Le privilège parlementaire / Les droits des députés

Le caractère confidentiel de la correspondance entre un député et une de ses électrices : divulgation de la teneur d’une lettre d’un député sans sa permission

Débats, p. 9734-9735

Contexte

Le 2 novembre 1994[1], après les Questions orales, Jim Hart (Okanagan—Similkameen—Merritt) soulève une question de privilège au sujet de la violation du caractère confidentiel de sa correspondance avec une de ses électrices. À son avis, cet incident qui s’est produit la veille porterait atteinte à ses droits de député[2]. Ce jour-là, au cours des Questions orales, l’honorable Sheila Copps (vice-première ministre et ministre de l’Environnement) a cité un passage d’une lettre écrite par M. Hart au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au nom d’une de ses électrices[3]. Le député estime que la vice-première ministre Mme Copps et l’honorable Michel Dupuy (ministre du Patrimoine canadien), qui avait prétendument communiqué la lettre à la vice-première ministre, étaient tous deux responsables de l’atteinte au privilège. Répondant à l’allégation, la vice-première ministre déclare que la lettre faisait partie des archives publiques du CRTC. Le Président accepte de faire une enquête et, d’informer la Chambre de sa décision le plus tôt possible si c’est nécessaire. Le 8 février 1995, après les Questions orales, M. Hart revient à la charge au sujet de la divulgation de la lettre par la vice-première ministre[4]. Le Président prend l’affaire en délibéré.

Résolution

Le 16 février 1995, après les Questions orales, le Président rend sa décision. Il conclut que la lettre de M. Hart au ministre du Patrimoine canadien était effectivement un document public et, de ce fait, susceptible d’être citée à la Chambre. Toutefois, comme ses prédécesseurs en avaient à maintes reprises décidé avant lui, il signale qu’il n’est pas dans les attributions du Président de la Chambre de trancher des questions de droit relatives à l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des lois et politiques régissant les archives du CRTC. Le Président termine en déclarant qu’en l’occurrence, la question de privilège ne paraît pas fondée de prime abord.

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur une question de privilège soulevée par le député d’Okanagan—Similkameen—Merritt, d’abord le 2 novembre 1994, puis de nouveau le 8 février 1995.

Le 2 novembre, le député a pris la parole et s’est plaint que, pendant la période des questions de la veille, la vice-première ministre avait manqué au secret en citant un passage d’une lettre que le député avait expédiée pour le compte d’une électrice au ministre du Patrimoine canadien. Le député a soutenu qu’en divulguant le contenu de cette lettre sans autorisation, la vice-première ministre avait porté atteinte à sa capacité de s’acquitter de ses fonctions. Il a affirmé que ses électeurs se demanderont à l’avenir si le caractère confidentiel des sujets à propos desquels ils demanderont son aide sera respecté.

La vice-première ministre a répondu que la lettre faisait partie des archives publiques du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

Le 8 février 1995, le député a de nouveau soulevé la question de privilège pour signaler que de nouveaux renseignements s’étaient fait jour à ce même sujet. Il a expliqué que l’électrice pour laquelle il avait écrit la lettre avait reçu une lettre du gérant de la correspondance et des plaintes du CRTC. Dans cette lettre on indiquait à l’électrice qu’en vertu des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, si elle n’exigeait pas le contraire, la lettre que le député avait envoyée pour elle et toute la correspondance relative à la plainte, seraient versées, au début de janvier, au dossier du titulaire de licence, lequel dossier est accessible au public.

Le député soutient maintenant que, contrairement à l’affirmation de la vice-première ministre, sa lettre n’était pas un document public quand la vice-première ministre en a cité un passage en novembre dernier. Il a, de nouveau, demandé que j’examine la question.

Le whip en chef du gouvernement (Don Boudria) est intervenu et a soutenu que ce qui était en cause était une question de droit et que le Président ne se prononce pas sur ces sujets. Il a aussi ajouté que si l’honorable député avait un grief contre le CRTC, il existait d’autres recours pour le faire valoir.

Permettez-moi d’aborder en premier lieu la question de savoir si la lettre expédiée par le député au ministre du Patrimoine canadien était un document public et donc susceptible d’être cité en Chambre. Le commentaire no 495(7) de la 6e édition de Beauchesne, à la page 158, est ainsi conçu et je cite :

Une lettre qui, bien qu’ayant eu originairement le caractère d’une communication personnelle, a été versée aux archives d’un ministère devient de ce fait un document public. Le ministre qui la cite au cours d’un débat doit la déposer s’il en est prié.

De ce commentaire, je dois conclure que la lettre expédiée par le député au ministre était, de fait, un document public et, par conséquent, susceptible d’être citée à la Chambre.

Il ne m’appartient pas de décider si, au moment où la vice-première ministre l’a citée à la Chambre, la lettre faisait ou non partie des archives publiques du CRTC. L’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des lois et politiques régissant les archives du CRTC n’est pas de ma compétence. Comme mes prédécesseurs l’ont maintes fois décidé, il n’est pas maintenant et il n’a jamais été dans les attributions du Président de trancher des questions de droit. C’est une pratique de longue date. J’attire l’attention des députés sur l’ouvrage de Bourinot, intitulé Parliamentary Procedure and Practice in the Dominion of Canada, 4e édition, 1916, à la page 180, qui signale que le Président :

[…] ne décide d’aucune question d’ordre constitutionnel ou juridique, bien qu’il soit permis de soulever une question de ce genre […] sous forme de question de privilège.

Les mêmes propos sont repris dans le commentaire 168(5) de la 6e édition de Beauchesne (1989).

Quant à la question de privilège, il appartient à la Chambre de décider s’il y a eu ou non atteinte aux privilèges du député. Le Président doit être convaincu qu’il existe des éléments de preuve établissant qu’un député a été gêné dans l’exercice de ses fonctions parlementaires avant de soumettre la question à la Chambre pour décision.

Après avoir soigneusement examiné les précédents en matière de procédure et les interventions des députés, je dois conclure que, dans le cas qui nous occupe, la question de privilège ne paraît pas fondée à première vue.

Je remercie les députés de leurs interventions dans cette affaire.

P0109-f

35-1

1995-02-16

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 2 novembre 1994, p. 7562.

[2] Débats, 1er novembre 1994, p. 7504.

[3] Débats, 1er novembre 1994, p. 7505-7506.

[4] Débats, 8 février 1995, p. 9332-9333.