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ACVA Rapport du Comité

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ALLER VERS LES VÉTÉRANS POUR AMÉLIORER LA PRESTATION DES SERVICES

1.  INTRODUCTION

À sa réunion du 25 février 2016, le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion à l’effet d’étudier «  la prestation de services aux vétérans fournie par le ministère des Anciens Combattants, incluant ce qui a trait aux questions de santé mentale. »

Cet objectif très large répondait dans un premier temps à une volonté de consultation suite à l’élection de l’automne 2015. Les membres souhaitaient rencontrer le plus grand nombre d’acteurs intéressés possible, prendre le pouls de l’état des relations entre la communauté des vétérans et le gouvernement, et connaître leurs attentes respectives par rapport à la direction que devraient prendre les travaux du Comité au cours de la 42e législature.

Dans un second temps, le Comité souhaitait signaler qu’après les 10 premières années d’entrée en vigueur de la Nouvelle Charte des anciens combattants (NCAC), les nouveaux programmes et services ont déjà fait l’objet d’une grande quantité d’analyses, d’évaluations et de recommandations. Plutôt que d’ajouter une autre étude de ces programmes et services, les membres ont choisi de mettre à l’épreuve l’approche mise de l’avant par ACC, avec le soutien des organisations représentant les vétérans, y compris l’Ombudsman des vétérans, et qui consiste à évaluer l’ensemble des programmes et services à partir du point de vue qu’adoptent les vétérans et les membres de leur famille sur ces programmes et services.

Cette approche se retrouve dans le mandat du secteur de la prestation des services à ACC. Il consiste à « [assurer] la prestation d’avantages, de services et de soutien social et financier qui répondent aux besoins des vétérans, des autres clients et des familles de ces derniers[1]. »

L’étude en cours vise à analyser la qualité des interactions entre le Ministère qui fournit des services et les individus qui en bénéficient. Pour mieux comprendre ces interactions, le Comité a également voulu se pencher sur les communications entre le Ministère et ses clients, sur différents aspects de la culture organisationnelle, ainsi que sur l’impact qu’a pu avoir le processus de transformation du Ministère sur chacun des éléments précédents.

Le but de l’étude n’est pas, dans un premier temps, d’évaluer la pertinence de recommander des modifications législatives ou réglementaires à telle prestation particulière ou à tel service, mais bien d’examiner si les prestations et services existants atteignent leurs objectifs tels qu’ils se conçoivent à travers la lentille des individus qui devraient en bénéficier, c’est-à-dire les vétérans et les membres de leur famille.

Ceci dit, la nature même des programmes, tels que rendus possibles par les lois sous la responsabilité du ministre des Anciens combattants, crée parfois des contraintes, notamment par des critères d’admissibilité et des obligations de reddition de comptes, qui s’accordent parfois difficilement avec d’autres objectifs d’efficacité. Par exemple, les membres du Comité se sont vite rendu compte que la complexité de certains programmes pouvait nuire à l’atteinte de leurs objectifs et constituer un frein à la prestation efficace des services, et influencer de manière négative la perception que peuvent en avoir les vétérans.

Ce rapport est divisé en quatre sections. La première présente le contexte de la dernière décennie qui a entraîné des mutations profondes au sein d’ACC. La deuxième décrit ce que l’on pourrait appeler la « culture » du Ministère, qui fut la cible de nombreuses critiques dans le cadre la présente étude et qui, selon plusieurs, est à la source des problèmes liés à la prestation des services. La troisième partie porte sur le processus de transition entre le moment où un militaire se blesse et devient malade, et celui où il quitte les Forces armées canadiennes (FAC) pour devenir un vétéran. La réussite de cette transition constitue sans aucun doute la meilleure garantie du mieux-être à long terme des vétérans. La quatrième partie aborde certains enjeux touchant la prestation de services plus spécifiques : le traitement par le Ministère des blessures ou maladies dites « secondaires », les programmes de soins de longue durée, la formation professionnelle, le rôle clé des gestionnaires de cas, les familles et la santé mentale.

Le Comité a tenu 25 réunions dans le cadre de cette étude, et entendu plus de 70 témoins depuis mars 2016. Les membres tiennent à les remercier sincèrement de leur contribution et espèrent avoir correctement reflété la multiplicité de leurs points de vue.

2.  UNE DÉCENNIE TURBULENTE

Afin de mieux comprendre les points de vue parfois contradictoires qui s’expriment au sujet de la prestation des services aux vétérans, il est nécessaire de rappeler certains éléments de contexte sur lesquels ces points de vue prennent leur appui. Au cours des 10 dernières années, les services et le soutien financier offerts aux vétérans canadiens ont connu une transformation importante. Trois événements sont venus précipiter cette transformation : le vieillissement et la diminution rapide du nombre de vétérans de la Deuxième guerre mondiale et de la Guerre de Corée, l’entrée en vigueur de la Nouvelle Charte des Anciens combattants (NCAC) en 2006, et la participation de 40 000 militaires canadiens au conflit en Afghanistan entre 2001 et 2014.

2.1  Le passage de la Loi sur les pensions à la Nouvelle Charte des anciens combattants

Le régime qui fut en vigueur jusqu’au 1er avril 2006 remontait à la première Guerre mondiale. En vertu d’un décret du 15 avril 1915, adopté sous la Loi sur les mesures de guerre, une pension était payable à vie à toute personne ayant subi une blessure de guerre entraînant une invalidité permanente. Un décret visant à indemniser les veuves fut également déposé en janvier 1916. Après quelques révisions, ces décrets sont devenus la Loi sur les pensions en 1919. Des modifications lui ont été apportées par la suite, surtout afin de refléter la participation canadienne à la Seconde guerre mondiale et à la Guerre de Corée.

Les principes de la Loi sur les pensions étaient adaptés aux conséquences des grands conflits mondiaux où des centaines de milliers de citoyens devaient participer pendant une période relativement courte à une guerre de masse d’une extrême intensité qui mobilisait la quasi-totalité des énergies du pays tout entier. Les anciens combattants étaient en grande majorité des citoyens ordinaires qui mettaient en suspens leurs activités, leurs ambitions et leur vie familiale pour aller servir leur pays en sachant qu’ils y risqueraient leur vie. Très peu d’entre eux projetaient une « carrière » militaire. La Loi sur les pensions était faite pour une armée temporaire de citoyens, pour un « corps expéditionnaire », pas pour une armée professionnelle permanente, comme le sont devenues les FAC au cours des années 1950 et 1960.

Depuis le milieu des années 1950, les militaires qui s’engagent dans les Forces armées le font habituellement dans une perspective à long terme, et ce n’est plus dans une perspective de « retour » à la vie civile que le Canada doit leur apporter un soutien, mais bien dans une perspective de « transition » vers la vie civile. L’ombudsman des vétérans, Guy Parent, l’a bien exprimé durant son témoignage : « Certains parlent de réintégration, mais ce terme ne décrit pas la réalité d'un professionnel qui a passé 35 ans dans le milieu militaire. Il ne s'agit pas de réintégration, mais bien d'intégration[2]. »

La Loi sur les pensions était mal adaptée à cette nouvelle réalité d’une armée professionnelle.  Entre 1955 et le début des années 1990, la proportion de militaires libérés pour raisons médicales était faible, ce qui a d’une certaine manière retardé la prise de conscience des lacunes de la Loi sur les pensions dans le contexte d’une armée professionnelle. Au début des années 1990, la fin de la Guerre Froide, la multiplication de missions de maintien de la paix de plus en plus dangereuses, et les compressions budgétaires importantes ont commencé à faire augmenter cette proportion. Avec l’intensification de la participation canadienne au conflit en Afghanistan, le nombre de membres libérés pour raisons médicales a augmenté. Au cours de la dernière décennie, il s’est stabilisé à entre 1 200 et 1 500 par année[3]. C’est essentiellement à ces personnes que s’adressent les modifications introduites par la NCAC.

Le passage d’un système qui offrait une compensation financière modeste mais à vie, à un système de paiements forfaitaires a été fréquemment critiqué. Depuis son entrée en vigueur, de nombreux groupes de vétérans sont venus expliquer au Comité qu’ils craignaient qu’un tel arrangement n’offrirait pas une sécurité financière suffisante pour favoriser le rétablissement des vétérans et leur transition harmonieuse vers la vie civile.

Bien que le présent rapport porte sur la prestation des programmes et des services, et non sur leur contenu, les insatisfactions exprimées depuis 10 ans sur le remplacement de la pension à vie par un paiement forfaitaire sont un élément important du contexte à partir duquel les vétérans interprètent la qualité des services fournis par ACC. Cette insatisfaction a été clairement exprimée par le représentant de l’Association canadienne des vétérans de la Corée :

L'ennui avec la Nouvelle Charte, c'est qu'elle venait éliminer la pension d'invalidité et la pension à vie. Lorsque j'ai appris qu'à la mort d'un ancien combattant, son plus proche parent […] recevrait 250 000 $, c'est comme si on disait: « Voilà l'argent; prenez-le et ne nous dérangez plus.  » En tout cas, c'est l'impression qu'ont eue les anciens combattants de la guerre de Corée[4].

Si on a beaucoup critiqué à la NCAC de ne pas offrir la même sécurité financière que celle que permettait la Loi sur les pensions, en contrepartie, le programme de réadaptation et sa souplesse à accommoder les besoins des vétérans ont été reconnus comme une amélioration notable.

2.2  La transformation d’Anciens Combattants Canada et la disparition des vétérans traditionnels

En même temps qu’on s’affairait à mettre en œuvre les programmes de la NCAC , entrée en vigueur le 1er avril 2006, ACC s’est lancé dans un important processus de modernisation. L’ampleur des changements à accomplir fut telle que, dans le Rapport ministériel sur le rendement 2010-2011, on estimait qu’il s’agissait du « processus de transformation le plus important jamais entrepris depuis la création d’Anciens Combattants Canada il y a 65 ans[5] ».

Le Plan de transformation quinquennal 2011-2016 d’ACC découle du Plan stratégique quinquennal 2009-2014[6]. Ce dernier visait à permettre au Ministère d’anticiper les changements liés au fait que, suite à la disparition progressive des vétérans traditionnels de la deuxième guerre mondiale et de la Guerre de Corée, ce sera désormais les vétérans de l’ère moderne qui composeront la majorité de la clientèle d’ACC qui compte en tout environ 200 000 vétérans ou survivants : « Nous prévoyons une diminution nette d'environ 11 000 anciens combattants ayant servi en temps de guerre et survivants recevant des prestations d'Anciens Combattants Canada cette année[7]. »

Le Plan stratégique quinquennal 2009-2014 s’était élaboré dans le contexte incertain des conséquences de la crise financière. Étant donné les nombreuses interactions entre les mesures prévues dans le Plan stratégique quinquennal 2009-2014 et les réorganisations rendues nécessaires par les changements démographiques et les plans de réduction de dépenses, ACC a élaboré au cours de 2010-2011 le Plan de transformation quinquennal 2011-2016 qui constitue un plan de transformation global de l’ensemble des opérations du Ministère. Ce plan s’est officiellement mis en branle en mai 2010[8]. À partir de l’automne 2012, ce plan de transformation a été désigné par le Ministère sous le vocable « Initiative de réduction des lourdeurs administratives pour les vétérans » (Cutting Red Tape for Veterans’ Initiative)[9].

Le Rapport sur les plans et priorités 2016-2017 d’ACC ne nomme pas ce plan de transformation, mais les initiatives prévues en vertu de la « priorité no 1 – approche centrée sur les vétérans » sont en continuité directe avec les initiatives mises de l’avant au cours de la dernière décennie.

3.  ANCIENS COMBATTANTS CANADA : CE MINISTÈRE MAL AIMÉ

Peu importe la qualité des services offerts, la pertinence des programmes ou l’attitude des employés, si la confiance des vétérans est fragile envers le Ministère, cela influencera leurs perceptions de tout le reste. À cet égard, les témoignages entendus sont en apparence contradictoires. Pour certains, au fil des années, il semble s’être installé une attitude de méfiance de la part des vétérans envers ACC, et malgré les efforts de rapprochement, le lien de confiance semble encore difficile à rétablir. Pour d’autres, la relation avec le Ministère a été excellente. Quant au Ministère lui-même, ses représentants sont venus répéter avec conviction que des efforts considérables ont été déployés pour transformer cette perception négative[10].

 Durant les audiences du Comité, les membres des familles des vétérans blessés ont manifesté une grande insatisfaction envers le Ministère. Plusieurs sont venus exprimer, chacun à sa façon, ce sentiment d’un bris de confiance. Par exemple, Carla Murray, l’épouse d’un vétéran souffrant d’une blessure de stress opérationnel, a dit : « Anciens Combattants s'organise pour être plus distant. Lorsqu'on se présente à un bureau d'Anciens Combattants, c'est un sentiment horrible. Ce n'est pas accueillant. C'est fermé. Il y a presque une barricade à l'entrée. Personne ne veut se rendre à un bureau d'Anciens Combattants, car l'environnement n'y est pas très accueillant[11]. »

Un peu plus tard au cours de la même réunion, elle eut ces mots très durs envers ACC : « L'organisation n'a aucune crédibilité. Il faut recommencer à neuf, et faire sauter le Ministère. Il faut changer son nom et tout modifier. Vous vous adressez à des employés qui favorisent la même culture de retards et de déni depuis 10 ans. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu'ils changent, et ils ne le feront pas non plus[12]. »

Jim Scott, président d’Equitas et père d’un vétéran gravement blessé en Afghanistan, a exprimé un point de vue similaire qui fait ressortir la perception qu’ont certains vétérans de l’attitude du Ministère comme étant celle d’une compagnie d’assurances :

Nous ne sommes pas ici pour nous mettre à dos le ministère des Anciens Combattants, mais il reste qu'il y règne une culture du « non », comme on dit. Nos demandes se voient souvent rejetées. Il faut alors insister et passer devant le comité de révision. Si l'on s'adresse à la Cour fédérale et qu'il n'y a pas de résolution, le dossier revient comme il se doit au Tribunal des anciens combattants (révision et appel) et on se trouve piégé dans un engrenage.
Voici l'exemple d'un représentant demandeur. Il s'agit de mon fils encore une fois. On lui a retiré une partie de son pancréas. Il a soumis une demande en suivant le processus pour faire valoir que sa condition lui causait des problèmes sur le plan de l'alimentation. On a rejeté sa demande en arguant que la situation n'avait aucun effet sur son bien-être. [13]

Cela va encore plus loin dans le cas de blessures de stress opérationnel. M. Scott ajouta : « Surtout dans les cas de stress post-traumatique, je pense qu'il y a une certaine tendance à ne pas croire les candidats et à se dire qu'ils sont tout simplement à la recherche d'un peu d'argent à leur retour au pays après avoir servi à l'étranger, parce qu'ils n'ont plus de revenu. C'est un préjugé qu'il faut combattre[14]. »

Afin d’étayer une position similaire, Denis Beaudin, fondateur de Veterans UN-NATO Canada, a cité un paragraphe que l’on retrouve en préambule de la version française du formulaire de « demande de participation aux Services de réadaptation professionnelle et d’assistance professionnelle pour le vétéran » :

« La participation active est la clé du succès pour ce qui est du Programme de services de réadaptation et d'assistance professionnelles. Dans le cas contraire, vous risquez de ne pas progresser et le programme pourrait être suspendu. »
On menace l'ancien combattant avant même qu'il ne commence à répondre à une question[15].

À l’opposé, le général à la retraite Walter Natynczyk, sous-ministre à ACC, a dit au Comité :

Nous prônons désormais une culture de bienveillance. Ce que je dis à nos employés, lorsque je visite les bureaux partout au pays ainsi que l'Administration centrale, c'est que nous devons traiter nos vétérans comme s'ils étaient notre mère, notre père, nos fils ou nos filles. Quel niveau de soins voudrions-nous offrir à nos propres enfants? Mes trois enfants ont servi dans les forces armées.
Nous devons donner le bénéfice du doute aux vétérans en leur offrant des soins avec compassion et respect, peu importe la situation[16].

Michel Doiron, sous-ministre adjoint à la prestation des services, a abondé dans le même sens : « Les services doivent être axés sur les vétérans. Il faut examiner la question du point de vue des vétérans et non du point de vue des bureaucrates. Il nous reste encore du chemin à faire à ce chapitre[17]. »

Il faut toutefois noter que cette transformation de la culture du Ministère semble être une initiative relativement récente. Bernard Butler, sous-ministre adjoint aux politiques stratégiques et à la commémoration, a présenté ce virage de la manière suivante :

Ce que je vais vous dire, c'est qu'au cours des deux dernières années environ, nous avons conçu, à la demande de notre sous-ministre et avec l'appui de notre ministre, un plan stratégique qui exige clairement trois choses. Une est le redressement de la situation et une autre est l'excellence du service. Trois principes sous-tendent l'approche adoptée pour résoudre ces problèmes: faire preuve d'attention, de compassion et de respect envers les vétérans.
Je pense que tout cela fait partie d'un changement de culture au sein du ministère. Nous tentons de trouver des façons et des moyens de comprendre les besoins des vétérans et de toujours leur donner la priorité. Autrement dit, c'est une approche centrée sur l'ancien combattant en ce qui touche non seulement tous nos services, mais aussi la façon dont nous concevons nos politiques, nos processus opérationnels et même nos programmes[18].

En comparaison des perceptions généralement négatives des vétérans des décennies 1990 et 2000, celles des vétérans plus âgés semblent si diamétralement opposées que les membres du Comité ont pu se demander si elles portaient véritablement sur le même ministère. Par exemple, en préparation de son témoignage au Comité, M. Bill Black, président de l’Unité 7 de l’Association canadienne des vétérans de la Corée, a consulté les membres de son organisation :

Récemment, j'ai fait appel à certaines de nos unités et à certaines personnes au sein de l'unité d'Ottawa pour obtenir une réponse à la question suivante: « Décrivez comment vous êtes traités par Vétérans Canada ». Tout le monde a fourni une réponse presque identique, comme: « je n'ai aucune plainte à formuler », « cela dépasse mes attentes », « on prend bien soin de nous » et « sans l'aide d'ACC, je serai dans la rue ». […] D'après les commentaires, pour une raison quelconque, Anciens Combattants Canada semble fournir, avec brio et grande compassion, une aide valable aux vétérans de la guerre de Corée.[19]

Il est donc possible que les perceptions les plus négatives s’appuient sur des expériences vécues depuis l’intensification des opérations militaires au début des années 1990 (ex-Yougoslavie, Somalie, Rwanda, Afghanistan). Les programmes du Ministère étaient mal adaptés aux besoins de cette génération plus jeune qui avait vécu des expériences parfois traumatisantes et d’une nature très différente de celles vécues par les vétérans traditionnels de la Deuxième guerre mondiale et de la Guerre de Corée. À partir des témoignages entendus, il semble que les plus grandes insatisfactions soient celles des vétérans dont les premiers contacts avec ACC se sont produits dans l’intervalle de 25 ans qui couvre les 15 années précédant l’entrée en vigueur de la Nouvelle Charte jusqu’au virage dans la culture ministérielle dont les effets ont commencé à se manifester vers 2014. Encore une fois, il faut éviter de généraliser. Certains, qui ont été libérés des FAC durant cette période, ont beaucoup apprécié les services d’ACC. C’est le cas du colonel à la retraite Russell Mann, travaillant aujourd’hui avec l’Institut Vanier de la famille : « Ma transition s'est mal passée, mais le suivi [par ACC] était remarquable. On ne m'a pas oublié, on ne m'a pas délaissé et on m'a fait ressentir un sentiment d'appartenance. C'est tout ce dont j'avais besoin[20]. »

De nombreux vétérans ont exprimé le sentiment d’incompréhension qu’ils vivaient lorsqu’ils devaient discuter des particularités de leur dossier avec des employés du Ministère qui semblaient ne pas être sensibles à la culture militaire. Le sergent Matthew Harris, qui coordonne un réseau d’entraide pour les militaires, les vétérans et les membres de leur famille, a bien exprimé cette idée :

Les vétérans ressentent un besoin pressant de parler à d'autres vétérans. Ils ne veulent pas recevoir une lettre impersonnelle du ministère des Anciens Combattants opposant un refus à leur demande. Ils ont l'impression d'être traités de menteurs et de voir leur honneur remis en question par un civil. La réalité n'a pas d'importance lorsque la perception est si forte qu'elle prend le pas sur elle[21].

La nomination du général à la retraite Walter Natynczyk au poste de sous-ministre en novembre 2014 a incarné cette transition dans la culture d’ACC pour de nombreux vétérans. La présence d’un ancien officier respecté à la tête de l’administration du Ministère a semblé être perçue comme un signe positif de la volonté du Ministère de retrouver ce sentiment de confiance qui s’appuie sur la solidarité d’expériences partagées entre vétérans[22].

Malgré les critiques formulées par plusieurs témoins, d’autres ont fait part d’expériences très positives dans le cadre de leurs interactions avec ACC. Robert Thibeau, président de Aboriginals Veterans Autochtones, a relaté des actions du Ministère qui illustrent bien comment ses employés peuvent faire preuve d’initiative et de compassion :

Un type qui fait partie de mon organisme était dans la Marine. Il souffrait du syndrome de stress post-traumatique, au point où il a dû être libéré. Il était très fâché d’avoir été expulsé. Il est resté dans cette humeur durant environ deux ans. Un de mes amis proches a communiqué avec Anciens Combattants et a fait savoir aux personnes concernées que ce serait peut-être une bonne chose de permettre à ce gars de retourner dans sa communauté. Il était en Nouvelle-Écosse, mais c’était un Ojibway du Manitoba ou du nord de l’Ontario. Anciens Combattants a payé son trajet pour qu’il rentre « chez lui ». Ils ont payé pour les deux semaines qu’il a passées là-bas. Ce qu’il a vécu auprès des aînés et auprès des gens de sa communauté a fait de lui une meilleure personne. Son processus de guérison a progressé énormément à cause de cela. Je crois que c’est un bel exemple de réussite et que l’on devrait reconnaître le mérite d’Anciens Combattants Canada d’avoir pensé le processus de guérison autrement.[23]

Anthony Saez, directeur exécutif et chef avocat-conseil des pensions au Bureau de services juridiques des pensions d’ACC, a également souligné l’évolution positive de la culture du Ministère dans les dossiers de harcèlement sexuel :

Les préoccupations à cet égard ont évolué au fil du temps, et le ministère et le Tribunal ont suivi la tendance dans la société et ont en gros affirmé que c'est inacceptable et que ce ne sera pas toléré.
[…] Auparavant, les autorités pouvaient convenir qu'il y avait eu harcèlement sexuel et que ce n'était pas acceptable, mais que cela n'était pas survenu dans l'exercice des fonctions de la victime. Le harcèlement n'était donc pas lié au service. Par conséquent, la victime n'y était pas admissible. Cela a aussi évolué en faveur des vétérans, parce que les autorités reconnaissent maintenant que, si cela survient dans l'exercice de vos fonctions, l'employeur est responsable. Par conséquent, cela découle de votre service.[24]

De tels commentaires positifs sont toutefois apparus aux membres du Comité comme des oasis isolées. La perception dominante demeure la frustration envers l’attitude du Ministère comme étant celle d’une compagnie d’assurances dont on soupçonne qu’elle voudrait délibérément décourager les vétérans de demander des prestations et des services. Richard Blackwolf, président national de l’Association canadienne des vétérans et membres actifs autochtones, s’est fait l’écho de cette perception :

[Les vétérans] soumettent une demande, et 18 ou 20 semaines plus tard, on leur répond que leur demande est rejetée. C’est tellement frustrant pour eux. Certains essaient de nouveau. Beaucoup d'entre eux ont soumis trois demandes sans rien obtenir, après quoi ils abandonnent.
[…] C’est donc un système de retards et de refus qui est tout à fait impressionnant.
Vous ne penseriez pas que des félicitations s'imposent lorsqu'une demande est acceptée, mais c'est ce que nous faisons. Nous disons au demandeur qu’il a vraiment accompli un exploit. Ces gens deviennent presque des vedettes[25].

L’un des vétérans rencontrés lors du passage du Comité à Toronto a exprimé la même idée avec éloquence :

S'il y a un problème ou une question qui n'est pas facile à trancher, nous devrions croire les vétérans. Or, si un doute subsiste ou que des questions restent sans réponse, l'accent est mis sur cet aspect. Anciens Combattants Canada se rabat sur cet élément pour dire aux vétérans: « Désolé, mais votre demande n'est pas approuvée. Vous ne recevrez pas ces avantages. Vous ne recevrez pas ces soins. »
Voilà ce que je veux dire par un refus systématique. C'est un stratagème digne d'une compagnie d'assurances qui vise délibérément à limiter les responsabilités financières et à éviter de verser quoi que ce soit.
[…] Dès que le ministère agit comme une compagnie d'assurances ou s'appuie sur les mêmes principes, l'obligation sacrée et sociale est la première chose qui saute et qui prend le bord[26].

Ces frustrations semblent étroitement liées au processus d’appel qui se met en branle lorsqu’un vétéran n’est pas satisfait de la réponse obtenue suite à une demande d’indemnisation financière. Il faut comprendre que cette réponse insatisfaisante représente souvent pour le vétéran l’aboutissement d’un processus parfois long durant lequel les motifs de frustration se sont accumulés. Le refus vient pour ainsi dire confirmer concrètement une impression plus vague de complexité du système, de lenteur calculée, et de dépersonnalisation des communications qui disposait défavorablement le vétéran, mais qui aurait été plus facilement pardonnable si le résultat s’était avéré positif.

Depuis quelques années, l’expression de cette insatisfaction ne se limite plus à ACC. En effet, tel qu’en a fait état M. Gary Walbourne, ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, même les militaires en service deviennent de plus en plus critiques des services qu’ils reçoivent :

Ce que j'entends dire des membres – ceux qui servent et ceux qui sont libérés –, c'est que la frustration monte. Elle monte. Les gens sont frustrés. Le nombre d'appels que je reçois est près de 30 % supérieur à celui de l'an dernier. J'ai remarqué que le CEEGM, le Comité externe d'examen des griefs militaires, a publié son rapport. Le nombre de ses griefs a augmenté de façon fulgurante. Il se passe quelque chose, et, si nous n'en tenons pas compte et que nous ne réglons pas la situation, je répugne à le dire, mais nous allons encore être en train de tenir cette conversation dans 10 ou 12 mois[27].

La même croissance des activités a été noté par l’ombudsman des vétérans, M. Parent : « Ces dernières années, le nombre d'interventions s'est accru. Nous devons communiquer avec Anciens Combattants Canada pour résoudre des problèmes, dont la majorité concerne les règlements relatifs aux soins de santé[28]. »

Dans le cadre de la présente étude, beaucoup d’anecdotes ont été présentées sur des cas particuliers touchant de nombreux aspects des différents programmes. Il est impossible pour le Comité de se prononcer sur la légitimité de ces critiques, mais l’impression générale qui en ressort est celle d’une insatisfaction générale quant aux relations entre le Ministère, les vétérans, et les militaires en voie d’être libérés. Si on s’en tient aux témoignages reçus, le lien de confiance semble brisé, et une fois cette rupture consommée, toutes les interactions entre le Ministère et les vétérans sont perçues à travers ce filtre de méfiance qui fait soupçonner que les refus de services ou de prestations sont une stratégie délibérée.

ACC a déployé des efforts considérables au cours de la dernière décennie afin de lutter contre cette perception que ses employés recevaient des instructions de refuser systématiquement les premières demandes. Les statistiques fournies par le Ministère semblent lui donner raison : « Pour ce qui est des premières demandes, le taux d'approbation n'est plus de 63 %, mais de 83,3 %. C'est une hausse de 20 points de pourcentage. » [29] Cette amélioration est confirmée par Anthony Saez, du Bureau de services juridiques des pensions[30] qui représente gratuitement environ 95 % des vétérans qui se présentent devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)[31].

Cette amélioration est spectaculaire et s’est produite au cours des quelques dernières années, mais il faudra encore un certain temps avant qu’elle puisse remplacer la perception négative qui s’est construite à long terme dans l’esprit de nombreux vétérans.

Avant de se pencher sur le processus d’appel, il est donc important de comprendre d’abord les frustrations que peuvent vivre les vétérans face à trois autres groupes de problèmes : la complexité des programmes et des règles d’admissibilité, les délais qui s’écoulent entre le premier contact avec le Ministère et la prestation des services, et finalement les communications entre les vétérans et le Ministère dont les difficultés peuvent souvent être une conséquence de la complexité des programmes et de la lenteur à en faire bénéficier les vétérans. Ces enjeux sont abordés ci-dessous.

3.1  Complexité du système

La quasi-totalité des témoins entendus au cours de cette étude l’ont répété : les vétérans et les membres de leur famille ne comprennent pas ce à quoi ils ont droit. Cette complexité contribue à élargir le fossé entre les vétérans et le Ministère puisque, la confiance étant déjà fragile, les interactions parfois carrément ésotériques entre les conditions d’admissibilité à certains programmes laissent croire que le gouvernement essaie délibérément de confondre les vétérans en utilisant des motifs de rejet qu’il serait beaucoup trop exigeant pour le vétéran de remettre en question. M. Parent, ombudsman des vétérans, en a même fait l’une des causes principales des difficultés que vivent les vétérans :

Demandons-nous pourquoi certains vétérans et leur famille sont encore en difficulté aujourd'hui. En termes simples, les avantages sont trop complexes, pas seulement pour les vétérans, mais aussi pour le personnel du ministère. Après des décennies à empiler couches après couches de règlements et de politiques sans trop nous préoccuper des effets que cela aurait sur les vétérans, nous avons créé un système difficile à administrer dans les meilleures conditions[32].

De nombreux vétérans sont venus exprimer leur frustration face à cette complexité, en soulignant à quel point il fallait de la détermination pour ne pas choisir de baisser les bras en cours de route. Le point de vue de l’un d’entre eux, Cody Kuluski, est apparu particulièrement représentatif :

C'était une énorme pile de formulaires. C'était complètement accablant, c'est certain. Je ne suis pas bon pour faire de la paperasse. […] Nous sommes de l'infanterie. Nous avions des gens qui faisaient tout pour nous, et puis vous remettez à un soldat d'infanterie une pile de formulaires et vous lui dites de tous les remplir et de les envoyer, sans quoi il ne recevra pas de services; c'était complètement accablant pour moi. Je suis assurément tombé entre les mailles du filet.
J'ai probablement perdu des services dont je n'étais même pas au courant ou dont je n'ai pas entendu parler[33].

Jesse Veltri a clairement exprimé sa frustration envers ACC : « Le fait est que vous nous laissez de la paperasse à remplir, que vous nous faites tourner en rond avec cette paperasse et que, maintenant, nous n'allons nulle part. Comme nous n'allons nulle part, nous devenons frustrés. Et je deviens frustré, car je profère des jurons à l'endroit d'Anciens Combattants pas mal tous les jours[34]. »

De plus, les militaires en voie d’être libérés ou les vétérans doivent traiter avec cette complexité, alors que leur vie est en complète réorganisation. Jody Mitic a fait comprendre aux membres du Comité comment ces demandes se retrouvent souvent au bas des priorités des vétérans :

J'ai perdu mes deux pieds dans l'explosion d'une mine, et, soudainement, quand j'ai été libéré, j'étais censé m'occuper de toute cette paperasse par moi-même. C'était extrêmement frustrant parce qu'à mes yeux, la paperasse se limitait à mon croquis de reconnaissance et à mon rapport de patrouille, que je remettais à mon retour de mission. Je ne comprenais pas le processus. Je sais que, maintenant, 10 ans plus tard, il semble un peu bizarre que je n'aie pas pu me débrouiller pour remplir la paperasse, mais, à ce moment-là, j'étais plus préoccupé par le fait de réapprendre à marcher qu'à remplir un formulaire[35].

Ces formalités administratives en viennent à nuire au bon rétablissement des vétérans. C’est ce qu’a expliqué Mme Alannah Gilmore :

Je suis une ancienne combattante qui compte 23 ans de service. J'étais technicienne médicale. […] J'ai été libérée pour trouble de stress post-traumatique, et je crois qu'à un certain moment, ACC est devenu un énorme élément déclencheur pour moi. […] Ce n'est pas que les responsables du ministère veulent compliquer la vie des gens, mais, quand il y a tellement de noms et de termes pour décrire diverses prestations et divers éléments, mais que personne n'est disponible pour vous les expliquer, c'est plus qu'accablant.
En fait, je pensais savoir de quoi je parlais. […] J'étais une sergente, une sous-officière supérieure, alors, sérieusement. Vingt-trois ans et je n'arrive pas à déterminer comment fonctionne ce système. J'étais membre du personnel médical; je devrais tout comprendre. Si je ne comprends pas, alors, qu'est censé faire le jeune soldat, caporal ou qui que ce soit d'autre qui est frappé d'une incapacité physique ou mentale, si moi, je n'y arrive pas?[36]

Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, a noté les mêmes difficultés dans un rapport portant sur les programmes de transition des militaires à la vie civile, mais ses conclusions pourraient souvent être applicables à l’ensemble des programmes dont peuvent se prévaloir les vétérans : « Il existe de nombreux programmes, avantages et services visant à aider les militaires malades ou blessés à faire la transition vers la vie civile. Toutefois, nous avons constaté que le processus pour comprendre le fonctionnement des programmes et la façon d'y accéder étaient souvent complexes, lents et difficiles[37]. »

Il est devenu clair que le Ministère doit redoubler d’efforts afin de trouver des manières créatives de simplifier ses programmes. Tous reconnaissent toutefois qu’il n’est pas réaliste de s’attendre à ce que se défasse en quelques années ce qui a mis des décennies à se construire. C’est pourquoi, tout en reconnaissant que ce travail de fond est plus que jamais nécessaire, il faut une stratégie à court terme afin d’atténuer les conséquences néfastes de cette complexité sur la vie des vétérans et des membres de leur famille. L’ombudsman des vétérans a résumé à quoi pourrait ressembler une telle stratégie :

Et si le résultat voulu pour la prestation des services du ministère était une approche à guichet unique axée sur les vétérans? Au début du processus de libération, le ministère passerait le dossier en revue et déterminerait tous les avantages auxquels l'ancien combattant aurait droit. On donnerait ensuite le résultat de ce travail à l'ancien combattant, évitant ainsi à ce dernier de devoir présenter une demande pour l'un ou l'autre des avantages.
La question importante qu'on doit se poser est la suivante: si ce travail était fait en temps opportun, est-ce qu'il préparerait davantage l'ancien combattant à la transition? Est-ce qu'il réduirait la charge de travail des employés du ministère? Est-ce qu'il augmenterait la confiance dans le système? Je crois que la réponse est oui[38].

Si un tel guichet unique était mis en place, l’une des premières conséquences positives serait de mettre fin à la nécessité pour le vétéran de répéter son histoire chaque fois qu’il dépose une demande de services. Comme l’expliquait l’ombudsman des vétérans :

Le processus de demande fait en sorte que les gens doivent remplir des formulaires différents et passer différentes entrevues pour les diverses prestations. Lorsqu'on met en œuvre un mécanisme de prise de décision, on évalue leurs capacités et leurs incapacités. Chaque fois, la personne atteinte de trouble de stress post-traumatique ou d'une blessure inapparente doit répéter son histoire pour en expliquer la cause et la raison de son état de santé. Cela arrive tout le temps[39].

Jerry Kovacs, l’un des vétérans rencontrés durant la visite du Comité à Montréal, a exprimé la même opinion : « Il devrait y avoir un formulaire de demande pour l'ensemble des services et des prestations. L'admissibilité aux services et aux prestations ne devrait pas exiger du vétéran qu'il décrive plusieurs fois la blessure dont il a été victime[40]. »

Les membres du Comité sont sensibles aux efforts déployés par les employés du Ministère pour offrir des solutions qui permettraient d’atténuer cette complexité. Toutefois, la créativité des administrateurs est souvent limitée par ce que la Loi les autorise à faire et les oblige à demander aux vétérans. M. Doiron a décrit les démarches entreprises par le Ministère pour être plus proactif :

Dans le cas des blessures, nous n'avons pas éliminé le fardeau de la preuve, mais nous avons simplifié le processus. Ainsi, on demande quel était la fonction exercée par l'ancien combattant. Le sous-ministre en a parlé plus tôt. Prenons l'exemple suivant.
C'est dans le cas d'un fantassin. Dans le cas d'un ancien soldat qui était sur le terrain, on sait qu'il est normal qu'il ait des problèmes aux genoux, aux hanches et au dos. Si quelqu'un a servi dans l'infanterie, il y a deux ou trois choses que nous regardons. C'est ce qu'on appelle le fardeau de la preuve. Si un médecin dit que la personne est blessée, elle appartient au club. Il faut encore évaluer le pourcentage d'incapacité et la complexité de la blessure, mais il n'est pas question de remettre en cause le droit aux prestations[41].

M. Saez a confirmé l’amélioration qu’a entraînée ce traitement de ce type de blessures :

L'autre aspect qui a changé plus récemment concerne les traumatismes articulaires répétitifs. Par le passé, le ministère et le Tribunal cherchaient toujours à déterminer l'accident ou l'événement précis qui a causé la blessure. Nous donnions souvent l'exemple d'un membre d'équipage de char qui porte un lourd casque et des lunettes de vision nocturne et qui subit continuellement des coups avec un tel poids sur la tête; nous faisions valoir que cela aurait au final des répercussions sur son cou. Le ministère et le Tribunal ont tous les deux accepté la réalité des traumatismes articulaires répétitifs. Ils reconnaissent maintenant que ce n'est pas nécessaire qu'un accident précis ait causé l'incapacité; cela peut avoir été causé par de petits événements sur une longue période[42].

De telles initiatives donnent des résultats à court terme et n’affectent pas les ressources financières du Ministère. La plupart des solutions visant à simplifier les programmes et les processus sont de cette nature. Comme le notait le vérificateur général :

On s'attend normalement à obtenir de meilleurs résultats en consacrant plus de ressources à un programme, mais ce n'est pas nécessairement toujours le cas. Dès qu'on apporte une telle modification, qu'on s'engage à faire autre chose, ou qu'on investit davantage dans un programme, il est selon moi important d'avoir un moyen efficace d'évaluer si la mesure donne le résultat voulu[43].

L’un des problèmes qui semblent les plus difficiles à régler est celui du manque d’harmonisation entre les politiques et les programmes des différents ministères qui touchent les vétérans. M. Scott en a décrit quelques-uns :

Chaque ministère applique des normes différentes à la même situation, ce qui donne lieu à des avis divergents. Par exemple, le ministère de la Défense nationale peut libérer un soldat de ses fonctions parce qu'il ne répond pas aux exigences en matière d'universalité du service en raison de certaines blessures qu'il a subies, mais le ministère des Anciens Combattants ne jugera pas ces blessures admissibles à une indemnité, tandis que l'Agence du revenu du Canada peut ne pas considérer que le soldat appartient à la catégorie de personne handicapée qui donne droit à des crédits[44].

Une autre conséquence de la complexité est que les vétérans se sentent de plus en plus forcés d’avoir recours à des organisations autres que le Ministère pour obtenir des informations qu’ils jugeront fiables. M. Beaudin et sa collègue, Brigitte Laverdure, ont clairement décrit comment ces organisations contribuent à combler le fossé que cette complexité creuse entre les vétérans et le Ministère :

[Le ministère] fonctionne bien, très bien à la rigueur, mais seulement si la personne concernée sait comment il fonctionne. Je vous l'ai dit: cela fait 14 ans que j'essaie de me dépêtrer. Il m'a fallu 14 ans avant d'obtenir une pension. En ce qui a trait à Mme Laverdure, cela fait cinq ou six ans qu'elle travaille pour que d'autres obtiennent une pension. Nous accueillons des gens qui ont perdu espoir, et elle s'en occupe dès le début du processus. Elle peut dire exactement quels formulaires doivent être complétés. Quelqu'un qui n'est pas au courant, qui est malade et qui reçoit cette paperasse chez lui va la sacrer à la poubelle[45].

Le même point a été exprimé par Dana Batho, administratrice du groupe d’entraide Send Up the Count :

À Send Up the Count, il s'agit des gens qui ne savent pas comment avoir accès aux ressources ni quelles ressources sont offertes. Au moment où ils s'adressent à notre groupe et qu'ils commencent à demander de l'aide, ils sont habituellement dans une situation désespérée. Ils n'ont aucune personne de confiance avec qui en parler. C'est le principal problème observé à Send Up the Count. Ils ne savent pas à qui faire confiance ni à qui s'adresser[46].

La plupart des témoins considèrent toutefois qu’il ne devrait pas revenir à ces organisations de guider les vétérans à travers le labyrinthe bureaucratique créé par le Ministère. Mme Murray a exprimé cette idée avec limpidité :

La quantité de paperasse est insensée. La solution simple est de demander à Anciens Combattants de s'occuper de sa propre paperasse. Demandez à leurs employés de s'asseoir avec un ancien combattant. Nous aurions toujours le face-à-face que je demande, et ils rempliraient la paperasse. Vous seriez surpris de voir avec quelle rapidité elle serait simplifiée[47].

La possibilité que le Ministère établisse des relations plus formelles avec les groupes d’entraide a été évoquée à plusieurs reprises, mais les points de vue sur la pertinence de ce partenariat varient. Certains, comme Michael Blais, président et fondateur du Groupe de défense des intérêts des vétérans canadiens, le voient d’un bon œil :

Beaucoup de groupes de soutien par les pairs voient le jour à l'échelle du pays […]. Ce serait une bonne idée que le ministère fasse appel à ces gens-là […] afin de tenter de trouver des protocoles qui s'appliquent à l'ensemble de ces groupes. […]
En ce moment, la capacité d'intervention d'un gestionnaire de cas ou d'un agent du service aux clients reste limitée, et c'est compréhensible, mais il doit y avoir un autre mécanisme de contrôle et de coordination, et il faut comprendre la mission individuelle de ces groupes et déterminer comment nous pouvons traduire cette volonté positive en un programme collectif[48].

D’autres, comme Sgt Harris, craignent la confusion que pourrait entraîner un tel réseau :

Une avalanche de numéros de téléphone et trop de choses à la fois, des gens qui rivalisent pour savoir qui s'occupe de quoi et qui aide qui, je ne pense pas que ce soit une avenue pour notre groupe. Je crois que nous pouvons diriger les gens au bon endroit, car nous connaissons notre affaire. Il arrive que nous en sachions plus sur telle ou telle chose, et dans ce temps-là, nous faisons appel aux personnes compétentes pour déterminer la marche à suivre[49].

Le point de vue dominant semble être une volonté des groupes d’entraide de préserver leur indépendance face au gouvernement, tout en demeurant disposés à lui venir en aide si cela s’avérait utile dans un cas particulier. Mme Batho a clairement exprimé ce point de vue :

La seule chose qui peut poser problème avec l'établissement d'une organisation plus officielle, c'est entre autres qu'elle peut devenir plus politisée, et je sais que beaucoup des groupes de soutien par les pairs sont totalement contre cela, car cela attise les passions. Mettre son groupe ou son mandat entre les mains de quelqu'un d'autre, c'est abandonner le contrôle sur trop de choses.
Je crois qu'il doit absolument y avoir une meilleure coordination entre les groupes. […] En somme, quand quelqu'un est en détresse, le but est d'envoyer un intervenant chez lui le plus rapidement possible. Il y a une séparation entre l'aide offerte et l'aspect politique[50].

Des témoins provenant des organisations de vétérans ont jugé que le temps qu’ils doivent consacrer à aider les vétérans à remplir les formulaires d’ACC démontre le besoin de simplifier encore davantage le processus. Autrement, si pour des raisons légales un certain niveau de complexité se doit d’être maintenu pour garantir la saine gestion de ces programmes, il devrait au moins revenir au Ministère de s’occuper de cette complexité, et le fardeau administratif ne devrait pas retomber sur les épaules des vétérans, les membres de leur famille, ou les organisations qui les soutiennent. Le Comité recommande donc :

Recommandation 1

Qu’Anciens Combattants Canada mette sur pied un service personnalisé pour aider les vétérans à connaître les programmes et les services auxquels ils sont admissibles, et les aider à remplir la paperasse requise pour accéder à ces programmes et services.

Les relations entre ACC et les groupes communautaires mériteraient d’être améliorées, mais également celles entre ACC et les spécialistes de la santé auxquels les vétérans doivent se référer pour obtenir l’information dont le Ministère a besoin pour établir leur admissibilité aux programmes. Kimberly Davis, directrice de la Canadian Caregivers’ Brigade, a cité une lettre d’un médecin et d’un orthodontiste à l’appui de ce problème :

Les médecins sont inondés de paperasse, ce qui monopolise un rendez-vous qui devrait plutôt servir à améliorer le bien-être du patient. J’ai personnellement discuté avec bon nombre de médecins qui refusent maintenant les vétérans parce qu’ils n’ont ni le temps ni la patience de s'occuper d'eux. […] Les ministères provinciaux de la Santé s'en prennent maintenant aux fournisseurs qui soignent les vétérans. J’ai parlé à quelques médecins de famille qui ont reçu des décisions faisant suite à une vérification et à un examen du ministère de la Santé provincial, et ils sont désormais pénalisés pour les rendez-vous de routine, comme des renouvellements de prescription, ce qui est à la base[51].

Quoique le Comité soit perturbé par la possibilité que certains professionnels de la santé refusent de traiter les vétérans, de telles dénonciations sont trop anecdotiques pour que le Comité puisse formuler un jugement sur leur généralité réelle. Toutefois, le simple fait que des membres de la famille de vétérans perçoivent de la résistance de la part des professionnels de la santé signale un problème auquel le Ministère doit s’attaquer de toute urgence. L’Institut Vanier de la famille lancera d’ailleurs sous peu un projet visant à sensibiliser les médecins de famille de la Colombie-Britannique aux particularités des problèmes que vivent les vétérans[52]. De tels efforts contribueront certainement à atténuer la résistance des médecins, et le gouvernement pourrait entreprendre des efforts similaires auprès des autorités provinciales.

Recommandation 2

Qu’Anciens Combattants Canada travaille avec les ministères provinciaux de la Santé et les associations professionnelles pour favoriser une meilleure coopération de la part des professionnels de la santé et les assister lorsqu’ils doivent remplir les formulaires qui permettent aux vétérans d’être admissibles à ses programmes et services.

3.2  Délais

Comme la quasi-totalité des témoins l’a reconnu, la complexité des lois et des règlements entraîne la complexité des processus et des formulaires. Cela cause des débats d’interprétation des règles qui ajoutent à cette complexité. Lorsque ces débats sont tranchés, l’interprétation qui prévaut exige parfois l’ajout de quelques lignes à des formulaires afin d’aller chercher l’information qui manquait, ou de consulter des spécialistes dans l’application des règles à certains cas particuliers.

Cette complexité des règles existe pour la plupart des programmes offrant des services ou des avantages financiers aux vétérans individuels à la suite d’un problème de santé qui pourrait être lié au service militaire. Afin d’établir l’admissibilité à chacun de ces programmes, il faut habituellement demander au vétéran de consulter, ou de retourner consulter un médecin, souvent un médecin de famille, parfois un spécialiste, afin de confirmer un diagnostic, ou d’établir la gravité de la blessure ou de la maladie. Une fois que cela est établi, il faut qu’ACC détermine si cette blessure ou cette maladie a été causée ou aggravée par le service militaire. Il faut alors que les informations pertinentes à cette détermination, figurant dans le dossier du militaire, y compris dans son dossier médical, soient transférées à ACC. Une fois ce lien établi, il faut ensuite déterminer si cette blessure ou maladie est suffisamment grave pour que tous les soins de santé du vétéran soient assumés par ACC, ou seulement les soins liés à la blessure pour laquelle le lien avec le service militaire est reconnu. Il faut d’autres formulaires pour déterminer cela, et encore d’autres formulaires et possiblement d’autres rendez-vous médicaux afin d’établir l’admissibilité du vétéran à n’importe quel des dizaines d’autres programmes ou services auxquels le vétéran pourrait peut-être être admissible une fois qu’on a reconnu que ses problèmes de santé étaient liés, au moins en partie, à son service militaire.

Tout ce processus entraîne des délais importants entre le moment où un vétéran dépose une demande, et celui où il reçoit les services auxquels il est admissible. Si la demande initiale visait une pension d’invalidité ou une indemnité d’invalidité, et que le vétéran n’est pas satisfait de la réponse obtenue par ACC, le processus de révision et d’appel entraînera d’autres délais.

Tous reconnaissent qu’il faut un processus permettant d’établir l’admissibilité aux services et que ce processus exige un certain temps. Tous reconnaissent également que ces délais créent un stress important chez les vétérans lorsque leur bien-être futur sera affecté par le résultat de ce processus. Il faut donc que le Ministère puisse mettre en place un processus assurant un équilibre raisonnable entre la nécessité de traiter les informations servant à établir l’admissibilité et les difficultés que l’attente liée à ce processus peut causer aux vétérans.

Dans le cas d’une première demande d’indemnité d’invalidité en vertu de la NCAC, cet équilibre raisonnable a été fixé à 16 semaines par ACC. Cette « norme de service » est le résultat d’efforts importants déployés par le Ministère afin de réduire les délais et la complexité.

Certains témoins entendus ne le voient cependant pas du même œil, et jugent que ces délais sont encore déraisonnables. Par exemple, M. Blackwolf a fait la réflexion suivante :

En ce qui concerne la norme de service de 16 semaines, à notre avis, le délai de réponse de quatre mois est totalement ridicule à une époque où les ordinateurs et la fibre optique existent. On ne nous a parlé d'aucun plan opérationnel aux sommets des intervenants ou dans les déclarations du ministre sur la façon dont la norme de service de quatre mois sera mise en œuvre et sur le moment où elle le sera.
Il y a également un processus interminable pour obtenir des instruments d'aide aux activités de la vie quotidienne tels que des fauteuils roulants, des marchettes, des cannes, des appareils auditifs et des fauteuils releveurs, ce qui cause de la frustration et de la colère[53].

M. Walbourne a posé le même jugement : « L'attente peut parfois être très longue si le dossier est complexe ou comporte des particularités. Pour ce qui est de l'arbitrage [adjudication], selon moi, le délai de 16 semaines est inacceptable[54]. »

Donald Leonardo, directeur général de Vétérans Canada, a posé la question suivante aux membres de son organisation : «…diriez-vous que les temps d’attente pour les décisions ont été réduits? Si oui, pouvez-vous fournir des exemples concrets ou des preuves à cet égard? Quatre-vingt-dix-sept membres ont répondu à cette question, et 90 % d’entre eux ont dit non[55]. »

Une telle réponse n’a pas la valeur scientifique d’un sondage structuré, mais signale une fois de plus la difficulté pour le Ministère de maintenir le lien de confiance avec ceux, parmi les vétérans, qui se sont sentis piégés par un processus qui est supposé leur venir en aide.

Le Vérificateur général a contesté l’affirmation selon laquelle le Ministère atteignait sa norme de service de 16 semaines dans plus de 80% des cas : « Dans ce cas précis, ce qui posait problème, c'est que le Ministère avait une mesure de rendement relative au délai de traitement de la demande. Il atteignait presque la cible fixée, mais ne mesurait qu'une partie du processus. Il ne tenait pas compte du reste, y compris le processus d'appel et le temps nécessaire pour remplir une demande[56]. »

Dans son analyse du traitement des demandes d’indemnisation liées à des problèmes de santé mentale, le Vérificateur général a sévèrement critiqué le ministère de la Défense nationale (MDN) pour la lenteur du transfert des dossiers médicaux, et ACC pour le peu d’attention portée aux moyens d’obtenir dès le début les renseignements que les vétérans omettent fréquemment d’inclure dans leurs demandes initiales :

En 2012, nous avons constaté que la complexité du processus de demande, les retards pour obtenir des dossiers médicaux de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, et les longs temps d'attente avant de pouvoir consulter un professionnel en soins de santé mentale dans les cliniques pour traumatismes liés au stress opérationnel continuaient de faire partie des facteurs qui ralentissaient la prise de décisions relatives à l'admissibilité au soutien offert par le Programme de prestations d'invalidité.
En outre, nous avons remarqué que 65 % des vétérans qui ont contesté la décision relative à leur admissibilité aux prestations d'invalidité avaient obtenu une décision favorable. Anciens Combattants Canada savait que la plupart des révisions et des appels favorables étaient fondés sur de nouveaux renseignements ou témoignages. Or, le ministère n'a pas analysé comment le processus pourrait être amélioré afin d'obtenir ces renseignements avant de rendre sa décision à la suite de la première demande[57].

De plus, selon Joe Martire, directeur principal au Bureau du vérificateur général, 24 % des données relatives au service étaient erronées en 2012 [58] dans la base de données qui recueille les informations transférées à partir des dossiers du MDN. La plupart des informations contenues dans cette base de données, à savoir si le vétéran faisait partie de la Force régulière ou de la Réserve, la date et les motifs de sa libération du service militaire, sa participation à des opérations dans une zone de service spécial ou dans une opération de service spécial, sont toutes susceptibles d’avoir une incidence sur la détermination de son admissibilité aux programmes d’ACC.

Dans le cas du transfert des dossiers médicaux, Elizabeth Douglas, directrice générale de la Gestion des programmes et de la prestation des services, a affirmé :

Des améliorations importantes ont été apportées au cours des dernières années. Vers cette période de l'année, l'an dernier, il fallait environ 35 jours pour transférer les dossiers des FAC vers ACC. Maintenant, nous en sommes à 19 jours. Cette amélioration s'explique en partie, premièrement, par le fait que nous avons reconnu le problème et en avons fait une priorité; deuxièmement, il y a la numérisation des dossiers. Maintenant qu'il s'agit de documents numérisés, nous les recevons beaucoup plus rapidement[59].

Les membres du Comité reconnaissent l’amélioration, mais croient que le dossier médical complet devrait être remis au militaire en voie d’être libéré, et ce, avant la date de libération. Afin d’alléger le fardeau ainsi placé sur les FAC, cette démarche pourrait dans un premier temps être limitée aux militaires qui ont reçu une catégorie médicale permanente, et au sujet de qui une décision doit être prise quant à leur libération pour raisons médicales.

Recommandation 3

Que les Forces Armées Canadiennes remettent aux militaires en service leur dossier médical numérisé complet dès qu’une catégorie médicale permanente leur a été attribuée.

M. Saez a confirmé cette amélioration dans le délai de réception des dossiers médicaux. Selon lui, ce qui ralentit le plus le processus aujourd’hui, c’est l’obtention de rapports médicaux qui impliquent une expertise en santé mentale :

Il y a 10 ans, le rapport d'un médecin de famille était tout ce dont nous avions besoin. Il pouvait aussi y avoir un rapport d'un psychologue, parce qu'il a peut-être un peu plus d'expérience dans le domaine. Enfin, lorsque nous avons commencé à comprendre les troubles qui étaient plus complexes, un rapport d'un psychologue n'était plus suffisant; il fallait un rapport médical d'un psychiatre.
De notre point de vue, c'est probablement à cette étape que ralentit le processus pour la majorité des vétérans, parce qu'ils ont besoin d'un médecin civil. Si le client est encore un membre actif des Forces canadiennes, son médecin du ministère de la Défense nationale n'offre pas un tel service. Il doit aller dans le milieu civil pour essayer d'obtenir ce rapport et nous le faire parvenir en vue d'entamer des recours. Nous savons que le système médical canadien comporte son lot de défis, comme nous pouvons certainement le voir dans ce processus[60].

3.3  Communications

Étant donné la perception généralement négative par les vétérans de la culture ministérielle, la complexité des processus permettant d’accéder aux programmes et aux services, ainsi que les délais que cela entraîne, il est difficile d’établir des communications harmonieuses entre les vétérans et ACC.

Certains exemples qui ont été mentionnés durant les audiences du Comité font ressortir une autre dimension du climat de méfiance qui persiste. Le premier exemple touche le portail en ligne « Mon dossier ACC » qui fut mis en place afin de faciliter l’échange d’informations avec les vétérans sur les différents programmes et services. Plusieurs témoins, dont Mme Batho, ont dit apprécier la pertinence d’offrir les services en ligne, mais ont déploré la lourdeur et le manque de convivialité du portail.

Je trouve très utile de pouvoir remplir les formulaires en ligne étant donné que je ne peux plus écrire et que je ne peux pas faire grand-chose physiquement, mais il y a des problèmes de technologie. Entre autres, les formulaires ne s’ouvrent qu'avec certains navigateurs. Je suis assez douée avec la technologie. Je travaillais comme agente de renseignements et analyste de la cybermenace pour Transports Canada, de sorte que je maîtrise la technologie. Si j’ai moi-même de la misère à accéder à certains services en ligne, je suis persuadée que d'autres personnes ont des problèmes aussi à ce chapitre[61].

D’autres, comme Mme Gilmore, semblent affirmer que l’insistance mise sur l’accès en ligne a entraîné des difficultés à obtenir des informations en personne ou au téléphone :

C'est le problème du système en ligne d'ACC. Je crois que, pour certaines personnes, c'est peut-être une bonne façon de faire les choses. Elles peuvent faire les étapes une après l'autre, et tous leurs renseignements sont là. Cependant, lorsque la situation commence à être plus complexe, je ne mettrais pas l'accent sur une prestation des services en ligne. Je crois qu'il doit y avoir une interaction avec un responsable de cas, quelqu'un qui peut s'asseoir avec nous et nous dire si nous nous dirigeons dans la bonne direction ou non, qui peut nous fournir cette information[62].

L’un des exemples en apparence anodin qui a grandement étonné les membres du Comité est que, lors de leur première inscription à « Mon dossier ACC », les vétérans doivent fournir leurs informations bancaires s’ils veulent poursuivre l’inscription[63]. Une telle demande n’est certes pas de nature à apaiser le climat de méfiance qui prévaut. Mais indépendamment de ce climat, une telle demande, dans le cadre d’une inscription à un portail en ligne censé favoriser des communications plus harmonieuses avec les vétérans, semble tout simplement déraisonnable. L’explication fournie par Mme Douglas ne fut pas suffisamment convaincante :

Si l'on demande de l'information sur le compte bancaire et si vous devez utiliser la CléGC, c'est que le gouvernement du Canada veut protéger l'information transmise en ligne. C'est une solution pangouvernementale qui a été proposée par le Secrétariat du Conseil du Trésor.
Cela dit, nous voyons bien nous aussi que les vétérans ont de la difficulté à utiliser ce site. Nous savons que le principal obstacle, c'est son manque de convivialité. Nous avons donc décidé d'ajouter sur la page Mon dossier ACC un écran instantané qui explique étape par étape tout ce qui se passe et les raisons de chaque étape[64].

Il existe toutes sortes de moyens de maintenir la confidentialité des communications sans avoir recours à des informations de nature financière. Le Comité recommande donc :

Recommandation 4

Qu’Anciens Combattants Canada améliore l’interface du site « Mon dossier ACC », et élimine immédiatement la nécessité de fournir des informations bancaires au moment de s’inscrire à « Mon dossier ACC », sachant que, au besoin, ces informations pourront être demandées plus tard.

Pour les quelques 8 000 à 10 000 vétérans dont la problématique est complexe et qui requièrent l’intervention d’un gestionnaire de cas, les communications avec cette personne sont un élément déterminant du processus de réadaptation. Le travail des gestionnaires de cas est habituellement très apprécié des vétérans, mais, comme l’a souligné Mme Batho, le Ministère ne semble pas toujours favoriser des communications harmonieuses avec les vétérans dont ces gestionnaires de cas doivent s’occuper : « Il y a tout de même des choses qu’ACC fait très bien. Je peux dire que les employés de l'organisation tentent vraiment d'aider les gens sous leur aile, mais le système comporte beaucoup de lacunes. Mon gestionnaire de cas a pris sa retraite, et personne ne m'a dit qui le remplaçait même un mois plus tard. C’est donc une des lacunes[65]. »

Il existe beaucoup de restrictions à la capacité de ces vétérans d’entrer en contact avec leur gestionnaire de cas. Comme l’a déploré entre autres Mme Gilmore :

Nous n'avons pas accès par courriel à nos gestionnaires de cas. Eh bien, toute notre carrière dans l'armée était fondée sur les courriels. Ce qui est bien à propos des courriels, c'est qu'on peut retourner les consulter et dire: « Voilà, ma réponse est juste là », au lieu d'essayer de composer un numéro 1-800 pour communiquer avec la personne précise à laquelle vous tentez d'accéder.
Je pense vraiment qu'une conversation entre les deux personnes, au lieu d'en faire une affaire de compagnie d'assurance, où on se fait actuellement dire: « Composez tel numéro 1-800, car je ne peux pas vous parler directement »... Cela ne fonctionne pas, et, immédiatement, cela ne procure pas de réconfort; il ne s'agit pas d'un service axé sur la clientèle. Je le sais, car j'ai occupé le poste de technicienne médicale pendant 23 ans. Alors, les courriels sont un enjeu[66].

Ces faits ont été confirmés lors de la visite des membres du Comité au bureau d’ACC à Montréal, ainsi que par le témoignage de Walter Callaghan à Toronto :

Auparavant, j'avais eu des gestionnaires de cas qui avaient enfreint les règles en me donnant leur numéro de téléphone ou leur adresse de courriel pour que je puisse communiquer plus facilement avec eux s'il se passait quelque chose.
Les règles en vigueur aux Anciens Combattants m'obligent à faire un numéro 1-800 qui est seulement en service de 9 heures à 16 heures.[67] […]
On devrait pouvoir communiquer directement avec son gestionnaire de cas ou lui envoyer un courriel au cours du week-end lorsqu’on se souvient de quelque chose ou que l’on a entendu parler de quelque chose. Oui, ils travaillent du lundi au vendredi et ne répondront pas avant lundi matin. Mais, au moins, les gens pourraient communiquer avec quelqu’un et leur poser des questions en sachant qu’ils auront une réponse. Disons qu’il survient quelque chose après 17 heures, le lundi, et que la personne vit un moment d’inquiétude: « Oh non, que se passe-t-il? Pourquoi les choses ont-elles changé? J’ai besoin de X ». En envoyant un courriel, elle sait que le lendemain, elle aura une réponse[68].

Cette position est apparue tout à fait raisonnable aux membres du Comité. On comprend difficilement qu’il soit impossible pour les vétérans dont la situation est la plus complexe de communiquer avec leur gestionnaire de cas par courriel, ou de leur laisser un message directement sans passer par la ligne 1-800. Après tout, cette situation touche moins de 10 % des vétérans qui sont clients du Ministère, et ce sont ceux qui ont le plus grand besoin de soutien.

Le Comité souhaite donc recommander :

Recommandation 5

Que les vétérans bénéficiant de la gestion de cas soient autorisés à communiquer directement avec leur gestionnaire de cas par courriel et/ou par téléphone.

La rédaction des lettres de décisions concernant l’admissibilité aux prestations a été grandement améliorée suite aux dénonciations de l’ombudsman des vétérans à ce sujet dans son rapport de 2012. Certains, comme le sergent Harris, vont plus loin et affirment que, dans certains cas, la décision devrait être communiquée au vétéran en personne, ou par la médiation d’autres vétérans qui œuvrent au sein de réseaux d’entraide :

Il n'y a pas de doute que le Ministère doit prendre rapidement les décisions concernant les prestations, mais il doit les annoncer de façon plus personnelle. Au moins par téléphone. Le fait de parler à des vétérans et de vivre une bonne transition avec l'aide d'autres vétérans permettra de relativiser les problèmes, ce qui permettra d'éviter les explosions de colère. Ils s'occupent de chaque problème, ils parcourent les formulaires et ils aident à toutes les étapes, conformément au devoir des soldats de s'entraider et de ne laisser personne derrière. C'est ça, le service[69].

Sur le plan des communications, comme sur de nombreux autres éléments qui composent la culture du Ministère, le reproche le plus fréquemment adressé à ACC est de faire reposer le fardeau des démarches sur les épaules des vétérans. Brad White, de la Légion royale canadienne (LRC), a insisté à plusieurs reprises sur cet aspect du problème durant son témoignage :

On ne devrait pas avoir à chercher l'information. C'est l'information qui devrait se rendre à ceux qui amorcent leur transition vers une nouvelle vie après leur carrière militaire.
La plupart des vétérans et leur famille connaissent mal la Nouvelle Charte des anciens combattants. […]
Il est temps que le gouvernement commence à communiquer de façon proactive, à prendre contact avec l'ensemble des vétérans du pays, et à voir à ce qu’ils soient informés au sujet des indemnités financières, des programmes de réadaptation, des services de santé et des programmes d’aide aux familles auxquels ils ont droit, ainsi que des façons d’y accéder. […]
Les vétérans ont besoin de connaître non seulement les lacunes, mais aussi les points forts des programmes, des services et des prestations.[70]

M. Butler a compté la formation récente de groupes consultatifs parmi les efforts déployés par le Ministère afin d’améliorer les communications avec les vétérans:

Le ministre a demandé au ministère de constituer six groupes consultatifs pour se pencher sur des questions comme les politiques, l'excellence au chapitre des services, les familles, les soins et le soutien, la commémoration et d'autres aspects. Essentiellement, dans le cadre de ces stratégies, nous rencontrerons des représentants d'organisations de vétérans, des vétérans comme tels et d'autres intéressés pour qu'ils nous aident à établir la voie à suivre[71].

On peut espérer que ces groupes consultatifs transmettront aux représentants d’ACC plusieurs des éléments d’insatisfaction qui ont été soulevés dans le cadre de la présente étude. Il reviendra par la suite au Comité de s’assurer que le Ministère entreprenne les actions nécessaires afin de combler ces lacunes.

3.4  Le processus d’appel

Au cours des 25 dernières années, l’une des sources d’insatisfaction les plus fréquemment mentionnées par les vétérans est le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (TACRA). Ce dernier en est venu à incarner cette « culture du refus » dénoncée par les vétérans.

Les statistiques présentées par Thomas Jarmyn, président par intérim du TACRA, permettent toutefois de relativiser ces perceptions :

En gros, et cela varie d'une année à l'autre, le ministère a accordé des prestations pour 85 % des 30 000 demandes. Donc, si 15 % des demandes ont été rejetées, selon mon calcul, cela équivaut à 4 500 demandes. Environ 10 % de ces demandes nous ont été confiées; c'est donc 2 500 demandes d'examen et 800 demandes d'appel. Nous avons accueilli favorablement à peu près la moitié de ces demandes, alors en tout, il est question de 1 600 décisions[72].

Ces chiffres confirment tout d’abord que la « culture du refus » que l’on reproche fréquemment à ACC correspond à 15 % des demandes initiales qui lui sont soumises. De celles-ci, 5 % sont abandonnées, soit à la suite d’une recommandation en ce sens par le Bureau de services juridiques des pensions, ou pour une autre raison, et 10 % du total des demandes initiales, soit environ 3 000 demandes par année, se retrouvent devant le TACRA. Ce dernier décide en faveur des vétérans dans la moitié des cas. Au bout du compte, 90 % des vétérans ayant soumis une première demande obtiennent donc une décision favorable, selon ces données. Des 10 % qui restent, la moitié a abandonné les démarches après le rejet initial par ACC, et l’autre moitié a obtenu une réponse négative du TACRA. Le processus demeure évidemment frustrant pour ceux qui se voient refuser leur demande, mais il faut se rendre à l’évidence que certaines critiques envers le Ministère et le TACRA sont des réminiscences d’une période où les statistiques leur étaient nettement moins favorables.

Il semble donc que les efforts déployés afin d’accélérer et d’humaniser le processus aient porté fruit jusqu’à un certain point, car les critiques à son endroit sont maintenant plus modérées qu’elles ne l’ont déjà été. C’est le point qu’a exprimé Ray Kokkonen, président de l’Association canadienne des vétérans pour le maintien de la paix :

Je pense qu'il y a eu une amélioration notable au TACRA. Une bonne partie des commentaires que nous recevons datent d'un certain temps. Tout le monde est représenté dans la nouvelle structure du Tribunal, particulièrement les vétérans. La police y est représentée, de même que les facettes juridiques et médicales. Le Tribunal a maintenant une bonne structure, en ce qui me concerne[73].

À ce point, il faut remarquer une constante qui se dégage à chaque fois qu’une perception d’amélioration se manifeste : ce sont des vétérans qui interagissent avec d’autres vétérans. Nous l’avons vu avec la nomination du général à la retraite Walter Natynczyk au poste de sous-ministre, puis face aux demandes des représentants de réseaux d’entraide de pouvoir servir de médiateurs entre le Ministère et les vétérans, et encore dans le cas du TACRA dont la réputation s’est beaucoup améliorée depuis qu’on y nomme davantage de vétérans. Sans croire qu’il s’agit là d’une solution miracle à l’ensemble des problèmes, l’embauche de vétérans et leur nomination à des postes clés de l’administration semble favoriser un climat de confiance avec les vétérans. Comme l’a dit au Comité le colonel à la retraite Russell Mann : « L'embauche, pour aider leurs confrères, de plus d'anciens combattants adaptés à la situation et pouvant être à la hauteur est absolument essentielle à cause du lien de confiance[74]. » Le Comité recommande donc :

Recommandation 6

Qu’Anciens Combattants Canada et le Tribunal des Anciens Combattants (Révision et appel) accroissent leurs efforts afin d’embaucher le plus grand nombre possible de vétérans dans tous les secteurs et à tous les échelons de leur organisation, en appliquant une approche équilibrée qui reflète adéquatement la proportion de vétérans féminins.

Malgré les améliorations que l’on note dans les activités du TACRA, les insatisfactions demeurent tout de même nombreuses. Si les refus de verser des prestations sont plus rares que ne le laissent parfois supposer les commentaires des vétérans, c’est que parfois cette insatisfaction est liée non pas au refus comme tel, mais au jugement que pose le Ministère ou le TACRA sur la gravité de la blessure ou de la maladie. Par exemple, une blessure très grave à court terme, et qui aurait même pu entraîner la mort si elle n’avait pas été soignée immédiatement, pourra laisser des séquelles à long terme beaucoup moins graves, grâce entre autres aux progrès des soins médicaux et de la réadaptation. Or, le montant de l’indemnité d’invalidité versée par ACC se calcule à partir de la gravité de la blessure ou de la maladie, une fois que la condition de la personne s’est stabilisée. C’est pourquoi une blessure pour laquelle on a craint pour la vie d’une personne pourrait s’être stabilisée après un an ou deux de traitements, et ne représenter une invalidité à long terme que de 20 % ou 30 %. Dans ce cas, c’est le montant maximal de l’indemnité d’invalidité, 310 400 $, qui est multiplié par ce pourcentage. Un vétéran ayant subi une blessure potentiellement mortelle ayant exigé des soins critiques pendant de longs mois pourrait être déçu de n’obtenir qu’une indemnité d’invalidité de 60 000 $. Les membres de la famille de cette personne pourront également juger que les souffrances, les inquiétudes et les sacrifices qu’ils ont dû faire valaient plus que cela. Dans ce cas, pas de refus, et la décision aura pu être rendue rapidement, mais le vétéran se retrouvera tout de même pris avec un sentiment d’injustice qui le mène à contester la décision auprès du TACRA. C’est là un exemple qui démontre que la qualité de la prestation des services est parfois une conséquence de la nature des programmes eux-mêmes.

Malgré la réalité des statistiques, la force des perceptions renforcées avec le temps demeure persistante. Tout ce qui a été entendu sur la complexité, la lenteur et la déficience des communications avec ACC a continué d’être répété pour le TACRA. M. Parent a bien résumé la situation :

Je conviendrais certainement que le délai nécessaire pour en arriver à une décision pose un problème, sur le plan non seulement de l'appel, mais aussi de l'arbitrage. La situation est si frustrante pour les vétérans et leurs familles que certains souffrent de ce qu'on appelle la fatigue liée au processus. Ils abandonnent alors qu'ils ne le devraient pas. […]
Ici encore, c'est une question de résultat. […] Le ministère de la Défense nationale doit communiquer des renseignements à Anciens Combattants Canada, puis ces renseignements sont transmis à la structure du ministère. Bien des gens sont impliqués dans le processus là aussi. Ensuite, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) s'occupe du processus d'appel et refait une grande partie de l'analyse et de l'examen. Cela prend beaucoup de temps et on peut certainement apporter des améliorations à cet égard[75].

M. Jarmyn a expliqué ce qui causait ces délais ainsi que les « normes de service » qui guidaient son travail :

Notre objectif consiste à programmer l'audience, à examiner le dossier et à prendre une décision dans un délai de 16 semaines après avoir été informés par le vétéran et son représentant qu'ils sont prêts pour l'audience. L'an dernier, nous avons respecté cette norme dans presque tous les cas, dépassant de loin l'objectif de 80 %.
Notre seconde norme de service cible entièrement les décisions, avec pour objectif de rendre 80 % de celles-ci dans les six semaines suivant l'audience. Là encore, nous avons dépassé notre objectif avec une décision rendue dans ce délai dans 86 % des cas. […] C'est 16 semaines à partir du moment où la date de l'audience est fixée jusqu'à la décision, et six semaines à partir de l'audience jusqu'à la décision[76].

En raison de la structure du TACRA telle qu’établie par la loi, la planification des audiences du Tribunal, la transmission des informations et l’étude des dossiers, M. Jarmyn a affirmé ne pas croire « sur le plan pratique, qu’il soit possible d’écourter ce délai[77]. »

On peut déplorer les contraintes administratives qui empêchent que la situation ne puisse s’améliorer davantage, mais il est parfois utile de prendre conscience du chemin parcouru afin d’arriver à une situation qui, pour n’être pas parfaite, n’en constitue pas moins un progrès qu’il importe de souligner. En 1993, il fallait en moyenne 542 jours pour traiter une première demande favorable, et 385 jours pour traiter une demande défavorable[78]. Dans le cas des demandes contestées, il fallait ensuite des délais d’appel supplémentaires qui variaient entre six mois et plusieurs années, selon que la décision de premier recours était favorable, ou contestée de nouveau à un palier supérieur d’appel, jusqu’en cour fédérale.

Cela ne justifie cependant pas certains délais dénoncés par le vérificateur général, et qui découlent selon lui d’une gestion déficiente du processus initial par ACC, et dont il se dégage de la responsabilité en renvoyant la décision au TACRA :

Au fond, il faut se demander pourquoi 65 % des appels permettent d'avoir gain de cause. S'il y a une leçon à tirer de cela, c'est que si les gens avaient soumis ces informations dès le début, leur demande aurait été approuvée et ils n'auraient pas eu à porter la décision en appel.
C'est le problème qu'on soulève ici. Le ministère doit pouvoir comprendre pourquoi certains appels sont rejetés et revoir son processus initial de façon à ce qu'il soit plus efficace pour les vétérans qui cherchent à obtenir des services[79].

M. Saez a défendu le travail du Ministère face à cette critique :

[Des gens] me demandent pourquoi le ministère a autant de difficulté à prendre les bonnes décisions. En réalité, ce n'est pas la faute du ministère. Le ministère examine la demande du client en fonction de l'information que le client peut lui fournir, puis rend une décision en se fondant sur cette information.
Notre organisme donne l'occasion d'examiner plus attentivement le dossier, ce que les arbitres de première instance ne peuvent évidemment pas faire. S'ils le faisaient, ils risqueraient de paralyser l'ensemble du système[80].

Il semble donc qu’il faille accepter certains défauts du TACRA comme un moindre mal. Cela ne doit surtout pas empêcher de continuer à rechercher des pistes d’amélioration aux délais qui persistent, à la complexité des règles et à la difficulté de maintenir des communications harmonieuses avec les vétérans. Il faut toutefois se rendre compte qu’une fois que des véritables efforts ont été déployés pour améliorer le processus et que l’essentiel des insatisfactions demeure, le problème ne se trouvait peut-être pas dans le processus de prestation des programmes et services, mais dans leur contenu, ce qui implique des décisions politiques qui dépassent les exigences d’efficacité dont on peut s’attendre de l’administration publique.

Ces imperfections inévitables dans la gestion du système ne devraient cependant pas aboutir à une dépersonnalisation du processus, ce que dénoncent depuis longtemps de nombreux vétérans. Kevin Estabrooks, un pair aidant, a décrit son expérience en termes peu flatteurs : « Je suis allé en appel […]. C'était vraiment comme le tribunal de nuit. Vous avez une courte séance d'information dans le couloir avec votre avocat, vous entrez rapidement dans la salle, vous défendez votre cas, et tout est terminé avant même que vous ne sachiez ce qui s'est passé[81]. » On pourra améliorer l’efficacité du système, en réduire les délais, se féliciter de statistiques encourageantes, tout cela restera bien fragile si on perd de vue que tout ce système a été mis en place pour que les vétérans obtiennent une juste compensation pour les blessures qu’ils ont subies en mettant leur vie à risque au service du Canada. Le mieux-être des vétérans est l’objectif ultime de tout ce système, et les vétérans ne devraient pas s’en sentir exclus. Le Comité recommande donc :

Recommandation 7

Que le Tribunal des anciens combattants (Révision et appel) :

  • rende publique l’interprétation de son application de la règle du « bénéfice du doute »;
  • communique mieux avec les vétérans avant une audience afin de s’assurer que les règles de procédure soient bien comprises, et que, durant une audience, les membres assurent aux vétérans qu’ils demeureront la priorité principale du Tribunal;
  • fournisse à Anciens Combattants Canada la rétroaction nécessaire sur les raisons qui ont fait que les décisions initiales ont été renversées.

Recommandation 8

Qu’Anciens Combattants Canada, avant de rejeter une demande, communique avec le vétéran afin d’identifier l’information pertinente que le vétéran devrait fournir afin d’obtenir de meilleures chances que sa demande soit approuvée.

Recommandation 9

Qu’Anciens Combattants Canada et le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), si une demande est rejetée, communiquent clairement au vétéran les raisons du rejet.

4.  LE PROCESSUS DE TRANSITION VERS LA VIE CIVILE

Le personnel militaire des FAC compte environ 75 400 personnes[82] : 13 500 dans la Marine royale canadienne, 46 500 dans l’Armée, incluant 5 000 Rangers et 15 400 dans l’Aviation royale canadienne. De ce nombre, 44 200 font partie de la Force régulière à temps plein, et 31 200 de la Force de réserve à temps partiel.

Chaque année, entre 5 000 et 10 000 militaires quittent les FAC. De ce nombre, environ 1 400 sont libérés pour des raisons médicales, c’est-à-dire que leur état de santé ne leur permet plus d’être déployés à tout moment et n’importe où avec leur unité. C’est ce qu’on appelle la règle de l’universalité du service militaire. Pour environ 600 d’entre eux, l’état de santé qui a entraîné leur libération pour raisons médicales est attribuable à leur service militaire[83]. Ce sont essentiellement les membres de ce dernier groupe qui deviennent les clients d’ACC.

Lorsqu’un militaire est libéré pour raisons médicales, le diagnostic est posé par un médecin militaire et l’évaluation des limitations fonctionnelles entraînant la libération est faite par les FAC. Toutefois, pour tout ce qui concerne l’admissibilité aux prestations financières et aux services d’ACC, la détermination du lien entre l’état de santé et le service militaire est la responsabilité d’ACC.

4.1  Le processus menant à la libération pour raisons médicales

Dans son rapport de juin 2015, intitulé Continuum des services de transition, le Comité avait analysé en détails le processus de libération pour raisons médicales qui se déroule au sein des FAC. Le texte suivant est un extrait de ce rapport qui décrit le processus :

Le personnel de la Force régulière est exclu de la Loi canadienne sur la santé, et ce sont par conséquent les FAC qui jouent le rôle des systèmes de santé provinciaux dans leur cas. Les soins ambulatoires – c’est-à-dire qui n’exigent qu’une hospitalisation de courte durée – sont dispensés par un réseau d’une quarantaine de cliniques militaires desservant les bases et les escadres. Lorsque le problème de santé exige des soins que les cliniques ne peuvent dispenser, les militaires sont aiguillés vers les ressources civiles appropriées. Lorsque les cas sont complexes et nécessitent la coordination de ressources multidisciplinaires, les traitements sont suivis par un gestionnaire de cas, habituellement du personnel infirmier spécialisé, intégré aux cliniques médicales.
Lorsque la blessure ou la maladie sont suffisamment graves pour qu’une phase de réadaptation s’avère nécessaire, le militaire est transféré à l’un des 24 centres intégrés de soutien du personnel (CISP) qui forment l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP). Cette dernière compte environ 300 employés, dont 200 militaires, et chaque CISP regroupe en un seul endroit toute la gamme des services de soutien. Ces CISP administrent le programme « Prendre soin des nôtres » dont l’objectif est de favoriser, dans toute la mesure du possible, la réintégration du militaire au sein de ses fonctions.[84]
Ce programme se déroule en trois étapes : le rétablissement, la réadaptation et la réintégration. La durée de chacune des étapes n’est pas fixe puisque le temps de guérison peut varier.
Les périodes de rétablissement et de réadaptation se déroulent en coordination avec les services provinciaux et privés spécialisés. Étant donné les besoins particuliers des militaires en soins de physiothérapie complexe, des centres de soins de santé provinciaux affiliés reçoivent un appui supplémentaire du ministère de la Défense nationale, soit par l’ajout de physiothérapeutes civils spécialisés, ou, par exemple, par l’intégration de systèmes informatisés sophistiqués comme les deux systèmes informatisés d’environnement de réadaptation (CAREN) situés à Edmonton et à Ottawa.
Pour les soins de santé mentale, le MDN a mis sur pied un réseau de sept Centres de soutien pour trauma et stress opérationnels (CSTSO). Ceux-ci sont situés sur des bases militaires et desservent principalement le personnel militaire en service. Elles sont distinctes des cliniques TSO mises sur pied conjointement par le MDN et ACC qui desservent principalement les vétérans. En vertu d’une entente tripartite, les unes comme les autres peuvent toutefois recevoir des membres actifs et des vétérans des FAC et de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC).
Lorsque la condition du militaire est stabilisée, habituellement après quelques mois, on lui attribue une « catégorie médicale temporaire » de six mois. Cette période sert à assurer la coordination des soins et à procéder à une première évaluation de la capacité de la personne à réintégrer éventuellement ses fonctions.[85] Une « catégorie médicale permanente » sera attribuée lorsque la condition du militaire sera complètement stabilisée et qu’il sera possible de savoir quelles sont les tâches que la personne pourra continuer d’accomplir, et quelles sont celles que sa condition médicale l’empêchera en permanence d’exécuter.
Il faut habituellement au moins deux catégories médicales temporaires de six mois avant de poser un pronostic solide permettant l’attribution d’une catégorie médicale permanente. Il est possible, mais rare, qu’une « catégorie permanente » soit attribuée après une première catégorie temporaire de six mois[86].
Lorsque la catégorie permanente attribuée garantit que le militaire pourra accomplir les tâches associées à son groupe professionnel militaire, la personne pourra rejoinder son unité.
  • Lorsqu’une maladie ou une blessure entraîne des limitations plus graves, la personne pourra ne pas être en mesure de rejoindre son unité. Dans ce cas :
  • Le dossier est envoyé au directeur de l’administration des carrières militaires qui déterminera, en s’appuyant sur les contraintes à l’emploi déterminées par le personnel médical, si le membre satisfait au principe de l’universalité du service et s’il répond vraiment aux exigences professionnelles. En fonction de ces facteurs, une décision est prise, à savoir si vous pouvez continuer d’exercer votre emploi dans l’armée, si vous pouvez occuper un autre emploi dans l’armée ou si vous devez être libéré[87].
Dans certains cas complexes, il faudra jusqu’à deux ans avant qu’une catégorie médicale permanente soit attribuée[88]. La décision concernant la conformité aux conditions de l’universalité du service revient au chef du personnel militaire de la Direction de l’administration des carrières militaires (DAC). Cette décision peut prendre entre six mois et un an, et peut être contestée par le militaire.
Si la condition du militaire fait en sorte qu’il doive être libéré pour raisons médicales, il peut ensuite s’ajouter une période pouvant aller jusqu’à trois ans où le membre pourra continuer à travailler au sein des FAC, même sans répondre aux exigences de l’universalité du service. Après cette période, il y aura une autre période de six mois qui viendra finaliser la transition vers la vie civile.
En guise de synthèse, pour les membres des FAC dont la blessure ou la maladie sera suffisamment grave pour exiger une période de réadaptation et un transfert à l’Unité interarmées de soutien du personnel, il faudra habituellement entre un an et deux ans avant qu’une catégorie médicale permanente soit attribuée. S’il est établi que le membre des FAC pourra continuer d’accomplir les tâches liées à ses fonctions militaires, il pourra rejoindre son unité. La décision quant à la conformité aux conditions de l’universalité du service prendra habituellement entre six mois et un an. Si la décision est à l’effet que le membre doit être libéré pour raisons médicales, il y aura au moins une autre période de six mois entre le moment de la décision et la date effective de la libération. Par conséquent, il s’écoulera au moins deux ans entre la blessure ou la maladie et la libération. Selon la nature de la blessure ou de la maladie, le temps qu’il faudra à la condition médicale pour se stabiliser, la complexité des besoins en réadaptation, et la disponibilité des ressources civiles après la libération, le processus de transition durera habituellement plus de deux ans, et pourra dans certains cas s’étendre jusqu’à cinq ans après la blessure ou la maladie.

4.2  Unité interarmées de soutien du personnel (UISP)

Comme il a été montré dans la section précédente, l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP) joue un rôle clé dans le processus, et presque tous les militaires qui seront libérés pour raisons médicales devront y être affectés durant une période plus ou moins longue.

Dans le cadre de la présente étude, certains témoins ont soulevé des difficultés de fonctionnement au sein de l’UISP, sans toutefois remettre en question la pertinence des objectifs qu’elle poursuit. Selon M. Walbourne, le problème de l’UISP tiendrait essentiellement à un manque de personnel :

Selon moi, le principal problème de l'UISP concerne les niveaux de dotation. Je suis en poste depuis un peu plus de deux ans et demi, et, depuis le début, j'entends dire qu'il n'y a pas assez d'employés sur le terrain. J'ai appris aujourd'hui qu'il manque encore 30 personnes pour atteindre des effectifs opérationnels complets. Le problème avec ce niveau d'effectif opérationnel complet, c'est qu'il a été établi avant qu'on sorte d'Afghanistan, alors je me demande si le nombre que nous avons pris pour cible – il s'agissait de 457, et je crois qu'on l'a augmenté à 474 – est approprié? S'il l'est, alors pourquoi n'en faisons-nous pas plus pour pourvoir les postes plus rapidement?[89]

La pénurie de personnel a été reconnue par la capitaine Marie-France Langlois, directrice de la gestion du soutien aux blessés à l’UISP : « C'est un défi. Il y avait de nombreux postes vacants au sein de l'UISP partout au pays, mais nous avons déployé des efforts pour nous assurer de combler ces postes, et je suis heureuse de dire que, depuis le mois d'avril, nous avons réduit de moitié le nombre de postes vacants. Nous approchons le stade où nous allons avoir un effectif complet[90]. »

Selon la capitaine, le nombre d’employés affectés à l’UISP au printemps 2016 serait de 428[91], ce qui exclut la centaine d’employés d’ACC qui sont affectés à l’UISP.

Selon Barry Westholm, ces problèmes de personnel ont aggravé l’inefficacité de l’UISP, et c’est ce qui explique que son mandat fasse présentement l’objet d’une évaluation :

L'UISP devait être l'intermédiaire permettant aux familles de militaires blessés d'effectuer une transition harmonieuse vers la société civile ainsi qu'entre les Forces armées canadiennes et les services aux vétérans. Ce but a été mentionné à maintes reprises devant le Comité comme étant une chose dont on a désespérément besoin. Hélas, au lieu d'être une unité de soutien efficiente et consolidée – ou un guichet unique, comme j'ai entendu quelqu'un le mentionner ici –, l'UISP a été mal gérée; elle est devenue inefficace, et elle fait actuellement l'objet d'un examen[92].

M. Westholm a rajouté que cet examen a entraîné une sorte de paralysie de l’UISP dont les militaires qui y sont présentement affectés font les frais : « Ces derniers temps, j'ai aidé pas mal de personnes qui sont dans l'UISP, qui ont de très graves difficultés sur le plan médical et qui sont pas mal laissées à elles-mêmes. Je crois que c'est le plan. Ils tentent d'attendre que les gens partent et que les contrats prennent fin, pour ensuite présenter l'UISP version 2.0[93]. »

Comme ce fut fréquemment le cas, cette perception négative n’est pas partagée par l’ensemble des témoins qui ont comparu. Le lieutenant général à la retraite Louis Cuppens a affirmé que « la création et la dotation conjointe des unités interarmées de soutien du personnel produisent des résultats formidables[94]. »

Pour les témoins qui ont reconnu avoir vécu une transition difficile, leur passage à l’UISP fut au contraire très négatif. Plutôt qu’une affectation temporaire difficile, plusieurs militaires l’ont ressenti comme une condamnation sans espoir à être banni des FAC. M. Kuluski a décrit ce qu’il a constaté durant son passage à l’UISP : « Je n'ai jamais vu quelqu'un obtenir des services de l'UISP pour ensuite retourner au travail, jamais[95]. »

Selon le témoignage du Colonel Gerry Blais, ancien directeur de la gestion du soutien aux blessés et de l’UISP, devant le sous-comité sénatorial des anciens combattants à l’automne 2014, le taux de succès du programme de retour au travail, soit la réintégration complète des gens au sein de leur unité, était d’environ 35 %[96]. Il est toutefois facile de comprendre comment une impression de jugement sans appel peut être ressentie lorsqu’il devient manifeste qu’un militaire ne pourra plus réintégrer son unité, et devra mettre un terme à sa carrière militaire contre son gré.

Au-delà de cette divergence de points de vue au sujet de l’UISP, une constante demeure l’esprit de collaboration qui semble régner entre les employés des FAC affectés à l’UISP et ceux d’ACC. La capitaine Langlois a décrit cette complémentarité en termes élogieux :

Au quartier général, ici, à Ottawa, notre équipe des Services de transition compte deux employés détachés d'ACC. Un agent de liaison d'ACC travaille également au quartier général. Deux membres de notre personnel militaire sont affectés à Charlottetown, et un agent de liaison de l'armée est affecté à Anciens Combattants. Partout au pays, dans les CISP, les centres intégrés de soutien du personnel, nous travaillons main dans la main[97].

4.3  La détermination du lien entre la condition médicale et le service militaire

Comme l’avait noté le Comité dans son rapport de juin 2015 portant sur la transition :

Lorsqu’elles prennent la décision de libérer un militaire pour raisons médicales, les FAC ne s’occupent de savoir si la condition médicale qui entraîne la libération est liée au service militaire ou non. Qu’elle soit apparue à cause d’une opération militaire ou à cause d’une activité personnelle ne changera rien au fait que la personne ne pourra plus accomplir ses tâches militaires. Sur le plan opérationnel des FAC, le lien entre la condition médicale et le service militaire n’est donc pas pertinent[98].

Beaucoup d’intervenants, y compris l’ombudsman des vétérans et l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, croient toutefois que de nombreuses difficultés liées à la complexité du système et aux délais pourraient être atténuées si cette détermination était faite par les FAC avant la libération du militaire. Dans un rapport de mai 2016, l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes étaye sa position de la manière suivante :

Les FAC créent et contrôlent le dossier médical complet du militaire, y compris l’état de santé lors du recrutement. L’évaluation de l’aptitude physique et mentale débute lors de l’examen médical préalable à l’enrôlement. Elle se poursuit tout au long de la carrière du militaire et prend fin avec l’examen médical de libération. […]
Outre les dossiers médicaux complets, les FAC préparent et contrôlent également des dossiers de carrière qui peuvent contenir des renseignements importants de nature non médicale pouvant se révéler être essentiels pour comprendre si l’état physique ou mental d’un militaire est lié au service. […]
Autrement dit, les FAC possèdent l’information pertinente ainsi que l’expertise et les systèmes nécessaires pour déterminer si l’un de leurs membres a subi une blessure ou souffre d’une maladie qui a été causée ou aggravée par son service militaire[99].

L’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes reconnaît toutefois que les FAC « ont fait preuve de réticence à prendre cette décision malgré l’importance qu’elle aurait pour les militaires en voie d’être libérés pour des raisons médicales qui demandent ces avantages[100]. » Le brigadier-général Nicolas Eldaoud, chef d’état-major au Commandement du personnel militaire, a expliqué cette réticence aux membres du Comité :

ACC est obligé par la loi de faire cette détermination. Nous ne la faisons pas. Aucune des prestations que nous offrons dans les Forces armées canadiennes ou au ministère de la Défense nationale ne dépend de cette détermination. Il nous importe peu de savoir si la blessure ou la maladie est liée au service ou non. Si le membre a été blessé ou qu'il est malade, il touchera nos prestations. À nos yeux, cela ne change rien.
Il y a un problème, par contre. Actuellement, l'une des idées, c'est que nos médecins le fassent. Cette idée pose problème à notre médecin général, car nous voulons que nos médecins se concentrent sur les soins prodigués aux patients et pas qu'ils soient liés au versement de prestations. La confiance entre le médecin et son patient doit être pure et soutenue. Le but est que la personne se rétablisse; ce n'est pas une question d'administration, et certainement pas une question d'argent[101].

L’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes remet en question cette explication :

[La position des FAC] est justifiée par le fait que la détermination d’un rapport de cause à effet va au-delà de la prestation de soins médicaux et peut poser des enjeux éthiques, en plus de miner la relation entre le médecin et son patient. L’on craint qu’un militaire en service ait avantage à minimiser l’importance d’une blessure ou d’une maladie pour ne pas nuire à sa carrière, alors qu’il aurait tout avantage à exagérer son importance au moment de présenter une demande à ACC. Par ailleurs, un médecin serait sans doute dans une situation de conflit d’intérêts si on lui demandait de décider si la blessure ou la maladie du militaire en service qu’il traite a été causée ou aggravée par le service.
Nous ne voulons pas commenter la position ni la justification du médecin général, car son avis porte sur les militaires qui sont toujours en service.
Cependant, sa justification ne serait pas applicable aux militaires libérés pour des raisons médicales, car, après leur libération, les FAC ne seraient plus responsables de leur offrir des soins de santé. Autrement dit, comme ils sont en voie de libération, il n’y aurait aucun intérêt divergent entre les conséquences professionnelles et une demande d’avantages. Par conséquent, la participation des médecins traitants au processus de détermination du rapport de cause à effet ne remettrait pas en question leur éthique professionnelle[102].

L’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes a également fait parvenir aux membres du Comité une lettre dans laquelle il explique que les FAC ont la responsabilité d’établir le lien entre la condition médicale et le service militaire dans de nombreuses situations impliquant les réservistes. Dans certaines situations, les réservistes peuvent choisir d’être indemnisés en vertu des programmes d’ACC ou des programmes provinciaux d’indemnisation des accidentés du travail. Dans ce cas, c’est la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État qui s’applique, et non la NCAC. Il revient alors au personnel militaire de fournir à la province la preuve déterminant que la condition médicale du réserviste est une conséquence de son service militaire, et non, par exemple, d’activités liées à son emploi civil.

L’argument de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes est que si les FAC ont déjà la responsabilité d’établir cette détermination dans le cas de nombreux réservistes, pourquoi ne pas élargir le processus déjà en place à l’ensemble des militaires libérés pour raisons médicales ? Selon lui, un tel système ne mettrait pas fin aux responsabilités d’ACC, mais les recentrerait sur d’autres éléments du processus d’arbitrage :

Si la décision sur le fait que la maladie est attribuable au service était prise par les Forces armées canadiennes avant la libération, la situation ne serait plus la même sur le terrain. Les militaires n'auraient plus à attendre de savoir s'ils font encore partie du club ou non. Je suis sûr que si quelqu'un qui se voit attribuer les trois cinquièmes et qu'il en veut quatre, il y aura un processus d'arbitrage au sein d'Anciens Combattants Canada pour trancher dans ces situations[103].

Il semble assez clair que cette question de l’attribution de la condition médicale au service militaire est une question complexe, et les membres du Comité reconnaissent la valeur des arguments qui soutiennent chacune des positions exprimées. Ils reconnaissent également la délimitation claire entre les ministères, mais comprennent également que ces résistances ont des conséquences directes sur les vétérans.

De plus, certains commentaires du sous-ministre d’ACC laissent entrevoir une solution de compromis qui éviterait peut-être ces difficultés. En effet, selon le général à la retraite Walter Natynczyk, « environ 50 % de nos clients font une demande de prestation deux ans ou plus après avoir été libérés des Forces[104], » et l’autre moitié d’entre eux le font « au cours des deux années après avoir remis leur carte d'identité et retiré l'uniforme[105]. » Autrement dit, il semble que la quasi-totalité des clients d’ACC ont déposé leur demande de prestations une fois qu’ils ne faisaient plus partie des FAC. Pour qu’il leur soit utile que l’attribution au service militaire soit faite par les FAC, il faudrait que ces dernières fassent cette détermination pour l’ensemble des membres qui sont libérés pour raisons médicales, au cas où ces personnes déposeraient plus tard une demande auprès d’ACC. Si les FAC ne le faisaient pas pour l’ensemble des militaires libérés pour raisons médicales, le problème actuel des délais et des transferts de dossiers se poserait de la même façon pour presque toutes les personnes concernées puisque la plupart d’entre elles ont déjà quitté les FAC au moment de déposer leur demande.

Il y aurait également un risque lié à la nouvelle responsabilité qui reviendrait aux FAC de dire « non » aux demandes de ses militaires blessés. Il faudrait alors que toute la procédure d’appel soit revue puisqu’il serait désormais conséquent que la première démarche de révision se fasse auprès des FAC, ce qui pourrait contribuer à nuire au moral des troupes puisque les militaires insatisfaits de la décision seraient encore en service. Ce risque pourrait également avoir comme conséquence une certaine complaisance de la part des autorités médicales des FAC.

La solution de compromis pourrait se trouver dans la recommandation que le Comité avait formulée dans son rapport unanime de juin 2014 à l’endroit des militaires grièvement blessés, mais qui pourrait être étendue à l’ensemble des militaires en voie d’être libérés pour raisons médicales, à l’effet que leur libération ne devienne effective qu’une fois que les demandes de prestations et de services aient été traitées par ACC.[106] Cette recommandation est presque identique à celle qu’a formulée l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes dans son rapport de septembre 2016 sur la transition[107]. Cela créerait une pression supplémentaire pour que les demandes soient traitées le plus rapidement possible. Les personnes qui obtiendraient une réponse négative d’ACC le sauraient avant d’amorcer leur transition, et pourraient compter sur les prestations et les services du Régime d’assurance revenus militaire (RARM) comme tous ceux dont la libération pour raisons médicales n’est pas liée au service.

Cela reviendrait à conférer une responsabilité conjointe aux FAC et à ACC de ne libérer un militaire pour raisons médicales qu’une fois que tout a été mis en place pour s’assurer que la transition pourrait se faire de la manière la plus harmonieuse possible.

Le Comité recommande donc :

Recommandation 10

Que la libération des militaires en voie d’être libérés pour raisons médicales ne devienne effective qu’une fois qu’Anciens Combattants Canada aura rendu une décision finale quant aux demandes de prestations, et que tous les services de santé, de réadaptation et de formation professionnelle auront été mis en place.

La mise en œuvre de cette recommandation pourrait ouvrir la voie à une intégration beaucoup plus poussée des programmes de transition offerts par les FAC et par ACC. De nombreux groupes de défense des droits des vétérans le réclament depuis longtemps et le lieutenant général à la retraite Louis Cuppens s’en est fait le porte-parole :

Dans beaucoup de pays de l'OTAN – pas le nôtre –, le processus de libération est géré conjointement par ceux qui appuient les vétérans et par les militaires. Un processus d'évaluation est mené des mois avant la libération, et le dossier est étudié par des gens compétents. Dans le cas des forces du Royaume-Uni, par exemple, l'organisme de soutien aux vétérans et les militaires rédigent un rapport conjoint dans lequel on indique les motifs pour lesquels l'ancien combattant a droit à une pension. La famille participe également à ce processus par l'intermédiaire des services de consultation avant la libération. Le rapport Neary, auquel j'ai participé, recommandait ce modèle au ministère des Anciens Combattants. Cela n'a pas été fait, malheureusement. […] Encore une fois, je vous exhorte à inclure cela dans les recommandations de votre rapport final[108].

M. Doiron s’est montré favorable à une telle intégration qui assurerait que tous les services dont a besoin le vétéran, y compris les services de santé, puissent avoir été mis en place avant que le militaire n’ait effectivement été libéré de son service militaire :

En ce qui concerne les soins médicaux, je ne parle pas de spécialistes ni de chirurgiens, mais des soins quotidiens. Nous pouvons collaborer avec les vétérans, mais ils ont souvent besoin d'un médecin de famille pour leur donner accès à des soins très élémentaires. Dans certaines régions, c'est parfois très difficile. Les médecins du ministère ne délivrent pas d'ordonnances, mais ils reçoivent les patients qui leur sont dirigés. Leur rôle est de valider nos décisions. Une amélioration à laquelle nous pourrions travailler, collectivement, est de nous assurer que nos vétérans trouvent un médecin, qu'ils ne seront pas inscrits sur de longues listes d'attente[109].

L’autre élément touchant l’établissement du lien entre la condition médicale et le service militaire concerne les efforts faits par ACC au cours des dernières années afin d’identifier certains problèmes de santé qui pourraient bénéficier d’une « présomption » de lien avec le service, ce qui accélérerait grandement le processus. Comme l’expliquait M. Parent : « Nous savons que le service militaire contribue à certains troubles, alors pourquoi insistons-nous pour imposer aux vétérans le fardeau de prouver le lien avec le service, quand il est logique de présumer qu'il y en a un?[110] »

M. Doiron a expliqué qu’une quasi présomption de lien avec le service existe déjà pour certaines blessures :

Essentiellement, nous n'étudions pas les 500 pages de leur dossier médical […]. Nous examinons maintenant les tâches ou le travail qu'ils accomplissaient dans les forces armées et cherchons à déterminer si leurs blessures ressemblent à celles pouvant découler de ces activités, et nous avons accéléré la méthode de prise de décision.
Je dis « blessure » et non « maladie ». Le processus relatif aux maladies est encore très complexe. Si une personne éprouve un problème cardiaque causé par les particules aéroportées venant des zones de brûlage en Afghanistan, il faut probablement qu'un médecin évalue le problème et détermine si c'est possible. Cependant, si la personne a des problèmes de genoux et qu'elle a sauté d'un avion un millier de fois, alors je ne pense pas que nous ayons besoin qu'un médecin nous donne son avis, tant qu'il y a un diagnostic.
Nous avons également accéléré la manière dont nous prenons des décisions dans le domaine de la santé mentale. Si une personne a un diagnostic de problème de santé mentale et qu'elle était affectée à une zone de service spécial, alors en ce sens, elle est admissible. C'est bien plus rapide[111].

Comme l’a précisé Mme Douglas d’ACC, ce processus simplifié est applicable à quatre catégories de conditions médicales : « la perte auditive, l'acouphène, le trouble de stress post-traumatique et les problèmes musculosquelettiques. La raison pour laquelle nous l'avons fait, c'est qu'elles représentent environ la moitié de nos demandes de prestations[112]. »

Dans certains cas, le lien entre la condition médicale et le service militaire est difficile à établir. Une telle procédure de lien présumé pourrait faciliter des situations telles que celle décrite par Gordon Jenkins, président de l’Organisation canadienne des vétérans de l’OTAN :

Lorsque mon meilleur ami était au Cachemire, il est tombé en bas d'une colline. Il était tout seul. En fait, il était accompagné d'un officier de l'armée indienne. Mon ami s'est blessé aux deux hanches. L'établissement médical le plus proche était à 60 kilomètres de là. Pourtant, rien de tout cela n'apparaît dans son dossier. Il a reçu une lettre de refus parce que cet incident n'était pas déclaré dans les documents[113].

Lorsque la blessure ou la maladie découle d’un événement particulier, et que cet événement n’est pas documenté, il est évidemment plus difficile pour ACC d’établir le lien entre la condition et le service militaire. Par contre, lorsqu’un événement se produit sur un théâtre d’opérations et que l’officier responsable remplit le « formulaire CF 98 » qui établit un lien entre l’événement et la condition médicale du militaire, le travail s’en trouve grandement facilité. Comme l’a expliqué le brigadier général Eldaoud :

Le formulaire CF 98 est un document que le soldat remplit avec l'aide de sa chaîne de commandement et qui permet de lier l'événement à la date et à l'endroit où il s'est produit. Même la chaîne de commandement indique sur le document si, selon elle, la blessure est liée au service. C'est le commandant, et non la chaîne de soutien médical, qui signe le document, ce qui permet au médecin de faire son travail. On parle du même événement. Il n'y a pas de secret quant à l'endroit et au moment où l'événement a eu lieu, mais le médecin n'est pas concerné[114].

Dans la presque totalité des cas, l’existence d’un formulaire CF 98 sera reconnue comme preuve par ACC, et équivaut donc à laisser les FAC établir le lien entre la condition médicale et le service militaire. Les difficultés se posent lorsque la condition médicale n’est pas liée à un événement particulier, ou qu’il n’y a pas de témoin de l’événement en question. Cette difficulté resterait intacte, que ce soit les FAC ou ACC qui établissent le lien entre la condition médicale et le service militaire. La seule différence qui subsisterait serait celle du transfert des dossiers entre les deux organisations qui n’aurait plus besoin de se faire si les FAC en étaient responsables.

4.4  La collaboration entre les Forces Armées Canadiennes et Anciens Combattants Canada

Les organisations représentant les vétérans, ainsi que l’ombudsman des vétérans, dénoncent depuis de nombreuses années le manque d’harmonisation entre les programmes de transition mis en place par les FAC et ceux offerts par ACC.

Plusieurs témoins, dont Deanna Fimrite des Anciens combattants de l'armée, de la marine et des forces aériennes, ont réitéré ces critiques :

Assurément, le recoupement des programmes constitue un des premiers obstacles auxquels les membres en transition sont confrontés, comme l’AIP du Régime d'assurance revenu militaire (RARM) du MDN et le programme de réadaptation d’ACC. Pour les membres libérés pour raisons médicales, le RARM est le premier fournisseur de services, et les vétérans doivent présenter leur demande dans les 120 jours suivant leur libération pour être admissibles aux programmes de réadaptation d’ACC[115].

Le problème a été clairement identifié par M. Walbourne :

Il existe encore beaucoup de chevauchements dans les programmes et les services, tandis que d'autres sont terriblement complexes et causent beaucoup de frustration. Par exemple, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, Anciens Combattants Canada et le RARM, le fournisseur de services d'assurances, ont tous leurs propres gestionnaires de dossiers et leurs propres programmes de formation professionnelle et de réadaptation[116].

M. Walbourne a également donné l’exemple des gestionnaires de cas qui illustre ces chevauchements :

Je crois que les ressources sont là, mais, par exemple, j'ai souligné le fait qu'Anciens Combattants Canada, le ministère de la Défense nationale et le RARM fournissent chacun un gestionnaire de cas. Chacun de ces gestionnaires de cas applique un ensemble d'ordres différents.
Si un militaire communique avec un ou deux de ces gestionnaires de cas durant cette transition, le niveau de détails des renseignements et les exigences seront différents selon l'entité. Le militaire doit patauger dans tout cela. Une fois qu'il a accès à un petit volet d'un programme, il bénéficie d'un bon encadrement et d'un bon soutien, mais il n'y a pas d'intervenant qui possède une compréhension générale de tout le système[117].

Pour remédier à ces difficultés, M. Walbourne a recommandé la mise en place d’un service de « conciergerie » :

Ce dont le soldat a besoin, c'est d'un champion, d'un intervenant qui lui est attribué avant sa libération, pas seulement au moment de la libération.
Lorsque les militaires se blessent, on leur accorde une catégorie médicale temporaire en vertu de laquelle ils s'acquittent de tâches légères ou font différentes choses. Avant que les militaires n'obtiennent une catégorie permanente, si un intervenant est affecté à ce moment-là, qu'il parle à ces personnes de ce que leur réserve l'avenir, des possibilités qui s'offriront à eux, cela change tout, vraiment.
Selon ma vision des choses, la beauté de l'affaire, c'est qu'on le fait avant que le militaire enlève l'uniforme, parce qu'il y a des possibilités de recours pour lui et d'autres ressources sur lesquelles il peut s'appuyer qui ne sont pas accessibles une fois l'uniforme enlevé. Si nous en faisions plus à l'interne pour nous assurer que le militaire est le mieux préparé possible à sa libération, je crois que cela aiderait beaucoup. Le fait d'avoir un point de contact qui encadre le militaire durant tout le processus serait essentiel à ce que nous tentons de réaliser à l'avenir[118].

M. Guy Parent, ombudsman des vétérans, a renforcé les mêmes arguments :

Bien des gens offrent des prestations et des possibilités, mais il n'existe aucune agence de coordination. Le problème pour un ancien combattant qui traverse une période de transition, c'est qu'il a une foule d'options, et bien souvent, il n'a pas suffisamment de détails sur les options qui s'offrent à lui. Dans le cadre de notre examen de la transition, nous avons découvert qu'il faut une agence de coordination ou une liste des options à la disposition des vétérans, ce qui n'existe pas à l'heure actuelle. Il y a un grand nombre de personnes et d'organismes qui essaient de venir en aide aux vétérans, mais ils sont un peu partout, et nous avons besoin d'une sorte d'organisme de contrôle pour encadrer le tout[119].

M. Parent a décrit comment pourrait fonctionner concrètement un tel service :

Ce guichet ou processus unique devrait commencer dès qu'une personne est informée de sa libération prochaine pour raisons médicales. Ce ne devrait pas être après la date prévue de la libération. Le processus devrait être enclenché dès que l'on dit à une personne, « Vous ne répondez plus à toutes les normes de service, et vous allez maintenant être libérée des forces ». C'est à ce moment-là qu'on devrait l'informer de toutes les prestations disponibles[120].

Les membres du Comité ont été aisément convaincus de la pertinence de mettre en œuvre une telle initiative. Ils recommandent donc :

Recommandation 11

Que les Forces Armées Canadiennes et Anciens Combattants Canada collaborent à la mise sur pied d’un guichet unique, ou « service de conciergerie » grâce auquel un seul intervenant agirait comme point de contact auprès des militaires en voie d’être libérés pour raisons médicales, et coordonnerait les services offerts par les Forces Armées Canadiennes et Anciens Combattants Canada avant, pendant et après leur libération.

Les avantages de la mise en place d’un tel système seraient peut-être encore plus évidents pour les vétérans souffrant de problèmes de santé mentale. C’est ce qu’a laissé entendre George Zimmerman :

Si je savais que ma personne-ressource – la personne que je connais depuis deux ou trois ans – continuera de s'occuper de moi après ma libération, surtout si je suis aux prises avec des problèmes de santé, mon niveau d'anxiété... Et le lien avec le gouvernement du Canada et le sentiment d'obligation à mon égard, tout cela serait très important et très significatif[121].

Les FAC et ACC ont déjà mis en place un processus qui se rapproche de l’esprit de cette recommandation et qui permet l’intervention précoce des employés d’ACC auprès des militaires alors qu’ils sont encore en service. Mme Douglas a décrit ces efforts en termes prometteurs :

Les Services de transition améliorés sont une initiative conjointe d'ACC et des Forces armées canadiennes mise en place afin de donner suite au rapport publié par le Comité en juin 2014. Désormais, Anciens Combattants Canada intervient plus rapidement auprès des militaires des Forces armées canadiennes libérés pour des raisons médicales et de leur famille. Cette initiative a été mise en œuvre à l'échelle nationale en septembre 2015 dans le but d'obtenir les meilleurs résultats possible durant la transition entre la vie militaire et la vie civile[122].

À l’autre extrémité du processus de transition, ACC a commencé à mettre en place des processus de suivi après libération qui pourraient facilement s’intégrer à ce système de guichet unique. Anne-Marie Pellerin, directrice de la Gestion des cas et des services de soutien à ACC, en a décrit les grandes lignes :

Ce que nous avons ajouté, en octobre 2015, c'est le suivi après la libération, qui nous permet d'effectuer un suivi postérieur à la libération auprès de membres qui, autrement, ne reçoivent pas de services de gestion de cas et qui n'ont pas été désignés comme étant à risque. Concernant l'entrevue de transition, si un membre a été désigné comme présentant un risque minimal, avant octobre 2015, nous ne faisions pas de suivi; maintenant, nous suivons aussi ces cas. Depuis octobre 2015, nous avons fait le suivi de 280 membres libérés qui présentaient un risque minimal et, de ces membres, environ 60 ont présenté une demande d'inscription à un programme d'Anciens Combattants. Je pense que le suivi après la libération procure l'assurance supplémentaire, si on veut, du fait que ceux qui sont libérés se portent bien pour que, si cela n'était pas le cas, nous puissions leur fournir des services de soutien supplémentaires, et peut-être des prestations[123].

De tels efforts se heurtent par contre au fait que, lorsqu’ils cheminent dans cet entrelacement des programmes, la perception la plus générale des militaires et des vétérans est celle d’un préjugé favorable à l’endroit des services offerts par le MDN, et d’un préjugé défavorable à l’endroit des programmes d’ACC.

Cette perception a été bien mise en évidence par les réponses soumises aux membres de Vétérans Canada par leur directeur général, M. Leonardo : « Voici une des réponses que j’ai reçues: ‘Selon moi, la Défense nationale transfère rapidement et efficacement les dossiers des retraités; c’est du côté d’Anciens Combattants qu’on perd du temps parce qu'on tarde à affecter du personnel à l’examen de ces dossiers une fois qu’on les a reçus’[124]. »

Un système de conciergerie qui éliminerait les cloisons entre les deux ministères offrant ces programmes contribuerait sans doute à améliorer le lien de confiance envers ACC et favoriserait du même coup la participation des vétérans à ces programmes.

4.5  Les programmes offerts par des tiers

Depuis le transfert de l’Hôpital Sainte-Anne-de-Bellevue à la province de Québec le printemps dernier, le rôle d’ACC n’est plus d’offrir directement des services de santé, de réadaptation ou de formation, mais bien de s’assurer que des tiers puissent fournir ces services afin de les rendre disponibles aux vétérans. Même dans le cas des cliniques de blessures de stress opérationnel, ce sont les provinces qui fournissent les soins, même si ACC en a la responsabilité. M. Doiron a décrit l’arrangement en ces termes :

Nous payons les provinces pour qu'elles dirigent des cliniques de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel partout au pays. Ce ne sont pas nos employés, mais ils travaillent seulement avec les vétérans et les membres de la GRC – quand je parle des vétérans, j'inclus nos collègues de la GRC –, et nous payons tous les frais. Qu'il s'agisse d'un psychiatre, d'un psychologue, d'un infirmier en santé mentale, d'un travailleur en service social individualisé ou d'un travailleur social, Anciens Combattants paye. Nous leur fournissons nos attentes, nous surveillons le rendement et nous faisons des suivis. C'est le seul domaine où nous avons une réserve, la santé mentale et nos cliniques TSO, parce que ce sont des soins plus spécialisés pour nos soldats[125].

Ce rôle de coordination avec les provinces s’établit également avec d’autres organisations qui peuvent combler des besoins avec de meilleurs résultats que si le Ministère s’en occupait lui-même. Par exemple, la Maison La Vigile, à Québec, accueille des personnes en uniforme aux prises avec des problèmes de toxicomanie ou de dépression. La particularité de l’organisme est d’être le seul au Québec à pouvoir offrir une surveillance médicale continue lorsque les patients sont en sevrage d’alcool ou de drogue. Lorsque des vétérans sont dans cette situation, un gestionnaire de cas d’ACC pourra les référer à la Maison La Vigile, et ils seront habituellement admis dans les 48 heures[126]. Nous donnerons ici deux autres exemples de telles organisations, l’une récente, le Réseau de transition des vétérans, et l’autre ancienne, la LRC. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la seconde a financé la mise sur pied de la première. Le Réseau de transition des vétérans « une thérapie de groupe de 10 jours, qui vise à aider les membres des FAC et les vétérans à comprendre et à surmonter les obstacles à leur transition vers la vie civile[127]. » Le Réseau est devenu un fournisseur de services reconnu par ACC en 2012, et depuis, une cinquantaine de vétérans ont pu profiter de ses services. Ce qui fait la réussite du programme, selon son coordonnateur dans les provinces atlantiques, Doug Allen, est de se fonder sur la camaraderie : « Le programme de transition des vétérans recrée cette camaraderie dont ils ont besoin pour comprendre quels sont leurs éléments déclencheurs et leurs points d'ancrage dans la vie. Ils utilisent cette camaraderie pour s'en sortir[128]. »

M. White de la LRC a recommandé que le programme puisse être offert aux membres actifs du personnel militaire :

Créé en 1999, et financé par la direction de la Colombie-Britannique et du Yukon, [le Programme de transition des vétérans] est mis en œuvre à la faculté de médecine de l'Université de la Colombie-Britannique. Il est offert gratuitement aux anciens membres de la GRC et des Forces armées canadiennes. Ce programme prend de l'expansion à l'échelle nationale, et on prévoit d'offrir des séances réservées exclusivement aux femmes.
Le ministère des Anciens Combattants appuie le programme, et nous recommandons que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes contribuent à l'étendre à l'échelle nationale afin que les membres actifs des Forces armées canadiennes qui sont affectés par le trouble de stress post-traumatique puissent y avoir accès[129].

Ce programme semble donner des résultats plus qu’intéressants et souligne la pertinence pour ACC de nouer des partenariats avec des organisations crédibles qui font preuve d’un grand professionnalisme.

Ce même professionnalisme a été reconnu dans le cas de la LRC depuis presque un centenaire. Toutefois, des critiques ont été exprimées au cours des dernières années au sujet du privilège dont bénéficierait la LRC dans ses relations avec ACC. Cela découle d’une entente par laquelle certaines organisations, dont la LRC, peuvent obtenir certaines informations auxquelles les autres organisations n’ont pas accès.

En vertu du Règlement sur la désignation de personnes et d’organisations, la LRC, ainsi que les Anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes au Canada (ANAVETS), le Bureau de services juridiques des pensions, la Coalition de marine marchande pour l’égalité, le ministre des Anciens combattants et le Conseil national des organisations d’anciens combattants du Canada, peuvent intervenir auprès du Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Lorsque le demandeur ou l’appelant soulève une question d’interprétation que le TACRA juge pertinente, ces organisations sont appelées à faire valoir leurs arguments au TACRA avant qu’une décision ne soit rendue.

Ray McInnis, directeur du Bureau d’entraide de la LRC, a expliqué au Comité comment ce programme de représentation est au cœur de la mission de l’organisation :

Depuis 1926, nous nous acquittons du rôle de soutien à l'égard des anciens combattants que nous confèrent la Loi sur les pensions et la Nouvelle Charte des anciens combattants. Partout au pays, les agents professionnels de nos 23 bureaux d'entraide offrent gratuitement leurs services aux vétérans et à leur famille pour les aider à obtenir les prestations et les services offerts par le ministère des Anciens Combattants.
Soulignons qu'il ne faut pas nécessairement être membre de la Légion pour avoir accès à nos services, et j'insiste de nouveau sur le fait que nos services sont gratuits. Notre réseau national d'agents d'entraide fournit des services de représentation, que ce soit pour présenter une première demande au ministère des Anciens Combattants ou pour se faire représenter aux trois niveaux de recours du Tribunal de révision et d'appel des anciens combattants.
Le mandat législatif de la Légion lui permet d'accéder aux dossiers médicaux et aux dossiers ministériels afin de fournir gratuitement des services de représentation complets mais indépendants. L'année dernière, nos agents d'entraide ont préparé et défendu des dossiers de demande de prestations d'invalidité au nom de plus de 3 000 vétérans auprès du ministère des Anciens Combattants et du Tribunal de révision et d'appel des anciens combattants. Aucun autre groupe de services aux vétérans n'entretient une telle relation de proximité, d'interaction, de soutien et de rétroaction avec les vétérans, leur famille et leurs aidants naturels[130].

De plus, comme nous l’avons évoqué dans le cas du Réseau de transition pour les vétérans, la LRC se retrouve au centre de la plupart des projets innovateurs qui sont les plus susceptibles de venir en aide aux vétérans, que ce soit le projet de soutien aux vétérans sans abri de VETS Canada[131], ou le financement des bourses de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Les membres du Comité reconnaissent également que le réseau des filiales locales de la LRC continue fréquemment de servir d’unique point de contact entre les vétérans et les services qui pourraient leur être disponibles.

Certains, comme Dean Black, de l’Association de l’Aviation royale canadienne, considèrent que les services de la LRC sont sous-utilisés : « Pour ce qui est d'offrir du soutien aux vétérans, notre réponse automatique est et continue d'être que nous ne faisons pas suffisamment appel à la LRC, car c'est elle qui possède l'expertise et les ressources[132]. »

Évidemment, la LRC vit une décroissance de son effectif et de ses activités, ce qui se traduit par des difficultés d’entretenir son infrastructure et son organisation de la même manière qu’elle l’a toujours fait. M. White l’a clairement reconnu :

La plupart de ces filiales se trouvent dans des immeubles vieux de 40, 50 ou peut-être 60 ans. L'infrastructure est terrible. Cela coûte énormément d'argent aux filiales pour maintenir ces vieux immeubles en bon état. Pourquoi ne pas fusionner certaines filiales et regrouper tous les membres afin que... Dans leurs beaux jours, les filiales comptaient plus de 1 000 membres. De nos jours, il y a peut-être 200 personnes qui tentent de faire le travail que 1 000 personnes faisaient à l'époque. C'est loin d'être facile.
Nous recommandons que les filiales commencent à envisager la fusion afin qu'elles puissent prendre de l'expansion et offrir davantage de services à la collectivité[133].

Le Comité comprend que la Légion se retrouve face à des défis importants pendant qu’elle traverse cette phase de transition. Des critiques sévères lui ont été adressées durant nos audiences, mais nous avons également entendu tout le bien qui a été fait grâce à des projets qui n’auraient pas vu le jour sans elle. Ce qui est ressorti le plus est la variation dans le niveau de service qui est offert dans les différentes filiales.

Par exemple, Debbie Lowther, de VETS Canada a dit : « Vous pourriez aller à une filiale de la Légion et obtenir le meilleur service, ou vous adresser à une autre filiale et n'avoir aucun service. […] Parfois, nous obtenons d'excellents résultats, et parfois nous n'obtenons rien de bon[134]. »

4.6  La condition des vétérans après leur libération pour raisons médicales

« Notre identité provient des liens sociaux que nous créons, à savoir nos amis, notre famille, ainsi que les autres soldats, marins ou aviateurs. La fraternité est un élément essentiel. Coupez ces liens et vous contribuerez à la perte du vétéran. Renforcez ces liens, soutenez-les, et vous sauverez des vies[135]. »

Un grand nombre de militaires opèrent leur transition vers la vie civile de manière tout à fait satisfaisante. Le défi est cependant plus important pour les militaires qui quittent la vie militaire contre leur gré, dont ceux qui sont libérés pour raisons médicales et qui forment l’essentiel des clients d’ACC.

Dans le cadre de cette étude, l’impression générale qui ressort des témoignages entendus est que les besoins de nombreux vétérans libérés pour raisons médicales ne sont pas comblés, et qu’ils en ressentent un plus grand isolement. Le sergent Harris a bien décrit cette condition pour les vétérans qui souffrent de problèmes de santé mentale, et ses liens avec la culture militaire :

Un soldat qui revient de la guerre et qui souffre du TSPT ne se retrouve pas dans une usine avec ses nombreux pairs comme les soldats de la Seconde Guerre mondiale, qui ont vécu la guerre ensemble et se sont entraidés. Aujourd'hui, on lui trouve un travail de bureau dans un centre d'appels. Personne dans son milieu de travail ne le comprend, on le voit seulement comme le gars de l'armée perturbé. S'il se plaint de quoi que ce soit, on lui dit « Pourquoi te plains-tu? Tu devrais avaler ton mal. » C'est une chose horrible à dire à quelqu'un.
Pour ce qui est de changer la culture, je ne sais pas quoi vous répondre. C'est très difficile, car d'une certaine façon, cette culture est pratiquement nécessaire au sein de l'armée. Il faut y aller. Il faut savoir qu'on doit y aller pour s'entraider. Au lieu de dire « Tu dois avaler ton mal », on pourrait dire « Vas-y pour aider ton camarade », ou « Vas voir un camarade qui peut t'aider[136]. »

Brian McKenna, de l’Equitas Disabled Soldiers Funding Society, a ajouté un élément géographique à cette difficulté :

Depuis très longtemps, les bataillons ne sont plus composés de gens qui viennent d'un même quartier, qui vont se battre ensemble et qui rentrent ensuite chez eux. Dans ma collectivité, Delta, parfois, deux ou trois personnes participent à une mission et reviennent, et le reste des habitants ne savent même pas qu'ils sont partis. Essentiellement, c'est un problème généralisé; nous avons du mal à établir des liens avec les vétérans[137].

Pour les vétérans qui ont besoin d’aide, le premier soutien viendra habituellement de personnes œuvrant au sein de réseaux d’entraide informels utilisant les médias sociaux. Le problème le plus criant semble se poser pour les vétérans qui ont été libérés et ont attendu, pour une raison ou une autre, avant de se manifester auprès de ces groupes. M. Beaudin de Veterans UN-NATO Canada, a parlé aux membres du Comité de l’urgence de retrouver ces personnes :

À l'heure actuelle, on met beaucoup d'accent sur les militaires actifs qui vont être libérés. Leur sort n'est pas si mauvais puisqu'ils ont au moins deux ans devant eux sans avoir à trop s'en faire. Ils savent que dès qu'ils vont quitter les rangs de l'armée, ils seront pris en charge. Je connais toutefois des personnes qui attendent depuis trois, quatre, cinq ou sept ans et qui n'ont encore rien reçu. Elles se retrouvent devant rien et si nous n'étions pas là pour nous en occuper – parce que par hasard, quelqu'un nous les a référées – elles ne feraient plus partie de la population. Elles se seraient pendues[138].

Comme l’a expliqué le général à la retraite Walter Natynczyk, cela rend la tâche plus difficile pour le Ministère d’assurer le suivi des vétérans qui pourraient avoir besoin de services puisque leurs points de contact sont plus difficiles à identifier que lorsqu’il n’y avait que le Ministère ou la LRC :

Pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, beaucoup de soldats restaient dans la région avec leurs camarades après avoir été déployés. Ces camarades étaient un important soutien.
Or à l'heure actuelle, ils se retrouvent côte à côte dans un pays étranger.
Ces hommes et ces femmes communiquent entre eux grâce à Internet et les médias sociaux, mais pas avec tout le monde. Ils communiquent avec ceux qui ont pris part aux mêmes batailles, qui se sont trouvés à bord des mêmes navires, des mêmes avions ou qui faisaient partie de leur escadron. Ils peuvent se consoler, se conseiller et s'appuyer mutuellement. Heureusement, il y a beaucoup de leaders parmi eux. Ces hommes et ces femmes exceptionnels ont beaucoup appris, et il y a des groupes sur les médias sociaux au sein desquels ils peuvent s'appuyer les uns les autres[139].

Cette fragmentation des réseaux d’entraide pour les vétérans a convaincu ACC de mettre sur pied des groupes consultatifs qui permettent l’interaction entre ces différents réseaux, et favorisent un meilleur partage d’informations avec le Ministère. En effet, malgré toutes les résistances des vétérans, et toute la méfiance qui a pu se construire au fil du temps, le dépôt d’une demande officielle de services auprès d’ACC constitue fréquemment le premier pas nécessaire vers leur mieux-être[140]. Le témoignage de Bruce Phillips, coordonnateur du soutien par les pairs du Programme de Soutien Social ‑ Blessures de stress opérationnel (SSBSO) de la Région de la capitale nationale, illustre bien que le lien avec ACC s’établit beaucoup mieux par la médiation d’un accompagnateur qui connaît les étapes à suivre et la culture militaire :

Si la personne a été libérée, la première question que je lui pose, c'est si elle est inscrite à Anciens Combattants. Je ne peux lui fournir aucune aide si elle n'est pas inscrite à Anciens Combattants. Il s'agit de l'une des premières étapes.
Nous nous rendons à Anciens Combattants main dans la main. Nous aidons la personne à commencer le processus de demande. Je vérifie pour m'assurer qu'elle a eu une conversation avec son médecin et établit si un diagnostic a été posé. Il doit être fondé sur des données probantes. S'il ne l'est pas, alors je vais communiquer avec Anciens Combattants pour informer les responsables du fait qu'une évaluation est requise. Voilà comment nous commençons[141].

Même lorsque le contact avec les autorités gouvernementales a été établi, le sentiment d’isolement peut être aggravé lorsqu’un vétéran ou un membre de sa famille se heurte à la complexité du système. Mme Batho de Send Up the Count a bien décrit l’angoisse de ces premières démarches :

Je n'ai toujours pas vu de conseiller. Je ne sais rien du groupe de soutien, le groupe de [Soutien social – Blessures de stress opérationnel], auquel on m'a supposément référée. Je ne sais pas si je suis censée communiquer avec le groupe ou si ACC doit le faire. On m'a seulement dit qu'on m'y référait. Je ne sais pas du tout comment cela fonctionne.
J'ai passé des mois, littéralement, sans aucune forme d'aide ou de traitement. Même si je suis passée par les mécanismes prévus par le système, je n'ai toujours pas obtenu d'aide concrète. C'est souvent ce qui arrive à ceux qui demandent de l'aide. Il y a bien sûr des délais à prévoir, par exemple le temps qu'il faut pour qu'un dossier soit transmis d'un intervenant à un autre ou pour que la recommandation de la clinique de traitement des BSO se rende à ACC ainsi qu'au médecin, et ainsi de suite. C'est très long avant que le dossier ne se rende à bon port, et on ne nous explique à peu près rien, par exemple comment se fait le lien entre la clinique et le groupe de SSBSO, qui contacter et le genre de soutien offert[142].

L’une des mesures simples évoquées depuis plusieurs années et qui faciliterait l’établissement de ce premier contact est l’émission d’une carte d’identité de vétéran dès le début du service militaire. Cette carte permettrait du même coup l’ouverture d’un compte « Mon dossier ACC » qui permettrait au Ministère de garder un contact avec les militaires qui sont libérés, alors qu’il n’est présentement pas en mesure de le faire si les vétérans n’en prennent pas eux-mêmes l’initiative. M. Parent, l’ombudsman des vétérans, en a fait la recommandation plusieurs fois par le passé, et a expliqué aux membres du Comité quels seraient les avantages d’une telle carte d’identité :

Le point essentiel est que les gens qui sont en service doivent se préparer à l'éventualité d'être blessés ou libérés du service pour des raisons médicales. Prendre cette responsabilité est une priorité. Une deuxième carrière est possible, étant donné qu'une carrière militaire, c'est dangereux.
Une carte d'identité permettrait notamment aux gens qui intègrent le milieu militaire d'avoir déjà un compte ou un numéro de dossier auprès d'Anciens Combattants Canada. Une preuve de leur service et de leur diagnostic serait déjà dans ce dossier lorsqu'ils auraient besoin d'accéder à certains avantages à la fin de leur service.
Les militaires perdent leur identité militaire lorsqu'ils finissent leur service. Il ne s'agit pas d'une réintégration, mais d'une intégration à la vie civile. En recevant une carte autorisée par le gouvernement fédéral prouvant qu'ils sont désormais des vétérans du Canada, ils maintiennent leur identité militaire. À mon avis, c'est ce qui est important.
Certains vétérans sont itinérants, sans abri. Or s'ils ont dans leur poche une carte constituant une preuve de leur service et d'un compte chez Anciens Combattants Canada, la moitié du processus d'adjudication est déjà accompli[143].

La plupart des représentants des groupes de vétérans appuient l’idée. M. Blackwolf de l’Association canadienne des vétérans et membres actifs autochtones, a dit au Comité :

Nous avons toujours maintenu que la libération des Forces devrait se faire de manière échelonnée et que les vétérans devraient partir avec une carte d’identité avec photo et un compte Mon dossier AAC qu’ils peuvent utiliser. Ils ont 120 jours pour présenter une demande en cas de problème. Ils devraient pouvoir laisser leur carte dans un tiroir pendant 30 ans et la sortir à n’importe quel moment lorsqu’ils ont un problème et obtenir l’aide dont ils ont besoin[144].

M. Westholm a défendu la même position :

Personne ne devrait terminer ses qualifications militaires de base sans obtenir un compte Mon dossier ACC. Ce devrait être un module dès l'instruction de base, et il faudrait amorcer cette interaction dès la fin de l'instruction de base, puis prévoir un module à chaque échelon des différentes formations sur le leadership. Il y aurait quelque chose comme cinq modules différents, le dernier étant celui d'adjudant-chef, où on verrait la gestion du processus pour tout le monde au sein d'ACC et, du MDN et des Forces canadiennes. On aurait ce qu'on appelle une interaction du berceau à la tombe, soit dès qu'une personne s'enrôle, qu'elle obtient un compte Mon dossier ACC, interagit avec des responsables, obtient tous les renseignements par courriel jusqu'à ce qu'elle prenne sa retraite; elle serait au courant de toutes les modifications apportées par Anciens Combattants Canada au fur et à mesure. Les coûts d'un tel système seraient minimes. On pourrait procéder ainsi[145].

Le général à la retraite Walter Natynczyk a mentionné qu’une recommandation en ce sens avait déjà été formulée par le Ministère au gouvernement.[146] Une telle initiative semble faire consensus, et les membres du Comité ne peuvent qu’appuyer ce consensus en recommandant :

Recommandation 12

Qu’Anciens Combattants Canada, en collaboration avec le ministère de la Défense nationale, remet aux recrues des Forces armées canadiennes une carte d’identité de vétéran et leur ouvre un compte « Mon dossier ACC » dès le début du service militaire, et fournisse des mises à jour régulières et de la formation sur les changements apportés à ses programmes et services.

5.  ENJEUX PARTICULIERS

Jusqu’à maintenant, nous avons abordé des problèmes qui se rapportent à l’ensemble des programmes, des services, et des interactions entre ACC, les FAC et les vétérans. Dans le cadre de notre étude, certains enjeux ont été soulevés qui se rapportent à des programmes particuliers, ou même à certains aspects de ceux-ci. Nous en décrirons ici quelques-uns.

5.1  Blessures ou maladies secondaires

Il est assez facile de démontrer qui si un militaire s’est fait mal au genou en tombant d’un véhicule, ses problèmes de genou sont liés au service militaire et ACC devrait fournir à cette personne tous les programmes nécessaires une fois que cette personne devient un vétéran. Il semble que cette démonstration soit plus difficile à faire lorsque le problème de santé est une conséquence de la blessure ou de la maladie initiale. Par exemple, si le mal de genou entraîne des difficultés de posture qui causent des maux de dos, on conçoit aisément que le mal de dos devrait être reconnu comme étant lié au service militaire. Or, selon le témoignage de M. McKenna, il semble que les vétérans éprouvent de la difficulté à faire reconnaître ce lien.

Prenons l'exemple des amputés. Ils perdent beaucoup de leur surface corporelle. Leur corps a donc tendance à surchauffer. Il y a eu des amputés qui ont reçu des soins pour le problème dont ils souffraient initialement, mais qui ont dû ensuite retourner à l'hôpital parce que leur corps surchauffait constamment. Quand ils ont demandé l'aide du ministère des Anciens Combattants, ils ont dû franchir bien des obstacles pour prouver que ce symptôme était associé à la maladie initiale.
Lorsqu'une personne fait des cauchemars ou a des tremblements la nuit, elle peut grincer des dents. Cela fait donc aussi partie des symptômes du trouble de stress post-traumatique. […] Nous avons tous de la difficulté à obtenir des soins secondaires pour les maladies pour lesquelles des soins de première ligne ont déjà été approuvés[147].

Des problèmes similaires semblent se poser pour les problèmes de toxicomanie que peut entraîner ou aggraver l’apparition d’une blessure de stress opérationnel.[148] Il est difficile pour les membres du Comité de se faire une idée claire de l’envergure de ce problème puisque l’information demeure fragmentaire. Le témoignage de M. McKenna semble cependant assez crédible pour que le Comité recommande :

Recommandation 13

Qu’Anciens Combattants Canada procède à une analyse de son traitement des demandes de prestations financières et de services qui sont liées à des blessures ou des maladies qui sont la conséquence de blessures ou de maladies dont le lien au service militaire a déjà été établi, et dépose les résultats de cette analyse au Comité.

5.2  Soins de longue durée

ACC fournit des soins de longue durée pour les vétérans dont les besoins pour ces soins sont liés à la condition pour laquelle ils reçoivent une pension ou une indemnité d’invalidité. Il existe cependant des différences dans l’accès à ces soins entre les vétérans de la Deuxième guerre mondiale et de la Guerre de Corée, et les autres. La première différence tient dans la démonstration du besoin lié à ces soins. Les vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée dont l’incapacité est grave n’ont pas besoin de démontrer que leurs besoins sont liés à leur service militaire, alors que les vétérans dits « de l’ère moderne » doivent démontrer ce lien.

La seconde différence vient du type d’établissement où ces soins sont offerts. Les vétérans de la Deuxième guerre mondiale et de la Guerre de Corée ont accès à ce qu’on appelle des « lits réservés ». Ces lits font partie de sections dédiées aux vétérans dans des établissements de soins de longue durée pour lesquels ACC défraie les coûts liés au bâtiment, ainsi que la différence entre ce que paie la province pour ces soins et ce qu’il en coûte réellement. C’est ce type d’établissement que les membres du Comité ont pu visiter lorsqu’ils se sont rendus au Parkwood Institute à London, en Ontario, au mois de juin dernier.

Les vétérans de l’ère moderne n’ont accès qu’à des lits « dans des établissements communautaires », c’est-à-dire dans n’importe quel établissement provincial licencié offrant des soins de longue durée. La différence est qu’il n’existe pas de sections dédiées exclusivement aux vétérans dans ces établissements provinciaux, et qu’ACC n’a donc pas à défrayer les coûts liés au bâtiment. Le Ministère ne paie que la différence entre ce que couvre le programme d’assurance santé de la province et le coût réel des soins donnés.

De nombreux vétérans préfèrent les soins offerts dans un établissement communautaire puisque cela leur permet de demeurer plus près de leur lieu de résidence. D’autres, par contre, préfèrent profiter d’un environnement adapté aux vétérans et où la camaraderie des expériences militaires partagées contribue à briser l’isolement. De manière générale, les vétérans de l’ère moderne ne comprennent pas pourquoi le choix d’un lit réservé leur a été enlevé. Cette inégalité dans l’accès et le niveau de soins est dénoncée depuis de nombreuses années, et le Ministère n’a jamais été en mesure d’expliquer les raisons qui motivaient le maintien de ces deux classes de vétérans.

Cet enjeu est réapparu à quelques reprises dans le cadre de la présente étude. Le lieutenant général à la retraite Louis Cuppens a manifesté son incompréhension dans les termes suivants :

Je vais vous donner l'exemple du centre Colonel Belcher à Calgary. […] On nous a montré un nouvel hôpital très moderne qui venait d'ouvrir. Nous sommes allés dans l'aile des anciens combattants, qui comptait surtout des vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée, puis nous avons vu les systèmes à la fine pointe de la technologie en place pour aider les personnes âgées.
Nous nous sommes ensuite rendus dans une autre aile où il y avait des patients en soins de longue durée. Nous avons rencontré quatre vétérans de l'ère moderne, dont deux étaient des amputés qui ont participé à la mission en Afghanistan. Nous leur avons demandé, « Pourquoi n'êtes-vous pas avec les autres vétérans? ». […] Ils ont dit qu'ils n'avaient pas le droit d'être dans cette aile.[149]

Les problèmes liés à cette distinction sont peut-être peu apparents aujourd’hui, mais lorsque les 40 000 vétérans du conflit en Afghanistan atteindront l’âge où ils auront besoin de soins de longue durée, le Ministère devra sans doute réagir. C’est ce dont s’est inquiété entre autres M. Thibeau d’Aboriginal Veterans Autochtones :

Le ministère doit se rappeler que nous avons toujours des vétérans et qu’ils devraient avoir accès à des installations de soins de longue durée, du moins comme première option. On pourrait penser à ce stade que le besoin n’est pas crucial, mais nous verrons, à l’avenir, des vétérans compter sur ces installations lorsqu’ils en ont besoin. Il pourrait très bien y avoir un raz de marée de vétérans au moment où ils nécessiteront des soins de longue durée. Comment le gouvernement fera-t-il face à cette réalité au moment venu?[150]

Le Comité recommande donc :

Recommandation 14

Qu’Anciens Combattants Canada revoie sa stratégie concernant les soins de longue durée et envisage d’offrir des lits réservés aux vétérans de l’ère moderne qui en ont besoin, en plus des soins à domicile qui sont offerts en vertu du Programme pour l’autonomie des anciens combattants.

5.3  Formation professionnelle

Les programmes de formation professionnelle sont certainement ceux pour lesquels les chevauchements entre ce qu’offrent le MDN et ACC entraînent le plus de confusion.

Le Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) offre un programme de formation professionnelle à tous les militaires qui sont libérés pour raisons médicales, mais l’accès y est limité aux deux premières années suivant leur libération. Cette période d’admissibilité constitue un problème important pour les vétérans qui n’ont pas eu l’occasion de définir leurs besoins de formation. Le général à la retraite Walter Natynczyk l’a dit franchement :

L'une des difficultés, c'est que bon nombre de ces hommes et de ces femmes ne sont pas prêts. Ils ne sont pas prêts psychologiquement et, là encore, je fais allusion à de nombreux soldats qui ont servi avec moi. Ils ne sont pas prêts à quitter leur cohorte, car être avec leur cohorte est tout à fait essentiel à leur bien-être. Donc, ce que nous essayons de faire, c'est de leur offrir ces services et de travailler avec eux, tout en nous assurant d'être prêts lorsqu'ils seront prêts à partir. J'ai parlé avec un ancien combattant l'année dernière. Il a fallu six ans, mais il est enfin retourné aux études[151].

Mme Gilmore a exprimé la même idée dans les cas où les vétérans souffrent de problèmes de santé mentale :

Ne poussez pas une personne à faire des études. Si elle n'est pas prête, la scolarisation n'aura pas lieu. Ce sera de l'argent gaspillé. Vous allez la stresser, et vous allez empirer son cas. […] Mon identité des 23 dernières années est disparue. Je ne sais pas qui je suis. Je ne sais pas ce que je vais faire ensuite. J'ai encore l'impression d'être une professionnelle, mais une professionnelle de quoi? Je possède un si grand nombre d'ensembles de compétences... je n'ai tout simplement pas d'emploi actuellement. Je suis une professionnelle retraitée. Je suis en transition, mais je ne sais toujours pas ce que je veux faire ensuite[152].

Le programme de formation professionnelle d’ACC ne peut commencer qu’après les deux années d’admissibilité au programme du RARM. Les critères sont maintenant plus souples que ceux du programme du RARM, mais la confusion entre les deux organisations fait que peu de vétérans s’en prévalent. C’est ce qu’a fait comprendre Mme Fimrite :

Le RARM est le premier recours, et ce qui pose problème, c'est qu'il ne s'applique que pour les deux premières années. C'est un programme à durée limitée. Ensuite, d'après ce que je comprends, la personne qui voudrait poursuivre sa participation à un programme de réadaptation d'ACC doit avoir présenté une demande à cet égard dans les 120 jours suivant sa libération. Je ne crois pas que beaucoup de gens le savent lorsqu'ils sont libérés. Ils se disent simplement qu'ils vont participer au programme RARM, car c'est le programme auquel ils avaient droit et auquel ils ont cotisé tout au long de leur carrière militaire.
Beaucoup d'autres programmes ont des délais d'accès que nous jugeons déraisonnables. En particulier, les survivants n'ont qu'un an pour présenter une demande d'accès aux services de réadaptation d'ACC. Une personne qui a perdu son conjoint, qui a de jeunes enfants et qui a peut-être dû déménager d'une base militaire à sa ville d'origine a parfois besoin de beaucoup plus qu'un an avant d'être prête à retourner aux études[153].

Dans son rapport de juin 2014, le Comité avait établi que la meilleure manière d’éliminer ce chevauchement serait de limiter l’accès aux programmes du RARM aux vétérans dont la libération pour raisons médicales n’est pas liée au service militaire. Cela impliquerait évidemment que cette détermination puisse être faite avant que le militaire soit libéré, ce qui constitue d’ailleurs l’objet de notre recommandation 5. Le Comité souhaite donc tout simplement réitérer cette recommandation :

Recommandation 15

  • Que le programme d’invalidité à long terme du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) ne soit offert qu’aux vétérans dont l’invalidité ayant entraîné leur libération pour raisons médicales n’est pas liée à leur service militaire;
  • que tous les vétérans libérés pour raisons médicales liées à leur service bénéficient des programmes offerts par la Nouvelle Charte des Anciens Combattants;
  • que les Forces canadiennes et Anciens Combattants Canada collaborent afin d’éliminer le plus rapidement possible les chevauchements entre les programmes du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) et les programmes offerts par Anciens Combattants Canada; et
  • qu’Anciens Combattants Canada élimine l’exigence d’appliquer à son programme de réadaptation professionnelle dans un délai de 120 jours après la libération.

5.4  Gestionnaires de cas

Nous avons déjà vu dans une section précédente que les problèmes associés à l’Unité interarmées de soutien du personnel tenaient essentiellement à une pénurie de personnel. La même évaluation semble prévaloir dans le cas des gestionnaires de cas à ACC dont on reconnaît le dévouement et la grande compétence, mais dont on déplore le manque de disponibilité qu’on attribue à une surcharge de travail.

Il faut cependant rappeler de prime abord que le travail des gestionnaires de cas ne touche qu’une minorité des vétérans qui sont clients d’ACC. Le général à la retraite Walter Natynczyk l’a expliqué en termes limpides :

Des 135 000 vétérans que nous appuyons – ce qui représente, je le répète, environ 60 000 familles – ceux qui ont besoin de soutien en raison de blessures complexes et graves – ils sont 9 300 actuellement – ont des gestionnaires de cas. Les autres reçoivent l'appui de ce qu'on appelle des agents de service aux vétérans. Ces agents s'occupent des vétérans dont les besoins sont simples et nécessitent peu d'intervention. Les échanges sont limités[154].

À la différence des gestionnaires de cas des FAC, qui sont surtout des professionnels des sciences infirmières, le profil des gestionnaires de cas d’ACC est plus diversifié. Selon le général à la retraite Walter Natynczyk :

Pour les gestionnaires de cas, nous recherchons des travailleurs sociaux, des infirmières et des psychologues qui ont une certaine expérience dans la gestion des cas. Je suis ravi de voir que nous avons des candidatures du pays tout entier. Nous avons même parmi les candidats des gens qui envisageaient de prendre leur retraite des Forces armées canadiennes. Nous utilisons la réglementation de la fonction publique qui peut être stricte, mais pour pouvoir combler les postes, nous avons déjà engagé, comme l’a indiqué le ministre, plus de 183 personnes[155].

M. Doiron a ajouté que, de ces 183 personnes engagées, 72 étaient des gestionnaires de cas, et que le nombre total d’embauches prévues pour l’ensemble des gestionnaires de cas et des agents de service aux vétérans était de 309, dont 167 gestionnaires à la fin du processus d’embauche.[156] La charge de travail des gestionnaires de cas est d’environ 30 dossiers par personne, et l’objectif est de ramener la moyenne à 25.

L’ombudsman des vétérans, M. Parent, a dénoncé le fait que les différences entre la formation des gestionnaires de cas dans les FAC et celle des gestionnaires de cas d’ACC créaient des difficultés d’arrimage quand il fallait assurer la continuité des services durant la période de transition :

Un gestionnaire de cas dans le contexte militaire est un professionnel de la santé. Or, dans le contexte d'Anciens Combattants Canada, un gestionnaire de cas est un professionnel des services sociaux. Pour un ancien combattant blessé, surtout s'il s'agit d'une blessure non visible, c'est très mêlant lorsqu'on lui demande de passer d'un gestionnaire de cas à un autre, parce que ces derniers ne font pas la même chose[157].

Il faudra attendre la fin de ce cycle d’embauche avant de pouvoir poser un jugement d’ensemble sur la capacité des gestionnaires de cas à offrir des services de qualité. Pour le moment, il faut espérer, comme le notait M. Blais du Groupe de défense des intérêts des vétérans canadiens : « La perspective d'un déploiement de plus de 300 employés supplémentaires de première ligne contribuera certainement à résoudre les nombreux problèmes reconnus de prestation de soins opportuns et de qualité[158]. »

5.5  Familles

Au niveau de la prestation des services pour les membres de la famille des vétérans, le problème le plus fréquemment évoqué par les témoins durant la présente étude concerne la difficulté d’obtenir des services en leur nom propre lorsque le vétéran souffre de problèmes de santé mentale. En effet, les politiques internes d’ACC contraignent les employés du Ministère à ne pouvoir offrir de services que par l’entremise du vétéran. Autrement dit, si le vétéran ne prend pas l’initiative de demander ces services pour les membres de sa famille, ils ne pourront pas en bénéficier.

M. Parent dénonce cette restriction depuis plusieurs années : « L'accès des membres de la famille ayant des problèmes de santé mentale aux cliniques pour blessures liées au stress opérationnel illustre bien la situation. Ils n'ont pas accès à ces cliniques à moins que la thérapie n'inclue le conjoint. Mais les membres de la famille ne peuvent, par eux-mêmes, y avoir accès[159]. »

Mme Davis de la Canadian Caregivers Brigade a exprimé le sentiment d’abandon qui accompagne les membres de la famille des vétérans :

Nous ne recevons aucun soin médical ou dentaire indépendant; en quittant mon emploi, j'ai laissé tout ça cela derrière moi. Les membres des familles ne reçoivent pas de numéro de dossier du ministère des Anciens Combattants. Nous devrions en recevoir un. Les enfants des vétérans morts, leurs conjoints, leurs veuves, devraient tous recevoir un tel numéro. S'il arrivait quelque chose... C'est un défi pour nos familles, si quelque chose... Fasse le ciel que ce ne soit pas mon mari, parce que nous n'avons pas cet accès[160].

Cet abandon est encore aggravé dans le cas des membres de la famille après un divorce, situation fréquente, puisque le vétéran qui souffre de problèmes de santé mentale n’est souvent plus là pour s’assurer qu’ils reçoivent les soins appropriés :

Les enfants de parents divorcés sont un de mes principaux soucis. Lorsqu’un militaire actif et son conjoint ou sa conjointe divorcent, le militaire doit approuver les visites de l’enfant chez le psychologue. Je pense qu’ils ont normalement droit à une vingtaine, mais certains enfants souffrent vraiment et ont besoin de rencontres supplémentaires. Il leur faut donc leur propre relation avec Anciens Combattants Canada, ou ACC. La souffrance ne va pas s’apaiser avec le divorce; la douleur que l’enfant ressent après coup persistera pour le reste de sa vie[161].

Le sergent Harris, du 31CBG Veteran Well-Being Network, a frappé l’imagination des membres du Comité avec une image terrible :

Imaginez un enfant de six ans dont le père est en Afghanistan, ou ailleurs, très loin, et pensez à son imagination. Les images dans la tête de cet enfant, c'est son père qui se fait tuer. Ces images, même si elles ne sont que dans sa tête, deviennent réelles chaque jour et chaque soir. Chaque matin, quand il se réveille, il se demande si quelqu'un viendra frapper à sa porte pour lui dire que son papa ou sa maman est décédé. C'est extrêmement difficile pour eux[162].

La capacité restreinte d’ACC d’intervenir auprès des familles touche également la diffusion d’informations qui pourraient s’avérer capitales lorsqu’il faut apporter son soutien à une personne souffrant de problèmes de santé mentale. Mme Murray a exprimé son désarroi sur cette question :

J’aurais aimé savoir à l’époque ce que je sais maintenant au sujet du TSPT. La vie aurait été beaucoup plus simple. J’aurais aimé savoir des petites choses, comme le fait qu’une personne atteinte du TSPT a de la difficulté à remplir des formulaires. Si l'on me l’avait dit au début, imaginez combien de situations violentes j’aurais pu éviter. Aider mon conjoint à remplir un formulaire était une grande source de frustration pour moi. Il suffisait de comprendre qu’il ne pouvait pas remplir un formulaire. Il est sidérant de constater qu’AAC ne l’a pas encore compris[163].

Cette transmission proactive d’informations peut également s’avérer cruciale afin de rassurer les membres de la famille lorsque des militaires sont déployés sur des théâtres d’opérations, et qu’ils craignent d’être pris au dépourvu lorsque le militaire les retrouvera à son retour. M. Zimmerman a souligné l’importance préventive de ce partage d’informations :

Je crois qu'une condition nécessaire et essentielle du service, c'est que les gens ne doivent avoir aucun doute sur ce qui leur arrivera s'ils sont envoyés dans un théâtre d'opérations et que leur vie est mise en danger; ils ne doivent en avoir aucun quant à ce qu'il adviendra de leur famille. Cette transmission d'information, qui, selon moi, doit se faire d'entrée de jeu — et plus encore dans un environnement aussi instable que l'environnement actuel —, serait cruciale, et ce, pas seulement après la libération, mais aussi durant le service, pour que les militaires comprennent bien que leur pays prend leur responsabilité illimitée au sérieux, suffisamment, en tout cas, pour les informer des prestations auxquelles ils seraient admissibles s'ils sont blessés ou tués[164].

M. Westholm a également rappelé que toute cette information doit être transmise à la famille des vétérans au moment où leur vie est en réorganisation complète :

Pour une famille de militaires en transition, plus souvent qu'autrement, la blessure causant la libération est un événement qui les a pris par surprise, et leur vie vient juste de prendre une tournure inattendue. C'est énorme pour les familles qui doivent composer avec ces situations, et je suis d'avis qu'il s'agit du pire moment où leur imposer l'énormité des services de soutien des Forces canadiennes et d'Anciens Combattants[165].

Selon M. Parent, le programme de soutien aux membres de la famille qui doivent s’occuper d’un vétéran devrait être beaucoup plus musclé qu’il ne l’est présentement :

La prestation pour aidants familiaux a été mise en œuvre. Elle répond certainement à un besoin pour les familles, mais ce n'est pas ce que nous avions à l'esprit lorsque nous avons recommandé une prestation pour aidants familiaux dans le cadre de la Nouvelle Charte des anciens combattants. Nous proposions de verser un plein salaire aux conjoints qui sacrifient leur vie, leur carrière ou leur revenu pour prendre soin d'un militaire blessé.
[…] Ce qu'il faut, c'est un programme […] où les gens signent un contrat avec le ministère dans le cadre duquel ils déclarent qu'ils prendront soin de leur époux blessé. Ils sont ensuite formés, certifiés et payés pour offrir ces soins. Cette aide, cette prestation pour les familles, est quelque chose qui fait défaut au Canada. De nombreux vétérans ne veulent personne d'autre qu'un membre de la famille pour prendre soin d'eux, alors il n'y a aucune raison pour laquelle ces aidants ne devraient pas être rémunérés[166].

Joseph Burke, représentant national de l’Association canadienne des vétérans et membres actifs autochtones, a clairement formulé une recommandation que les membres du Comité souhaitent reprendre à leur compte :

À notre avis, les membres de la famille des vétérans qui souffrent de problèmes de santé mentale devraient recevoir du soutien psychologique et financier de la part d'Anciens Combattants Canada. Tous les membres de ces familles devraient avoir une carte d'identité avec photo et un compte Mon Dossier ACC.[167]

Le Comité souhaite donc recommander :

Recommandation 16

Qu’Anciens Combattants Canada, lorsque le vétéran participe ou est admissible au programme de réadaptation, offre l’accès à un nombre raisonnable de séances gratuites de soins psychologiques aux époux-ses, conjoint-e-s de fait, enfants à charge, ou à la « principale personne à s’occuper du client » (au sens de l’article 2 (1) de la Nouvelle charte des anciens combattants, ou de l’article 16 (3) du Règlement sur les soins de santé pour les anciens combattants), et que ces personnes puissent en faire la demande sans avoir au préalable obtenu l’autorisation du vétéran.

Recommandation 17

Qu’Anciens Combattants Canada fournisse de la formation et un soutien financier aux époux-ses, conjoint-e-s de fait, enfants à charge, ou à la « principale personne à s’occuper du client » (au sens de l’article 2 (1) de la Nouvelle charte des anciens combattants, ou de l’article 16 (3) du Règlement sur les soins de santé pour les anciens combattants) qui fournissent des soins au vétéran.

5.6  Santé mentale

La plupart des problèmes soulevés jusqu’à présent dans ce rapport se trouvent aggravés d’une manière ou d’une autre lorsque le vétéran souffre d’un problème de santé mentale. Or, la proportion de clients d’ACC souffrant de problèmes de santé mentale est passée de 2 % en 2002 à 12 % en 2014[168]. Selon M. Saez du Bureau de services juridiques des pensions d’ACC, cette croissance ne signifie pas que les problèmes soient plus nombreux : « Je crois plutôt que c'est parce que les données scientifiques à l'appui ont permis de les mettre à l'avant-plan et de les faire reconnaître de plus en plus comme des affections[169]. »

La croissance des besoins en soins de santé mentale à la suite de la participation d’environ 40 000 militaires canadiens aux opérations en Afghanistan est la cause principale de cette difficulté à répondre à la demande. Cela a causé un problème très concret dans les cliniques, qu’a présenté la Dre Cyd Courchesne, directrice générale des professionnels de la santé et agente médicale à ACC :

Je dirais que le plus grand obstacle est maintenant l'espace physique dans nos cliniques. Elles veulent prendre de l'expansion parce que des cliniciens veulent y travailler. Si nous avions plus d'espace, nous pourrions servir plus de patients. À l'heure actuelle, le problème de la capacité est physique. En ayant tout simplement plus d'espace, nous pourrions améliorer les périodes d'accessibilité et les temps d'attente pour consulter l'ensemble de nos cliniciens[170].

Cela indique que les vétérans sont plus nombreux à demander de l’aide, mais cette ouverture se heurte encore à la persistance de certains traits de la culture militaire, comme l’a rappelé M. Parent : « Certains militaires, même certains membres de la famille, sont trop fiers. Ils sont tout simplement trop fiers pour se manifester et dire qu'ils ont un problème. Heureusement, au sein des forces, il y a un peu moins de préjugés. Les gens sont plus ouverts, mais je ne pense pas que cette tendance se soit étendue aux vétérans d'un jeune âge[171]. »

M. White a exprimé la même idée :

Les choses ont beaucoup progressé, mais il reste encore du chemin à faire. Il faut maintenant que nous nous attaquions à la stigmatisation associée aux troubles mentaux. Il y a encore des jeunes soldats qui refusent d'en parler parce qu'ils craignent de laisser tomber leurs camarades. Ils craignent de perdre leur emploi. Si vous allez à l'UISP, c'est terminé pour vous: voilà quelle est la mentalité. Dès qu'on entre dans le système, c'est fini pour vous. Vous avez perdu votre emploi, votre carrière, votre vie[172].

Cette crainte semble perdurer, même si certains jugent qu’elle n’est plus fondée, comme l’a fait le brigadier-général Eldaoud du Commandement du personnel militaire :

La croyance selon laquelle, parce que vous avez un problème de santé mentale, une blessure ou un autre problème, vous ne pouvez plus servir, est un mythe. Si c'est au point où le problème est très grave, oui, nous pourrions aller jusqu'à vous dire que vous ne pouvez plus servir. Il ne s'agit que de quelques cas. Beaucoup de gens ont des problèmes de santé mentale, portent l'uniforme et font un excellent travail[173].

Malgré ce qu’a affirmé le brigadier-général Eldaoud, certains vétérans, comme M. Callaghan, ont vécu dans la crainte de demander de l’aide : « Dès que vous vous ouvrez, que vous dites que vous avez reçu un diagnostic grave, vos jours sont comptés. […] Les gens finissent par savoir qu’on a des problèmes. Donc, soit on souffre en silence en espérant que le soutien de nos pairs nous aidera à passer la journée, soit on risque de perdre la vie que l’on connaît, notre gagne-pain[174]. »

Des propos similaires ont été entendus au Comité à de nombreuses reprises. Malgré tous ces efforts, les critiques adressées aux FAC dans le cadre du processus de transition concernent surtout cette perception négative des troubles de santé mentale. Par exemple, M. Kuluski a décrit l’expérience difficile qui a suivi ses demandes de soutien :

J'ai passé neuf ans dans l'infanterie, à Shilo, au Manitoba, et effectué une période de service en Afghanistan, en 2008. Depuis mon retour, j'éprouve certaines difficultés. On nous avait dit que, si nous avions besoin d'aide, nous devrions en demander. Depuis que j'ai commencé à demander de l'aide, on m'a littéralement mis à la porte le plus rapidement possible. Vous êtes un drapeau noir, un mouton noir, dès que vous demandez tout type d'aide dans l'armée. Ma vie est sens dessus dessous depuis que j'ai été libéré de mes fonctions[175].

M. Veltri a décrit un cheminement tout à fait semblable :

À mon retour [d’Afghanistan], en 2009, je me suis adressé aux services de santé mentale et j'ai demandé de l'aide. […] Ma carrière est partie en fumée, tout ce pourquoi j'ai travaillé. Encore une fois, je n'avais jamais eu d'ennuis. J'ai commencé à résister. Je me suis tellement défendu que j'ai perdu les pédales. En août 2012, j'ai tenté de m'enlever la vie. Je me suis réveillé deux jours plus tard sur le plancher de ma salle de bain. […]
Tous les jours, je me lève, et c'est la même chose. Il s'agit d'un combat constant avec vous. […]
Vous siégez à ces comités, et vous bavardez entre vous, et vous pensez que la vie est formidable. Mais, pour des gars comme nous, c'est dur en […]. Chaque jour est un combat. Je me réveille, et je me demande quoi faire de ma vie. Je me réveille pour prendre part à des batailles.[176]

Face à de tels propos déchirants, il peut paraître insignifiant qu’on ne puisse faire guère mieux que d’insister sur le fait que, malgré qu’elle ne parvienne pas à répondre à la demande, la panoplie des services offerts par ACC dans le domaine de la santé mentale a grandement progressé au cours des 15 dernières années. Onze cliniques de troubles de stress opérationnel ont été ouvertes, la première en 2002, et la plus récente l’année dernière à Halifax[177]. M. Doiron a reconnu que des délais persistaient toujours dans l’accès aux services de ces cliniques, mais a bien présenté les efforts constants que fournit le Ministère afin de combler les besoins le mieux possible :

S'ils ont reçu un diagnostic, qu'ils s'adressent à nous et qu'ils ont servi dans l'armée, surtout dans des zones de service spécial, ils appartiennent alors au club. Pour vraiment diminuer... Qu'il s'agisse de 32 ou de 16 semaines, ce n'est pas important pour moi à ce stade-ci. Ce qui importe, c'est d'en réduire le nombre. Ils ont des recours pendant cette période d'attente. N'oublions pas que nous avons un numéro 1-800. Nous donnons aux vétérans 20 séances avec un psychiatre ou un psychologue, la première dans les 24 à 72 heures. Nous payons ces séances. Aucun processus d'évaluation n'est engagé.
Tant qu'il s'agit de vétérans ou de membres de leurs familles, nous assumons les frais. Il n'y a aucune période d'attente. Il s'agit de composer le numéro. Quelqu'un a fait allusion plus tôt à la ligne d'urgence. Si vous avez besoin d'aide, nous allons vous en donner. Nous vous prodiguerons des soins de santé mentale. Je conviens que ce n'est pas la clinique de traitement des TSO, mais ils peuvent au moins recevoir un soutien immédiat, en attendant que beaucoup de ces questions soient réglées. Nous payons. Il n'y a aucun frais. Le service est offert par Santé Canada. Ma direction générale reçoit directement la facture et s'en occupe[178].

Toutes ces initiatives ont sans aucun doute amélioré la qualité de vie d’un grand nombre de vétérans, et celle des membres de leur famille. Pour ceux qui restent, et qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas pu se rétablir et continuent de souffrir, toutes ces statistiques encourageantes n’auront aucune signification. Les membres du Comité en sont bien conscients, et s’assureront que, malgré les progrès réalisés, ACC continuera de s’en préoccuper.

5.7. Harcèlement sexuel

Plus haut dans ce rapport, il a été fait mention des progrès réalisés par ACC dans son traitement des demandes impliquant du harcèlement ou de l’abus sexuel. M. Saez a affirmé que le Ministère reconnaît aujourd’hui que « si cela survient dans l'exercice de vos fonctions, l'employeur est responsable[179] ». La même position a été défendue par M. Walbourne[180].

Toutefois, d’après le témoignage de M. Jarmyn, il est difficile de savoir si ces progrès se sont traduits par des décisions concrètes durant le processus d’appel. M. Jarmyn a mentionné que le personnel du Tribunal avait récemment reçu de la formation sur ce sujet, et qu’un nombre inconnu de causes demeurait en suspens. Il a également dit que pour prouver le lien avec le service militaire, un argument légal spécifique devait être amené :

Ce que nous cherchons à savoir, c’est si l’agression sexuelle est survenue pendant le service militaire et, conformément à la décision de la Cour fédérale d’appel dans l’affaire Cummings, si les FAC exerçaient un contrôle important sur les activités de l’ancien combattant au moment de l’agression. […] Ce n’est pas toujours le cas. Je ne peux en dire davantage à ce sujet[181].

Étant donné le manque d’information sur la manière dont ces cas sont traités par le TACRA, il est difficile pour les membres du Comité d’évaluer l’envergure réelle des progrès réalisés par ACC, le TACRA et les FAC vers le changement de culture évoqué par M. Saez. Puisque les décisions du TACRA doivent contenir de l’information à propos des événements ayant eu lieu, le traitement de ces événements par les FAC, et les arguments utilisés par ACC pour justifier son rejet de la demande initiale, ces décisions pourraient s’avérer une source fiable afin de comprendre comment le harcèlement et l’abus sexuels sont traités par ces trois organisations. Le Comité recommande donc :

Recommandation 18

Que le Tribunal des anciens combattants (Révision et appel) dépose au Comité ses plus récentes décisions dans les causes impliquant du harcèlement ou de l’abus sexuels, en s’assurant de ne pas révéler l’identité des personnes impliquées.

6.  CONCLUSION

Ce rapport et ses recommandations survolent un grand nombre de sujets dont chacun aurait pu mériter une étude séparée de la part du Comité. L'objectif était de brosser un tableau général de la manière dont les nombreux programmes et services d'ACC se rendent jusqu'aux vétérans, et d'identifier les obstacles qui peuvent parfois les empêcher d'en profiter pleinement. Or, nous avons constaté que ces programmes et services ne se « rendent » pas aux vétérans dans la plupart des cas, et que ce sont plutôt les vétérans eux-mêmes qui doivent fournir le gros des efforts pour aller les chercher.

Lorsqu'on examine les services publics de manière générale, on s'aperçoit que le principe qui les gouverne s'applique mal à la situation particulière des vétérans. Habituellement, lorsque les gouvernements offrent un service, ils le font connaître du public le mieux possible, et laissent aux personnes admissibles l'initiative d'entreprendre les démarches nécessaires pour en bénéficier. Cela implique l'obligation de remplir des formulaires qui permettent de garantir aux contribuables que les fonds publics ont été correctement dépensés.

Ce modèle est clairement insuffisant dans le cas des personnes à qui ACC offre ses programmes et services, c'est-à-dire les vétérans qui souffrent d'une invalidité liée à leur service  militaire, ou qui, pour quelque raison que ce soit, éprouvent des difficultés à intégrer la vie civile. Dans leur cas, à la lumière des témoignages entendus, il est apparu clairement que c'est au gouvernement que devrait incomber le fardeau de se « rendre » jusqu'aux vétérans, et non l'inverse. Les raisons qui justifient un effort supplémentaire de la part du gouvernement envers les vétérans sont nombreuses. Les principales que nous avons entendues sont les suivantes :

  • L'obligation morale du gouvernement fédéral de faire tout en son pouvoir pour atténuer les conséquences négatives du service militaire chez les personnes qui en souffrent doit être proportionnelle au sacrifice auquel ont consenti ces personnes, au nom et au service du Canada.
  • Le devoir d'accommodement des employés souffrant d'une invalidité ne s'applique pas aux membres des FAC parce qu'il entre en conflit avec le principe de l'universalité du service militaire. De la même manière qu'il revient à l'employeur de fournir des efforts raisonnables afin de maintenir une personne dans une situation d'emploi équivalente à celle ayant précédé l'invalidité, il revient au gouvernement du Canada de fournir les efforts nécessaires pour que les vétérans retrouvent des conditions favorables lorsqu'ils ont été libérés pour des raisons médicales, ou quand ils éprouvent des difficultés à effectuer la transition vers la vie civile.
  • Contrairement aux populations généralement visées par les programmes et services publics, les vétérans seraient une population facile à identifier si, par exemple, une simple carte d'identité leur était remise au début de leur service militaire. L'approche proactive par laquelle le gouvernement pourrait joindre les vétérans serait donc simple et peu onéreuse en raison de cette facilité à les identifier.
  • La complexité des programmes et services, de même que de leurs conditions d'admissibilité, s'est construite petit à petit au fil des décennies, non pas d'abord dans l'optique de favoriser le mieux-être des vétérans, mais davantage pour servir les objectifs de l'administration publique. En attendant que les actions nécessaires soient mises en œuvre pour réduire cette complexité, et qu'elles portent fruit, le fardeau qui en découle ne devrait pas tomber sur les épaules des vétérans. ACC devrait donc prendre l'initiative de faire connaître aux vétérans les services et programmes auxquels ils sont admissibles, et devrait les aider à en naviguer toutes les subtilités.

C'est donc l'approche tout entière du mode de prestation des services qui doit être repensée en fonction de ce renversement du fardeau des démarches. Tant mieux si tel ou tel autre délai peut être raccourci, mais, selon ce que nous avons entendu, il faudra un changement beaucoup plus fondamental pour que le lien de confiance entre les vétérans et le gouvernement fédéral puisse se rétablir de manière durable.

Puisque le but de ce rapport est d'offrir des recommandations au gouvernement, nous nous sommes concentrés davantage sur les problèmes à résoudre, et nous sommes appuyés sur les témoignages entendus pour proposer des solutions qui, à notre avis, pourront améliorer la situation. Ce type d'exercice nous force à insister sur les problèmes, ce qui contribue malheureusement à donner une impression négative de tout ce que fait ACC, ainsi que de la position de nombreux vétérans dont nous relayons les insatisfactions.

Les membres du Comité sont d'avis que les insatisfactions et les frustrations des vétérans sont justifiées pour la plus grande part. Nous partageons cette volonté commune de mettre en place toutes les conditions qui permettront aux vétérans de faire bénéficier les citoyens de l'étendue de leur contribution à l'avancement du pays. Les Canadiens soutiendront tout ce que fera leur gouvernement afin d'aider ceux et celles qui ont accepté avec courage de prendre le risque ultime de leur vie, de leur santé physique et mentale, ainsi que du bien-être des membres de leur famille, afin de se dévouer à cette tâche noble et nécessaire de défendre leur liberté et leur sécurité. Ce sacrifice n'a pas de prix, non plus que notre reconnaissance envers eux ne devrait avoir de limites. Nous espérons que l'engagement qui soutient les recommandations de ce rapport aura été à la hauteur de ce que nous considérons être notre dette envers les vétérans.


[1]              Anciens Combattants Canada, « Organisation »

[2]              Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes (ACVA), Guy Parent (ombudsman des vétérans, Bureau de l'ombudsman des vétérans), Témoignages, 8 mars 2016, 1115.

[3]              ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk (sous-ministre, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, 10 mars 2016, 1110.

[4]              ACVA, Bill Black (président, Unité 7, Association canadienne des vétérans de la Corée), Témoignages,19 mai 2016, 1130.

[5]              Anciens Combattants Canada, Rapport ministériel sur le rendement 2010-2011, p. 18.

[6]              Anciens Combattants Canada, Plan stratégique quinquennal 2009-2014.

[8]              ACVA, Charlotte Stewart (directrice générale, Gestion des programmes et de la prestation des services, ministère des Anciens Combattants), Témoignages, 29 mai 2012, 1535.

[9]              Anciens Combattants Canada, Rapports financiers trimestriels du Ministère, juillet à septembre 2012.

[10]           ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1110.

[11]           ACVA, Carla Murray (à titre personnel), Témoignages, 10 mai 2016, 1145.

[12]           ACVA, Carla Murray, Témoignages, 10 mai 2016, 1220.

[14]           ACVA, Jim Scott, Témoignages, 21 avril 2016, 1215.

[15]           ACVA, Denis Beaudin (fondateur, Veterans UN-NATO Canada), Témoignages, 5 mai 2016, 1215.

[16]           ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1135.

[19]           ACVA, Bill Black, Témoignages, 19 mai 2016, 1120.

[20]           ACVA, Col Russell Mann (Colonel [à la retraite], conseiller spécial, Institut Vanier de la famille), Témoignages, 22 septembre 2016, 1650.

[21]           ACVA, Sgt Matthew Harris (31CBG Veteran Well-Being Network, à titre personnel), Témoignages, 12 mai 2016, 1125.

[23]           ACVA, Robert Thibeau, Témoignages, 19 mai 2016, 1150.

[26]           ACVA, Walter Callaghan (à titre personnel), Témoignages, 13 juin 2016, 1925.

[27]           ACVA, Gary Walbourne (ombudsman, Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes), Témoignages, 7 juin 2016, 1245.

[28]           ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1125.

[29]           ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 14 avril 2016, 1235.

[30]           ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1135.

[31]           ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1105.

[32]           ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1105.

[33]           ACVA, Cody Kuluski (à titre personnel), Témoignages, 3 mai 2016, 1130.

[34]           ACVA, Jesse Veltri (à titre personnel), Témoignages, 3 mai 2016, 1130.

[35]           ACVA, Jody Mitic (à titre personnel), Témoignages, 3 mai 2016, 1115.

[36]           ACVA, Alannah Gilmore (à titre personnel), Témoignages, 3 mai 2016, 1120.

[38]           ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1105.

[39]           ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1120.

[40]           ACVA, Jerry Kovacs (à titre personnel), Témoignages, 14 juin 2016, 1720.

[41]           ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 10 mars 2016, 1150.

[42]           ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1140.

[43]           ACVA, Michael Ferguson, Témoignages, 14 avril 2016, 1150.

[44]           ACVA, Jim Scott, Témoignages, 21 avril 2016, 1120.

[45]           ACVA, Denis Beaudin, Témoignages, 5 mai 2016, 1215.

[46]           ACVA, Dana Batho (administratrice, Send Up the Count, groupe Facebook, à titre personnel), Témoignages, 12 mai 2016, 1225.

[47]           ACVA, Carla Murray, Témoignages, 10 mai 2016, 1225.

[49]           ACVA, Sgt Matthew Harris, Témoignages, 12 mai 2016, 1210.

[50]           ACVA, Dana Batho, Témoignages, 12 mai 2016, 1210; et Kimberly Davis (directrice, Canadian Caregivers Brigade), Témoignages, 12 mai 2016, 1210.

[51]           ACVA, Kimberly Davis, Témoignages, 12 mai 2016, 1105–1110.

[52]           ACVA, Nora Spinks (directrice générale, Institut Vanier de la famille), Témoignages, 22 septembre 2016, 1535.

[53]           ACVA, Richard Blackwolf, Témoignages, 2 juin 2016, 1105.

[54]           ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1100.

[55]           ACVA, Donald Leonardo (directeur général, Vétérans Canada), Témoignages, 19 mai 2016, 1105.

[56]           ACVA, Michael Ferguson, Témoignages, 14 avril 2016, 1125.

[57]           ACVA, Michael Ferguson, Témoignages, 14 avril 2016, 1105.

[58]           ACVA, Joe Martire (directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada), Témoignages, 14 avril 2016, 1135.

[60]           ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1135.

[61]           ACVA, Dana Batho, Témoignages, 12 mai 2016, 1100.

[62]           ACVA, Alannah Gilmore, Témoignages, 3 mai 2016, 1150.

[64]           ACVA, Elizabeth Douglas, Témoignages, 9 juin 2016, 1210.

[65]           ACVA, Dana Batho, Témoignages, 12 mai 2016, 1100.

[66]           ACVA, Alannah Gilmore, Témoignages, 3 mai 2016, 1125.

[67]           ACVA, Walter Callaghan, Témoignages, 13 juin 2016, 1735.

[68]           ACVA, Walter Callaghan, Témoignages, 13 juin 2016, 1825.

[69]           ACVA, Sgt Matthew Harris, Témoignages, 12 mai 2016, 1125.

[70]           ACVA, Brad White, Témoignages, 21 avril 2016, 1115; et Jerry Kovacs, Témoignages, 14 juin 2016, 1720.

[71]           ACVA, Bernard Butler, Témoignages, 12 avril 2016, 1220.

[74]           ACVA, Col Russell Mann, Témoignages, 22 septembre 2016, 1620.

[75]           ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1125.

[76]           ACVA, Thomas Jarmyn, Témoignages, 31 mai 2016, 1105–10.

[77]           ACVA, Thomas Jarmyn, Témoignages, 31 mai 2016, 1130.

[78]           Anciens Combattants Canada, Étude d’évaluation des pensions d’invalidité, vol. 2, « Évolution des tendances et clients secondaires », mars 1993, p. 43.

[79]           ACVA, Michael Ferguson, Témoignages, 14 avril 2016, 1115.

[80]           ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1125.

[81]           ACVA, Kevin Estabrooks (conseiller, pair aidant bénévole, ancien combattant, à titre personnel), Témoignages, 4 octobre 2016, 1720.

[82]           Défense nationale et Forces armées canadiennes, À notre sujet.

[83]           ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1150.

[86]           ACVA, Col Hugh MacKay, Témoignages, 10 mars 2015, 0920.

[88]           ACVA, Col Hugh MacKay, Témoignages, 10 mars 2015, 0920.

[89]           ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1115.

[91]           ACVA, Captv Marie-France Langlois, Témoignages, 9 juin 2016, 1155.

[92]           ACVA, Barry Westholm (à titre personnel), Témoignages, 3 mai 2016, 1110.

[93]           ACVA, Barry Westholm, Témoignages, 3 mai 2016, 1145.

[94]           ACVA, Lgén (à la retraite) Louis Cuppens, Témoignages, 5 mai 2016, 1110.

[95]           ACVA, Cody Kuluski, Témoignages, 3 mai 2016, 1140.

[96]           Sous-comité sénatorial des anciens combattants, Témoignages, 2e session, 41e législature, 29 octobre 2014 (col Gerry Blais).

[97]           ACVA, Captv Marie-France Langlois, Témoignages, 9 juin 2016, 1155.

[98]           ACVA, Continuum des services de transition, juin 2015, « Après la libération ».

[99]           Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Déterminer si un état est attribuable au service, mai 2016, « Les FAC peuvent déterminer s’il y a une relation avec le service ».

[100]         Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Déterminer si un état est attribuable au service, mai 2016, « La NCAC et le modèle actuel de prestation des services ».

[102]         Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Déterminer si un état est attribuable au service, mai 2016, « Un changement de mentalité est nécessaire ».

[103]         ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1130.

[104]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1110.

[105]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1120.

[106]         ACVA, La Nouvelle charte des anciens combattants : Allons de l’avant, juin 2014, Recommandation 1.

[107]         Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Simplification du modèle de prestation de services pour les membres des Forces armées canadiennes en voie d'être libérés pour raison médicales, Septembre 2016; et ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 6 octobre 2016, 1530.

[108]         ACVA, Lgén Louis Cuppens, Témoignages, 5 mai 2016, 1155.

[109]         ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 12 avril 2016, 1235.

[110]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1105.

[111]         ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 12 avril 2016, 1230.

[112]         ACVA, Elizabeth Douglas, Témoignages, 9 juin 2016, 1145.

[114]         ACVA, Bgén Nicolas Eldaoud, Témoignages, 9 juin 2016, 1230.

[116]         ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1100.

[117]         ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1115.

[118]         ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1115; voir aussi Témoignages, 6 octobre 2016, 1545.

[119]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1140.

[120]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1150.

[121]         ACVA, George Zimmerman (à titre personnel), Témoignages, 14 juin 2016, 1745.

[122]         ACVA, Elizabeth Douglas, Témoignages, 9 juin 2016, 1115.

[124]         ACVA, Donald Leonardo, Témoignages, 19 mai 2016, 1105.

[125]         ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 12 avril 2016, 1255.

[127]         ACVA, Oliver Thorne (directeur, Opérations national, Veterans Transition Network), Témoignages, 29 septembre 2016, 1545.

[128]         ACVA, Doug Allen (coordonnateur des programmes, Atlantique, Veterans Transition Network), Témoignages, 29 septembre 2016, 1550. Le programme « Shaping Purpose », présenté au Comité par Andrew Garsch, peut s’apparenter au programme du Veterans Transition Network, mais il n’a pas été développé pour s’adapter de manière spécifique aux vétérans. Les analyses préliminaires réalisées auprès de militaires en service semblent toutefois démontrer son utilité. Aussi, ACVA, Andrew Garsch (vice-président, Prestation de programmes, Shaping Purpose), Témoignages, 4 octobre 2016, 1600.

[129]         ACVA, Brad White, Témoignages, 21 avril 2016, 1105.

[131]         ACVA, Debbie Lowther (co-fondatrice, Veterans Emergency Transition Services), Témoignages, 22 septembre 2016, 1540.

[132]         ACVA, Dean Black (directeur exécutif, Association ARC [aviation royale canadienne]), Témoignages, 5 mai 2016, 1135.

[133]         ACVA, Brad White, Témoignages, 21 avril 2016, 1205.

[134]         ACVA, Debbie Lowther, Témoignages, 22 septembre 2016, 1635.

[135]         ACVA, Dean Black, Témoignages, 5 mai 2016, 1230.

[136]         ACVA, Sgt Matthew Harris, Témoignages, 12 mai 2016, 1200.

[138]         ACVA, Denis Beaudin, Témoignages, 5 mai 2016, 1210.

[139]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1145.

[140]         ACVA, Debbie Lowther, Témoignages, 22 septembre 2016, 1540.

[142]         ACVA, Dana Batho, Témoignages, 12 mai 2016, 1215.

[143]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1145.

[144]         ACVA, Richard Blackwolf, Témoignages, 2 juin 2016, 1145.

[145]         ACVA, Barry Westholm, Témoignages, 3 mai 2016, 1215.

[146]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 12 avril 2016, 1130.

[147]         ACVA, Brian McKenna, Témoignages, 21 avril 2016, 1150.

[148]         ACVA, Brian McKenna, Témoignages, 21 avril 2016, 1215.

[149]         ACVA, Lgén (à la retraite) Louis Cuppens, Témoignages, 5 mai 2016, 1150.

[150]         ACVA, Robert Thibeau, Témoignages, 19 mai 2016, 1115; et ACVA, George Zimmerman, Témoignages, 14 juin 2016, 1750.

[151]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1125.

[152]         ACVA, Alannah Gilmore, Témoignages, 3 mai 2016, 1120; et ACVA, Jim Scott, Témoignages, 21 avril 2016, 1125.

[153]         ACVA, Deanna Fimrite, Témoignages, 5 mai 2016, 1205.

[154]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 12 avril 2016, 1130.

[155]         ACVA, Gén (à la retraite) Walter Natynczyk, Témoignages, 10 mars 2016, 1130.

[156]         ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 10 mars 2016, 1135.

[157]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1115.

[158]         ACVA, Michael Blais, Témoignages, 12 mai 2016, 1130.

[159]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1130.

[160]         ACVA, Kimberly Davis, Témoignages, 12 mai 2016, 1140.

[161]         ACVA, Carla Murray, Témoignages, 10 mai 2016, 1210.

[162]         ACVA, Sgt Matthew Harris, Témoignages, 12 mai 2016, 1245.

[163]         ACVA, Carla Murray, Témoignages, 10 mai 2016, 1205.

[164]         ACVA, George Zimmerman, Témoignages, 14 juin 2016, 1815.

[165]         ACVA, Barry Westholm, Témoignages, 3 mai 2016, 1110.

[166]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1140; ACVA, Deanna Fimrite, Témoignages, 5 mai 2016, 1125; et ACVA, Jim Scott, Témoignages, 21 avril 2016, 1125.

[167]         ACVA, Joseph Burke, Témoignages, 2 juin 2016, 1110.

[168]         ACVA, Michael Ferguson, Témoignages, 14 avril 2016, 1105.

[169]         ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1205.

[171]         ACVA, Guy Parent, Témoignages, 8 mars 2016, 1140.

[172]         ACVA, Brad White, Témoignages, 21 avril 2016, 1220.

[173]         ACVA, Bgén Nicolas Eldaoud, Témoignages, 9 juin 2016, 1205.

[174]         ACVA, Walter Callaghan, Témoignages, 13 juin 2016, 1815.

[175]         ACVA, Cody Kuluski, Témoignages, 3 mai 2016, 1105.

[176]         ACVA, Jesse Veltri, Témoignages, 3 mai 2016, 1105.

[178]         ACVA, Michel Doiron, Témoignages, 14 avril 2016, 1230.

[179]         ACVA, Anthony Saez, Témoignages, 16 juin 2016, 1135.

[180]         ACVA, Gary Walbourne, Témoignages, 7 juin 2016, 1220; ACVA, Debbie Lowther et Nora Spinks, Témoignages, 22 septembre 2016, 15h40–45.

[181]         ACVA, Thomas Jarmyn, Témoignages, 31 mai 2016, 1125.