Le processus décisionnel / Motions et amendements

Motion : motion émanant du gouvernement pressant une assemblée législative d’agir; ingérence dans un domaine de compétence d’une autre assemblée législative; recevabilité

Débats, p. 12965-12967

Contexte

Le 19 juin 1990, M. Nelson Riis (Kamloops) invoque le Règlement pour demander à la présidence de statuer sur la recevabilité d’une motion émanant du gouvernement qui presse les Assemblées du Manitoba et de Terre-Neuve de ratifier l’Accord du Lac Meech. Selon M. Riis, la motion est irrecevable parce qu’elle empiète sur un domaine qui relève de la compétence exclusive des assemblées législatives des provinces visées. D’autres députés interviennent également à ce sujet[1]. Le Président rend immédiatement sa décision. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Le député de Kamloops a soulevé une question intéressante.

Afin que les députés comprennent bien l’affaire dont la présidence est saisie, je les renvoie au Feuilleton où le gouvernement a donné avis d’une motion concernant une résolution sur laquelle le débat n’a pas commencé, mais qui traite de l’accord constitutionnel et des résultats des discussions tenues il y a environ une semaine.

Je ne lirai pas le préambule, mais je vais citer le passage essentiel qui est à l’origine de la plainte du député de Kamloops. Le voici :

[…] la Chambre…

C’est-à-dire la Chambre des communes.

…presse les Assemblées du Manitoba et de Terre-Neuve de s’employer à compléter la ratification de la Modification constitutionnelle […].

Le député prétend qu’il faut déclarer la motion irrecevable parce qu’elle empiète en quelque sorte sur le champ, le domaine de compétence d’une autre assemblée législative de la Confédération canadienne, à l’intérieur du régime fédéral.

Il a tout d’abord soumis à la présidence un texte d’Erskine May et un commentaire, je crois, de la cinquième édition de Beauchesne, si ma mémoire est bonne.

Je signale avant toute chose que les commentaires d’Erskine May ou de Beauchesne sur la procédure britannique ne peuvent que juger s’il convient que la Chambre des communes britannique débatte une question à l’étude à la Chambre des Lords.

Ce que le gouvernement demande ici, quoiqu’il pourrait prétendre que ce n’est même pas une demande, mais il ne m’appartient pas de le préciser, c’est que la Chambre presse les Assemblées du Manitoba et de Terre-Neuve d’agir.

La question est de savoir s’il s’agit d’une intrusion dans le champ de compétence d’une autre assemblée législative.

Ce n’est pas la première fois que le cas se présente, et je signale à la Chambre la motion de 1984 que les députés, si ma mémoire est fidèle, pressaient le gouvernement d’adopter. Elle portait sur une question qui divisait le pays et la province du Manitoba, mais je vais citer le texte de la motion.

Il est vrai, comme le député l’a signalé, que cela s’est fait avec le consentement unanime. Le détail a son importance, mais je ne crois pas qu’il change quoi que ce soit au précédent. La motion dit : « La Chambre presse le gouvernement du Manitoba de persister dans ses efforts pour satisfaire aux obligations constitutionnelles de la province et pour protéger efficacement les droits de la minorité francophone […]. »

Elle dit aussi : « La Chambre presse l’Assemblée législative du Manitoba de considérer d’urgence la résolution et la législation pertinentes de manière à assurer leur prompte adoption[2]. »

Nous ne sommes pas un État unitaire comme le Royaume-Uni. Nous sommes un État fédéral. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui a défini notre position constitutionnelle en 1867 a fait relever de la compétence des provinces un certain nombre de questions comme la propriété et les droits civils, et en a laissé d’autres sous l’autorité des Communes et du Parlement du Canada.

Il est parfaitement vrai, comme le député l’a fait remarquer, que les assemblées législatives provinciales partout au Canada débattent d’un certain nombre de questions relevant de leur compétence exclusive, et qu’il faut évidemment respecter ce fait.

La question qui se pose en l’occurrence est de savoir si une motion comme celle-ci est une intrusion dans les débats d’une autre assemblée législative. La motion a trait à quelque chose d’absolument fondamental pour le pays tout entier et qui est tout aussi important au niveau provincial qu’au niveau fédéral, car cela concerne la modification de la Constitution de notre pays. Ce n’est pas une chose qui relève exclusivement de la compétence d’un gouvernement provincial.

Même si c’était le cas, et je souligne cette distinction, ce que la motion demande à la Chambre fédérale de faire en l’occurrence, c’est ni plus ni moins de s’exprimer sur une affaire d’un grand intérêt national, en ces termes:

Que la Chambre presse les Assemblées du Manitoba et de Terre-Neuve de s’employer à compléter la ratification de la Modification constitutionnelle […].

Il ne m’appartient pas de dire quelle pourrait être la réaction dans la province de Terre-Neuve et du Labrador et dans la province du Manitoba si la Chambre décidait de le faire. Mais je dois dire qu’au plan de la procédure, il est très difficile de se persuader qu’il s’agit d’un empiétement sur les compétences d’une assemblée législative provinciale.

Je le répète, il s’agit d’une question d’intérêt national. Si la Chambre des communes décide de s’exprimer sur une question de grande importance nationale, elle peut le faire comme elle l’a déjà fait, et je pense qu’il serait inopportun de ma part de juger qu’elle ne peut pas le faire.

Je tiens également à attirer l’attention des députés sur le débat de 1987 auquel le secrétaire parlementaire (M. Albert Cooper) a fait allusion. La Chambre était saisie d’une motion du Nouveau Parti démocratique à débattre un jour réservé à l’opposition et qui s’énonçait ainsi : « Que la Chambre exhorte le gouvernement de la Colombie-Britannique à collaborer à la transformation en parc national de la région sud de Moresby, des îles de la Reine-Charlotte », et ainsi de suite.

Cette motion a fait l’objet d’un débat à la Chambre. Les députés s’en rappelleront, elle suscitait une telle unanimité à la Chambre que longtemps avant la fin de la séance qui avait été réservée à ce débat, à la suggestion du député de Winnipeg—Birds Hill (M. Bill Blaikie) de l’époque et avec le consentement du ministre fédéral de l’Environnement (l’hon. Tom McMillan) de l’époque, la motion a été mise aux voix et adoptée[3]. Le débat s’est ensuite poursuivi normalement. Mais ce fut un jour unique et exceptionnel, cela ne fait aucun doute.

Je dois dire que la motion a eu des répercussions hors de la Chambre. Cela a eu des effets en Colombie-Britannique, province dont je suis originaire. Bien sûr que cela a eu des effets.

Ce que la Chambre avait fait était de demander au gouvernement de la Colombie-Britannique de « collaborer à la transformation ». On pourrait arguer du fait que cette demande ne s’adressait pas à l’Assemblée législative. Peut-être que non, mais cela constitue en fait une demande très directe de la Chambre à l’assemblée législative d’une autre province pour que celle-ci prenne des mesures.

Je crois que je dois adopter l’opinion qu’il ne s’agit pas d’une ingérence dans les compétences d’une autre assemblée législative. Il y a là une différence qui distingue probablement ce cas de ceux mentionnés par Beauchesne et Erskine May, puisque nous sommes dans un État fédéral et non dans un État unitaire.

Troisièmement, il est clair que cela a déjà été fait, non seulement de temps à autre, mais assez souvent. Les députés qui sont ici depuis quelque temps se souviendront qu’il est arrivé couramment et fréquemment que des députés se lèvent en Chambre pour demander au gouvernement en place, de quelque allégeance qu’il soit, de faire une déclaration publique sur des questions de grande importance nationale, et pour inviter le gouvernement en place à présenter des motions à la Chambre en vue de faire de telles déclarations.

Le député de Kamloops soulève un point qui m’inquiète, c’est que ce processus, si on en abuse, pourrait bien occasionner des problèmes et du ressentiment à certains endroits. C’est bien sûr une question politique et non une question de procédure, et il ne m’appartient pas de prendre de décision à cet égard, mais j’ai écouté attentivement l’argument.

F0403-f

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1990-06-19

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[1] Débats, 19 juin 1990, p. 12963-12965.

[2] Journaux, 24 février 1984, p. 214.

[3] Journaux, 14 mai 1987, p. 916-918.