Le privilège parlementaire / Les droits des députés

Accusation à l’endroit d’un député : sédition alléguée-question de privilège jugée fondée de prime abord

Débats, p. 558, 561-562

Contexte

Au début de la séance du 12 mars 1996, le Président informe la Chambre qu’il a reçu de Jim Hart (Okanagan—Similkameen—Merritt) avis d’une question de privilège au sujet de la conduite de Jean-Marc Jacob (Charlesbourg). M. Hart déclare que le 26 octobre 1995, M. Jacob aurait émis un communiqué de presse dans lequel il invitait tous les membres francophones des Forces armées canadiennes à joindre les rangs de l’armée du Québec dans l’éventualité de la victoire du oui dans un référendum sur la sécession du Québec. Selon M. Hart, le geste de M. Jacob peut être considéré comme séditieux et est offensant pour la Chambre. Conséquemment il constituerait un outrage au Parlement. Après avoir permis à d’autres députés d’intervenir, le Président informe la Chambre qu’il juge l’affaire très grave parce qu’un député a porté des accusations précises contre un autre député. Il signale que les événements se sont produits le 26 octobre 1995 et que, normalement, pour être considérée comme une question de privilège, l’affaire doit être soulevée à la première occasion. Après d’autres interventions, le Président suspend la séance pendant 40 minutes pour préciser certains points et dit qu’il reviendra à la Chambre aussi rapidement que possible pour rendre sa décision[1].

Résolution

À son retour à la Chambre, le Président réaffirme la gravité de l’affaire et indique que le fait qu’elle n’ait pas été soulevée plus tôt n’est guère important. Il déclare que la façon ultime pour un député d’en défier un autre, c’est de porter une accusation contre lui. Il rappelle que le Président Michener a souligné que la conduite d’un député ne devrait faire l’objet d’aucune enquête à moins qu’une accusation précise ne soit portée. Il dit penser que l’accusation portée contre M. Jacob est tellement grave que la Chambre doit l’examiner immédiatement. Il invite alors M. Hart à présenter sa motion à la Chambre[2].

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Chers collègues, je prends la situation très au sérieux. C’est probablement l’une des plus sérieuses situations qui m’ait été soumise depuis que vous m’avez choisi comme Président de la Chambre.

Un député a officiellement porté des accusations précises contre un autre député. Avant de rendre une décision, je voudrais faire une observation.

Le communiqué est daté du 26 octobre 1995. Je le précise parce que, si une allégation d’outrage à la Chambre peut être portée indépendamment de toute autre allégation, elle relève tout de même de la question de privilège. Les députés se doivent de soulever la question de privilège le plus tôt possible après les événements qui y donnent lieu. Je souligne ce détail uniquement pour mettre les choses en perspective.

Je donne la parole au leader parlementaire du Bloc québécois.

Note de la rédaction

Le Président permet alors à un certain nombre de députés de donner leur opinion sur l’affaire.

Le Président : Collègues députés, comme je vous l’ai dit au début de mes observations à la Chambre, en tant que votre Président, je considère la question dont nous discutons maintenant comme très sérieuse.

La Chambre a toujours été indulgente à mon égard. J’ai l’intention de demander dans les prochaines minutes une suspension des travaux de la Chambre. Je veux m’enquérir de quelques points, puis revenir à la Chambre.

Les travaux de la Chambre sont donc suspendus pendant quelque temps.

Note de la rédaction

La séance de la Chambre est suspendue à 10 h 43 et reprend à 11 h 23.

Le Président : La Chambre est saisie aujourd’hui d’une des questions les plus graves que nous ayons eu à résoudre durant la 35e législature. En fait, elle est tellement grave que le fait de savoir si elle a été soulevée à la première occasion, ce que j’ai mentionné en passant, n’est guère important.

La façon ultime pour un député d’en défier un autre, c’est de porter une accusation contre lui. Le Président Michener a souligné que la conduite d’un député ne devrait faire l’objet d’aucune enquête à moins qu’une accusation précise soit portée. Cette accusation précise doit être portée au moyen d’une motion de fond.

J’estime que nous n’avons rien à gagner en reportant à une date ultérieure l’étude de cette question.

Je pense que les accusations portées contre un des nôtres sont tellement graves que la Chambre devrait se pencher sur celles-ci immédiatement. J’invite donc le député d’Okanagan—Similkameen—Merritt à présenter sa motion à la Chambre.

Post-scriptum

Après que la question fut débattue pendant environ 30 minutes, Paul Zed (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) propose l’ajournement du débat[3]. À la reprise du débat, le lendemain [4], il présente un amendement à la motion de M. Hart de manière à en retrancher l’accusation de sédition et à renvoyer la « question du communiqué » au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre[5]. Le débat continuant avec la même ardeur, Alfonso Gagliano (ministre du Travail et leader adjoint du gouvernement à la Chambre) donne avis de l’intention du gouvernement de proposer la clôture[6]. Jim Abbott (Kootenay-Est) présente alors un sous-amendement visant à rétablir l’accusation de sédition dans le texte de la motion[7]. Le lendemain, à l’appel de l’ordre du jour[8], le ministre propose de ne plus ajourner le débat et la motion est agréée d’un vote par appel nominal[9]. Don Boudria (whip en chef du gouvernement) propose, du consentement unanime de la Chambre, de reporter tous les votes par appel nominal sur les amendements et la motion principale au lundi suivant, 18 mars[10].Au moment du vote, le sous-amendement de M. Abbott est battu et l’amendement de M. Zed est adopté, ainsi que la version amendée de la motion principale[11].

Le 18 juin 1996, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre présente son 22e rapport à la Chambre[12]. Le Comité y conclu que le geste de M. Jacob a été « irresponsable », mais qu’il ne constitue pas un outrage à la Chambre. Il dit également avoir l’impression que M. Hart n’a pas agi d’une manière absolument libre de tout esprit partisan en voulant faire de l’affaire une question de privilège. Plus tard, le même jour, M. Jacob demande la parole pour faire une « déclaration solennelle », mais le Président intervient lorsque le député reproche à M. Hart d’avoir soulevé la question de privilège. Le Président rappelle à la Chambre que la déclaration solennelle ne doit pas servir à porter d’autres accusations ou à susciter un débat[13]. Par la suite, un autre député du Bloc québécois, Gilles Duceppe (Laurier—Sainte-Marie), invoque le Règlement pour exiger des excuses publiques de M. Hart. Le Président répond que la bonne façon de procéder consiste à débattre du rapport lui-même au cours de l’étude d’une motion d’adoption[14].

Le 20 juin, Chuck Strahl (Fraser Valley-Est) propose d’adopter le rapport du Comité. Ray Speaker (Lethbridge) propose ensuite un amendement visant à renvoyer le rapport au Comité avec instruction de le modifier de manière à recommander à la Chambre de trouver M. Jacob coupable d’outrage au Parlement. Plus tard, le whip en chef du gouvernement propose d’ajourner le débat. La motion est agréée d’un vote par appel nominal[15]. La motion d’adoption est donc inscrite sous les Affaires émanant du gouvernement, dans le Feuilleton. Il n’est plus question de l’affaire à la Chambre par la suite.

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1996-03-12

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[1] Débats, 12 mars 1996, p. 557-562.

[2] Débats, 12 mars 1996, p. 562.

[3] Débats, 12 mars 1996, p. 562-567.

[4] Débats, 13 mars 1996, p. 648-674.

[5] Débats, 13 mars 1996, p. 649.

[6] Débats, 13 mars 1996, p. 666.

[7] Débats, 13 mars 1996, p. 667.

[8] Débats, 14 mars 1996, p. 680-703, 716-747.

[9] Débats, 14 mars 1996, p. 680-681.

[10] Débats, 14 mars 1996, p. 681.

[11] Débats, 18 mars 1996, p. 854-858.

[12] Débats, 18 juin 1996, p. 3988-3989.

[13] Débats, 18 juin 1996, p. 4027.

[14] Débats, 18 juin 1996, p. 4031.

[15] Débats, 20 juin 1996, p. 4144-4156.