Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : ministre accusé d’avoir induit la Chambre en erreur

Débats, p. 2955–2956.

Contexte

Le 22 avril 2016, Luc Thériault (Montcalm) soulève une question de privilège et accuse Marc Garneau (ministre des Transports) et Kate Young (secrétaire parlementaire du ministre des Transports) d’avoir délibérément induit la Chambre en erreur en effectuant des déclarations trompeuses sur un litige entre le Québec et Air Canada. En particulier, M. Thériault prétend que les déclarations sur l’obligation d’Air Canada de conserver les activités d’entretien des aéronefs au Québec avaient été démenties par le gouvernement de cette province. Il soutient aussi que, la Chambre ayant été mal informée avant la tenue des votes sur l’attribution de temps et la deuxième lecture du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada et comportant d’autres mesures, la légitimité des votes est donc remise en question. Le ministre lui répond que ses déclarations étaient exactes et que l’affaire relevait du débat au lieu du privilège. Le vice-président adjoint (Anthony Rota) prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 5 mai 2016, le Président rend sa décision. Il rappelle aux députés qu’il ne lui appartient pas de juger de la teneur ou de l’exactitude des déclarations faites, mais bien de déterminer si un député a délibérément induit la Chambre en erreur. Le Président réitère que, pour ce faire, il faut prouver que la déclaration est trompeuse, que le député a fait une déclaration qu’il savait incorrecte et que le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur à l’aide de cette déclaration. Le Président conclut que rien ne prouve que le ministre avait l’intention d’induire la Chambre en erreur. Par conséquent, il décide que l’affaire ne constitue pas, de prime abord, une question de privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 22 avril 2016 par l’honorable député de Montcalm concernant les déclarations trompeuses qu’auraient faites à la Chambre le ministre des Transports et la secrétaire parlementaire du ministre des Transports au sujet du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi sur la participation publique au capital d’Air Canada et comportant d’autres mesures.

Je remercie l’honorable député de Montcalm d’avoir soulevé cette question, ainsi que le ministre des Transports de ses observations.

Dans son exposé des faits, le député de Montcalm a allégué que le ministre des Transports et la secrétaire parlementaire du ministre des Transports avaient délibérément induit la Chambre en erreur en donnant plus d’une fois des renseignements erronés au sujet du projet de loi C-10 en réponse à des questions orales et pendant les délibérations.

En particulier, le député a affirmé que les déclarations au sujet de la situation des litiges sur l’obligation d’Air Canada de conserver les activités d’entretien de ses aéronefs dans la province de Québec ont été réfutées par le gouvernement de cette province. Les affirmations du gouvernement fédéral, a-t-il fait valoir, ont amené les députés à prendre des décisions relatives au projet de loi C-10 en se fondant sur des renseignements trompeurs.

Pour sa part, le ministre des Transports a défendu ses déclarations en soulignant que le gouvernement fédéral ne prenait pas part aux négociations entre Air Canada et le gouvernement du Québec. Il a conclu en affirmant que, selon lui, la question soulevée ne constituait pas une question de privilège, mais plutôt une question de débat.

La Chambre des communes est un lieu de débats où des opinions contraires sont soutenues avec passion et défendues avec vigueur et où les députés de l’opposition ont le devoir de demander des comptes au gouvernement. Par conséquent, il est primordial que les députés aient accès à des renseignements véridiques et exacts, car il en va de l’essence même de leur rôle et de leurs privilèges en tant que législateurs.

En fait, les échanges vifs durant les délibérations et les désaccords quant aux faits ne sont pas rares. Le député de Montcalm l’a d’ailleurs reconnu en affirmant qu’il comprenait, « que les désaccords qui surviennent entre députés sont tout à fait normaux, et qu’ils sont matière à débat ».

Il s’ensuit, sans surprise, que reprocher à un député d’avoir délibérément induit la Chambre en erreur est une allégation des plus sérieuses. En cette matière, le Président a un rôle clair mais limité : la présidence ne peut pas juger du contenu ou de l’exactitude des déclarations faites à la Chambre.

Le rôle du Président se limite strictement à déterminer si, au cours des délibérations, un député a délibérément induit la Chambre en erreur.

Les Présidents qui se sont succédé ont clairement établi les trois critères qu’il faut prouver afin que l’on puisse tirer une telle conclusion. Mon prédécesseur les a énumérés dans la décision qu’il a rendue le 29 avril 2015, à la page 13197 des Débats de la Chambre des communes, lorsqu’il a déclaré :

[…] tout d’abord, la déclaration doit être trompeuse. Ensuite, le député ayant fait la déclaration devait savoir, au moment où il l’a faite, que celle-ci était inexacte. Enfin, il faut prouver que le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Les députés constateront que le seuil est très élevé, et c’est intentionnel étant donné la gravité de telles allégations et leurs conséquences potentielles pour les députés, à titre individuel et collectif. Il est donc logique que les conclusions à première vue d’atteinte au privilège soient extrêmement rares lorsque les faits en cause sont contestés.

Le Président Jerome a conclu que ce type de situation donne rarement lieu à une conclusion à première vue d’atteinte au privilège lorsqu’il a déclaré le 4 juin 1975, à la page 6431 des Débats de la Chambre des communes :

[…] les controverses portant sur des faits, des opinions et des conclusions à tirer des faits sont matière à débat et ne constituent pas une question de privilège.

Dans le cas qui nous occupe, aucune preuve ne démontre que le ministre des Transports savait que ses déclarations étaient trompeuses au moment où il les a faites ou qu’il avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

En conséquence, bien que le député de Montcalm ait montré qu’il existe une divergence d’opinions quant à l’interprétation de certains faits, il apparaît clairement à la présidence que le seuil permettant de conclure que la Chambre a été délibérément induite en erreur n’a pas été atteint. Il s’ensuit que la présidence ne peut conclure que les députés ont été entravés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires. Par conséquent, je conclus qu’il s’agit en l’espèce d’un désaccord quant aux faits et qu’il n’y a pas, à première vue, matière à question de privilège.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 22 avril 2016, p. 2600–2601.