La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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4. La Chambre des communes et les députés

Les responsabilités et la conduite des députés

Les députés siègent à la Chambre des communes en qualité de représentants de ceux qui les ont élus. Ils assument de vastes responsabilités dont ils s’acquittent à la Chambre des communes, dans les comités, dans leur circonscription électorale et au sein de leur parti politique respectif. Selon le professeur C.E.S. Franks :

C’est à la Chambre des communes que le député représente sa circonscription. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il passe le plus clair de son temps à la Chambre ni même que le temps qu’il y passe est l’aspect le plus important de son travail. En effet, l’emploi du temps d’un député l’amène à travailler plus souvent qu’autrement à l’extérieur de la Chambre. […] Le député doit se mettre au service des gens, être ouvert aux idées, aux propositions et aux plaintes et savoir en parler, maîtriser l’art de la conciliation, expliquer la politique du parti ou du gouvernement aux citoyens et transmettre leurs commentaires au parti et au gouvernement, obtenir du gouvernement qu’il apporte des solutions aux problèmes des électeurs et scruter la façon dont le gouvernement use ou abuse du pouvoir qu’il exerce au nom des Canadiens [252] .

En plus de participer aux délibérations de la Chambre et des comités, de se faire le porte-parole des électeurs auprès du gouvernement et de défendre leurs intérêts, les députés assument aussi de nombreuses autres responsabilités :

  • Ils agissent comme ombudsmans en fournissant de l’information à leurs électeurs et en les aidant à régler des problèmes;
  • Ils font office de législateurs en proposant leurs propres projets de loi ou en proposant des amendements aux projets de loi émanant du gouvernement ou d’autres députés;
  • Ils acquièrent des connaissances spécialisées dans un ou plusieurs dossiers dont est saisi le Parlement et formulent des recommandations à l’intention du gouvernement;
  • Ils représentent le Parlement du Canada au pays et à l’étranger en participant à des conférences internationales et à des missions officielles.

Une fois élus et assermentés, les députés sont tenus d’observer certaines règles de conduite dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. Bien qu’aucune loi n’impose un code de conduite aux parlementaires fédéraux, il existe dans le Règlement de la Chambre [253] , dans la Loi sur le Parlement du Canada [254] et dans le Code criminel [255]  des dispositions régissant la conduite des députés et les conflits d’intérêts. Le Cabinet du premier ministre a aussi mis en place à l’intention des membres du Conseil des ministres et des secrétaires parlementaires le Code régissant la conduite des titulaires de charges publiques en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat. Certaines de ces dispositions sont examinées ci-après.

Assiduité

Assister aux séances de la Chambre lorsqu’elle siège est l’une des principales responsabilités du député sauf s’il est occupé à d’autres activités et fonctions parlementaires dont les séances des comités, le travail lié à la circonscription ou les échanges parlementaires [256] . Le Président a d’ailleurs toujours rappelé aux députés qu’ils ne doivent pas signaler l’absence d’un autre député car « les députés doivent être à bien des endroits, afin de bien remplir les devoirs de leur charge » [257] .

La Loi sur le Parlement du Canada prévoit qu’une somme soit déduite de l’indemnité de session d’un parlementaire en cas d’absence [258] . Chaque député doit, à la fin de chaque mois et à la fin de chaque session, remettre au Greffier de la Chambre un état signé indiquant le nombre de jours de présence, au cours du mois ou de la session, pour lesquels il a droit à l’indemnité [259] . Aux fins de cet état, sont comptés comme jours de présence chaque jour où le parlementaire était absent pour cause de maladie ou d’ajournement, parce qu’il était en service comme militaire ou en raison d’un « engagement public ou officiel » [260] . Comme il n’existe aucun mécanisme officiel pour vérifier l’assiduité des députés, l’indemnité de session est calculée en fonction de l’état des présences, et une somme est déduite pour chaque absence au-delà de 21 jours [261] .

La Loi sur le Parlement du Canada autorise la Chambre à prendre des règlements pour renforcer les exigences relatives à la présence des députés ou aux déductions à effectuer sur l’indemnité de session [262] , mais la présence des députés à la Chambre est largement motivée par des raisons d’ordre politique plutôt que par la loi ou une quelconque règle de procédure. Par conséquent, il appartient aux whips de veiller à ce qu’il y ait un nombre suffisant de députés à la Chambre pour assurer le bon déroulement du débat et des mises aux voix. Ainsi, les whips des partis contrôlent la présence des députés à la Chambre, aux séances des comités et à d’autres fonctions parlementaires grâce à un tableau de service et à divers autres mécanismes.

Conflits d’intérêts

Dès leur élection, les députés de la Chambre des communes deviennent les dépositaires de la confiance publique. Ils doivent faire preuve d’impartialité et ne tirer de leurs fonctions aucun avantage ou gain personnel. Depuis 25 ans, on a tenté à maintes reprises de définir le conflit d’intérêts et d’édicter des règles relatives au trafic d’influence, aux transactions d’initié et à la recherche d’avantages personnels.

Historique

Le gouvernement fédéral publie, en 1973, un livre vert sur les parlementaires et les conflits d’intérêts [263] , lequel est renvoyé au Comité permanent des privilèges et des élections au cours de la législature suivante [264] . Le rapport du Comité à la Chambre comporte de nombreuses recommandations [265] . En 1978, le gouvernement dépose le projet de loi C-6, Loi concernant l’indépendance du Parlement et les conflits d’intérêts des sénateurs et des députés et modifiant en conséquence certaines autres lois, qui élargit en conséquence la portée du livre vert et intègre certaines des recommandations du Comité [266] . Le projet de loi est renvoyé au Comité permanent des privilèges et élections après l’étape de la deuxième lecture [267] , mais la dissolution du Parlement intervient avant que le Comité n’ait fait rapport à la Chambre.

En 1983, le gouvernement crée le Groupe de travail sur les conflits d’intérêts et le charge d’élaborer un code relatif aux conflits d’intérêts afin de rehausser la confiance du public et préserver l’intégrité du processus politique. En mai 1984, le Groupe de travail dresse la liste de neuf activités susceptibles de créer un conflit d’intérêts et recommande l’adoption d’un code de déontologie assorti de sanctions en proportion avec la gravité du conflit [268] .

En 1985, le Comité permanent de la gestion et des services aux députés reçoit le mandat d’examiner les questions relatives à l’établissement d’un registre des intérêts des députés [269] . Le Comité conclut que rien ne justifie la création d’un tel registre car les lois concernant les conflits d’intérêts déjà en vigueur sont suffisantes [270] .

C’est à la fin de 1987 que paraît le rapport de la Commission Parker sur les conflits d’intérêts chargée d’examiner les allégations de conflit d’intérêts mettant en cause l’honorable Sinclair Stevens. M. le juge Parker formule plusieurs recommandations et notamment l’ajout dans le code de déontologie de l’obligation pour un ministre de déclarer publiquement ses avoirs, ses intérêts et ses activités. En 1988, le gouvernement dépose le projet de loi C-114, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les intérêts privés des parlementaires et les devoirs de leur charge,lequel est renvoyé à un comité législatif après la deuxième lecture [271] , mais la dissolution du Parlement intervient avant que le comité ne puisse déposer son rapport.

Un autre projet de loi sur les conflits d’intérêts (projet de loi C-46, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les intérêts privés des parlementaires et les devoirs de leur charge) est présenté au cours de la deuxième session (avril 1989 – mai 1991) de la 34e législature [272] , mais il n’est jamais adopté. Deux autres projets de loi similaires sont déposés au cours de la troisième session (mai 1991 -septembre 1993) : le projet de loi C-43, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les intérêts privés des parlementaires et les devoirs de leur charge [273] ; et le projet de loi C-116, Loi visant à empêcher toute incompatibilité entre les intérêts privés des titulaires de charge publique et les devoirs de leur charge [274] . Le projet de C-116 franchit l’étape de la deuxième lecture et il est renvoyé au Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes relatif aux conflits d’intérêts le 30 mars 1993 [275] . Le 3 juin 1993, le Comité mixte spécial recommande à la Chambre qu’elle abandonne l’étude du projet de loi [276] . La 34e législature est dissoute peu de temps après.

Tous les projets de loi sur les conflits d’intérêts exigeaient des sénateurs, des députés, de leurs conjoints et de leurs enfants à charge qu’ils fassent une déclaration annuelle de leurs intérêts privés à une commission indépendante de trois personnes. Les projets de loi comportaient aussi des règles interdisant l’utilisation de renseignements confidentiels à des fins personnelles et toute tentative d’influencer d’autres personnes à des fins personnelles; des règles relatives à l’acceptation de cadeaux ou autres avantages et à la conduite pendant l’après-mandat; ainsi que des règles spéciales concernant les activités des ministres en marge de leur mandat. C’est à la Chambre des communes ou au Sénat que revenait la responsabilité d’imposer des sanctions pouvant aller de l’amende à la destitution.

Au cours de la première session (janvier 1994 -février 1996) de la 35e législature, un comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes est chargé d’élaborer un code d’éthique destiné à aider les sénateurs et les députés à concilier leurs responsabilités officielles et leurs intérêts personnels, y compris leurs relations avec les lobbyistes [277] . Le comité, reconstitué au cours de la deuxième session (février 1996 – avril 1997) [278] , dépose à la Chambre le 20 mars 1997 [279]  un rapport dans lequel il recommande que le Sénat et la Chambre des communes adoptent un « code de déontologie » [280] . Au moment de la dissolution de la 35e législature, un mois plus tard, le rapport n’a toujours pas été agréé.

Interdictions

Il existe à l’heure actuelle des dispositions législatives et des directives applicables aux conflits d’intérêts. La Loi sur le Parlement du Canada comporte plusieurs interdictions liées aux conflits d’intérêts. Elle précise notamment que le mandat d’un député est incompatible avec l’acceptation ou l’exercice, au service du gouvernement fédéral, d’une charge, d’une commission ou d’un emploi, sous réserve d’exceptions pour les ministres, les secrétaires parlementaires ou tout membre des Forces armées en service actif en temps de guerre [281] . Quiconque exécute un contrat avec le gouvernement fédéral ou travaille pour un tel entrepreneur est inéligible et ne peut ni siéger ni voter à la Chambre des communes bien qu’un député puisse être actionnaire d’une personne morale liée par contrat avec le gouvernement fédéral, sauf dans le cas d’exécution de travaux publics [282] . Quand un député contrevient à ces dispositions, son siège est déclaré vacant, son élection est déclarée nulle et le député se voit imposer une amende de 200$ pour chaque jour où il continue à siéger ou voter [283] .

Tous les titulaires de charge publique sont assujettis aux dispositions générales du Code criminel sur la corruption, le trafic d’influence et l’abus de confiance [284] . Par exemple, il y a abus de confiance quand un député verse une rémunération à une personne pour un travail qu’elle n’a pas exécuté, lorsqu’il accepte d’embaucher une personne comme employeur ou entrepreneur moyennant contrepartie et lorsqu’il utilise des fonds publics pour des déplacements privés. Quiconque est reconnu coupable de l’une de ces infractions est condamné à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans et est incapable d’être élu, de siéger ou de voter comme membre du Parlement [285] . La Chambre est néanmoins investie du droit de fixer ses propres règles de procédure et notamment de se prononcer sur le droit d’un député de prendre son siège, et cela sans aucune ingérence de la part des tribunaux. Elle peut notamment prononcer la suspension ou l’expulsion des députés. Même quand un député a été reconnu coupable de corruption ou d’une infraction punissable d’une peine d’emprisonnement plus longue que la durée d’une législature, le député ne peut être privé de son droit de siéger sauf par une décision de la Chambre elle-même [286] .

Divers premiers ministres ont mis en place, en plus des interdictions législatives, des directives en matière de conflits d’intérêts applicables aux ministres et aux autres titulaires de charge publique (Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat[287] . Il s’agit d’un code volontaire qui s’applique aux ministres, aux secrétaires d’État, aux secrétaires parlementaires et aux autres titulaires de charge publique, c’est-à-dire les personnes nommées à une charge à plein temps par le gouverneur en conseil. Il stipule que les titulaires de ces charges publiques doivent, dès leur nomination, prendre les mesures nécessaires pour éviter, dans la gestion de leurs affaires privées, toute possibilité de conflit d’intérêts, réel ou perçu [288] . Il leur est interdit de solliciter ou d’accepter de l’argent ou des cadeaux; d’outrepasser leurs fonctions officielles pour venir en aide à des personnes dans leurs rapports avec le gouvernement; d’utiliser à leur propre avantage ou bénéfice des renseignements obtenus dans l’exercice de leurs fonctions officielles; et, à l’expiration de leur mandat, de tirer un avantage indu de la charge publique qu’ils ont occupée. À l’expiration de leur mandat, il est interdit aux ministres, pendant deux ans, et aux autres titulaires de charges publiques, pendant un an, d’exercer certaines activités afin de garantir leur impartialité dans l’exercice de leurs fonctions officielles et pour éviter tout traitement préférentiel à l’expiration de leur mandat. Ces directives sont administrées par un conseiller en éthique, fonctionnaire qui relève directement du premier ministre [289] .

Corruption

La corruption, forme la plus extrême de conflit d’intérêts, est une infraction au Code criminel. La liberté de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires sans crainte d’intimidation ou d’ingérence est l’un des privilèges parlementaires des députés. Toute tentative de corruption pouvant porter atteinte à ce privilège mine l’indépendance des députés et, par extension, celle de la Chambre elle-même. Le Règlement dispose que le fait d’offrir de l’argent ou quelque autre avantage à un député à la Chambre des communes, en vue de favoriser toute opération pendante ou devant être conduite au Parlement, constitue un délit qualifié de « high crime and misdemeanour » et « tend à la subversion de la Constitution » [290] .

Il existe peu de cas avérés de tentative de corruption. En 1873, un député affirma à la Chambre que quelqu’un avait tenté d’acheter son vote. La Chambre ordonna immédiatement que l’accusé soit placé en détention, mais le Parlement fut prorogé avant que cette personne puisse être interrogée à la barre de la Chambre des communes et l’affaire en resta là [291] . En 1964, on allégua qu’un député s’était vu offrir certains avantages à la condition qu’il change d’affiliation politique en traversant la Chambre. Le Comité permanent des privilèges et élections fut chargé d’examiner les allégations et de faire rapport de ses conclusions. Il conclut que les allégations étaient sans fondement et l’affaire en resta là [292] .

Le Règlement de la Chambre est muet sur la procédure à suivre advenant qu’un député exerce autrement ses fonctions parlementaires du fait qu’il a reçu ou sollicité un pot-de-vin. Cependant, de nombreux députés firent l’objet de motions de la part de collègues les accusant d’avoir accepté des pots-de-vin pour obtenir certaines faveurs ou tirer profit de certaines influences [293] . La Loi sur le Parlement du Canada interdit à un député de recevoir une rémunération pour des services rendus relativement à quelque affaire devant le Sénat ou la Chambre des communes ou devant un de leurs comités [294] . En vertu de cette Loi, un député reconnu coupable d’une telle infraction est passible d’une amende de 500 à 2000$, il est déchu de son mandat et ne peut occuper de poste dans l’administration publique fédérale pendant la période de cinq ans qui suit sa déclaration de culpabilité [295] . En outre, un parlementaire qui accepte ou tente d’obtenir une contrepartie de valeur à l’égard d’une chose qu’il a faite ou omise en sa qualité officielle s’expose, en vertu du Code criminel, à une peine d’emprisonnement de 14 ans [296] .

Intérêts pécuniaires

Aucune loi n’oblige un député à divulguer ses intérêts financiers mais le Règlement de la Chambre prescrit qu’aucun député n’a le droit de voter sur une question dans laquelle il a un intérêt pécuniaire direct, et que le vote de tout député ainsi intéressé doit être rejeté [297] . L’intérêt pécuniaire doit être immédiat et personnel et appartenir en propre à la personne dont le vote est contesté. Les questions de politique publique dont la portée est très vaste n’entrent pas généralement dans cette catégorie. Même si un député vote en faveur d’une augmentation de la rémunération des députés, cela ne constitue pas un intérêt pécuniaire direct puisque la mesure s’applique à l’ensemble des députés [298] .

Le député qui a un intérêt pécuniaire direct dans une affaire s’abstient tout simplement de voter faute de quoi la validité du vote peut être contestée et le vote rejeté. Quand son droit de vote est contesté, le député est normalement cru sur parole [299] , mais une motion portant que son vote soit rejeté peut aussi être présentée [300] . Bien qu’on n’ait jamais désavoué le vote d’un député sous prétexte qu’il avait un intérêt pécuniaire direct dans une affaire, plusieurs députés se sont abstenus volontairement de voter [301]  ou leur droit devote a été contesté [302] .

Registre des déplacements à l’étranger

Il arrive que les députés soient appelés à voyager à l’étranger dans l’exercice de leurs fonctions. Quand des visites s’effectuent à l’extérieur du Canada et que les dépenses ne sont pas à la charge du Trésor (c’est-à-dire qu’elles sont prises en charge par des personnes ou des organisations autres que le député lui-même, un parti politique canadien inscrit, ou encore une association interparlementaire ou un groupe d’amitié reconnu par la Chambre des communes), le député doit enregistrer le voyage et le nom de la personne ou de l’organisation qui le parraine auprès du Greffier de la Chambre qui tient un registre public où sont consignés ces renseignements [303] . Le député peut faire enregistrer le déplacement à l’avance ou après coup en faisant parvenir au Greffier de la Chambre une lettre portant sa signature [304]  et le Greffier consigne les renseignements au registre. Le député ne peut demander à un membre de son personnel ou à un autre représentant de transmettre à sa place cette information au Greffier pour consignation au registre.


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