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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 039 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 9 juillet 2014

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Nous en sommes à la 39e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. La séance d'aujourd'hui est télévisée.
    Nous accueillons pour cette réunion Mme Bridget Perrier, membre cofondatrice de Sextrade101 et M. Chris Atchinson du département de sociologie de l'Université de Victoria. Nous avons également trois personnes qui témoignent par vidéoconférence: Mme Michelle Miller de l'organisme Resist Exploitation, Embrace Dignity, de Colombie-Britannique; Mme Georgialee Lang, à titre personnel, également de Colombie-Britannique; et Mme Elizabeth Dussault, membre du groupe Prostitutes Involved, Empowered, Cogent — Edmonton.
    Chaque groupe dispose d'une dizaine de minutes pour sa déclaration préliminaire.
    Nous allons débuter avec Mme Perrier.
    Vous avez la parole.
    Aanii. Je dois d'abord reconnaître que je me trouve ici sur un territoire traditionnel non cédé de la Première Nation algonquine.
    Je vous parle aujourd'hui au nom de Sextrade101 et des nombreuses femmes et filles des Premières Nations qui sont réduites à l'esclavage dans le milieu de la prostitution ou victimes de la traite des personnes.
    Je m'appelle Wasayakwe. Mon nom anglais est Bridget Perrier. Je suis née à Thunder Bay, en Ontario, et j'ai été mise en adoption. J'ai été adoptée par une bonne famille qui a fait de son mieux pour m'élever correctement, mais les effets du colonialisme, du trauma intergénérationnel et des abus sexuels pendant l'enfance ont éventuellement fait de moi une candidate idéale pour la prostitution.
     Dès l'âge de 12 ans, alors que je vivais dans un foyer de groupe des services de protection de la jeunesse, j'ai été entraînée dans le monde dégradant de la prostitution. J'y ai été réduite à l'esclavage pendant 10 ans. J'ai été vendue à des hommes qui se sentaient privilégiés de pouvoir voler mon innocence et envahir mon corps. J'ai paradé comme du bétail devant des hommes qui pouvaient acheter mes services et m'obliger à poser des actes auxquels aucune fillette ne devrait être exposée au Canada, terre de liberté.
    À cause des hommes et des dommages qu'ils ont causé au col de mon utérus, je ne peux pas avoir d'enfant de manière naturelle. Encore aujourd'hui, je fais des cauchemars et il m'arrive de dormir la lumière allumée. Mon traumatisme est profond et j'ai parfois l'impression d'être congelée ou, pire encore, d'être endommagée et indigne.
    Mon corps a été vendu dans des établissements légaux, dans la rue et dans des bars de danseuse. À 13 ans, j'ai même fait quelques voyages en bateau sur les Grands Lacs pour que des marins puissent bénéficier de mes services. La chose la plus effrayante qui me soit arrivée a été d'être séquestrée à l'âge de 14 ans pendant une période de 43 heures pour être violée et torturée à répétition par un prédateur sexuel qui s'en prenait aux filles victimes d'exploitation.
    Ceux qui m'ont exploitée ont fait beaucoup d'argent et ont essayé de me briser, mais j'ai lutté pour rester en vie. Ma première proxénète a été la tenancière d'un bordel légal qui m'avait dit de répondre que j'étais une amie de sa fille si les policiers me posaient des questions. On m'a présenté mon deuxième proxénète alors que j'étais à Toronto. J'ai dû me prostituer pour de l'argent. Il était censé être mon garde du corps, mais c'était très loin de la vérité.
    Ils sont tous les deux encore en activité et font subir le même sort à d'autres petites filles quelque part au Canada.
    Si j'ai pu quitter le milieu de la prostitution et refaire ma vie, c'est en grande partie grâce à mon éducation. J'étais reconnue pour ma ténacité et ma force, et j'ai pu devenir un atout pour ma communauté et mon peuple. Je suis maintenant mère de famille, activiste et battante. Mon expérience peut parfois prendre la forme d'un sacrifice, mais je continue à travailler pour les femmes et les filles autochtones du Canada qui sont achetées et vendues, qui disparaissent ou sont assassinées.
    Il faut se demander qui sont les responsables, et ce sont les hommes.
    Ma fille de 19 ans dont la mère naturelle a été assassinée par Robert Pickton m'a demandé de vous lire une lettre.
Aux membres du comité permanent,

Je m'appelle Angel Wolfe. Je suis la fille biologique de Brenda Wolfe qui a été assassinée par Robert Pickton.

Son meurtre a été l'un des six premiers pour lesquels il a été accusé. J'avais 6 ans lorsqu'elle a été assassinée et 9 ans lorsqu'on a découvert l'os de sa mâchoire dans une auge à cochon. Je fais partie des 98 orphelins privés de leur mère par ce monstre.

Je blâme le service de police de Vancouver et la GRC. Je crois que le projet de loi C-36 permettra de sauver des femmes vulnérables comme ma mère. Je suis révoltée de voir que l'on se sert de la mort de ma mère pour justifier la légalisation d'activités aussi indignes qu'horribles.

J'en ai également marre que l'on parle du « projet de loi Pickton ». C'est une insulte et une gifle au visage pour les 98 orphelins, et les organisations et groupes préconisant la légalisation devraient avoir honte de prétendre parler au nom des familles qui ont perdu un être cher.

Je considère que la prostitution et la toxicomanie sont responsables du décès de ma mère, et je peux vous dire, au nom des 98 orphelins, que nous ne voulons pas que la mort de nos mères serve à justifier la légalisation de la prostitution.
(1310)
Je me suis donné comme mission dans la vie de raconter son histoire et de sensibiliser les gens aux problèmes de toxicomanie et de prostitution et aux cas des femmes disparues ou assassinées.

Veuillez agréer l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Angel Wolfe.
    Le projet de loi C-36 protégera mes filles et les autres jeunes filles des clients prédateurs qui ont le culot de solliciter leurs services en public. Pas plus tard que la semaine dernière, ma nièce de 15 ans s'est ainsi fait approcher tout juste devant chez moi.
    Si la prostitution était une chose aussi naturelle que l'on prétend, pourquoi alors les clients ne disent pas à leur épouse, leur conjointe et leur famille qu'ils utilisent ou ont utilisé les services sexuels de prostituées?
    Sextrade101 estime que la prostitution n'est pas une affaire de choix, mais plutôt d'absence de choix parce qu'elle maintient les femmes et les filles dans une situation d'esclavage. Nous croyons que chacune devrait se voir proposer une avenue viable pour s'affranchir du commerce sexuel, plutôt que d'être encouragée à y demeurer. Nous pensons qu'il faut aider chaque femme à bien comprendre avant de s'engager dans le milieu ce qu'il lui en coûtera de se livrer à la prostitution, et qu'il faut soutenir les femmes pour qu'elles s'en sortent intactes du point de vue mental, physique et social. Nous avons toutes été apeurées, violées, battues, vendues et rejetées. La plupart d'entre nous avons été oubliées, négligées, maltraitées, utilisées, abandonnées et laissées sans protection alors que nous étions enfants.
    Les membres et les porte-parole de Sextrade101 sont des femmes qui se sont livrées ou se livrent encore à la prostitution. Nous nous inquiétons vivement de la criminalisation des femmes et des filles qui se prostituent. Nous avons constaté que les programmes de déjudiciarisation pour les prostituées ne sont pas la solution qui convient pour tout le monde. Il faut que chacun comprenne bien que des mesures de soutien doivent être mises en place pour les femmes qui souhaitent quitter le milieu. En imposant un tel soutien à des femmes qui ne sont pas prêtes à abandonner la prostitution, on met en péril leurs éventuelles tentatives en ce sens.
    Pas moins de 85 % des porte-parole et des membres de Sextrade101 ont subi la violence des proxénètes. On est très loin du tableau brossé par la Cour suprême du Canada qui présente les proxénètes comme des bons gars. Ce sont ces proxénètes et les clients qui causent problème. Ce sont eux qui font subir des mauvais traitements aux prostituées et qui vont même parfois jusqu'à les assassiner.
    J'ai appuyé ma fille tout au long de l'enquête sur les femmes disparues et nous en sommes arrivées à la conclusion suivante: nos mères, nos soeurs et nos filles ne sont pas nées pour être utilisées et vendues afin de répondre aux besoins sexuels des hommes. Nous ne sommes pas des marchandises. Nos femmes sont sacrées. Elles sont appréciées et aimées en tant que génitrices et pourvoyeuses de soins. Nous sommes égales. Ne perdons pas de vue cette quête d'égalité dans le projet de loi.
    Je me réjouis que le ministre MacKay et la députée Joy Smith aient reconnu les risques et les mauvais traitements inhérents à la prostitution. C'est une victoire pour les survivantes et celles qui sont coincées dans le cercle vicieux de l'indignité et de la douleur.
    En ma qualité de survivante du commerce sexuel, je vous remercie grandement de m'avoir fait l'insigne honneur de me permettre de parler au nom des membres de Sextrade101 et de toutes les autres survivantes au Canada, qu'elles soient encore dans le milieu ou qu'elles en soient sorties.
    Chi-miigwetch.
    Des voix: Bravo!
    Désolé, mais nous en sommes dans un lieu de travail. Nous ne pouvons pas permettre les acclamations en faveur d'un côté ou de l'autre.
    Merci, madame Perrier, pour cet exposé.
    Nous allons maintenant entendre M. Atchison qui témoigne à titre personnel.
    Vous avez 10 minutes.
    Merci de m'accueillir aujourd'hui.
    Je dois dire d'entrée de jeu que je ne suis pas ici pour défendre un groupe, une organisation ou une position morale au sujet de l'industrie du sexe. J'estime qu'il s'agit d'une industrie incroyablement complexe. Pour pouvoir bien la comprendre et élaborer des politiques et des programmes d'intervention permettant de s'attaquer aux véritables problèmes qui touchent les gens qui évoluent dans cette industrie, nous devons écouter ce qu'ont à dire les personnes directement concernées et nous appuyer sur le large éventail de données empiriques disponibles au Canada comme ailleurs.
    Mon exposé d'aujourd'hui va d'ailleurs s'articuler autour de ces données empiriques.
    Je veux aussi préciser d'emblée que j'effectue mes études et mes recherches auprès d'adultes concernés par l'achat de services sexuels. Mes travaux ne portent pas sur les individus impliqués dans la traite de personnes ou l'exploitation sexuelle des enfants. Mes observations vont donc se limiter aujourd'hui à l'étude des services sexuels entre adultes consentants.
    C'est depuis 1995 que j'effectue des recherches sur les adultes qui achètent des services sexuels, ceux qu'on appelle les clients, et que j'offre du soutien à des collègues et à des organisations intervenant auprès des travailleurs du sexe. J'ai été depuis chercheur principal pour trois grandes études portant sur les clients. Deux de ces études sont les plus exhaustives à avoir été réalisées dans le monde sur les individus qui achètent des services sexuels.
    J'ai également été chercheur associé pour trois autres études sur la santé et la sécurité des prostituées ne travaillant pas dans la rue, en plus d'agir comme chercheur, consultant ou conseiller pour le compte de six autres projets touchant l'industrie du sexe.
    Je veux donc vous parler aujourd'hui en m'appuyant sur mes quelque 20 années d'expérience de recherche sur les adultes qui font l'achat de services sexuels.
    J'aimerais aussi profiter de l'occasion pour traiter de quelques-unes des dispositions du projet de loi C-36, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.
    Je veux d'abord essayer de répondre à la question qui consiste à savoir si prostitution est automatiquement synonyme d'exploitation.
    Comme on vient de l'entendre, il y a assurément des cas où des personnes sont victimes de conditions d'exploitation et de comportements cruels et injustes. On ne peut pas le nier. Mes recherches révèlent toutefois que ces situations particulières qui s'inscrivent dans une relation très complexe au sein de l'industrie ne représentent généralement qu'une faible proportion des cas — une proportion insidieuse, mais tout de même faible. Ce n'est pas la majorité.
    Mes recherches démontrent que bon nombre de prostituées travaillent de façon indépendante. Ainsi, plusieurs clients auxquels j'ai parlé ont soutenu avoir toujours négocié l'échange de services en retour d'argent directement avec la travailleuse concernée. Ce n'est que dans un petit pourcentage des cas que ces négociations se font par l'entremise d'un tiers.
    La majorité des clients que j'ai rencontrés en entrevue n'ont jamais laissé entendre qu'ils avaient déjà fait usage de menaces, de force, de contrainte ou de duperie à l'encontre d'une travailleuse du sexe, ni abusé de leur position de confiance, de pouvoir ou d'autorité à l'endroit de ces travailleuses. Ces allégations sont confirmées par les recherches effectuées par mes collègues et dans le cadre d'un projet connexe visant à mieux comprendre le commerce sexuel.
    Cela dit, il est extrêmement important de souligner qu'une minorité des clients que j'ai pu interroger directement au fil des 20 dernières années ont de toute évidence des comportements, des attitudes et des croyances qui vont dans le sens de l'exploitation. Il y en a notamment qui exercent des pressions sur les prostituées pour qu'elles se livrent à des pratiques sexuelles qu'elles n'étaient pas disposées à accepter, qui refusent de payer pour les services obtenus, qui insultent ou rabaissent une travailleuse du sexe, qui posent des gestes menaçants, qui menacent de détruire des biens appartenant à la travailleuse du sexe, qui agressent verbalement ou physiquement une prostituée. Ce sont des choses qui arrivent, et il faut que ça cesse.
    Je dois rappeler qu'il s'agit d'une minorité des clients auxquels j'ai pu parler, et j'en ai rencontrés près de 3 000 qui ont fait l'achat de services sexuels au cours des 18 dernières années.
    Par ailleurs, l'hypothèse suivant laquelle tous les rapports entre les travailleuses du sexe et ceux qui se procurent leurs services sont assimilables à une forme d'exploitation en raison du déséquilibre des pouvoirs qui favorise disproportionnellement le client n'est pas appuyée par les dires de ceux que j'ai interrogés. Lors de ma plus récente étude, bon nombre des participants ont indiqué qu'ils avaient l'impression que la travailleuse avec laquelle ils avaient transigé avait davantage de contrôle ou de pouvoir qu'eux, ou encore que le contrôle ou le pouvoir était plutôt bien réparti entre les deux. Ce n'est qu'une faible proportion des clients qui ont indiqué avoir plus de pouvoir. Encore là, ces conclusions sont confirmées par celles du projet connexe dans le cadre duquel on s'est adressé directement aux travailleuses du sexe.
(1315)
    Pour ce qui est de la violence dans l'industrie du sexe, j'ai essayé dans toutes mes études de mieux comprendre les problèmes et les situations de violence et de victimisation qui ont cours lorsque des services sexuels sont vendus et achetés. Je pense que de nombreuses recherches ont porté sur cet aspect. Nous devons viser une meilleure compréhension de ces questions, et c'est ce que j'ai essayé de faire au cours des 18 dernières années.
    Mes deux plus récentes enquêtes menées auprès d'un large éventail de clients ont produit des résultats semblables quant au nombre de cas de violence et d'agressions à l'endroit de prostituées qui sont signalés par les clients. Dans la majorité des cas, les interactions entre clients et prostituées sont pacifiques. Cela étant dit, il demeure important de souligner qu'une faible proportion de clients avouent s'être rendus coupables de violence, au sens du Code criminel, à l'encontre de travailleuses du sexe. Cette proportion d'individus qui achètent des services sexuels demeure bien évidemment problématique.
    Les cas dénués de violence — agressions verbales, conflits découlant de malentendus, communications insuffisantes ou bâclées — semblent beaucoup plus fréquents que ceux avec violence. Chose intéressante, j'ai pu constater au fil des ans que la violence et la victimisation ne sont pas à sens unique. Bon nombre des clients que j'ai rencontrés se sont dits eux-mêmes victimes de violence et d'autres comportements non violents dans leurs rapports avec une travailleuse du sexe ou un autre membre de l'industrie, qu'il s'agisse d'un propriétaire, d'un gérant, d'une tenancière ou d'un proxénète.
    À la lumière de mes analyses plus poussées de ces données concernant la violence, il semblerait que la fréquence des cas de violence et de victimisation dans l'industrie du sexe peut varier considérablement selon le contexte et plus particulièrement en fonction de l'endroit où ont lieu les transactions commerciales.
    Ce sont les activités de l'industrie du sexe se déroulant dans la rue qui semblent se prêter davantage à des interactions violentes et à des préoccupations quant à la sécurité des prostituées et des clients. Les risques associés à la prostitution de rue résultent notamment de l'obligation pour les prostituées de se déplacer vers des endroits toujours plus isolés de crainte d'être arrêtées, des préoccupations relatives à la sécurité de la collectivité, de l'absence de normes claires et comprises de tous pour régir les comportements, et du risque croissant que la travailleuse ou le client soit sous l'influence de la drogue ou de l'alcool. À l'extérieur du cadre de la rue, on n'observe pas aussi fréquemment les mêmes phénomènes.
    La criminalisation de tous les acheteurs de services sexuels aura non seulement pour effet d'apposer pour le reste de leur vie l'étiquette de criminels à des innocents, mais fera aussi en sorte qu'il deviendra beaucoup plus difficile de prévenir les actes de violence commis dans l'industrie du sexe dans ces conditions et d'y réagir adéquatement. Je pense que nous conviendrons tous qu'il est essentiel d'encourager toutes les personnes impliquées dans le milieu de la prostitution à signaler les actes de violence et de victimisation. Si c'est effectivement là l'un des buts visés par le projet de loi, nous devons nous assurer de ne pas créer des conditions qui dissuadent les gens de parler. Les recherches que j'ai menées révèlent que les clients peuvent vraiment jouer un rôle utile en détectant et en signalant les situations de violence et de mauvais traitements dont ils sont témoins.
    Je me demande bien pourquoi on voudrait criminaliser ces gens qui sont souvent les mieux placés pour rapporter de telles situations. En outre, si une personne commet un crime en achetant des services sexuels, elle sera moins disposée à signaler les situations de violence. C'est ce que tous mes travaux de recherche ont démontré.
    Certains affirment qu'il faut diminuer la demande de services sexuels, et modifier les attitudes et les comportements des clients. En croyant la demande seule responsable de l'existence de l'industrie du sexe, on ne tient pas compte du fait que c'est l'offre qui est à l'origine de la demande dans bien des cas. Dans une société où le sexe et la sexualité sont utilisés sans contrainte pour vendre toutes sortes de biens et services, il est hypocrite et discriminatoire de criminaliser l'achat de services sexuels directs, alors même que l'on sanctionne l'utilisation de tels procédés de vente. Il est fort peu probable qu'une loi aussi discriminatoire puisse résister aux coûteuses contestations que l'on ne manquera pas de soulever en invoquant le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés.
    Le projet de loi semble par ailleurs s'appuyer sur une autre hypothèse voulant que la demande puisse être réduite et que les attitudes et les comportements puissent être modifiés simplement via la criminalisation de l'achat de services sexuels, l'arrestation, l'incarcération et la mise à l'amende des individus qui en sont coupables. Mes recherches ont démontré que de telles approches ont seulement pour effet de déplacer le comportement visé vers des endroits plus cachés et potentiellement plus dangereux. En outre, la criminalisation des gens qui paient pour des services sexuels, parallèlement à la légalisation des actions de ceux qui vendent de tels services, ouvrira la voie à ce qu'on pourrait appeler « le crime parfait » pour reprendre l'expression utilisée par certains. Les personnes faisant l'acquisition de services sexuels pourraient ainsi devenir des cibles toutes désignées pour le vol qualifié, la fraude, le chantage et les voies de fait, autant de crimes qui ont été le lot des travailleuses du sexe au cours des 30 dernières années.
(1320)
    Je soulignerais enfin que la question de la publicité est très importante. Le projet de loi propose la criminalisation de la publicité et des communications. Les recherches ont révélé que les échanges d'information ouverts et sans restriction entre les prostituées et leurs clients ont des répercussions importantes pour les clients et leurs interactions ultérieures avec les travailleuses du sexe. J'arrive difficilement à voir comment ce projet de loi pourra permettre de réduire de quelque manière que ce soit les conflits découlant des malentendus ou des désaccords relativement aux services offerts, lesquels sont à l'origine des situations de violence et des autres formes de victimisation. Je ne crois pas non plus que le projet de loi nous permettra d'avoir accès à ces communications.
    Les mesures proposées pourraient également avoir des répercussions néfastes pour les services d'approche et de soutien ainsi que dans le domaine de la recherche en matière d'affaires sociales et de santé. Si nous n'avons plus accès à des espaces où les communications ouvertes et honnêtes entre la prostituée et le client sont possibles, notre capacité à déceler les situations ou les conditions non sécuritaires est compromise, et nos possibilités d'intervenir pour aider les gens sont fortement restreintes.
    Je voudrais simplement conclure en vous disant que j'estime nécessaire d'examiner en profondeur la teneur de ce projet de loi. Je pense qu'il nous faut réévaluer la pertinence des dispositions qui criminalisent l'achat de services et la publicité. Je suis d'avis que nous devrions traiter l'industrie du sexe comme toutes les autres industries et la réglementer dans le cadre du protocole existant. Comme d'autres l'ont fait à l'échelle internationale, je recommande l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques de réglementation pour la réduction des méfaits et la promotion de la santé en misant sur la contribution directe et active des personnes impliquées directement dans l'industrie ainsi que sur les données empiriques provenant du nombre croissant de recherches valables du point de vue éthique et méthodologique menées au Canada à ce sujet. Je suggère que les fonds prévus pour détecter les clients et leur intenter des poursuites soient plutôt utilisés pour s'attaquer au véritable problème en ciblant ceux parmi les clients qui se rendent coupables de violence et de victimisation.
(1325)
    Merci beaucoup pour votre exposé.
    Nous passons maintenant à la vidéoconférence en écoutant d'abord Mme Michelle Miller, représentante de REED.
    Vous avez la parole pour les 10 prochaines minutes, madame Miller.
    Je représente REED (Resist Exploitation, Embrace Dignity), une organisation confessionnelle prônant l'égalité entre les sexes qui offre du soutien aux prostituées, travaille à la sensibilisation du public et s'attaque aux causes profondes de l'exploitation sexuelle.
    Depuis neuf ans, nous travaillons auprès de victimes de la traite des personnes qui se retrouvent sur le marché de la prostitution à Vancouver en provenance de pays comme la Chine, le Mexique, l'Indonésie et le Pérou. Nous apportons aussi du soutien aux femmes canadiennes qui se prostituent à l'intérieur comme dans la rue, et ce, à tous les paliers de l'industrie.
    Je vous présente donc aujourd'hui le point de vue d'une travailleuse de première ligne qui lutte contre la violence.
    Le projet de loi C-36 est une mesure législative historique et progressive grâce à laquelle on ose enfin s'attaquer aux responsables des torts causés dans cette industrie en criminalisant les clients, tout en décriminalisant dans une large mesure celles qui sont exploitées.
    Le projet de loi renferme de nombreuses assertions qu'il vaut la peine de souligner. Ainsi, le préambule énonce clairement la violence inhérente à la prostitution, les dommages sociaux causés par la chosification du corps des femmes, les conséquences négatives de la prostitution pour les femmes et les filles, et le fait que la demande pour des services sexuels alimente le marché de la prostitution.
    Les clients s'exposent à des sanctions pénales, il est maintenant illégal de bénéficier financièrement de la prostitution d'autres personnes, et vous avez prévu des fonds pour aider les femmes à quitter le milieu de la prostitution. Nous estimons que vous avez pris les mesures nécessaires pour que la prostitution soit considérée comme une forme de violence à l'endroit des femmes, et nous nous réjouissons du fait que vous n'acceptez pas la prostitution comme une chose inévitable. Bravo!
    En revanche, nous craignons que l'article 213 du Code criminel qui fait en sorte que l'on continuera de criminaliser les femmes qui vendent des services sexuels, ne vienne miner l'intention même du projet de loi. Alors que la vente de services sexuels est décriminalisée par les autres dispositions du projet de loi C-36, elle est considérée illégale si la sollicitation a lieu dans un endroit public où l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que des mineurs se trouvent à proximité.
    Notre organisation est préoccupée du fait que l'article 213 risque de créer de larges échappatoires qui permettront de criminaliser les prostituées et de les rendre davantage vulnérables par ailleurs, ce qui va à l'encontre de l'objectif énoncé pour ce projet de loi.
    Nous appuyons donc le projet de loi C-36, mais recommandons que l'article 213 soit abrogé.
    J'aimerais vous parler brièvement des motifs pour lesquels nous appuyons le projet de loi, avant de traiter de nos préoccupations relativement à l'article 213.
    Voyons d'abord pourquoi nous sommes favorables à la criminalisation asymétrique. La prostitution est une forme de violence à l'endroit des femmes. Les femmes ne devraient pas être pénalisées alors qu'elles sont elles-mêmes exploitées. On devrait plutôt criminaliser ceux qui sont responsables de leur exploitation et qui en bénéficient. La prostitution est une subordination sexuelle des femmes qui les empêche d'accéder à l'égalité.
    En termes économiques grossièrement simples, disons que l'industrie du sexe fonctionne comme un marché fondé sur l'offre et la demande. Il y a une demande pour des services sexuels contre rémunération et l'on exploite la vulnérabilité des femmes et des filles pour créer de l'offre sur ce marché. Pour satisfaire les hommes en quête de services sexuels, on contraint à la prostitution des femmes et des filles victimes de discrimination raciale, des effets des pensionnats et de la colonisation, de la pauvreté, d'agressions sexuelles pendant leur enfance et à d'autres moments, et de problèmes de développement comme le syndrome de l'alcoolisation foetale.
    Les proxénètes sont des hommes d'affaires avertis. Ne vous y trompez pas, ils savent exactement qui cibler et comment les approcher. D'après ce que nous avons pu apprendre en intervenant auprès des femmes et à la lumière des études qui ont été menées, la très grande majorité des prostituées sont recrutées avant d'avoir 18 ans. C'est ce que nous voyons jour après jour. Plus souvent qu'autrement, elles arrivent à la prostitution à l'issue de traumatismes répétés.
    Selon les conclusions de recherche publiées par Susan Nadon et ses collaborateurs dans le Journal of Interpersonal Violence et d'autres travaux universitaires, et d'après ce que nous disaient elles-mêmes les femmes concernées, la majorité d'entre elles ont été victimes d'agressions sexuelles pendant leur enfance. Comme le disait l'auteure féministe Andrea Dworkin, l'inceste est un camp préparatoire pour la prostitution. Les mauvais traitements d'ordre sexuel diminuent l'estime de soi chez l'enfant, normalisent pour lui les contacts sexuels sous la contrainte et l'amènent à penser que son corps ne lui appartient pas, ce qui réduit d'autant le seuil à partir duquel il peut considérer qu'il est vendable.
    Qu'il s'agisse de prostitution haut de gamme ou de bas niveau, dans un bordel ou dans la rue, ou même de pornographie que l'on peut consommer chez soi en privé, les femmes en cause en sont réduites à des parties de leur corps. Leurs sentiments et leur personnalité n'ont plus d'importance.
(1330)
    Le projet de loi C-36 contribue grandement à rendre leur humanité et leur dignité aux femmes, et aux hommes également. Je crois en effet bien franchement que les hommes sont diminués dans leur humanité et leur dignité lorsque la société endosse leurs comportements en ne les tenant pas responsables de la violence à l'endroit des femmes. Nous devons en attendre davantage pour les hommes et de leur part. Je vous invite à appuyer nos efforts en ce sens.
    REED travaille dans toute l'agglomération de Vancouver et je peux assurément vous dire qu'il n'est pas rare de voir des hommes se rendre au travail à 8 heures le matin en sillonnant lentement les rues du secteur est du centre-ville au volant de leur fourgonnette parfois équipée d'un siège pour enfant, à la recherche d'une femme gravement malade et toxicomane qui leur fera rapidement une fellation à 5 ou 10 $. Le déséquilibre des pouvoirs est énorme, mais ce sentiment d'inégalité et de privilège acquis pour les hommes est au coeur même de la prostitution, même si le contraste n'est pas toujours aussi marqué.
    De nombreuses recherches ont été menées sur les femmes qui se prostituent afin de savoir qui elles sont, qu'est-ce qui advient d'elles et comment elles peuvent se rétablir des traumatismes vécus. Ce sont là autant de questions essentielles.
    Mais qui sont ces hommes qui achètent le corps des femmes pour avoir du sexe à volonté et que sait-on d'eux, et plus particulièrement de leurs attitudes envers les femmes? Que pensent-ils des femmes? Nous disposons de deux sources convenables d'information à ce sujet. Il y a d'abord la poignée d'études universitaires menées sur les hommes qui achètent des services sexuels, mais il y a aussi les observations qu'ils affichent eux-mêmes sur les forums en ligne d'évaluation des prostituées — des données provenant directement des intéressés. Pour ceux qui l'ignoreraient, il s'agit de forums en ligne où les hommes peuvent discuter des femmes dont ils ont retenu les services sexuels et évaluer le travail des prostituées.
    Dans ce cadre professionnel, je ne peux vous dévoiler la plupart des commentaires émis sur ces forums, car ils sont dégradants et violents, ce qui est fort révélateur en soi. Je peux toutefois vous en citer un bref extrait que j'ai pu lire sur un forum hier. Ne vous inquiétez pas; c'est tout à fait grand public. Voici l'évaluation d'une prostituée par l'un de ses clients: « Vous pouvez en faire votre jouet sexuel ou tout ce que vous voulez, si vous arrivez à la briser. »
    Environ 99 % des recherches dans ce domaine ont été menées sur les prostituées contre seulement 1 % sur les clients, alors que l'achat des services sexuels est pourtant chose courante. Lors d'une étude empirique rigoureuse menée à Boston en 2011, l'équipe de recherche a révélé qu'à sa grande surprise, il lui avait été vraiment difficile de trouver des hommes qui n'achetaient pas les services de femmes. La pornographie, les lignes érotiques, les danses contact et les autres services semblables sont devenus si répandus que les chercheurs ont été forcés d'élargir leur définition pour en arriver à un groupe de contrôle de 100 personnes. Ils ont dû finalement convenir de la définition suivante pour les hommes n'achetant pas de services sexuels: « Les hommes qui n'ont pas fréquenté un bar de danseuses plus de deux fois au cours de la dernière année, n'ont pas payé pour une danse contact, n'ont pas consommé de pornographie plus d'une fois au cours du dernier mois, et n'ont pas téléphoné à une ligne érotique ou eu recours aux services d'une prostituée. »
     Qu'a révélé leur étude? Les acheteurs de services sexuels étaient huit fois plus susceptibles que les autres d'indiquer qu'ils violeraient une femme s'ils pouvaient s'en tirer sans conséquence.
    Cette constatation fait écho à une étude sérieuse menée par Eaves en 2009 à Londres qui a révélé que plus les acheteurs de services sexuels étaient ouverts à l'idée de la prostitution, plus ils étaient susceptibles d'adhérer aux mythes répandus au sujet du viol qui veulent notamment qu'« une femme qui dit non veut en fait dire oui » et qu'« une femme qui s'habille de façon provocante ne demande en fait qu'à se faire violer ».
    Suivant l'étude réalisée à Boston, les acheteurs de services sexuels consommaient beaucoup plus de pornographie que les autres hommes, et les trois quarts d'entre eux ont indiqué que leur éducation sexuelle leur venait de la pornographie. Les acheteurs de services sexuels ont précisé que leurs préférences sexuelles avaient évolué au fil des ans et de leur recours à la prostitution, et qu'ils étaient davantage en quête de pratiques sadomasochistes et dégradantes.
    Les acheteurs de services sexuels privilégient souvent l'impression de liberté qu'ils ressentent auprès des prostituées. Voici ce qu'en disait un client: « Vous êtes le patron — le vrai patron. Même nous, les gars ordinaires, souhaitons pouvoir demander quelque chose et l'obtenir sans qu'on nous pose de questions, sans qu'une femme nous réponde qu'elle n'a pas le goût ou qu'elle est trop fatiguée. Une obéissance sans condition. C'est vraiment une impression de puissance. Et la puissance, c'est comme une drogue. »
(1335)
    Les acheteurs de services sexuels indiquent sans cesse qu'ils apprécient la relation de pouvoir qu'ils retrouvent dans la prostitution. L'une des femmes que nous avons aidées à REED s'est fait dire par son proxénète de faire semblant qu'elle ne maîtrisait pas très bien l'anglais de manière à augmenter le déséquilibre des pouvoirs dans la relation, car les hommes veulent acheter des femmes qui leur paraissent plus vulnérables.
    Ils sont rarement célibataires; la majorité d'entre eux sont mariés ou ont une conjointe. Bon nombre de clients considèrent que le fait qu'ils paient pour les services d'une femme leur donne tous les droits de la dégrader et de l'agresser. L'un d'eux indiquait: « Vous pouvez trouver une pute pour répondre à n'importe quel besoin — gifles, étranglement, sexe avec violence — que votre petite amie ne peut pas satisfaire ». Ce sont des commentaires formulés directement par les clients.
    Vous allez devoir conclure, madame Miller, car il ne vous reste plus de temps.
    D'accord.
    La prostitution est une forme de violence à l'endroit des femmes et celles-ci ne devraient pas être pénalisées pour leur propre exploitation. Ce sont plutôt ceux qui les exploitent et qui en bénéficient qui devraient être criminalisés.
    Très brièvement, nous craignons que le nouvel article 213 établi par le projet de loi C-36 offre une échappatoire permettant de criminaliser les femmes. Nous avons constaté que les problèmes passés avec le système de justice pénale peuvent vraiment représenter un obstacle important pour les femmes qui quittent le milieu de la prostitution et recherchent de l'aide. Elles sont ainsi stigmatisées et, plus important encore, cela les empêche de trouver un emploi et perturbe leur existence et celle de leur famille, y compris leurs enfants. Je fais ici référence aux propos de Peter MacKay qui indiquait que les enfants sont plus vulnérables encore que les femmes prostituées.
    Pour résumer, le projet de loi C-36 est une mesure législative progressiste qui permet, fait sans précédent, de finalement criminaliser ceux qui sont à l'origine même des torts causés dans le milieu de la prostitution — les clients — tout en décriminalisant celles qui sont exploitées. Nous appuyons le projet de loi C-36, mais recommandons que le nouvel article 213 soit abrogé.
    Je vous remercie.
    Merci beaucoup pour cet exposé.
    Notre prochaine intervenante est Mme Lang qui témoigne à titre personnel.
    Je m'appelle Georgialee Lang et je suis avocate à Vancouver. Je faisais partie de la pléiade d'avocats qui ont plaidé devant la Cour suprême du Canada en juin 2013 dans l'affaire Procureur général c. Bedford, la cause sur la prostitution.
    J'ai été parmi les rares à exhorter la Cour suprême du Canada de ne pas abroger la loi, de ne pas légaliser la prostitution, et je vais vous expliquer pourquoi.
    Le respect de la dignité humaine est l'un des principes fondamentaux de la société canadienne. Cela a été confirmé par l'arrêt Rodriguez de la Cour suprême du Canada:
On ne conteste pas que le respect de la dignité humaine est l'un des principes fondamentaux de notre société.
    En outre, notre gouvernement canadien a ratifié en 1949 le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Nous adhérions ainsi à différents principes clés dont celui-ci:
Considérant que la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté
    La prostitution est simplement une pratique qui découle de la subordination de tout temps des femmes et du droit établi des hommes d'acheter et d'échanger des femmes comme s'il s'agissait d'objets destinés à leur usage sexuel. Cette pratique disgracieuse bafoue totalement la dignité humaine. Mais la prostitution ne cause pas uniquement du tort aux femmes et aux filles qui s'y livrent, elle affaiblit aussi tout le tissu social de notre pays. Elle ne touche pas seulement ceux et celles qui la pratiquent ou qui achètent les services offerts. Elle est néfaste pour celles qui se prostituent contre leur gré, elle appuie un réseau d'activités criminelles interreliées et elle alimente des attitudes sociétales qui dévalorisent une tranche entière de la population canadienne.
    Nous devons nous enorgueillir du fait que l'histoire canadienne regorge d'exemples de rejet des comportements d'exploitation, à partir de la décision de dédommager les victimes autochtones des pensionnats jusqu'à notre dénonciation de la traite des personnes et de la prostitution des enfants. Si on légalisait la prostitution, on renverserait toutefois cette orientation en faveur de l'égalité entre toutes les personnes et de la dignité de chacun.
    Une recherche menée dans l'État de Victoria en Australie où la prostitution a été légalisée dans les années 1980 montre très bien que la légalisation ne permet pas de réduire les torts causés par la prostitution. Voyons ce qui ressort des résultats de cette étude réalisée par Sheila Jeffreys et Mary Sullivan de l'Université de Melbourne ainsi que Janice Raymond.
    Disons d'abord et avant tout que l'on a voulu légaliser la prostitution dans le but d'en minimiser les effets nocifs. Cela va bien sûr dans le sens des commentaires de la cour dans l'affaire Procureur général c. Bedford. Il y avait des questions de sécurité en cause.
    On faisait valoir en Australie que la légalisation allait contribuer à éradiquer l'aspect criminel de la prostitution, empêcher que celle-ci ne prenne de l'expansion sans contrainte, et contrer la violence à l'endroit des prostituées. Dans les faits, la légalisation n'a pas permis d'éliminer la violence ni de mettre fin à la prostitution de rue; elle n'a pas procuré un environnement de travail plus sûr aux prostituées, pas plus qu'elle ne leur a conféré une plus grande dignité et un professionnalisme accru; et elle n'a pas non plus permis de freiner l'expansion de la prostitution. En Australie, la légalisation a eu plutôt l'effet contraire: la prostitution s'est développée considérablement. Ironiquement, cette croissance s'est principalement manifestée sur le marché illicite. Alors que l'État de Victoria en Australie légalisait la prostitution, c'est le secteur illicite qui a commencé à connaître une croissance plus importante que prévu, surtout par l'entremise de bordels opérant sans permis. On a légalisé les bordels, et les établissements illégaux ont commencé à se multiplier.
    La légalisation n'a pas non plus fourni aux prostituées elles-mêmes les moyens de mieux s'en sortir. On croyait qu'elles seraient en mesure de travailler ensemble en tant qu'entrepreneures dans des bordels légaux ou d'ouvrir leurs propres établissements. Ce sont toutefois plutôt les grands exploitants, des hommes d'affaires, qui ont consolidé leur emprise sur l'industrie. Les femmes, individuellement ou en petits groupes, n'avaient aucunement la capacité de soutenir une telle concurrence.
    Si la prostitution de rue n'est pas disparue, c'est simplement parce que les femmes qui s'y livrent doivent composer avec toute une série de problèmes sociaux, y compris l'itinérance, la toxicomanie et, dans le cas des mineures, la réticence à s'enregistrer auprès d'un bordel ou du gouvernement.
(1340)
    La loi qui visait à enrayer le crime organisé a plutôt donné lieu à une explosion de la traite des personnes. Sous la houlette d'organisations criminelles internationales, les bordels légaux de l'État de Victoria en Australie sont devenus de véritables entrepôts pour les femmes victimes de la traite de personnes.
    C'est la raison pour laquelle j'estime que le projet de loi C-36 est un pas dans la bonne direction. On reconnaît le fait que la prostitution est une forme d'exploitation des femmes et qu'il est grand temps que les Canadiens et notre gouvernement interviennent pour apporter des correctifs. Je félicite le gouvernement canadien pour les mesures prises et pour ce projet de loi.
    J'aimerais maintenant parler de la constitutionnalité de cette nouvelle loi. Beaucoup ont prétendu que cette loi ne tiendrait pas la route, qu'elle serait déclarée inconstitutionnelle et que sa mise en oeuvre serait un pur gaspillage. Je suis en désaccord avec toutes ces allégations.
    Lorsque la Cour suprême s'est penchée sur les différentes lois dans l'affaire Procureur général c. Bedford, la prostitution n'était pas considérée comme illégale. Il faut comprendre que la cour s'est intéressée à des lois qui régissaient certaines activités entourant la prostitution, des lois visant à contrer les nuisances publiques. Il ne s'agissait pas de lois rendant la prostitution illégale.
    Dans cette affaire, la Cour suprême a déterminé que l'exploitation d'une maison de débauche, dont l'interdiction en vertu de nos anciennes lois visait bien sûr à empêcher que l'on perturbe la tranquillité du voisinage et l'ordre public... La cour a conclu qu'il était totalement disproportionné de priver les prostituées de la sécurité associée au travail dans un emplacement intérieur stable par rapport à l'objectif visé par la loi, à savoir la tranquillité du voisinage.
    D'une manière générale, les anciennes lois sur la prostitution visaient à contrer l'aspect nuisance publique du commerce sexuel. C'est un objectif beaucoup trop banal pour justifier que l'on contrevienne aux droits des prostituées en vertu de la Charte.
    Le préambule du projet de loi C-36 fixe des objectifs beaucoup plus vastes, soit rien de moins que de lutter contre « l'exploitation inhérente à la prostitution » et de protéger « la dignité humaine et l'égalité de tous les Canadiens et Canadiennes ». On ne cherche plus seulement à préserver la tranquillité du voisinage ou à empêcher les perturbations ou les nuisances. Notre objectif est désormais beaucoup plus vaste.
    Non seulement le préambule du projet de loi indique-t-il qu'il importe pour le Parlement de dénoncer et d'interdire l'exploitation et les traitements inéquitables, mais il fixe aussi l'objectif d'encourager « les personnes qui se livrent à la prostitution à signaler les cas de violence et à abandonner cette pratique ».
    Dans l'affaire Procureur général c. Bedford, la juge McLachlin indique clairement qu'en abrogeant les lois sur les nuisances publiques, la conclusion de la cour:
...ne dépouille pas le législateur du pouvoir de décider des lieux et des modalités de la prostitution.
    C'est ce que fait le projet de loi C-36. Il reconnaît que l'exploitation est une atteinte terrible aux droits des femmes et des enfants, et de certains hommes et garçons. Il faut que cela cesse. J'estime que ce projet de loi satisfait aux exigences constitutionnelles. Il établit certaines limites quant aux lieux et aux modalités. À mon humble avis, le projet de loi va résister aux contestations constitutionnelles, notamment grâce à son préambule.
    Merci de m'avoir invitée à prendre la parole devant vous.
(1345)
    Merci, madame Lang, pour cet exposé.
    Notre dernière intervenante sera Mme Dussault de l'organisme PIECE, qui témoigne également par vidéoconférence.
    Vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président, et merci aux députés pour cette formidable possibilité qui m'est offerte.
    J'aimerais souligner brièvement que je n'ai pas entendu la députée Joy Smith poser aux travailleuses du sexe des questions sur les commentaires qu'elles ont faits ici. J'aimerais inviter la députée Smith à me poser toutes les questions qu'elle souhaite, et je vais y répondre honnêtement.
    Je tiens à dire que c'est un honneur de parler au comité. Je suis Elizabeth Dussault, et j'ai 30 ans. J'aimerais vous parler un peu de mon vécu pour que vous puissiez comprendre mon point de vue. Je suis une travailleuse du sexe depuis quatre ans et demi. J'ai commencé en Australie, puis je suis revenue au Canada et j'ai continué de manière intermittente. En Australie et au Canada, j'ai travaillé pour des entreprises d'escorte, en tant qu'escorte indépendante, et j'ai travaillé dans plusieurs bordels. Depuis deux ans maintenant, je préconise des lois améliorées et progressives, ainsi que de meilleures conditions de travail pour les membres de l'industrie du sexe. J'ai rédigé un document pour les services d'application des règlements d'Edmonton, et j'ai été publiée dans le Metro News et le Edmonton Journal, et j'ai été invitée à l'émission Breakfast Television Edmonton de Citytv.
    C'est alors que Prostitutes Involved, Empowered, Congent—Edmonton, aussi appelée PIECE, m'a trouvée et accueillie au sein de ce formidable groupe de femmes. En passant, l'âge moyen des femmes du groupe PIECE qui font leur entrée dans l'industrie du sexe est de 26,5 ans. Nous nous efforçons de parler au nom de toutes les prostituées, car elles sont trop nombreuses à craindre de prendre la parole en raison de ce qui leur arrive quand elles le font. Permettez-moi de vous dire ce qui m'est arrivé, à moi.
    À cause de mes activités de porte-parole, j'ai perdu mes deux emplois dans des bordels, ainsi que mon poste de sauveteuse et de professeure de natation. Le groupe PIECE sait que le projet de loi C-36 va repousser encore plus les travailleuses du sexe dans l'ombre, et elles seront ainsi encore plus à la merci des agresseurs, des violeurs et des meurtriers en série comme Pickton et d'autres. Je vous propose une autre voie. J'ai vu la légalisation complète et l'adoption de règlement garantissant aux travailleuses du sexe de vivre en sécurité, de manière autonome, et d'être traitée comme des humains qui font un travail. J'ai vécu dans une société progressive, où les clients sont respectueux et éduqués; une société qui accepte et qui est éclairée, où les travailleuses et travailleurs du sexe sont de bons citoyens qui contribuent à la société.
    Le projet de loi C-36 ne mènera absolument pas à cela. Adopter ce projet de loi serait désastreux et dangereux, et donnerait lieu à de nouvelles occasions de vivre dans la peur, la violence et la négligence, à une exploitation accrue et, bien sûr, à d'autres décès. D'après ce que j'ai compris de l'arrêt de la Cour suprême, les dispositions législatives actuelles sont inconstitutionnelles. Si l'on présume que c'est le cas, le projet de loi C-36 équivaut au retour des vieilles dispositions législatives, mais rédigées en des termes différents. Criminaliser l'achat et la publicité, ou l'offre d'un lieu sûr, et criminaliser quiconque les protège équivaut à rendre illégal l'ensemble de l'activité qui consiste à vendre des services sexuels contre de l'argent. Cela ne représente absolument pas une solution à la prostitution.
    C'est un métier très ancien, et il ne disparaîtra pas. Le Canada ne s'en débarrassera jamais. Si l'on choisit de demeurer dans l'âge des ténèbres et de reléguer les travailleuses du sexe à des lieux dangereux en interdisant les bordels, où la sécurité est assurée, et en ne leur permettant pas de travailler près les uns des autres dans la rue, on aura à coup sûr des préjudices et des décès. Pour aucun autre métier source de controverse, le gouvernement n'enlève aux travailleurs leurs droits, ne rend leur travail plus risqué et ne ferme les yeux. C'est plutôt tout le contraire qui se produit.
    Par exemple, la consommation d'alcool, les jeux, les armes à feu et les mines de diamant font l'objet de vastes débats et d'une lutte acharnée de la part de bien des organisations, notamment des groupes religieux et des groupes extrémistes. Malgré cela, le gouvernement réagit par la légalisation, la réglementation et la prise de toutes les mesures qu'il peut prendre pour protéger la population en général contre les préjudices qu'elle pourrait subir s'il y avait perte de contrôle de ces industries. Le Canada a créé des établissements et a adopté des règles de zonage pour ces industries; il a conçu et mis en vigueur des règles visant à assurer la sécurité du public et des travailleurs, puis il a taxé ces industries et en a tiré profit. Cela crée des emplois, contribue à l'économie et assure la sécurité de tous les Canadiens. C'est ce que méritent les travailleuses du sexe, conformément à la Charte des droits et libertés.
    En ce moment, les travailleuses du sexe sont ostracisées, négligées et incomprises par le gouvernement et par le public. Les travailleuses ont peur, même de la police qui est censée les servir et les protéger. Le projet de loi C-36 va exacerber leurs inquiétudes. Je trouve les lois canadiennes actuelles lamentables, par comparaison avec celles de l'Australie. J'ai la nausée juste à penser que les choses pourraient empirer. J'ai peur pour toutes les travailleuses du sexe du Canada. J'ai vraiment peur.
(1350)
    Depuis qu'on m'a vue dans les médias, je me débats pour trouver un emploi dans l'industrie du sexe et dans la société respectable. Les membres de l'industrie du sexe ont peur de m'engager parce qu'ils risquent d'être arrêtés à cause de leur association avec moi. Et je suis coupée de la société respectable parce que je suis une travailleuse du sexe. Je suis ostracisée des deux côtés. J'ai dit haut et fort que j'ai choisi d'être une travailleuse du sexe, que cela existe et que nous sommes des êtres humains.
    Je n'ai pas de casier judiciaire. Je n'ai aucune dépendance. J'étais une étudiante à rendement supérieur et j'ai suivi le programme de placement à un niveau supérieur en entier. J'ai aussi été choisie pour être la seule représentante des 2 000 élèves de mon école secondaire pour venir à une conférence à Ottawa. Je suis une citoyenne exemplaire. J'ai fait une concentration en sciences politiques à l'Université Grant MacEwan, et j'ai été choisie pour venir à Ottawa participer à un débat simulé des Nations Unies pendant une semaine.
    J'ai voyagé seule partout dans le monde, j'ai travaillé pour Environnement Canada, le ministère de la Santé de l'Alberta, Telus, l'Université de l'Alberta, l'Université Grant MacEwan et le YMCA. Je suis ici devant vous comme citoyenne canadienne, travailleuse du sexe et être humain vous implorant d'entendre raison et de ne pas permettre l'adoption de ce projet de loi. Il apportera au pays un chaos et des morts inutiles.
    Les bordels et les entreprises d'escorte d'Australie sont des entreprises légitimes. Ils font de la publicité, discutent ouvertement et honnêtement avec les clients au sujet des services et sont situés dans des lieux zonés à cette fin, loin des écoles et des institutions religieuses.
    Je n'ai jamais vu de travailleurs ou travailleuses du sexe sur la rue, car ils travaillent en toute sécurité comme escortes ou sont protégés dans des studios. En Australie, je pourrais parler ouvertement de mon travail, et les gens réagiraient avec gentillesse et respect. Ils comprendraient généralement ce que je fais, et ce, même s'ils n'étaient pas d'accord avec mon choix. Je n'ai personnellement jamais rencontré une personne victime de traite ou une personne mineure, au sein de l'industrie.
    J'avais un visa vacances-travail de l'Australie, et des gens de l'immigration sont venus faire une vérification. Ils ont vu que j'étais là par choix et que j'étais capable de travailler, et ils m'ont souhaité une bonne journée.
    Je me suis toujours sentie en sécurité et protégée. Je travaillais dans un environnement sain et agréable, au sein d'une équipe dont les membres m'ont éduquée. On m'a même donné un petit livre rouge contenant de l'information sur la santé et donnant les sites d'analyse, les consulats et d'importants numéros de téléphone, notamment celui de la police. Il était rédigé en six langues.
    J'avais la possibilité de quitter l'industrie si je le voulais. Je n'ai jamais été forcée de faire quoi que ce soit contre mon gré. En réalité, on m'encourageait à suivre mes instincts, à être prudente, à nourrir mon estime de moi et à me considérer comme un membre productif de la société.
    Je suis revenue au Canada et j'y ai trouvé une situation détestable. Je m'attendais à ce que l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada soient assez semblables, mais j'ai plutôt trouvé ici quelque chose de disgracieux: la peur de la police, la ségrégation des travailleurs et travailleuses du sexe par rapport au reste de la société, les dispositions législatives interdisant les conducteurs ou la sécurité, l'illégalité des bordels et la privation du droit de communiquer ouvertement et honnêtement.
    Le projet de loi C-36 est peut-être acceptable en Russie, mais soyons donc plutôt des leaders, aux côtés de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, et ce, d'une manière toute canadienne.
    Je suis ici aujourd'hui pour prier le gouvernement de pousser plus loin la recherche, de regarder du côté des pays progressifs, d'écouter des gens qui, comme moi, ont choisi de travailler dans cette industrie et d'aimer leur travail, de se pencher sur les lois touchant les droits de la personne et de donner aux travailleurs et travailleuses du sexe le respect qu'ils méritent.
    J'ai vu comment les choses pourraient être. J'ai vécu l'expérience d'un modèle incroyable que le Canada pourrait émuler. En tant que jeune femme d'expérience, instruite et renseignée, qui a choisi à 26 ans de faire son entrée dans l'industrie du sexe, je fais appel à votre humanité. Je vous supplie de ne pas adopter le projet de loi C-36.
    Je vous laisse sur cette citation de madame la juge McLachlin:
La disposition qui empêche une prostituée de la rue de recourir à un refuge sûr... alors qu’un tueur en série est soupçonné de sévir dans les rues est une disposition qui a perdu de vue son objectif.
    Je vous remercie encore, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés du Parlement.
(1355)
    Je vous remercie de cet exposé, madame Dussault.
    Nous allons maintenant passer aux questions et aux réponses.
    La première personne à poser des questions aujourd'hui est Mme Boivin, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Je vous remercie tous et toutes d'être ici parmi nous aujourd'hui et de partager vos expériences et vos points de vue à ce sujet. Cela nous guide dans nos travaux.
    Je suis certaine qu'en ce moment, Mme McLachlin, la juge en chef, doit sentir les oreilles lui ciller parce que pratiquement tout le monde la cite, bien que ce ne soit pas pour les mêmes raisons ou avec la même vision des choses.
    Ma première question s'adresse à Me Lang.

[Traduction]

    Vous dites être l'une des rares voix à avoir demandé à la Cour suprême du Canada de ne pas invalider la loi. De toute évidence, ils ne vous ont pas écoutée, et je vous dis cela avec gentillesse, car j'ai moi-même perdu quelques causes.
    Ce que je me demande, c'est si, après avoir lu l'arrêt Bedford, vous avez été surprise ou pas de ne rien voir de plus à propos de l'article 15, car je suis pas mal certaine que vous avez amplement invoqué l'article 15, dans l'affaire Bedford.
    Non, je n'ai pas été surprise du peu de discussions au sujet de l'article 15.
    Nos observations ont bien entendu surtout porté sur le fait que les dispositions représentaient une limite raisonnable conforme à la Charte. Bien entendu, on n'a pas trouvé que c'était le cas. La cour a dit que ce n'était pas une limite raisonnable, et je le comprends très clairement parce que les dispositions visaient les nuisances. Comme madame la juge McLachlin l'a dit dans l'arrêt, la prostitution n'est pas illégale. Il s'agit de dispositions visant les nuisances qui sont disproportionnées par rapport aux questions de sécurité, et je pense donc que...
    Est-ce que vous nous dites aujourd'hui que la prostitution serait maintenant illégale au Canada, avec l'adoption du projet de loi C-36?
    La prostitution est illégale. Oui, elle l'est; elle le sera.
    Il sera illégal pour les hommes d'acheter des services sexuels. C'est exact.
(1400)
    Non, mais la prostitution ne se limite pas à l'achat.
    Dites-vous par conséquent que, d'après vous, le projet de loi C-36, une fois adopté, rendra nettement la prostitution illégale dans tous ses aspects?
    Pas dans tous ses aspects, bien entendu, car nous savons que, selon le projet de loi C-36, les femmes ne seront criminalisées que si elles vendent des services sexuels à proximité d'enfants. Elles peuvent très bien vendre leurs services dans des bordels ou des maisons privées. Elles peuvent le faire n'importe où s'il n'y a pas de jeunes de moins de 18 ans autour, et bien sûr...
    Donc, selon cette hypothèse, pensez-vous que la juge McLachlin dira encore, dans un avenir pas si lointain, que la prostitution n'est pas illégale au Canada? Aussi, je reviens à ce qui est probablement la phrase la plus importante de sa décision et que vous avez citée — malheureusement, vous ne l'avez pas citée en entier parce que, quand vous avez dit que...

[Français]

[...] la Charte ne dépouille pas le législateur du pouvoir de décider des lieux et des modalités de la prostitution, [...] »

[Traduction]

    ... ce qui correspond à ce que le législateur cherche à faire avec le projet de loi C-36, vous n'avez tout simplement pas mentionné que c'était...

[Français]

[...] à condition qu'il exerce ce pouvoir sans porter atteinte aux droits constitutionnels des prostituées.«

[Traduction]

    Donc, la question que je vous pose, concernant cette partie de la décision, est la suivante: si la Cour suprême du Canada devait revoir le projet de loi C-36, estimez-vous que ce qui a été inclus dans le projet de loi par le ministre de la Justice et son équipe est conforme à cette partie de la décision de la Cour suprême du Canada?
    Oui, je le dis et je vais vous dire pourquoi. L'ancienne loi était une loi sur les nuisances. La prostitution n'était pas illégale. Seules les activités entourant la prostitution l'étaient, et elles étaient toutes dans la partie du Code criminel portant sur les nuisances et les inconduites.
    Donc, c'est le préambule qui vous fait dire... Je veux juste bien comprendre, parce que vous dites constamment que c'était des dispositions visant les nuisances. Qu'est-ce qui vous fait dire que ce n'est pas moitié-moitié, maintenant — soit en partie pour les nuisances, en raison de l'aspect de la sollicitation en public, et en partie pour la criminalisation du client?
    Parce que si vous vous fondez sur le préambule, pour moi, le préambule sera utile pour les tribunaux. Si la disposition n'est pas claire, ils vont regarder du côté de l'interprétation. S'ils n'ont pas besoin de le faire, ils vont regarder l'article, la disposition du Code criminel, et c'est tout. Le préambule ne sera pas inclus dans le Code criminel.
    Je suis désolée, mais je ne suis pas de cet avis. Le préambule présente un changement de paradigme complet. Nous avions des dispositions visant les nuisances, et nous avons maintenant des dispositions qui montrent clairement que le Parlement a établi que la prostitution équivaut à l'exploitation des femmes et des filles, et que le gouvernement soutient qu'il faut trouver un moyen qui permettra à ces femmes de quitter l'industrie du sexe. C'est un paradigme entièrement nouveau, par rapport à ce qu'il y avait au moment des prétentions présentées dans la cause Procureur général c. Bedford, et il y a...
    Mais ce n'est pas dans le Code criminel. Ce ne sera pas dans le Code criminel.
    Même en regardant le titre du projet de loi, qui dit « Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation », on voit que c'est maintenant un monstre à deux têtes, qui viserait aussi, comme vous le dites, les nuisances...
    C'est un autre avantage solide de cette loi. Elle reconnaît ce tissu social. Les gens qui ne veulent pas de prostituées à proximité de leurs enfants peuvent maintenant se sentir protégés parce que le projet de loi C-36 empêche cela.
    En ce qui concerne la criminalisation des femmes qui demeure — et nous avons parlé des femmes —, j'ai reçu des courriels à l'heure du lunch me disant qu'il y a aussi des hommes qui se prostituent.
    Vous les considérez aussi comme des victimes, j'en suis sûre.
    Tout à fait.
    D'accord.
    Et sur le plan de leur criminalisation, dans le projet de loi C-36, je ne suis pas certaine, mais je pense vous avoir entendue dire que vous n'étiez pas d'accord avec cette partie du projet de loi. Trouvez-vous que nous devons enlever cela du projet de loi C-36, ou vivrez-vous avec cela: « Vous êtes une victime, mais on va vous criminaliser quand même »?
    C'est ma collègue, Mme Miller, au nom de son organisation, REED, qui en a suggéré l'élimination. Ce n'est pas moi.
(1405)
    Vous ne voyez pas de problème à ce qu'elles soient criminalisées même si elles sont des victimes.
    Là où je ne vois pas de problème, c'est que la prostitution ne doit pas se dérouler là où il y a des enfants. Je ne vois pas de problème avec cela, et je pense que cela va passer le test constitutionnel aussi.
    En tant qu'avocate, pensez-vous que l'article est assez clair, par exemple concernant ce qui est public, les lieux où des enfants pourraient se trouver...
    Comment définiriez-vous cela?
    Eh bien, je conviens avec vous que cela pourrait être plus clair. Le comité pourrait envisager un amendement pour rendre cela très clair et pour éviter tout malentendu...
    Avez-vous des suggestions? Vous êtes brillante, et j'aimerais avoir vos suggestions.
    Je ne me suis pas arrêtée à cet aspect de la loi parce que je suis d'accord avec toute la loi.
    Cependant, je pourrais vous envoyer des suggestions par courriel. J'en serai ravie.
    Merci beaucoup de ces questions et réponses.
    La prochaine personne à intervenir est Mme Amber, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Nous vous savons gré de votre contribution aux travaux du comité.
    Madame Perrier, je vous remercie tout particulièrement de votre présence. Ce doit être très difficile pour vous de raconter votre histoire, mais cela nous aide beaucoup, et je pense que cela aide les Canadiens qui regardent à comprendre pourquoi nous avons besoin de cela.
    Si vous êtes d'accord, j'aimerais que vous m'aidiez à comprendre quelque chose. Nous en sommes à notre troisième journée d'audiences. Je sais que vous êtes ici depuis le début, à écouter, et j'aimerais votre perspective sur un aspect particulier concernant la négociation ou la présélection des clients. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec certains des témoignages entendus. Je ne sais pas si elles l'ont déjà fait elles-mêmes. Certaines l'ont fait, et certaines ont dit que le projet de loi C-36 rendra plus difficile la négociation d'un meilleur prix, et qu'il se traduira par de plus grands risques.
    Je me demande si vous pensez que c'est ce que le projet de loi va causer. Vous pourriez nous fairer part de toute expérience que vous avez eue à ce sujet aussi.
    Je pense que la prostitution est essentiellement dangereuse. Aucune forme de présélection ne vous dira que le type va vous tuer. Communiquer avec les clients est même très compliqué.
    Je me suis prostituée pendant mon enfance et à l'âge adulte. On m'a fait les mêmes trucs à 12 ans qu'à 22 ans. Ces types sont très astucieux. Vous devez les jauger. S'ils sont en colère après vous ou s'ils estiment que vous les avez floués... il s'agit en gros de les jauger.
    Certains de mes anciens clients ont communiqué avec moi, maintenant que j'ai exposé ma situation au grand jour et que j'en parle, et ils m'ont demandé si j'allais écrire un livre, me priant de ne pas le faire. Si c'était si honorable, pourquoi alors me demander de ne pas écrire un livre? Eh bien, je vais écrire un livre, et je vais les nommer, et préciser les marques de voitures. Je vais parler de leur apparence et y aller en détail, parce que je pense que leurs femmes doivent aussi le savoir. Pourquoi protéger ces types? Mon corps a subi des années d'usure. J'ai un fils et des frères, et je ne voudrais pas que mes frères ou mon fils fassent cela.
    Je n'ai jamais rencontré de gentil client. J'ai rencontré des clients capables de me donner de l'argent pour ceci ou cela, mais je n'en ai pas rencontré de gentils. Ils avaient tous d'autres motifs, et c'était d'avoir du sexe avec moi.
    Merci.
    Donc, vos clients n'étaient pas respectueux, ni éduqués?
(1410)
    En fait, quand j'étais une enfant, un de mes clients était un procureur de la Couronne à Thunder Bay. Il payait pour mes services et s'est fait prendre avec moi, alors j'ai abouti en cour. J'ai grandi dans la honte, au sein de ma propre collectivité, à cause de ce qu'un adulte en position de pouvoir avait fait. J'ai été rejetée par l'endroit où j'ai été élevée à cause de ce procureur de la Couronne qui faisait cela avec de jeunes filles. C'est ce qu'il aimait — les petites filles. Il s'arrangeait pour qu'une plus grande fille lui trouve de petites filles. Cette plus grande fille était en réalité une madame de 30 ans.
    Je sais que, quand vous avez été victime de la traite et que vous avez été kidnappée, c'était à l'époque où vous étiez mineure, et aussi après avoir eu 18 ans. Diriez-vous qu'il est devenu tout à coup magiquement possible pour vous, à 18 ou 19 ans, de conclure de meilleurs marchés, de négocier de meilleures ententes et de mieux choisir vos clients? Diriez-vous que cela s'est beaucoup amélioré quand vous avez eu 18 ans?
    Bien honnêtement, j'ai fait beaucoup plus d'argent quand j'étais enfant qu'à l'âge adulte. Ils me payaient beaucoup plus, sachant que j'avais 12 ans. À l'âge adulte, je sentais que j'avais le contrôle, mais ce n'était pas vraiment le cas, car quand je me suis retirée de la prostitution pour devenir une maman, j'ai constaté dans mon propre mariage que tout n'était qu'une façade. C'était l'éléphant dans la pièce.
    Vous êtes ici depuis le début des audiences. J'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous poser cette question. Quand vous entendez d'autres témoins parler de consentement et de choix, et dire qu'elles ont choisi cette vie, qu'est-ce qui vous traverse l'esprit?
    Je ne pense pas que les petites filles aspirent à répondre aux désirs d'une multitude d'hommes différents, une fois rendues à l'âge adulte. Je pense que ce choix vient de l'absence de choix. Les femmes qui disent avoir choisi la prostitution ont besoin d'exercer un contrôle sur quelque chose. C'est pourquoi elles disent avoir choisi cela. Si vous m'aviez demandé, quand j'avais 22 ans, si j'avais choisi cette vie, je vous aurais dit oui, que je le faisais de mon propre gré. Je ne savais pas alors que c'était la prostitution qui m'avait choisie.
    Je vais terminer avec vous en vous remerciant d'être une mère pour Angel et d'avoir pris la relève quand sa mère a été assassinée. Je vous félicite aussi pour l'adoption de votre petit garçon.
    Merci.
(1415)
    J'ai une question pour M. Atchison. Je sais qu'il est difficile pour vous d'être ici à cause des autres points de vue qui sont exprimés, et je comprends que vous avez réalisé beaucoup de recherche et parlé à des milliers de femmes qui se prostituent et qui ont choisi la prostitution. Je sais que ce sont les seules avec lesquelles vous travaillez, alors vous ne travaillez pas avec des personnes comme Bridget, non plus qu'avec des filles et des femmes victimes de la traite de personnes.
    Dites-moi à quel pourcentage correspondent les femmes avec lesquelles vous travaillez. Quel est le pourcentage des femmes contentes de leur métier, par rapport à celles qui sont prises au piège et qui n'ont pas de choix?
    J'aimerais commencer par dire que je suis plutôt ravi d'être ici, parce que ces discussions doivent avoir lieu. Il en faut plus souvent, et en public, car c'est grâce à de tels échanges de connaissances et d'expériences que nous arriverons à mieux comprendre les choses.
    En ce qui concerne les pourcentages de travailleuses du sexe au sein de l'industrie, je ne peux vous le dire directement. Mes collègues de mon projet soeur pourraient vous parler plus directement du pourcentage de filles mineures.
    Dans le cadre de notre dernier projet, nous nous sommes concentrés exclusivement sur les échanges de services sexuels consensuels entre adultes. Par conséquent, nous n'avons parlé à aucune personne mineure, et très peu des personnes consultées avaient fait leur entrée dans l'industrie avant d'avoir 18 ans.
    Je peux cependant vous parler de la demande dont les personnes de moins de 18 ans font l'objet. J'ai demandé à maintes reprises, dans mes sondages, les groupes d'âge qui étaient préférés, et moins de 1 % des clients disaient préférer les mineurs. En fait, il y a une corrélation...
    Pensez-vous vraiment qu'ils vont vous le dire?
    Assurément.
    C'est bon. Votre temps est écoulé. Merci, madame Amber, de vos questions.
    C'est maintenant le tour du Parti libéral. Nous vous écoutons, monsieur Casey.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Lang, j'aimerais vous interroger sur votre représentation devant la Cour suprême du Canada. Si je comprends bien, votre client était l'Alliance évangélique du Canada. C'est bien cela?
    En effet.
    Est-ce votre seul client? Travaillez-vous pour eux, ou bien pour un cabinet?
    Non, j'ai mon propre cabinet. Je ne travaille pas pour eux. Ils ont retenu mes services comme avocate.
    Merci.
    L'Alliance évangélique du Canada a comparu devant nous lundi après-midi. Leur témoin était Julia Beazley. Avez-vous pris connaissance de son témoignage?
    Non. J'en suis désolée. J'aimerais l'avoir fait.
    L'une des préoccupations qu'elle a exprimées touchait l'article 213. Elle s'inquiétait du maintien de la criminalisation des travailleurs et travailleuses du sexe, ou des personnes qui se prostituent, si vous le voulez.
    Si j'ai bien compris ce que vous avez dit jusqu'à maintenant, en tant qu'avocate pour cette organisation, vous êtes tout à fait d'accord avec l'article 213. Comment expliquez-vous cette incohérence entre votre position et celle de votre client?
    Eh bien, ce n'est pas de l'incohérence. Je comparais à titre personnel, parce que je m'intéresse à cette question. Mes services pour l'Alliance évangélique du Canada ont pris fin quand madame la juge McLachlin a présenté ses motifs en décembre 2013. L'Alliance est un ancien client, et non un client actuel.
    D'accord. Je pense que ce que vous avez dit à Mme Boivin au sujet de votre comparution devant la Cour suprême du Canada, c'est que vous avez mis l'accent sur l'article 1.
    C'est exact.
    Les neuf juges étaient contre.
    En effet.
    Avez-vous mis l'accent sur l'article 1, dans votre présentation à la Cour suprême du Canada, parce que vous admettiez qu'il y avait violation de l'article 7?
    Eh bien non, je n'ai pas admis qu'il y avait violation, mais je prétendais que si les juges de la Cour suprême du Canada croyaient qu'il y avait violation, il était possible de maintenir les dispositions comme étant une limite raisonnable dans une société libre et démocratique. C'est ce que je prétendais.
    De plus...
    Vous êtes notre premier témoin formé en droit à exprimer ce point de vue, mis à part le ministre de la Justice et ceux qui travaillent pour lui. En fait, hier, on nous a remis une lettre signée par 220 de vos collègues de l'Association du Barreau canadien, adressée au premier ministre du Canada, qui exprimait un point de vue différent.
    Êtes-vous une sorte de loup solitaire, ou bien existe-t-il un groupe d'avocats qui voudraient signer une lettre exprimant votre point de vue?
    Oui. Ma position n'est pas populaire, mais je pense que de nombreux avocats que je connais personnellement signeraient une telle lettre. Je ne sais pas si un groupe a été créé pour appuyer la loi visant la prostitution, mais d'après mon expérience personnelle et mes discussions avec des collègues, je sais qu'ils sont nombreux à dire que ce projet de loi est la bonne solution.
    Comme je l'ai dit, je sais que je ne suis pas la personne la plus populaire à l'ABC, ces jours-ci.
    Ce serait bien de rencontrer certains de vos collègues, un de ces jours.
    Madame Miller, vous avez dit que l'article 213 vous cause des préoccupations. C'est l'article qui pourrait maintenir la criminalisation des travailleurs et travailleuses du sexe.
    Ce qu'on nous a dit, aujourd'hui, c'est que souvent, les policiers n'utilisent pas cet article pour porter des accusations contre les travailleurs du sexe, mais ils s'en servent plutôt comme menace, afin de les séparer des proxénètes et d'en tirer de l'information. C'est donc un outil qu'ils utilisent apparemment pour menacer les travailleurs et travailleuses du sexe et pouvoir parler avec eux. Est-ce que cela justifie cet article?
(1420)
    Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous voulez dire par son utilisation comme « menace » pour les éloigner d'un proxénète. Pouvez-vous m'expliquer ce que vous dites?
    Bien sûr. Vous arrêtez une travailleuse du sexe et vous lui dites: « Je vous arrête parce que j'envisage de porter contre vous des accusations en vertu de l'article 213, pour sollicitation, alors vous devez me suivre. » Puis, vous passez quelques heures à discuter avec cette personne. Vous ne l'accusez de rien, mais vous utilisez la possibilité d'une accusation pour la faire parler. Est-ce que cela justifie cet article?
    Non. Je ne suis pas d'accord avec cela.
    Merci.
    Madame Perrier, je vous remercie de votre témoignage, particulièrement frappant. Dites-le-moi si vous ne vous sentez pas à l'aise de répondre à mes questions, et je passerai à autre chose.
    Vous avez dit avoir vendu des services sexuels pendant un certain temps, et avoir ensuite réussi à quitter cette industrie. Avez-vous un casier judiciaire?
    J'en avais un, mais j'ai réussi à obtenir un pardon. J'avais un casier judiciaire assez bien garni.
    Pouvez-vous nous parler de l'effet de ce casier judiciaire sur votre capacité de quitter l'industrie du sexe?
    Eh bien, savez-vous quoi? J'en suis sortie même si je faisais l'objet d'un mandat d'arrêt pancanadien, alors cela n'a eu aucun effet.
    En fait, je vois cela comme une bénédiction. D'après moi, les choses arrivent pour une raison, et cela m'a sauvé la vie.
    Je sais que vous avez passé la semaine ici. Vous avez entendu, ce matin, le témoignage de Mme Ekberg. Vous avez entendu celui de l'Association des femmes autochtones du Canada. On a posé des questions au nom des Chefs de l'Ontario au sujet de l'absence de reconnaissance de la vulnérabilité particulière de nos Premières Nations concernant la prostitution. Mme Ekberg a suggéré que quelque chose soit ajouté au préambule.
    D'après vous, le projet de loi C-36 tient-il compte comme il se doit de cette vulnérabilité particulière?
    Je pense que le projet de loi C-36 protégera un peu plus les femmes autochtones. Je pense que le dialogue est ouvert, et avec le nombre de femmes autochtones disparues ou tuées, ce projet de loi reconnaît la nécessité de les protéger.
    Merci.
    Monsieur Atchison, je n'ai encore vu aucun mémoire soumis par vous. Nous avons beaucoup de respect pour la prise de décisions fondées sur des preuves, comme vous, de toute évidence.
    Premièrement, avez-vous soumis un mémoire que nous pourrons étudier?
    J'ai contribué à un mémoire soumis par une équipe. J'en soumettrai un deuxième demain.
    Pourriez-vous nous parler de l'absence de mesures, dans le projet de loi C-36 concernant la recherche et la collecte de données, ainsi que toute partie des 20 millions de dollars consacrée à la recherche et à la collecte de données?
    Oui. Il est essentiel de veiller constamment à comprendre cette industrie pour la réglementer et pour offrir des services aux personnes qui y participent. Il faut donc absolument, peu importe notre façon de réglementer cette industrie, que nous gardions les communications ouvertes. Je ne trouve pas que le projet de loi C-36 fait cela. En réalité, les restrictions imposées concernant la communication et la publicité rendront encore moins possible l'accès à une population déjà difficile à joindre, et rendront pratiquement impossible l'accès à une population encore plus difficile à joindre, et je parle des personnes qui achètent des services sexuels. Les travailleurs et travailleuses du sexe deviendront difficiles à joindre, et leurs clients, impossibles à joindre.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie de vos questions et de vos réponses.
    La prochaine personne à intervenir est Mme Smith, du Parti conservateur.
(1425)
    Merci, monsieur Wallace.
    Bridget, nous nous connaissons depuis très longtemps, et vous comptez parmi les héros du Canada pour ce que vous avez fait. Il est impossible de décrire complètement tout ce que vous avez vécu. Vous écoutez tout cela, les politiciens et tous ceux qui ont des raisons de dire toutes sortes de choses... Quand vous entendez les travailleuses du sexe dire qu'elles n'ont jamais vu de jeune enfant dans l'industrie du sexe, et quand vous entendez des chercheurs dire qu'ils n'ont traité qu'avec des adultes qui ont des relations sexuelles consensuelles, ce qui me préoccupe... Et je remonte à 2004, quand je suis devenue députée, à l'époque où on refusait de croire qu'il y avait de la traite de personnes au Canada, et encore moins de la traite d'enfants. Pouvez-vous nous parler de cela, puisque vous savez ce qu'il en est? Pouvez-vous faire le lien avec le crime organisé?
    Les hommes et les femmes qui m'ont exploitée faisaient partie du crime organisé. C'est indissociable.
    Je pense qu'une personne qui vient dire ici qu'elle n'a jamais rencontré d'enfants ment de façon éhontée. Quand j'ai travaillé, partout au Canada, savez-vous combien de fois j'ai ramené de petites filles à leurs mères parce que je savais qu'on allait leur faire vivre ce que j'avais déjà enduré? Je n'aurais jamais voulu qu'une petite fille vive de telles douleurs. Mais c'est un mensonge éhonté de la part des gens qui disent qu'ils n'ont jamais vu d'enfants dans le milieu de la prostitution.
    En fait, ça m'indigne d'entendre parler de prostitution juvénile, car cela dévalue l'enfant. On parle d'enfants agressés et exploités. Quand fait-on la différence? Est-ce quand on jette un billet de 100 $ à un enfant, que ce soit un petit garçon ou une petite fille?
    Ce qui me frappe maintenant, en 2014, c'est qu'enfin les voix des survivants se font entendre. En tant que survivante et personne qui s'est tirée de là, qui a sauvé de nombreux jeunes enfants et qui les a aidés, comme je sais que vous l'avez fait, ainsi que, dans le cas de l'affaire Willie Pickton — et vous savez que j'ai travaillé avec une victime dans ce dossier —, que voudriez-vous dire au gouvernement maintenant, puisque vous êtes ici pour appuyer le projet de loi C-36? Comment pouvons-nous faire pour obtenir que plus de survivants, qui ont vécu cela, viennent le dire tout haut, comme vous le faites avec tant d'éloquence et depuis si longtemps?
    Je pense que nous devons tout simplement avoir ce dialogue. Tout ce qui se passe autour du projet de loi ouvrira la porte au dialogue. Chaque jour, je consulte mes courriels et il y a deux autres femmes ou filles, une mère ou une fille ou quelqu'un d'autre, qui me demandent de les aider. Je ne sais pas, je pense vraiment...
    Bridget, puis-je vous poser une autre question, car je sais que je vais manquer de temps?
    Parlez-moi des michetons. Toute la semaine, nous avons entendu dire que les clients étaient des hommes corrects qui avaient des besoins. Je peux le comprendre, mais cela signifie par le fait même qu'il s'agit d'un comportement normal et que ces michetons sont de bons gars tout à fait respectueux qui doivent satisfaire un besoin pendant un moment. Pouvez-vous répondre à cela d'une manière quelconque, sous une certaine forme, en vous appuyant sur votre expérience?
    Nous travaillons en collaboration avec l'Invisible Men Project, et chaque jour, nous recevons un courriel sur des déclarations que font les michetons sur un site Web où ils évaluent les prostituées.
    Celle-ci me rappelle la mère de ma fille: « Je l'ai choisie en pensant en tirer davantage si elle avait désespérément besoin d'argent. Cela n'en valait absolument pas la peine. Je pensais même pas lui donner de pourboire, mais elle s'est attardée dans la chambre pendant que je me douchais, m'expliquant que les affaires étaient au ralenti ce jour-là, etc. Sur une autre note, ma conjointe part en visite chez des parents la semaine prochaine, alors le marathon commence. Normalement, je ne peux sortir qu'au cours de la journée, pendant le travail, mais maintenant, je peux aller dans les bars de danseuses nues le soir et écumer le sud-ouest. Je publierai mes résultats ».
    Ce sont des chasseurs.
    Merci.
    J'ai une question pour Michelle Miller.
    Pouvez-vous expliquer au comité comment le fait de s'attaquer à la demande aidera les femmes avec lesquelles vous travaillez? Le projet de loi C-36 contraint-il les femmes à la clandestinité?
(1430)
    Je suis heureuse que vous me le demandiez. Je pense sincèrement que le projet de loi C-36 permettrait de s'attaquer à la demande. Il aide les femmes en comprimant le marché. C'est un terme économique vraiment grossier, qui témoigne d'une façon de voir la prostitution. Sans marché, nul besoin de recruter des femmes pour les y faire travailler. On profite de leur vulnérabilité à cette fin.
    Je ne pense pas qu'elles seraient contraintes à la clandestinité, simplement parce que les michetons seront encore capables de les trouver. Les activités ne sont donc pas clandestines. Je trouve très intéressante l'idée voulant que les femmes soient moins en sécurité quand elles seront cachées quelque part. Je ne suis pas certaine de savoir où se trouvent ces endroits clandestins. Est-ce censé être dans un bunker ou une cave quelque part? On parle de « clandestinité », mais il y aura des endroits où les hommes peuvent les trouver. Je trouve intéressant que les régisseurs de l'industrie du sexe demandent aux femmes de travailler à l'intérieur parce que c'est plus sûr, tout en craignant de les obliger à travailler loin des regards dans des endroits clandestins. Il semble qu'on fasse preuve d'une réelle fourberie quand vient le temps de déterminer comment assurer la sécurité des femmes.
    Pour avoir travaillé avec les femmes, nous savons que ce sont les michetons qui leur font du mal, peu importe l'endroit. Il est impossible d'assurer leur sécurité.
    Merci, Michelle.
    J'ai une question pour M. Atchison. Vous semblez avoir un respect considérable pour la recherche, et je vous en remercie. Comme M. Casey le dit, nous avons toujours besoin de recherches fondées sur des faits probants. Vos travaux portent exclusivement sur ce qu'on appelle des adultes « consentants », n'est-ce pas?
    Des adultes consentants à avoir des échanges sexuels consensuels.
    Avez-vous déjà envisagé d'élargir vos recherches aux personnes qui ont survécu à la traite de personnes au pays? Il y en a beaucoup.
    J'y ai pensé, mais d'après toute l'information que j'ai vue, cela revient à choisir une fraction de l'industrie au détriment de la majorité.
    Vous pensez donc que la majorité des gens sont des adultes consentants qui font ce qu'ils veulent en achetant et en offrant des services sexuels? Êtes-vous en train de dire que vous pensez que c'est la majorité dans vos recherches?
    J'utilise le terme « consentant » avec grande prudence, car tout le principe de consentement comme tel doit être examiné, compris et défini plus adéquatement. Je crois cependant qu'en m'appuyant uniquement sur mes recherches, que la vaste majorité des activités de l'industrie du sexe, particulièrement à l'intérieur, se passent entre des adultes consentants.
    Votre temps est écoulé. Merci de ces questions et de ces réponses.
    C'est maintenant Mme Préclet, du Nouveau Parti démocratique, qui prendra la parole.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Ma question s'adresse à Mme Dussault.
    Selon votre expérience, pensez-vous que la criminalisation des clients va véritablement avoir pour effet de diminuer la demande?
    On peut sans doute trouver des recherches qui indiquent le contraire ou qui vont aller dans le même sens que d'autres personnes, mais j'aimerais simplement que vous parliez en votre nom et sur la base de votre expérience. Cela va-t-il diminuer la demande, oui ou non?

[Traduction]

    Honnêtement, je n'ai pas fait de recherches à ce sujet; je ne suis donc pas entièrement certaine. Mais d'après mon expérience, la situation est à peu près la même en Australie et au Canada.
    Chaque personne étant unique, je ne peux dire quand ils auront des besoins ou autre chose, mais le projet de loi permettra certainement à tous d'être plus en sécurité. En Australie, tout allait à merveille. Les clients étaient formidables et je n'ai pas rencontré la moindre personne mineure ou victime de traite. L'immigration était très sévère à ce sujet.
    D'après mon expérience, le nombre de clients était approximativement le même.

[Français]

     Bridget, si cela ne vous dérange pas, j'aimerais vous appeler par votre prénom.
    Je voudrais vous dire à quel point je vous admire. Le fait de venir ici pour raconter son histoire n'est jamais facile. Je voudrais simplement vous remercier de venir partager votre expérience avec nous. Je suis désolée que vous ayez eu à vivre cette expérience. Je veux vous dire ceci pour ce que vous faites pour les victimes de trafic humain.
(1435)

[Traduction]

    C'est vraiment louable; je vous remercie donc beaucoup de tout ce que vous faites.

[Français]

    Ma question va au-delà du projet de loi C-36.
    Imaginons que, demain, le projet de loi C-36 est adopté dans sa forme actuelle. On sait que l'article 213 criminalise les travailleuses du sexe. Seriez-vous prête à appuyer la criminalisation des femmes si le projet de loi était adopté tel quel?

[Traduction]

    Je l'appuierais, et voici pourquoi: quand ma fille de 15 ans se fera accoster à un arrêt d'autobus, je saurai que j'ai fait la bonne chose.
    Mes enfants sont plus susceptibles d'être entraînés dans le monde de la prostitution en raison de leur race et du fait que leur mère a été exploitée. Je tiens à mes enfants; ils sont ma vie. J'en ai déjà perdu un, qui a été entraîné dans la prostitution, et je n'en perdrai pas d'autres.

[Français]

    Je suis désolée d'entendre cela.
    Il est quand même intéressant de regarder l'ensemble de la situation. À cet égard, dans plusieurs des articles que j'ai lus, on se demande si le gouvernement en a fait suffisamment durant toutes ces années pour atteindre l'égalité entre les hommes et les femmes, notamment en investissant davantage dans les communautés des Premières Nations.
    Si le projet de loi était adopté demain, que ferait-on dans le cas, par exemple, d'une femme toxicomane qui se retrouve sur le bord de la rue, comme le mentionnait Mme Miller. Que va-t-il lui arriver?
    Le ministre du Manitoba disait qu'une somme de 20 millions de dollars sur cinq ans représentait environ 200 000 $ pour sa province pour une année, alors qu'il consacre déjà 8 millions de dollars pour ces jeunes femmes toxicomanes qui se retrouvent dans la rue.
    Que fait-on avec ces jeunes femmes? De quoi avons-nous besoin pour les aider sur le terrain et pour éviter qu'elles ne tombent aux mains des proxénètes?

[Traduction]

    Il existe une solution pour cela. Je travaille pour Sextrade101 sans le moindre budget d'exploitation. Je fais de l'argent en prenant la parole en public. Je travaille avec 400 filles de toutes les régions au Canada, qui sont mes clientes. Nous ne recevons pas de financement du gouvernement fédéral. Nous faisons tout grâce à nos exposés... et j'ai un autre emploi sur lequel je peux compter.
    Nous n'avons pas de budget d'exploitation, et le taux de récidive des filles qui quittent la prostitution est de 1 %.
    Vous n'avez donc pas besoin...
    Non, nous n'avons pas besoin de financement, mais nous faisons de notre mieux avec le peu que nous avons. Vous savez, 20 millions de dollars, ce n'est rien...
    Sur cinq ans.
    ... sur cinq ans. Nous espérons pouvoir tirer des revenus des clients et les écoles de michetons. Il faut examiner la question. Il faudrait que les amendes imposées aux michetons soient proportionnelles à leurs revenus. S'ils gagnent 100 000 $ par année, ils devraient payer une amende de 10 000 $, et cet argent devrait aller directement aux services destinés aux prostituées.
    Il me reste encore du temps? D'accord, formidable.

[Français]

    J'aimerais poser la même question à Mme Miller.
    Vous avez parlé d'une auto qui circulait sur la rue et dans laquelle était montée cette femme. Si le projet de loi C-36 est adopté demain, que fait-on dans le cas de cette jeune fille? Comment fait-on pour l'aider?
    Il y a des lois qui étaient déjà en place depuis des années et qui ne l'ont pas aidée. Alors, que fait-on à cet égard?
    La question qu'on doit se poser aujourd'hui est la suivante: que doit-on faire pour enrayer les situations d'inégalité et de pauvreté qui sont la cause principale de ce problème?

[Traduction]

    Oui. Vous posez deux questions; une sur la prévention et une sur ce dont cette jeune fille a besoin maintenant.
    En ce qui concerne la prévention, je serais en faveur d'un revenu viable garanti, de lits aux fins de détoxication, et de l'accès aux traitements, à la formation professionnelle, à l'éducation et au logement abordable. Je sais que dans ma ville, ce sont certainement des choses extrêmement importantes.
    Quand à cette femme, elle aurait actuellement besoin des mêmes choses. Elle doit avoir accès à un moyen de s'en sortir. Elle a immédiatement besoin d'un logement abordable, d'un lit pour suivre une cure de désintoxication, de soutien et de recyclage aux fins d'emploi.
    Je voudrais aussi pouvoir demander quelle incidence ce projet de loi aura sur elle? J'aimerais parler de la prochaine génération et peut-être de sa fille. Je pense que le fait que nous indiquons clairement dans le projet de loi C-36, en instaurant une norme sociale claire, que les femmes ne sont pas à vendre et qu'il n'est pas convenable d'acheter une femme, aura une incidence sur sa fille.
    Par exemple, actuellement, en Suède, où une loi semblable est en vigueur depuis 10 ans, il y a des enfants de 10 ans qui ignorent qu'il est normal d'acheter et de vendre le corps d'une femme. Je pense donc que sa fille serait moins vulnérable et que les hommes seraient moins susceptibles de l'acheter.
(1440)
    Merci beaucoup. Merci de ces questions et de ces réponses.
    Nous laissons maintenant la parole à M. Dechert, du Parti conservateur.
    Merci, monsieur le président. Je remercie également chacun de nos invités.
    Madame Perrier, nous nous sommes déjà rencontrés. Je suis ravi de vous voir. J'espère que vous ne vous formaliserez pas si je vous appelle Bridget.
    Je veux me joindre à mes collègues pour vous remercier de nous avoir raconté votre histoire et celle de votre fille Angel. Personnellement, j'ai été très ému et je suis pas mal certain que tous ceux qui vous ont écouté aujourd'hui l'ont été tout autant.
    Au cours de ma vie, j'ai eu l'honneur de rencontrer bien des anciens combattants qui ont connu la guerre, mais je pense que vous êtes peut-être la personne la plus brave que je n'aie jamais connue. Nous aurons peut-être l'occasion plus tard de vous donner les applaudissements que vous méritez tant.
    Si je pouvais vous décerner une médaille de la vaillance, je le ferais, mais s'il est une chose que je sais, c'est que vous sauvez des vies aujourd'hui. Je tiens à vous remercier de témoigner et de parler des choses terribles qui vous sont arrivées, à vous, à votre fille et à d'autres personnes que vous connaissez. Merci du travail que vous accomplissez chaque jour afin de sauver la vie d'autres personnes.
    J'aimerais poser quelques questions à Mme Lang.
    Madame Lang, vous avez évoqué, dans votre exposé, l'avant-dernière observation de la juge en chef McLachlin dans sa décision, une observation qui, je crois, vaut la peine d'être lue parce qu'elle est très importante; la juge indique ce qui suit:
La conclusion que les dispositions contestées portent atteinte à des droits garantis par la Charte ne dépouille pas le législateur du pouvoir de décider des lieux et des modalités de la prostitution, à condition qu’il exerce ce pouvoir sans porter atteinte aux droits constitutionnels des prostituées.
    Elle poursuit en disant que:
L’encadrement de la prostitution est un sujet complexe et délicat. Il appartient au législateur
    ... c'est-à-dire nous tous et les gens avec lesquels nous travaillons chaque jour à la Chambre des communes et au Sénat...
s’il le juge opportun, de concevoir une nouvelle approche qui intègre les différents éléments du régime actuel. Au vu de l’ensemble des intérêts en jeu, il convient de suspendre l’effet de la déclaration d’invalidité pendant un an.
    Elle nous a renvoyé la balle. Elle aurait pu dire que les dispositions sont invalides à partir d'aujourd'hui, et la prostitution serait complètement légalisée et déréglementée au Canada. Elle ne l'a pas fait et nous a renvoyé le dossier, en indiquant que le Parlement a un rôle à jouer.
    Certains auraient abdiqué ce rôle, mais je considère qu'il nous incombe de l'assumer, et je pense que la juge en chef nous a demandé de lire la décision, d'examiner toutes les questions entourant la prostitution, d'écouter l'histoire de Bridget Perrier et de tant d'autres qui ont témoigné devant nous, et d'élaborer une réponse. Elle parle de la sphère de compétences du gouvernement fédéral du Canada.
     Elle connaît très bien la répartition des pouvoirs en vertu de la Constitution du Canada. Elle ne parle pas des règlements relatifs au zonage et aux entreprises à l'échelle locale, ou des règlements sur l'emploi ou la santé et de la sécurité au travail, mais bien de ce qui relève du Parlement du Canada: le droit criminel, le droit des banques, des assurances et des chemins de fer, et certainement d'autres aspects, évidemment, comme la défense nationale et l'imposition. Mais à cet égard, le Code criminel constitue le plus important outil dont disposent les parlementaires pour réglementer la manière dont se passe la prostitution.
    À quoi faisait-elle référence, selon vous? Pensez-vous qu'elle nous demandait de réexaminer le Code criminel afin de trouver un moyen de protéger les droits que la Charte confère aux prostituées, et pensez-vous que c'est ce que nous avons fait dans le projet de loi C-36?
(1445)
    Elle s'est penchée sur la loi et a admis que les dispositions sur la prostitution du Code criminel ne concernaient pas la prostitution, mais la nuisance. Ainsi, quand la cour a examiné la question, elle a pesé les avantages d'une loi sur la nuisance en tenant compte des problèmes qui sont, nous le savons, inhérents à la prostitution.
    Mais elle a indiqué que cela ne dépouille pas le législateur de la possibilité d'imposer des limites, et c'est certainement un principe fondamental. C'est le parlement fédéral qui s'occupe du droit criminel au Canada. Il revient ensuite aux tribunaux de déterminer si ce droit est constitutionnel.
    Avec le projet de loi C-36, je pense que l'honorable ministre de la Justice et le comité ont réglé, de façon fort efficace, les questions soulevées par la juge McLachlin et ses collègues de la Cour suprême du Canada.
    Un grand nombre de professeurs de droit du Canada ont cherché à déterminer si ce nouveau projet de loi sera jugé constitutionnel, et nombreux sont ceux qui estiment qu'il le sera. Il ne fait aucun doute qu'il sera contesté, mais je pense que le ministre de la Justice a accompli un travail exemplaire en élaborant une loi qui est dans l'intérêt des parties concernées par la prostitution. Il décriminalise cette activité pour les femmes, à moins, bien entendu, qu'elles ne s'adonnent au commerce du sexe à proximité d'enfants. Il vise ceux qui achètent des services sexuels et qui se livrent à l'exploitation. Le préambule du projet de loi indique clairement que ce sont eux qui sont visés à cause des torts qu'ils causent, et que le Parlement a le droit d'en décider et de légiférer en la matière.
    C'est un bon projet de loi, car il permet de régler les points soulevés par la Cour suprême du Canada. Je crois qu'il traite du vrai problème, c'est-à-dire l'exploitation des femmes et la banalisation et la commercialisation du corps des femmes, qui constituent une attaque frontale contre la dignité humaine et une violation des droits de la personne.
    Si le Parlement ne faisait rien, comme Mme Scott et Mme Lebowitch le lui ont fortement conseillé aujourd'hui... Ce sont deux parties dans l'affaire Bedford, et elles ont dit de laisser tomber, de ne rien faire et de laisser les dispositions invalidées par la cour disparaître, conformément à la décision de la cour.
    Si le Parlement ne faisait rien, qu'adviendrait-il de la réglementation de la prostitution du Canada, à votre avis?
    Je pense que ce qui est le plus préoccupant au sujet de la légalisation de la prostitution, c'est la traite de personnes. Dans tous les pays qui ont légalisé la prostitution, on a observé une explosion de la traite de personnes.
    Par exemple, quand l'Allemagne a légalisé la prostitution, on a assisté à un afflux de femmes d'Amérique du Sud, et plus tard, après la chute du Mur de Berlin, toutes ces femmes du tiers monde vivant dans les pays du bloc de l'Est ont été amenées en Allemagne.
    La même chose s'est passée en Australie, où le trafic de personnes a explosé. Il s'est apparemment produit un afflux massif de prostituées chinoises parce que les hommes d'affaires — les proxénètes, maintenant hommes d'affaires parce que la prostitution est légale en Australie — ont fait venir des femmes de toutes sortes de pays.
    C'est la plus grande crainte. La traite de personnes est insidieuse et je pense qu'on admet — et c'est un fait bien admis au Canada — que c'est une activité illégale.
    Merci.
    J'ai un dernier commentaire à formuler. M. Casey et d'autres ont fait remarquer, comme vous l'avez fait plus tôt, qu'on a reçu une lettre venant de quelque 220 juristes qui ont un point de vue différent.
    À titre de juriste, je partage votre avis. J'ai travaillé pour un cabinet d'avocats comptant plus de 900 avocats. J'ai pratiqué à Toronto, où travaillent plus de 14 000 avocats. Le nombre de 200 avocats ne me semble pas impressionnant. Je pense que nous pourrions en trouver autant qui seraient de notre avis.
    Merci.
    Merci de ces observations.
    Merci de ces questions et de ces réponses.
    La parole est maintenant à M. Jacob, du Nouveau Parti démocratique.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être parmi nous cet après-midi.
    Ma première question s'adresse à M. Atchison.
    Vous êtes un chercheur universitaire pragmatique. Vous avez dit que vous ne faisiez pas de jugement moral et que vous vous basiez sur des données empiriques. De plus, vous avez dit qu'il fallait investir dans la lutte contre la violence et la victimisation.
    Le gouvernement investit 4 millions de dollars par année sur cinq ans, soit 20 millions de dollars au total pour tout le Canada. Sincèrement, cet investissement est-il sérieux pour lutter contre la violence et la victimisation des femmes?
(1450)

[Traduction]

    Non, je pense qu'il ne l'est absolument pas, particulièrement quand nous parlons de...
    Si nous voulons sérieusement éliminer la demande et modifier les attitudes et les comportements concernant l'achat de services sexuels, je ne vois pas comment on y arrivera avec 20 millions de dollars. Si nous voulons le faire — et je ne pense pas que nous le devrions —, je ne vois nulle mention de programmes d'éducation et de sensibilisation à grande échelle pour ceux dont nous voulons diminuer la demande.
    Nous attendons-nous à ce que la simple application de sanctions mette fin à la demande? Une partie des fonds devra servir à l'éducation de la population, grâce notamment à des mesures dissuasives générales — et rien de cela n'ira de l'avant —, et il faudra affecter des fonds pour assurer le financement dont ont tant besoin les organisations qui fournissent des services de soutien essentiels.
    La réponse est donc non.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur Atchison.
    Ma deuxième question s'adresse à Mme Georgialee Lang.
    Vous êtes avocate et, dans votre allocution, vous avez insisté sur le respect de la dignité humaine .
    Selon vous, si le gouvernement fédéral était davantage proactif pour ce qui est de favoriser l'égalité des sexes, est-ce que cela ferait une différence dans la lutte contre l'exploitation des femmes et la violence faite à leur endroit?

[Traduction]

    Je crois que le fait que des hommes utilisent des femmes à des fins sexuelles constitue un affront absolu et intrinsèquement violent à la dignité humaine. Pour ce qui est de dire si des dispositions assurent l'égalité entre les hommes et les femmes au Canada, c'est une tout autre question. Il ne peut y avoir d'égalité entre les prostituées et les clients en raison de la nature même des services offerts. Je considère donc que cela ne changera pas le problème auquel nous sommes confrontées.

[Français]

    Merci, madame Lang.
    Ma troisième question s'adresse à Mme Elizabeth Dussault.
    Dans votre allocution, vous avez parlé de l'expérience de la Nouvelle-Zélande. J'aimerais que vous me parliez en détail de cette expérience.

[Traduction]

    Je suis désolée, je n'ai jamais été en Nouvelle-Zélande, mais bien en Australie.
    De quelles différences parlez-vous? Je pourrais traiter de la question pendant des heures.

[Français]

    Je vous poserai donc une autre question.
    Dans quelle mesure le logement abordable et la réduction de la pauvreté peuvent-ils aider les travailleuses du sexe à quitter la prostitution?

[Traduction]

    Cela ne relève pas de mon domaine d'expertise. Selon moi, le logement abordable et d'autres mesures seraient bons pour l'ensemble de la société, pas seulement pour les travailleuses du sexe.
    Ici encore, parlant au nom des femmes victimes de traite de personnes ou de violence, je ne pense pas que ce soit là l'objet du projet de loi. Je suis profondément désolée que Mme Perrier ait vécu de telles expériences, et je serais très heureuse de lui offrir mon soutien et même de travailler à ses côtés pour mettre fin à la traite de personnes et à la prostitution de mineures.
    Mais j'ai choisi d'être travailleuse du sexe. Mon expérience est très différente de la sienne, et je ne suis pas en mesure de parler de quelque chose qu'elle a vécu.

[Français]

    D'accord.
    Vous allez pouvoir me parler de cette question si le temps qui nous est alloué nous le permet.
    Vous avez dit que vous étiez contre le projet de loi C-36 parce qu'il y aurait une augmentation de la négligence et de la violence envers les travailleuses du sexe et que cela entraînerait, entre autres, l'isolement et l'inégalité.
    Pour vous et vos collègues, j'aimerais savoir quel serait l'impact si le projet de loi C-36 était adopté demain matin.
(1455)

[Traduction]

    S'il était adopté demain matin, je pense que moi et toutes les femmes brillantes — qu'elles soient instruites ou non — avec lesquelles je travaille et j'ai travaillé par le passé serions certainement très désavantagées.
    Nous ne pourrions pas offrir nos services aussi clairement que nous devons le faire pour assurer notre sécurité. Nous ne pourrions pas travailler ensemble comme nous le faisons et comme je voudrais que nous le fassions davantage. Nous serions pas mal obligées de travailler dans les rues et dans des endroits plus dangereux — sans que ça soit dans des lieux clandestins, comme quelqu'un l'a dit —, mais nous aurions certainement de la difficulté à assurer notre équilibre et notre sécurité, comme nous avons tenté de le faire sous le régime actuel.

[Français]

    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci, monsieur Jacob.
    La prochaine question est réservée au Parti conservateur, et c'est moi qui la poserai.
    Monsieur, si on examine la question strictement du point de vue des sciences sociales, j'ai quelques questions sur la méthode utilisée dans le cadre de l'étude. Vous nous en avez donné un aperçu aujourd'hui, et je pense que vous présentez davantage d'information.
    Si je vous ai bien compris, vous avez interrogé quelque 3 000 acheteurs, et c'est vraiment sur eux que vous avez mis l'accent. Est-ce exact?
    C'est le sujet d'étude dont j'ai parlé aujourd'hui. J'ai aussi participé, à titre de co-chercheur ou d'adjoint, à au moins neuf autres projets sur l'industrie du sexe en général.
    Comme ces acheteurs sont visés par les modifications que contient le projet de loi C-36, c'est sur cette question que je veux m'attarder. Vous dites qu'ils ont été interrogés ou sondés. Combien ont été interrogés en personne et combien ont été sondés?
    J'ai effectué des centaines d'heures d'observation ethnographique dans divers espaces virtuels et physiques au fil du temps.
    Cela ne veut rien dire pour moi. Combien d'hommes — je parle d'hommes, même s'il peut y avoir des femmes — avez-vous sondés en leur envoyant un document indiquant « Je crois comprendre que vous êtes un micheton, et nous essayons de comprendre pourquoi vous achetez des services sexuels de prostituées »? Combien d'hommes avez-vous sondés et combien en avez-vous interrogés en personne?
    Dans les deux projets dont j'ai parlé aujourd'hui, on a réalisé 50 entrevues approfondies et sondé 2 004 personnes.
    Du point de vue strictement des sciences sociales, comment savez-vous qu'une personne dit ou non la vérité, ou toute la vérité, dans un sondage, et comment le faites-vous pendant une entrevue? À titre de spécialiste des sciences sociales, quelles méthodes utilisez-vous pour pouvoir nous garantir que ces gens ont dit la vérité?
    Aucune personne faisant une étude sur une partie quelconque de l'industrie du sexe peut garantir qu'on lui dit la vérité sur quoi que ce soit, qu'il s'agisse d'un travailleur du sexe, d'un micheton, d'un gestionnaire, d'un propriétaire, d'un exploitant, d'un policier, d'un avocat ou d'un politicien. Nous pouvons toutefois élaborer nos instruments de manière à formuler des questions permettant d'obtenir des réponses qui ne sont pas faussées en fonction des critères de désirabilité sociale. C'est bien plus facile de le faire dans le cadre de sondages auto-administrés, qui assurent plus de discrétion et de confidentialité qu'une rencontre en personne.
    Pour ce qui est des entrevues en personne, la raison pour laquelle je réalise des entrevues phénoménologiques, qui durent souvent sept ou huit heures, c'est qu'une partie de ces murs s'effondrent au cours de la longue conversation.
    S'effondrent. Bien sûr.
    Y a-t-il un groupe de référence, comme c'est le cas pour toute autre méthode scientifique, afin d'établir des comparaisons?
    Nous l'avons fait par le passé. Dans ma première étude, en 1996, nous avons comparé des gens ayant acheté des services sexuels avec des hommes et des femmes du public en général. Nous avons observé très peu de différences notables dans les statistiques.
    Par la suite, je me suis principalement intéressé aux personnes de l'industrie du sexe afin de comparer des acheteurs, des vendeurs, des partenaires intimes et d'autres acteurs.
(1500)
    Si je me souviens bien — vous pouvez m'indiquer si je me trompe, car l'information m'a peut-être échappé —, je pense que quand on vous a posé une question sur la violence, vous avez dit que votre étude comprenait divers degrés de violence. Il y a la violence physique, et il existe évidement des lois contre cela, puis il y a d'autres formes de violence, comme la violence verbale.
    Avez-vous affirmé au comité qu'environ 25 % avait fait état de violence physique? Ai-je bien compris?
    Non.
    Le président: Quel chiffre avez-vous, alors?
    M. Chris Atchison: En ce qui concerne la violence physique, moins de 5 % des répondants ont signalé une forme quelconque de violence physique. Nous mesurons la violence de 20 ou 25 manières environ afin de représenter tout l'éventail de formes de violences, allant de simples disputes ou de discussions verbales jusqu'à l'agression, au vol ou à l'agression sexuelle.
    Peut-être que c'est quelque chose que vous ne pouvez pas faire, mais s'ils affirment qu'ils traitent ces personnes avec respect, qu'ils agissent pour leur satisfaction personnelle ou autre chose... Dans le cadre de votre étude, vous n'assurez pas le suivi auprès de la personne qui a fournit les services pour vérifier si les répondants disent la vérité ou s'ils ont été violents physiquement ou autrement, s'ils ont refusé de payer ou s'ils ont fait autre chose.
    Il vous est impossible de savoir si ceux qui achètent des services sexuels disent vraiment ce qu'ils font derrière des portes closes entre adultes consentants. Est-ce que votre étude permet de le savoir?
    Oui. Notre plus récente étude donne une vue globale de l'industrie du sexe; nous avons interrogé des travailleuses du sexe, des acheteurs, des partenaires intimes de travailleuses du sexe, des gestionnaires, des propriétaires, des exploitants et des responsables de la réglementation...
    Quand l'acheteur vous dit de qui il obtient des services, faites-vous le rapprochement pour interroger les deux personnes?
    À l'heure actuelle, particulièrement sous le régime juridique actuel, ce serait impossible au Canada.
    D'accord.
    Enfin, comme la discussion porte en grande partie sur le traitement du sexe opposé, est-ce que vous demandez si les répondants entretiennent une relation, qu'ils soient mariés ou en couple? Cherchez-vous à savoir s'ils ont d'autres relations que celles qu'ils ont avec la personne auprès de laquelle ils achètent des services sexuels? Vous autorisent-ils à parler à ces personnes pour que vous sachiez comment elles sont traitées?
    Mais certainement. Je m'intéresse à toute la gamme de facteurs démographiques, y compris les relations non commerciales et les aspects relatifs à leur sexe et à leur sexualité. Non, nous ne faisons pas de rapprochement pour les gens qui ont des partenaires non commerciaux, qui sont représentés de diverses manières. Certains sont mariés, d'autres sont en union libre ou ont des partenaires sexuels réguliers, etc. Pour l'instant, toujours en raison du régime juridique actuel, nous ne pouvons faire de rapprochement.
    Bien souvent, pour encourager la participation et garantir la confidentialité et la protection des renseignements personnels, nous devons, pour avoir des participants, respecter leur identité et dire que nous ne pouvons révéler cette dernière à qui que ce soit.
    Merci beaucoup.
    Une voix: On dirait que c'est du gouvernement.
    Le président: Merci beaucoup.
    J'ai le regret de vous dire que c'était de moi.
    Je remercie tous les témoins d'avoir comparu ce soir et d'avoir participé à l'examen du projet de loi C-36. Nous devons entendre un autre groupe de témoins aujourd'hui, puis nous procéderons à l'examen article par article la semaine prochaine.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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