Les règles du débat / Décorum

Langage non parlementaire : expression « on nous a menti »; désigner un député par son nom

Débats, p. 17486-17488

Contexte

Durant la période des questions du 24 mars 1993, M. David Barrett (Esquimalt-Juan de Fuca) accuse l'hon. Harvie Andre (ministre d'État et leader du gouvernement à la Chambre) d'avoir menti au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur lorsque celui-ci étudiait l'Accord de libre-échange nord-américain. Lorsque le député refuse de retirer son accusation, le Président lui demande de demeurer à son fauteuil après la période des questions de manière à pouvoir discuter de nouveau de cette affaire[1].

Après la période des questions, le Président demande de nouveau à M. Barrett de retirer son allégation. Les commentaires du Président sont reproduits intégralement ci-dessous.

Décision de la présidence

M. le Président : Je voudrais revenir sur une question qui nous a occupés il y a un instant, pendant la période des questions. J'ai demandé au député d'Esquimalt­ Juan de Fuca de rester à la Chambre, et je constate qu'il l'a fait.

Nous tous qui sommes dans la vie publique savons qu'il y a des moments où nous avons sur certaines questions des convictions très profondes, et c'est bien, car, comme je l'ai dit à maintes reprises, la politique est un jeu rude et une longue tradition veut que les électeurs, aussi bien au Canada que dans les pays dont nos institutions sont inspirées, insistent pour se faire représenter par des personnes idéalistes et résolues. Cela, nous le comprenons tous.

Le différend dont nous avons été témoins il y a quelques instants s'explique sans aucun doute par le fait qu'il y a des idées bien arrêtées, de part et d'autre de la Chambre.

La difficulté, c'est qu'on pourrait prendre la chose à la légère. Il m'est arrivé de dire à certains des nombreux groupes d'élèves qui viennent à la Chambre des communes que la distance entre les deux côtés de la Chambre doit, selon certains, faire au moins la longueur de deux épées. Notre régime est fondé sur l'opposition entre deux parties et, pour le meilleur et pour le pire, nous l'avons conservé, après en avoir hérité et l'avoir adapté à nos propres besoins, parce que nous croyons que ce régime est probablement, pour nous comme pour notre système judiciaire, le plus sûr moyen qu'aient trouvé les hommes civilisés de connaître la vérité et les faits. Ce n'est pas le seul moyen et il n'est pas parfait, de toute évidence, mais c'est le régime qui est le nôtre.

Cependant, ce régime ne peut fonctionner que si nous respectons les traditions de la Chambre et les règles que nous nous sommes fixées. Cela veut dire que notre conduite à la Chambre doit respecter certaines contraintes.

Comme je l'ai dit au début de ma brève intervention, je n'enlève rien à la vigueur des convictions qui peuvent nous animer. À titre de Président, je suis, bien entendu, toute douceur et discrétion, toute bonté et gentillesse; je suis censé n'avoir aucune idée propre, mais certains d'entre vous se rappelleront sans doute qu'il est arrivé, lorsque je siégeais parmi les députés, que je donne quelque angoisse au Président. La plupart d'entre nous se sont probablement retrouvés dans une situation semblable à un moment ou à un autre.

Le point essentiel demeure que notre institution et notre pays doivent compter plus que notre colère et nos propres convictions lorsque nous intervenons à la Chambre. Je n'ai jamais dit que, dans une assemblée comme celle-ci, un ordre absolu et aseptique s'imposait. Cela n'a jamais été, et je doute que cela ne soit jamais, à moins que nous n'élisions que des zombis. Reste qu'il faut faire régner un ordre raisonnable parce que, sans un ordre raisonnable, il ne saurait y avoir liberté de parole. Or, le droit de parole est fondamental à la Chambre.

Si nous ne respectons pas les règles que nous nous sommes données, ce droit de parole sera perdu.

Je connais bien le député d'Esquimalt-Juan de Fuca et je sais qu'il est un homme honorable. Lorsque je dis que je le connais bien, cela comporte bien des choses. Je connais fort bien le député. Je le connais pour sa passion, ses convictions et ses principes. Je l'en admire, tout comme la plupart des honnêtes citoyens de la Colombie-Britannique. Je sais aussi qu'il a une grande expérience parlementaire non seulement ici, mais également comme Premier ministre de ma province, à l'Assemblée législative de la Colombie -Britannique. Il a fait à la vie publique une très grande contribution, et il n'y a pas de doute qu'il continuera à le faire.

Je ne crois pas pouvoir aller plus loin dans cette assemblée qui se complaît dans la discussion. Je crois avoir entendu tout à l'heure un député me mettre en garde : « Un instant, monsieur le Président, vous allez le faire réélire. » Ce n'est évidemment pas l'objectif que je poursuis.

Ce que je veux faire, c'est demander au député si, après considération, il est disposé, dans l'intérêt de notre assemblée et de nos traditions, à dire bien simplement qu'il retire les propos offensants qu'il a tenus. Cela mettrait un terme à l'incident. La question qui le préoccupe restera d'actualité, il y a d'autres endroits pour en discuter.

Le député voudrait-il collaborer avec la présidence? Le député d'Esquimalt-Juan de Fuca.

M Barrett ayant adressé quelques remarques à la Chambre :

M. le Président : J'ai demandé au député de faire une intervention qui, je l'espère, sera utile à la présidence. Je veux entendre ce qu'il a à dire. Il a peut-être dit quelque chose que je n'ai pas entendu parce que d'autres députés parlent en même temps que lui. Le député a la parole.

M. Barrett ayant poursuivi ses remarques sur cette question :

M. le Président : Une minute. Certaines choses ont peut-être été dites; toutefois, pour ce qui est de déterminer si on les a dites dans l'intention d'induire des gens en erreur-ce qui est nécessaire pour que ce soit un mensonge-c ‘est peut-être là une question d'opinion. Nous ne pouvons cependant pas employer ces termes ici. Je vais demander au député de réexaminer sa position pendant quelques heures, et j'espère qu'il jugera opportun de se rétracter.

Le très honorable Premier ministre a la parole.

Le Premier ministre et M. Barrett poursuivant la discussion sur cette question[2] :

M. le Président : J'ai demandé au député de réexaminer sa position et je dois en conclure qu'il l'a fait et qu'il ne changera pas d'idée.

Je crois que c'est regrettable. Toutefois, selon les règles que nous avons établies, cette situation nécessite que la présidence prenne les mesures qui s'imposent. Le Premier ministre a probablement parlé au nom de tous les députés. Nous avons prié notre collègue de se rétracter, mais il refuse de le faire. Dans ces circonstances, la présidence se voit malheureusement obligée de désigner le député par son nom.

M. Barrett, je dois vous désigner par votre nom pour ne pas avoir respecté l'autorité de la présidence. Conformément au pouvoir qui m'est conféré en vertu de l'article 11 du Règlement, je vous ordonne de vous retirer pour le reste de la séance d'aujourd'hui.

F0725-f

34-3

1993-03-24

[1] Débats, 24 mars 1993, p. 17482.

[2] Débats, 24 mars 1993, p. 17487-17488.