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NDDN Rapport du Comité

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La modernisation du recrutement et du maintien des effectifs dans les Forces armées canadiennes

Introduction

Les Forces armées canadiennes (FAC) sont arrivées à un moment charnière : elles sont appelées à en faire de plus en plus même si elles comptent de moins en moins de membres. Dans un environnement marqué par l’évolution du contexte international de sécurité, des exigences importantes en matière de capacité et une demande croissante en déploiements au pays, il est essentiel de s’assurer que les FAC disposent du personnel nécessaire pour protéger la défense et la sécurité du Canada. Les FAC font cependant face à des défis considérables en matière de recrutement et de maintien des effectifs — dont certains sont devenus persistants — et à des pénuries critiques de personnel.

Conscient du fait que l’efficacité opérationnelle des FAC dépend des gens qui choisissent « le service et le sacrifice » et que ces personnes sont de plus en plus appelées à remplir un large éventail de fonctions cruciales, le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes a entrepris une étude sur le recrutement et le maintien des effectifs dans les FAC. Du 4 au 27 avril 2022, il a tenu quatre réunions sur le sujet, au cours desquelles il a entendu 16 témoins.

Le présent rapport résume les commentaires des témoins et fournit des renseignements provenant d’autres sources. La première section porte sur les niveaux actuels de personnel et les cibles des FAC en matière de diversité, et la deuxième traite des façons dont le changement de culture aux FAC, qui va en s’accélérant, pourrait aider à améliorer le recrutement et le maintien des effectifs. Les troisième et quatrième sections concernent respectivement la réforme du recrutement et le besoin de garantir le maintien des effectifs des FAC. La dernière section présente les conclusions du Comité.

Niveaux de personnel et cibles

Chaque année, les FAC doivent attirer, sélectionner et former des milliers de recrues, et garder en poste un nombre important de membres. Ces activités sont nécessaires au maintien de l’état de préparation opérationnelle des FAC, qui doivent rester prêtes à protéger le Canada et l’Amérique du Nord, tout en contribuant à la sécurité internationale. Selon la politique de défense du Canada intitulée Protection, Sécurité, Engagement (PSE) et publiée en 2017, les FAC « augmenteront l’effectif de la Force régulière de 3 500 personnes (pour un total de 71 500 militaires) et celui de la Force de réserve de 1 500 personnes (pour un total de 30 000 militaires), et le ministère de la Défense nationale embauchera 1 150 civils pour appuyer les opérations militaires dans des domaines tels que le renseignement et l’approvisionnement ». La date cible pour atteindre le chiffre de 101 500 membres de la Force régulière et de la Force de réserve a été fixée au 31 mars 2026.

Le Rapport sur les résultats ministériels 2020–2021 du ministère de la Défense nationale (MDN) et des FAC indique que 93 % des 71 500 postes ciblés de la Force régulière et 79,8 % des 30 000 postes ciblés de la Force de réserve des FAC étaient dotés, ce qui correspondait à un manque d’effectifs d’environ 12 000 personnes pour la Force régulière et la Force de réserve (en 2020‑2021, les effectifs réels de la Force régulière et de la Force de réserve s’établissaient à 65 554 et 23 935 membres respectivement). Selon le rapport, 50,5 % des groupes professionnels affichaient un manque d’effectifs critique, bien plus que la cible de moins de 5 %, mais il convient de noter que la pandémie de COVID‑19 a perturbé les processus de rapport habituels. Les répercussions de la pandémie de COVID‑19 sur les opérations des FAC, y compris en matière de recrutement et de maintien des effectifs, ont déjà fait l’objet d’une étude du Comité en 2021.

La politique PSE établit par ailleurs des cibles sur la diversité que les FAC doivent atteindre d’ici le 31 mars 2026. Le tableau 1 indique les taux actuels et visés dans les FAC sur le plan de la diversité, c’est‑à‑dire, les pourcentages de femmes, d’Autochtones ainsi que de membres des communautés noires ou d’autres communautés racialisées.

Tableau 1 : La diversité dans les Forces armées canadiennes

Groupes ciblés

Cible à atteindre d’ici le 31 mars 2026

ésultats enregistrés en 2020–2021

Femmes

25,1 %

16,3 %

Autochtones

3,5 %

2,8 %

Communautés noires et autres communautés racialisées

11,8 %

9,5 %

Note :     Dans le tableau 1, le terme « communautés noires et autres communautés racialisées » désigne les groupes que les documents du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes nomment les « minorités visibles ».

Source : Tableau produit à l’aide de données obtenues du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, Rapport sur les résultats ministériels 2020–2021, 1er février 2022.

Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s, a indiqué que, au 22 février 2022, « les FAC comptaient 7 600 membres de moins que leur effectif minimal autorisé. Cependant, les déséquilibres du système de formation accroissent en réalité ce nombre à 10 000 membres du personnel opérationnel. Autrement dit, les Forces canadiennes [fonctionnaient alors] avec seulement 85 % de l’effectif requis pour ses mandats et ses rôles actuels. » Christian Leuprecht a prévenu que ces manques d’effectifs auront des conséquences qui se feront sentir pendant des années et qu’ils posent « un grave risque d’échec, car les Forces armées canadiennes ne sont pas prêtes à faire face à la demande croissante de services et à la complexité des missions ».

Un changement de culture qui s’accélère

Des témoins ont dit au Comité que les FAC, en tant qu’institution nationale, doivent recruter et maintenir en poste des personnes représentatives de la société canadienne, tout en assurant un milieu de travail sûr et inclusif. Ils ont également affirmé que l’amélioration de l’image publique des FAC, ternie par des rapports répétés faisant état d’inconduite sexuelle, de harcèlement et d’intolérance dans tous les rangs — y compris parmi les hauts dirigeants — passe obligatoirement par un profond changement de culture. Pour ces témoins, la culture qui domine dans les FAC entraîne des difficultés systémiques en matière de recrutement et de maintien des effectifs, que ce soit pour l’organisation en général ou pour les membres des groupes sous‑représentés.

Grazia Scoppio, professeure au Collège militaire royal du Canada, a fait valoir que, en dépit de nombreuses enquêtes menées ces dernières années concernant des comportements inappropriés et dommageables dans les FAC, on n’a souvent pas tenu compte des recommandations, « ou bien on les a reconnues, mais on les a mal appliquées, ou bien encore leur application n’a pas fait l’objet d’un suivi et on n’en connaît pas les résultats. C’est ainsi que les problèmes sont devenus endémiques. » Gregory Lick, ombudsman de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, a affirmé que ces problèmes avaient provoqué « une crise de confiance au sein des forces armées ». Dans la même veine, Andrea Lane, scientifique de la défense au Centre de la recherche opérationnelle et de l’analyse de Recherche et développement de la défense Canada, a observé que « les Forces armées canadiennes manquent désespérément de personnel. Les scandales d’inconduite sexuelle ont ébranlé la confiance des Canadiens envers leurs militaires et la confiance des militaires envers leur leadership. »

Des témoins ont prévenu que la résistance des FAC au changement est perçue de plus en plus comme un obstacle au recrutement et au maintien des effectifs. Paxton Mayer, — doctorante en affaires internationales à l’École d’affaires internationales Norman Paterson de l’Université Carleton — a abordé cette question : « Au cours des deux dernières années, l’intolérance, le harcèlement et les abus constatés au sein des FAC à l’égard des femmes, des minorités visibles et de la communauté LGBTQ+ ont régulièrement fait l’objet de mentions dans les médias et ont donc éclaté au grand jour. Cela a certainement nui aux aspects recrutement et maintien en poste. » Madeleine Nicole Maillette a dit que l’environnement de travail dans les FAC était « toxique » et « hostile », et qu’elle avait reçu « près de 200 signalements de comportements hostiles ». Pour sa part, June Winger, présidente nationale de l’Union des employés de la Défense nationale, a attiré l’attention sur le fait que les comportements dommageables et inappropriés sont répandus parmi le personnel civil du MDN : « Un harcèlement systémique est enraciné au sein du MDN. »

La lieutenante‑générale Frances J. Allen, vice‑chef d’état‑major de la défense, a déclaré que les FAC ont « travaillé dur pour transformer notre culture institutionnelle, pour faire en sorte que tous ceux qui portent l’uniforme disposent d’un lieu de travail où ils se sentent psychologiquement en sécurité, valorisés, capables d’être authentiques et de contribuer au mieux de leurs capacités ». La lieutenante‑générale Jennie Carignan, chef de la Conduite professionnelle et de la culture, a parlé de quelques‑uns des secteurs sur lesquels les FAC concentrent leurs efforts afin de favoriser le changement de culture :

Nos programmes contribuent à une initiative que nous appelons Respect dans les FAC. Il s’agit de sensibiliser davantage les participants à la nature de l’inconduite sexuelle, à la façon dont elle survient, à la façon de mieux la gérer. Nous avons également entrepris d’offrir divers types de formation et proposé une formation pour favoriser un environnement plus inclusif afin que ces inconduites deviennent moins graves ou moins fréquentes.

Des témoins ont convenu de la nécessité d’offrir plus de formation au personnel des FAC, mais ils ont estimé que la formation n’est pas fournie correctement. Grazia Scoppio a affirmé que « les activités de formation et d’éducation liées à la diversité, à l’équité et à l’inclusion sont insuffisantes, incohérentes et non coordonnées ». Grazia Scoppio a insisté sur l’idée que la direction des FAC doit mettre davantage l’accent sur la reddition de comptes : « En fin de compte, si des changements sociaux et culturels doivent se produire dans l’ensemble des FAC, et si on veut rétablir la confiance du Canada en ses forces armées, des mesures rapides s’imposent, depuis le recrutement jusqu’à l’attraction et à la rétention. Ces mesures doivent faire l’objet d’un suivi, les résultats doivent être mesurés et les dirigeants, dûment tenus d’en rendre compte. »

Christian Leuprecht a affirmé que le changement de culture au sein des FAC exigera, à long terme, « des politiques qui peuvent être mises en œuvre et appliquées concrètement, et qui sont élaborées en consultation avec les parties concernées et les experts, au lieu de partir d’en haut ». Paxton Mayer, pour sa part, a souligné que « les dirigeants, y compris civils, doivent assumer la responsabilité et forcer le changement [...] À ce sujet, je recommanderais un processus d’évaluation du rendement à 360 degrés, dans le cadre duquel tout superviseur obtient de l’information de ses subordonnés, de ses collègues superviseurs et des échelons supérieurs de la hiérarchie. » Paxton Mayer a aussi estimé que les FAC devraient élaborer des politiques pour exclure les membres du personnel qui créent un milieu de travail non sécuritaire, et a posé la question suivante : « [C]omment les Canadiens peuvent‑ils compter sur les FAC pour assurer la sécurité des Canadiens et de leurs alliés si les FAC ne peuvent même pas assurer la sécurité de leurs membres, même dans les zones non conflictuelles? »

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada prenne des mesures déterminantes afin de transformer la culture institutionnelle des Forces armées canadiennes, et ainsi d’assurer un milieu de travail inclusif, sûr et respectueux à tous les membres du personnel des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale. À cette fin, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes devraient élaborer des actions mesurables conçues pour amener les dirigeants responsables de la mise en œuvre d’un changement de culture durable. En consultation avec des experts externes, ils devraient établir des indicateurs de rendement— y compris un processus d’évaluation du rendement à 360 degrés — à l’intention des dirigeants.

Réforme du recrutement

Sur la question de la nécessité de réformer l’approche de recrutement que doivent suivre les FAC pour aider à l’atteinte des cibles en matière de dotation et de diversité, les témoins ont mis l’accent sur quatre domaines : la sensibilisation, le processus de recrutement, le principe de l’universalité du service et les critères d’admissibilité.

Adapter les efforts de sensibilisation

Du point de vue des FAC, la première étape du processus de recrutement consiste à se présenter comme un employeur de choix auprès des candidats intéressés. Les témoins ont dit que différentes raisons incitent les gens à se joindre aux FAC, mais ils ont aussi rappelé que l’incapacité des FAC à s’adapter aux tendances démographiques nuit au recrutement d’un large éventail de personnes qualifiées.

Selon les témoins, les FAC devraient s’efforcer de mieux faire connaître leur travail important et la vaste gamme de possibilités qu’elles offrent aux Canadiens. La lieutenante-générale (à la retraite) Christine Whitecross a parlé de cette question :

[L]’institution [des FAC] regroupe en son sein de bonnes personnes qui font un travail extrêmement important et utile, pas seulement ici au Canada, mais dans le monde entier. Malheureusement, très peu de gens sont au courant. Je pense qu’il est très important de mieux communiquer avec les Canadiens afin qu’ils aient une meilleure idée de ce que font les militaires [...]

La lieutenante‑générale Frances J. Allen a dit que le public ne connaît pas bien les groupes professionnels des FAC, dont il y a plus d’une centaine :

D’après moi, les Canadiens ne se rendent pas toujours compte qu’être dans les forces, ce n’est pas une seule chose. Il existe tellement d’emplois et de possibilités! On peut devenir ingénieur, pilote, etc. Il y a toute une panoplie de possibilités. Il faut souligner ce qui est disponible pour la population, afin que ceux qui aiment piloter un avion puissent le faire dans les forces plutôt qu’avec Air Canada ou WestJet et pour permettre la réalisation de leurs espoirs dans les forces plutôt que dans les emplois civils.

Alan Okros, professeur au Collège militaire royal du Canada, a observé que « de nombreuses personnes qui présentent une demande d’enrôlement ont une compréhension très limitée de ce qu’est réellement l’armée ou de ce qu’elle fait ». Sur le même sujet, Paxton Mayer a dit ce qui suit : « Sur son site Web sur les carrières et le processus de demande, les FAC s’attendent à ce qu’un diplômé universitaire, voire un médecin, soumette sa candidature sans connaître les exigences, les avantages salariaux de l’emploi ou le processus de recrutement et l’échéancier [...] Il serait utile d’y afficher plus de renseignements sur chaque emploi. »

Alan Okros a maintenu que, dans leurs efforts de recrutement, les FAC ne peuvent plus se permettre d’ignorer la diversité de la population canadienne. Il a attiré l’attention sur « la diminution de la proportion d’hommes blancs hétérosexuels dans le bassin de recrutement traditionnel des FAC » et a jugé que la « bataille pour les talents exige que les FAC élargissent le bassin de candidats ». Christian Leuprecht a dit pour sa part que « [l]’essentiel est de veiller à ce [que l’organisme] représente bien la société qu’il sert, particulièrement les groupes sous‑représentés ».

La brigadière‑générale Krista Brodie, commandante du Groupe de la Génération du personnel militaire, a déclaré que les FAC accordent la priorité « à l’étude des dossiers des femmes et des dossiers d’équité en matière d’emploi » et qu’elles intègrent « plus de diversité dans [leurs] équipes de recrutement de première ligne ». Grazia Scoppio a fait valoir que, en dépit de ces efforts, « le visage des recruteurs n’est pas nécessairement le visage de tous les Canadiens. Il n’y a pas suffisamment de diversité dans le groupe des recruteurs. Leur formation laisse à désirer en ce qui concerne l’accueil de la diversité, les préjugés inconscients et ainsi de suite. Il n’y a pas assez de programmes adaptés à des groupes particuliers. » La lieutenante générale (à la retraite) Christine Whitecross a abondé dans le même sens : « Il est important que le personnel des centres de recrutement soit le reflet de la société canadienne. »

Andrea Lane a constaté une « coupure » entre les « endroits où l’on vit au Canada — surtout pour les jeunes, les Blancs, les néo‑Canadiens et les travailleurs du domaine des technologies » et l’emplacement des installations militaires. Selon l’opinion exprimée par Andrea Lane, établir un plus grand nombre d’installations des FAC dans les grandes villes permettrait non seulement d’accroître « le recrutement auprès des minorités ethniques et des néo‑Canadiens », mais pourrait aussi « changer radicalement la façon dont les conjoints peuvent s’accommoder de la vie militaire ».

Des témoins ont maintenu qu’il faudrait en faire plus pour s’assurer que les campagnes de publicité joignent les publics ciblés et transmettent le message voulu. Alan Okros a estimé que, pour rejoindre des communautés diverses, « [i]l faut des communications très ciblées, personnalisées et spécialisées pour s’assurer que les recrues s’enrôlent en connaissance de cause, mais aussi que leurs familles et leur entourage comprennent leur décision et les aident à faire le bon choix ». Youri Cormier, directeur général de la Conférence des associations de la défense, a fait remarquer que la « promotion d’une forme différente du travail militaire est justement l’une des façons de convaincre un plus grand nombre de gens ayant des personnalités et des traits divers à se joindre aux Forces canadiennes. Vendre l’idée qu’un soldat est quelqu’un qui se met à quatre pattes dans la bouette ne convaincra pas les experts de cybersécurité, de logistique et de tous les autres éléments qui font en sorte qu’une armée fonctionne bien. »

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada accroisse ses efforts afin de promouvoir une plus grande diversité dans les Forces armées canadiennes. Ces efforts devraient comprendre la création de stratégies de sensibilisation et d’engagement conçues pour attirer des membres des groupes sous‑représentés, stratégies auxquelles il faudra consacrer des ressources adéquates et qui devront être mises en œuvre particulièrement dans les centres urbains et les collectivités autochtones et du Nord situées en région rurale ou éloignée.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada prenne des mesures pour accroître la sensibilisation du public au sujet de l’éventail de possibilités d’emploi qu’offrent les Forces armées canadiennes. Dans le cadre de ces efforts, il faudrait s’assurer que l’information sur chaque emploi, sur la rémunération et les avantages sociaux et sur les délais d’inscription soit claire et accessible.

Simplifier le processus de recrutement

D’après les témoins, le recrutement dans les FAC est un processus complexe et multidimensionnel qui comprend plusieurs étapes, par exemple, remplir une demande, faire évaluer diverses compétences et aptitudes, subir un examen médical, remplir des formulaires d’autorisation de sécurité et assister à une entrevue. Ils ont tout particulièrement parlé de la longueur de différentes étapes et des délais entre les étapes; pour les candidats aux FAC, le processus est beaucoup trop long.

Gregory Lick a indiqué que les plaintes concernant les délais de recrutement dans les FAC font partie des plaintes les plus souvent reçues par le Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. Paxton Mayer a soutenu que le processus de recrutement des FAC « est extrêmement inefficace et manque de transparence » et signalé qu’il dure en moyenne environ 200 jours, ce qui « dissuade les candidats potentiels, même s’ils n’ont pas été dissuadés par les autres lacunes des FAC ». Compte tenu des retards dans le recrutement, Christian Leuprecht s’est demandé comment les FAC pouvaient concurrencer le secteur privé : « Même si des candidats veulent présenter leur candidature, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils ne puissent pas payer leur loyer pendant 200 jours. Ils vont accepter un autre emploi dès qu’on leur en proposera un. » John Cowan, recteur émérite au Collège militaire royal du Canada, s’est dit d’accord, ajoutant qu’« il ne fait aucun doute que les délais de traitement pour le recrutement sont si longs que nombre des meilleurs candidats se découragent, abandonnent et se trouvent un autre travail. En fait, les délais peuvent écarter les plus compétents, ces derniers étant ceux qui ont le plus d’options. »

Des témoins ont souligné que les étapes de l’autorisation de sécurité et de l’examen médical, qui font partie du processus de recrutement des FAC, ralentissent l’enrôlement dans des délais raisonnables. Dans le mémoire qu’il a présenté au Comité, John Cowan a qualifié d’« outranciers » les temps d’exécution de ces étapes, et il a estimé que plus de ressources devraient y être consacrées afin d’accélérer le processus de recrutement[1].

Dans le même ordre d’idées, des témoins ont indiqué que, même après l’enrôlement dans les FAC, il peut y avoir des retards dans la prestation de divers types de formation. La lieutenante‑générale (à la retraite) Christine Whitecross s’est exprimée sur le sujet :

Il y a le portail, si je peux l’appeler ainsi, entre l’inscription au centre de recrutement où vous prêtez serment d’allégeance, et l’entraînement de base suivi de votre [...] formation d’officier. Cela peut prendre du temps [...] Pour être un membre pleinement qualifié des Forces armées canadiennes, il y a des étapes à franchir, et parfois ces étapes ne sont tout simplement pas alignées.[2]

John Cowan a parlé d’un « décalage entre le recrutement et la formation » et a expliqué que des « études ont montré que c’est au cours de leurs 24 premiers mois de service que de nombreuses recrues décident si elles quitteront les Forces armées canadiennes ou si elles y feront carrière. Il est certain que les longues périodes démoralisantes à travailler beaucoup sans avoir d’objectif pendant ces deux années cruciales inciteront les recrues à ne pas faire carrière dans les FAC[3]. »

Invités à s’exprimer sur les leçons que le Canada pourrait tirer des bonnes pratiques de recrutement adoptées par ses alliés, les témoins ont dit que les FAC pourraient en faire plus pour encourager les affectations au Groupe de recrutement des Forces canadiennes. Parlant de la situation aux États‑Unis, Grazia Scoppio a fait valoir que « le fait d’être dans une unité de recrutement n’est pas une condamnation à mort pour une carrière » dans ce pays. Des témoins ont jugé que ce devrait être la même chose au Canada. John Cowan a estimé que des incitatifs au choix d’un poste en recrutement, comme d’« attribuer des notes plus élevées pour la promotion », pourrait jouer un rôle dans les efforts visant à « valoriser le service militaire dans le groupe de recrutement ».

Recommandation 4

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes prennent des mesures concrètes pour réduire les délais à chaque étape du processus de recrutement dans les Forces armées canadiennes. En outre, le gouvernement du Canada devrait accroître le financement consacré au Groupe de recrutement des Forces canadiennes et veiller à ce que le fait de remplir des fonctions de recrutement dans les Forces armées canadiennes ne nuise pas à l’avancement de la carrière.

Examiner le principe de l’universalité du service

Devant l’évolution constante du contexte moderne de sécurité, les FAC adaptent leurs capacités et leurs exigences en compétences professionnelles. De plus, elles s’appuient de plus en plus sur les technologies numériques et les technologies de l’information pour remplir ses missions et son mandat. Comme l’a expliqué la lieutenante-générale (à la retraite) Christine Whitecross, « [l]es batailles d’aujourd’hui ne sont pas celles d’il y a 30 ans [...] [S]i les batailles sont différentes, alors les gens qu’il faut pour y figurer doivent être différents aussi. »

Les témoins ont préconisé une réévaluation du principe de « l’universalité du service », qu’Alan Okros a défini comme un principe exigeant que « tous les militaires soient en mesure de respecter une série de normes principalement physiques qui leur permettent de se déployer dans un vaste éventail d’environnements et de s’acquitter de toute une gamme de tâches. Il s’agit d’un ensemble commun de normes qui s’applique à tous ceux qui portent l’uniforme. »

La lieutenante‑générale Frances J. Allen a aussi parlé de ce principe. Elle a dit que « l’universalité du service correspond vraiment à ce que nous croyons être les exigences cognitives et physiques minimales pour accomplir l’éventail des tâches dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un membre des FAC soit appelé à accomplir au cours de sa carrière militaire ». La majore‑générale Lise Bourgon, chef du personnel militaire par intérim, a déclaré que les FAC examinent présentement l’application du principe de l’universalité du service, et que les exigences de base seront maintenues. La majore‑générale Lise Bourgon a également dit ce qui suit à ce sujet :

[L]a réalité, c’est que tous les membres des FAC doivent être déployables et pouvoir accomplir [...] une vaste gamme de tâches en tant que soldats, peu importe leur profession. Ces normes opérationnelles minimales garantiront notre efficacité opérationnelle et nous permettront de disposer d’une force capable de fournir rapidement un soutien en cas d’urgence partout au Canada et dans le cadre d’opérations internationales [...] Au total, environ 22 de ces tâches ont été jugées essentielles pour le travail de base des soldats [...] Ces tâches comprennent la mise en place d’un abri temporaire, l’exécution de tâches de sentinelle, l’administration des premiers soins et de la RCR, ainsi que l’entretien et l’utilisation d’une arme militaire.

Les témoins se sont généralement entendus sur la nécessité d’imposer des critères de base sur l’aptitude physique pour certaines professions, comme celles qui exigent le maniement d’armes de combat, mais ils se sont interrogés sur le bien‑fondé de ces critères dans tous les cas, compte tenu surtout des pénuries de personnel observées dans les métiers très techniques. Youri Cormier a remarqué que « quelqu’un au Commandement des Forces d’opération spéciales et quelqu’un à la logistique n’a pas nécessairement besoin des mêmes compétences ». De même, Christian Leuprecht a dit que les technologies de l’information représentent « un défi très particulier, parce que nous avons maintenant un cybercommerce du côté militaire, mais nous n’avons pas de cybercommerce équivalent du côté civil. Le [MDN] cherche d’autres solutions, mais nous avons besoin de ce côté civil, car il nous permettra d’attirer des personnes qualifiées qui ne veulent pas nécessairement se joindre à l’armée. » Alan Okros a estimé qu’« il serait utile de revoir l’universalité du service et son application. Cela peut, à l’occasion, être un obstacle à l’enrôlement, et peut aussi inciter des militaires à quitter l’armée, malgré les compétences et l’expérience très précieuses qu’ils y ont acquises. »

Des témoins ont jugé qu’il faudrait mieux comprendre la mesure dans laquelle certaines exigences influent sur l’accès à diverses professions et sur le recrutement, car il s’agit de questions complexes. Andrea Lane a souligné que, pour « savoir quels éléments de la tradition militaire sont nécessaires et lesquels ne sont que traditionnels en quelque sorte, il faut des recherches assez honnêtes », et que « pour que la recherche soit objective et traite les militaires avec équité, il faut être prêt à découvrir des choses que les défenseurs et les chercheurs ne veulent pas nécessairement découvrir ».

De l’avis de Christian Leuprecht, l’organisme des FAC a « la capacité d’accueillir des personnes qui veulent s’y joindre, mais qui, par exemple, n’ont pas la condition physique, les aptitudes mathématiques requises, ou autre. Malheureusement, il n’a pas pu accorder suffisamment d’attention et de ressources à ces personnes, parce qu’il devait attirer tout le monde qu’il pouvait vers le côté opérationnel. »

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada, dans le cadre de son examen du principe de l’universalité du service dans les Forces armées canadiennes, explore différentes options pouvant permettre l’engagement de personnes qui ne répondent pas aux critères de base.

Assouplir les critères d’admissibilité

Sauf quelques exceptions, les membres du personnel des FAC doivent avoir la citoyenneté canadienne. Des témoins ont indiqué que l’assouplissement de cette vieille exigence pourrait inciter des membres de groupes sous‑représentés à se joindre aux FAC. Stephen Saideman, titulaire de la chaire de recherche Paterson en affaires internationales à l’École d’affaires internationales Norman Paterson de l’Université Carleton, a abordé cette question : « Nous pouvons à tout le moins réduire les obstacles auxquels se heurtent les immigrants qui vivent déjà ici, car nous avons besoin de leurs compétences, de leurs perspectives multiples et de leur énergie. Comme les populations des bassins habituels de recrues sont en déclin, nous devons faire preuve d’imagination et de détermination. » Grazia Scoppio a souligné que « nous ne recrutons pas de gens qui n’ont pas la citoyenneté, de sorte que nous limitons en partant notre bassin de candidats ».

Selon, Stephen Saideman, le service militaire représente une voie vers la citoyenneté dans certains pays :

Les États-Unis offrent ainsi depuis longtemps la citoyenneté à des gens d’ailleurs, qui finissent par devenir des citoyens américains. Ce ne serait pas facile, mais cela aiderait à créer un bassin de recrues plus vaste, plus riche et plus diversifié. Il se trouvera des opposants pour résister et dire que les habilitations de sécurité sont un obstacle, mais c’est un processus que les États-Unis ont réussi à perfectionner.

Comme l’a exprimé Christian Leuprecht, « [tant qu’une telle approche] ne compromet pas la capacité d’obtenir les cotes de sécurité nécessaires et d’évaluer correctement la résilience des personnes qui se joignent à nous, je serais certainement en faveur d’accorder rapidement la citoyenneté canadienne aux gens qui se montrent fidèles à notre pays en servant dans nos forces armées ». Youri Cormier a convenu que le fait d’ouvrir « le recrutement aux immigrants reçus [...] accélérerait le processus d’obtention de la citoyenneté canadienne » et aiderait à accroître la cohorte issue du recrutement traditionnel.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada examine les avantages et les inconvénients de l’assouplissement des critères d’admissibilité afin de permettre aux gens qui n’ont pas la citoyenneté mais qui obtiennent les autorisations de sécurité appropriées de se joindre aux Forces armées canadiennes.

Assurer le maintien des effectifs

La formation des recrues des FAC prend beaucoup de temps et coûte cher. Lorsque du personnel formé part, les FAC perdent des compétences, de l’expérience et une part du savoir institutionnel. La capacité opérationnelle des FAC est ainsi réduite. Le taux d’attrition dans les FAC, qui s’établit à 7 % environ, est généralement plus faible que dans la plupart des pays alliés du Canada, mais il n’en reste pas moins que la capacité de maintenir les effectifs revêt une importance cruciale.

Des témoins ont parlé des réalités uniques de la pratique du « métier des armes ». Comme elle peut exiger de nombreuses formations dans des lieux éloignés, des réinstallations et des déploiements fréquents, des heures de travail atypiques et un niveau élevé de risque, une carrière dans les FAC a des conséquences réelles sur l’équilibre travail‑vie privée. Selon différents témoins, bon nombre des politiques des FAC ne tiennent pas compte des réalités de la vie moderne, et des changements s’imposent pour que les membres des FAC puissent profiter de plus de souplesse tout au long de leur carrière.

Sur la question du maintien des effectifs dans les FAC, les témoins ont proposé au Comité diverses mesures afin d’améliorer les soutiens aux familles, l’accès à un logement abordable, la mobilité de carrière ainsi que la collecte et la communication des données, et de réduire les retards dans le traitement des griefs.

Mettre à jour les soutiens aux familles

En reconnaissance de leurs contributions et de leurs sacrifices, les FAC présentent les familles de militaires comme « la force conjointe ». Des témoins ont cependant indiqué que les stratégies actuelles de soutien des familles ne répondent pas entièrement aux exigences propres à une carrière dans l’armée. Selon Andrea Lane, « [l]es avantages d’être militaire ne l’emportent plus sur la perte d’autonomie et la tension familiale grave qu’elle peut créer ». Alan Okros a fait valoir que, « en soutenant la famille, [on aide] la personne en uniforme à faire son travail ».

Andrea Lane a mis en lumière le besoin de mettre à jour les politiques des FAC pour qu’elles prennent en considération les nouvelles réalités économiques de la société canadienne : « Au cours des décennies précédentes, les Canadiens qui se sont enrôlés ont accepté une perte d’autonomie au profit d’une carrière susceptible de subvenir aux besoins de toute une famille avec un seul revenu. » Youri Cormier a noté pour sa part que les « familles à deux revenus sont devenues la norme, et l’armée ne peut plus utiliser un modèle de dotation qui s’applique aux familles où l’un des parents reste à la maison ». À son avis, « les FAC ont vraiment eu du mal à s’adapter à cette nouvelle normalité ».

Alan Okros a souligné que, pour les FAC, les « exigences liées aux opérations et aux déploiements, à la participation à des stages hors de la base et aux déménagements un peu partout au pays sont importantes ». Comme Paxton Mayer l’a expliqué, « [q]uand un des conjoints doit déménager dans un endroit éloigné pour son travail, il devient pratiquement impossible pour l’autre de trouver un emploi, et encore moins d’avoir une certaine indépendance professionnelle. De plus, les enfants des membres des FAC trouvent difficile de changer constamment d’école et de se faire de nouveaux amis. »

Des témoins ont également attiré l’attention sur les difficultés d’accéder à des ressources en santé après une réinstallation. Gregory Lick a parlé de situations où des familles de militaires sont incapables de trouver un médecin de famille; il a dit s’inquiéter notamment pour les « familles avec des enfants ayant des besoins spéciaux ou des familles avec des handicaps. Lorsqu’elles sont déplacées d’une base à une autre, dans bien des cas, elles se retrouvent au bas de la liste d’attente. C’est inadmissible. » D’autres pays montrent cependant comment les familles de militaires peuvent avoir accès aux soins de santé. Alan Okros a dit que, « dans le système américain, les familles peuvent faire appel à leur régime de santé militaire pour certains services. Les Australiens offrent des services d’aiguillage de sorte que quand le militaire est affecté à un autre État du pays, sa famille n’a pas à se débrouiller toute seule ou à se retrouver sur une longue liste d’attente pour avoir accès à un médecin de famille. »

Alan Okros s’est aussi dit préoccupé de la disponibilité des services de garde d’enfants, « surtout après les heures de travail et les fins de semaine ». En effet, « lorsqu’on est en déploiement, il n’y a pas moyen d’inscrire ses enfants dans une garderie conventionnelle avec un horaire normal ». La majore-générale Lise Bourgon a observé que près de la moitié des militaires ont des enfants ou des personnes à charge, et que l’accès aux services de garde est une priorité pour le personnel des FAC. La majore-générale Lise Bourgon a aussi indiqué que, grâce à l’initiative « Canada sans faille », les FAC essaient « de travailler avec les provinces pour augmenter la capacité [des services de garde] sur nos bases ».

La majore-générale Lise Bourgon a ajouté que l’initiative « Canada sans faille » permet également de voir comment la collaboration entre les FAC, les provinces et les territoires pourrait bénéficier aux familles sur le plan des possibilités d’emploi du conjoint, de l’éducation des enfants et des soins de santé.

Consciente du fait que la situation de chaque famille de militaire est unique, Andrea Lane a affirmé que « toutes les politiques favorables à la famille pourraient aussi être ″favorables à la personne″ [...] Tous les Canadiens et tous les membres des FAC vivent des situations où ils pourraient profiter d’un peu de souplesse institutionnelle. »

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada collabore avec ses partenaires provinciaux et territoriaux afin de fournir du soutien en matière de garde d’enfants, de soins de santé, d’éducation et d’emploi qui répond aux besoins propres aux membres des Forces armées canadiennes et à leurs familles.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada explore la possibilité de limiter la réinstallation des membres des Forces armées canadiennes ayant une famille lorsque c’est possible sur le plan opérationnel.

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada améliore l’accessibilité des services en français aux membres des Forces armées canadiennes et à leur famille, peu importe leur situation géographique. Que les Forces armées canadiennes offrent une communication dans les deux langues officielles à leurs membres.

Donner accès au logement abordable

Outre les affectations qui obligent les familles de militaires à déménager dans différents endroits du Canada et d’ailleurs dans le monde, la forte hausse des coûts du logement constitue, selon les témoins, un obstacle pour le personnel des FAC. Gregory Lick a dit que les politiques désuètes telles que celle sur l’indemnité différentielle de vie chère ne tiennent pas compte des réalités économiques actuelles. Il a parlé « de familles et de militaires qui ont de la difficulté à payer leur logement » et qui contactent le Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes.

Dans la même veine, Madeleine Nicole Maillette a affirmé que la modernisation de l’indemnité différentielle de vie chère aiderait les membres des FAC financièrement, peu importe leur grade. Andrea Lane a mis en lumière l’impact, pour le personnel des FAC, des disparités observées d’une région à l’autre concernant le coût de la vie :

Le problème avec l’indemnité différentielle de vie chère, c’est que le taux de base est pour Ottawa [...] J’ai entendu parler de réticences à accepter une affectation au quartier général et à d’autres établissements à Ottawa, car si l’on déménage de Wainwright, de Petawawa ou d’Oromocto, par exemple, l’argent tiré de la vente de sa maison est loin d’être suffisant pour en acheter une à Ottawa [...] [C]ette disparité entraîne un nombre extraordinaire de griefs au sein de l’armée. C’est donc une question de rétention et de moral.

Tout en soulignant que l’« accès à la propriété attirerait certainement de jeunes Canadiens vers le service » dans les FAC, Youri Cormier a estimé que la construction de maisons à proximité des bases des FAC ferait augmenter les dépenses en défense et, par conséquent, aiderait le Canada à s’approcher de la cible de 2 % du produit intérieur brut à consacrer à la défense, établie par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada ajuste immédiatement l’indemnité différentielle de vie chère afin de tenir compte des réalités économiques actuelles, y compris les coûts du logement. De plus, le gouvernement devrait examiner régulièrement cette indemnité différentielle afin de s’assurer que les membres des Forces armées canadiennes ne soient pas pénalisés financièrement à la suite d’une affectation.

Accroître la mobilité de carrière

Dans l’environnement opérationnel moderne, les FAC et le secteur privé cherchent des gens possédant des compétences hautement techniques. Des témoins ont expliqué que, puisque les FAC et certaines industries ont besoin de travailleurs aux compétences similaires, il est plus difficile pour les FAC d’attirer et de garder en poste des personnes hautement qualifiées. Comme l’a fait valoir la lieutenante-générale Frances J. Allen, il existe une « concurrence intense du secteur privé pour attirer les meilleurs éléments, les plus brillants ».

Des témoins ont dit que la mobilité de carrière était un élément important du maintien des effectifs dans les FAC, et ils ont préconisé l’établissement de politiques plus souples à cet égard. Youri Cormier a indiqué que les FAC devraient envisager d’adapter leurs pratiques traditionnelles de formation professionnelle et d’embauche aux compétences exigées de nos jours :

[N]ous devrions encourager les membres des FAC à acquérir de l’expérience dans le secteur privé. Ce parcours professionnel plus fluide leur permettrait de développer un mode de pensée plus original et de se familiariser avec les technologies de pointe. C’est justement le genre de cheminement de carrière qui intéresse les jeunes d’aujourd’hui. Le marché du travail est très concurrentiel, c’est une course aux talents. Pour soutenir la concurrence, les FAC doivent rechercher des professionnels qui sont à mi‑carrière ou en fin de carrière et les intégrer directement au grade de major ou de colonel.

La lieutenante-générale Frances J. Allen a observé que les FAC ont « souvent envisagé des stages dans un milieu plus spécialisé ou en cybernétique. Les stagiaires reviendraient ensuite dans les forces. » De l’avis de la lieutenante-générale Frances J. Allen, les initiatives du genre pourraient permettre « de mieux prendre conscience des moyens de tirer parti des domaines communs aux forces et à l’industrie ».

Tout en était conscient que l’acquisition de compétences spécialisées passe par l’apprentissage et le perfectionnement continus, John Cowan s’est dit d’avis que les FAC devraient veiller à ce que leurs membres soient en mesure de trouver du travail dans le secteur privé lorsque leur service militaire prend fin. John Cowan a aussi maintenu « qu’il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer que, lorsque les gens se qualifient pour un métier particulier au sein des forces armées, cette qualification représente bien la certification qui est requise pour exercer le même métier dans un contexte civil ».

Youri Cormier a attiré l’attention sur les « énormes obstacles à la mobilité interprovinciale des militaires » et soutenu que les membres des FAC font face à des difficultés inutiles lorsqu’ils déménagent dans une autre province ou un autre territoire, notamment en ce qui concerne l’emploi du conjoint. La lieutenante-générale Frances J. Allen a mentionné à ce sujet l’initiative « Canada sans faille » et a estimé que, « pour peu que nous puissions obtenir le soutien provincial et fédéral aux familles et aux militaires pour la reconnaissance des qualifications des conjoints dans toutes les administrations, [les initiatives de ce genre] contribueront à faciliter le respect des exigences du mode de vie militaire ».

Les témoins ont convenu que les transferts entre la Force régulière et la Force de réserve jouent un rôle important dans le maintien des effectifs au sein des FAC. La lieutenante-générale Frances J. Allen a noté que les « réservistes viennent travailler à temps partiel dans les FAC, mais ils apportent avec eux toutes les compétences et tous les talents qu’ils ont dans leur vie et leur travail de civils ». John Cowan a toutefois jugé que les transferts entre la Force régulière et la Force de réserve sont « terriblement lents », et qu’une « proportion importante des départs » est probablement attribuable à cette situation[4]. Youri Cormier a exprimé un point de vue semblable : « Les FAC doivent faciliter la transition entre les Forces de réserve et les Forces régulières. Un point de départ consisterait à centraliser la base de données sur les [ressources humaines] et le système de paie [...] Cela simplifierait également les formalités administratives au moment de [la] réintégration. »

Recommandation 11

Que le gouvernement du Canada prenne des mesures pour établir des modalités souples favorisant la mobilité de carrière dans les Forces armées canadiennes. À cette fin, le gouvernement fédéral devrait collaborer avec les provinces et les territoires afin d’éliminer les obstacles interprovinciaux/interterritoriaux à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Il devrait également s’assurer que les transitions entre la Force régulière et la Force de réserve se fassent aisément, avec le moins de formalités administratives possible. Enfin, le gouvernement devrait faciliter la formation de partenariats entre les Forces armées canadiennes et le secteur privé afin de créer des possibilités de perfectionnement professionnel et d’aider au transfert des connaissances.

Recommandation 12

Que le gouvernement du Canada veille à ce que le salaire et les avantages sociaux des membres du personnel du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes soient concurrentiels avec ceux du secteur privé.

Améliorer la collecte et la communication des données

Les témoins ont mis en relief la nécessité d’améliorer la collecte des données afin de permettre une meilleure compréhension des problèmes qui nuisent au maintien des effectifs dans les FAC. Grazia Scoppio a dit qu’on « ne fait pas d’entrevues de départ, ou si peu », avec les militaires qui quittent les FAC. Paxton Mayer, qui a fait le même constat, a estimé que les sondages ou les entrevues de départ devraient être « obligatoires dans la mesure du possible » et qu’ils devraient servir à poser des questions permettant de savoir dans quelle mesure la personne qui part s’est sentie appuyée par les FAC. Alan Okros a souligné qu’une meilleure collecte des données pourrait aider à en savoir plus sur le traitement des membres des groupes sous‑représentés dans les FAC :

[L]’attention ne doit plus se porter sur le nombre de personnes qui quittent les FAC, mais sur les personnes qui les quittent. De graves problèmes se posent lorsqu’il s’agit davantage de femmes, de personnes issues de la diversité ou de milieux culturels différents, surtout lorsqu’elles le font parce qu’elles ne peuvent pas atteindre leur plein potentiel. Le fait de savoir qui est promu et qui est freiné dans sa carrière est un facteur important.

Des témoins ont déploré que les FAC ne fournissent pas les renseignements demandés dans le cadre de recherches externes. Grazia Scoppio a fait savoir que des chercheurs du Collège militaire royal du Canada qui avaient demandé de « consulter les entrevues de départ des cadets ayant quitté les rangs » s’en sont vu refuser l’accès. Madeleine Nicole Maillette a fait remarquer que, dans certains cas, les exigences en matière d’autorisation de sécurité peuvent empêcher les chercheurs d’accéder à l’information souhaitée.

Recommandation 13

Que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes améliorent la collecte de données non regroupées concernant les personnes qui quittent les Forces armées canadiennes. Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes devraient particulièrement veiller à ce que les entrevues de départ soient obligatoires, et que celles‑ci comprennent des questions sur les circonstances du départ, l’avancement professionnel et l’environnement de travail. Enfin, les données demandées par des chercheurs externes devraient être rendues disponibles, dans le respect des exigences relatives à la confidentialité et à la sécurité.

Recommandation 14

Que le gouvernement du Canada mène une étude et fasse rapport sur les inégalités de traitement envers les francophones au sein des Forces armées canadiennes et évalue les effets de ce phénomène sur le maintien des effectifs et le recrutement.

Réduire les retards dans le traitement des griefs

Dans le cadre de ses activités, le Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes veille à ce que le personnel des FAC et du MDN obtienne un traitement équitable, et peut enquêter sur des questions relatives à son bien‑être. Des témoins ont indiqué que l’Ombudsman, souvent considéré comme étant la solution de « dernier recours », reçoit généralement chaque année 14 000 appels, qui portent de plus en plus souvent sur les retards dans le processus de règlement des griefs des FAC.

Selon Madeleine Nicole Maillette, le processus de règlement des griefs des FAC est « inadéquat » et ne permet pas de prendre des décisions de manière équitable et opportune. Gregory Lick a ajouté que les membres des FAC se butent parfois « à des délais importants dans le processus de grief. Pour certains, ces délais peuvent entraîner des difficultés financières, du stress physique et émotif, des relations brisées, ou pire encore. » Robyn Hynes, directrice générale des Opérations au Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, a indiqué que, en date du 6 avril 2022, plus de 1 200 dossiers de grief étaient en attente d’une décision; quelques centaines d’entre eux attendaient une décision depuis un à quatre ans, et quelques dizaines étaient toujours en suspens après quatre à neuf ans. À ce sujet, Gregory Lick a dit ce qui suit : « Les problèmes sous‑jacents dans le système des griefs sont intimidants, mais ne rien faire pour s’y attaquer ne ferait qu’éroder davantage la confiance des militaires. »

Recommandation 15

Que le gouvernement du Canada consacre des ressources stables et à long terme à la réduction des retards observés dans le processus de traitement des griefs des Forces armées canadiennes. Par ailleurs, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes devraient se pencher sur les causes de ces retards et procéder aux changements nécessaires pour assurer la prise de décisions dans un délai convenable à l’avenir.

Recommandation 16

Que le gouvernement du Canada rende l’ombudsman de la Défense nationale réellement indépendant et que celui-ci relève du Parlement plutôt que du ministre de la Défense nationale.

Conclusion

L’étude du Comité a touché un certain nombre de domaines d’action. Les suggestions présentées par les témoins ont été très diversifiées, mais le Comité croit qu’elles reflètent toutes une conviction commune exprimée en quelques mots par Christian Leuprecht : les « membres [des FAC] constituent la capacité la plus importante et la plus sous-estimée des Forces canadiennes. Ils méritent d’être traités pour ce qu’ils sont ». Le Comité partage cet avis. Les stratégies de recrutement et de maintien des effectifs devraient collectivement donner aux FAC les capacités voulues pour remplir le nombre croissant de fonctions qui exigent des ressources. Les FAC sont toutefois aux prises avec d’importants manques de personnel, et l’état de préparation opérationnelle est à risque. Bon nombre des politiques des FAC qui visent à attirer, à sélectionner, à former et à garder en poste le personnel sont désuètes et même, à certains égards, contre‑productives.

Le contexte de défense et de sécurité a changé, et les attentes des Canadiens à l’égard du respect de la diversité et de l’inclusion dans leurs institutions nationales, de même que leurs préoccupations concernant la culture dans les FAC — et le traitement des militaires — se sont accrues. Le Comité est d’avis qu’il est urgent d’accélérer le changement de culture dans les FAC et de renouveler la confiance dans l’armée canadienne.

Le Comité a conscience que les FAC ne reflètent pas la diversité de la société canadienne. C’est pourquoi elles doivent s’efforcer d’attirer davantage de recrues provenant d’un plus large éventail de groupes démographiques, et ces efforts doivent être réfléchis et ciblés. Par ailleurs, le processus de recrutement ne devrait pas empêcher des personnes qualifiées de se joindre aux FAC. Il est clair, pour le Comité, qu’il faut moderniser le processus de recrutement actuel et consacrer des ressources supplémentaires à la résolution des problèmes constatés.

Il est important de s’assurer que les membres des FAC reçoivent le soutien nécessaire dans leur vie professionnelle et leur vie privée. En fait, c’est crucial pour le moral — et donc le maintien — des effectifs. Selon le Comité, les efforts de maintien des effectifs des FAC passent obligatoirement par des investissements dans les programmes qui soutiennent les familles et qui permettent une plus grande souplesse tout au long de la carrière militaire.

S’il fallait exprimer en quelques mots le message principal des témoins, ce serait que les FAC ont besoin d’une modernisation. Le Comité est convaincu que les problèmes observés dans les trois domaines que sont la culture, le recrutement et le maintien des effectifs sont reliés. De ce point de vue, il est impératif que les FAC adaptent leurs politiques et leurs pratiques dans ces domaines. Ainsi, l’armée canadienne pourra assurer sa pertinence, sa résilience et sa capacité à relever les défis auxquels notre pays fait face aujourd’hui dans les secteurs de la défense et de la sécurité.


[1]              John Scott Cowan, « Mémoire au Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes », 25 avril 2022.

[2]              Ibid.

[3]              Ibid.

[4]              John Scott Cowan, « Mémoire au Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes », 25 avril 2022.