La Chambre reprend l'étude de la motion.
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Madame la Présidente, je dois prendre la parole ce matin en remplacement de mon extraordinaire collègue le député de . Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à notre super porte-parole en matière d'affaires étrangères, qui est aussi le vice-président du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. D'ailleurs, si je m'exprime aujourd'hui, c'est parce que mon collègue a eu la gentillesse de m'inviter à partager des tours de parole et à poser des questions à des témoins lors de certaines rencontres du Comité lorsqu'il réalisait l'étude qui a mené au rapport dont nous débattons aujourd'hui. Je le remercie. Cela a énormément alimenté ma réflexion.
Je vais m'exprimer essentiellement en faisant référence à l'opinion complémentaire du Bloc québécois dans le cadre de l'étude sur les droits sexuels et reproductifs dans le monde qui a été menée par le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
Cette dernière, longtemps attendue, a mis en lumière le travail très important qu'il reste à fournir pour que le Canada passe de la parole aux actes en ce qui regarde sa politique étrangère féministe.
Comme on le dit au Québec, il faut que les bottines suivent les babines. Durant cette étude, que nous attendions depuis longtemps, il y a eu beaucoup d'obstruction. Mon collègue de Montarville m'en avait parlé et j'ai pu constater, lorsque j'ai participé aux séances, qu'il y avait une certaine obstruction de la part des conservateurs.
Cela dit, je vais d'abord rappeler certains éléments soulevés par des témoins concernant la redevabilité de ce gouvernement en matière de politique féministe. Je parlerai plus précisément de certaines régions du monde. Ensuite, je souhaite parler de la laïcité, un thème qui est important et cher au Québec.
Premièrement, il était étonnant d'entendre de la part des témoins que près de 7 années après son annonce, la politique étrangère féministe du Canada n'est toujours pas définie par l'intermédiaire d'un document qui expose en détail les principes, les objectifs et les lignes directrices de sa mise en œuvre. Ce qui peut potentiellement expliquer pourquoi le partage des résultats en la matière semble difficile pour Affaires mondiales Canada. D'un côté, nous avons donc AMC qui annonce pendant l'étude que « le Canada réalise des progrès notables en ce qui concerne le respect de ses engagements actuels ». De l'autre côté nous avons la vérificatrice générale qui affirme que la politique d'aide internationale féministe du Canada comporte des engagements décrivant la façon de dépenser les fonds, « sans aucun objectif lié aux améliorations précises apportées aux circonstances des personnes bénéficiant des fonds ».
J'ai d'ailleurs eu une discussion avec ma collègue de à propos de ce rapport de la vérificatrice générale.
Il y a donc une réflexion à avoir sur l'élaboration de la politique internationale féministe par Affaires mondiales, des objectifs aux résultats, et de la manière dont l'argent du contribuable québécois et canadiens sert effectivement à faire progresser les droits des femmes et l'égalités des genres à travers le monde.
On avait donc cette réflexion sérieuse à faire. Maintenant, j'aimerais parler un peu plus précisément de certaines problématiques dans les régions du monde. Parlons d'abord de l'Afrique.
Deuxièmement, l'Afrique est un espace où la question des droits sexuels fait l'objet de vifs débats, nous avons pu le constater en entendant plusieurs témoins qui ont discuté des différences culturelles, et de la nécessité pour le Canada de travailler dans cette région du monde. Une statistique résume la problématique reliée à la question des droits reproductifs: la région de l'Afrique subsaharienne comptait pour quelque 70 % des décès maternels en 2020. Le Canada se doit de supporter les pays qui cherchent à avancer en matière de droit à l'avortement et en termes d'accès à des soins de santé de qualité - la COVID‑19 ayant imposé, dans certains pays, des difficultés supplémentaires d'accès aux soins de santé, notamment en ce qui concerne la distance.
Rappelons que ces propos ont été tenus en comité, notamment par les représentants d'Affaires mondiales Canada, mais rappelons qu'il y a eu aussi eu ce rapport de la vérificatrice générale sur l'aide internationale pour appuyer l'égalité des genres. Il y a aussi les représentants de l'UNICEF qui sont venus s'exprimer en comité, et il y a eu le mémoire du Partenariat canadien pour la santé des femmes et des enfants. Nous avons entendu beaucoup de témoins. Tous semblaient souligner la nécessité de tendre vers une meilleure redevabilité.
Alors que le développement d'un « plan africain » par le gouvernement est en cours, il est déterminant que le développement international, la question de l'égalité des genres, l'accès aux services de santé, soient des piliers de cette stratégie.
Aussi, alors que des membres du comité ont dénoncé, pendant les séances du comité, certaines lois de certains pays allant l'encontre des droits fondamentaux des personnes au regard de leur sexualité [...] Mme Théroux‑Séguin, du Centre d'étude et de coopération internationale, lors de son témoignage, espérait que le Canada puisse soutenir les dispositifs législatifs, et qu'il favorise les recommandations visant l'amélioration de la santé sexuelle et reproductive. Nous souhaitons ainsi que le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de déclaration, ou dans des forums internationaux, prenne l’initiative de saluer le développement de projets permettant un plus grand accès à l’avortement et aux services de santé reproductive dans le monde. Bien qu'il soit hors de question de s’ingérer dans les processus de politiques nationales d’autres pays, le Canada doit tout de même se montrer vocal et proposer son aide aux pays qui en font la demande pour permettre le développement de services essentiels en matière de soins de santé reproductive.
Troisièmement, le financement est un enjeu central, et plusieurs témoins, dont Oxfam‑Québec, Oxfam‑Canada, Action Canada, ont [tous] évoqué leur inquiétude concernant l’engagement du gouvernement à consacrer 700 millions de dollars par année pour appuyer la santé et les droits sexuels et reproductifs, en particulier, sur quatre aspects négligés : la planification familiale et la contraception; les services d’avortement sécuritaires et légaux et les soins après l’avortement; l’éducation complète en matière de sexualité; et les activités de promotion en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs.
Je tiens d'ailleurs à souligner que des témoins sont venus nous expliquer des choses assez troublantes. Dans les pays où on a des lois plus musclées contre l'avortement, il n'y a pas moins d'avortements. Il y a plutôt moins d'avortements sécuritaires, et donc plus de morts. Plusieurs témoins ont fait valoir que la plupart des décès maternels sont pourtant évitables. J'en profite pour glisser ici un autre extrait du rapport:
Selon le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies,
[l]a santé sexuelle et procréative des femmes est liée à de nombreux droits fondamentaux, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture, le droit à la santé, le droit au respect de la vie privée, le droit à l'éducation et l'interdiction de la discrimination. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ont l'un et l'autre bien précisé que le droit des femmes à la santé comprenait le droit à la santé sexuelle et procréative.
Il y a des accords politiques internationaux qui viennent renforcer cette position.
En 1995, la Déclaration et le Programme d'action de Beijing [dont on a beaucoup parlé] sont venus renforcer [...] et confirmer [...] que les droits des femmes sont des droits de la personne.
C'est quand même fou de se dire que ce n'est qu'en 1995 qu'on a dit que les droits des femmes étaient des droits de la personne. Cela ne fait quand même pas si longtemps. Plus loin dans le rapport, on parle de « l'Initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, qui a été lancée en 2010 ». On voit donc que plusieurs accords internationaux viennent renforcer cette position de demander au Canada d'en faire plus. Pour en revenir aux quatre enjeux négligés, voici ce qui est dit dans le rapport:
Ces quatre enjeux ont bénéficié de 104 millions de dollars par rapport au financement total de 489 millions sur cette même année.
Si le rapport du comité recommande avec justesse le besoin pour le gouvernement de respecter son engagement d'investir au moins 700 millions de dollars pour la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes à l'échelle mondiale d'ici la fin de l'exercice 2023‑2024, nous demandons que le gouvernement augmente sensiblement son financement dans les quatre sujets négligés.
Au Caucus de la coopération mondiale, nous nous le faisons rappeler constamment. Ces quatre enjeux négligés reviennent. Les organismes de coopération internationale viennent nous interpeller, et les représentants des différents partis politiques entendent tous la même chose. Il faut vraiment garder en tête qu'on nous le répète régulièrement.
Ce maintien du droit à un avortement sécuritaire, tout comme la prévention et le traitement du VIH‑sida et des infections transmises sexuellement, est un enjeu médical et socio-économique important. C'est préoccupant. On se le fait aussi rappeler régulièrement par les organismes qui sont en coopération sur le terrain. Les cas de VIH‑sida sont à la hausse dans des endroits en Afrique, et les femmes sont encore une fois touchées de façon disproportionnée. Comme je l'ai dit, il y a aussi les infections transmises sexuellement. On peut mettre dans cette catégorie le VPH, soit le virus du papillome humain, qui peut être évité grâce à la vaccination. On nous a rappelé les objectifs de l'Organisation mondiale de la santé relativement à la vaccination, parce que c'est quand même une infection qui mène à un cas de cancer, mais qui est justement évitable grâce au vaccin. Le Canada est toutefois en train de manquer sa cible. Il y a énormément à faire sur ces préoccupations.
Cette semaine, j'ai participé à un déjeuner-rencontre où on a mentionné que les cas de VIH‑sida dans les communautés autochtones étaient à la hausse ici même au pays. C'est extrêmement préoccupant. Le Canada est même en train de reculer par rapport aux autres pays du G7. Le Canada est le seul pays où voit une hausse des cas, notamment en raison de cette hausse dans les communautés autochtones.
« Quatrièmement, nous avons pu entendre le témoignage poignant de la députée ukrainienne, Mme Lesia Vasylenko, qui a évoqué les tactiques des violences sexuelles comme arme de guerre par l'armée russe. »
J'ai eu l'occasion de rencontrer cette députée pour la première fois en octobre 2022 lors d'une assemblée générale de l'Union interparlementaire qui a eu lieu à Kigali, au Rwanda. Nous avons eu l'occasion d'échanger.
Il est extrêmement troublant de constater à quel point c'est une « barbarie sans nom qui doit aboutir par la criminalisation des coupables ». C'est le message qu'elle souhaitait nous transmettre. Elle était en tournée et elle est aussi venue ici, au Parlement, pour nous interpeller. Mon collègue le député de a aussi rencontré des députées ukrainiennes qui sont venues lui décrire l'horreur qui se passe en ce moment dans cette zone de conflit.
Ce comité a déjà recommandé au gouvernement, dans son rapport sur la situation en Ukraine, qu'il « travaille avec l'Ukraine et d'autres partenaires internationaux pour intenter des poursuites contre les principaux responsables du crime d'agression commis par la Russie contre l'Ukraine en soutenant la création d'un tribunal spécial pour le crime d'agression contre l'Ukraine, ou d'un autre mécanisme semblable ». Dans la quête de justice, les violences sexuelles ne pourront pas être ignorées au moment de condamner la Russie. Et malheureusement, ces situations sont fréquentes puisque comme l'indique le Partenariat canadien pour la santé des enfants et des femmes, « les femmes et les filles continuent de subir de plein fouet les conséquences des déplacements forcés, en particulier dans les zones de conflit où elles sont confrontées à des niveaux élevés de violence sexuelle.
Ainsi, nous nous attendons à ce que dans le prochain plan d'action national sur les femmes, la paix et la sécurité, le gouvernement du Canada augmente son financement alloué aux programmes permettant aux filles et femmes, victimes de violences sexuelles dans les zones de conflit, d'obtenir la justice qu'elles méritent.
L'objectif est qu'elles soient plus utilisées comme des armes de guerre dans ces zones de conflit qui, on le voit, se multiplient en ce moment. Malheureusement, les femmes en paient le prix.
J'aimerais revenir sur une question que le Bloc québécois soulève depuis ce matin dans le cadre de ce débat, à savoir la question du religieux, qui est liée à cette question des droits sexuels et reproductifs. Des témoins sont venus nous parler en comité de l'opposition religieuse à cette question de l'avortement par principe et par conviction religieuse qui nuit à la santé des femmes. Ce n'est pas normal qu'on puisse se servir de la religion pour que des femmes en meurent ou pour nuire à leur santé. Je vais même encore plus loin. On ne devrait pas se servir de la religion pour tenir des propos haineux. C'est une occasion de rappeler l'importance de la laïcité.
Je pourrais parler de la situation des femmes en Iran, qui est liée à cette question de la laïcité. Le Bloc québécois a été le premier à déposer une motion suite à la mort de Mahsa Amini, qui a été tuée parce qu'elle ne portait pas son voile convenablement. C'est absurde que, aujourd'hui encore, en 2024, des femmes meurent parce qu'elles ne portent pas un bout de tissu convenablement. Nous continuerons d'appuyer les femmes iraniennes dans leur combat pour la laïcité. En Afghanistan, c'est la même chose. Le régime taliban fait reculer les droits des femmes. Dans le cadre de mes rencontres de l'Union interparlementaire, j'ai eu l'occasion d'échanger avec des députés afghans.
Je reviens de nouveau sur cette assemblée générale d'octobre 2022. J'y ai rencontré des députés, mais seulement des députés hommes. On m'expliquait que les femmes n'avaient pas réussi à avoir le droit de sortir du pays. Elles n'avaient pas réussi à avoir le bon accompagnateur qui leur aurait permis de venir à cette assemblée générale de l'Union interparlementaire pour s'exprimer comme députée femme. C'est un enjeu crucial, parce que cette assemblée générale avait pour objectif de déterminer comment on pouvait avoir des parlements plus représentatifs, donc plus démocratiques. On a besoin d'entendre le point de vue de ces femmes. Elles ont le droit d'être dans la sphère publique, ce qui n'est pas le cas en ce moment. Elles sont recluses et il y a un recul des droits qu'elles avaient acquis en Afghanistan. C'est extrêmement troublant.
J'en profite donc pour rappeler l'importance du projet de loi du Bloc québécois qui vise à mettre fin à l'exception religieuse. Ottawa doit vraiment agir pour contrer les propos haineux qui sont en hausse, particulièrement depuis le début de la guerre au Moyen‑Orient. Cependant, ce que l'on voit en ce moment, c'est que le Code criminel canadien protège toujours les personnes qui fomentent volontairement la haine lorsque leurs propos sont exprimés de bonne foi et fondés sur un texte religieux auquel ils croient.
La fin de cette exception religieuse dans le Code criminel, exception qui met d'ailleurs aussi à mal la neutralité religieuse de l'État, semble donc cruciale pour la sécurité. Ici même, en ce moment, cela crée des tensions et des conflits. C'est d'ailleurs dans cet objectif que le Bloc québécois a déposé le projet de loi . C'est pour colmater cette brèche complaisante dans le Code criminel qui autorise les discours haineux lorsqu'ils sont finalement fondés sur la religion. Malheureusement, le contenu de ce projet de loi ne semble pas être souhaité par le gouvernement, ce que nous avons du mal à nous expliquer de la part d'un gouvernement qui se dit féministe. Le fait de séparer le religieux de l'État permet finalement de donner aussi des pouvoirs aux femmes. C'est vraiment ce que nous avons constaté lors de l'étude en comité: les témoins qui sont venus nous dire que l'avortement était mal étaient des gens qui se cachaient derrière des convictions et des motifs religieux. Pourtant, je rappelle que des femmes meurent encore aujourd'hui dans les pays où elles ne peuvent pas avoir accès à un avortement sain et sécuritaire.
En conclusion, il est nécessaire plus que jamais que le Canada fasse une mise à jour de sa politique étrangère féministe et qu'on réponde aux interrogations et aux inquiétudes de la vérificatrice générale. La COVID‑19, la multiplication des conflits et les catastrophes naturelles causées par les changements climatiques sont tous des facteurs qui réécrivent l'ordre du monde et les priorités de l'heure. En tant que pays du G7, le Canada doit assumer son rang et passer de la parole aux actes. Les bottines doivent suivre les babines. Nous avons le devoir d'aider les femmes et les filles dans toutes ces zones partout au monde où elles sont victimes d'actes sexuels absolument ignobles et où leurs droits reculent. Nous avons notre part d'efforts à fournir. C'est ce qu'on nous demande au niveau international.
Les grands organismes de coopération internationale nous rappellent nos obligations en tant que pays membre du G7. Il y a des députées sur le terrain qui s'inquiètent. Pas plus tard qu'il y a quelques jours, des députées de l'Ukraine sont venues nous rappeler l'avancée grâce aux technologies, mais également nous parler de leurs inquiétudes. Elles ont besoin qu'on les accompagne pour qu'elles puissent continuer à faire partie de la vie démocratique de leur pays. C'est la même chose pour toutes les femmes en situation de conflit ou de guerre. Il faut les aider pour qu'elles puissent reprendre leurs droits en tant que femmes, pour qu'elles puissent avoir accès à des soins de santé sexuelle et reproductive sécuritaires et pour qu'elles puissent jouer pleinement leur rôle dans la société. On ne doit pas les maintenir dans cette situation où finalement, tout ce que l'on voit, c'est un recul de leurs droits. Sur ce, je nous invite à agir et je serai prête à répondre aux questions de mes collègues.
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Monsieur le Président, je veux féliciter ma collègue de Shefford pour un autre brillant discours.
Je ne peux faire autrement que de me montrer extrêmement surpris et déçu de la question de ma collègue de , qui semble remettre en question l'importance que le Bloc québécois accorde à ce droit inaliénable, selon nous, de l'accès aux services de santé et de la totale indépendance dans les décisions qui concernent leur corps. Je trouve ça presque indécent, surtout dans le contexte où les néo-démocrates eux-mêmes sont venus saboter les procédures de la Chambre quant à la journée de l'opposition.
Je veux surtout reparler de l'aspect de la laïcité que ma collègue de Shefford a abordé dans son discours. Je suis très préoccupé par le rejet, par la Chambre hier, de la motion que j'ai tenté de déposer pour reconnaître l'importance d'abroger l'exception religieuse du Code criminel qui permet à des gens, sous couvert de conviction religieuse, de proférer des propos extrêmement violents, des appels au meurtre et des appels à l'annihilation de populations entières.
Je vois aussi une montée du masculinisme, une montée de la droite et une pseudo-tendance à revenir à des valeurs dites traditionnelles, des valeurs qui déséquilibrent ce principe selon lequel les hommes et les femmes sont absolument égaux. Cela m'inquiète énormément et cela fait, je crois, reculer aussi le droit des femmes.
J'aimerais que ma collègue, qui siège au Comité permanent de la condition féminine et qui est préoccupée par ces enjeux, nous parle des préoccupations des femmes en général quant au recul potentiel de leurs droits et de leurs acquis, qui sont le fruit de décennies de combat du mouvement féministe au Québec et au Canada.
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Monsieur le Président, je commencerai par dire qu'il s'agit d'un débat important et productif. Il est essentiel, face au recul que nous constatons non seulement au sud de la frontière, mais aussi au Canada, que nous débattions à la Chambre de la question du droit fondamental des femmes de choisir. Il s'agit d'un élément essentiel pour l'égalité des sexes, la santé publique et la dignité humaine.
L'accès aux soins liés à l'avortement fait partie des soins de santé ici, au Canada, et dans le monde entier. C'est une discussion au sujet des droits. Il ne s'agit pas de principes abstraits. Il s'agit de ce que vivent les femmes et les personnes de diverses identités de genre, de même que des droits concrets de ces personnes dans notre pays. Le Canada a fait figure de chef de file en affirmant que l'avortement est un droit fondamental. En 1988, l'arrêt de la Cour suprême a invalidé les lois restrictives sur l'avortement en les déclarant inconstitutionnelles.
Les conservateurs aiment parler de liberté. Ils agitent des drapeaux de la liberté, mais quand il s'agit du droit des femmes de disposer de leur propre corps, pour une raison quelconque, cette liberté est remise en question. La majorité des députés conservateurs sont anti‑choix. Le tiers d'entre eux font ouvertement campagne pour une loi contre la liberté de choix et sont appuyés par des organisations anti-choix. Cependant, si nous regardons comment ils ont voté dans le passé, nous voyons que la grande majorité d'entre eux sont anti-choix. Selon la Coalition pour le droit à l'avortement au Canada, la totalité des députés conservateurs sont anti‑choix, étant donné la façon dont ils ont voté récemment en faveur de mesures législatives détournées.
Le projet de loi s'apparente beaucoup aux projets de loi que des représentants républicains élus aux États‑Unis ont utilisés pour torpiller l'arrêt Roe c. Wade. Nous observons les mêmes tactiques au Canada. Bien sûr, le affirme que son parti promet de n'appuyer aucun projet de loi qui interdirait l'avortement, en dépit du fait qu'il a voté cinq fois en faveur d'un projet de loi qui restreindrait la liberté de choisir ou en faveur de projets de loi anti‑choix, tels que le projet de loi C‑311. Cependant, nous savons qu'il a l'intention de réduire les soins de santé, les services et le financement dont bénéficient les entités internationales qui défendent les droits génésiques, comme le gouvernement Harper l'a fait quand le chef conservateur était ministre dans ce gouvernement.
Le discours anti‑choix est en train de s'enraciner plus fortement ici, au Canada. Il prend de l'ampleur à la Chambre par le biais des députés conservateurs. Il est mis en évidence par des députés tels que celui de , qui est allé, en dehors de la Chambre des communes, à des ralliements anti-choix et a promis à ses concitoyens, aux partisans du Parti conservateur, de lutter pour mettre fin au droit des femmes de choisir et pour restreindre la liberté de choisir et les soins de santé pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre dans tout le pays. Il n'est pas le seul député conservateur à agir ainsi.
Le député de s'est rendu aux États‑Unis à la demande d'une église pro‑vie et anti-choix qui a payé son voyage pour qu'il vienne y parler de sa position sur l'abolition du droit des femmes au libre choix. Il est terrifiant de constater que des députés conservateurs vont aux États‑Unis pour apprendre de nouvelles tactiques et pour collaborer et organiser des activités avec des militants anti-choix là‑bas, et qu'ils ramènent un tel courant de pensée au Canada. Voilà qui me fait peur et qui, je crois, terrifie toutes les femmes du pays.
Je veux aussi mentionner le député de . Non seulement il s'est exprimé contre la liberté de choix des femmes, mais il a aussi passé 18 heures à faire obstruction à ce rapport parce qu'il ne voulait pas parler du droit fondamental des femmes, au Canada et partout dans le monde, à l'accès à l'avortement.
Il s'ensuit que les conservateurs veulent supprimer le financement lié aux droits génésiques. Les soins liés à l'avortement sont des soins de santé. Que ce soit pour une jambe cassée, une chirurgie cardiaque ou un avortement, les Canadiens ont besoin d'un accès aux soins de santé, à des soins de santé de qualité partout au pays. Les conservateurs ont montré dans le passé qu'ils sont portés à réduire ces services et ces soins.
Malheureusement, les libéraux ont l'habitude de manquer à leur obligation de faire respecter la Loi canadienne sur la santé. J'en ai déjà parlé à la Chambre. Il y a une vingtaine d'années, je discutais avec une amie au Nouveau-Brunswick. Nous étions à l'époque en onzième année et nous discutions des nombreuses heures de route qu'elle devrait faire pour aller à Montréal si elle voulait subir un avortement. Je suis bouleversée à l'idée que tant de femmes au Canada soient confrontées à cette terrible réalité lorsqu'elles n'ont pas accès aux soins dont elles ont besoin.
Jamais je n'aurais imaginé que, deux décennies plus tard, la clinique 554 de Fredericton, au Nouveau-Brunswick, fermerait ses portes, et que le gouvernement libéral n'invoquerait pas les dispositions de la Loi canadienne sur la santé pour garantir l'accès à la santé à toutes les femmes de la Colombie-Britannique et à tous les résidants de notre pays. Notre système de santé garantit à tous les Canadiens l'accès aux services médicalement nécessaires. L'avortement est l'un de ces services, mais la fermeture de cliniques démontre la fragilité de l'accès aux soins.
Je pense aux femmes et aux personnes ayant diverses identités en Alberta, provinces où les conservateurs ont externalisé les services de soins de santé à des établissements privés et religieux qui refusent de fournir des contraceptifs et des services d'avortement aux femmes qui en ont besoin. Ce sont là des obstacles systémiques qui empêchent un accès équitable. Le manque de leadership du gouvernement fédéral pour ce qui est de mettre en application la Loi canadienne sur la santé ne fait que renforcer ces obstacles.
Je voudrais également parler de notre responsabilité à l'échelle internationale. Nous devons faire preuve de leadership lorsqu'il s'agit de donner la priorité à la santé sexuelle et reproductive dans le monde, notamment dans le cadre de notre politique d'aide internationale. Nous nous souvenons des compressions effectuées sous le régime Harper. Le gouvernement Harper a éliminé tout le financement destiné à la santé sexuelle et reproductive dans le monde. Le Canada a la responsabilité d'aider les pays du monde entier à accéder aux soins de santé et aux soins de santé reproductive.
Je trouve pénible d'entendre les députés conservateurs parler des droits de l'enfant à naître ou tenter de faire adopter en douce des textes législatifs prévoyant des peines plus lourdes pour le meurtre d'une femme enceinte ou le préjudice causé à un enfant à naître. Nous avons la preuve que la restriction de l'accès à l'avortement ou du choix des femmes n'empêche pas les avortements; cela signifie simplement qu'il y aura des avortements non sécuritaires.
Lorsque nous restreignons l'accès à l'intégralité des services de santé sexuelle et reproductive, c'est tout le monde qui en souffre. Lorsque nous en garantissons l'accès, nous permettons aux sociétés de prospérer. Investir dans ces services permet de réduire la mortalité maternelle, d'améliorer les perspectives économiques des femmes et de promouvoir l'égalité.
Les parlementaires ont le devoir de protéger et de promouvoir ces droits. Nous ne pouvons pas permettre à une minorité bruyante au Canada, qui influence l'opposition officielle, de saper ces droits. Nous ne pouvons pas permettre à cette minorité de détruire des décennies d'efforts déployés par des organisations féministes et d'autres personnes partout au Canada pour protéger ces droits. Nous devons agir énergiquement. Nous devons veiller à la conformité à la loi, nous devons faire appliquer la Loi canadienne sur la santé, nous devons nous assurer d'éliminer toute forme de frais et fournir un accès équitable aux services d'avortement dans toutes les provinces.
Nous devons investir de façon stratégique et accroître le financement des cliniques et des services dans les régions rurales mal desservies. Nous devons veiller à ce que les sages-femmes, les infirmières praticiennes, les infirmières et les médecins de famille soient disponibles pour les gens quand ils ont besoin de soins de santé génésique.
Nous devons lutter contre la mésinformation, contester les discours anti-choix et veiller à ce que les faits soient présentés à la Chambre. Nous devons mener des campagnes de sensibilisation axées sur les droits. Nous ne devons pas permettre qu'une mesure législative détournée nuise à ces droits. Nous ne devons pas permettre à cette minorité bruyante qui veut miner notre droit de choisir d'influencer les décisions de la Chambre.
L'accès à l'avortement est un enjeu national, mais ce rapport se concentre sur la question mondiale des droits de la personne en matière de santé publique. Partout dans le monde, des millions de femmes subissent des avortements dangereux à cause de lois restrictives, d'un manque de ressources et d'inégalités systémiques. Chaque année, 35 millions d'avortements à risque sont pratiqués dans le monde. C'est une statistique effroyable. Les avortements dangereux entraînent des décès évitables et causent des lésions invalidantes. Le Canada doit être un chef de file mondial dans le soutien des soins de santé sexuelle et génésique.
Il est terrifiant de penser à ce que les conservateurs feraient au droit à l'avortement au Canada s'ils étaient au pouvoir. Il est horrible de penser aux conséquences qu'auraient leurs compressions dans l'aide internationale partout dans le monde et à ce que cela signifierait pour les femmes qui essaient d'avoir accès à des soins génésiques.
Le monde est à la croisée des chemins. Certains pays font progresser le droit à l'avortement, mais d'autres — et je pense même que nous le constatons au sein du caucus conservateur — sont enhardis par les mouvements américains visant à annuler l'arrêt Roe c. Wade. On est en train de faire un retour en arrière. Nous devons continuer à montrer la voie. En restant ferme, le Canada peut continuer à soutenir les efforts mondiaux visant à garantir que chaque femme et chaque personne, y compris toutes les personnes de diverses identités de genre partout dans le monde, ait le droit de prendre des décisions concernant son propre corps.
Nous avons parlé du conservatisme qui s'infiltre sournoisement dans les mesures législatives qui reconnaissent ce droit, du changement de ton et de discours et des modifications aux lois qui pourraient avoir une grande incidence sur le droit au libre choix. J'aimerais m'adresser directement aux jeunes femmes et aux jeunes de diverses identités de genre qui envisagent la possibilité que les conservateurs prennent le pouvoir et minent leurs droits. Leur voix compte en ce moment. Il faut qu'ils se mobilisent pour défendre leur droit de choisir. Il est important que ces discussions aient lieu à la Chambre.
Je suis déçue que le Bloc ait décidé de mettre fin à ce débat. Cela ne m'étonne pas de la part des conservateurs. Toutefois, je sais qu'au sein du Bloc, il y a de fervents partisans du droit des femmes au libre choix. Je suis déçue qu'en ce moment, alors que nous sommes à la croisée des chemins en matière de santé génésique et sexuelle, le Bloc agisse ainsi. Chaque fois que nous avons été saisis d'une telle motion, le Bloc s'y est opposé 36 fois. Je pensais que c'était une question de principe, mais la seule fois qu'ils votent pour étouffer un débat, ils le font sur le droit des femmes au libre choix.
Les néo-démocrates appuieront toujours le droit à l'avortement. Nous ne laisserons pas les politiques et les députés rétrogrades nous faire régresser. Nous lutterons contre la mésinformation et les discours qui visent à miner nos droits fondamentaux.
Nous défendrons les investissements dans les soins de santé. Tous les Canadiens méritent d'avoir accès aux soins de qualité dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. Les services d'avortement font partie des soins de santé.
Ensemble, affirmons le droit de choisir. Il ne s'agit pas d'une tactique procédurale ni d'un moyen de marquer des points politiques; il s'agit de défendre un droit fondamental pour l'égalité des sexes. C'est non négociable. C'est maintenant qu'il faut agir. Je ne veux pas que les députés conservateurs ou bloquistes évitent un vote à ce sujet.
Par conséquent, je propose:
Que cette question soit maintenant mise aux voix.
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Monsieur le Président, je voudrais féliciter ma collègue de Victoria pour son discours et la passion qu’elle a pour le sujet.
Avant de lui poser une question, je veux juste revenir sur le ton qu’elle emploie en accusant le Bloc québécois de se ranger avec les conservateurs sur la question du vote pour revenir à l’ordre du jour. Elle a dit qu’on avait voté 36 fois. En bref, les deux seules fois où nous avons voté pour revenir à l’ordre du jour, c’était pour une question de respect des procédures. Les deux fois, c’est parce que le NPD avait tiré le tapis sous les pieds du Parti conservateur dans sa journée de l’opposition. Il y a une question de principe là-dedans.
Ce rapport est sorti en juin 2023. Si ma collègue souhaitait tant en débattre, je ne vois pas pourquoi les néo-démocrates ont attendu aussi longtemps pour le ramener à l’ordre du jour des travaux. En plus, nos collègues du NPD ont eux aussi une journée de l’opposition cette semaine. Nous avons voté pour revenir à l’ordre du jour parce que nous n’embarquons pas dans ce genre de tactique, même si, côté sujet, j’avoue que nous avons pas mal plus d’affinités avec ce débat qu’avec celui que proposaient les conservateurs dans leur journée de l’opposition. Je pense que c’est un sujet qui est assez important pour qu’on n’en fasse pas de la petite politique, comme ça me semble être le cas. Ça ne ressemble pas à ma collègue de Victoria. Je voulais simplement le souligner.
Maintenant, concernant le sujet comme tel, il y a une question qui me préoccupe. Le Canada contribue financièrement à soutenir des pays en développement.
Ma collègue pense-t-elle que le Canada devrait s’assurer, parce que ce n’est pas tout à fait le cas, que les pays en développement qu’il soutient financièrement devraient avoir des valeurs et devraient accorder à ses citoyennes l’accès à des droits sexuels et reproductifs et à des soins comme l’avortement? Le Canada devrait-il insérer ça comme condition sine qua non à l'octroi de son soutien financier?