La procédure et les usages de la Chambre des communes
Sous la direction de Robert Marleau et Camille Montpetit
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23. Les projets de loi d’intérêt privé

Si je ne me trompe, la procédure relative aux bills [projets de loi] d’intérêt privé vise à protéger le public contre l’octroi sans discrimination de pouvoirs spéciaux aux intérêts privés. À mon avis, cette interprétation est incontestable.

Président Lucien Lamoureux
(Débats, 22 février 1971, p. 3628)

L

a distinction entre loi publique et loi privée nous vient de l’usage britannique [1] . Les projets de loi d’intérêt privé diffèrent des projets de loi d’intérêt public par leur objet, leur teneur et la procédure d’adoption. Par définition, l’objet ou le but d’un projet de loi privé est de conférer à une ou plusieurs personnes, ou à un groupe de personnes, des pouvoirs ou avantages spéciaux, ou d’exclure de telles personnes de l’application générale d’un texte de loi. Habituellement, un projet de loi public porte sur une question d’intérêt public, est à l’avantage de la communauté dans son ensemble et est présenté directement par un député. Quant au projet de loi privé, il se rapportera directement aux affaires d’un particulier ou d’un groupe, notamment d’une société, qui est nommé dans le projet de loi; il visera un but qui ne saurait être atteint au moyen d’une loi générale et il sera fondé sur une pétition présentée par un particulier ou un groupe [2] .

Il ne faut pas confondre les projets de loi d’intérêt privé avec les projets de loi émanant des députés ou d’initiative parlementaire. Les projets de loi privés sont parrainés par des députés, mais l’expression « projets de loi émanant des députés » désigne les projets de loi publics portant sur une question d’intérêt public et qui sont présentés par un député ne faisant pas partie du Cabinet.

Les projets de loi privés sont assujettis à certaines règles spéciales dans les deux chambres du Parlement. Comme ces projets de loi demandent au Parlement de se prononcer sur les intérêts de particuliers tout en surveillant les intérêts du public, on dit qu’ils obligent le Parlement à remplir une fonction à la fois judiciaire et législative [3] . Les projets de loi privés peuvent être présentés soit à la Chambre des communes soit au Sénat, bien que la plupart soient présentés au Sénat où les droits et les frais imposés au promoteur sont moins élevés [4] . Les projets de loi privés doivent franchir les étapes procédurales communes à toutes les mesures législatives; ils doivent aussi satisfaire à certaines conditions parlementaires qui les distinguent, sur le plan de la procédure, de tous les autres types de projets de loi.

Sur le plan de ses origines, règles et principes, la procédure des projets de loi privés est unique, et elle a très peu changé depuis 1867. Relativement rares de nos jours, les projets de loi privés ont déjà constitué une partie importante des travaux législatifs de la Chambre. Au début de la Confédération, la Chambre a étudié un grand nombre de projets de loi privés visant à établir des compagnies pour construire et exploiter les chemins de fer et à constituer en personne morale des compagnies interprovinciales, puisque c’était là le seul moyen légal de procéder à la formation de ces sociétés. Les projets de loi privés demandant la dissolution des mariages occupaient aussi une grande partie du temps de la Chambre, car le Parlement détenait la compétence législative exclusive en matière de mariage et de divorce.

De nos jours, la législation d’intérêt privé ne représente qu’un très faible pourcentage des travaux de la Chambre [5] . La plupart des projets de loi privés traitent maintenant de la constitution en personne morale — ou de modifications à des lois constitutives — d’organismes religieux, de charité ou d’autres types, et de compagnies d’assurances, de fiducie et de prêt [6] . Au cours des dernières années, la législation d’intérêt privé a été utilisée pour la fusion de compagnies d’assurances et la reconstitution de petites sociétés commerciales qui avaient antérieurement été dissoutes [7] . Diverses raisons expliquent la diminution du nombre de projets de loi privés, mais cela est en grande partie attribuable aux changements apportés aux lois d’application générale, comme la Loi sur la dissolution et l’annulation du mariage en 1963 [8]  t la Loi sur le mariage (degrés prohibés) en 1990 [9] , et aux mécanismes administratifs qu’on trouve maintenant dans des lois comme la Loi sur les corporations commerciales canadiennes [10] , la Loi sur les corporations canadiennes [11]  et la Loi sur les banques [12] .

Dans ce chapitre, on expliquera en termes généraux les divers types de projets de loi qui sont jugés d’intérêt privé, on décrira les principes à la base de la procédure d’adoption et la façon dont ils sont appliqués, et on donnera un aperçu des particularités du processus législatif suivi à la Chambre des communes.


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