La Chambre et ses députés / Divers

Opposition officielle : désignation; l’opposition à égalité

Débats, p. 16-20

Contexte

Le 14 décembre 1995, Ray Speaker (Lethbridge), leader parlementaire du Parti réformiste, invoque le Règlement et fait valoir que le chef du Parti réformiste devrait être reconnu comme le chef de l’Opposition au lieu du chef du Bloc québécois[1]. Bien que le Parti réformiste n’ait obtenu que 52 sièges, comparativement aux 53 sièges du Bloc, M. Speaker soutient que d’autres critères doivent être pris en compte pour ce qui est de déterminer quel parti formera l’opposition officielle. Étant donné que le caucus du Parti réformiste comprend des députés de cinq provinces au lieu d’une seule, et que le parti a obtenu un pourcentage plus élevé du vote populaire que le Bloc, M. Speaker soutient que son parti représente un plus large éventail d’intérêts que le Bloc québécois. M. Speaker fait également observer que le chef du Bloc québécois a signalé son intention de démissionner. Après avoir entendu les interventions d’autres députés, le Président promet d’examiner la question et de présenter une décision à la Chambre s’il le juge nécessaire.

Le 15 janvier 1996, l’honorable Lucien Bouchard (Lac-Saint-Jean), chef du Bloc québécois et chef de l’Opposition, démissionne de son siège à la Chambre des communes, ce qui laisse au Bloc québécois le même nombre de sièges que le Parti réformiste. Le 2 février 1996, le Parlement est prorogé. La deuxième session de la 35e législature débute le 27 février.

Résolution

Le 27 février 1996, immédiatement avant que la Chambre n’entreprenne l’examen du discours du Trône, le Président fait une déclaration concernant la désignation du chef de l’Opposition et de l’opposition officielle. Il fait observer que, premièrement, il n’y a ni règles ni dispositions législatives donnant au Président des indications ou des pouvoirs précis concernant la désignation du chef de l’Opposition. Toutefois, comme le Président doit veiller au déroulement ordonné des travaux, il lui incombe de déterminer quel parti formera l’opposition officielle à la lumière du rappel au Règlement soulevé à la première session et du fait que l’égalité vient de se créer dans le nombre de sièges détenus par le Bloc québécois et par le Parti réformiste. Le Président dit qu’il s’agit de déterminer si une égalité est suffisante pour écarter l’opposition officielle reconnue. D’après les précédents créés dans d’autres administrations, il conclut que l’antériorité doit être le facteur déterminant et qu’il y a lieu de maintenir le statu quo. Par conséquent, le Bloc québécois conserve son statut d’opposition officielle et le chef de ce parti est reconnu comme le chef de l’Opposition jusqu’à ce qu’un nouvel examen de la question soit justifié.

DÉCISION DE LA PRÉSIDENCE

Le Président : Chers collègues, avant de procéder à la prise en considération du discours de Son Excellence le gouverneur général, je voudrais aborder la question de la désignation de l’opposition officielle. Les députés se souviendront qu’à la dernière session, le 14 décembre 1995, le député de Lethbridge a soulevé un rappel au Règlement et présenté des arguments à l’effet que le Parti réformiste devrait être désigné à titre d’opposition officielle.

Les députés savent que le Bloc québécois et le Parti réformiste sont maintenant à égalité, détenant chacun 52 sièges à la Chambre. C’est à la lumière de ce nouveau contexte que je me dois de m’adresser à la Chambre aujourd’hui. Il est vrai qu’une prorogation met fin à tous travaux dont la Chambre est saisie et qui ne sont pas complétés, y inclus les rappels au Règlement. Cependant, il y a dans le cas qui nous préoccupe des circonstances atténuantes qui m’obligent à faire référence aux arguments que des députés ont présentés en décembre dernier.

Avant de procéder, je veux faire quelques remarques au sujet du rôle du Président dans des situations semblables à la situation présente. Dans certaines juridictions confrontées à des questions semblables, les lois ou les règles de l’assemblée législative confèrent au Président des pouvoirs précis quant à la désignation de l’opposition officielle ou précisent les critères en vertu desquels la désignation de l’opposition officielle doit se faire. Dans ces cas, le Président n’a pas de latitude pour trancher la question. Je renvoie les honorables députés à la Ministerial and other Salaries Act, 1975, du Royaume-Uni et à la Legislative Assembly and Executive Council Act, de la Saskatchewan à titre d’exemples.

Ici, à la Chambre des communes par contre, il n’y a pas de telles ou lignes directrices. Le 14 décembre, plusieurs députés qui ont pris part au débat ont affirmé qu’il me revenait, à titre de Président, de trancher cette question. De fait, après avoir évoqué l’idée que l’opposition officielle peut être considérée comme un gouvernement en attente, le député d’Elk Island (Ken Epp) est allé jusqu’à dire ceci, à la page 17677 du Hansard :

Je ne peux trop insister sur l’importance de la décision que vous allez devoir prendre d’ici six semaines. Vous allez être appelé à décider qui formerait le gouvernement du Canada si les libéraux démissionnaient.
Si vous décidez que les Canadiens seraient mieux servis par un parti dont l’objectif déclaré est de diviser ce pays en deux, objectif qu’il ne cesse de poursuivre depuis deux ans, vous ferez une erreur grave.

Je ne puis être d’accord avec le député. Le Président de la Chambre n’a pas de rôle à jouer dans le choix du gouvernement. Dans notre système, le Président ne choisit ni le gouvernement, ni le gouvernement en attente. Cette prérogative appartient au gouverneur général, sur l’avis du Conseil privé.

Placer le Président dans la situation où il aurait à choisir, non seulement l’Opposition officielle, mais, éventuellement, le prochain gouvernement, en fonction, non pas d’un critère objectif comme la répartition des sièges à la Chambre, mais en vertu d’un jugement de valeur sur le comportement du parti formant présentement l’opposition officielle me paraît une proposition insoutenable. Ce serait aussi un empiétement sur la prérogative royale et une violation de nos coutumes constitutionnelles établies de longue date.

À moins que la Chambre ne veuille, soit par des règles, soit par la législation, donner au Président des pouvoirs et des directives précis lui permettant de désigner l’Opposition officielle, je dois d’abord dire que, d’après l’argumentation de l’honorable député d’Elk Island, je ne pense pas qu’il relève de moi de prendre une telle décision.

Comme je l’avais fait au moment de préparer ma décision du 16 juin 1994 sur l’attribution du statut de parti aux députés du Nouveau Parti démocratique, j’ai à nouveau consulté les décisions de mes prédécesseurs pour m’éclairer sur la compréhension de mon rôle dans des affaires tout à fait inédites. En 1963, le Président Macnaughton a été appelé à se prononcer sur le sujet de l’attribution des places aux partis d’opposition à la Chambre. Il a alors fait un long commentaire quant à ce qu’il voyait comme rôle du Président dans des questions de cette nature. On trouve cette déclaration aux pages 385 à 388 des Journaux pour le 30 septembre 1963. Je crois que tout ce qu’il dit s’applique aux circonstances présentes et me suis inspiré de ce qu’il dit en examinant la question.

J’aimerais citer certains passages de la déclaration du Président Macnaughton :

On trouvera un exposé des attributions juridiques de l’Orateur de la Chambre dans les Statuts du Canada, le Règlement de la Chambre, les ouvrages des spécialistes en droit constitutionnel ou parlementaire de même que dans les coutumes et les précédents devenus les fondements de notre Constitution.
Selon Campion, l’Orateur représente la Chambre elle-même; il en incarne le pouvoir et la dignité et il en dirige les délibérations. L’autorité et l’impartialité doivent caractériser essentiellement la fonction d’Orateur de la Chambre des communes. […] L’Orateur a donc pour mission, notamment, de respecter le Règlement de la Chambre pendant les délibérations et d’en maintenir les privilèges tels qu’on les a établis et reconnus. L’Orateur doit aussi faire preuve d’impartialité et s’abstenir de toute politique.
Permettez-moi d’évoquer encore une fois les traditions qui entourent la fonction d’Orateur. Tout serviteur de la Chambre qu’il soit, l’Orateur n’en demeure pas moins le porte-parole et le symbole. Il n’est véritablement utile à la Chambre et à ses membres que lorsque la Chambre l’aide par tous les moyens possibles à maintenir sa dignité et son impartialité […]
J’ai l’impression que la solution des problèmes dont nous sommes saisis relève de la Chambre elle-même. Il n’appartient pas à l’Orateur de prendre, de son propre chef, une décision qui pourrait sembler, aux yeux de certains députés, léser les intérêts de leur groupe ou parti. L’Orateur ne devrait pas davantage être placé dans une situation où il lui faut trancher, au bénéfice ou au détriment d’un groupe ou d’un parti, des questions qui touchent à l’existence ou à la nature d’un parti, et prendre ainsi ce qu’on tiendrait sûrement pour une décision d’un caractère politique, alors qu’il s’agit d’une décision dont l’enjeu est les droits et les privilèges de la Chambre elle-même.

La désignation de l’Opposition officielle n’a jamais été faite sur le parquet de la Chambre des communes. À titre de Président, il est de mon devoir d’assurer la bonne conduite des travaux à la Chambre. À cet effet, je me dois, à la lumière des circonstances et du rappel au Règlement, de déterminer maintenant quel parti doit être appelé à former l’Opposition officielle.

Que le gouvernement repose sur le consentement des gouvernés constitue une des pierres d’angle de notre tradition démocratique. Il en découle que la minorité reconnaît le droit de la majorité de prendre des décisions, pourvu que les droits de la minorité d’être entendue, d’être en désaccord, d’exprimer ses sujets de plaintes et de proposer des solutions de rechange soient respectés.

Le rôle de l’opposition dans notre forme de gouvernement parlementaire est en conséquence essentiel. Son leadership est également important.

C’est pourquoi le Parlement a jugé bon de reconnaître l’importance de la personne qui occupe le poste de chef de l’Opposition officielle en accordant à cette personne un appui et des indemnités similaires à ceux dont bénéficie le premier ministre. En outre, la Chambre reconnaît dans sa procédure l’importance de ce poste et cela, en dépit du fait qu’il n’en existe aucune définition officielle.

Le poste de chef de l’Opposition officielle est fermement ancré dans notre régime parlementaire par la coutume et la mise en œuvre de divers statuts et règles de procédure. L’importance de l’Opposition officielle et de son chef est bien mise en évidence au Canada et à l’étranger par l’existence plus que centenaire de parlements à la Westminster.

La question de savoir quel parti jouera le rôle d’Opposition officielle, toutefois, n’a jusqu’à maintenant jamais posé de problème à la Chambre des communes. Comme l’a signalé le député de Lethbridge, c’est peut-être pour cela qu’il n’y a jamais eu, dans nos statuts ou notre Règlement, de définition ni de méthode de désignation de l’Opposition officielle ou du chef de l’Opposition officielle.

En l’absence de règle écrite définissant de la procédure de détermination de l’opposition officielle, le titre en a été assumé, par tradition, par le parti qui détenait le deuxième rang en nombre de sièges à la Chambre des communes. La seule exception s’est produite après l’élection générale de 1921 alors que le Parti progressiste avait obtenu la deuxième place quant au nombre de sièges, mais, parce que ses députés appuyaient le gouvernement du temps, a refusé d’assumer le rôle d’Opposition officielle.

Dans son mémoire, le député de Lethbridge cite trois précédents pour appuyer sa prétention que le Parti réformiste devrait être désigné l’Opposition officielle. Le premier illustre son affirmation voulant que, en cas d’égalité des sièges, le vote populaire et l’éventail des intérêts représentés par un parti devraient servir de critères pour la désignation de l’Opposition officielle. D’après lui, les deux autres précédents montrent que, dans le doute, les députés de l’opposition ont le droit de choisir leur chef. La présidence a un rôle à jouer là-dedans et des partis qui ne possédaient pas le deuxième plus grand nombre de sièges ont déjà formé l’Opposition officielle.

Bien que les trois précédents soient survenus dans des circonstances assez différentes de la situation qui se présente ici, pour le bénéfice des honorables députés, je commenterai chacun d’eux.

Le premier précédent cité par le député est la décision rendue en Alberta, en 1983, par le Président Amerongen. J’ai examiné cette décision et les circonstances dans lesquelles elle a été rendue.

Comme le député ne l’ignore pas, cette affaire est survenue au début d’une nouvelle législature suivant des élections générales. L’Opposition se composait de deux néo-démocrates et de deux indépendants, et tant le chef du NPD que l’ancien député provincial de Little Bow et actuel député fédéral de Lethbridge voulaient être considérés comme le chef de l’Opposition officielle. Comme l’a signalé le député, le Président de l’Assemblée législative albertaine a en partie fondé sa décision d’accorder le statut d’opposition officielle au Nouveau Parti démocratique sur le vote populaire obtenu par ce parti.

Toutefois, dans une décision rendue le 16 décembre 1994 sur la désignation de l’opposition officielle du Nouveau-Brunswick et citée par le whip en chef du gouvernement, la Présidente Dysart a rejeté le précédent albertain fondé sur le vote populaire comme illogique et peu souhaitable. Je ne peux qu’être d’accord avec la Présidente Dysart lorsque, comme on peut le lire à la page 3752 du Hansard de l’Assemblée législative, elle affirme ceci :

Fonder une décision sur des facteurs extérieurs au Parlement, c’est ouvrir la voie ou faire une invite à des décisions futures qui ne trouvent pas leur fondement dans les précédents ni la coutume parlementaires. Sauf pour une exception célèbre, […]

celle de l’Alberta

[…] l’Opposition officielle dépend du nombre de sièges détenus par un parti et non du vote populaire que celui-ci a obtenu.

Le second précédent cité par le député renvoie aux résultats des premières élections générales tenues en Grande-Bretagne après la Première Guerre mondiale. La situation était très compliquée et je voudrais décrire les circonstances que le Président du Parlement britannique a eues à affronter à l’époque.

Comme l’a signalé le député de Lethbridge, le gouvernement élu en décembre 1918 était une coalition composée de 383 conservateurs-unionistes, 133 libéraux et 10 travaillistes et dirigée par le premier ministre libéral David Lloyd George. Les principaux groupes de l’opposition étaient, par ordre descendant de sièges, le Parti travailliste, un certain nombre de libéraux opposés à la coalition et les nationalistes irlandais. Le Sinn Fein, le plus grand parti de l’opposition avec ses 73 députés, refusa de prendre place à Westminster.

Sous la direction de Herbert Asquith, les libéraux opposés à la coalition avaient essuyé une défaite électorale cuisante et M. Asquith lui-même avait perdu son siège. Jusqu’à ce qu’il puisse revenir à la Chambre à la faveur d’une élection partielle, les libéraux élurent l’ancien vice-président sir Donald Maclean comme leur chef au Parlement.

Le Parti travailliste, dont la défection du gouvernement de coalition du temps de guerre avait en partie précipité les élections, accrut sa représentation à la Chambre, mais les dirigeants du parti perdirent leur propre siège. William Adamson, un député réélu pour l’Écosse, a été choisi comme leader du Parti travailliste à la Chambre des communes parce que la majorité des députés du Parti travailliste étaient nouvellement élus et sans expérience parlementaire.

D’après mes recherches, il semble que la situation ne corresponde pas exactement à celle rapportée par l’honorable député de Lethbridge. Dans le volume II de ses mémoires, intitulés A Speaker’s Commentaries, aux pages 251 et 252, le Président d’alors de la Chambre des communes britannique, James Lowther, décrit la situation de la façon suivante :

Avant l’ouverture de la nouvelle législature, j’ai été confronté à la difficulté de devoir choisir quel parti formerait l’opposition de Sa Majesté. Les libéraux n’étaient que 26, tandis que les travaillistes étaient 59. Ces derniers ont donc exigé le statut d’Opposition officielle. J’ai rencontré M. Adamson, qui était alors le leader du Parti travailliste et qui a vaillamment fait valoir leurs prétentions. Il a soutenu qu’il y avait 59 députés travaillistes, représentant un parti distinct et indépendant, que les candidats travaillistes avaient eu le suffrage de plus de deux millions et quart d’électeurs aux dernières élections, que les libéraux n’étaient que 26 et que, de plus, ces 26 députés étaient une minorité d’un parti ayant participé au gouvernement de coalition et identifié à ce dernier. D’autre part, certains députés du Parti libéral m’ont fait valoir que leurs déboires n’étaient que temporaires et qu’ils étaient authentiques, qu’ils avaient un passé de grandes traditions, et qu’il ne fallait pas les écarter à la légère à cause d’un échec électoral passager. Il s’agissait d’une situation difficile. J’ai signalé à M. Adamson que mon rôle dans la détermination de la question de la direction de l’Opposition de Sa Majesté était très minime et se limitait à établir qui, de la banquette de l’Opposition, devrait, tous les jeudis, poser la question formelle sur les travaux futurs; que si la désignation de l’Opposition officielle dépendait du nombre de députés, le parti du Sinn Fein, qui, alors, n’avait pas encore décidé, si ses députés viendraient à Westminster ou non, avait plus d’une douzaine de députés de plus que le Parti travailliste et que l’application d’une règle mathématique stricte pouvait susciter des difficultés et m’obliger, s’il arrivait que les partis d’Opposition aient le même nombre de députés à cause des résultats d’élections partielles, à procéder à un décompte hebdomadaire. J’ai donc résolu la situation à la manière britannique habituelle, par un compromis de même nature que le jugement de Salomon, en proposant que sir Donald Maclean et M. Adamson se partagent les fonctions de chef de l’Opposition. Cette méthode a été suivie et, pendant la durée de la législature, sir Donald Maclean et M. Adamson ont, chacun leur semaine, exercé leur privilège de leader, celui de poser les questions formelles sur les travaux futurs de la Chambre, la seule fonction parlementaire qui, par tradition, est la prérogative du chef de l’Opposition de Sa Majesté. Pour ce qui est d’ouvrir et de clore les débats au nom de leur parti, ils se sont partagé l’honneur, dans la mesure du possible.

Ma vision des événements et les souvenirs du Président Lowther me font dire que celui-ci n’a pas rendu de décision formelle. Il a plutôt suggéré une solution qui a été acceptée par les deux partis. Les consultations qui se sont déroulées ont eu lieu hors de la Chambre avant la convocation de la nouvelle législature et avant que le Président Lowther soit réélu.

Rien dans les Débats n’indique que sir Donald Maclean, leader des libéraux anti-coalitionnistes, était chef de l’Opposition officielle. De fait, l’examen des Débats de la Chambre des communes pour cette session du Parlement confirme que les deux leaders ont chacun leur tour posé la question du jeudi sur les travaux, mais dans les délibérations, M. Adamson avait préséance sur M. Maclean. Il faut aussi se rappeler qu’en Grande-Bretagne, le chef de l’Opposition n’a pas reçu d’indemnité additionnelle avant 1937.

Donc, même si les conséquences étaient beaucoup moins importantes, le Président Lowther a hésité à jouer un rôle dans la détermination de qui serait le chef de l’Opposition et il a, en réalité, limité ce rôle à proposer un compromis. Ce précédent n’étaye pas, à mon avis, l’argument du député de Lethbridge.

Le troisième précédent invoqué par l’honorable député a trait aux événements survenus en Australie pendant la Deuxième Guerre mondiale. À l’époque, la situation à la Chambre des représentants était aussi complexe que celle prévalant en Grande-Bretagne en 1918. Le gouvernement australien du moment était constitué d’une coalition du United Australia Party (UAP), comptant le plus de députés, dirigé par M. Robert Menzies, et du United Country Party (UCP), moins important, dirigé par M. Arthur Fadden, mais M. Fadden était premier ministre. Le 7 octobre 1941, la coalition a été défaite en Chambre. Le gouvernement a remis sa démission et il y a eu formation d’un gouvernement du Parti travailliste.

Les partis Australia et Country ont continué de former une coalition dans l’opposition. À titre de chef du parti comptant le plus de députés, M. Menzies aurait dû normalement devenir chef de l’Opposition. Cependant, à titre de premier ministre sortant, M. Fadden réclamait aussi le droit à ce poste.

Le député de Lethbridge dit que le United Australia Party a d’abord désigné son chef, puis a, à l’occasion d’une réunion conjointe présidée par le Président, élu le leader du United Country Party comme chef de l’Opposition.

Les événements ont cependant été beaucoup plus compliqués. Selon l’ouvrage intitulé Australia’s Commonwealth Parliament, 1901-1988, de G.S. Reid et Martin Forrest, aux pages 58 et 59, lors d’une réunion du Australia Party, M. Menzies a tenté de convaincre ses collègues que la direction de l’Opposition ne devrait pas être laissée à M. Fadden. Il a aussi suggéré que le Président de la Chambre, M. Walter Nairn, préside la réunion conjointe.

La motion de M. Menzies au sujet de la direction de l’opposition a été clairement défaite par les députés de son parti et, en conséquence, M. Menzies a même renoncé à reprendre la direction de son parti. L’issue de la réunion conjointe, convoquée immédiatement après celle du UAP, a été que M. Fadden a été choisi comme chef de l’Opposition, avec l’appui de plusieurs députés du Australia Party. Selon Reid et Forrest, les rapports de presse de l’époque disent que l’élection de M. Fadden a été unanime.

Il y a lieu de souligner que, lorsque le nombre de sièges à la Chambre australienne n’a pas indiqué clairement quel parti devrait devenir l’opposition officielle, les partis d’opposition ont vu eux-mêmes à se réunir hors de la Chambre pour tenter de trouver une solution au problème.

D’après les renseignements obtenus directement de la Chambre des représentants australienne, il est impossible de vérifier que le Président Nairn a présidé la réunion conjointe. Cependant, puisque le Président Nairn était député du Australia Party, il aurait probablement été présent à la réunion, comme il était et est encore d’usage pour le Président australien d’assister aux caucus de son parti.

Puisque aucun compte rendu de ces réunions n’a été publié, je ne puis savoir avec certitude qui a présidé cette réunion. Si le Président Nairn a présidé cette réunion, il l’a très vraisemblablement fait en tant que député du parti et non à titre de Président impartial de la Chambre.

À la Chambre des communes du Canada, l’élection du Président au scrutin secret a des conséquences sur ses relations politiques. Elle impose à celui qui accède au fauteuil l’obligation de mettre de côté ses liens parlementaires avec son parti pour servir tous les députés de la Chambre comme Président. Donc, après avoir été élu, le Président n’assiste à aucun caucus. Si un groupe de députés souhaitait se réunir hors de la Chambre pour aborder une question et manifestait sa volonté que je préside cette réunion, je serais manifestement prêt à offrir mes services comme animateur neutre et impartial. Je suis sûr qu’aucun député de la Chambre ne souhaite voir le Président se mêler de questions partisanes.

En conclusion, le précédent australien ne m’est d’aucun secours pour résoudre le problème qui m’est soumis. Après avoir écouté les arguments des députés, après avoir examiné les précédents invoqués par le député de Lethbridge et d’autres précédents survenus dans les provinces et dans d’autres pays et après avoir tenu compte de nos propres traditions, je ne trouve rien qui aurait pu étayer l’affirmation du député de Lethbridge selon laquelle le Président de la Chambre des communes peut décider d’accorder le statut d’opposition officielle au deuxième parti d’opposition quant au nombre de députés.

Par convention, le nombre de sièges que détient un parti à la Chambre est le facteur déterminant.

Je veux traiter maintenant de la nouvelle réalité qui prévaut aujourd’hui à la Chambre, c’est-à-dire le sujet de l’égalité du nombre de sièges pour le Bloc québécois et le Parti réformiste.

Au début de la présente législature, le Bloc québécois, étant le parti minoritaire le plus considérable, a assumé le rôle d’opposition officielle, son chef acceptant la charge de chef de l’Opposition officielle. Par suite d’une élection complémentaire et de la démission de l’honorable député de Lac-Saint-Jean le 15 janvier, le Bloc québécois et le Parti réformiste détiennent maintenant le même nombre de sièges à la Chambre.

Tout comme la Présidente Dysart, du Nouveau-Brunswick, en 1994, je dois répondre à la question suivante : le fait de l’égalité suffit-il à destituer ou à écarter l’opposition officielle reconnue? À l’examen des précédents des autres juridictions canadiennes, notamment le plus récent précédent du Nouveau­ Brunswick, je dois conclure, tout comme le Président Dysart et d’autres l’ont fait, qu’en cas d’égalité pendant le cours d’une législature, l’antériorité devrait être le facteur déterminant et le statu quo devrait donc être maintenu.

L’égalité du nombre de sièges pour les deux plus grands partis d’opposition ne doit pas priver les députés du Bloc québécois de leur statut actuel d’opposition officielle, ni les empêcher de choisir parmi eux le chef de l’opposition officielle. Donc, le Bloc québécois peut conserver son statut actuel d’opposition officielle, du moins jusqu’à ce qu’une nouvelle révision soit nécessaire.

J’espère que tous les députés comprendront que, dans cette affaire, le rôle du Président consiste à veiller à ce que les délibérations de la Chambre soient dirigées conformément au Règlement et à nos pratiques. Il est de mon devoir de veiller à ce que tout sujet qui peut légitimement être soumis à la Chambre respecte les prescriptions de la procédure quant à la forme dans laquelle il est présenté.

Comme je l’ai déjà dit, la désignation de l’Opposition officielle n’a jamais été faite à la Chambre même, et la Chambre n’a jamais établi de procédure pour le choix de l’opposition officielle. Mes commentaires sont faits manifestement dans le contexte actuel du nombre de sièges détenus par l’opposition à la Chambre et en l’absence d’un texte législatif, d’une règle ou d’une directive qui indiquerait au Président quoi faire s’il devait prendre part à la détermination du parti qui devrait, à un certain moment, devenir l’Opposition officielle.

Je remercie l’honorable député de Lethbridge, qui a soulevé le rappel au Règlement, et tous les autres députés de leur contribution et de leur patience à écouter cette longue mais importante déclaration.

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1996-02-27

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[1] Débats, 14 décembre 1995, p. 17672-17677.