère des Canadiens et Canadiennes de reconnaître la contribution des vétérans à l’âme du pays, l’itinérance chez les vétérans devienne un problème du passé.


[1]              Ray, Susan L. et Cheryl Forchuk, The Experience of Homelessness Among Canadian Forces and Allied Forces Veterans, Lawson Health Research Institute / University of Western Ontario, 2011, 9-10 (ci-après Ray et Forchuk, 2011).

[2]              Ray et Forchuk, 2011, 9.

[3]              Emploi et Développement social Canada, L’ampleur et la nature de l’itinérance chez les vétérans au Canada, 2015.

[4]              M. Aaron Segaert (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1535.

[5]              M. Aaron Segaert (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1535.

[6]              Les données pour les États-Unis en 2014 sont tirées du 2017 AHAR report et du National Center for Veterans Analysis and Statistics [en anglais seulement].

[8]              M. Aaron Segaert (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1535.

[9]              M. Aaron Segaert (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1535.

[12]            M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1600.

[14]            M. Angus Stanfield (président, Cockrell House, South Mid Vancouver Island Veterans Housing Society), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1545. Voir aussi Mme Debbie Lowther (présidente et co-fondatrice, VETS Canada), Témoignages, ACVA, 22 novembre 2018, 1600.

[15]            M. Aaron Segaert (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1535.

[16]            M. Aaron Segaert (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1535.

[19]            M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1605. Au sujet d’un portrait similaire des vétérans de la GRC, voir les commentaires de M. Ralph Mahar (directeur général, Association des Anciens de la GRC), Témoignages, ACVA, 4 février 2019, 1710.

[21]            Mme Debbie Lowther (présidente et co-fondatrice, VETS Canada), Témoignages, ACVA, 22 novembre 2018, 1530.

[23]            M. Philip Ralph (directeur national des programmes, Wounded Warriors Canada), Témoignages, ACVA, 6 février 2019, 1620. Voir aussi les commentaires de M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1610.

[24]            M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1600.

[25]            M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1600.

[29]            M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1605; voir aussi les commentaires de M. William Webb (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 4 février 2019, 1655.

[31]            Anciens Combattants Canada, L’itinérance chez les vétérans au Canada.

[33]            M. Robert Tomljenovic (directeur de zone, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, ACVA, 20 novembre 2018, 1605.

[34]            ACC, Fonds d’urgence pour les vétérans.

[35]            M. Robert Tomljenovic (directeur de zone, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, ACVA, 20 novembre 2018, 1630.

[37]            M. Robert Tomljenovic (directeur de zone, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, ACVA, 20 novembre 2018, 1630.

[38]            M. Robert Tomljenovic (directeur de zone, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, ACVA, 20 novembre 2018, 1600.

[39]            M. Ralph Mahar (directeur général, Association des Anciens de la GRC), Témoignages, ACVA, 4 février 2019, 1605.

[40]            M. Robert Tomljenovic (directeur de zone, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, ACVA, 20 novembre 2018, 1545.

[41]            M. Robert Tomljenovic (directeur de zone, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, ACVA, 20 novembre 2018, 1555.

[44]            Mme Debbie Lowther (présidente et co-fondatrice, VETS Canada), Témoignages, ACVA, 22 novembre 2018, 1535.

[45]            M. Philip Ralph (directeur national des programmes, Wounded Warriors Canada), Témoignages, ACVA, 6 février 2019, 1640.

[48]            M. William Webb (à titre personnel), Témoignages, ACVA, 4 février 2019, 1620.

[49]            Société canadienne d’hypothèque et de logement, Stratégie nationale sur le logement, « Qu’est-ce que la Stratégie? »

[53]            Mme Suzanne Le (directrice générale, Multifaith Housing Initiative), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1655.

[54]            Mme Suzanne Le (directrice générale, Multifaith Housing Initiative), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1640.

[55]            M. David Howard (président, Homes for Heroes Foundation), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1630.

[56]            M. David Howard (président, Homes for Heroes Foundation), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1630.

[57]            Modèle canadien pour l’hébergement et le soutien des anciens combattants en situation d’itinérance, document déposé au Comité par Dre Cheryl Forchuk lors de la réunion du 6 février 2019, p. 9.

[59]            Modèle canadien pour l’hébergement et le soutien des anciens combattants en situation d’itinérance, document déposé au Comité par Dre Cheryl Forchuk lors de la réunion du 6 février 2019, p. 21.

[60]            M. Matthew Pearce (président et chef de la direction, Mission Old Brewery), Témoignages, ACVA, 29 novembre 2018, 1700.

[64]            Mme Suzanne Le (directrice générale, Multifaith Housing Initiative), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1710.

[65]            Mme Suzanne Le (directrice générale, Multifaith Housing Initiative), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1640.

[66]            Mme Debbie Lowther (présidente et co-fondatrice, VETS Canada), Témoignages, ACVA, 22 novembre 2018, 1530.

[67]            Mme Debbie Lowther (présidente et co-fondatrice, VETS Canada), Témoignages, ACVA, 22 novembre 2018, 1530.

[70]            M. Raymond McInnis (directeur, Services aux vétérans, Direction nationale, Légion royale canadienne), Témoignages, ACVA, 22 novembre 2018, 1535-40.

[71]            M. Philip Ralph (directeur national des programmes, Wounded Warriors Canada), Témoignages, ACVA, 6 février 2019, 1545.

[74]            M. Robert Cléroux (président, Fonds de bienfaisance de la Marine royale canadienne), Témoignages, ACVA, 27 novembre 2018, 1635.

[75]            M. Stephen Gregory (fondateur, Campagne RESPECT), Témoignages, ACVA, 4 février 2019, 1600.