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TRAN Rapport du Comité

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ÉVALUATION DE L’INCIDENCE DU BRUIT DES AVIONS PRÈS DES GRANDS AÉROPORTS CANADIENS

Introduction

L’aviation constitue un aspect essentiel de l’économie canadienne, les aéroports du Canada créant environ 194 000 emplois et contribuant pour 19 milliards de dollars au produit intérieur brut (PIB) du pays en 2016[1]. Le trafic aérien au Canada a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, et les observateurs prévoient que le nombre de passagers et de fret dans les aéroports du pays continuera d’augmenter. Selon Statistique Canada, il est passé de 123,9 millions de passagers embarqués et débarqués en 2013 à 149,6 millions en 2017, soit une hausse de 20 % en quatre ans[2]. L’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (AAGT), qui est responsable de la gestion de l’aéroport Pearson de Toronto, estime que le nombre de passagers y augmentera au cours des deux prochaines décennies à raison de 3,1 % par année, passant du niveau record de 47 millions de passagers en 2017 à 85 millions en 2037[3].

Les aéroports du Canada fournissent l’infrastructure essentielle à l’exploitation de l’industrie aéronautique. Ils servent aussi d’importants centres économiques pour leurs villes respectives : ils fournissent des emplois, des recettes provenant du tourisme et une possibilité pour les entreprises locales de s’intégrer au commerce international. L’aéroport Pearson de Toronto, par exemple, emploie directement près de 50 000 personnes, et la région qui l’entoure représente, en termes d’importance, la deuxième zone d’emploi au pays[4].

Alors que les aéroports sont en grande partie perçus comme des atouts économiques pour les villes hôtes, des citoyens préoccupés et certains observateurs demandent au gouvernement fédéral de porter une attention accrue aux facteurs environnementaux externes des activités aéroportuaires, y compris le bruit causé par les trajectoires des aéronefs près des grands aéroports. Ce bruit est une source d’irritation et de préoccupations de santé chez les populations qui vivent sous les trajectoires de vol, dont certaines résident dans des complexes d’habitations qui étaient en place avant la construction ou l’expansion de l’aéroport local.

Le 18 septembre 2018, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes (le Comité) a convenu d’étudier l’incidence de la pollution sonore provoquée par le trafic aérien aux alentours des principaux aéroports canadiens. Entre le 23 octobre 2018 et le 28 février 2019, le Comité a tenu 11 réunions sur ce sujet et a entendu 43 témoins, représantant des collectivités touchées par le bruit des aéronefs, le gouvernement, l’industrie et le milieu universitaire.

La définition du problème

En 2001, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), un organisme des Nations Unies ayant son siège à Montréal et dont le mandat est d’établir les normes applicables au trafic aérien international, a adopté l’Approche équilibrée de la gestion du bruit des aéronefs, qui consiste en une série de mesures destinées à aider les pays à mieux gérer le bruit des aéronefs tout en faisant la promotion du développement durable du transport aérien. Les quatre grands principes de cette « approche équilibrée » sont : 1) la réduction du bruit à la source, grâce à des avions plus silencieux; 2) la planification et la gestion de l’utilisation des terres; 3) des procédures opérationnelles d’atténuation du bruit; et 4) des restrictions à l’exploitation. Transports Canada a adopté ces principes en ce qui a trait au contrôle du bruit autour des aéroports canadiens[5].

En 2012, NAV CANADA, l’autorité de l’aviation civile du Canada, a apporté des changements à son espace aérien et à ses procédures de vol pour harmoniser les pratiques de vol canadiennes avec celles de l’OACI. Ces changements s’inscrivaient dans le cadre d’une série de réformes adoptées par les pays membres de l’OACI en 2010, lesquelles encourageaient les autorités nationales de l’aviation à créer des trajectoires de vol plus directes et des procédures d’arrivée et de départ plus efficaces afin d’améliorer l’efficience et la sécurité de l’espace aérien ainsi que de réduire les émissions de gaz à effet de serre et, dans la mesure du possible, l’exposition au bruit des aéronefs dans les quartiers résidentiels[6].

Toutefois, plusieurs citoyens et observateurs ont fait remarquer que cette nouvelle série de pratiques recommandées, appelée « navigation fondée sur les performances », a eu comme effet d’exposer au trafic aérien des zones résidentielles qui, auparavant, n’étaient pas touchées. Ceci a entraîné des plaintes de la part de résidants de certains quartiers qui ne vivaient précédemment pas le long de trajectoires de vol et n’avaient pas l’habitude de ce bruit[7]. Les résidants vivant le long de trajectoires de vol dans les grandes villes, entre autres Toronto et Montréal, ont organisé des groupes communautaires qu’ils ont chargés de les représenter et de faire pression auprès des élus pour que les aéroports apportent des changements à leurs pratiques. Les résidants mentionnent une irritation et un stress accrus ainsi que la diminution de leur qualité de vie à cause de leur exposition quotidienne au bruit d’avions[8].

« D’aucuns pourraient affirmer que ces résidants auraient dû réfléchir à cela lorsqu’ils ont choisi de vivre dans une collectivité située sous un corridor aérien. Dans le cas d’Oakville-Nord, ce quartier n’était pas sous un corridor aérien jusqu’à il y a à peine six ans. Les changements apportés au parcours vent arrière, les incessants survols lents et à basse altitude, et le bruit et la nuisance qui en découlent ont été imposés à ces quartiers établis à la suite des modifications apportées en 2012 aux trajectoires de vol par NAV CANADA, lesquelles, je pourrais ajouter, ont été apportés sans aucune consultation, pratiquement sans préavis. »

M. Knoll, conseiller municipal et régional, Oakville

En réaction aux plaintes de la population relativement à la pollution sonore, les autorités aéroportuaires et les transporteurs aériens mentionnent que le secteur canadien de l’aviation a fait des progrès considérables pour ce qui est de réduire les niveaux globaux de bruit des aéronefs. En conséquence de normes acoustiques internationales plus strictes, ainsi que de percées technologiques, les appareils commerciaux sont devenus beaucoup plus silencieux ces dernières années. Scott Wilson, vice-président des opérations de vol chez WestJet Airlines Ltd., a témoigné que, pour la génération actuelle d’avions, l’empreinte sonore est de 90 % inférieure à celle des avions à réaction canadiens de première génération des années 1960. Dans le même ordre d’idées, selon Murray Strom, vice-président des opérations de vol d’Air Canada, le Boeing 787 Dreamliner est de 60 % plus silencieux que les autres modèles similaires des années antérieures.. Martin Massé, vice-président des Affaires publiques pour les Aéroports de Montréal, et Hillary Marshall, vice-présidente des Relations avec les intervenants et de la mobilisation communautaire de l’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, expliquent aussi que, si le nombre de passagers aériens a augmenté substantiellement, l’amélioration de la taille des aéronefs a rendu cela possible sans que le nombre global de déplacements aériens augmente de façon correspondante.

Malgré ces progrès technologiques, certains intervenants ont affirmé aux membres du Comité que la tolérance par le grand public du bruit causé par les transports semble avoir diminué au fil des ans[9]. Julia Jovanovic, candidate au doctorat à l’Université de Windsor collaborant avec l’AAGT à un projet de recherche qui vise à permettre de mesurer l’irritation engendrée par le bruit des aéronefs, a relevé l’importance des conclusions de ce projet pour la mise en œuvre de stratégies de réduction du bruit :

De plus en plus d’études récentes laissent entendre que l’irritation sonore causée par les transports est à la hausse. Un nombre grandissant de gens témoignent des degrés d’inconfort élevés en présence de niveaux d’exposition sonores plus faibles que jamais auparavant. De tous les moyens de transport, l’avion est celui dont le bruit est perçu comme étant le plus irritant. Compte tenu des prévisions d’augmentation continue de la capacité dans les principaux aéroports du monde entier et de l’augmentation avérée de l’irritation provoquée par le bruit des avions, il n’a jamais été aussi crucial d’étudier la question de façon approfondie et de trouver des solutions pour atténuer et gérer cette irritation.

D’autres pays, notamment l’Australie, les États-Unis et divers pays membres de l’Union européenne, étudient depuis des décennies la question du bruit des aéronefs et de ses répercussions sur leur population. Or, selon Nick Boud, un expert-conseil du domaine de l’aviation de la firme britannique Helios, le Canada a commencé à s’intéresser à ce sujet relativement tardivement. Les experts canadiens ayant témoigné devant le Comité, qu’il s’agisse d’acousticiens ou de professionnels de la santé publique, ont régulièrement rappelé qu’il y a un manque évident de recherches et de données canadiennes dans ce domaine dont la population et d’autres intervenants peuvent s’inspirer[10]. Le Canada en est peut-être arrivé tardivement à chercher comment gérer le bruit des aéronefs, mais l’étude du Comité démontre clairement qu’il possède énormément d’expérience internationale et d’expertise nationale sur lesquelles il pourrait s’appuyer pour mettre au point des pratiques exemplaires de réduction et de gestion du bruit produit par les aéronefs.

Responsabilité du transport aérien au Canada

La responsabilité du secteur canadien du transport aérien est partagée entre plusieurs entités différentes :

  • Transports Canada établit les normes de sûreté et de sécurité dans l’aviation selon les dispositions de la Loi sur l’aéronautique et du Règlement de l’aviation canadien (RAC). La partie V de ce dernier énonce des normes de navigabilité aérienne et de conformité acoustique des aéronefs canadiens, tandis que la partie VI établit que les aéronefs volant près d’un aéroport canadien doivent se conformer aux normes d’atténuation du bruit que les autorités aéroportuaires peuvent avoir établies. Le Ministère oblige également ces dernières à préparer des prévisions de l’exposition au bruit, qui permettent de prédire le niveau de bruit résultant de l’exploitation des aéronefs au moyen de logiciels et de mesures normalisés.
  • NAV CANADA est une société sans but lucratif administrée par des intérêts privés qui gère le système de contrôle de la circulation aérienne et de la navigation aérienne civile du Canada dans le cadre de la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile. La société publie Canada Air Pilot et le Supplément de vol - Canada, deux outils de référence en aviation qui renseignent les pilotes sur les opérations aéroportuaires, notamment sur les procédures relatives à l’atténuation du bruit en vigueur à divers aéroports.
  • Les autorités aéroportuaires locales sont des sociétés sans but lucratif qui administrent et supervisent 22 des 26 aéroports du Réseau national d’aéroports du Canada. Ces instances gèrent l’impact environnemental des infrastructures aéroportuaires sur les collectivités environnantes, en surveillant notamment les niveaux de bruit et en traitant les plaintes relatives à la pollution sonore découlant de leurs activités.
  • Dans la plupart des provinces et des territoires du Canada, les administrations locales sont responsables de la planification de l’aménagement du territoire. Les autorités de planification peuvent avoir recours aux prévisions de l’ambiance sonore, produites par les autorités aéroportuaires à l’aide des logiciels et des mesures de Transports Canada, pour déterminer les régions dans lesquelles des secteurs résidentiels peuvent ne pas convenir. En général, c’est à ces autorités qu’il incombe en dernier ressort d’approuver l’utilisation du territoire, mais certaines provinces ont créé des lignes directrices qui imposent d’autres restrictions à l’expansion autour des aéroports, comme dans les secteurs de protection des environs des aéroports de l’Alberta[11].

L’ampleur du problème du bruit des aéronefs dans les grands aéroports canadiens

Entre autres responsabilités, les autorités aéroportuaires s’occupent de recevoir et de documenter les plaintes de résidants concernant le bruit. Les représentants de trois grandes autorités aéroportuaires (Calgary, Montréal et Vancouver) ont toutefois fait part au Comité d’une tendance observée[12] : la plupart des plaintes déposées sont le fait d’un petit groupe concentré de personnes. À cet effet, le tableau 1 ci-dessous présente le nombre de plaintes liées au bruit inscrites auprès de quatre grands aéroports au Canada (Vancouver, Calgary, Toronto Pearson et Montréal-Trudeau) en 2017 ainsi que des renseignements sur l’origine de ces plaintes.

Colin Novak, professeur spécialisé dans la pollution sonore et la psychoacoustique à l’Université de Windsor, a pris acte de cette tendance et a informé les membres du Comité que la proportion de la population irritée par cette pollution est certes statistiquement faible, mais que celle-ci mérite néanmoins qu’on s’attarde au problème et qu’on l’étudie, indiquant que la population touchée « exprime des préoccupations très valables ». À ce sujet, M. Boud a indiqué dans son témoignage que, tandis que les plaintes peuvent être informatives, elles ne devraient pas être le seul indicateur qui nous sert à déterminer l’ampleur du problème de bruit des aéronefs d’une région donnée. M. Boud a conseillé aux membres du Comité de considérer le nombre de plaintes à proprement parler avec une certaine prudence :

Les aéroports et les groupes communautaires se demandent si le nombre de plaintes déposées relativement au bruit est une indication précise de l’ampleur du problème. Je vous conseille de voir les plaintes uniquement comme un élément de l’évaluation plus large de l’ampleur du problème du bruit aérien. De nombreux facteurs font qu’il est impossible de comparer directement le nombre de plaintes d’un aéroport à l’autre. Le pourcentage de nouvelles plaintes chaque année peut être une mesure informative, mais, encore une fois, il ne devrait jamais être pris en compte de manière isolée.

Tableau 1 — Concentration des plaintes de bruit des aéronefs dans quatre aéroports internationaux canadiens, 2017

Aéroport

Période

Nombre total de plaintes

Concentration

Aéroport international de Vancouver

2017

1 293

Quatre personnes étaient à l’origine de 64 % des plaintes, dont deux vivaient à 23 kilomètres de l’aéroport.

Aéroport international de Calgary

2017

5 700

Cinq personnes ont fait 72 % de tous les appels; deux personnes ont appelé plus de 2 700 fois (48 %).

Aéroport Pearson de Toronto

2017

168 876

Vingt-neuf appelants étaient à l’origine de 66 % des plaintes.

Aéroport Montréal-Trudeau

2017

543

Trois personnes étaient à l’origine de 27 % des plaintes.

Sources : Aéroport de Vancouver – TRAN, Témoignages : Anne Murray (vice-présidente, Développement des entreprises de transport aérien et Affaires publiques, Vancouver Airport Authority), aéroport de Calgary – TRAN, Témoignages : Bob Sartor (président, Calgary Airport Authority), aéroport Pearson de Toronto – Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, Noise Statistics Update [en anglais seulement], aéroport Montréal-Trudeau – Aéroports de Montréal, Comité consultatif sur le climat sonore – Sommaire - Réunion du 2 février 2018

Questions se rapportant à la réduction et à la gestion du bruit

Dans les mémoires et les témoignages qui ont été présentés au Comité, plusieurs enjeux principaux sont ressortis comme étant des domaines dans lesquels la population et certains experts estiment que nous pouvons améliorer le régime actuel de traitement des plaintes relatives au bruit.

Comités de gestion du bruit

Conformément à ses Procédures d’atténuation du bruit et processus de mise en œuvre des restrictions, Transports Canada demande aux aéroports de consulter les intervenants, notamment les représentants locaux, avant de prendre des décisions opérationnelles qui ont des répercussions sur le bruit, par exemple tout changement dans l’utilisation des pistes ou les approches de vol. Dans les grands aéroports, cette consultation prend la forme d’un comité sur la gestion du bruit, une entité permanente qui vise à offrir aux résidants une tribune pour leur permettre d’exprimer leurs préoccupations relatives au bruit et de recevoir les commentaires de l’autorité aéroportuaire. Transports Canada exige habituellement de cette dernière qu’elle se dote de tels comités comme condition des baux à long terme qu’elle signe[13].

Dans le témoignage qu’elle a livré au Comité, Sara Wiebe, directrice générale de la Politique du transport aérien de Transports Canada, soulignait que le Ministère estime que les intervenants à l’échelle locale sont mieux placés pour traiter les préoccupations propres à la pollution sonore. En conséquence, les autorités aéroportuaires se voient accorder l’autonomie nécessaire pour déterminer la composition et le mandat des comités responsables du bruit.

Plusieurs résidants qui ont comparu devant le Comité étaient mécontents de l’inefficacité du modèle de comité sur la gestion du bruit, plusieurs témoins ayant utilisé le terme « façade » pour décrire le processus actuel de consultation publique[14]. Sandra Best, représentant le Toronto Aviation Noise Group (TANG), un groupe de résidants se plaignant du bruit causé par les aéronefs à l’aéroport Pearson de Toronto, a exprimé l’opinion selon laquelle l’AAGT semblait considérer les assemblées de son comité consultatif communautaire sur l’environnement et le bruit comme une simple formalité permettant d’adopter des plans prédéfinis, plutôt que comme des possibilités de consultation et de participation véritables de la population. Peter Bayrachny, un représentant du groupe Neighbours Against the Airplane Noise, de Toronto, a dénoncé la représentation des communautés, faisant remarquer que les membres du Comité comprenaient des citoyens des banlieues de l’est de Toronto, mais aucun résidant des collectivités environnantes de l’aéroport, qui sont les plus touchées par le bruit des aéronefs. Robyn Connelly, directrice des relations communautaires de l’AAGT, a fait valoir qu’il convenait d’inclure ces personnes, car le Comité visait une composition qui témoigne du statut de l’aéroport en tant que centre régional.

Mme Connelly a indiqué dans son témoignage que l’Autorité avait accepté la conclusion d’un rapport que lui avait fourni le cabinet d’experts-conseils privé Helios, à savoir que son « comité du bruit » n’avait pas de « plan d’action concret ni de programme de travail », et que ses membres dévoileraient bientôt un modèle de consultation « plus ambitieux » mettant en œuvre les recommandations formulées dans le rapport qu’ils avaient commandé à Helios en 2017[15]. Ce rapport contient quelques pratiques exemplaires relevées à la suite d’une enquête sur le mandat et les activités de comités similaires de gestion du bruit des aéroports, dont la mise en place d’un plan de travail concret accordant la priorité à la réponse aux plaintes des citoyens au sujet du bruit, l’intégration de la communauté, y compris par le travail avec des groupes de résidants touchés par la pollution sonore causée par les aéronefs, et une plus grande indépendance par rapport à la direction des aéroports, y compris la nomination possible d’un président indépendant[16].

« Des progrès importants ne sont possibles que si toutes les parties prenantes sont présentes à la table de façon volontaire, travaillent de manière collaborative, sont prêtes à donner et à recevoir, prennent des décisions difficiles et s’engagent à atteindre les objectifs de réduction et d’atténuation du bruit. »

M. Boud, Helios

Mesure du bruit

L’outil canadien qui permet de mesurer et de prédire le niveau de bruit près des grands aéroports, le système de prévision d’ambiance sonore (PAS), a été créé en 1967 par la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis. Le système de PAS, conçu avant toute chose comme outil de planification de l’aménagement du territoire, permet de calculer l’exposition au bruit prévue dans une zone donnée (selon « le niveau PAS ») en mesurant le nombre moyen de vols survolant une zone donnée, ou « courbe » et plusieurs autres facteurs. Selon M. Novak, de l’Université de Windsor, cependant, la PAS n’a plus guère cours hors du Canada. Comme on l’explique dans un document commandé en 1996 par le Conseil national de recherches, bon nombre des formulations utilisées dans la mesure du niveau PAS, y compris sa pondération dans l’effet du bruit nocturne, étaient fondées sur des hypothèses plutôt que sur les réponses des résidants à des sondages effectués auprès d’eux ou sur d’autres données probantes scientifiques[17]. En effet, dans le document, on souligne que, bien que l’Australie ait déjà eu recours au système de mesure PAS, la situation a changé, et sa pondération est maintenant fonction du moment de la journée pour permettre de mieux illustrer les réponses à une enquête auprès de personnes résidant près des grands aéroports[18].

Transports Canada précise que les réactions défavorables des membres de la collectivité tendent à commencer à un niveau PAS de 25, et on peut s’attendre à des plaintes énergiques à partir de la courbe PAS 30, et à une action concertée et à des poursuites judiciaires à partir de la courbe PAS 40[19]. Transports Canada recommande que l’on ne procède pas à la construction de nouveaux ensembles résidentiels dans les lieux où les niveaux sonores dépassent la courbe PAS 30[20].

M. Novak et Mme Jovanovic ont tous deux souligné que les paramètres servant à mesurer le bruit des aéronefs au Canada n’ont pas été mis à jour depuis les années 1970, et qu’ils ne sont pas conformes aux modèles internationaux actuels en matière de mesure acoustique[21]. Bob Sartor, président de la Calgary Airport Authority, constatait également que le modèle de prévision de l’ambiance sonore de l’aéroport de Calgary n’avait pas « bougé » depuis 1972, et ce, malgré une densification accrue autour de l’aéroport.

« [L]e Canada a besoin d’un examen et d’une vérification appropriés des paramètres et des seuils actuels d’exposition au bruit et de nuisance sonore, car ces paramètres sont très désuets. En outre, ils n’ont jamais été corroborés par les résultats des enquêtes canadiennes qui ont été menées à ce sujet. Il s’agit là d’une étape nécessaire pour garantir que la politique actuelle de réduction du bruit répond à son objectif. »

Julia Jovanovic, Université de Windsor

Les experts ont fait observer les principaux éléments qui ont été révélés dans la compréhension du bruit au sein de la population en général, en particulier dans une enquête qui a permis d’affirmer que la population a tendance à être plus sensible à de plus faibles niveaux de bruit que cela avait été indiqué précédemment, et qui mettait davantage l’accent sur la compréhension et la mesure de l’irritation créée par le bruit, et non pas simplement sur le bruit.

Par exemple, comme l’a expliqué Mme Jovanovic, on a observé la tendance à l’étranger, de récentes études ayant noté que l’irritation due au bruit des transports est en hausse, et qu’un plus grand nombre de personnes s’indignent d’un niveau de bruit plus bas. Le Dr David Kaiser, responsable médical à la Direction de santé publique de Montréal, a fait écho aux observations formulées par Mme Jovanovic, selon lesquelles la population tolère sans doute moins le bruit des transports qu’à l’époque où Transports Canada a formulé ses premières recommandations sur le niveau sonore. Dr Kaiser a cité des chiffres d’un sondage effectué dans la région de Montréal pour démontrer que la plupart des plaintes relatives au bruit des aéronefs proviennent de personnes vivant à l’extérieur des courbes 25-30 sur les cartes de PAS, qui, d’après Transports Canada, devraient être les premières sources de plaintes.

Jeff Knoll, un conseiller municipal de la ville d’Oakville, s’est dit d’avis que les mesures scientifiques du bruit en décibels ou le taux de compression du bruit ne permettent pas d’exprimer de manière satisfaisante le bruit concentré des aéronefs que subissent certains résidants vivant sous des trajectoires de vol. Mme Jovanovic a abordé plus longuement cette question, en faisant remarquer que, étant donné la façon dont l’oreille humaine perçoit le bruit et la subjectivité entourant la sensibilité au bruit chez les personnes, il existe une différence de taille entre l’atténuation du bruit et l’atténuation des inconvénients causés par celui-ci, les modèles actuels n’abordant pas ces derniers. Comme l’a expliqué Mme Jovanovic, les acousticiens prêtent de plus en plus d’attention, dans leurs recherches, aux inconvénients liés au bruit plutôt que de simplement évaluer le niveau général de bruit :

Étant donné l’importance cruciale que revêt ce phénomène [l’irritation], il est essentiel que la question soit étudiée en profondeur tout en gardant à l’esprit quelques considérations très importantes. […] [L]'atténuation du bruit et l’atténuation de l’irritation causée par le bruit ne sont pas une seule et même chose. Il s’agit là d’une distinction importante, car il existe des exemples d’efforts de réduction du bruit qui n’ont pas permis de réduire l’irritation de façon significative, comme cela s’est vu, notamment, avec l’interdiction nocturne de Francfort. […] [L]'irritation est un phénomène psychologique et sociologique complexe qui ne peut être prédit ou réglementé simplement et précisément par [les méthodes traditionnelles de mesure du bruit].

Accès du public aux données sur le bruit

Raymond Prince et Sandra Best, un Montréalais et une Torontoise ayant témoigné devant le Comité au sujet de leur expérience du bruit des aéronefs, ont souligné que les autorités aéroportuaires ne sont pas assujetties à la Loi sur l’accès à l’information, ce qui fait que les résidants et les groupes communautaires ont de la difficulté à accéder aux données concernant ce bruit. Dans le même ordre d’idées, deux témoins effectuant des recherches sur le bruit causé par les aéronefs au Canada ont noté que les statistiques sur ce bruit ne sont pas disponibles de façon uniforme auprès de toutes les autorités aéroportuaires et qu’il manque une méthodologie cohérente[22]. Mark Kuess, directeur de la Community Alliance for Air Safety (CAAS), a également signalé que peu de données sur l’exécution des sanctions et les infractions aux règlements sont accessibles au public.

Les intervenants internationaux en matière d’aviation reconnaissent que la communication et le partage des connaissances avec le public sont des outils essentiels si l’on veut faire accepter les infrastructures de transport par la population. L’acceptation des aéroports par les membres de la collectivité est étroitement liée à la communication, et les recherches démontrent que la transparence et la confiance sont des facteurs non acoustiques importants qui influencent leur réaction au bruit[23]. En fait, bon nombre de pays exigent que l’on permette l’accès du public aux données acoustiques aéronautiques. Des pays ont aussi adopté des mesures législatives exigeant l’élaboration et la publication d’une cartographie du bruit ou d’autres données[24].

Les autorités aéroportuaires élaborent des cartes de courbe PAS à l’aide des logiciels fournis par Transports Canada, mais ces cartes demeurent leur propriété, et elles peuvent décider de les communiquer à l’administration municipale ou à une autre entité détenant des pouvoirs en matière d’aménagement territorial. Dans les faits, Transports Canada affirme sur son site Web que ces cartes ne sont pas destinées à un usage public[25]. Dans un mémoire remis au Comité, Antonio Natalizio, un résidant de la région de Toronto, fait remarquer que, bien que les aéroports ne rendent habituellement pas publique l’information relative aux courbes de niveau de bruit, Santé Canada conseille aux résidants de tenter d’obtenir ces cartes pour déterminer si leur maison se trouve dans une région à niveau PAS élevé.

Dans un rapport rédigé pour l’AAGT, la société de conseils en aviation Helios souligne l’importance non seulement que les aéroports mettent les renseignements à la disposition de la population, mais aussi qu’ils les mettent à la portée des non-initiés en adoptant des mesures faciles à comprendre[26]. Certains aéroports canadiens publient en ligne de l’information conviviale sur le bruit. L’aéroport international de Vancouver, par exemple, permet aux citoyens de vérifier en ligne les vols d’arrivée et de départ, et ce, presque en direct, grâce à son portail WebTrak. En plus des mouvements de vol, l’application permet d’afficher les niveaux de décibels enregistrés à des points de mesure du bruit dans la région de Vancouver et offre la possibilité de déposer des plaintes au sujet des aéronefs qui auraient dépassé les niveaux de bruit maximums.

M. Novak et Mme Jovanovic définissent l’Australie comme un chef de file international en matière de transparence des données aéroportuaires, et constatent que les aéroports australiens entretiennent une relation de collaboration avec les collectivités environnantes, qui demandent et reçoivent fréquemment des autorités aéroportuaires de l’information sur les activités de vol et le bruit[27]. Les grands aéroports australiens, comme leurs homologues canadiens, sont gérés par des sociétés privées, qui signent des baux à long terme avec le gouvernement de l’Australie.

En 2002, l’Union européenne a établi une directive environnementale sur les bruits juridiquement contraignante qui fixe les niveaux acoustiques autorisés pour divers moyens de transport, y compris les aéronefs, et stipule que les pays membres doivent publier des cartographies du bruit et des plans d’action pour leurs grands aéroports situés sur leur territoire.

Survol du secteur de l’aviation du Canada

En 1992, le Canada a commencé à privatiser la gestion de ses gros aéroports commerciaux en signant des baux à long terme avec des organisations privées sans but lucratif que l’on nomme « autorités aéroportuaires ». À l’heure actuelle, ces autorités gèrent les 26 aéroports qui composent le Réseau national d’aéroports, sauf quatre. Transports Canada a actuellement recours à ce qu’un intervenant appelle l’« autoréglementation[28] ». Les représentants du Ministère ont expliqué dans leur témoignage que celui-ci n’exerce pas de surveillance quotidienne des activités d’aviation civile ou des décisions d’affaires et qu’il s’attend à ce que les autorités aéroportuaires surveillent et fassent observer les opérations aériennes afin que celles-ci soient conformes aux normes en matière de sécurité et de sûreté[29].

En 1996, le gouvernement fédéral a étendu aux appareils canadiens sa privatisation du secteur de l’aviation en vendant la propriété et l’exploitation du Système de navigation aérienne du Canada à la société privée NAV CANADA, qui continue d’assurer le contrôle du trafic aérien et la surveillance de la navigation civile. Le gouvernement continue d’assurer la supervision de NAV CANADA, y compris en nommant trois membres à son conseil d’administration, formé de 16 membres, ainsi qu’en faisant appliquer la loi, dont certaines dispositions imposent des limites aux frais de service qu’il est possible d’imposer aux transporteurs aériens.

En juin 2015, NAV CANADA a adopté un protocole volontaire de l’industrie de l’aviation, qui vise à faire participer davantage la population à son processus décisionnel, et plus particulièrement aux décisions qui risquent d’exposer les collectivités au bruit des aéronefs. Mme Best a souligné que la sensibilisation du public par NAV CANADA et l’attention que celle-ci porte à ses besoins s’étaient nettement améliorées depuis l’adoption de ce protocole. Elle a demandé que des dispositions soient prévues dans la loi afin d’assurer la conformité et la responsabilisation. Inversement, M. Prince a accusé NAV CANADA de ne pas respecter son engagement volontaire de consulter la population sur les éventuels changements de trajectoire de vol.

Quelques groupes de citoyens se sont plaints aux membres du Comité que la privatisation de NAV CANADA et des autorités aéroportuaires locales leur évitait souvent d’avoir à rendre des comptes devant les collectivités environnantes. En outre, ils étaient sceptiques quant à la capacité de l’une ou de l’autre entité de prendre en considération les plaintes de la population au sujet du bruit et d’y donner suite de façon juste, compte tenu des liens financiers que ceux-ci entretiennent avec les transporteurs aériens[30][31].

De nombreux autres pays occidentaux ont privatisé leur secteur de l’aviation civile dans une certaine mesure depuis les années 1980, mais tous continuent d’exercer une certaine surveillance sur celui-ci. Certains pays se sont dotés d’entités indépendantes ayant le pouvoir légal de faire enquête sur les plaintes relatives au bruit et de statuer en la matière.

Ces entités indépendantes, parfois appelées « ombudsmans du bruit », sont chargées de traiter les plaintes à l’égard du bruit ou de superviser leur processus. C’est le cas, par exemple, de l’Aircraft Noise Ombudsman, en Australie, une fonction financée par l’État qui traite les plaintes concernant le bruit des aéronefs, surveille la présentation et la diffusion de l’information qui s’y rapporte et formule à l’intention d’Airservices Australia, l’autorité de l’aviation civile du pays, des recommandations non contraignantes. Plusieurs habitants aux prises avec le bruit des avions dans leur collectivité ont indiqué qu’ils souhaitaient que ce type d’entité de surveillance indépendante soit créée au Canada[32]. Dans le rapport d’Helios sur les pratiques exemplaires en matière de gestion du bruit des aéronefs, on constate que, pour que soit créé un poste d’ombudsman canadien dans ce domaine, il faudrait une discussion entre les autorités aéroportuaires et Transports Canada, et l’adoption possible de nouvelles dispositions législatives[33].

Une autre lacune potentielle dans le régime de surveillance de l’aviation au Canada mentionnée dans le cadre de l’étude concerne les bruits produits par les aéronefs étrangers. Comme l’a fait remarquer Neil Wilson, président-directeur général de NAV CANADA, le Canada se trouve à un carrefour international de l’aviation, puisque beaucoup de trajectoires de vols en croisière entre l’Europe et les États-Unis traversent l’espace aérien canadien. M. Wilson a ajouté que, bien que NAV CANADA soit responsable de garantir la sécurité des aéronefs étrangers dans notre espace aérien, la société n’a pas le mandat de restreindre leurs vols ni le bruit que ceux-ci produisent. Michael Robinson, directeur général de l’Aviation civile pour Transports Canada, a lui aussi mentionné que le Ministère a certes des exigences relatives à la sécurité et à la sûreté de l’atterrissage des avions aux aéroports canadiens, mais que ces exigences ne visent pas spécifiquement à gérer le bruit.

Transports Canada précise ce qui suit sur son site Web :

Tous les exploitants d’aéronefs doivent se conformer aux restrictions acoustiques d’utilisation et aux procédures d’atténuation du bruit, qui sont publiées par NAV CANADA dans le Canada Air Pilot et le Supplément de vol – Canada […] Les sanctions pour la violation de ces procédures et restrictions peuvent s’élever à 5 000 $ pour une personne et à 25 000 $ pour une entreprise. NAV CANADA met ces publications à jour tous les 56 jours afin de veiller à ce que les vols soient conformes aux plus récentes normes d’exploitation[34].

Ailleurs sur son site Web, le Ministère donne un aperçu des entreprises et des particuliers qui commettent des infractions au Règlement de l’aviation canadien, y compris des manquements aux procédures d’atténuation du bruit et aux exigences de contrôle du bruit énumérées dans le Supplément de vol - Canada ou dans Canada Air Pilot[35]. Les données fournies ne donnent toutefois pas de détails sur chaque infraction ni sur l’endroit où celle-ci s’est produite, à part sa région en général. De même, il n’est pas clair si de telles mesures d’exécution s’appliquent autant aux avions qui traversent l’espace aérien du Canada qu’à ceux qui atterrissent à un aéroport canadien.

Préoccupations pour la santé

Dans un rapport publié en 2007 [disponible en anglais seulement], le groupe d’experts sur le bruit du Comité de la protection de l’environnement en aviation de l’OACI conclut qu’il existe suffisamment de preuves scientifiques d’une corrélation entre la pollution sonore des aéronefs et cinq aspects de la santé et du bien-être des humains :

  • l’irritation des membres de la collectivité;
  • la perturbation du sommeil et les réveils;
  • l’hypertension;
  • les fonctions cognitives et le rendement scolaire des enfants;
  • le brouillage des échanges et des communications.

Dans l’étude de l’OACI, ont dit toutefois qu’on n’a pas pu établir pleinement un lien de causalité entre le bruit des aéronefs et les effets sur la santé, et que les effets ci-dessus peuvent avoir pour cause plusieurs facteurs, comme des différences de sensibilité au bruit, des variations dans la capacité auditive des personnes, d’autres sources de bruit, ainsi que des facteurs socio-économiques.

Dans une publication de 2010, Santé Canada formule des recommandations à l’intention de Transports Canada et d’autres autorités publiques au sujet des effets sur la santé des nuisances sonores des aéronefs. Elle semble y réfuter quelques-unes des conclusions de l’OACI : en effet, le Ministère fait remarquer que, malgré les études en cours sur les liens possibles entre le bruit et les problèmes de santé dus au stress, la documentation scientifique actuelle ne contient pas suffisamment de preuves d’une corrélation entre la pollution sonore causée par les aéronefs et des maladies cardiaques chez les adultes ou un stress chronique chez les enfants.

Plusieurs témoins habitant des régions dans lesquelles le niveau de bruit des aéronefs est élevé ont témoigné au sujet de problèmes de santé, citant souvent une étude scientifique qui permet d’établir des liens entre une exposition prolongée à la pollution sonore causée par les aéronefs et différents problèmes de santé[36]. Dr Kaiser a fait état de témoignages de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui conclu à l’accumulation de preuves « solides » d’une corrélation entre la pollution sonore causée par les aéronefs et l’irritation, ce qui nuit à la qualité de vie et entraîne une vaste gamme de problèmes de santé.

Peu avant l’amorce des travaux du Comité, l’OMS a publié un document sur le bruit dans la région européenne, dans laquelle elle définit un niveau d’exposition indicatif de 45 décibels (dB) en utilisant une mesure équilibrée jour-soir-nuit (Lden) pour le bruit des aéronefs, et un niveau de 40 dB selon une mesure pondérée nuit (Lnight) pour ce bruit pendant la nuit, concluant qu’un bruit supérieur à ces niveaux a des effets nocifs pour la santé[37]. L’étude a révélé qu’il existe des données probantes de qualité moyenne prouvant l’existence d’un lien entre une exposition au bruit des aéronefs à des niveaux supérieurs à 45 dB Lden et des perturbations, et que cette exposition nuit à la compréhension de l’écrit chez les enfants[38]. L’étude a aussi permis d’établir un lien de causalité entre l’exposition au bruit des aéronefs pendant la nuit à des niveaux supérieurs à 40 dB et des effets pernicieux sur le sommeil[39].

. En outre, dans la publication, on évalue les mesures que l’on peut prendre pour réduire l’exposition au bruit des aéronefs. L’OMS a conclu que, parmi les mesures dont il est question, selon des publications scientifiques, il y existe des données probantes de qualité moyenne sur le fait que des changements apportés aux trajectoires de vol se traduiraient par une amélioration de l’état de santé[40].

Deux témoins ont exprimé des inquiétudes relativement aux lignes directrices actualisées de l’OMS. M. Novak a mis en doute la « solidité et la validité » des conclusions et des recommandations de l’organisation, expliquant qu’il estimait que les directives de l’OMS ne mettent pas suffisamment l’accent sur les perturbations comme cause de problèmes de santé[41]. M. Boud a, quant à lui, présenté au Comité un article de l’International Journal of Environmental Research and Public Health[42] dans lequel on critique les conclusions de l’OMS sur les désagréments causés à des niveaux excédant 45 dB Lden. On allègue dans cet article que l’OMS avait inclus dans son ensemble de données sur le bruit des aéronefs des études qui auraient normalement dû être éliminées, parce qu’elles ne respectaient pas des méthodes de recherche normalisées. On conclut que l’élimination des études problématiques aboutirait à un niveau d’exposition indicatif de 53 dB Lden. Ces conclusions divergentes sur les valeurs guides concernant le bruit témoignent de l’absence de consensus international sur une mesure spécifique que les parties prenantes du secteur de l’aviation doivent respecter dans le cadre de leurs activités. M. Boud a signalé qu’en Europe, les aéroports utilisent le critère de 55 dB comme référence pour mesurer le bruit des avions, mais qu’il ne s’agit pas d’une limite stricte qu’ils doivent eux-mêmes respecter.

« En vue de mieux comprendre ce qui se passe et d’informer les gens des effets potentiels sur leur santé, il faut avoir accès à des données. Actuellement, nous n’avons pas accès aux données concernant l’endroit où se trouvent les avions dans les airs, leur nombre et le type d’avions, et nous n’avons pas accès aux mesures des niveaux de bruit. La première recommandation concerne l’accès aux données. »

Dr David Kaiser, Direction de santé publique de Montréal

Comme pour d’autres secteurs de l’étude, les témoins ont mentionné un manque important de données canadiennes sur les effets sur la santé et la difficulté d’obtenir les données nécessaires pour formuler des recommandations fondées sur des preuves[43]. Dr Kaiser a souligné la nécessité pour les autorités sanitaires locales d’avoir un meilleur accès aux données sur les mouvements de vol afin de pouvoir évaluer adéquatement les répercussions des vols sur leur collectivité au lieu de se fier à des éléments de preuve anecdotiques.

Vols de nuit

Les grands aéroports internationaux du Canada appliquent leurs propres procédures de limitation de la pollution sonore pour les vols de nuit, et pourraient fixer des limites à la taille des aéronefs qui peuvent atterrir ou décoller à certaines heures ou définir des procédures d’atterrissage spéciales ou d’autres manœuvres de vol conçues pour minimiser les niveaux d’exposition aux nuisances sonores dans les zones résidentielles avoisinantes[44]. Ces restrictions figurent dans Canada Air Pilot et le Supplément de vol - Canada, que publie régulièrement NAV CANADA à l’intention des exploitants d’aéronefs qui traversent l’espace aérien canadien. Transports Canada affecte à l’aéroport le plus achalandé du pays, l’aéroport Lester B. Pearson de Toronto, un « budget » annuel de vols prévus qui peuvent être effectués la nuit, en se fondant sur une formule qui tient compte du nombre total de passagers à l’aéroport[45].

Plusieurs témoins représentant des groupes de résidants ou témoignant à titre personnel se sont dits préoccupés par les vols de nuit. Certains ont exprimé la volonté de voir carrément interdire ces vols pour que les résidants puissent bénéficier d’une pause sans bruit de manière à pouvoir dormir sans être dérangés[46]. Dans un mémoire, la Markland Woods Homeowners Association, un regroupement de citoyens s’intéressant principalement au bruit causé par les aéronefs à l’aéroport Pearson de Toronto, note que les heures d’ouverture de l’aéroport pendant la nuit ont d’abord été établies de 22 h à 7 h, avant d’être ramenées à huit heures pour finalement aboutir à la présente période de six heures. M. Boud et Mme Marshall ont souligné que la plupart des vols arrivant pendant ces heures sont des vols de passagers, les vols de transport de marchandises suivant de loin, au deuxième rang, ce qui indique que les citoyens réclament des vols nocturnes.

Les partisans d’une interdiction totale des vols de nuit dans les grands aéroports canadiens invoquent souvent l’exemple de l’aéroport international de Francfort, en Allemagne, un important aéroport international qui a interdit ces vols avec succès tout en demeurant l’aéroport allemand le plus achalandé, et le quatrième en Europe[47]. En octobre 2011, l’État de Hesse, en Allemagne, a interdit tous les vols entre 23 h et 6 h, limitant drastiquement les opérations à l’aéroport international de Francfort[48]. Des témoins experts ont toutefois expliqué aux membres du Comité que cette interdiction générale des vols de nuit n’avait pas entraîné de changement des niveaux généraux de pollution sonore pour les habitants de Francfort, et n’a pas réussi à entraîner de réduction du bruit[49].

Mme Marshall était d’avis que d’autres restrictions des vols de nuit auraient des conséquences économiques néfastes pour la région de Toronto et pour l’économie canadienne. David Wojcik, président-directeur général de la Chambre de commerce de Mississauga, a répété ce message, estimant qu’une interdiction des vols nocturnes ferait diminuer l’activité économique de six milliards de dollars et entraînerait des pertes d’emplois. L’AAGT a établi qu’un désir accru de la population d’avoir des vols directs de passagers vers la côte ouest du Canada de même que des vols de longue distance vers l’Asie était l’une des principales justifications de l’augmentation du nombre de vols de nuit ces dernières années[50].

Le rapport de 2017 d’Helios précise toutefois que les heures d’ouverture de l’aéroport Pearson pendant la nuit sont plus brèves que celles de la plupart des autres aéroports[51]. Tandis que le nombre d’avions à l’aéroport Pearson entre 0 h 30 et 6 h est limité, la plupart des aéroports internationaux ont une période de nuit désignée d’au moins huit heures. De nombreux aéroports adoptent aussi des restrictions sur les vols en fonction du bruit. L’aéroport Heathrow de Londres, par exemple, applique un quota visant à limiter l’ensemble du bruit produit par les avions qui atterrissent et qui décollent entre 23 h et 7 h, et impose des frais plus élevés aux aéronefs qui atterrissent au cours de cette période[52].

Réduction du bruit « à la source » grâce à des avions plus silencieux

Les transporteurs aériens jouent un rôle important dans la réduction du bruit des avions « à la source » en faisant l’acquisition d’aéronefs plus silencieux et en faisant en sorte que l’équipage de conduite exécute des manœuvres de vol silencieuses. Comme il a été mentionné plus haut, les aéronefs de la flotte actuelle exploitée dans les grands aéroports du Canada sont, selon tous les critères, beaucoup moins bruyants que leurs prédécesseurs. Certains aéroports cherchent à encourager constamment les transporteurs aériens à acquérir et à exploiter des aéronefs plus silencieux en leur offrant diverses mesures incitatives. L’aéroport international de Vancouver, par exemple, décerne chaque année un prix Fly Quiet au transporteur qui respecte le mieux les procédures d’atténuation du bruit, et dont les niveaux de bruit mesurés sont les plus bas parmi les aéronefs de la même catégorie.

La flotte d’Airbus A320 d’Air Canada est le parfait exemple de l’importance de la diminution du bruit des aéronefs. Selon Mme Marshall, ces aéronefs produisent un bruit aigu facilement identifiable lié à l’entrée d’air, et l’AAGT a demandé aux transporteurs qui desservent l’aéroport Pearson de prendre des mesures pour que celui-ci soit corrigé. D’après Airbus, le bruit est une défectuosité occasionnée par de l’air qui circule au-dessus des évents situés dans les ailes de l’appareil. Le constructeur a informé les transporteurs aériens qu’il était possible de remédier au problème en installant un générateur de tourbillon, une petite pièce de métal que l’on peut se procurer auprès de celui-ci à un coût minime[53]. Selon Helios, la modernisation peut réduire de 4 à 9 dB le bruit généré par les aéronefs[54].

L’AAGT a intégré la réparation de l’A320 à son plan de gestion du bruit pour 2020 et a demandé à Air Canada d’installer des générateurs de tourbillon sur les avions de sa flotte d’ici la fin de 2020[55]. Comme il l’a mentionné lors de sa comparution devant le Comité le 27 novembre 2018, Marc Garneau, le ministre des Transports, a demandé aux dirigeants d’Air Canada de moderniser leur flotte dans le délai établi par l’AAGT[56]. M. Strom a souligné que le transporteur aérien ne moderniserait que 15 % de sa flotte d’ici la fin de 2018, et 80 % de celle-ci d’ici l’échéance de 2020, alléguant que la mise hors service des avions entraînerait des difficultés sur le plan logistique, et que des trousses de réparation n’étaient pas actuellement disponibles auprès d’Airbus. M. Strom a également cherché à minimiser la réduction du bruit qui résulterait d’une telle modernisation, affirmant que celle-ci diminuerait l’ensemble du bruit de l’avion de seulement trois pour cent. Un certain nombre d’homologues internationaux d’Air Canada, dont Air France, British Airways, easyJet et Lufthansa, auraient déjà apporté le changement[57]. Mme Best, parlant au nom du groupe communautaire TANG, a réclamé l’accélération du processus de modernisation, qui, selon M. Knoll, avance « à pas de tortue ».


[1]              Conseil des aéroports du Canada, Impact économique : Les aéroports du Canada en 2016.

[2]              Statistique Canada, Trafic aérien de passagers aux aéroports canadiens, annuel.

[3]              Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (AAGT), Plan directeur 2017-2037 - Aéroport international Pearson de Toronto, page 4.

[4]              Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités, Témoignages, 1re session, 42e législature (Témoignages) : Hillary Marshall (vice-présidente, Relations avec les parties prenantes et communications, Autorité aéroportuaire du Grand Toronto).

[5]              Voir Transports Canada, Gestion du bruit des aéronefs.

[6]              Voir OACI, Performance-Based Navigation. [en anglais seulement].

[7]              TRAN, Témoignages : Jeff Knoll (conseiller municipal et régional, Ville d’Oakville et Municipalité régionale d’Halton, région d’Halton), Sandra Best (présidente, Toronto Aviation Noise Group), Raymond Prince (à titre personnel), M. Colin Novak (professeur agrégé, Université de Windsor).

[8]              TRAN, Témoignages : Johanne Domingue (présidente, Comité antipollution des avions de Longueuil), Paul-Yanic Laquerre (à titre personnel), M. Knoll (Ville d’Oakville).

[9]              TRAN, Témoignages : Julia Jovanovic (candidate au doctorat, Université de Windsor), Nick Boud (consultant principal, Helios).

[10]            TRAN, Témoignages : M. Novak (professeur agrégé, Université de Windsor), Jovanovic (Université de Windsor), Dr Kaiser (Direction de la santé publique de Montréal).

[11]            TRAN, Témoignages : Bob Sartor (président, Calgary Airport Authority).

[12]            TRAN, Témoignages : Sartor (Calgary Airport Authority), Anne Murray (vice-présidente, Développement des entreprises de transport aérien et Affaires publiques, Vancouver Airport Authority), Anne Marcotte (directrice, Relations publiques, Aéroports de Montréal).

[13]            L’article 8.12.02 du bail foncier de 60 ans [en anglais seulement] signé par l’AAGT avec Transports Canada prévoit la création d’un comité sur la gestion du bruit composé de représentants de l’AAGT, de l’industrie aéronautique, des gouvernements fédéral et provinciaux et des administrations municipales.

[14]            TRAN, Témoignages : Tom Driedger (à titre personnel), Peter Bayrachny (représentant, Neighbours Against the Airplane Noise).

[15]            L’AAGT a présenté son nouveau modèle de consultation lors de sa réunion de la CENAC du 6 décembre 2018. Une présentation en PowerPoint et une vidéo de la réunion se trouvent sur le site Web de l’aéroport Pearson de Toronto [PRÉSENTATION en anglais seulement].

[16]            Helios (2017), 58-9. [en anglais seulement].

[17]            Bradley, J.S. NEF Validation Study (2): Review of Aircraft Noise and its Effects. Ottawa : Institut de recherche en construction, Conseil national de recherches Canada, 1996, page 13 [en anglais seulement].

[18]            Ibid.

[19]            Ibid., page 2 [en anglais seulement].

[21]            TRAN, Témoignages : M. Novak (Université de Windsor), Jovanovic (Université de Windsor).

[22]            TRAN, Témoignages : Kuess (CAAS), Jovanovic (Université de Windsor).

[23]            Findell, Ian H. et Pieter Jan M. Stallen. Non-acoustical factors in environmental noise. Noise & Health 1.3 (1999): 11‑16 [en anglais seulement].

[24]            Voir, par exemple, États-Unis (Noise Control Act [1972]) [en anglais seulement]) et France (Loi 85-696 du 11 juillet 1985 relative à l’urbanisme au voisinage des aéroports).

[25]            Transports Canada, Prévision de l’ambiance sonore (NEF).

[26]            Helios (2017), page 69 [en anglais seulement].

[27]            TRAN, Témoignages : M. Novak (Université de Windsor), Jovanovic (Université de Windsor).

[28]            TRAN, Témoignages : Mark Kuess (directeur, Community Alliance for Air Safety).

[29]            TRAN, Témoignages : Sara Wiebe (directrice générale, Politique aérienne, ministère des Transports Canada).

[30]            Les autorités aéroportuaires exigent des redevances des transporteurs aériens qui utilisent leurs installations (voir par exemple Redevances et frais aéroportuaires de l’aéroport Pearson de Toronto), tandis que NAV CANADA perçoit des redevances auprès des transporteurs aériens et des autres exploitants d’aéronefs qui utilisent ses services (voir NAV CANADA, Redevances).

[31]            TRAN, Témoignages : Driedger (à titre personnel), Bayrachny (Neighbours Against the Airplane Noise), Laquerre (à titre personnel), Best (TANG), Chris Isaac (à titre personnel).

[32]            TRAN, Témoignages : Antonio Natalizio (à titre personnel), Ilona Maziarczyk (Markland Wood Homeowners Association), Prince (à titre personnel).

[33]            Helios (2017), page 63.

[34]            Transports Canada, Gestion du bruit des aéronefs.

[35]            Voir, à titre d’exemple, le sommaire des mesures d’application de la loi d’octobre 2018, mesures qui comprennent l’imposition d’une amende de 150 000 $ à Philippines Airlines pour ne pas avoir respecté les mesures de réduction du bruit dans la région de l’Ontario, et ce, à six reprises.

[36]            TRAN, Témoignages : Bayrachny (Neighbours Against the Airplane Noise) Domingue (Comité antipollution des avions de Longueuil), Saulius Brikis (administrateur, Markland Wood Homeowners Association).

[37]            Bureau régional de l’Europe de l’Organisation mondiale de la santé. Lignes directrices relatives au bruit dans l’environnement dans la Région européenne. 2018, page 61.

[38]            Ibid., pages 61-62.

[39]            Ibid., page 62.

[40]            Ibid., pages 71-3.

[41]            TRAN, Témoignages : M. Novak (Université de Windsor).

[42]            Gjestland, Truls. A Systematic Review of the Basis for WHO’s New Recommendation for Limiting Aircraft Noise Annoyance. International Journal of Environmental Research and Public Health 15.12 (2018) [en anglais seulement].

[43]            TRAN, Témoignages : Jovanovic (Université de Windsor), Dr Kaiser (Santé publique de Montréal).

[44]            Voir, inter alia, Vancouver Airport, Activités aéroportuaires de nuit, Toronto Pearson Airport, Night Flight Restriction Program (NFRP) Overview [en anglais seulement], aéroport Montréal-Trudeau, « Exploitation restreinte à certaines heures » dans Mesures d’atténuation.

[46]            TRAN, Témoignages : Pierre Lachappelle (Les Pollués de Montréal-Trudeau), Raymond Prince (à titre personnel).

[47]            TRAN, Témoignages : Kuess (CASS), Driedger (à titre personnel) Natalizio (à titre personnel), Renee Jacoby (présidente fondatrice, Toronto Aviation Noise Group).

[48]            Deutsche Welle, Dead of night flights banned at Frankfurt, 4 avril 2012 [en anglais seulement].

[49]            TRAN, Témoignages : Novak (Université of Windsor), Jovanovic (Université of Windsor).

[50]            TRAN, Témoignages : Marshall (AAGT).

[51]            Helios (2017), page 20 [en anglais seulement].

[52]            Ibid., page 17-18 [en anglais seulement].

[53]            TRAN, Témoignages : Boud (Helios).

[54]            Helios (2017), page 13 [en anglais seulement].

[55]            TRAN, Témoignages : Marshall (AAGT).

[56]            TRAN, Témoignages : Hon. Marc Garneau (ministre des Transports)

[57]            TRAN, Témoignages : Marshall (AAGT).