La procédure financière / Les voies et moyens

Motion faisant référence à un document n'ayant pas fait l'objet d'un dépôt à la Chambre

Débats, p. 7546-7549

Contexte

Le 24 janvier 1990, M. Nelson Riis (Kamloops) invoque le Règlement au sujet d'une motion de voies et moyens adoptée le jour précédent et dans laquelle il est fait mention d'un document technique n'ayant pas fait l'objet d'un dépôt à la Chambre. De l'avis du député, ce genre de pratique va à l'encontre de la tradition parlementaire voulant qu'une motion de voies et moyens soit fondée sur un document déposé à la Chambre, et remet en question la pratique séculaire voulant que les mesures financières prennent naissance à la Chambre des communes. Selon M. Riis, cela pourrait faire planer l'incertitude sur la portée du projet de loi et sur la nature des amendements que la Chambre pourra y apporter. L 'hon. Michael Wilson (ministre des Finances) sollicite alors un certain délai pour préparer sa réponse[1]. Le Président prend donc la question en délibéré. Durant les affaires courantes, avant la rubrique « Dépôt de projets de loi émanant du gouvernement », le Président demande à la Chambre de se prononcer sur la présentation et la première lecture du projet de loi fondé sur ladite motion de voies et moyens. Il précise qu'il rendra sa décision avant que la Chambre ne procède à la deuxième lecture du projet de loi[2]. Le lendemain, M. Wilson confirme que le document technique n'a pas été déposé mais que plusieurs autres documents d'information sur l'objet de la motion de voies et moyens l'ont été. Il précise qu'il est prêt à le déposer si la présidence l'exige. D'autres députés prennent également part à la discussion[3]. Le Président déclare qu'il fera part de sa réponse à la Chambre le plus tôt possible. Il rend sa décision le 29 janvier 1990. Celle-ci est reproduite intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président: Je crois que la Chambre est d'accord pour que je rende maintenant ma décision sur un rappel au Règlement soulevé par le député de Kamloops il y a quelques jours, plutôt que d'attendre la fin des affaires courantes. Je suis prêt.

Le 24 janvier 1990, le député de Kamloops a invoqué le Règlement, contestant la recevabilité sur le plan de la procédure d'une motion de voies et moyens adoptée la veille. Tout en permettant la présentation et la première lecture du projet de loi proposées dans la motion, j'ai indiqué aux députés, à ce moment-là, que je ne permettrais pas que le débat de deuxième lecture sur le projet de loi débute tant que les arguments avancés par le député de Kamloops n'auraient pas été examinés et qu'une décision n'aurait pas été rendue. Je suis maintenant prêt à rendre une décision sur cette affaire.

Avant d'aborder le fond de la question, j'aimerais traiter d'un point de procédure concernant le moment choisi par le député pour invoquer le Règlement. Le député de Kamloops a expliqué qu'il ne l'avait pas fait le 23 janvier parce que le paragraphe 83(3) du Règlement dispose que « la Chambre doit se prononcer immédiatement et sans débat sur [l'adoption de ladite] motion [de voies et moyens] ».

J'aimerais signaler que la pratique et les règles de la Chambre n'interdisent pas à un député de soulever une objection de procédure au sujet d'une motion de voies et moyens du moment où celle-ci est mise en délibération.

Il est dit dans le commentaire 235 de la 5e édition de Beauchesne :

Tout député a le droit, le devoir même de signaler à [la présidence] tout ce qu'il juge contraire au bon ordre […] Il doit même le faire dès qu'il croit avoir constaté quelque irrégularité dans les délibérations en cours.

La présidence veut simplement signaler qu'il y a une différence entre la restriction visant le débat sur la motion d'adoption et le fait d'invoquer le Règlement. Je désire ajouter que j'ai fait ces remarques pour clarifier la situation, mais qu'elles n'influent en rien sur la décision que je vais rendre et ne portent pas préjudice au député de Kamloops qui a soulevé et défendu ce rappel au Règlement. Bref, le 23 janvier le député aurait pu soulever la question de procédure, mais non débattre le fond de la motion.

Je vais maintenant rendre ma décision. Le 24 janvier, le député de Kamloops a signalé qu'il était fait mention dans la motion de voies et moyens, présentée par le ministre des Finances, d'un document qui n'avait pas été déposé à la Chambre des communes. Voici, plus précisément, le texte de cet important passage de la motion.

Une taxe […] sera imposée après 1990 en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, conformément aux documents intitulés « Taxe sur les produits et services », déposés à la Chambre des communes par le ministre des Finances le 19 décembre 1989, et « Taxe sur les produits et services : document technique », publié par le ministre des Finances le 8 août 1989. Cette taxe est imposée au taux de 7 p. 100;

C'est le document mentionné en second lieu dans la motion, qui n'avait pas encore été déposé à la Chambre à ce moment-là.

Le député de Kamloops a fait valoir que nous avions affaire à un projet de loi fiscal qui se fondait en partie sur un document diffusé par les médias et qui n'avait pas été déposé à la Chambre. Cela remet en question, selon lui, la pratique séculaire voulant que les mesures financières prennent naissance en Chambre. Il demande en outre si l'on pourrait maintenant proposer des amendements au projet de loi pour porter la taxe à 9 p. 100, vu que le document technique dont il est fait mention dans la motion traitait d'un projet de taxe de 9 p. 100.

La présidence reconnaît qu'il s'agit là de questions graves qui méritent un examen attentif et tous les éclaircissements utiles.

Avant d'aller plus loin, il serait peut-être opportun d'expliquer brièvement, particulièrement aux gens qui nous écoutent, mais peut-être aussi aux députés, la signification de la motion de voies et moyens.

Notre procédure parlementaire est fondée sur la prémisse que le gouvernement doit déposer une motion de voies et moyens à la Chambre avant d'imposer une nouvelle taxe, avant de demander le maintien d'une taxe qui vient à expiration, ainsi qu'avant de hausser le taux ou d'étendre l'incidence d'une taxe existante.

C'est l'expression « voies et moyens » qui est employée pour désigner le procédé par lequel le gouvernement obtient les ressources nécessaires pour faire face à ses dépenses-en d'autres termes, comment il lève des impôts. Notre pratique requiert donc que soit déposé à la Chambre un avis de motion exposant les grandes lignes des modifications du droit fiscal qui sont proposées et que la motion soit adoptée avant la première lecture de tout projet de loi fiscal.

Or, il n'est pas nécessaire que cette motion de voies et moyens soit identique au projet de loi fiscal qui lui fait suite. Dans certains cas, la motion est presque une version mot-à-mot du projet de loi subséquent, mais il peut s'agir simplement dans d'autres cas d'un énoncé en un seul paragraphe des changements proposés.

On peut excuser les députés si, parfois, ils sont un peu perplexes quant à ce que l'on peut raisonnablement mettre ou ne pas mettre dans une motion de voies et moyens, car il y a eu de très nombreux libellés, formes et structures aux motions de voies et moyens au cours de l'histoire de nos institutions parlementaires.

Dans certains cas, cette motion est presque une version mot-à-mot du projet de loi subséquent, comme je l'ai dit, alors que dans d'autres cas, on peut n'avoir qu'un seul paragraphe expliquant les changements proposés. Notre Règlement précise que le projet de loi doit être « fondé sur les dispositions » de la motion de voies et moyens. Beaucoup de mes prédécesseurs ont expliqué dans leurs décisions que « fondé sur » ne voulait pas dire « identique à ».

J'aimerais revenir maintenant à l'affaire qui nous occupe.

Lorsque le député de Kamloops a fait valoir que la motion de voies et moyens faisait mention d'un document qui n'avait pas été déposé à la Chambre, il a soulevé plusieurs questions importantes. D'abord, on a demandé à la présidence de se prononcer sur la question de savoir s'il était acceptable de présenter une motion de voies et moyens faisant mention d'un document qui n'a pas été déposé à la Chambre.

Il semble évident que la question de savoir si une motion de voies et moyens ne doit faire mention que de documents déposés à la Chambre s'articule autour de celle de savoir si la Chambre et les députés avaient accès à ces documents et si ces documents étaient de nature publique. La nécessité de cet accès est évidente. Je m'empresse toutefois d'ajouter que rien dans notre Règlement ou notre pratique n'oblige à limiter les mentions faites dans les motions de voies et moyens aux seuls documents déposés à la Chambre.

L’histoire du document dont il s'agit ici-le document technique publié le 8 août 1989-est intéressante. Ainsi que le ministre des Finances l'a lui-même signalé le 25 janvier 1990, le document technique a fait l'objet d'une étude entreprise par un comité de son propre chef, et d'un rapport présenté à la Chambre par ce comité le 27 novembre 1989. Ce document technique a aussi donné lieu à la présentation d'une motion de subsides par le député de Yorkton-Melville (M. Lame Nystrom), le 12 octobre 1989-et je cite, à la page 4578 du Hansard, les paroles du député qui ouvre le débat au nom du Nouveau Parti démocratique :              ·

Je prends la parole aujourd'hui pour demander à la Chambre de rejeter la proposition énoncée dans le document technique concernant la taxe sur les produits et services.

Il parlait naturellement du document technique que je viens de mentionner.

Il y a suffisamment d'indications que le document en question était bien connu dans les cercles parlementaires et qu'on pouvait en obtenir aisément des exemplaires de notre service des documents parlementaires. Je dois donc conclure qu'au chapitre de l'accès des députés à ce document, il n'y a pas de problème. En outre, le ministre, dans l'intervention qu'il a faite le jeudi 25 janvier, a offert de déposer le document technique du 8 août, ce qu'il a d'ailleurs fait le vendredi 26 janvier.

Je répète que, sur le strict plan de la procédure, il n'est pas requis que les motions renvoient uniquement à des documents déposés à la Chambre. À défaut de prescription d'une loi ou de notre Règlement, les documents qui sont déposés à la Chambre le sont par courtoisie, à titre d'information.

Beaucoup plus difficile est la question accessoire soulevée par le député de Kamloops concernant la possibilité d'amendements au projet de loi fondé sur la motion de voies et moyens. Cela dépend évidemment du rapport existant entre la motion et le projet de loi fiscal. Le député maintient que la motion délimite de façon incertaine la portée du projet de loi concernant la taxe sur les produits et services. Plus précisément, il relève la contradiction entre la taxe de 9 p. 100 dont les grandes lignes sont exposées dans le document technique et celle de 7 p. 100 dont on trouve l'énoncé dans le document de décembre 1989 et la motion.

Au cas où les députés ou encore le public se demanderaient comment cette contradiction peut exister, je dirais que c'est parce que le document technique a été préparé et rendu public il y a déjà quelque temps et que, naturellement, il mentionne les 9 p. 100, alors que le document de décembre incorpore les changements de politique, ce qui fait qu'il mentionne une taxe de 7 p. 100.

Sur le strict plan du taux de la taxe, je dois dire tout de suite que le texte de la motion fait mention expressément d'une taxe de 7 p. 100. Lorsque je dis que « le texte de la motion fait mention expressément d'une taxe de 7 p. 100 », je parle bien sûr de la motion de voies et moyens, ce qui fait que le projet de loi et tous les amendements proposés devraient se limiter à ce taux qui constitue un plafond.

Le 25 janvier 1990, le ministre des Finances a également fait une intervention au sujet de ce rappel au Règlement. Il a déclaré que si l'on avait fait mention, dans la motion de voies et moyens, du document technique du mois d'août 1989 et du document de décembre 1989 déposé à la Chambre, c'était selon ses propres termes, « pour rendre service ». Il l'explique ainsi à la page 7470 du Hansard, et je cite le ministre :

Bref, nous avons fait mention du document technique du mois d'août comme d'un jalon historique du processus d'élaboration de la politique liée à la TPS, afin d'aider les députés[...]En terminant, je voudrais répéter que la motion de voies et moyens déposée lundi dernier suffit, car elle assure la portée et les pouvoirs nécessaires en ce qui concerne la TPS, avec ou sans mention du document technique du mois d'août dont mon collègue a parlé.

La présidence accepte l'explication donnée par le ministre des Finances selon laquelle la mention des documents en cause dans la motion de voies et moyens est extrinsèque à l'expression de l'initiative financière du gouvernement.

Il serait effectivement fort difficile de fonder un projet de loi fiscal sur des documents qui s'inscrivaient dans un procédé de consultation, surtout qu'il n'y a pas d'harmonie entre ces documents. Chacun d'eux traite en détail de domaines d'intérêt différents relevant de la question de la taxe sur les produits et services.

Je dois dire en passant que moi et d'autres avons examiné ces deux documents. Ils ont été examinés soigneusement par la présidence en préparation de cette décision.

S'il arrivait qu'on propose des amendements fondés sur ces documents, la présidence pourrait se retrouver dans la position peu enviable de devoir concilier les contradictions de ces documents et de devoir essayer de déterminer la portée exacte du projet de loi.

Je pense que les députés, et certainement le ministre, admettront que, sur le plan de la procédure, la situation aurait été intolérable et aurait causé à la présidence et à la Chambre des difficultés considérables.

À cet égard, la présidence se voit rappeler une déclaration faite par un de ses prédécesseurs, le Président Jerome, alors qu'il devait se prononcer sur le rapport entre une motion de voies et moyens et le projet de loi subséquent. Le 18 décembre 1974, le Président Jerome disait ce qui suit:

[...] les termes· de la motion de voies et moyens sont l'expression soigneusement établie de l'initiative financière de la Couronne et de fréquentes déviations ne pourraient que conduire à la détérioration de ce très important pouvoir[4].

Dans son libellé actuel et dans la mesure où elle prend ses distances à l'égard des documents techniques des mois d'août et de décembre, la motion de voies et moyens déclare simplement qu'il sera imposé après 1990 une taxe sur les produits et services, calculée au taux de 7 p. 100 :

a) de la valeur de la contrepartie relative aux fournitures taxables, sur les acquéreurs de ces fournitures effectuées au Canada;
b) du total de la valeur à l'acquitté des produits et de la taxe d'accise imposée en vertu de la Loi sur la taxe d'accise relativement aux produits importés, sur les personnes qui importent des produits;
c) de la valeur de la contrepartie relative aux fournitures taxables importées, sauf les produits, sur les acquéreurs qui résident au Canada.

Bref, je pense qu'il faut noter que la motion de voies et moyens dont il s'agit présente un énoncé très large de l'initiative financière du gouvernement en ce qui concerne la taxe sur les produits et services et paraît donc offrir de très larges possibilités quant aux amendements au projet de loi, naturellement pourvu qu'on ne dépasse pas le plafond de 7 p. 100.

Ce sont les termes de la motion qui doivent guider les députés dans la rédaction de tout amendement que je viens d'énoncer. Par conséquent, vu que le ministre a expliqué à la Chambre que la motion suffit et qu'elle ne tire aucun des pouvoirs requis des documents diffusés précédemment par le gouvernement, la présidence conclut que le projet de loi C-62 fondé sur la motion de voies et moyens peut maintenant subir l'étape de la deuxième lecture.

Je voudrais dire en outre que l'argument du député de Kamloops avait fait l'objet d'une excellente recherche et qu'il avait été présenté très succinctement. J'espère que les députés seront d'avis que cette décision traite convenablement de la question.

Je remercie le ministre de l'aide qu'il a apportée à la présidence pour clarifier ses déclarations.

F0615-f

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1990-01-29

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[1] Débats, 24 janvier 1990, p. 7431-7433.

[2] Débats, 24 janvier 1990, p. 7433-7434.

[3] Débats, 25 janvier 1990, p. 7469-7472.

[4] Débats, 18 décembre 1974, p. 2380-2381.