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AFGH Rapport du Comité

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Supplément au rapport du Comité spécial sur l'Afghanistan intitulé Honorer l'héritage du Canada en Afghanistan : Répondre à la crise humanitaire et aider les gens à se mettre en sécurité

Les conservateurs soutiennent le rapport du comité. 

Les conservateurs souhaitent ajouter les preuves et observations suivantes qui ne figurent pas dans le rapport. 

La façon dont le Canada a quitté l’Afghanistan en août 2021 a trahi l’héritage des 40 000 membres des Forces armées canadiennes qui ont participé à la guerre en Afghanistan — dont 158 soldats qui ont donné leur vie — ainsi que des centaines de milliers de soldats de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN.)[1] C’est une trahison de nos diplomates qui ont servi pendant et après la guerre — dont un qui a donné sa vie. C’est aussi une trahison envers les milliers de courageux Afghans qui ont travaillé aux côtés de nos soldats et de nos diplomates, et dont la contribution a été essentielle au succès de la mission du Canada en Afghanistan.[2]  

Ces Afghans ont travaillé comme interprètes, cuisiniers, chauffeurs, nettoyeurs, ouvriers de la construction, agents de sécurité, avocats et autres. Ces personnes et leurs familles ont été menacées et ciblées par les talibans parce qu’elles travaillaient avec les soldats et les diplomates canadiens. Lorsqu’il est devenu évident que le gouvernement de l’Afghanistan allait tomber aux mains des talibans, le gouvernement canadien avait le devoir moral d’évacuer ces Afghans et leurs familles. Selon le gouvernement canadien, ces Afghans ont « une relation importante ou durable avec le gouvernement du Canada ».[3]

Ce n’était un secret pour personne que les États-Unis allaient se retirer d’Afghanistan. Dans les mois qui ont précédé ce retrait, il était également clair que de nombreux Afghans qui avaient travaillé pour les gouvernements et les armées de l’OTAN souhaitaient désespérément partir pour éviter d’être persécutés par les talibans.

Lorsque les États-Unis ont fixé une date limite en avril 2021 pour se retirer de l’Afghanistan avant le 11 septembre 2021[4], le gouvernement canadien a tardé à agir pour évacuer ces Afghans. Et ce, malgré les appels clairs et insistants lancés par de nombreux experts, anciens combattants et organisations non gouvernementales (ONG) dans les mois précédant le 15 août 2021.

Le gouvernement a également ignoré d’autres appels à une action urgente, notamment des questions posées à la Chambre des communes au printemps 2021, une déclaration publiée par les conservateurs le 6 juillet 2021 et une lettre envoyée le 22 juillet 2021 par le chef de l’Opposition officielle Erin O’Toole au premier ministre Justin Trudeau. Des semaines et des mois ont été gaspillés alors que le gouvernement a retardé l’évacuation de ces Afghans jusqu’au dernier moment. 

Il y a eu des défaillances dans le domaine du renseignement. L’honorable Harjit Sajjan, parlant de son ancien rôle de ministre de la Défense nationale (2015-2021), a déclaré qu’il travaillait « main dans la main » avec le personnel de l’ambassade dans les mois qui ont précédé la chute de Kaboul.[5] Bien que le ministère de la Défense nationale (MDN) et Affaires mondiales Canada (AMC) soient censés travailler ensemble, tous deux ont été complètement pris par surprise par la dégradation de la situation sécuritaire sur le terrain.[6] L’ambassadeur Reid Sirrs a déclaré qu’il n’avait pas reçu d’informations indiquant que Kaboul allait tomber avant le 12 août 2021, soit trois jours avant la prise de pouvoir par les talibans.[7]  

Il n’y aurait pas dû y avoir de surprise. Des organisations telles que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), Interprètes Afghan-Canadien, le Veterans Transition Network (VTN), ainsi que des anciens combattants des Forces armées canadiennes ont témoigné devant le comité que les responsables du gouvernement canadien avaient été avertis de la situation sur le terrain des mois avant la prise de contrôle par les talibans.[8] Le HCR a déclaré avoir informé le gouvernement canadien, dès mars 2021, des plans d’urgence qui seraient nécessaires en cas d’exode d’Afghans fuyant la violence et la crise humanitaire.[9]  Les rapports quotidiens des organismes de presse au cours des mois et des semaines qui ont précédé la chute de Kaboul, le 15 août 2021, ont fait état des gains de territoire réalisés par les talibans aux dépens du gouvernement afghan. 

Il y a eu un échec du leadership politique de la part du premier ministre. Alors que Kaboul tombait aux mains des talibans, le premier ministre a conseillé au gouverneur général de dissoudre le Parlement, déclenchant ainsi des élections générales et la convention de transition. Le personnel ministériel exonéré a été mis en congé pour faire campagne et les ministres se sont concentrés sur leur réélection. Le général Wayne Eyre a déclaré que les élections avaient limité la capacité du MDN à communiquer publiquement,[10] comme l’exige la convention intérimaire.[11]  Le premier ministre et les ministres concernés auraient dû se concentrer entièrement sur l’évacuation des Afghans et de leurs familles. Au lieu de cela, ils ont fait passer des considérations politiques partisanes avant une situation d’urgence extraordinaire, une décision qui entraînera des conséquences néfastes sur la réputation internationale du Canada pendant des années. 

La coordination des opérations d’évacuation au sein du gouvernement et avec les ONG a fait défaut. Les ONG, telles que l’Afghan Strategic Evacuation Team du RTV, ont été les témoins directs de nombreuses lacunes dans la réponse du gouvernement qui ont entravé la capacité des ONG à travailler et à aider efficacement le gouvernement pendant l’évacuation. Selon les témoignages, ces lacunes découlaient du manque de coordination entre les trois ministères de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC), de l’AMC et du MDN.

Le major général (retraité) Dean Milner a indiqué que la « bureaucratie d’Immigration Canada » et les problèmes de coordination du leadership ont rendu « très difficile » le soutien et l’assistance de l’Afghan Strategic Evacuation Team à la mission. [12] L’ASET a noté qu’aucun plan n’a été communiqué à son organisation pour aider à rationaliser le processus d’évacuation, et que sa suggestion de créer un groupe de travail interministériel n’a pas été mise en œuvre.[13] Le premier ministre aurait dû confier à un ministre principal, doté de l’autorité appropriée, la responsabilité de gérer la réponse du gouvernement dans les différents ministères. Cela aurait permis au gouvernement de répondre plus efficacement à la crise.

Wendy Long, directrice d’Interprètes Afghan-Canadien, a déclaré:

Toutes [IRCC, AMC, MDN] ces entités doivent collaborer efficacement, et ce n’est pas ce qui s’est produit depuis le début. Il n’y a pas eu de partenariat efficace. Ces trois entités n’ont pas vu cela comme une mission à laquelle elles devaient toutes participer dans le but de faire revenir nos ressortissants au Canada.[14] 

La coordination interministérielle entre les trois ministères, en particulier pour le volet immigration des Afghans qui travaillaient pour le Canada, était faible, voire inexistante. C’est toujours le cas actuellement. De nombreux Afghans qui ont travaillé pour le Canada se morfondent toujours en Afghanistan et dans des pays tiers sans un numéro de dossier de demande d’IRCC. Cette situation a gravement porté atteinte à la réputation du Canada et aura un impact sur la capacité future du Canada à mener une politique étrangère et militaire au niveau international.

Le manque de leadership politique et de coopération interministérielle a eu pour conséquence d’empêcher le Canada d’évacuer plus tôt de nombreux autres Afghans qui travaillaient pour le gouvernement canadien.[15]  

Il y avait un manque de ressources pour gérer les efforts d’évacuation. Corey Shelson, un ancien combattant des Forces armées canadiennes, a témoigné qu’il avait appris que: 

Lorsque le programme spécial d’immigration a été annoncé, IRCC n’avait que deux employés affectés au tri des courriels reçus. À peu près au même moment, un appel aux volontaires a été lancé à l’interne dans d’autres ministères pour une affectation temporaire à IRCC. L’appel a été lancé à l’Agence du revenu du Canada et à Service Canada, et des volontaires ont été présélectionnés et invités à se tenir prêts à commencer d’un jour à l’autre.
Ils n’ont cependant entrepris leur affectation qu’en septembre, alors que l’évacuation avait déjà pris fin. Tout le monde a dû dans un premier temps répondre aux appels téléphoniques, et ce n’est qu’en octobre que l’on a demandé à certains de débuter le triage des courriels. On leur a dit de considérer uniquement les courriels reçus depuis le 23 août, et il a fallu attendre le début novembre pour que tous les courriels soient traités. [16]

Le manque de ressources humaines à IRCC pour trier les appels téléphoniques et les courriels des demandeurs de mesures spéciales d’immigration est la preuve d’un manque de planification de la part du ministère. Cela démontre également un manque de leadership politique de la part du ministre et du premier ministre.

Il y a également eu un manque de créativité face à des obstacles bureaucratiques impliquant des situations de vie ou de mort. Par exemple, des dispositions auraient pu être prises pour que les Afghans, qui n’étaient pas en mesure d’obtenir les documents nécessaires, puissent tout de même se rendre dans des pays tiers en utilisant des documents de voyage pour un aller simple, et les listes de personnes à évacuer vers le Canada n’auraient pas séparé les familles à cause de la paperasserie.

Si le gouvernement avait écouté les avertissements de nombreux intervenants, anciens combattants et ONG dans les mois qui ont précédé la chute de Kaboul, s’il avait amélioré le renseignement et la coordination, s’il avait affecté les ressources plus efficacement et s’il avait fait preuve de créativité pour surmonter les obstacles bureaucratiques, beaucoup plus d’Afghans qui travaillaient pour le Canada auraient pu être évacués. Tout cela a nécessité un leadership politique. Dans l’état actuel des choses, il semble peu probable qu’IRCC atteigne son objectif de réinstallation de 40 000 réfugiés afghans au Canada, surtout avant la fin de 2023.[17] 

Neuf mois après la chute de Kaboul et dix mois après l’annonce des mesures spéciales en matière d’immigration, le gouvernement n’a toujours rien appris de l’évacuation. Le Comité a entendu d’anciens interprètes afghans et d’autres personnes ayant travaillé pour le Canada décrire les périls qu’ils continuent de vivre. Beaucoup n’ont pas reçu de numéro de dossier de demande ou de numéro d’identification unique du client.

Alors que tous les alliés de l’OTAN se sont démenés pour évacuer à la fois leurs propres citoyens et les Afghans qui travaillaient aux côtés de leurs forces et de leur personnel, le Canada a obtenu des résultats particulièrement médiocres lors de l’évacuation qui a pris fin à la fin du mois d’août 2021. Entre le 14 août 2021 et le 30 août 2021, les alliés, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, ont respectivement évacué plus de 122 000 18 et 15 000 19 personnes. À la fin du mois d’août, le Canada avait évacué 3 700 personnes.[18] La performance du Canada était proportionnellement moins bonne que celle de nos principaux alliés de l’OTAN. Le gouvernement a expliqué ses lacunes en matière d’évacuation par le fait que la mission militaire du Canada en Afghanistan avait pris fin en 2014 et qu’il ne disposait pas de moyens militaires sur le terrain. Cette explication ne semble pas plausible. Le Canada dispose d’une ambassade à Kaboul jusqu’au 15 août 2021 et l’Aviation royale du Canada possède des avions de transport stratégiques CC-177 Globemaster qui peuvent être déployés partout dans le monde dans un court délai.

Le Comité n’a pas été en mesure d’obtenir les informations nécessaires pour fournir un rapport plus complet avec des recommandations. Afin d’assurer une réponse plus efficace à une crise future, le gouvernement doit être plus ouvert en matière d’information. Les témoins du gouvernement n’étaient pas disposés à fournir de l’information et ont fourni peu de documentation au Comité de la part du Bureau du Conseil privé, d’AMC, du MDN, de l’IRCC et des Forces armées canadiennes. Par exemple, l’absence de rapports après action complète ou provisoire de ces entités rend difficile pour le Comité d’analyser plus en détail ce qui a mal tourné et de recommander des solutions.

La guerre en Afghanistan de 2001 à 2014 a été la plus longue guerre du Canada et le premier engagement de combat important depuis la guerre de Corée. Le retrait du Canada de l’Afghanistan en août 2021 n’est pas seulement une trahison pour nos soldats, nos diplomates et les Afghans eux-mêmes, c’est un désastre qui nuira aux intérêts du Canada pour les années à venir. Les alliés et les concurrents du monde entier s’interrogeront sur la solidité des engagements du gouvernement canadien et sur sa volonté et sa capacité à soutenir ses engagements par des actions efficaces.

L’échec du retrait et de l’évacuation en août 2021 rend urgent le fait que le Canada s’engage auprès du Front national de résistance de l’Afghanistan, et envisage un soutien politique et matériel, en coordination avec nos alliés. Il est également urgent que le Canada coordonne mieux ses capacités de défense, de renseignement et d’aide humanitaire avec ses alliés et partenaires démocratiques de la région indopacifique. Le gouvernement devrait également s’efforcer immédiatement de se joindre au Dialogue quadrilatéral sur la sécurité avec l’Australie, l’Inde, les États-Unis et le Japon. Cela est particulièrement important, car le vide laissé par le retrait de l’Afghanistan est comblé par des puissances comme la Chine.


[1] Gouvernement du Canada, Les Forces armées canadiennes en Afghanistan, 14 février 2019; l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. OTAN et Afghanistan, 19 avril 2022.  

[2] AFGH, Témoignages, 14 février 2022, 1945, (Major-Général (à la retraite) David Fraser, Afghan Strategic Evacuation Team, à titre personnel).

[4] Le président américain Joe Biden a annoncé en juillet que le retrait sera avancé au 31 août 2021.

[5] AFGH, Témoignages, 4 avril 2022, 1845 (L’hon. Harjit S. Sajjan, C.P., député, ministre du Développement international).  

[6] AFGH, Témoignages, 4 avril 2022, 1940 (Jennifer Loten, directrice générale, Crime international et terrorisme); AFGH, Témoignages, 21 mars 2022, 1950 (Reid Sirrs, ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan, Affaires mondiales Canada).  AFGH, Témoignages, 9 mai 2022, 2010 (Vice-amiral J.R. Auchterlonie, commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada, ministère de la Défense nationale). 

[7] AFGH, Témoignages, 21 mars 2022, 1950 (Reid Sirrs, ancien ambassadeur du Canada en Afghanistan, Affaires mondiales Canada). 

[8] AFGH, Témoignages, 31 janvier 2022, 2010 (Indrika Ratwatte, HCRNU); AFGH, Témoignages, 14 février 2000, 2005 (Major-général (retraité) David Fraser, équipe d'évacuation stratégique afghane, à titre personnel); AFGH, Témoignages; Interprètes afghano-canadiens, et al., Lettre au très honorable Justin Trudeau, 1er juin 2021; AFGH, Témoignages, 28 février 2022, 2015 (Stephen Peddle, à titre individual).

[9] AFGH, Témoignages, 31 janvier 2022 (Indrika Ratwatte, HCR)

[10] AFGH, Témoignages, 9 mai 2022, 2000, (Général Wayne D. Eyre).

[11] AFGH, Témoignages, 9 mai 2022, 2005, (Bill Matthews, sous-ministre de la Défense nationale, ministère de la Défense nationale

[12] AFGH, Témoignages , 14 février 2000, 1945, (Major-Général (à la retraite) Dean Milner, Afghan Strategic Evacuation Team, à titre personnel).

[13] Ibid., 2010.

[14] AFGH, Témoignages, 28 février 2022, 1910, (Wendy Long, directrice, Interprètes Afghan-Canadien). 

[15] AFGH, Témoignages, 14 février 2022, 2010, (Major-Général (à la retraire) David Fraser, Afghan Strategic Evacuation Team, à titre personnel).

[16] AFGH, Témoignages, 28 février 2022, 1940 (Corey Shelson, à titre personnel).

[17] Journalistes pour les droits de l’homme, soumission au Comité spécial sur l’Afghanistan, mai 2022

[18] The White House, Statement by President Joe Biden, 30 août 2021. 

19 Aviation royale, Operation PITTING – The Moving Story, 6 Septembre 2021

20 Gouvernement du Canada, Briefing Technique : l’opération AEGIS– 26 août 2021,  31 août 2021.