Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : ministre accusée d’induire délibérément la Chambre en erreur

Débats, p. 16491–16492.

Contexte

Le 5 décembre 2017, Pat Kelly (Calgary Rocky Ridge) soulève une question de privilège concernant des déclarations trompeuses qu’aurait faites Diane Lebouthillier (ministre du Revenu national). Il soutient que, à la période des Questions orales, la ministre a fourni des réponses qui contredisent les renseignements d’une note de service ministérielle sur les conditions d’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées obtenue par une demande d’accès à l’information[1]. Le lendemain, soit le 6 décembre 2017, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) a fait valoir à son tour que les déclarations de la ministre ne sont ni inexactes ni contradictoires, mais que la question revient à un désaccord sur les faits[2]. Le 12 décembre 2017, la ministre assure que ses déclarations à la Chambre sont bien valides, malgré la confusion involontaire causée par la note de service susmentionnée[3]. Le Président prend la question en délibéré.

Résolution

Le 30 janvier 2018, le Président rend sa décision. Après avoir rappelé aux députés la nécessité de soulever les questions de privilège à la première occasion, le Président réaffirme que le pouvoir du Président se limite à juger uniquement les propos tenus durant les travaux du Parlement. Après avoir passé en revue les déclarations de la ministre à la Chambre, le Président se dit incapable de trouver la preuve qu’elles étaient délibérément trompeuses et ne conclut pas à première vue à une atteinte au privilège. En guise de conclusion, le Président rappelle à la Chambre la tradition de longue date selon laquelle les députés sont crus sur parole et il rappelle la nécessité de transmettre des renseignements exacts en temps voulu.

Décision de la présidence

Le Président : Le 5 décembre 2017, l’honorable député de Calgary Rocky Ridge a soulevé une question de privilège concernant des déclarations trompeuses qu’aurait faites la ministre du Revenu national.

Je remercie le député de Calgary Rocky Ridge d’avoir soulevé cette question, ainsi que la ministre du Revenu national, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes et les députés de New Westminster—Burnaby et de Saanich—Gulf Islands de leurs observations, qui m’ont aidé à déterminer s’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

Le député de Calgary Rocky Ridge a fait valoir que certaines réponses orales données par la ministre du Revenu national concernant les critères d’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées contredisent des renseignements figurant dans une note d’information ministérielle, laquelle été obtenue grâce à une demande d’accès à l’information. Le député a souligné que la ministre avait affirmé à maintes reprises que le critère d’admissibilité au crédit d’impôt pour personnes handicapées n’avait pas changé et que la loi n’était pas interprétée différemment. Cependant, de l’avis du député, la note d’information ministérielle révélait le contraire. Selon le député, il s’agit là de la preuve que la ministre a délibérément induit la Chambre en erreur.

Le 11 décembre, le député a de nouveau soulevé la question; il a alors fait valoir que la secrétaire parlementaire de la ministre, lors d’une entrevue diffusée dans les médias, avait fait des commentaires qui étayent sa thèse.

Pour sa part, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes a souligné que les déclarations de la ministre n’étaient ni inexactes ni contradictoires et que, par conséquent, les conditions requises pour établir que la Chambre a été induite en erreur n’ont pas été remplies. Il estime donc qu’il s’agit d’une simple question de débat.

Le 12 décembre, la ministre du Revenu national a assuré aux députés que les déclarations qu’elle avait faites à la Chambre dans ce dossier étaient justes. Elle a toutefois admis que la note d’information ministérielle — bien qu’elle ne fît état d’aucun changement au critère d’admissibilité — a pu avoir des conséquences imprévues et prêter à confusion. La ministre a d’ailleurs offert ses excuses à cet égard.

Avant de traiter de la question dont la présidence est saisie, il convient de rappeler aux députés les conditions qui doivent être remplies lorsqu’une question de privilège est soulevée.

Voici ce qu’on peut lire à la page 141 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e édition :

Le président doit être convaincu, premièrement, qu’il y a eu de prime abord atteinte à un privilège et, deuxièmement, que la question a été soulevée à la première occasion.

Il est tenu pour acquis que les questions qui touchent l’essence même des privilèges et immunités des députés ou de la Chambre — tout comme les questions d’outrage à la Chambre — sont de la plus haute importance et doivent être traitées sans tarder. Voici ce que nous rappelle l’ouvrage La Procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e édition, à la page 143 :

Le député devra […] convaincre le Président qu’il porte la question à l’attention de la Chambre le plus tôt possible après s’être rendu compte de la situation. Les fois où des députés n’ont pas respecté cette importante exigence, la présidence a généralement statué que la question de privilège n’était pas fondée de prime abord.

En outre, il faut que les députés transmettent un avis écrit au Président au moins une heure avant de soulever la question à la Chambre.

Le Président dispose d’une marge de manœuvre très limitée quant aux éléments dont il peut tenir compte lorsqu’il doit se prononcer sur une allégation selon laquelle un député a délibérément induit la Chambre en erreur. Tout récemment, soit le 20 novembre 2017, j’ai répété ce qui suit à la page 15303 des Débats de la Chambre des communes :

Les députés savent que, chaque fois que la véracité des affirmations d’un député est mise en doute, le rôle de la présidence se limite strictement à examiner les propos tenus lors des délibérations parlementaires. En d’autres mots, la présidence ne peut pas se prononcer sur ce qui se dit hors du cadre des délibérations de la Chambre ou de ses comités.

Le Président Milliken a lui aussi confirmé cet important principe le 10 février 2011, à la page 8030 des Débats :

[…] la présidence est tenue de respecter des paramètres très restreints dans des situations comme celle-ci. Même si cela peut apparaître comme un point très technique, il n’en demeure pas moins que la présidence doit, lorsqu’elle est appelée à trancher une affaire de ce genre, s’en tenir à la preuve dont la Chambre est officiellement saisie.

Comme il a été reconnu, dans le cadre de l’examen de la présente affaire, laquelle porte sur une série de déclarations faites par la ministre, trois conditions doivent être remplies : les déclarations doivent être trompeuses, le député doit savoir qu’elles sont inexactes au moment où il les fait et, enfin, il faut des preuves que le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Après examen des déclarations faites par la ministre, lesquelles, rappelons-le, sont les seuls éléments de preuve dont je suis saisi en l’espèce, je conclus que, à l’aune du critère établi par la Chambre, rien ne donne à penser qu’elles ont été faites de façon à délibérément induire la Chambre en erreur.

En outre, il est depuis longtemps établi que les députés doivent être crus sur parole, et je suis lié par cette pratique. Je reprends les propos que mon prédécesseur a tenus le 29 avril 2015, à la page 13198 des Débats :

[…] en ma qualité de Président, je dois croire tous les députés sur parole. Prendre la responsabilité de juger de la véracité ou de l’exactitude des déclarations des députés n’est pas un rôle qui m’a été confié, ou que la Chambre semble vouloir voir son Président assumer d’une façon ou d’une autre, avec toutes les conséquences que cela implique.

Pour ces motifs, je ne peux en venir à la conclusion qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

Cela dit, la présente affaire illustre parfaitement à quel point il est important que les renseignements fournis à la Chambre soient clairs et exacts. Les députés ont le droit inaliénable d’obtenir des renseignements clairs et cohérents; sans ce droit, ils ne pourraient pas exercer correctement leurs fonctions de législateurs et de représentants. Communiquer des renseignements qui vont à l’encontre de ce droit et de cette obligation, c’est nuire de fait à tous les députés.

Je remercie les députés de leur attention.

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d'assistance. Si vous avez besoin d'aide pour consulter les documents qu'ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 5 décembre 2017, p. 15989–15991.

[2] Débats, 6 décembre 2017, p. 16084–16085.

[3] Débats, 12 décembre 2017, p. 16284–16285.