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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 010 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 2 mai 2016

[Enregistrement électronique]

  (1605)  

[Traduction]

    Mesdames et messieurs, bienvenue à cette première réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne portant sur l'étude du projet de loi C-14.

[Français]

     C'est avec grand plaisir que je vous accueille toutes et tous ici.

[Traduction]

    Le sujet d'aujourd'hui est difficile. C'est un sujet où il nous faudra concilier les droits à l'autonomie, les droits qui ont été énoncés dans la Charte et les droits énoncés dans l'arrêt Carter pour la protection des personnes vulnérables.
    L'essentiel pour moi, c'est que nous faisions preuve du plus grand respect. Je sais que notre Comité en est parfaitement capable et je suis heureux d'accueillir nos premiers témoins de la journée.
     Nous accueillons la ministre de la Justice, Mme Jody Wilson-Raybould et la ministre de la Santé, Mme Jane Philpott. Elles sont accompagnées par MM. William Pentney, sous-ministre de la Justice et sous-procureur général, et Simon Kennedy, sous-ministre de la Santé, respectivement.
    Je vais vous laisser la parole, mesdames les ministres. Je ne sais pas laquelle de vous va commencer en premier, mais je vous souhaite la bienvenue.
    Je commencerai d'abord et ma collègue prendra la suite.
    Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président et membres du Comité de nous accorder cette importante occasion de nous exprimer au sujet du projet de loi C-14, qui fait suite à la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans la cause Carter c. Canada et qui établit un nouveau cadre fédéral pour l'aide médicale à mourir.
    Comme vous l'avez dit, monsieur le président, l'aide médicale à mourir est une question complexe et profondément personnelle. Tous les pays qui l'ont autorisée ou qui en ont débattu ont soigneusement tenu compte de tous les intérêts en jeu. Au Canada, nous travaillons dans un cadre juridique et constitutionnel distinct, où les pouvoirs sont répartis entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et qui comprend la Charte des droits et libertés, le tout servant à informer les choix du gouvernement que l'on retrouve dans ce projet de loi.
    Le projet de loi C-14 viendrait établir les règles de droit pénal régissant l'aide médicale à mourir sur les plans de l'admissibilité, des garanties procédurales et du cadre nécessaire à un système de surveillance. Il reprendrait l'article 14 et l'alinéa 241b) du Code criminel, de sorte que le fait d'aider une personne à mourir ou de causer la mort d'une personne avec le consentement de celle-ci continuerait de constituer un acte criminel, sauf si l'une de ces deux actions se déroulait conformément aux dispositions régissant l'aide médicale à mourir énoncées dans le projet de loi.
     Le projet de loi C-14 exempterait les médecins et les infirmiers praticiens de toute responsabilité criminelle s'ils fournissent une aide médicale à mourir à une personne admissible conformément aux garanties de procédure prévues dans la loi. Il exonérerait également d'autres personnes qui pourraient participer au processus, notamment les pharmaciens qui remplissent l'ordonnance.
    Détail important, le projet de loi prévoit un examen parlementaire cinq ans après son entrée en vigueur. Le gouvernement est également résolu à continuer d'étudier les enjeux complexes de l'aide médicale à mourir dans le contexte des demandes préalables, des demandes faites par des mineurs matures et des cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, aucun de ces aspects n'ayant été examiné par la Cour dans l'affaire Carter.
    Le gouvernement a choisi cette approche après avoir soigneusement examiné l'éventail complet des options possibles pour un régime d'aide médicale à mourir. Comme il est indiqué dans notre document d'information législatif, que j'ai déposé en deuxième lecture, on a analysé et comparé les régimes adoptés ailleurs, notamment au Québec, dans certains États américains, dans plusieurs pays européens et en Colombie.
    Le gouvernement s'est également appuyé sur les consultations menées au pays, y compris les travaux du comité mixte spécial, le groupe d'experts externe, le groupe consultatif provincial-territorial d'experts et l'étude pluriannuelle du Québec dont la province s'est inspirée pour élaborer sa propre loi. Nous avons également consulté un large éventail de parties prenantes.
    Fort de ces témoignages et de ces connaissances, qui vont même au-delà de la documentation très détaillée présentée devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, le gouvernement a soigneusement abordé la question. Le projet de loi C-14 laisserait une plus grande flexibilité que les lois adoptées aux États-Unis, qui se limitent aux patients atteints d'une maladie en phase terminale. Mais il ne va pas aussi loin que certains régimes plus permissifs des pays européens. Comme la Cour l'a fait valoir dans l'arrêt Carter, « le législateur [...] est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes » — comme celui-ci.
    Le projet de loi C-14 est juste et pratique et présente une approche équilibrée.
    Pour ce qui est de l'admissibilité, je sais que l'exigence voulant que la mort naturelle de la personne soit « raisonnablement prévisible » a reçu une certaine attention, notamment en lien avec l'affaire Carter. J'aimerais parler de ces préoccupations.
     Le projet de loi a été délibérément rédigé pour répondre à la situation étudiée dans l'affaire Carter, pour laquelle la Cour n'a entendu que les témoignages concernant des personnes à un stade avancé de maladies incurables, qui étaient en déclin physique et dont la mort naturelle approchait. La Cour a déclaré que l'interdiction complète de l'aide à mourir était une violation des droits garantis par la Charte, dans ces circonstances. Ainsi, les critères d'admissibilité énoncés dans le projet de loi C-14 sont conformes à l'arrêt Carter. Ils tiennent compte de la totalité de l'état de santé de la personne et non d'une liste de maladies approuvées.

  (1610)  

     En définissant le terme « problèmes de santé graves et irrémédiables », le projet de loi ferait en sorte que tous les adultes capables qui sont dans un état de déclin irréversible vers la mort puissent opter pour l'aide médicale à mourir afin de mourir en paix, qu'ils soient ou non atteints d'une maladie mortelle ou en phase terminale.
    Une personne peut être à l'approche d'une mort naturelle pour des raisons médicales qui ne sont pas directement liées à une maladie grave et incurable, par exemple. De plus, l'admissibilité de la personne ne dépend pas du temps qu'il lui reste à vivre, que ce soit des semaines ou des mois, comme c'est le cas aux États-Unis. En définitive, la prévisibilité raisonnable de la mort est une décision médicale, et non juridique, une décision à prendre en tenant compte de l'état de santé global de la personne, du nombre et de la nature de ses maladies, de sa fragilité, de son âge, etc.
    Le vice-président de l'Association médicale canadienne a confirmé que la prévisibilité raisonnable de la mort est une norme qui donne des indications suffisantes aux médecins et aux infirmiers praticiens en éliminant une grande part de la subjectivité laissée par le concept non défini de maladie grave donné par la Cour tout en permettant à ceux qui possèdent les connaissances médicales et l'expertise nécessaires de prendre des décisions en fonction de chaque cas.
    Il existe d'autres raisons impérieuses pour vouloir exiger que la mort naturelle de la personne soit raisonnablement prévisible. Premièrement, c'est un moyen équitable de restreindre l'admissibilité sans mettre l'aide médicale à mourir à la portée de pratiquement tout le monde. Deuxièmement, il est nécessaire de restreindre ainsi l'admissibilité pour protéger les personnes vulnérables.
    Les autres critères d'admissibilité qui ont été proposés et suggérés seraient arbitraires. Par exemple, il serait arbitraire de permettre aux gens souffrant de maladies dégénératives, mais non mortelles, d'avoir accès à l'aide médicale à mourir avant que leur mort soit devenue raisonnablement prévisible, tout en excluant les personnes uniquement atteintes d'une maladie mentale ou qui sont nées avec un handicap physique, ou encore celles qui souffrent physiquement ou psychologiquement pour toute autre raison. Ce ne sont pas des options viables, à notre avis, car elles établissent une discrimination dès le départ en fonction de l'état de santé, au lieu de permettre au médecin d'envisager la situation particulière de la personne.
    D'autres ont proposé que le gouvernement accorde un accès élargi, en fonction de l'expérience subjective de la souffrance de chaque personne et du droit de choisir le moment où la vie cesse d'avoir un sens, sans paramètres objectifs liés à leur condition ni mesures de sauvegarde. Notre gouvernement croit fermement que l'aide médicale à mourir ne devrait pas être possible pour tous les types de souffrance. Si tel était le cas, le risque pour les personnes vulnérables augmenterait énormément et ce serait franchement inacceptable. Cette approche pourrait contribuer à la stigmatisation des personnes handicapées, elle pourrait saper les efforts de prévention du suicide et elle pourrait amener des personnes marginalisées ou solitaires à demander une aide médicale pour mettre prématurément fin à leur vie.
    Comme la Cour l'a indiqué dans l'affaire Carter, au moment de formuler une loi, le Parlement doit comparer et peser les points de vue de ceux qui pourraient être à risque dans un régime permissif. Notre gouvernement respecte la Cour suprême du Canada et estime que pour légiférer dans ce domaine extrêmement complexe et personnel, nous devons veiller à protéger la dignité de ces vies canadiennes.
    Voilà pourquoi les critères établis dans le projet de loi tiennent compte de l'ensemble des conditions médicales qui peuvent rendre la mort d'une personne raisonnablement prévisible. Ce faisant, la loi dit clairement quel est le but de l'aide médicale à mourir: donner aux adultes capables qui sont sur la voie de leur mort naturelle le choix d'une mort paisible. Elle donne également un maximum de flexibilité aux fournisseurs de soins de santé en matière d'évaluation médicale, tant en ce qui concerne les conditions qui ont mené une personne à être sur la voie de la mort que le temps pendant lequel elle peut demander l'aide médicale à mourir.
    Je tiens à souligner l'importance d'adopter le texte de loi avant le 6 juin 2016, date où la déclaration d'invalidité de la Cour expirera. En l'absence d'une nouvelle loi, le 6 juin, les paramètres de l'arrêt Carter entreraient en vigueur.

  (1615)  

    Le champ d'application de la décision reste incertain à plusieurs égards et son application dans la pratique resterait donc floue. En admettant un instant que l'arrêt Carter fasse partie du libellé de l'article 14 et de l'article 241, et l'alinéa b) du Code criminel de sorte qu'à l'exception de l'aide médicale à mourir, ces lois pénales seraient en vigueur, il resterait encore suffisamment d'incertitude.
    Premièrement, étant donné que le milieu médical ne s'entend pas sur une interprétation commune de ce qui constitue un état « grave et irrémédiable », un patient admissible à l'aide médicale à mourir en vertu du projet de loi C-14 aura de la difficulté à l'obtenir. En l'absence d'une loi claire, des médecins qui auraient été prêts à fournir ce service, pourraient refuser de le faire parce qu'ils ont des doutes concernant l'admissibilité.
    Par ailleurs, si on néglige de définir les paramètres Carter dans la loi fédérale, on pourrait avoir une grande variation dans l'application de l'admissibilité, non seulement entre les provinces ou les régions, mais en leur sein. L'accès dans les régions éloignées et rurales en pâtirait, non seulement parce que les médecins peuvent être réticents à fournir une aide médicale à mourir dans un contexte juridique aussi incertain, mais également parce qu'en vertu de l'arrêt Carter, les infirmiers praticiens ne peuvent pas fournir ce service.
    Deuxièmement, le processus actuel d'approbation provisoire de la Cour prendra fin le 6 juin. Par conséquent, sauf pour le Québec, il n'y aurait pas de cadre juridique contraignant pour régir l'aide médicale à mourir au Canada. Autrement dit, il n'y aurait pas de garanties obligatoires de procédure pour prévenir les abus et protéger les personnes vulnérables.
    Les lignes directrices publiées par les organismes de réglementation médicaux ne sont ni contraignantes ni uniformes, ce qui aggrave le risque de disparités au Canada, ce qui pourrait à son tour créer des risques graves pour la sécurité publique. Par exemple, un patient pourrait demander et recevoir l'aide médicale à mourir en une seule et même journée. Sans passer par une liste exhaustive des risques, il va de soi qu'il serait irresponsable de laisser passer le 6 juin sans avoir adopté une loi fédérale.
    Comme la Cour l'a précisé dans le paragraphe 117 de l'arrêt Carter, « un système de garanties soigneusement conçu et surveillé peut limiter les risques associés à l’aide médicale à mourir ». Or, le projet de loi C-14 établit un cadre responsable et équilibré qui limite ces risques et met en place ces mesures de sauvegarde.
    Je me réjouis d'avoir l'occasion de discuter de ce projet de loi et de contribuer à votre étude. L'approche adoptée dans le projet de loi C-14 répond à l'arrêt Carter en demeurant sensible, il me semble, à tous les aspects dont la Cour a été saisie dans cette affaire et crée un cadre juridique responsable et équitable pour permettre l'aide médicale à mourir au Canada pour la première fois dans l'histoire de notre pays.
     Maintenant, si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais céder la parole à la ministre Philpott.

  (1620)  

    Merci beaucoup, madame la ministre Wilson-Raybould.

[Français]

     Madame la ministre de la Santé, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    Je mentionne que je vais faire quelques commentaires en français aussi, pour ceux qui ont besoin des écouteurs.

[Traduction]

    Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de cette occasion de témoigner cet après-midi. Je suis ravie de me retrouver ici avec ma collègue pour discuter de l'importante question de l'aide médicale à mourir.
     Je pense qu'aucun d'entre nous ne saurait nier la nature monumentale de la mesure législative qui nous occupe. C'est dire la nature profonde et solennelle de notre responsabilité en tant que représentants du peuple du Canada à prendre des décisions judicieuses et je vous remercie de votre contribution au processus tout en me réjouissant à l'avance de vos commentaires et questions.
    Les débats sur la fin de vie peuvent être incroyablement difficiles. Je peux l'affirmer de par mon expérience personnelle et je sais que vous avez tous vécu des expériences similaires et que vous avez vos propres histoires personnelles sur ces débats, qui demeurent pourtant essentiels et auxquels nous devons participer individuellement, en tant que députés et en tant que société.
    Ce sont des débats difficiles également pour les fournisseurs de soins de santé car ils peuvent ne pas avoir eu une formation qui les a suffisamment préparés pour en discuter et encore moins pour apporter le soutien dont les patients ont besoin à la fin de la vie. Tout en nous efforçant de répondre aux besoins des Canadiens à la fin de leur vie, nous avons un système qui peut souvent empêcher les gens d'exercer leur autonomie personnelle.

[Français]

    Nous voulons un système où le respect de l'autonomie individuelle forme la pierre angulaire de toutes les politiques. Nous voulons également un système où les droits des plus vulnérables sont respectés et protégés. Ce projet de loi est une pièce importante du casse-tête quand vient le temps de faire en sorte que les Canadiennes et les Canadiens aient non seulement accès à une bonne vie, mais aussi accès à une bonne mort.

[Traduction]

    Il s'agit de permettre aux patients de prendre en charge leur propre devenir tout en veillant à ce que les Canadiens reçoivent des soins compassionnels lorsqu'ils arrivent à la fin de leur vie.
    Comme vous le savez, nous avons écouté ce que les Canadiens et les intervenants avaient à dire avant de rédiger ce projet de loi. Nous l'avons examiné attentivement pour nous assurer qu'il soit conforme à la Charte. Nous avons soigneusement étudié l'arrêt Carter pour que des personnes dans la même situation puissent bénéficier de soins susceptibles de soulager leurs souffrances, y compris l'option de l'aide médicale à mourir.
    Tout au long de ce débat et depuis l'introduction de ce projet de loi, nous avons entendu plusieurs parlementaires et de nombreux intervenants. Certains craignaient que la loi aille trop loin et nous reconnaissons que pour beaucoup, la nouvelle réalité de l'ère post Carter soit une inconnue qui va renforcer les inquiétudes sur notre façon de protéger les personnes les plus vulnérables.

[Français]

     Nous voulons faire savoir à ces Canadiennes et Canadiens que nous comprenons leurs inquiétudes et que nous croyons que les mesures de sauvegarde établies dans le cadre de ce projet de loi feront en sorte que les droits des personnes les plus à risque seront protégés.

[Traduction]

    Nous avons également entendu des personnes qui estiment que le projet de loi ne va pas assez loin et qui aimeraient voir l'admissibilité élargie pour certains aspects. Nous tenons à remercier également les Canadiens qui se sont exprimés au nom de ceux qui souffrent.
    L'engagement du gouvernement était de répondre à l'arrêt Carter, ce qui exige de modifier le Code criminel pour protéger les professionnels de la santé qui aident les patients à prendre une décision. Mais nous voulons aussi prendre le temps d'examiner d'autres questions plus complexes qui nécessitent plus de temps et une étude plus approfondie.

[Français]

    À titre d'exemple, le projet de loi établit à 18 ans l'âge minimum d'admissibilité, soit l'âge de la majorité dans la plupart des provinces et territoires. Cette approche nous paraît appropriée, compte tenu du caractère unique et irréversible d'une telle décision. Nous savons que la capacité à prendre des décisions relatives à la santé n'est pas strictement liée à l'âge et que, selon la province, le droit de refuser un traitement médical ou de consentir à celui-ci peut être obtenu dès l'âge de 14 ans, par exemple.

  (1625)  

[Traduction]

    Face à la divergence d'opinions sur cette question entre les Canadiens et les intervenants, comme vous le savez, le comité mixte spécial a demandé une étude plus approfondie et de vastes consultations sur la question des mineurs matures. Notre projet de loi en tient compte, ainsi que de la nécessité de faire preuve de prudence, mais nous reconnaissons les situations difficiles auxquelles les mineurs matures et leurs familles sont confrontés en fin de vie et nous nous engageons à prendre le temps nécessaire pour étudier cette question dans les mois à venir.
    Nous avons connu des difficultés similaires en étudiant la question des directives préalables. La Cour suprême ne l'a pas traitée dans l'affaire Carter et les points de vue des Canadiens et des intervenants, comme vous le savez, sont divisés. Je comprends les Canadiens qui craignent qu'après avoir reçu un diagnostic de maladie comme la démence, ils pourraient connaître un déclin susceptible de compromettre leur dignité. C'est pourquoi certains ont demandé que des gens puissent présenter des demandes d'aide médicale à mourir bien avant de ne plus être capable d'exprimer ou de réaffirmer le désir d'accélérer leur mort.
    J'ai récemment eu l'occasion de rencontrer un groupe appelé Dying With Dignity et de comprendre leur point de vue et la sensibilité avec laquelle ils ont présenté leur cas.

[Français]

    Après 30 ans de pratique de la médecine, je suis bien au fait des inquiétudes des Canadiennes et Canadiens qui souffrent en fin de vie. Je comprends pourquoi certaines personnes pourraient considérer avoir recours à des demandes anticipées afin d'accéder à l'aide médicale à mourir. Toutefois, nous devons prendre en compte les questions complexes liées aux politiques et à la pratique médicale que soulèvent les demandes présentées à l'avance.

[Traduction]

    Par leur nature même, les demandes préalables sont faites avant qu'elles ne soient nécessaires. Même si elles étaient mises à jour régulièrement, elles ne prendraient effet que si la personne perdait sa compétence ou ne pouvait plus communiquer. Cela veut dire que le consentement final, une exigence essentielle dans la plupart des régimes d'aide médicale à mourir dans le monde entier, ne pourrait être vérifié par un fournisseur de soins ni aucune autre personne.

[Français]

    Les groupes d'intervenants en soins de santé ont souligné que les directives préalables concernant d'autres formes de traitement médical pouvaient être très difficiles à respecter et que les répercussions seraient plus considérables dans le cas de l'aide médicale à mourir.

[Traduction]

    À l'approche du 6 juin, il nous reste peu de temps pour mieux comprendre comment les directives préalables fonctionneraient dans la pratique. Pour déterminer comment elles seraient appliquées, il faudrait tenir de vastes consultations auprès des Canadiens, des intervenants, des professionnels médicaux, des organismes de réglementation et des provinces et des territoires. Dans ces conditions, nous proposons d'étudier la question de façon plus approfondie.
    Le projet de loi ne permet pas l'admissibilité uniquement sur la base d'une maladie mentale. On ne peut nier que la maladie mentale peut causer de grandes souffrances, mais des maladies telles que la dépression chronique, les troubles cognitifs et la schizophrénie soulèvent des préoccupations particulières concernant la prise de décision éclairée.
    Ayant consulté de nombreux intervenants sur cette question, nous avons conclu que les nuances ne sont pas encore suffisamment bien comprises pour permettre l'adoption d'une loi sûre et appropriée.
     À cette fin, le gouvernement s'engage à mandater une ou plusieurs études indépendantes sur les demandes de mineurs matures, les demandes préalables ou les demandes invoquant la maladie mentale comme seule pathologie sous-jacente.
     Le projet de loi C-14 comprend également une clause qui oblige le Parlement à examiner la loi cinq ans après la sanction royale. Cela permettra un examen parlementaire des questions complexes tout en tenant compte de l'expérience des Canadiens dans l'application de l'aide médicale à mourir.
    Enfin, on ne peut pas discuter de ce projet de loi sans réaffirmer l'importance d'améliorer l'accès à des soins palliatifs de haute qualité pour tous les Canadiens. Notre gouvernement est résolument engagé à investir dans ce domaine et je me réjouis de travailler avec les provinces et les territoires pour assurer un accès équitable à toutes les options pour les soins à la fin de la vie.

[Français]

     En conclusion, nous croyons que ce projet de loi valorise l'autonomie individuelle des Canadiennes et Canadiens, conformément au jugement de la Cour suprême dans l'affaire Carter, tout en assurant la protection des Canadiennes et Canadiens vulnérables ainsi que les droits à la liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé.

[Traduction]

    Je tiens à remercier chacun d'entre vous et d'autres qui ont participé de manière attentive et respectueuse à cette question difficile. Je sais que ce comité va entendre divers points de vue et opinions dans les jours et semaines à venir.
    Je vous remercie de votre considération et j'ai hâte d'entendre vos commentaires.

  (1630)  

[Français]

    Je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame la ministre. Nous apprécions beaucoup que vous ayez toutes deux accepté de venir ici aujourd'hui et d'être nos premiers témoins. Comme vous l'avez dit, nous allons entendre une bonne quarantaine de témoins cette semaine. Nous comprenons aussi l'importance d'agir rapidement et nous nous efforçons d'y arriver en rajoutant des heures.
    Nous allons maintenant passer aux questions. Il y aura 50 minutes pour les questions et pour la première série, les conservateurs, les libéraux et le NPD auront chacun six minutes et ensuite les libéraux auront de nouveau six minutes.
    Je vais céder la parole à M. Cooper, qui sera le premier à poser des questions.
    Merci, mesdames les ministres, des exposés que vous avez présentés cet après-midi. Je sais que tous les membres du Comité apprécient votre présence.
    À mon avis, la loi contient quelques très bonnes dispositions, mais certains de ses aspects me préoccupent.
    L'un des domaines qui me préoccupe est celui des garanties pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale sous-jacents. Selon le libellé actuel du projet de loi, deux infirmiers praticiens ou deux médecins pourraient déterminer si un patient satisfait oui ou non aux critères à remplir pour avoir accès à l'aide médicale à mourir.
    Au comité mixte spécial, on nous a fait part de la question des médecins qui pourraient diagnostiquer les problèmes de santé mentale sous-jacents. Pour passer à l'étape suivante qui consiste à déterminer si les personnes ayant des problèmes de santé mentale sous-jacents ont la capacité voulue pour exprimer leur consentement, il y avait lieu de croire que quelqu'un de plus spécialisé, tel un psychiatre, devait participer.
    Je me demande pourquoi une garantie de ce genre n'a pas été prévue dans la loi et ce que vous en pensez.
    Merci de cette question. Elle est importante.
    Le projet de loi précise de manière explicite que la personne doit être un adulte capable de donner son consentement et qui plus est, son consentement éclairé. Vous avez raison de dire que dans certains cas, comme dans le cas de la maladie mentale, la maladie peut être telle qu'elle compromet la capacité de la personne. La décision se fondera alors sur le jugement des professionnels qui se consacrent à déterminer la capacité.
    Comme vous l'avez dit, lorsque la capacité n'est pas évidente, il faut parfois faire appel à différents spécialistes et les consulter au cas par cas. Certes, on supposerait dans ce cas que le professionnel de la santé déterminerait que la personne est capable. Rien ne les arrêterait en cas de doute. Rien dans la loi n'empêcherait quelqu'un de confirmer en suivant une étape supplémentaire la capacité d'une personne.
    Comme la ministre l'a fait valoir dans ses remarques, quand il s'agit d'une personne atteinte seulement d'une maladie mentale, une étude plus approfondie s'avère nécessaire, et c'est ce que nous proposons dans la loi, en tenant compte de ces considérations.
    La loi n'empêche pas une personne ayant un problème de santé mentale sous-jacent d'avoir accès à l'aide médicale à mourir si elle a une maladie physique et je pense que c'est absolument normal. Mais pourquoi ne pas inclure une garantie selon laquelle un médecin doit diriger un patient vers un psychiatre s'il estime qu'il a un problème de santé mentale sous-jacent? Le psychiatre l'évaluerait et remettrait un rapport confirmant que la personne n'est pas capable de donner son consentement.
    Ce serait une garantie assez simple, mais très utile pour protéger les personnes vulnérables.
    Je vais répondre et la ministre Philpott voudra peut-être ajouter quelque chose.
    Concernant les éléments de l'admissibilité, comme vous l'avez dit à juste titre, une personne peut souffrir d'une maladie mentale, mais on doit tenir compte des éléments en fonction de la totalité des symptômes et de la souffrance du patient.
    Quant au consentement, la personne doit donner son consentement explicite à un médecin pour pouvoir accéder à l'aide médicale à mourir. S'il y avait des questions au sujet de la capacité de la personne à donner son consentement, une fois de plus, nous laisserions la décision à la compétence des médecins.
    Je vais passer à un autre sujet de préoccupation, soit la nécessité d'équilibrer d'une part les droits garantis aux patients par la Charte, mais aussi ceux garantis aux médecins et aux autres professionnels de la santé. La nécessité de cet équilibre a été expressément reconnue par la Cour suprême dans le paragraphe 132 de l'arrêt Carter.
    Je crains ici que le projet de loi ne contienne pas de garanties concernant le droit de conscience. Cet aspect a été laissé aux provinces, aux collèges et aux organismes de réglementation professionnelle. Pourriez-vous expliquer pourquoi vous avez choisi de laisser aux provinces une chose aussi importante que la protection des libertés fondamentales énoncées à l'article 2 de la Charte des droits.

  (1635)  

    Je sais que la question du droit de conscience des médecins a été soulevée dans de nombreux cercles et certainement au sein du comité mixte spécial.
    Il n'y a rien dans notre projet de loi qui pourrait obliger un médecin à pratiquer l'aide médicale à mourir. Comme vous le soulignez, la compétence réglementaire revient aux provinces et aux territoires. Cela dit, je sais que ma collègue, la ministre Philpott, continuera à travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires pour les aider dans la mesure du possible à garantir l'existence d'un cadre réglementaire global.
    Je voudrais simplement souligner — ce n'est pas dans le projet de loi, mais vous nous avez probablement entendu parler de la question du droit de conscience — qu'en reconnaissant le fait que nous sommes résolus à faire respecter les droits de conscience des fournisseurs de soins de santé tout en veillant à ce que les Canadiens aient accès à des options pour les soins, nous l'avons clairement fait savoir aux provinces et aux territoires, et nous travaillons déjà avec eux à l'élaboration d'un système de coordination des soins de fin de vie selon lequel un mécanisme serait établi pour les cas où une personne aurait affaire à un fournisseur de soins qui, pour des motifs de conscience, ne souhaitait pas participer. L'idée a été accueillie avec beaucoup d'enthousiasme par les associations médicales et par les provinces et les territoires. Je vous donnerai plus de détails au fur et à mesure.
    Nous passons à M. Hussen.
    Madame la ministre Wilson-Raybould, en vertu du paragraphe 241(5) du Code criminel, toute personne qui en aide une autre à s'auto-administrer une substance prescrite dans le cadre de l'aide médicale à mourir ne sera pas tenue responsable.
    À votre avis, le fait d’autoriser le personnel non médical à aider une personne à mourir augmente-t-il le risque qu’une personne vulnérable soit contrainte à mettre fin à ses jours?
    En ce qui concerne les garanties globales comprises dans le projet de loi, ce serait aux médecins de déterminer la conformité aux critères d'admissibilité et aux garanties. Il existe des exemptions spécifiques pour les pharmaciens, par exemple, ou les personnes qui aident à l'auto-administration de toute forme de médicaments, mais les exigences et le respect rigoureux des garanties seraient déterminés par un médecin.
     À votre avis, le projet de loi C-14 établit-il un équilibre adéquat entre les principes de l'autonomie et la protection des personnes vulnérables? Veuillez préciser pourquoi ou pourquoi pas et décrire les améliorations qui pourraient être apportées au projet de loi à cet égard.
    Nous sommes convaincus que ce projet de loi établit un juste équilibre et présente la meilleure solution au Canada pour reconnaître l'autonomie individuelle et protéger les personnes vulnérables.
    La Cour suprême a dit deux choses. La première était que l'interdiction absolue de l'aide médicale à mourir est inconstitutionnelle. La seconde était de demander au Parlement de trouver une solution pour fournir l'aide médicale à mourir.
    Je dois dire, et je pense que vous êtes tous d'accord, qu'il s'agit d'une question extrêmement complexe et difficile. Nous avons pris soin d'adhérer à la décision de la Cour suprême dans l'affaire Carter, tout en veillant à équilibrer les droits des personnes qui pourraient être plus vulnérables.
    Nous croyons avoir présenté la meilleure solution pour le pays en ce moment. Il s'agit d'un véritable changement de paradigme en ce qui concerne la mort. C'est un débat nécessaire qui ne va pas prendre fin avec l'éventuelle adoption de cette loi, mais qui se poursuivra.

  (1640)  

    Je voudrais ajouter quelque chose car je crois qu'il serait utile de comprendre comment nous en sommes arrivés à la décision que vous voyez devant vous dans le projet de loi C-14.
    La demande d'autonomie personnelle a été clairement entendue. Les gens impliqués dans l'affaire Carter en ont parlé, et nous sommes évidemment très sensibles à leurs désirs et à ceux d'autres personnes comme eux qui tiennent à avoir cette autonomie personnelle.
    Ce qui a été particulièrement difficile pour la ministre Wilson-Raybould et moi-même a été de savoir comment garantir cette autonomie personnelle tout en sentant le poids des décisions de vie et de mort sur nos épaules concernant la protection non seulement des personnes, mais de l'ensemble de la société. Je pense que c'est ce que le projet de loi reflète.
    Nous voulons absolument que les gens puissent, autant que possible, écrire en quelque sorte leur propre histoire et le dernier chapitre de leur vie, mais nous avons ressenti le poids réel de savoir qu'il s'agit de la fin de vie des gens. Nous devons nous assurer d'avoir les bonnes mesures de sauvegarde pour que personne n'arrive à la fin de sa vie sans protection adéquate. Le gouvernement et les parlementaires ont la responsabilité de faire respecter cette responsabilité solennelle.
    Si nous avions plus de temps, j'aimerais vous en dire un peu plus à ce sujet. Nous avons entrepris cette démarche avec un sens profond de l'obligation de protéger non seulement les personnes et leurs droits, mais aussi la société dans son ensemble, tout en étant conscients des difficultés.
    Il vous reste à peu près 40 secondes. Avez-vous une brève question à poser?
     Rapidement alors, selon le cadre établi par le projet de loi C-14, un service de santé provincial pourrait choisir de ne pas offrir l'aide médicale à mourir. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Pour une province?
    Oui, un service de santé provincial pourrait décider de ne pas offrir l'aide médicale à mourir.
    Comme vous le savez, la prestation des soins de santé relève des provinces et des territoires. En déposant ce projet de loi, nous avons dit clairement que pour le gouvernement fédéral, l'aide médicale à mourir doit être considérée comme un service médicalement nécessaire. Comme tout autre service médicalement nécessaire, nous nous attendons à ce que les provinces agissent dans le cadre de la Loi canadienne sur la santé et s'assurent que tous les Canadiens ont accès à ces options particulières. Nous allons travailler avec les provinces et les territoires pour être sûrs que les Canadiens aient l'accès dont ils ont besoin.
    Monsieur Rankin.
    Je voudrais commencer par reconnaître le leadership des deux ministres dans ce domaine tellement délicat.
    Je veux parler d'un problème particulier, celui des personnes qui ont un grave handicap physique, mais qui sont par ailleurs en bonne santé et ne pourront pas se prévaloir de l'aide médicale à mourir. Je pourrais peut-être vous donner un exemple concret. Il s'agit d'une cause dont a été saisie la juge Smith de la Cour Suprême de la Colombie-Britannique. C'est l'histoire tragique d'un homme nommé Tony Nicklinson, qui a subi dans la fleur de l'âge un accident vasculaire cérébral massif qui lui a laissé ce qu'on appelle le « syndrome de l'enfermement ». Les seuls muscles de son corps qu'il pouvait bouger étaient ses paupières, et il a réussi à taper son affidavit en faisant clignoter ses yeux. Il était par ailleurs en bonne santé et pouvait vivre encore longtemps. Autrement dit, il ne correspondait pas à la personne qui, en vertu de la loi telle qu'elle est rédigée, pourrait dire que sa mort naturelle était devenue raisonnablement prévisible. Malheureusement, M. Nicklinson s'est laissé mourir de faim parce qu'il était dans l'impossibilité de recourir à l'aide médicale à mourir.
    Seriez-vous disposés à modifier le projet de loi pour permettre à des gens comme M. Nicklinson de se prévaloir de ce service? Ce que je dis c'est que la Cour suprême du Canada n'a pas exigé qu'il y ait une maladie en phase terminale comme condition pour obtenir ce service. Ce projet de loi, tel qu'il est rédigé, ne permettrait pas aux personnes physiquement handicapées, mais en bonne santé, d'y avoir recours. Si vous acceptez cela et si vous convenez que la situation de gens comme M. Nicklinson est vraiment très inquiétante, seriez-vous prêts à modifier le projet de loi pour résoudre cette question?

  (1645)  

    Je vais commencer à répondre à votre question. Tout d'abord, nous savons évidemment qu'il y a des gens qui souffrent de nombreuses façons. Après avoir entendu de nombreux intervenants, étudié les divers rapports et bénéficié des travaux du comité mixte spécial, notre gouvernement a présenté la meilleure option possible. Nous attendons avec impatience le débat de fond et la discussion qui vont avoir lieu au comité.
    En établissant des critères d'admissibilité et en définissant plus précisément, ce que la Cour suprême du Canada n'a pas fait, les qualificatifs « grave et irrémédiable », nous avons voulu mettre des éléments qui leur donnent une signification. Il faudrait prendre en compte ces éléments du projet de loi dans le cadre de l'état de santé global d'une personne donnée. Le but ou l'objet de notre loi consiste à établir un équilibre entre l'autonomie personnelle et la protection des personnes vulnérables. Voilà pourquoi nous avons établi ces critères.
    Convenez-vous que l'ajout de l'expression « mort naturelle raisonnablement prévisible », qui ne se trouve nulle part dans la décision Carter, va vraiment à l'encontre de ce que la Cour suprême aurait permis de faire à des gens comme M. Nicklinson? Reconnaissez-vous que cela est incompatible avec la décision de la Cour suprême, qui n'exigeait pas qu'il s'agisse d'une phase terminale, ou croyez-vous que telle était en fait l'intention de la Cour suprême?
    Pour ce qui est du projet de loi, nous répondons à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, et je tiens à remercier Gloria Taylor et Kay Carter pour avoir amené ce débat devant nous. Ces deux femmes étaient à la fin de leur vie ou souffraient de maladies graves et irrémédiables. Avec ce projet de loi, nous avons répondu à ces situations particulières et nous avons eu l'avantage de parler avec des intervenants canadiens, des médecins et d'autres pour trouver le juste équilibre entre l'autonomie personnelle et la protection des personnes vulnérables.
    Comme nous avons si peu de temps, permettez-moi de poser une question sur un autre sujet.
    Il y a dans le Globe and Mail d'aujourd'hui un article du professeur de médecine de l'UBC, Dr Jesse Pewarchuk, qui parle de la question que je voulais aussi soulever, celle des demandes préalables, ou ce que l'on appelle les directives préalables qui, comme vous le savez, ont été recommandées par le comité du Sénat et de la Chambre. Dr Pewarchuk écrit à peu près ce qui suit:
Le plus grand défaut du projet de loi C-14 réside dans le fait qu'il force la main de ceux qui ont une maladie progressive qui mène de manière prévisible et inévitable à la perte de la capacité mentale à donner son consentement. Les patients atteints d'Alzheimer peuvent s'attendre avec certitude à perdre éventuellement leur capacité de prendre des décisions médicales.
    Il affirme que le libellé de la proposition de loi introduit le doute quant à savoir si un malade d'Alzheimer qui n'a pas encore perdu ses capacités (mais le fera avec certitude) serait même admissible, puisque la mort peut prendre des années. Il dit que « mort prévisible » et « déclin avancé et irréversible des capacités », qui sont les termes définis dans le projet de loi, sont des expressions verbeuses et ambiguës qui semblent éliminer les droits garantis par la Charte aux patients atteints de démence pour qu'ils soient admissibles.
    Envisageriez-vous les directives préalables pour régler ce problème?

  (1650)  

    Comme vous le savez, la question des directives préalables est l'une des plus controversées dans le cadre de ce projet de loi. Nous avons également constaté l'absence d'un large consensus international parmi les pays où les directives préalables ont été mises en place; il reste encore des difficultés à ce sujet. Nous voulions prendre une décision fondée sur des preuves solides qu'une protection adéquate pourrait être établie. Comme je l'ai indiqué dans mes commentaires, je sais que les gens sont inquiets à ce sujet et pourquoi c'est souhaitable.
    Même pour les directives préalables autres que celles associées à l'aide médicale à mourir, les médecins et les familles nous parlent des véritables difficultés à mettre en oeuvre ces directives dans le cas d'une personne qui a atteint le point où elle n'a plus la capacité de réaffirmer ses désirs à ce moment-là. Je veux simplement dire que c'est difficile.
    Je pense que sur la question de la démence, par exemple, l'un des véritables problèmes —- et vous m'en avez entendu parler à plusieurs reprises —, c'est que les gens craignent la perte de dignité. Ils craignent d'en arriver à un point où ils seront un fardeau pour leur famille ou où ils ne pourront plus prendre soin d'eux-mêmes. Pour moi, en plus du fait que nous allons continuer d'étudier cette question et que nous nous y engageons fermement, nous devons mieux prendre soin des personnes atteintes de démence, par exemple . Nous devons nous assurer que tous les Canadiens peuvent vivre une vie digne et qu'ils sont pris en charge dans un endroit où les gens les respectent.
    Je pense que ce sont des choses qui vont se produire en plus d'une étude approfondie de la question.
    Vous permettez que je pose une autre question rapide, monsieur le président?
    Oui, mais rapidement.
    Selon la Recommandation 12 du comité mixte spécial, l'aide médicale à mourir devrait être fournie par deux médecins. Elle envisage de laisser jouer un rôle aux infirmiers praticiens, mais mon interprétation est que deux infirmiers praticiens indépendants pourraient effectuer toutes les étapes.
    Autrement dit, si je ne m'abuse et si ce projet de loi est adopté, le Canada serait le premier pays où l'aide médicale à mourir pourrait se produire sans l'intervention d'un médecin à une étape quelconque. Si cette interprétation est exacte, est-ce là l'intention de ce projet de loi?
    Comme vous le savez, les règlements qui régissent les fournisseurs de soins de santé sont établis par des organismes de réglementation provinciaux et territoriaux. En un certain sens, nous empiétons sur le champ de compétence des provinces et des territoires.
     Une des raisons pour lesquelles nous avons indiqué très clairement dans ce projet de loi que nous confierions cette procédure au personnel infirmier autorisé — pour autant que leur province détermine qu'il convient d'ajouter cet acte à leur champ d'activité —, est la question de l'accès. En effet, dans bien des régions de notre pays il est impossible de trouver un médecin.
    Nous collaborerons à nouveau avec les provinces et les territoires, qui devront décider si cette procédure s'insère vraiment dans le champ d'activité de leurs médecins et de leurs infirmiers praticiens, mais c'est tout à fait possible. De nombreux actes semblables ont déjà été délégués en toute sécurité au personnel infirmier autorisé. Les médecins reconnaissent que, si l'on forme adéquatement le personnel infirmier autorisé à cet acte, il s'insérera bien dans son champ d'activité.
    J'aimerais demander rapidement une précision sur l'une des questions de M. Rankin.
    Madame la ministre Wilson-Raybould, M. Rankin vous a demandé si la disposition voulant que la mort soit raisonnablement prévisible correspond aux exigences de l'arrêt Carter. En entendant d'autres interventions que vous avez faites ainsi que le discours que vous avez prononcé la semaine dernière à la Chambre, vous semblez être d'avis que c'est le cas. Pourriez-vous nous donner quelques éclaircissements?
    Bien sûr. Je me ferai un plaisir de parler plus en détail de la prévisibilité raisonnable.
    Nous cherchions à mieux définir ce que les mots graves et irrémédiables veulent dire. Quand on parle de la prévisibilité raisonnable, il faut interpréter le terme à la lumière des autres éléments que contient cette définition. Le cheminement du patient doit aboutir à sa mort. Nous avons choisi ce libellé pour attribuer au projet de loi une certaine souplesse qui permettrait à l'ensemble du personnel soignant de déterminer, au cas par cas et en fonction de la profondeur des liens qu'ils ont avec chaque patient selon leur expertise médicale et leur connaissance des circonstances dans lesquelles se trouve le patient, si sa mort est raisonnablement prévisible.
    Nous avons délibérément évité de fixer un délai à la prévisibilité raisonnable comme l'ont fait d'autres administrations que j'ai mentionnées. Nous confions cette détermination aux professionnels de la médecine, qui s'en acquitteront en tenant compte des circonstances personnelles des patients, comme je vous l'ai expliqué.

  (1655)  

    Monsieur Bittle.
    Madame la ministre Wilson-Raybould, je tiens à vous féliciter, vous et votre ministère, d'avoir publié le contexte législatif du projet de loi C-14. Je vous remercie de votre ouverture et de votre transparence. Nous savons tous que ce projet de loi a déclenché un débat animé dans tout le Canada et qu'il alimentera une discussion intense autour de cette table.
    Pourriez-vous souligner, pour le comité, l'importance de cet examen et aborder certaines des préoccupations qu'il soulèvera?
    Vous parlez du document explicatif que nous avons publié?
    Oui.
    Comme ma collègue la ministre Philpott l'a dit, elle et moi avons sérieusement parlé de l'importance de consulter les intervenants. Nous avons tenu compte de tous les rapports qui avaient été publiés et avons examiné les pratiques d'autres administrations.
    En ma qualité de ministre de la Justice, je trouvais qu'il était important de faire preuve d'ouverture et de transparence, comme vous le dites. Il fallait que nous présentions toutes les opinions que nous avions examinées pour rédiger le projet de loi proposé. Nous avons également examiné les considérations de la Charte. Nous sommes convaincues que les Canadiens sont en mesure de participer à ces discussions fondamentales pour résoudre un problème si complexe et personnel. Il est crucial de leur fournir autant d'information que possible pour éclairer ce débat et pour qu'ils comprennent que nous avons examiné cette information en profondeur pour rédiger ce projet de loi tout en nous efforçant de maintenir l'équilibre avec nos responsabilités de parlementaires en répondant à la décision de la Cour suprême.
    Je vais poser ma prochaine question à nos deux ministres. Pourriez-vous nous donner quelques éclaircissements au sujet de l'article du projet de loi sur les mesures de sauvegarde et sur la période d'attente de 15 jours? Le projet de loi indique une période de « quinze jours francs » qui pourrait en fait s'étendre à 16 ou 17 jours, suivant l'angle juridique retenu pour examiner la question.
    Je m'inquiète de ce qu'en forçant une personne souffrante à attendre 15 jours, 16 jours, 17 jours, en situation ordinaire, on applique une règle arbitraire qui enfreint l'article 7 et qu'on pourrait même considérer comme étant cruelle et inusitée.
    Pourriez-vous nous expliquer l'importance de cet article et l'interprétation que vous en faites?
    Bien sûr. Je vais vous répondre brièvement, puis je passerai la parole à la ministre Philpott.
    Nous avons fixé cette période de réflexion de 15 jours pour que le patient qui désire demander de l'aide médicale à mourir réfléchisse à sa décision pendant cette période. Nous avons cependant ajouté dans le projet de loi que le personnel soignant peut, selon les circonstances, abréger cette période en fonction de l'état de santé du patient.
    Tout ce que j'ajouterais à cela, c'est qu'aucune autre mesure législative au monde ne traite de la question de l'aide médicale à mourir sans imposer une période d'attente. Je crois qu'il s'agit dans la plupart des cas d'une période de 15 jours.
    Comme l'a dit la ministre Wilson-Raybould, le projet de loi souligne très clairement que si le personnel soignant pense que, pour une raison ou une autre, la personne est sur le point de perdre sa capacité ou que sa mort est imminente, il lui est possible de raccourcir cette période.
    Pensez-vous qu'en incluant dans cette mesure législative un examen obligatoire tous les cinq ans, ce projet de loi deviendra une première étape et que les amendements qu'on y apportera élimineront petit à petit les préoccupations des Canadiens?
    Comme je l'ai dit plus tôt, le paradigme a complètement changé. Il transforme les discussions des Canadiens sur la mort et sur l'aide médicale à mourir. Cette disposition sur l'examen quinquennal ainsi que le préambule du projet de loi soulignent que nous allons étudier d'autres problèmes liés à l'aide médicale à mourir. Cette conversation va se poursuivre. Les Canadiens ne nous permettront pas de ne pas la poursuivre. Ils voudront que nous examinions la question des directives préalables ainsi que celle des mineurs matures et de la santé mentale.

  (1700)  

    J'ajouterai simplement que nous ne voulons pas donner l'impression que nous présupposons les décisions de ces comités. En nous engageant à poursuivre ces questions avec un ou plusieurs comités, nous n'indiquons aucunement que nous présupposons les conclusions de ces comités. Si nous pensions déjà connaître les conclusions des comités, nous aurions fait les choses différemment. Ces questions demeurent ouvertes.
    J'ajouterai aussi que j'ai hâte, comme vous je crois, que nous nous engagions à établir un plan de suivi des données et de la surveillance dans tout le Canada. J'y travaillerai dès le début avec mon ministère. Je crois que nous en retirerons des renseignements extrêmement intéressants. Je serais heureuse de savoir ce que vous voulez que nous y incluions. Je veux que ce processus soit solide et qu'il fournisse assez d'information pour indiquer, par exemple, combien de personnes de 17 ans ont fait des demandes auxquelles nous n'avons pas pu accéder et combien de personnes voudraient que nous modifiions le processus. À mon avis, ces renseignements éclaireront beaucoup le processus d'examen.

[Français]

     Merci.
    Nous allons maintenant entamer le deuxième tour, en commençant par M. Fraser.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie également les ministres Wilson-Raybould et Philpott d'être venues nous rencontrer aujourd'hui et de nous avoir livré leur présentation.

[Traduction]

    Je tiens aussi à vous remercier chaleureusement de nous avoir présenté les résultats de vos profondes réflexions et d'avoir travaillé si fort sur cet enjeu délicat. Nous voulons faire de notre mieux pour présenter une loi à laquelle les Canadiens pourront faire confiance et qui nous permettra de mettre en oeuvre la décision importante de la Cour suprême du Canada. Je vous remercie de votre mûre réflexion et de votre aide à cet égard.
    Je voudrais d'abord vous poser une question au sujet de l'article 7 de la Charte des droits et libertés. Un argument, que nous avons entendu dans l'arrêt Carter, veut que certaines personnes seraient obligées soit de mettre fin à leur vie en se suicidant, soit de continuer à souffrir jusqu'à leur mort naturelle lorsqu'elles perdent la capacité de le faire elles-mêmes ou de consentir à l'aide médicale à mourir.
    Pensez-vous qu'en ne mentionnant pas les directives préalables dans ce projet de loi, on élimine le problème que pose ainsi l'article 7?
    Comme nous l'avons dit plus tôt, nous nous sommes efforcées d'expliquer ce que nous avons inclus ou pas dans ce projet de loi et nous avons examiné les considérations de la Charte sur la prévisibilité raisonnable, sur les directives préalables et sur d'autres enjeux.
    Nous allons continuer à étudier ces enjeux. Je suis convaincue que ce projet de loi présente une réponse directe aux circonstances sur lesquelles porte l'arrêt Carter. Ce projet de loi vise à garantir un passage paisible de la vie à la mort. Il faut évidemment tenir compte d'autres considérations et d'autres points de vue. Pour ces raisons et pour celles que la ministre Philpott a décrites, nous nous devons d'étudier plus à fond la question des directives préalables. Il faut que nous comprenions les risques et les avantages qui en découleront en fonction de la capacité des patients de donner un consentement éclairé.
    Le projet de loi que nous proposons traite de la fin de vie ainsi que des moyens et des mécanismes qui permettront aux patients de mourir paisiblement.
     En ce qui concerne la décision de la Cour suprême, à mon avis il est très dommage de ne laisser que deux choix aux patients, l'un étant de continuer à souffrir et l'autre de demander de l'aide pour mourir. En fait, après avoir reconnu que la vie est pavée de souffrances, je crois que nous devons aussi offrir des dispositions qui visent à alléger les souffrances sans offrir de l'aide à mourir.
    Vous êtes probablement fatigués de me l'entendre dire, mais nous ne devrions pas appliquer l'expression soins palliatifs uniquement à la fin de vie, mais à des circonstances plus générales. Il faut que nous trouvions de meilleurs moyens d'éviter que les patients se trouvent devant deux choix seulement, soit de mettre fin à leur vie, soit de continuer à exister dans la souffrance. Je suis convaincue que nous pouvons améliorer nos façons de traiter ces patients.

  (1705)  

     Pour en revenir à l'expression « mort raisonnablement prévisible » qui se trouve dans le projet de loi, elle s'applique peut-être à une personne qui n'est pas atteinte d'une maladie, mais dont la mort est raisonnablement prévisible lorsqu'on considère le parcours de sa vie. Pourriez-vous m'aider à comprendre de quelle façon les médecins et le personnel infirmier détermineront l'admissibilité d'un patient selon les termes de ce projet de loi? Ne craignez-vous pas que, s'ils recevaient les conseils d'un avocat sur le projet de loi tel qu'il se présente aujourd'hui, l'avocat hésiterait à leur dire que tout est bien et qu'ils ne courent aucun risque? Je m'inquiète de voir l'accès restreint par le fait que les médecins et le personnel infirmier ne seront pas sûrs de l'application de la loi si l'on ne précise pas la définition de « mort raisonnablement prévisible ». Pourriez-vous répondre à cela, s'il vous plaît?
    Je sais que vous pourrez poser cette question à d'autres témoins aussi.
    Je peux vous répondre en fonction de ce que m'ont dit les équipes soignantes auxquelles j'ai parlé, et cela comprend des associations médicales qui représentent d'importants groupes de médecins. Ces professionnels de la santé ont positivement accueilli cette notion de prévisibilité raisonnable. La plupart des médecins et du personnel infirmier sont à l'aise face à cette notion.
     Nous avions trois possibilités. Nous aurions pu éviter de mentionner l'approche de la mort. Nous aurions pu préciser une période de 6 à 12 mois. Mais la notion de prévisibilité respecte le jugement professionnel des fournisseurs de soins. Je regarde les notes que j'ai préparées pour m'adresser aux représentants de l'Association médicale canadienne, qui ont reconnu, entre autres choses, le fait que nous ne pouvons pas parer à toutes les éventualités. En rédigeant une loi, il est très difficile de tenir compte de tous les cas individuels qui risquent de se présenter. Comme le disait la ministre Wilson-Raybould, ce libellé nous permettait de définir la gravité d'un état de santé afin de ne pas y inclure, par exemple, un trouble bénin ou épisodique, mais un état de santé qui mène le patient directement à la mort.
    Comme je vous le disais, nous avons reçu des réactions très positives à cela. Aucune association médicale ne m'a demandé de retirer cela pour une raison quelconque. Les gens trouvaient ce libellé très respectueux.
    Au paragraphe 127 de la décision Carter c. Canada, la Cour demande expressément qu'on ne force pas les patients à subir des traitements qu'ils considèrent comme étant inacceptables. Dans le projet de loi, la définition d'un état de santé irrémédiable contient le mot « incurable », mais le projet de loi n'indique pas que les patients ne sont pas obligés de subir un traitement qu'ils trouvent inacceptable. Je me demande pourquoi cela ne se trouve pas dans le projet de loi et si vous avez songé à l'y inclure.
    Nous y avons songé, et le mot « incurable » a les mêmes connotations que le mot « irrémédiable ». Dans ce même article proposé, le paragraphe c) mentionne « des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables ». Je crois que cela répond à la question que vous avez soulevée; ça se trouve dans ce paragraphe.
    Monsieur Falk.
     Je tiens à remercier les ministres Raybould et Philpott d'être venues parler au comité et d'avoir travaillé si fort sur ce dossier jusqu'à présent.
    Toute cette question de l'aide médicale au suicide ne concerne pas seulement le domaine médical; c'est aussi une question éthique et morale. Évidemment, si l'on ne tient pas compte de l'éthique et de la moralité, il est bien plus facile de traiter cette question, mais en réalité nous ne pouvons agir ainsi. Nous ne pouvons pas écarter l'éthique et la moralité de cette question.
    Certaines valeurs morales s'évaporent dans notre pays depuis quelque temps. On a éliminé la valeur de la vie de la conception à la naissance, et maintenant nous assistons à un effacement de la valeur de la vie des patients malades et en fin de vie ainsi que de celle des personnes âgées.
    Je nous vois glisser sur une pente dangereuse et, à mon avis, il faut que nous reconnaissions ce fait. Selon moi, certaines sections de votre projet de loi tendent à cela, et je crois que nous pourrions renforcer ce projet de loi.
    Une chose m'a sauté aux yeux, et je sais que la Cour suprême a utilisé ce terme dans sa décision. C'est le mot « grave ». Avez-vous songé à remplacer ce terme par « terminal »? Ma question s'adresse à l'une ou l'autre des ministres.
    Madame la ministre Raybould.

  (1710)  

    Merci d'avoir posé cette question, et merci beaucoup d'avoir souligné les aspects éthiques et moraux de cet enjeu. Nous savons que toutes les personnes auxquelles nous avons parlé ont leurs propres points de vue et qu'elles s'attachent à des croyances et à des valeurs qui leur sont propres. Bien sûr, comme vous le savez, nous nous sommes efforcées de répondre à la décision de la Cour suprême du Canada. On ne nous demandait pas de déterminer si nous allions accorder le droit d'obtenir de l'aide à mourir dans notre pays, mais comment nous y prendre pour le faire.
    Nous avons réfléchi longuement aux critères d'admissibilité, reconnaissant que les patients demandent l'aide médicale à mourir dans des circonstances très diverses. Nous avons visé, en rédigeant ce projet de loi, à assurer un passage paisible de la vie à la mort. Nous respectons ainsi l'arrêt Carter, et c'est ce que prévoit ce projet de loi. Neuf gouvernements dans le monde ont instauré l'aide médicale à mourir. Six d'entre eux, dont celui du Québec et notre gouvernement fédéral, ont établi un cadre législatif sur les soins de fin de vie.
    Et nous vous en remercions.
    À l'article 241.21 que vous proposez, vous décrivez les conditions à respecter, et pourtant le paragraphe 241.2(2) contient quatre alinéas, a) à d), qui définissent un état de santé grave et irrémédiable. Vous ne précisez pas si le patient doit remplir tous ces critères ou un seul d'entre eux. Pourriez-vous nous expliquer cela?
    Merci d'avoir posé cette question; je suis heureuse de pouvoir vous donner cet éclaircissement. Il faut considérer ces quatre éléments ensemble; c'est pourquoi nous les avons reliés par un and à la fin du troisième élément de la version anglaise.
    Alors ne devriez-vous pas également ajouter « et » à la fin des alinéas a) et b)?
    C'est la façon de rédiger ce genre de choses; c'est une série, et le and indique cela.
    D'accord. À mon avis c'est important, mais je vous remercie d'avoir éclairci ce point.
    Je vous remercie.
    Madame la ministre Philpott, vous avez dit que ce projet de loi protège les professionnels de la santé. Je suppose que vous parlez du point de vue de la responsabilité, mais pourriez-vous aussi protéger leur droit à la liberté de conscience? Pourquoi ne l'avez-vous pas inclus dès le départ? Pourquoi la responsabilité est-elle si importante? En fait, je voudrais savoir pourquoi vous n'avez pas inclus le droit à la liberté de conscience et où il serait possible de l'insérer.
    Comme vous le savez, ce projet de loi est un amendement au Code criminel. Il ne décrit pas l'exercice de la profession médicale, par exemple. Ce n'est pas un projet de loi sur la santé. C'est un amendement au Code criminel, et c'est pourquoi il ne convenait pas de préciser cela. Nous avons établi très clairement dans ce projet de loi que rien ne force le personnel soignant à prendre part à l'aide médicale à mourir. La surveillance même des médecins et des infirmiers praticiens relève des provinces et des territoires. Nous leur avons fait savoir que nous nous attendions à ce qu'ils protègent le droit à la liberté de conscience des fournisseurs de soins.
    Je ne sais pas si vous désirez plus de détails sur les raisons pour lesquelles nous n'avons pas inclus ce droit.
     Vous avez dit dans votre intervention qu'on ne pourrait jamais fonder cette décision uniquement sur la souffrance mentale, mais l'alinéa 241.2(2)c) indique que les « souffrances psychologiques » constituent aussi un facteur déterminant dans la prise de décisions.
    Donc la décision ne repose pas uniquement sur la souffrance physique, mais aussi sur la souffrance psychologique.
    Je crois que nous en revenons à ce que nous disions tout à l'heure sur l'importance de tenir compte des quatre éléments et du fait que la mort doit être raisonnablement prévisible.
    Si la personne est atteinte d'un trouble médical mais qu'on ne s'attend pas à ce qu'elle meure bientôt... Comme nous l'avons dit tout à l'heure, une personne peut avoir un trouble médical et en même temps souffrir du cancer, par exemple. Si l'on s'attend à ce que cette personne meure dans une période raisonnablement prévisible de son cancer et qu'elle souffre également de dépression, elle ne serait pas exclue. Mais un trouble psychologique à lui seul qui ne serait pas fatal ne rendrait pas la personne admissible.

  (1715)  

    Monsieur Falk, vous avez assez de temps pour une autre brève question.
    Dans la section du projet de loi sur l'indépendance, on parle des médecins et des infirmiers praticiens qui ne savent pas ou qui croient être bénéficiaires. Que se passe-t-il s'ils sont bénéficiaires?
    Cela dépendra des circonstances. Ceux qui ne respecteront pas les mesures de sauvegarde subiront des pénalités. S'ils ne savaient pas qu'il existait un lien, cela pourra leur servir de défense. Mais le projet de loi proposé prévoit des pénalités pour ceux qui ne respectent pas les normes en matière d'indépendance.
    Sauf que le patient est mort, non?
     Je pensais que vous parliez d'une personne qui n'est pas assez autonome pour témoigner, par exemple.
    Oui...
    D'accord. Merci beaucoup.
    Nous passons la parole à Mme Khalid.
    Mesdames les ministres, merci d'être venues nous parler. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    J'ai deux ou trois questions à vous poser. D'abord, si j'ai bien compris, le ministère de la Justice était la partie adverse contre Kay Carter à la Cour suprême. Il me semble aussi que ce même ministère de la Justice a collaboré à la rédaction de ce projet de loi. Avez-vous consulté un avocat indépendant pour garantir la conformité du projet de loi aux dispositions de la Charte?
    Je me ferai un plaisir de répondre à cette question.
    Dans ce projet de loi, nous présentons les résultats, comme nous l'avons dit, des discussions approfondies que nous avons tenues avec les intervenants, de notre étude des rapports et des conclusions de comités spéciaux. Nous suivions ainsi la décision de notre gouvernement. Je suis incroyablement honorée d'être ministre de la Justice et à ce titre, je donne des directions à mes fonctionnaires. Comme je l'ai dit, c'était la direction de notre gouvernement. À titre de ministre, je suis convaincue que ce projet de loi respecte la Charte.
    Plusieurs personnes ont aussi exprimé des préoccupations sur l'aspect d'aide médicale à mourir fournie aux patients qui administrent eux-mêmes cet acte.
    Madame la ministre Philpott, pourriez-vous s'il vous plaît nous décrire ce processus? Quelles mesures de sauvegarde le projet de loi prévoit-il pour éviter de mauvais traitements, surtout dans les cas où les patients se donnent eux-mêmes la mort?
     Vous trouverez plusieurs mesures de sauvegarde pour les cas où les médecins ou les infirmiers praticiens administrent le médicament ou lorsque les patients prennent le médicament par eux-mêmes, par exemple. Toutes ces mesures de sauvegarde doivent être respectées.
    Vous verrez au paragraphe proposé 241.2(8) que la personne doit avoir une dernière occasion de confirmer ce qu'elle fera de l'ordonnance, par exemple, qu'on lui donnera. Le patient aura alors une dernière occasion de dire oui, ou non. Cette occasion vise avant tout les personnes qui désirent par exemple mourir chez eux. Elles désirent peut-être mourir dans leur chambre à coucher en toute intimité entourées de leur famille, sans la présence d'un médecin ou d'un infirmier praticien.
    Je pourrais vous présenter toute la liste des mesures de sauvegarde, mais je crois qu'elles sont décrites assez clairement dans le projet de loi. Que le médecin donne les pilules à la personne dans cette chambre ou que la personne prenne ces pilules, ou que quelqu'un lui injecte le médicament à la maison, ces gens devront appliquer toutes les mesures de sauvegarde.

  (1720)  

    Qu'arrive-t-il si la personne, une fois qu'on lui a donné le médicament d'ordonnance, décide de ne pas le prendre? On laisserait tout simplement le flacon dans l'armoire de sa salle de bain?
    C'est une excellente question. Je me suis demandé la même chose. Nous allons l'aborder en collaborant de très près avec des pharmaciens, par exemple, et avec les organismes de réglementation concernés.
    Ceci dit, chaque jour, dans toutes les villes de notre pays, les gens rentrent chez eux avec un flacon de pilules. S'ils prenaient toutes ces pilules d'un coup, ils se tueraient, donc nous nous faisons déjà une idée de la situation. Il faudra faire énormément d'éducation des patients, des fournisseurs de soins et des pharmaciens pour qu'ils s'occupent bien de ces pilules; en fait, elles seront beaucoup mieux surveillées que bien d'autres flacons de médicaments que l'on trouve dans les armoires de salle de bain des gens.
    En ce qui concerne le droit de liberté de conscience des médecins et des infirmiers praticiens, si je comprends bien, et c'est ce que vous avez dit aujourd'hui et ce que je comprends en écoutant les questions de mes collègues ici aujourd'hui... Y aurait-il moyen de codifier le droit de liberté de conscience en disant, par exemple, qu'une personne n'est pas tenue d'administrer une aide médicale à mourir dans le Code criminel? Pourrait-on peut-être infliger une sanction à quiconque force une personne à administrer la mort conformément à ce projet de loi? Est-ce que cela relèverait du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial?
    Merci d'avoir posé cette question.
    Rien dans le projet de loi C-14 que nous proposons n'oblige les médecins et les infirmiers praticiens à donner de l'aide médicale à mourir. Comme vous le soulignez très justement, cela relève des provinces et des territoires, et la ministrePhilpott continuera à collaborer avec ses homologues pour établir un cadre de réglementation qui aidera les provinces.
    Comme M. Nicholson ne peut pas se présenter devant nous aujourd'hui, nous avons le grand plaisir d'accueillir M. Brassard, qui va parler en son nom.
    Bienvenue à notre comité, monsieur Brassard. Vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
     Je tiens à souligner que cette question est extrêmement difficile à traiter pour bien des gens. À mon avis, le gouvernement a déposé une mesure législative très raisonnable à ce stade. Je félicite les membres du comité mixte pour le travail qu'ils ont accompli et les membres de ce comité pour ce qu'ils font dans le but d'améliorer ce projet de loi.
    Je n'ai qu'une question, que je vais adresser aux deux ministres. Vous avez dit que vous avez tenu des conversations continuelles avec les provinces et les territoires sur le projet de loi C-14.
     Monsieur le président, est-ce que des provinces ou des territoires ont exprimé par votre entremise des préoccupations au sujet de ce projet de loi, et si tel est le cas, est-ce que les ministres pourraient expliquer ces préoccupations au comité?
    Je vais peut-être vous parler des discussions et des relations que j'ai entretenues continuellement avec mes homologues provinciaux et territoriaux, les procureurs généraux de toutes les régions du pays.
    J'ai rencontré les procureurs généraux en personne à Québec. Nous avons discuté de ce projet de loi avant son dépôt, et j'en ai discuté après son dépôt avec plusieurs d'entre eux. Je dirais qu'il m'a semblé que les provinces et les territoires désiraient recevoir une direction du gouvernement fédéral sur l'aide médicale à mourir. Ils s'attendaient à ce que nous fixions les paramètres de l'aide médicale à mourir tout en respectant le cadre de réglementation complexe que l'on allait établir avec les provinces et territoires. Ces gouvernements s'attendaient à ce que nous poursuivions cette collaboration en échangeant des pratiques exemplaires venant, par exemple, de la province du Québec, qui mène ce débat depuis plus de six ans. Cette collaboration se poursuivra.

  (1725)  

    En grande majorité, la réaction des provinces et des territoires s'est avérée positive. Ces gouvernements étaient heureux que nous leur fournissions un cadre qui permettrait à certains d'entre eux de poursuivre cette initiative simplement à partir de ce cadre en collaborant avec leurs organismes de réglementation. Nous avons discuté avec le Québec des différences entre sa loi et notre projet de loi. Cette conversation n'a rien eu de négatif; nous reconnaissions tout simplement qu'ils allaient examiner la question pour décider s'ils allaient modifier leur loi pour corriger ces écarts.
    Merci, monsieur le président. C'est la seule question que je voulais poser.
    Merci beaucoup, monsieur Brassard.
    Monsieur Rankin.
    Je vais passer à la dernière mesure de sauvegarde de votre liste: que les patients reconfirment leur consentement éclairé avant de recevoir l'aide médicale à mourir. Je voudrais vous poser des questions sur deux ou trois situations.
     D'abord, n'est-il pas probable qu'à cette phase, ces patients auront perdu cette capacité à cause de la morphine qu'ils reçoivent par intraveineuse? S'ils ne reçoivent pas de morphine par intraveineuse, n'auront-ils pas des douleurs tellement aiguës en phase de fin de vie qu'ils seront incapables de donner leur consentement?
    Et s'ils sont chez eux? Comment reconfirmeront-ils leur consentement s'ils prennent les pilules seuls ou entourés de leur famille? Comment allons-nous appliquer cette mesure de sauvegarde, en pratique?
    Je crois que je vais demander à la ministre Philpott de répondre aussi à ces deux questions.
    Pour la reconfirmation du consentement des patients, qu'ils reçoivent de la morphine par intraveineuse ou qu'ils soient sous sédation, nous chargerons les médecins ou les infirmiers praticiens de déterminer, à partir de l'état de santé des patients, s'ils vont appliquer la période de réflexion de 15 jours ou s'il y aura lieu de l'abréger si les patients reçoivent de la morphine par intraveineuse ou si leurs organes sont en pleine défaillance, par exemple. Dans de telles circonstances, les médecins détermineront s'il faut raccourcir la période de réflexion avant d'obtenir la confirmation du consentement.
    Dans les cas où l'on remet le médicament au patient, on reconfirmera son consentement au moment de lui remettre le médicament.
    Si je suis seul ou entouré de ma famille mais qu'il n'y a pas de médecins ou d'infirmiers praticiens à des milles à la ronde, est-ce que je recevrais le médicament de la main du pharmacien?
    C'est ainsi que l'on ferait les choses? Comment serait-ce possible de faire cela juste avant de fournir l'aide médicale à mourir?
    Selon l'interprétation du projet de loi, avant de fournir l'aide médicale à mourir, dès que l'on remet l'ordonnance, on fournit l'aide médicale...
    Cela peut prendre des semaines.
    Comme dans le cas de toute autre ordonnance, le fournisseur de soins est responsable d'expliquer l'utilisation du médicament et de veiller à ce que la personne qui le reçoit comprenne cette explication. Les pharmaciens ont la même obligation de faire un suivi pour être sûrs que les médicaments sont utilisés adéquatement.
    Au comité sénatorial auquel j'ai siégé — et j'en suis fier —, nous avons passé beaucoup de temps à débattre des soins palliatifs. Je vous ai entendu dire, madame la ministre, que l'on vous a parlé plus de cela que de tout autre sujet.
    Et pourtant, ce ne sont que des mots creux que nous lisons dans le préambule de ce projet de loi, car il ne s'accompagne d'aucune promesse de fonds. On n'y lit aucun engagement envers une stratégie en soins palliatifs ou envers la création d'un secrétariat des soins de fin de vie ou autre.
    Pouvez-vous nous décrire un peu plus votre engagement concret envers les soins palliatifs?
    Merci d'avoir soulevé cette question, et merci de défendre sans trêve les soins palliatifs.
    Je crois que vous m'entendrez en parler continuellement, parce que ce sujet me tient très à coeur. Ce projet de loi est historique, et nous pouvons tous en être fiers en tant que Canadiens. Notre société a fait preuve d'une grande maturité en faisant ce pas en avant. J'espère que l'autre résultat phénoménal de cette conversation sera le fait que pour la première fois, notre pays affirme que le statu quo est absolument inacceptable, que seulement 15 à 30 % des Canadiens ont accès à des soins palliatifs de grande qualité et que nous devons corriger cela. Nous négocions à l'heure actuelle avec les provinces et les territoires.
    Je suis profondément convaincue que chaque Canadien en fin de vie doit avoir accès à des soins palliatifs de grande qualité. Je reconnais que 5 à 6 % des Canadiens n'en veulent pas. Vous entendrez la sénatrice Carstairs mentionner 94 %. Elle a très évidemment accompli un travail extraordinaire à ce sujet. Nous collaborerons avec elle et avec d'autres. Cela fera certainement partie de l'entente sur la santé. Vous savez que nous nous sommes engagés à le faire. Je vous prie de continuer à demander que nous le fassions. S'il vous plaît, demandez-moi cela chaque jour à la Chambre des communes si vous le pouvez pour que nous rehaussions le niveau de qualité des soins palliatifs. C'est logique. C'est ce dont les gens ont besoin, et c'est ce qu'ils veulent. C'est bien plus avantageux financièrement. Les gens qui reçoivent des soins palliatifs vivent en fait plus longtemps que ceux auxquels on n'en offre pas. Il est crucial que nous le fassions. Je peux vous offrir maintenant trois milliards de dollars dans le cadre de mon engagement ferme et de l'entente sur la santé. Cela comprendra les soins à domicile et les soins palliatifs. Je vous annoncerai d'autres détails plus tard; surtout ne les manquez pas.

  (1730)  

    Merci, je suis vraiment heureux que nous ayons eu l'occasion de parler un peu des soins palliatifs.
    Monsieur Rankin, j'espère qu'à chaque période de questions, vous aurez le temps de poser des questions là-dessus à la ministre Philpott.
    Les conservateurs n'ont pas utilisé tout le temps qui leur avait été alloué aux dernières rondes, alors M. Cooper va utiliser le temps qu'il leur reste, si vous êtes d'accord, mesdames les ministres.
    Monsieur Cooper.
    J'ai juste une question à poser à la ministre Wilson-Raybould. C'est un suivi de la question qu'a posée Mme Khalid. Si j'ai bien entendu, madame la ministre, vous avez dit que le droit de la liberté de conscience relève des provinces. Nous légiférons en partie en vertu du pouvoir conféré au Parlement en matière de droit pénal. Au paragraphe 53 de l'arrêt Carter, la Cour suprême affirme que « la santé est un domaine de compétence concurrente ».
    Tenant compte de ces faits ainsi que de l'article 3.1 de la Loi sur le mariage civil, qui indique que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages civils lorsque les compétences provinciales et fédérales se chevauchent, je voudrais comprendre clairement si vous affirmez que le Parlement ne peut pas légiférer sur des questions de protection de la liberté de conscience à cause de ce qui précède?
     Je sais qu'on a cité plusieurs fois la Loi sur le mariage civil en affirmant que les autorités religieuses n'étaient pas tenues de procéder à des mariages dans des communautés particulières. Mais nous parlons ici de médecins qui servent le grand public. Les provinces et les territoires ont la compétence de réglementer le droit de liberté de conscience des médecins et des infirmiers praticiens. Comme vous le savez, notre projet de loi n'oblige jamais les médecins et les infirmiers praticiens à fournir une aide médicale à mourir.
    Permettez-moi de conclure par une question. Faisant référence à la question de M. Cooper, Mme Khalid a suggéré que l'on amende le Code criminel pour interdire à quiconque de forcer un professionnel de la santé à fournir de l'aide médicale au suicide. Je suppose que vous convenez que l'on pourrait ajouter cela au Code criminel. Même si les règlements sont provinciaux et territoriaux, serait-il possible de le faire?
    La révision du Code criminel se fait d'une façon globale. Je ne suis pas sûre que cette question soulève un problème particulier que nous n'avons pas déjà abordé au cours des discussions que nous menons avec les provinces et territoires. Il est clair que nous examinerons cela à partir des enjeux qui ont été soulevés ici.
    Pour conclure la question de la mort raisonnablement prévisible, comme vous le savez, tous les États américains qui ont établi cette notion exigent que la probabilité médicale de la mort se manifeste dans le cadre d'une période donnée. Aux États-Unis, cette période a été fixée à six mois. La ministre Philpott a indiqué que vous envisagiez peut-être une période d'un an.
    Cela vous semblerait-il correspondre à l'arrêt Carter de la Cour et à l'article 7 si le comité, dans sa grande sagesse, décidait de proposer un amendement à ce projet de loi qui fixerait une période de prévisibilité raisonnable de la mort?
     Je vous encouragerais à poser cette question aux fournisseurs de soins qui viendront témoigner devant votre comité. D'après ce que les gens m'ont dit, j'ai l'impression qu'ils préfèrent l'expression de mort « raisonnablement prévisible ». On en réfère ainsi au jugement des professionnels, qui ne pourraient pas répondre à la question suivante: « Cette personne va-t-elle mourir dans les six mois qui viennent? » En fait, cette question est même plus difficile à poser s'il faut préciser la durée de la période de prévisibilité.
    Je vous encouragerais à continuer de poser cette question, et si vous recevez des réponses différentes, faites-le-moi savoir.

  (1735)  

    Un gros merci.
    Au nom de tous les membres du Comité, je tiens à remercier les deux ministres de nous avoir consacré tellement de temps. Nous leur en sommes vraiment reconnaissants. Nous apprécions énormément le dialogue qui vous a amenées à produire le projet de loi que vous proposez ainsi que tous les efforts que vous avez faits pour y parvenir. Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant faire une pause de quelques minutes pendant que notre prochain groupe de témoins s'installe.

    


    

  (1740)  

    Je suis maintenant extrêmement heureux d'accueillir un groupe de témoins du ministère de la Santé et du ministère de la Justice. Nous avons ici un grand nombre de collègues très distingués, dont M. Pentney et M. Kennedy, qui faisaient partie de notre dernier groupe de témoins. Du ministère de la Santé, nous avons avec nous Abby Hoffman, sous-ministre adjointe, Direction générale de la politique stratégique; Helen McElroy, directrice générale, Direction des programmes et des politiques de soins de santé, Direction générale de la politique stratégique; et Sharon Harper, gestionnaire, Division des soins chroniques et continus. Du ministère de la Justice, je vois Joanne Klineberg, avocate-conseil, Section de la politique de droit pénal; Laurie Wright, sous-ministre adjointe, Secteur du droit public; et Jeanette Ettel, avocate-conseil, Section des droits de la personne.
    Je vous souhaite à toutes la bienvenue. Je me demandais si vous désirez présenter une allocution avant que nous passions aux questions. Non.
    Nous allons donc passer tout de suite aux questions. Nous entamons donc une première ronde, et les conservateurs commenceront. Qui va commencer chez les conservateurs?
    Nous avons M. Falk, puis nous passerons à M. McKinnon.
     Monsieur Pentney, je vais commencer avec vous, parce que vous étiez ici pour les présentations, et je voudrais m'attarder un instant sur toute la question de la protection du droit de conscience.
    Je pense que c'est une question qui est importante pour beaucoup de monde un peu partout au Canada et pour les membres de ce comité, et nous voudrions savoir comment l'aborder. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce qui peut être fait, sous l'angle juridique. Si l'on devait rédiger un texte là-dessus pour le projet de loi, à quoi ressemblerait-il? Où serait sa place? Comment pouvons-nous faire?

  (1745)  

    Pour commencer, je voudrais dire, comme l'ont signalé les deux ministres, que le gouvernement a reconnu l'importance de la protection du droit de conscience et la nécessité d'en tenir compte dans leurs travaux. De même, la Cour suprême du Canada a reconnu que le droit de conscience des médecins et professionnels de la santé compte parmi les droits et intérêts qui méritent d'être pris en compte. Comme l'ont signalé les deux ministres un peu plus tôt, rien dans le projet de loi n'oblige ou ne force un professionnel de la santé à intervenir en la matière. Le gouvernement a annoncé, et madame la ministre Philpott a confirmé aujourd'hui, qu'il entend poursuivre les discussions avec les provinces et les territoires sur les moyens de faciliter l'accès aux soins et à l'information, ce sera là l'un des sujets de la discussion sur les moyens de protéger le droit de conscience. M. Kennedy et d'autres peuvent intervenir sur ce sujet si vous le souhaitez.
    Même si la Cour suprême a reconnu que les soins médicaux relèvent d'une juridiction concurrente, ce qui est en cause, c'est l'exercice par le Parlement fédéral d'un pouvoir relevant du droit criminel. Le projet de loi ne vise pas à réglementer les institutions ou les professionnels de la santé ou de la médecine. Il concerne une dérogation introduite dans le droit criminel, qui a retenu l'attention en raison de la façon dont l'affaire a été présentée dans l'arrêt Carter et dont elle a été présentée aux Canadiens, depuis l'affaire Rodriguez. Dans tout cela, cette question est au centre du projet de loi. Celui-ci est conçu de manière à ne pas obliger un professionnel de la santé, qu'il s'agisse d'un médecin ou d'une infirmière praticienne, à intervenir dans ce processus, et comme l'a signalé plutôt madame la ministre Philpott, le gouvernement s'est engagé à poursuivre les discussions avec les provinces et les territoires pour tenter de trouver des « voies d'accès aux soins ». C'est, je crois, l'expression utilisée.
    J'espère que cela répond à la question.
    Oui, mais ce n'est pas vraiment la réponse que j'espérais recevoir. J'espérais vous entendre dire que nous devrions rédiger un texte à introduire dans la législation visant à protéger les professionnels du système de santé de manière à ce qu'ils ne soient pas forcés à porter assistance, et qu'il y ait donc une protection pour eux également, parce que parmi les professionnels de la santé, on craint de ne pas avoir le choix. Pas seulement au niveau des médecins, mais en aval également, on craint que des personnes qui sont aujourd'hui d'excellentes et merveilleuses personnes qui fournissent des soins palliatifs et de santé excellents ne soient obligées de prendre part à des procédures de suicide assisté par un médecin.
    Merci pour la question. Je comprends parfaitement, mais nous avons suivi le débat qui a eu lieu et se poursuit dans les provinces et les territoires avec les responsables de la réglementation médicale, avec les médecins et avec d'autres un peu partout au pays.
    Le projet de loi n'oblige personne à prêter assistance et ne demande à personne de le faire. Il introduit une dérogation dans le Code criminel pour protéger ceux qui apportent une aide médicale aux personnes qui répondent aux critères établis dans le projet de loi et les dégager de toute responsabilité criminelle. C'est là la nature et la portée de ce projet de loi et l'intention du gouvernement.
    D'autres questions d'ordre réglementaire concernant le professionnalisme du personnel médical et d'autres questions entrent en ligne de compte. Nous savons, suite aux discussions que nous avons eues de notre côté et bien sûr celles qui ont eu lieu entre Santé Canada et les provinces et territoires, que les autorités réglementaires, les provinces et les territoires s'efforcent de préciser les responsabilités qui leur incombent en la matière, et nous ne doutons pas que cet examen se poursuivra.
    Je resterai sur ce sujet. Toute conclusion à ce stade nuirait au débat. Puisque le débat est en cours, puisque la discussion est ouverte, nous risquerions de mettre fin prématurément à cet examen. Plutôt que de laisser aux territoires et aux provinces le soin d'élaborer leur propre réglementation au risque de créer un problème pour les professionnels de la santé, pourquoi ne pas s'attaquer directement à la question dans le cadre de la législation que nous sommes en train d'examiner?
    Pour ce qui est de l'exercice des pouvoirs conférés par le Code criminel eu égard à la façon de définir la nature et la portée de l'admissibilité et des mesures de sauvegarde, la loi est claire. Je crois que l'engagement du gouvernement concernant les discussions et les mesures complémentaires est également clair. Et pour ce qui est de la façon dont est conçue la loi, elle vise explicitement à ne pas obliger qui que ce soit à donner une aide à mourir.

  (1750)  

     Madame la ministre Philpott a beaucoup parlé de soins palliatifs. Des études ont montré que lorsqu'il existe une norme de référence en termes de soins palliatifs offerts aux individus en fin de vie, et également pour ceux qui souffrent de maladies incurables, lorsque l'inconfort est extrême, si un bon système de soins palliatifs permet de l'atténuer, le besoin et le désir d'un suicide médicalement assisté sont pratiquement inexistants. Pourriez-vous nous en dire davantage à cet égard et nous dire ce qui peut être fait dans la perspective d'un régime de soins palliatifs?
    Je pense, monsieur le président, que je me contenterai de réitérer l'engagement pris par la ministre de poursuivre l'examen de la question. Le gouvernement s'est engagé à négocier un nouvel accord de santé avec les provinces et les territoires. Un élément de nos conversations avec les provinces et les territoires en ce moment porte justement sur la façon dont nous pourrions développer les services de soins palliatifs existant actuellement. La ministre a donné des instructions pour que le ministère en fasse une véritable priorité. J'espère que nous pourrons aboutir à un accord avec les autres gouvernements pour pouvoir faire un investissement dans ce domaine. C'est une priorité importante pour nous et nous espérons avoir plus de nouvelles dans les mois à venir.
    Monsieur McKinnon.
    Je crois que ma question s'adresse surtout à Mme Klineberg. Je ne joue pas les favoris, mais il me semble que cela concerne les orientations en matière de droit criminel.
    Je parle du projet de paragraphe 241(1). La loi, dans son libellé original, disait à l'alinéa b) que c'était un acte criminel d'aider ou encourager une personne à se donner la mort. Dans le nouveau texte, la disposition en question a été intégrée à l'alinéa a), et il est maintenant permis d'aider une personne dans le cadre établi pour l'aide médicale à mourir.
    Mais en ce qui me concerne, le terme anglais « abet » implique également qu'il est porté assistance. Dans le cas où une plainte en vertu de l'alinéa 241(1)b) ne serait pas recevable parce qu'il s'agit d'une situation autorisant l'aide médicale à mourir, je me demande ce qui empêche de porter plainte en vertu de l'alinéa a), pour avoir encouragé une personne à se donner la mort.
    Il existe une jurisprudence en vertu du Code criminel qui a précisé l'interprétation à donner de la notion d'encouragement à commettre une infraction et les cas où elle s'applique. Bien que, selon la définition du dictionnaire, le terme anglais « abet » puisse vouloir dire « aider » et également « encourager », l'interprétation la plus systématiquement donnée à ce terme par les tribunaux est celle d'« encourager », dans le contexte du Code criminel. Autrement, il ne ferait que répéter « aider », par exemple. Il est interprété comme ayant un sens différent.
    Il y a cohérence sur ce point dans tout le Code criminel, pas seulement dans le contexte de ce délit particulier. Étant donné que le fait d'encourager une personne à se donner la mort se rapproche davantage de l'idée de conseiller et d'inciter et de promouvoir ce genre de choses, ce concept a été placé à l'alinéa a), là où il est question de conseiller. Comme je l'ai dit, ces deux choses sont plus étroitement associées l'une à l'autre par leur ressemblance, et cela permet également d'appliquer de manière nette la dérogation à « aider », qui concerne la fourniture d'une substance que la personne utiliserait, sans donner l'impression que pourrait être exempté de responsabilité criminelle celui qui encourage une personne à se donner la mort.
    De sorte qu'en déplaçant le terme anglais « abet » signifiant donc « encourager » à l'alinéa a) et en n'appliquant la dérogation qu'à l'alinéa b), le projet de loi établit une distinction entre le soutien moral et l'encouragement moral d'un côté et l'assistance physique de l'autre.
    Je veux bien, mais il me semble que le Code criminel considère également le fait de « conseiller » comme un encouragement ou une incitation. N'est-il pas redondant d'y incorporer « encourager »?
    Il s'agit effectivement de concepts très voisins. On trouve une définition de « conseiller » à l'article 22 du Code criminel, je crois, qui comporte d'autres verbes et concepts qui sont très semblables à « conseiller ». Dans le Code criminel, on utilise parfois des mots différents pour des concepts similaires pour s'assurer qu'ils renvoient à tout l'éventail des comportements.
    Il y a similarité, peut-être même chevauchement, entre « encourager » et « conseiller », mais ce n'est pas exactement la même chose.

  (1755)  

    J'ai également entendu des gens, comme des travailleurs sociaux, qui sont préoccupés par l'idée de fournir de l'information, des avis et autres en matière de soutien psychologique et autres options qui sont offertes à un patient en situation de souffrance. Ce qui les préoccupe, c'est que ce genre d'avis pourrait constituer un conseil.
    Je me demande si vous ou un autre membre du groupe de travail seriez d'avis qu'il devrait y avoir dans le Code criminel une disposition dérogatoire concernant l'avis qui ne se hausse pas au niveau d'une recommandation ou d'une incitation et l'excluant des conseils.
    Une fois la loi adoptée, apporter une aide médicale à mourir deviendra une activité légale. Fournir une information à une personne qui se livre à une activité légale est légal, il n'est donc pas nécessaire d'inscrire dans la loi qu'il est légal de fournir de l'information pour dire à quelqu'un de faire quelque chose qui est légal.
    Si vous donnez de l'information sur la façon de se livrer à une activité légale, de s'informer sur la façon d'obtenir des services médicaux en matière d'aide médicale à mourir, c'est légal. Cela est évident, il n'est donc pas nécessaire de le dire.
    D'accord, cela me va.
    Vous avez 20 secondes de plus.
    Merci à vous tous.
     Au fait, monsieur Piragoff, je suis désolé de ne pas avoir remarqué avant que vous étiez là. Bienvenue à vous également.
    Je me cache dans mon coin.
    Des voix: Oh, oh!
    Nous passons maintenant à M. Rankin.
    Je voudrais reprendre là où j'ai laissé ma conversation avec la ministre Philpott sur la disposition qui exige qu'« immédiatement avant de fournir une aide médicale à mourir », il faille donner à l'intéressé la possibilité de retirer son consentement. Une personne qui est chez elle, et prend des médicaments qui ont été prescrits il y a des mois, peut-être même des années auparavant, peut difficilement se voir offrir cette possibilité de reconfirmer son consentement explicite. Je n'arrive pas à comprendre quel sens on peut donner, sur le plan pratique, à cette disposition, en l'absence d'un praticien de la médecine, quand les médicaments ont été prescrits peut-être des mois auparavant.
     Je crois que la ministre Philpott a répondu à cette question en disant que pour ce qui est de fournir une assistance médicale dans une situation où il y a fourniture de médicaments, l'assistance est fournie au moment où le médicament est fourni au patient. C'est le moment où l'assistance est fournie.
    Si la personne le prend le jour d'après, ou attend deux mois pour le prendre ou ne le prend jamais, à ce moment-là, l'assistance a été fournie en donnant à l'intéressé le moyen de mettre fin à ses jours, en s'auto-administrant le médicament. À ce moment-là, le moment où le docteur ou le médecin ou le pharmacien fournit le médicament, l'intéressé est-il capable? Est-ce qu'il comprend l'effet du médicament? Il peut ne pas le prendre.
    Aux États-Unis, par exemple, certains ne prennent le médicament que des mois après. En fait, certains ne le prennent jamais...
    C'est justement le problème. Je ne comprends tout simplement pas comment, dans ce contexte, on peut dire que la possibilité vous est « immédiatement » donnée alors que des mois, peut-être des années, peuvent s'écouler avant que le patient n'ouvre son flacon à la maison.
    Je pense que nous devons lire les dispositions de ce projet de loi comme un tout cohérent. Si l'on examine la définition fournie dans « aide médicale à mourir » dans le projet d'article 241.1, il s'agit en fait d'un terme défini dans la loi elle-même. Ce qui simplifie de beaucoup la rédaction du reste des dispositions et de la partie de l'alinéa b) sur l'« aide médicale à mourir » concernant la prescription de la fourniture d'une substance à l'intéressé par un médecin praticien ou une infirmière praticienne. C'est immédiatement avant cette action que le consentement de la personne est obtenu. Il y a également à cela une raison relevant du droit criminel, qui est que le droit criminel n'est pas concerné par les actes privés d'un individu qui pourrait choisir de mourir par suicide.
    Le droit criminel s'intéresse à la participation de tierces parties dans cette décision. Les dérogations et l'ensemble du régime sont conçus de manière à accorder aux médecins une dérogation lorsqu'ils prennent part à l'action accomplie par une personne qui s'auto-administre une substance. La participation du médecin ou de l'infirmière praticienne intervient au moment de la rédaction de la prescription ou de la remise de la substance. Passé ce moment, l'action d'une personne qui s'auto-administre la substance à son domicile est tout simplement une question à laquelle ne s'intéresse pas le droit criminel; aucun crime n'est commis en la circonstance. Cela échappe au droit criminel. Il se peut, toutefois, que les provinces et les territoires ou les collèges médicaux souhaitent approfondir la question.

  (1800)  

    Juste pour répondre très brièvement à l'honorable député, le Canada est un pays grand et compliqué. Aucune autre fédération au monde ne s'est attaquée au problème de l'aide médicale à mourir dans une perspective fédérale comme l'a fait le Canada. Le gouvernement a choisi, entre autres, de ne pas exiger de la subordonner à l'intervention d'un médecin. Le Québec, après avoir longuement débattu de ce choix, a décidé que le gouvernement entrait dans un domaine plus complexe en autorisant les deux, il faut le reconnaître — mais il respecte le choix autonome des Canadiens. La législation a choisi de ne pas exiger la présence d'un médecin ou d'une infirmière praticienne juste avant que la personne administre la substance. Comme cela a été expliqué, le « immédiatement » doit être lu dans l'intégralité du contexte. Toutefois, c'est pour tenir compte également du fait qu'il s'agit de respecter l'autonomie des personnes dans leurs choix. Je pense qu'il est juste de s'attendre, sur la base de l'expérience acquise dans d'autres pays, que certaines personnes qui souhaitent obtenir une assistance médicale d'un médecin, et d'autres qui souhaitent s'auto-administrer une substance, finissent par renoncer à leur projet. Dans les deux cas, c'est le respect de l'autonomie de la personne que le cadre législatif vise à réaliser.
    Dans le cas d'une personne qui ne dispose plus de ses capacités physiques, mais dont il n'est pas possible de prévoir raisonnablement la mort naturelle et qui doit donc se laisser mourir de faim si elle ne peut se prévaloir de l'aide médicale à mourir, est-ce que cela pourrait constituer une infraction à l'article 7, une peine cruelle et inusitée ou autrement incompatible avec la sécurité de la personne? Si oui, cela a-t-il été pris en compte?
    Je peux commencer peut-être, d'autres compléteront.
    La loi s'efforce de tenir compte de toutes les circonstances d'une personne en fin de vie. Elle ne vise pas à répondre à une situation qui a changé les conditions de vie d'une personne après un accident, ou après avoir reçu un diagnostic qui change ses conditions d'existence. C'est l'ensemble des quatre éléments pris dans leur totalité. Il se peut qu'une personne souffrant d'une maladie qui ne menace pas son existence souffre pour d'autres raisons et souffre d'une autre affection qui la diminue et fait, par conséquent, qu'elle s'achemine vers la mort. Il ne s'agit pas du cas a) ou b) ou c), mais de tous ces cas pris ensemble, de la totalité des circonstances. Un individu, qui souffre ou non d'une affection jugée « en phase terminale », mais qui est en train de mourir d'une autre cause et qui souffre d'une troisième affection complètement distincte, compte tenu de la totalité de ces circonstances, pourrait se trouver dans une situation où sa mort, pour citer la loi, « est devenue raisonnablement prévisible », et répond donc aux conditions pour bénéficier de l'aide médicale à mourir.
    Par conséquent, dans ce cas, il ne s'agit pas de considérer chaque catégorie, mais de prendre en considération la totalité des circonstances à la lumière de tous les facteurs.
    Désolé, je crois que M. Rankin a compris cela. Il cherchait, je crois, à savoir si, dans l'état actuel de la législation, une décision de ne pas dispenser une aide médicale à mourir dans l'exemple qu'il a donné — un homme qui a eu un AVC et n'était plus en mesure de faire quoi que ce soit à part bouger les sourcils, qui était totalement handicapé et voulait mourir et a dû se laisser mourir de faim — serait compatible avec l'arrêt Carter. Il demande si vous trouvez que l'état actuel de la loi est conforme à l'arrêt Carter dans ce cas particulier.
    Si une personne commence une grève de la faim ou cesse simplement de s'alimenter pour quelque raison que ce soit, que ce soit une raison médicale ou parce qu'elle décide d'exercer son droit à renoncer à un traitement, elle a le droit de le faire. Une personne a le droit de dire: « Je ne veux plus d'aliments solides ou liquides à partir de maintenant. Je ne veux pas de médicaments. » C'est un droit qui est reconnu à chacun.
    Une fois qu'une personne a pris cette décision, un médecin peut dire que sa mort est raisonnablement prévisible. Elle n'est pas contrainte à mourir de faim, parce que, à ce stade, un médecin peut dire que cette personne mourra d'une mort naturelle des suites de la malnutrition, et que, par conséquent, elle remplit les conditions. Naturellement, ce n'est pas la seule condition qui doit être remplie, les quatre ou cinq autres conditions doivent également l'être.

  (1805)  

    Mais c'est seulement si elle se laisse mourir de faim.
    Non, elle n'y est pas contrainte.
    Bien, jusque là, le projet de loi ne lui est d'aucun secours, et cela va à l'encontre de la décision de la Cour suprême, cela dit avec tout le respect.
    Une personne peut se retrouver dans cette situation du fait de causes naturelles. On peut ne pas être en mesure de s'alimenter parce qu'on a eu un AVC, par exemple.
    Je vais donner la parole à M. Kennedy, puis nous passerons à M. Bittle.
    Je voudrais attirer l'attention du Comité sur l'intervention de madame la ministre Philpott sur ce sujet, parce que je pense qu'elle reflétait l'orientation du gouvernement. Dans cette situation trois choix étaient possibles en fait: prévoir un délai concernant le moment où la mort pourrait intervenir, c'est-à-dire dans six mois ou un an; n'avoir aucun délai du tout; ou, comme le fait le projet de loi — donner toute latitude aux praticiens de la médecine, dans chaque cas individuel, pour se prononcer à ce sujet. Je pense que le gouvernement a opté pour cette dernière solution parce que 6 mois ou 12 mois apparaîtraient comme quelque peu arbitraires. Je crois que le Comité va entendre le témoignage de nombreux experts.
    L'alternative serait de n'imposer aucune contrainte en ce qui concerne cette notion de mort raisonnablement prévisible. Comme l'ont fait observer les ministres, je pense que la principale préoccupation était de prévoir des garanties pour les personnes vulnérables, et qu'il devient très compliqué d'établir le juste équilibre entre les différents intérêts si l'on n'impose pas une limitation de ce genre. Il y avait un choix à faire et il peut naturellement se présenter des circonstances individuelles uniques. Je pense néanmoins qu'il s'agissait de donner une certaine latitude aux praticiens de la médecine leur permettant d'examiner la totalité des éléments avant de décider. Je réitère ce qu'a dit la ministre.
    Nous devrions confirmer que d'après notre analyse ainsi que le croit le gouvernement, cela est conforme tant à l'arrêt Carter qu'à l'article 7 de la Charte. Nous devrions confirmer, comme l'ont déjà confirmé les ministres, que selon nous, ce régime réglementaire complexe, que l'arrêt Carter a invité le Parlement à mettre en place et que la Chambre examine aujourd'hui, est, dans son orientation, en conformité avec la Charte.
    Merci beaucoup, nous apprécions vraiment.
    Monsieur Bittle.
    Je souhaiterais que l'on examine la définition de « grave et irrémédiable », et je commencerai avec le projet de l'alinéa 241.2(2)a). Quelle est la différence entre « irrémédiable » et « incurable »? Quand on prononce le mot « incurable », on pense qu'il pourrait y avoir un remède — dans le cas par exemple d'une personne atteinte d'un cancer qui doit subir plusieurs cycles de chimiothérapie —, mais que le traitement en tant que tel peut provoquer des souffrances physiques et psychologiques durables. Pourriez-vous expliquer cette définition et nous dire si elle répond aux critères établis dans l'arrêt Carter?
    Tout d'abord, le terme « grave et irrémédiable » n'est pas vraiment courant ni dans le droit criminel ni dans la pratique médicale. Il n'a pas reçu de définition générale, et il n'est pas défini dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada.
    Toutefois il est clair qu'il ne vise pas à être appliqué à des situations transitoires. Comme l'a fait observer la Cour, de même que les ministres un peu plus tôt, en vertu de ce projet de loi, la personne continue d'avoir le droit de refuser un traitement jugé inacceptable. L'expression vise à établir une distinction entre des conditions qui sont transitoires et celles qui ne le sont pas. Elle ne donne pas à entendre qu'un individu serait tenu de recevoir un traitement qu'il juge inacceptable. Comme nous l'avons dit plus tôt, ce projet de loi doit être vu comme constituant un tout.
    Y a-t-il un élément de ce projet de loi qui traite de ce point particulier ou est-ce là seulement une interprétation juridique de ce que l'on a ici?

  (1810)  

    En particulier, vous faites référence à l'alinéa a) et à l'expression « grave et incurable ». L'alinéa c) précise que la souffrance est intolérable et ne peut être soulagée dans des conditions jugées acceptables, formulation qui diffère quelque peu de celle de la Cour suprême.
    Toutefois, elle est bien dans la ligne de la formulation de la Cour disant qu'une personne peut souffrir, comme vous dites, d'une maladie qu'un traitement médical peut guérir. Certaines personnes optent parfois pour des traitements quasi inimaginables compte tenu des souffrances qu'ils leur imposent, mais s'en tiennent à ce traitement. D'autres estiment que le traitement à leur disposition leur cause des souffrances intolérables, et en vertu de l'alinéa c), il est clair qu'ils ont le choix et que la loi ne limite pas ce choix ni ne l'affecte en aucune manière.
    Il convient peut-être d'apporter un éclaircissement, parce que les alinéas a) et c) doivent être lus ensemble, et si une maladie est curable... Je comprends vos explications ce qui concerne l'interprétation, mais la définition telle qu'elle est rédigée pourrait se prêter à d'autres interprétations du projet de loi que la vôtre.
    Le ministère serait-il disposé à préciser le texte de loi afin de rendre votre interprétation plus explicite?
    Je pense que le gouvernement est ouvert à toutes les propositions dûment réfléchies d'améliorer le projet de loi et se fera un plaisir d'examiner attentivement toutes les modifications suggérées. Mon expérience de la rédaction de textes législatifs m'amène à penser que ce sera un défi de trouver la juste formulation pour chercher à couvrir toutes les éventualités. Si le terme « incurable » était remplacé par « irrémédiable », si c'est là une suggestion, le sens du texte en serait-il rendu plus clair?
    Je laisse aux autres le soin d'y réfléchir.
    En ce qui concerne l'alinéa b) qui fait état d'« un déclin avancé et irréversible de ses capacités », certains critiques ont dit que ce paragraphe est rédigé de telle manière que Kay Carter n'aurait pas rempli les conditions de cette définition particulière parce qu'elle n'était pas dans un état de déclin, que son état était stable, mais qu'elle souffrait.
    Est-ce en contradiction avec l'arrêt Carter?
    Nous croyons comprendre, sur la base de l'arrêt de la Cour concernant la situation de Kay Carter, qu'elle était dans un fauteuil roulant et avait besoin d'assistance pour la plupart de ses activités quotidiennes, de sorte que sa mobilité était des plus limitée.
    Mais cette disposition de l'alinéa b) ne porte pas vraiment sur l'aggravation de la condition au fil du temps. Cet état de déclin avancé et irréversible et de diminution des capacités peut s'être produit d'un seul coup, par exemple. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait un déclin continu des capacités, seul l'état avancé de déclin est retenu comme critère.
    Il est peut-être également utile de faire remarquer qu'avec tous ces critères, y compris ce qui constitue une maladie incurable, la décision sur ces éléments a été mise entre les mains des praticiens de la médecine et des soins infirmiers. Ce qui constitue ou non une affection incurable peut dépendre de quantité de facteurs, pas simplement du nom de la maladie, par exemple. Cela peut également concerner l'accès aux traitements.
    Mais pour en revenir à « un déclin avancé et irréversible » de nouveau, tout un ensemble de considérations peuvent entrer en ligne de compte. Une personne peut être dans un état avancé de déclin en raison de l'épuisement, de la fatigue, de la fragilité. Il s'agit de nouveau d'accorder suffisamment de souplesse pour que les praticiens, médecins et infirmières, puissent prendre tous les éléments en considération.
    Est-ce que ce serait plus précis si nous ajoutions « ou » dans ce paragraphe, disant qu'« ils sont atteints d'une maladie en phase terminale ou caractérisée par un déclin irréversible »?
    Est-ce que cela serait plus précis selon l'interprétation du ministère?
    Nous pouvons y réfléchir. Il s'agit de maladie, d'affection ou d'incapacité, et ça couvre un vaste éventail de circonstances dont certaines surgissent instantanément, d'autres sont le résultat d'une évolution sur de nombreuses années. Nous pouvons examiner si cela rend la chose plus claire.
    Cela pourrait également introduire d'autres éléments d'incertitude ou des questions sur ce que constitue un état avancé ou une progression avancée d'une maladie. Mais nous pouvons de toute façon examiner la question et je le répète, nous sommes impatients de prendre connaissance des travaux et recommandations du Comité.

  (1815)  

    Merci beaucoup.
    Je sais qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps, mais M. Warawa a demandé deux minutes. Je permettrai à chaque parti de poser une dernière question, brève, s'ils le souhaitent.
    Monsieur Warawa.
    Merci, monsieur le président.
    Sur la protection du droit de conscience, vous avez dit que le projet de loi ne contraint ni ne demande. Vous avez dit que la Cour suprême a dit que nous allons créer un système réglementaire complexe. L'accent a été mis, à juste titre, sur les Canadiens vulnérables, mais la première question dont on entend parler en tant que parlementaires concerne la protection des droits de conscience. La législation n'en dit rien. Elle ne contraint ni ne demande, mais elle ne protège pas non plus.
    On pourrait, par conséquent, puisque nous modifions le Code criminel du Canada pour rendre cela possible, établir que c'est un acte criminel de contraindre, intimider ou forcer un médecin à participer contre son gré. Est-ce que je me trompe?
    Il nous faudra y réfléchir. Je ne vois pas dans quels cas cela est un sujet de préoccupation. Il nous faudra l'examiner. Pour ce qui est de la portée de la juridiction fédérale en matière de droit criminel, nous chercherons également à établir dans quelle mesure les dispositions retenues ont une incidence légale pratique, compte tenu de la répartition des compétences.
    L'autorité provinciale en matière de réglementation continuera d'examiner ces questions, mais nous parlons d'exemptions au Code criminel du Canada qui permettront cela lorsque certains critères stricts sont respectés.
    Auparavant, et même à l'heure actuelle, se donner la mort est légal, mais un passant dans la rue ne peut pas aider quelqu'un à se donner la mort. Cela est illégal. Nous créons un régime strict, mais il ne faut pas non plus, alors, forcer quelqu'un, par voie d'intimidation, de contrainte ou de quelque autre manière, à participer à la mort d'une personne contre sa propre volonté. Cette restriction, à mon avis, pourrait être inscrite dans le Code criminel; faute de quoi, nous donnerions aux collèges de médecins provinciaux le soin de décider et nous n'aurions plus une approche pancanadienne. L'approche pourrait changer du tout au tout si nous autorisions chaque province à protéger les droits de conscience.
    Je crois que nous sommes habilités à inscrire dans le Code criminel un article disant qu'on ne peut pas contraindre ou forcer qui que ce soit à participer, contre sa propre volonté, à la mort d'une autre personne, à un suicide assisté.
    Si le Comité le souhaite, afin de compléter notre étude, nous pouvons certainement nous pencher sur la question.
    Merci beaucoup. Nous apprécions.
    La question des droits de conscience a été soulevée par beaucoup de monde. Il me semble que M. Falk cherchait, par sa première question, à vous faire dire, si la protection des droits de conscience est importante pour le Comité, quelle solution vous proposeriez, qui cadre au mieux avec la loi. Un moyen, suggéré par Mme Khalid, consistait à introduire une interdiction dans le Code criminel, et s'il y en a d'autres, nous serions ravis que vous nous en parliez, avant de passer à l'examen article par article.
    Monsieur Rankin, vous vouliez poser une dernière question?
    C'est juste une question de style, je pense.
    J'ai signalé aux ministres que nous recommandions au comité mixte spécial qu'il y ait toujours un médecin praticien et peut-être une infirmière praticienne. Nous sommes très sensibles au besoin d'accès dans les régions éloignées du Canada, mais je lis le projet de loi C-14, et je vois qu'il est toujours question de « médecin ou infirmier praticien ». Il semblerait que ce sera la seule juridiction au Canada — je ne dis pas que ce n'est pas bien, mais j'aimerais avoir un éclaircissement de la part des autorités — où une mort assistée par un médecin pourrait se produire sans la participation d'un médecin. Est-ce que je comprends comme il faut?
    Je crois, monsieur le président, que comme les ministres l'ont expliqué, dans les différentes juridictions, les provinces précisent dans certains cas les fonctions normalement remplies par un médecin qui sont déléguées aux infirmières praticiennes. Je crois que l'idée c'était de laisser à l'autorité provinciale chargée de réglementer la profession le soin de décider, dans le cadre des directives et paramètres appropriés, de déléguer ou non ces responsabilités à des infirmières praticiennes.
    Monsieur Kennedy, juste pour que les choses soient claires, vous êtes en train de nous dire qu'une province pourrait choisir d'offrir ce service avec deux infirmières praticiennes sans qu'un seul médecin intervienne. C'est bien cela?
    Dans la mesure où une province délègue cette fonction à une infirmière praticienne, ce serait uniquement dans les limites de pratiques ouvertes aux infirmières praticiennes. En d'autres termes, ce ne sont pas toutes les infirmières praticiennes et toutes les infirmières qui seront amenées à faire cela en vertu de la législation fédérale. Il s'agit d'une décision provinciale spécifique. Les provinces font cela dans certaines circonstances.

  (1820)  

    Vous avez raison de dire que cela est concevable. Dans le cas où une infirmière praticienne a fourni des soins continus dans des communautés éloignées, et il y en a un peu partout au pays, lorsque cette fonction a été déléguée et autorisée par une province, il est concevable dans le cadre de la loi, si elle est adoptée dans l'état actuel, que ce soient deux infirmières praticiennes. Il se pourrait que ne soit pas exigée la présence d'un médecin et d'une infirmière praticienne
    Nous avions recommandé au Comité qu'il y ait toujours un médecin, si éloignée que puisse être la communauté, mais vous ouvrez la porte... Est-ce que ce sera la seule juridiction au monde où deux infirmières praticiennes seront en mesure de fournir cette prestation?
    Oui, je crois que nous serions la seule juridiction au monde, et je pense que les compétences reconnues aux infirmières praticiennes ne sont pas non plus les mêmes partout au monde.
    Il est donc du domaine du possible, si le Comité décidait de modifier le projet de loi, qu'il soit permis de dire que si la première personne apportant une aide médicale à mourir est une infirmière praticienne, le deuxième avis doit être celui d'un médecin praticien. Est-ce que cela pourrait se faire?
    Si telle était la recommandation du Comité, le gouvernement la prendrait en considération et une décision serait prise en fin de compte. Comme vous pouvez le constater en écoutant d'autres témoins qui réfléchissent aux implications, l'accès pratique, la continuité des soins, et la familiarité avec les individus et leur situation, sont tous des éléments méritant d'être pris en considération.
     Nous comprenons.
    La dernière question est pour M. Fraser.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Le paragraphe 127 des motifs de l'arrêt Carter prévoit une dispense. Il dit « une personne adulte capable qui consent clairement... » À votre avis, lorsqu'un individu donne un consentement clair pour recevoir une aide médicale à mourir afin d'avoir accès à cette procédure, est-ce qu'il lui est possible de consentir par anticipation, ou est-ce que l'idée de directives anticipées est incompatible avec l'idée de « consentement clair » figurant au paragraphe 127 de l'arrêt Carter?
    Le paragraphe 127 ne le prescrit pas ni ne donne de détails. Les questions et considérations abordées durant l'examen du comité consultatif provincial-territorial, du groupe de travail externe du comité mixte spécial, vont au-delà de ce que la Cour a eu à examiner dans l'affaire Carter. Autant que nous sachions, il ne s'agissait pas des individus qui s'étaient occupés de ça. Dans ce sens, la question n'a pas été examinée dans l'affaire Carter.
    Je voudrais profiter de l'occasion pour remercier le personnel du ministère de la Justice et du ministère de la Santé qui s'est joint à nous aujourd'hui. Votre présence nous a été très utile. Nous apprécions vraiment. Nous poursuivrons le dialogue avec plaisir.
    Nous allons faire une pause de cinq minutes, une pause santé, pour que les gens puissent manger un peu et nous reprendrons avec le prochain groupe de travail dans cinq minutes — oh, on nous a demandé 10 minutes, donc nous reprendrons avec le prochain groupe de travail dans 10 minutes, puisque nous pouvons finir à n'importe quelle heure. Nous reprendrons avec le prochain groupe de travail un peu plus tard.

    


    

  (1835)  

    Nous reprenons nos travaux.
    Je souhaite remercier les membres de notre distingué groupe de travail qui se sont joints à nous. Je voudrais vous présenter, de la Société canadienne de psychologie, Mme Karen Cohen, qui en est la directrice générale; la Dre Francine Lemire qui est la présidente du conseil d'administration et la directrice du Collège des médecins de famille du Canada; et M. Philippe Emberley qui est le directeur des affaires professionnelles de l'Association des pharmaciens du Canada.
    Bienvenue à vous tous.

[Français]

     Je vous suis énormément reconnaissant d'être venus témoigner devant le Comité.
    Nous allons commencer par Mme Cohen, qui disposera de huit minutes. Les autres témoins auront également huit minutes.

[Traduction]

    Madame Cohen, merci beaucoup d'être venue. Je vous en prie, allez-y.
    Bonsoir. Merci, honorables membres du Comité, de donner à la Société canadienne de psychologie la possibilité de vous parler ce soir de ce projet de loi C-14.
    La Société a deux sujets de préoccupation relativement à ce projet de loi.
    Le premier concerne le rôle des prestataires de soins de santé dans les décisions à prendre en fin de vie. Le second concerne l'évaluation de la capacité d'une personne de donner son consentement pour mettre fin à ses jours, en particulier en cas de concomitance d'un trouble psychologique ou cognitif avec une affection physique grave et irrémédiable. Par conséquent, nous souhaitons soumettre à votre examen trois recommandations.
    Le paragraphe 241(1) proposé dit que conseiller à une personne de se donner la mort et aider cette personne à se donner la mort est un acte criminel. Les paragraphes 241(2) et 241(3) proposés visent à exempter les praticiens des dispositions du paragraphe 241(1) s'ils fournissent une aide médicale à mourir ou s'ils aident un praticien à fournir une aide médicale à mourir.
    La Société se préoccupe du fait que les exemptions prévues dans les projets de paragraphes 241(2) et 241(3) semblent s'appliquer lorsqu'il s'agit d'aider une personne, mais pas lorsqu'il s'agit de conseiller à une personne de se donner la mort. Alors que les paragraphes 241(2) et 241(3) proposés semblent exempter les praticiens qui participent à l'acte de la mort lui-même, les fournisseurs de soins de santé réglementés seront raisonnablement amenés à participer à la prise de décision avant qu'une personne ne mette à exécution sa décision de mettre fin à ses jours. Les psychologues font partie des prestataires de soins de santé susceptibles d'évaluer la capacité d'une personne de donner son consentement à l'aide médicale à mourir. Les psychologues font également partie des prestataires de soins auxquels des personnes souffrant d'une affection irrémédiable peuvent s'adresser pour parler de la fin de leur vie.
    Il est important que des personnes qui envisagent de hâter leur mort puissent s'entretenir de leurs préoccupations avec un prestataire de soins de santé réglementé fiable, si tel est leur désir. Il est non moins important que le prestataire de soins de santé réglementé qui engage une discussion ou une consultation avec un patient sur la fin de vie soit également exempté des dispositions du paragraphe 241(1) proposé.
    Notre première recommandation est d'ajouter une exemption stipulant qu'un praticien de la santé réglementé ne se rend pas coupable d'un acte criminel s'il évalue la capacité de la personne de donner son consentement à une décision de fin de vie et/ou donne des conseils relatifs à une telle décision à la demande d'une personne qui souffre d'une affection grave et irrémédiable, ou s'il aide un praticien de la santé à évaluer la capacité de la personne de donner son consentement à une décision de fin de vie et/ou à donner des conseils relatifs à une telle décision à la demande d'une personne qui souffre d'une affection grave et irrémédiable.
    Nous souhaitons également souligner que le terme « counsel » en anglais, tel qu'il est utilisé dans l'alinéa 241(1)a) proposé a un double sens à la fois juridique et spécifique à la profession. On peut dire des fournisseurs de soins de santé mentale comme les psychologues qu'ils fournissent régulièrement des conseils à leurs patients. Dans ce cas, le terme « counsel » a un sens très différent de celui qui lui est donné à l'alinéa 241(1)a) proposé.
    Notre seconde recommandation est que ce projet d'alinéa soit révisé de sorte que counsels soit remplacé par « persuades or encourages ». Il se lirait alors comme suit « persuades or encourages a person to die by suicide or abets a person in dying by suicide », qui donnerait en français « persuade ou encourage une personne à se donner la mort ».
    Enfin, la Société est également préoccupée par le fait que le projet de loi ne dit mot sur les modalités d'évaluation de la capacité de donner le consentement. Bien que, dans bien des cas, il soit facile de vérifier que le consentement éclairé peut être donné et l'a effectivement été, dans d'autres cas, il peut ne pas en être ainsi. Par exemple, lorsqu'un patient souffre d'un trouble psychologique ou cognitif en même temps que d'une affection physique grave et irrémédiable. Cette concomitance d'un trouble cognitif ou psychologique et d'une affection physique est fréquente.
     Dans sa soumission au groupe d'experts qui faisait rapport au groupe de travail parlementaire, la Société a souligné ce qui suit, je cite:
... I'expérience globale de la souffrance, y compris les souffrances dues aux symptômes physiques, est beaucoup plus envahissante chez les malades en phase terminale qui sont déprimés, que chez ceux qui ne sont pas déprimés... Aux Pays-Bas, Dees [et ses collaborateurs] ont signalé que seuls les patients dont le trouble physique présente une comorbidité psychiatrique ressentent continuellement des douleurs insupportables. Par conséquent, on peut s'attendre à ce que les patients déprimés en phase terminale fassent plus souvent des demandes d'aide médicale à mourir. Pour se préparer à cela, la législation doit tenir compte de certaines réalités cliniques... Un simple diagnostic de dépression ne signifie pas nécessairement que la personne est incapable de prendre des décisions essentielles par rapport à sa santé. Toutefois, la dépression grave, en particulier, peut entraîner des biais d'attitude négatifs qui faussent la prise de décision rationnelle concernant I'aide médicale à mourir...
    L'évaluation de la capacité d'une personne de donner un consentement éclairé, en particulier lorsque cette personne souffre en même temps d'un trouble psychologique ou cognitif, doit être confiée aux prestataires de soins de santé réglementés pourvus de la formation et de l'expertise requises pour entreprendre ce genre d'évaluation complexe.

  (1840)  

    La Société estime que les psychologues, de même que les médecins spécialisés comme les psychiatres et les neurologues, possèdent la formation et l'expertise nécessaires.
    Notre troisième et dernière recommandation est qu'il convient d'ajouter une nouvelle disposition à la section « Mesures de sauvegarde » en tant qu'alinéa 241.2(3)i) rédigée en ces termes:
s'assurer que lorsqu'une personne présente un trouble médical grave et irrémédiable associé à un trouble cognitif et/ou psychologique, la capacité de la personne à donner son consentement est évaluée par un fournisseur de soins de santé réglementé, dont le champ de pratique comprend I'évaluation des troubles cognitifs et/ou psychologiques.
    Au nom de la Société canadienne de psychologie, je vous remercie pour vos importants travaux dans l'intérêt du public canadien. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions sur notre soumission.

  (1845)  

    Merci beaucoup pour votre présentation, madame Cohen.

[Français]

     Je cède maintenant la parole à la Dre Lemire.

[Traduction]

     Le Collège des médecins de famille du Canada est l'organe national responsable de l'élaboration des normes en matière de formation, certification et éducation permanente des médecins de famille. À ce titre, nous nous réjouissons de ce projet de loi C-14 qui vise à modifier le Code criminel et à apporter à d'autres lois les modifications qui en découlent.
    Nous sommes heureux que ce projet de loi constitue un premier pas prudent. Nous pensons que la communauté médicale se voit offrir une opportunité raisonnable de se familiariser avec les nouvelles dispositions et de s'y adapter en conséquence. Il a été dit que l'aide médicale à mourir n'entrait pas, sauf de rares exceptions, dans la pratique des médecins en exercice au pays, mais qu'elle sera intégrée à notre régime de soins de santé à partir du mois de juin.
    Étant donné que le médecin de famille est souvent le premier point de contact entre le public et notre système de soins de santé, les médecins sont souvent les premiers à constater l'impact que les décisions médicales susceptibles d'avoir une incidence juridique peuvent avoir sur les décisions relatives aux soins apportés aux patients. Il convient de préciser les critères d'admissibilité relatifs à l'accès à l'aide à mourir, en particulier pour ce qui est des exigences relatives aux patients admissibles dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible. Par exemple, un patient souffrant de sclérose multiple progressive peut répondre aux critères du patient souffrant d'une maladie incurable dans un état de souffrance et de déclin irréversible alors qu'il est difficile de déterminer avec précision le moment de la mort prévisible. Il convient de préciser davantage ce critère.
    Des questions se posent également concernant l'interprétation de ce qui doit être considéré comme une souffrance physique ou psychologique intolérable. Dans notre pratique de médecin de famille, nous constatons tous les jours qu'il existe différents degrés de ce que l'on considère comme une souffrance ou une douleur intolérable. Le seuil de l'intolérable peut varier considérablement d'un patient à l'autre.
    Les questions de santé complexes, comme celle de la mort et de l'avortement médicalement assistés, exigent un certain niveau de protection de la vie privée pas seulement pour le patient, mais également pour les professionnels de la santé qui assurent les prestations. Afin d'assurer le niveau de protection requis, les noms des personnes qui assurent les prestations ou les renseignements les concernant ne doivent pas être rendus publics ni communiqués aux médias. Les médecins et autres prestataires de soins, tels que les infirmières praticiennes, devraient se sentir en sécurité lorsqu'ils donnent des soins aux patients.
    Lorsqu'il fournit une aide médicale à mourir à un patient avec lequel il a un rapport de longue date, un prestataire ne devrait pas se sentir sous pression et tenu de faire de même pour d'autres patients dans les mêmes circonstances ou dans d'autres. Chaque cas doit être considéré dans son contexte propre.
    Le Collège des médecins de famille du Canada souhaiterait que les critères relatifs au consentement soient également précisés. Que se passe-t-il si un patient présente volontairement une demande d'aide médicale à mourir, et que pendant la période d'au moins 15 jours définie comme période d'attente, sa capacité mentale se détériore au point qu'il n'est plus en mesure de confirmer sa demande d'assistance? Il conviendrait de préciser les orientations à suivre sur la façon d'aider le patient sans se désintéresser de ses besoins.
    Tant pour les médecins que pour les patients, il est crucial que le processus soit clair, de même que l'accès aux ressources, et que les critères relatifs à la fourniture d'une aide médicale à mourir soient bien compris. Il convient de fournir des garanties que l'objection de conscience du médecin sera dûment prise en considération tout en tenant compte à la fois des droits du fournisseur du service et de la nécessité de garantir que les patients ne seront pas livrés à eux-mêmes lorsqu'ils sont le plus vulnérables.
    Indépendamment de la législation qui sera adoptée, les médecins doivent être conscients de la portée de leur responsabilité lorsqu'ils fournissent des soins à un patient. Le collège estime que le médecin de famille devrait, avant tout, veiller à préserver la qualité de ses rapports avec le patient et les proches du patient durant le dernier chapitre de son existence. Le médecin de famille reconnaît que ceux qui souffrent de maladies ou de handicaps graves et ceux qui sont mourants comptent parmi leurs patients les plus vulnérables, et se comporte en avocat de la santé de ses patients.
    On accorde également une grande importance aux soins palliatifs. Le collège continuera de promouvoir des soins intensifs de haute qualité dans le cadre général des soins fournis en continu par les médecins de famille y compris ceux qui disposent de compétences spécialisées dans ce domaine. Nous pensons que le projet de loi C-14 pourrait être utilement complété par une stratégie nationale de soins palliatifs. Quoique le pourcentage des Canadiens susceptibles de demander une aide médicale à mourir soit faible, tout le monde au Canada est susceptible d'avoir un jour besoin de soins palliatifs. Quel que soit l'endroit où l'on vit au Canada, chacun devrait avoir accès à des soins palliatifs de haute qualité en fin de vie.

  (1850)  

    Les collègues qui m'ont aidée à préparer ce mémoire suggèrent que je vous fournisse maintenant un exemple tiré de la vie réelle.
    On me demande souvent si l'un de mes patients m'a demandé une aide médicale à mourir. La réalité, c'est que personne jusqu'ici ne l'a fait. Je crois que cela tient en partie au fait qu'ils ne savaient pas que cela deviendrait une réalité.
    La seule personne qui me l'a demandé, c'est ma propre mère, au mois de mai 2013. Elle était une « super senior », pour citer M. Housefather, car elle était déjà très âgée. Elle avait 94 ans, souffrait d'insuffisances à la fois artérielles et veineuses terribles dans ses jambes, d'ulcères et de douleurs terribles, que la morphine traitait en la transformant en zombie, et que rien d'autre ne pouvait soulager. Ma mère m'a demandé alors si elle pouvait obtenir une aide médicale à mourir et, à ce moment-là, elle aurait rempli les critères pour en bénéficier.
    Nous nous projetons trois années en avant, et le diagnostic qu'elle a eu, l'artériographie, a eu l'effet d'une thérapie. Ces ulcères sont maintenant guéris, mais ses capacités cognitives ont décliné. Elle est plutôt diminuée. Elle est réellement une personne âgée fragile, et je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui elle pourrait exprimer ce genre de désir, bien que l'on puisse dire qu'elle connaît un certain degré de souffrance existentielle.
    Si on devait lui demander aujourd'hui, elle accepterait probablement que Mère Nature suive son cours. Je pense que, au fur et à mesure que nous avancerons dans l'examen de ce projet de loi, nous devrons accepter l'idée qu'il y a trois ans, nous aurions pu apporter une aide médicale à mourir sur la base des conditions dans laquelle se trouvait ma mère à ce moment-là et elle aurait pu mourir, même si l'on sait qu'elle est aujourd'hui en vie. Je pense que nous devons nous réconcilier avec cette idée. De la même façon, nous devons nous réconcilier avec l'idée que ma mère aujourd'hui âgée de 97 ans, étant une personne âgée fragile, est prête à attendre que Mère Nature suive son cours sans présenter nécessairement la même demande. Même si la qualité de sa vie, à certains égards, peut être considérée comme n'étant pas la meilleure, selon ses propres critères, elle est probablement acceptable. Il nous faut penser à toutes ces choses lorsque nous réfléchissons à ce projet de loi.
     Nous serons heureux de continuer à vous faire part de nos avis et points de vue durant l'élaboration de ce projet de loi.
    Merci beaucoup.
    Je vous remercie vivement de nous avoir fait part de votre histoire personnelle. Cela amènera sans doute nombre d'entre nous à modifier notre point de vue.
    Maintenant, nous allons passer à M. Emberley.
    La parole est à vous.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aussi au Comité de nous avoir invités à parler aujourd'hui.
    D'abord, je voudrais souligner la tâche difficile que vous avez devant vous. Le texte de loi définitif doit trouver un équilibre entre les besoins des patients, le droit d'accès, et la nécessité de veiller à ce que les fournisseurs de soins de santé soient parfaitement formés pour offrir des soins de qualité, quel que soit le contexte.
    Ceci est une question très complexe et émotionnelle pour beaucoup, et qui a dominé une grande partie des discussions au sein de la profession au cours de la dernière année. Très tôt dans nos discussions au sein de la profession, il est apparu que les pharmaciens avaient un rôle important à jouer en tant que dispensateurs de la dose létale de médicaments pour la mort assistée. Au cours de la dernière année, nous nous sommes efforcés avec nos membres de comprendre l'impact de la décision de la Cour et le point de vue des juges sur la question. Nous avons à cette fin mené une enquête approfondie auprès des pharmaciens et élaboré des principes directeurs, que nous avons publiés en février.
     Les pharmaciens sont très conscients de leur rôle en tant que fournisseurs de soins de santé primaires. Ils sont régulièrement classés comme l'une des professions les plus fiables et ils sont souvent le premier point de contact dans notre système de soins de santé.
    Nous entendons déjà des histoires de pharmaciens communautaires auxquels on pose des questions sur l'aide à mourir. La profession trouve très encourageant que le débat autour de la mort assistée ne se limite plus à ce qui était uniquement considéré comme la mort assistée par un médecin et s'étende à ce qu'on appelle aujourd'hui l'aide médicale à mourir. C'est reconnaître que, comme tout autre service ou procédure de soins de santé, l'aide à mourir implique une bien plus grande équipe de professionnels de la santé.
     Cependant, nous devons aussi nous rendre compte que le projet de loi C-14 est seulement une composante de la réponse législative du Canada à la décision de la Cour suprême et que de nombreuses considérations pratiques importantes devront être prises en charge par les provinces et territoires. Le projet de loi devra donc être complété par des règlements et des directives de pratiques.
    D'une manière générale, tel qu'il est rédigé maintenant, nous croyons que le projet de loi C-14 prend dûment en considération le rôle des pharmaciens et protège les pharmaciens qui choisissent de participer de toute responsabilité pénale qui pourrait résulter de la distribution d'une dose létale de médicaments.
    Je voudrais faire quelques commentaires sur certaines des dispositions spécifiques du projet de loi.
     Premièrement, il est important de noter qu'en vertu de l'article 241.1 proposé, l'aide médicale à mourir est permise dans deux cas: elle peut être administrée directement par un médecin ou une infirmière, ou être auto-administrée. Ceci a des implications importantes pour le rôle que les pharmaciens pourraient avoir à jouer. En particulier, dans le cas de l'auto-administration, le rôle des pharmaciens nous semble beaucoup plus important, du fait qu'ils peuvent avoir à distribuer les médicaments directement aux patients. Cela pourrait être la dernière interaction entre le patient et un professionnel des soins de santé avant la mort, nous sommes donc heureux de constater que le paragraphe 241(4) du projet de loi proposé C-14 exempte spécifiquement les pharmaciens de la responsabilité pénale s'ils dispensent une substance à une personne autre qu'un médecin ou une infirmière praticienne.
    Nous sommes également très favorables au projet de paragraphe 241.2(8), qui exige que le médecin ou l'infirmière praticienne qui prescrit la substance informe le pharmacien que la substance est destinée à cette fin. C'est quelque chose que nous avions spécifiquement demandé, et nous sommes heureux de le voir figurer dans la législation.
    En plus des dispositions spécifiques que nous avons mises en évidence, nous voulons également attirer votre attention sur deux éléments clés qui ne sont pas prévus dans la législation, mais que nous estimons tout aussi importants. Bien que nous ne proposions pas de modifications à la loi, nous espérons que le gouvernement fédéral travaillera avec ses homologues provinciaux et territoriaux, ainsi qu'avec les parties prenantes, pour répondre à ces questions dans les prochains mois.
    Sur la question de la conscience, nous croyons fermement que les pharmaciens et les autres professionnels de la santé ne devraient pas être contraints de participer à la mort assistée si elle est contraire à leurs croyances personnelles. La loi ne précise pas si ou comment les professionnels de la santé peuvent refuser une demande. Cela laisse la protection du droit de conscience pour les professionnels de la santé, y compris les pharmaciens, aux provinces et aux organismes de réglementation professionnels. En outre, et afin de veiller à ce que la liberté de conscience soit respectée, les pharmaciens ne devraient pas être obligés de renvoyer le patient directement à un autre pharmacien qui répondra à la demande du patient. Ceci est une considération importante pour les pharmaciens qui considèrent cela comme moralement équivalent à aider personnellement un patient à mourir.
    Pour fournir une protection égale du droit d'un pharmacien à l'objection de conscience et du droit d'accès d'un patient, l'APhC recommande la création d'un organe d'information indépendant autorisé à renvoyer le patient à un pharmacien participant, et nous exhortons le gouvernement fédéral à collaborer avec les provinces et les territoires à la création et à la mise en oeuvre d'un tel système.
    La deuxième question, qui est particulièrement pertinente pour les pharmaciens dans leur pratique au jour le jour, est la question de l'accès aux médicaments.

  (1855)  

    Il n'existe pas de médicament servant spécifiquement à mettre fin à la vie de quelqu'un. C'est plutôt un cocktail de médicaments qui pourrait être administré par une tierce personne ou auto-administré. Différents médicaments peuvent être utilisés en fonction du mode d'administration.
    L'un des graves sujets de préoccupation pour les pharmaciens, qui ne sont tous que trop familiers avec les questions de disponibilité des médicaments et d'accessibilité, est que les médicaments en question sont parfois difficiles à trouver au Canada. Il y a encore du travail à faire pour comprendre quels seraient les médicaments les plus efficaces pour l'aide à mourir. Les faits montrent que de fortes doses de barbituriques sont généralement efficaces et entraînent la mort lorsqu'ils sont auto-administrés tandis qu'une combinaison de barbituriques et d'un agent neuromusculaire bloquant est plus appropriée pour l'injection administrée par un médecin — ou une infirmière.
     Pour vous donner un exemple, dans l'Oregon, le médicament servant pour l'aide à mourir est uniquement auto-administré et doit être choisi parmi deux barbituriques utilisés, dont ni l'un ni l'autre n'est actuellement disponible au Canada. Santé Canada, l'organisme de réglementation des médicaments, devra absolument veiller à ce que les médicaments recommandés, quels qu'ils soient, soient disponibles et accessibles aux patients et à leurs équipes de santé. Nous nous félicitons de l'occasion de travailler avec eux pour résoudre ce problème.
    En conclusion, nous demandons instamment que ce projet de loi soit adopté rapidement afin d'assurer qu'il y ait un cadre en place au plus tard à la date limite du 6 juin, et de donner aux provinces et aux territoires la possibilité d'élaborer des directives et règlements appropriés en matière de pratique clinique. Au cours des prochains mois, nos associations provinciales de pharmaciens continueront de travailler avec leurs organismes de réglementation respectifs afin d'assurer la mise en place de lignes directrices appropriées en la matière.
    Nous vous remercions encore une fois de nous avoir invités à comparaître et nous sommes impatients de répondre à vos questions.
    Merci.

  (1900)  

    Merci beaucoup, monsieur Emberley.
     Nous apprécions beaucoup les différentes interventions, et maintenant nous allons passer aux questions des députés.
    Nous commencerons par M. Cooper.
    Merci, monsieur le président.
    Ma première question s’adresse à Mme Cohen.
    Vous avez un peu parlé des enjeux relatifs à l’aptitude au consentement des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Au départ, la loi dit qu’un médecin ou une infirmière peut déterminer si un patient remplit les critères prévus par la loi. Ne croyez-vous pas qu’un médecin ou une infirmière serait en mesure de déterminer, à tout le moins, la présence d’un problème de santé mentale, et non pas s’il est apte à consentir, ou faut-il être un spécialiste pour prendre ce genre de décision?
    Exactement. La raison de notre recommandation est que tout professionnel de la santé réglementé devrait être en mesure de déterminer s’il y a un problème de ce genre. Je pense qu’il sera plus compliqué de déterminer si ce problème a un effet sur l’aptitude du sujet à donner son consentement. Il peut certainement arriver que, dans le cas de troubles mentaux ou de détérioration cognitive, on doive recourir à quelqu’un qui a reçu une formation plus spécialisée.
    Je veux juste être sûr de vous comprendre: pensez-vous que, disons, un médecin de famille qui a déterminé qu’un patient a un problème de santé mentale ne pourrait pas déterminer l’aptitude de celui-ci à donner son consentement et qu’il devrait alors aiguiller le patient vers un psychiatre, un psychologue ou un neurologue, qui, après une analyse plus complexe, déterminerait l’aptitude du sujet à donner son consentement? C’est bien cela?
    Je ne peux certainement pas me prononcer sur la pratique de tous les professionnels de la santé réglementés, et il est très probable, comme je suis sûre que la Dre Lemire le confirmera, que même les médecins de famille possèdent des sous-expertises ou compétences différentes. C’est pour cela que nous avons recommandé que l’évaluation de ces éléments parallèles complexes liés à des troubles cognitifs ou psychologiques soit effectuée par un professionnel dont c’est le domaine. Lorsque ces éléments sont complexes, il faut le plus souvent consulter un psychiatre, un psychologue ou un neurologue, mais ce ne serait pas nécessaire si le médecin de famille ou professionnel de la santé en question est habilité à cet égard.
    D’après vous, est-ce qu’un psychologue, un psychiatre ou un neurologue serait habilité à faire ce type d’évaluation?
    En général, je dirais que oui, même si, dans le cas par exemple d’une personne âgée atteinte de démence, il vaudra mieux confier l’évaluation à un neuropsychologue clinique. S’il s’agit par contre d’une dépression, c’est plutôt un psychologue clinique qui pourra faire l’évaluation.
    D’accord, je comprends.
    Ma prochaine question s’adresse à la Dre Lemire.
    Dans votre témoignage, si j’ai bien compris, vous avez dit qu’il fallait une formation spéciale pour l’aide médicale à mourir. Pourriez-vous expliquer ce que vous voulez dire?
    Je ne me souviens pas d’avoir abordé directement cette question dans mon exposé. Nous sommes conscients du fait que les professionnels de la santé qui participeront à cette procédure auront certainement besoin d’une formation appropriée. Nous collaborons très étroitement avec l’Association médicale canadienne et avec le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada dans le but d’offrir le perfectionnement professionnel dont ont besoin ceux qui participeront à cette procédure.
    La procédure proprement dite est la dernière étape. Ce qui compte, c’est la relation d’aide entre le médecin et le patient et l’accompagnement de celui-ci au cours de cette étape de sa vie. Il doit y avoir beaucoup de conversations dans le cadre de la profession médicale concernant l’évaluation de l’aptitude au consentement et l’obtention du consentement. Les médecins de famille seront bien placés pour accompagner les patients dans ce cheminement une fois que ces éléments de compétence sont présents.
    J’ai une dernière question pour M. Emberley.
    Concernant la protection des objecteurs de conscience parmi les pharmaciens, vous avez parlé de la création éventuelle d’un organisme indépendant. Je veux être sûr de comprendre ce que vous recommandez.
    Est-ce que, par exemple, si un pharmacien ne veut pas participer à une procédure d’aide médicale à mourir pour des raisons de conscience, il s’adresserait à cet organisme indépendant et que celui-ci mettrait le patient en contact avec un pharmacien disposé à fournir les services dont le patient a besoin? Je crois que ce genre d’organisme existe au Québec. C’était une solution de rechange envisagée dans le projet de loi 52.

  (1905)  

    En effet, c’est le genre de structure que nous avions envisagé. Il s’agirait d’un organisme indépendant tiers qui pourrait jouer ce rôle. Exactement.
    Monsieur Hussen, c’est à vous.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Ma question s’adresse à Mme Lemire. N’êtes-vous pas inquiète que des patients puissent avoir du mal à avoir accès à l’aide médicale à mourir compte tenu des dispositions du projet de loi C-14?
    Les limites sont d’ordre géographique. Dans les zones rurales et les zones éloignées, l’accès pourrait être un problème. Mais il faut bien comprendre qu’il existe actuellement un soutien aux professionnels de la santé et aux patients des zones éloignées par le biais de Télésanté et d’autres mécanismes, mais il est évident que l’accès dans les zones rurales et les zones éloignées du pays est un souci.
    J’ai une autre question, qui concerne l’aptitude au consentement. Si le médecin ou l’infirmière prescrit une substance que le patient s’administrera lui-même, comment feront-ils pour évaluer l’aptitude du patient au moment où il s’administrera le médicament s’il y a lieu?
    C’est une bonne question, dont on a discuté tout à l’heure.
    D’un côté, il est important de respecter le principe de l’autonomie. D’autre part, le suicide assisté est différent de l’euthanasie au sens où, une fois que la substance est prescrite, l’autonomie du patient doit être respectée, et la relation d’aide entre le professionnel de la santé et le patient peut prendre une autre forme puisque la responsabilité de donner suite à la procédure incombe entièrement au patient. J’espère que, dans ce cas, la relation d’aide se prolongera et permettra de soulever cette question, mais ce n’est certainement pas une garantie.
    Concernant la demande d’aide médicale à mourir, d’autres pays exigent plus d’une demande. Le projet de loi C-14 n’en exige qu’une.
    Comment le professionnel de la santé est-il censé déterminer si la demande n’est que de nature passagère s’il n’y en a qu’une? Qu’en pensez-vous?
    Je pense qu’il est important que la loi prévoie deux avis médicaux indépendants. Cela devrait, espérons-le, atténuer ce risque et garantir… eh bien le terme « confort » ne convient pas, mais cela devrait nous donner des paramètres.
    Comme je l’ai dit, que se passe-t-il si, dans les deux semaines après la demande du patient, son état se détériore? Quelle est la responsabilité des professionnels de la santé si l’état du patient se détériore et qu’on n’est pas en mesure d’évaluer cette décision? Je crois qu’il faut obtenir plus de clarté à cet égard.
    Ma question s’adresse à M. Emberley.
    Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir s’est fait dire qu’on avait besoin de s’assurer que les médicaments employés dans le cadre de l’aide médicale à mourir soient disponibles et ne soient pas en rupture de stock, etc.
    Avez-vous des inquiétudes concernant la disponibilité des médicaments employés dans le cadre de l’aide médicale à mourir?

  (1910)  

    Merci de cette question.
    Oui, on s’inquiète. Ces médicaments ne sont plus utilisés depuis un certain temps. Ce sont des barbituriques qui, autrefois, servaient, en doses thérapeutiques, à faciliter le sommeil. À notre connaissance, les entreprises qui fabriquaient ces médicaments ne le font plus.
    Quand nous avons cherché les médicaments employés, par exemple, en Oregon ou aux Pays-Bas, à savoir le sécobarbital et le pentobarbital, nous nous sommes aperçus qu’on n’en trouve plus au Canada. Ils sont fabriqués en quantités limitées aux États-Unis, mais, à notre connaissance, il n’y en a pas au Canada en ce moment. Nous sommes très préoccupés, comme pharmaciens, du fait qu’on ne manque pas des médicaments nécessaires.
    Avez-vous une idée de la façon dont on pourrait régler ce problème?
    Eh bien, je pense qu’il est important que Santé Canada prenne les mesures qui conviennent pour permettre aux fabricants d’importer ces médicaments des pays où ils sont produits.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Hussen.
    La parole est à vous, monsieur Rankin.
    Merci à tous les témoins d’être venus nous voir ce soir.
    Ma première question s’adresse à vous, monsieur Emberley.
    On nous a dit aujourd’hui que, lorsque le médicament est auto-administré, le moment où le médecin prescrit le médicament que le patient peut emporter chez lui est celui où commence l’aide médicale à mourir.
    Ma question est la suivante: d’après vous, est-ce que les pharmaciens sont en mesure d’évaluer l’aptitude du patient pour considérer que son consentement à ce moment précis est valable? Les témoins que nous avons entendus aujourd’hui ont dit qu’il se pourrait qu’un pharmacien donne certains médicaments à un patient des mois et des mois auparavant et que ce patient les garde dans son placard très longtemps avant de les prendre, mais la dernière personne qui aurait à évaluer le consentement exprès du patient serait, bien entendu, le pharmacien.
    Vos membres sont-ils formés pour porter ce genre de jugement?
    Eh bien, pour commencer, nous pensons que la profession doit encore répondre à bien des questions non résolues. Ce que je dirais, cependant, c’est que nous ne croyons pas que cette évaluation de l’aptitude du patient au consentement entre dans le champ de pratique des pharmaciens. Nous pensons qu’il est important que les pharmaciens sachent qu’un patient remplit les critères applicables à l’aide à mourir, mais nous ne croyons pas que les pharmaciens soient en mesure d’évaluer l’aptitude du patient au consentement.
    Mais on nous a dit que c’est précisément ce qu’ils pourraient avoir à faire. C’est l’un des garde-fous prévus dans le nouvel alinéa 241.2(3)h) du projet de loi. Je dirais que ce serait une faiblesse du projet de loi si c’est ce à quoi le gouvernement s’attend.
    Ce serait une préoccupation, et nous travaillons avec les organismes de réglementation des pharmaciens au Canada pour approfondir cette analyse. Si c’est effectivement le cas, il faudra absolument poursuivre les discussions.
    La raison en est les enjeux énormes en termes de responsabilité civile et d’homicide délictuel. Vous avez parlé de la garantie de protection contre la responsabilité criminelle, et je pense qu’on a fait du bon travail à cet égard, mais la responsabilité civile, dans ce cas, serait épouvantable.
    Absolument.
    Oui.
    Ma question s’adresse à Mme Cohen et à la Dre Lemire.
    Docteure Lemire, vous avez abordé le problème de la brusque perte d’aptitude au cours de la période d’attente de deux semaines.
    Je m’adresse à vous deux: quelle serait la fréquence de cette éventualité parmi les patients dont le décès naturel est raisonnablement prévisible? Du point de vue du psychologue et du médecin de famille, est-ce que cette brusque perte d’aptitude est chose rare ou est-ce que, en réalité, c’est assez fréquent parmi ceux qui approchent de la fin de leur vie, et dans ce cas ce serait une grave lacune du projet de loi?
    Il faut s’entendre sur ce que veut dire la prévisibilité raisonnable du décès naturel. Est-ce qu’on parle de deux semaines, un mois, trois mois, six mois, un an? Il va falloir clarifier.
    Si on parle d’un créneau de 6 à 12 mois, il peut se passer bien des choses, et la détérioration de l’état de santé est beaucoup moins prévisible. Si on parle d’un intervalle plus court, la détérioration de l’état de santé sera plus probable et plus risquée du point de vue de cette évaluation.

  (1915)  

    Docteure Cohen, s’il vous plaît.
    Ce sera très variable selon la situation. La Dre Lemire a employé l’exemple de la sclérose en plaques. J’ai travaillé pendant des années, comme psychologue de réadaptation, avec des gens qui souffraient de symptômes touchant le cerveau et la moelle épinière, comme dans le cas de la SP. L’une de ses caractéristiques est évidemment que cela peut être très imprévisible. Il peut donc être très difficile de dire si les problèmes moteurs d’un patient sont essentiellement attribuables à la SP et si c’est par la suite qu’il commence à souffrir de problèmes cognitifs.
    Vous avez dit, docteure Lemire, qu’il faut « plus de clarté ». Puis, quand vous avez donné l’exemple de la SP et parlé de la prévisibilité raisonnable du décès naturel, vous avez dit qu’il faudrait obtenir des précisions sur ce critère. Est-ce que vous êtes en train de dire qu’il faudrait apporter une modification pour clarifier les objets de cette loi?
    Nous pensons que l’énoncé de principe doit être clarifié. Il est bon d’être exhaustif et de laisser une certaine marge à la relation entre le professionnel de la santé et le patient pour qu’ils aient cette conversation et puissent le faire, mais les professionnels de la santé voudront aussi s’appuyer sur un délai.
    Vous avez 25 secondes.
    Merci. Je ne peux pas poser ma question en 25 secondes, monsieur le président.
    Je comprends.
    Est-ce que je peux profiter de ses 25 secondes?
    Pour l’instant, la parole est à Mme Khalid.
    Merci beaucoup de cet exposé. Vos observations ont été très instructives.
    Monsieur Emberley, vous avez parlé d’une tierce partie ou d’un organisme indépendant concernant les pharmaciens qui fournissent les médicaments. Pensez-vous que ce serait un problème dans les régions éloignées où il n’y a qu’un seul pharmacien pour toute une collectivité rurale locale? Comment cet organisme fonctionnerait-il dans ce cas?
    Nous pensons que c’est une question très importante. Les organismes de réglementation provinciaux sont en train de rédiger des directives pour leurs membres, et c’est un facteur très important. Ils doivent approfondir certains de ces aspects parce qu’ils doivent tenir compte des besoins de leurs populations. C’est une question qu’ils devront régler au plus vite pour optimiser l’accessibilité.
    Merci.
    Une question à tous les témoins: les honorables membres du comité ont formulé beaucoup de questions et de préoccupations concernant le respect du droit de conscience, l’aptitude au consentement, l’administration du projet de loi et la grande question de fond, à savoir si le projet de loi sera appliqué de la même façon dans tout le pays.
    Que pensez-vous des perspectives provinciales et croyez-vous que les provinces seront en mesure de s’entendre sur une approche systématique de l’aide médicale à mourir?
    L’une ou l’autre d’entre vous peut répondre.
    L’administration des soins de santé n’est pas toujours systématique d’un bout à l’autre du pays, et il pourrait donc être difficile d’imaginer les difficultés soulevées par l’application systématique du projet de loi.
    Le Québec a pris de l’avance dans l’application de ce projet de loi. Il est peu probable qu’il change profondément son système. Il est probable qu’il continuera à battre le rappel. Il y a déjà des différences.
    Mais je pense que le fait que le gouvernement fédéral prenne position et apporte sa contribution aura un effet dans l’ensemble du pays et offrira une mesure d’équité en dépit des différences. Il ne faut pas minimiser l’importance de ce que nous avons devant nous aujourd’hui du point de vue de la possibilité d’instaurer une certaine équité tout en comprenant qu’il peut y avoir des différences entre les provinces.
    Je me rends compte que je navigue comme un bon politicien, mais c’est quand même ce que je pense.

  (1920)  

    Y a-t-il des modifications que vous aimeriez proposer pour garantir la cohérence entre les provinces?
    Je ne suis pas une spécialiste juridique…
    J’aimerais répondre à la question précédente.
    Nous sommes une association volontaire de pharmaciens. Il n’existe pas d’organisme de réglementation de la profession, mais nous estimons que l’association a un rôle à jouer dans l’élaboration d’un consensus sur les directives qui permettraient d’harmoniser nos pratiques dans l’ensemble du pays.
    J’espère avoir assez de temps pour ma dernière question.
    Je m’adresse à tous les témoins. Je suppose que vous avez lu le projet de loi et que vous comprenez comment il sera appliqué. Je me demandais si vous avez imaginé la situation d’un patient hypothétique qui suivrait la démarche de l’aide à mourir avec un médicament administré par le médecin et un médicament administré par lui-même selon la procédure décrite dans le projet de loi. Pourriez-vous nous en parler?
    Docteure Lemire.
    Non, je n’ai pas fait cet exercice de façon systématique.
    Dans l’exemple que j’ai donné dans mon exposé, j’ai bien sûr suivi la démarche proposée dans le projet de loi. Si on retourne à 2013 et à la question de l’euthanasie, je pense que cela aurait certainement été possible.
    Je reconnais le principe de l’autonomie concernant le suicide assisté. Je m’inquiète de certains des éléments discutés aujourd’hui du point de vue de l’altération éventuelle de la relation d’aide entre le professionnel de la santé et le patient une fois le médicament prescrit.
    La relation sera altérée. L’élément d’aide en sera altéré. Il y a un autre aspect: s’assurer que la personne qui convient remplisse l’ordonnance et que le patient soit apte à s’administrer le médicament. Tout cela soulève des questions concernant le suicide assisté, mais je crois que le principe de l’autonomie doit quand même être respecté.
    Je dirais que le degré de confort du professionnel de la santé dans cette relation d’aide est quelque chose qui crée un peu plus d’incertitude pour moi, c’est un fait.
    Nous n’avons pas non plus fait cette démarche systématique.
    Le rôle des psychologues sera probablement beaucoup plus circonscrit que celui de nos collègues médecins et pharmaciens. Je pense que nos recommandations traduisent bien notre souci que l’on consacre beaucoup de temps et d’attention à ce genre de décision. Notre préoccupation tient au fait que le projet de loi actuel ne le dit pas suffisamment.
    J’ai une question très brève, si vous permettez.
    Très brève.
    Concernant les médicaments administrés par le patient lui-même, qu’est-ce que le pharmacien va lui donner exactement? Seulement un comprimé? Une injection? Comment est-ce que cela se passe?
    Je peux parler seulement de ce qui se passe en Oregon, où il existe l’aide médicale à mourir. Là, on remet deux trousses d’euthanasie au patient, au cas où l’une d’elles serait défectueuse. La trousse est complète, elle contient deux médicaments différents. Le premier permet au patient d’éviter de vomir, le deuxième est le barbiturique qui le fera mourir. Je crois que c’est comme ça que ça marche.
    Merci.
    J’ai une question concernant quelque chose que le ministère de la Justice m’a mis au défi de faire. J’avais soulevé la question du caractère insuffisamment clair de la « prévisibilité raisonnable ». J’avais dit que, hypothétiquement, un médecin devrait déterminer qu’il est plus probable que le contraire, médicalement parlant, que le décès soit raisonnablement prévisible dans un certain délai, disons un an. On m’a répondu que les associations médicales préfèrent généralement avoir plus de latitude et n’être pas liées par un délai.
    Si j’ai bien compris, docteure Lemire, vous préféreriez qu’un délai soit précisé.

  (1925)  

    En effet.
    Voilà qui est clair.
    Et vous, madame Cohen?
    Je ne suis pas sûre. Je ne sais pas vraiment quoi suggérer, parce que ce n’est pas nous qui prendrions cette décision.
    C’est vrai.
    J’ai une dernière question à ce sujet. Diriez-vous que l’un des deux professionnels en présence devrait être le médecin traitant à condition que celui-ci ne s’oppose pas à l’aide médicale à mourir pour des raisons de conscience?
    Dans cette situation, le médecin ne…
    Ce n’est pas un objecteur de conscience. C’est la personne qui ferait la démarche. Est-ce que l’un des deux devrait être le médecin traitant?
    Je dirais que le médecin de famille, qui a une relation de longue date avec le patient dans ces circonstances, est bien placé pour être l’un des professionnels de la santé engagés dans la relation d’aide avec le patient. Tout à fait.
    Merci d’avoir répondu à mes questions et à celles du groupe. Je sais que tous ont apprécié vos réponses ainsi que vos exposés. Merci d’être venus nous voir.
    Nous prendrons deux minutes avant de passer au deuxième groupe. J’invite les membres du prochain groupe à s’avancer.

    


    

  (1930)  

    Reprenons.

[Français]

     J'aimerais souhaiter la bienvenue aux nouveaux témoins. Nous sommes ravis d'accueillir des membres du Barreau du Québec. Nous recevons Me Giuseppe Battista,

[Traduction]

qui est le président du Comité en droit criminel.

[Français]

    Nous recevons aussi Me Jean-Pierre Ménard, qui est membre du Groupe de travail sur les soins de fin de vie, et Me Marc Sauvé, directeur du Service de recherche et législation.

[Traduction]

    Nous avons aussi le Dr Will Johnston, membre de la Coalition pour la prévention de l’euthanasie de la Colombie-Britannique. Et ensuite, Mme Françoise Hébert, présidente de l’organisme End of Life Planning Canada. Elle est accompagnée par M. Nino Sekopet, responsable des services à la clientèle.
    Nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous. Commençons par vos exposés.

[Français]

    Nous allons commencer par les représentants du Barreau du Québec.
    Monsieur Sauvé, je vous cède la parole.
    Mesdames et messieurs les membres de cette auguste assemblée, je me présente: je suis Marc Sauvé, directeur du Service de recherche et législation du Barreau du Québec. Pour cette présentation, je suis accompagné de Me Giuseppe Battista, qui est président de notre Comité en droit criminel, et de Me Jean-Pierre Ménard, qui est membre du Groupe de travail sur les soins de fin de vie.
    Le Barreau du Québec, ce n'est une surprise pour personne, est l'ordre professionnel des avocats dont la mission est la protection du public. Celle-ci s'exerce par le contrôle de l'exercice de la profession, mais aussi, du point de vue sociétal, par la promotion de la primauté du droit.
    Sans plus tarder, je vais céder la parole à Me Battista, qui va aborder certains aspects du droit criminel que comporte notre mémoire. Par la suite, Me Ménard va aborder d'autres aspects, en particulier l'interrelation avec la législation provinciale.
    Au départ, je vais dire que nous saluons l'initiative législative qui répond à la demande de la Cour suprême dans l'affaire Carter. De façon générale, nous disons que c'est positif. Par contre, je voudrais attirer l'attention des membres du Comité sur les réserves que nous avons au sujet du projet de loi. Je vais attirer votre attention sur quatre éléments, Me Ménard donnera plus de détails à ce sujet, puis nous répondrons à vos questions.
    La première réserve que nous avons porte sur l'infraction qui consiste à conseiller à une personne de se donner la mort. On prend le soin d'exempter le fait d'aider quelqu'un à se donner la mort, mais on n'exempte pas le fait de donner un conseil à cet égard. Nous croyons que le projet de loi devrait préciser de manière explicite que le fait pour un médecin d'expliquer à un patient tous les soins qu'il a à sa disposition, y compris l'aide médicale à mourir, ne constitue pas une infraction. En somme, il doit y être précisé que le fait de conseiller à une personne de se donner la mort ne constitue pas une infraction pour un médecin. Une distinction claire devrait être établie à cet égard. Les médecins ou les praticiens dans le domaine de la santé devraient être exemptés de l'accusation d'avoir commis une infraction du fait d'avoir donné de l'information qui peut s'apparenter à un conseil.
    Le deuxième élément est que, en vertu du projet de loi, la définition d'aide médicale à mourir inclut aussi le fait pour un médecin de prescrire ou de fournir une substance qui causera la mort d'une personne, alors que c'est cette personne qui doit s'administrer elle-même la substance qui causera sa mort. Nous avons une préoccupation à cet égard. On peut facilement imaginer la situation qui pourrait se produire si le professionnel de la santé n'est pas présent au moment où la personne s'administre la substance qui causera sa mort. Comment pouvons-nous savoir que cette personne est morte pour cette raison? De plus, il y a des problèmes sur les plans déontologique et législatif qui risquent de mettre les professionnels de la santé en situation de dilemme ou de conflit avec leurs propres normes et leur propre réglementation. Nous croyons que la loi devrait s'arrimer et prévoir ces situations. On ne peut simplement pas donner à quelqu'un quelque chose qui peut causer la mort sans qu'il y ait un suivi. Nous avons donc une préoccupation à cet égard.
    Également, en regard du principe de l'arrêt Carter, la loi est, selon nous, un peu trop restrictive. Pour obtenir l'aide médicale à mourir, il doit être démontré que la situation médicale de la personne qui la demande est caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités et que la mort naturelle de cette personne est devenue raisonnablement prévisible, compte tenu de l'ensemble de la situation médicale, sans pour autant qu'un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie. Selon nous, ces critères ne se retrouvent pas dans l'arrêt Carter, et nous pensons que la loi doit partir des principes et des énoncés qui se trouvent dans l'arrêt Carter et encadrer cet exercice. Il y a un risque évident que la loi fasse l'objet de contestations. Me Ménard pourra d'ailleurs vous entretenir plus à fond de cette question.
    Le dernier élément, que j'expliquerai rapidement, concerne les nouvelles exigences quant aux documents que les médecins devront remplir. Ils doivent remplir des formulaires. Bien que la loi prévoie que c'est de façon consciente qu'on ne respecterait pas les exigences contenues dans les formulaires, il est un peu excessif, selon nous, de criminaliser le fait de ne pas avoir rempli un formulaire de manière adéquate. La réglementation et les lois provinciales qui encadrent la pratique médicale devraient normalement suffire pour ce type d'informations.
    Je vais maintenant céder la parole à Me Ménard.

  (1935)  

    Le Barreau du Québec est le premier intervenant qui provient d'une province où il existe une loi sur l'aide médicale à mourir. Celle-ci est en vigueur depuis le 10 décembre 2015. On signale déjà plusieurs dizaines de cas et on commence à vivre des difficultés d'application dans certaines situations. Pour enrichir votre débat, nous vous ferons part des difficultés qu'on a perçues ici et là, afin d'éviter que la loi fédérale ne soulève les mêmes difficultés. Elles ne sont pas majeures, mais il faut être conscient de ces choses.
    Comme Me Battista l'a signalé, la première remarque concerne la question de l'aide au suicide. La loi québécoise n'encadre pas l'aide au suicide. N'oublions pas que la loi québécoise est très élaborée. Elle vise à englober l'ensemble des pratiques d'aide médicale à mourir qui sont de compétence provinciale. On a décidé de ne pas encadrer l'aide au suicide parce que c'était perçu, à l'époque, comme une facette de nature essentiellement criminelle, et la province n'avait pas compétence en la matière. La loi provinciale est une loi de soins et n'est pas une loi à caractère criminel. Par conséquent, l'aide au suicide n'a pas été encadrée. Par contre, on la rendra maintenant accessible par l'entremise de l'aide médicale à mourir.
    Nous croyons qu'il est important de penser à des mesures d'encadrement que n'offre pas la loi du Québec ou toute autre loi provinciale. Comme Me Battista l'a souligné, une des difficultés provient du fait que le médecin n'a aucun contrôle sur ce qui arrive une fois qu'il a fourni le médicament au patient. Il n'est même pas en mesure de certifier que le patient est bel et bien décédé à cause du processus ni de déterminer quand cela s'est passé. Dans la mesure où la loi fédérale permet l'aide au suicide, nous pensons qu'il serait préférable que la loi prévoie davantage d'obligations, comme celle qu'auraient les gens qui assistent la personne de signaler immédiatement que celle-ci s'est administré la mort, que ce soit au médecin ou à une autorité publique, pour qu'on puisse contrôler la bonne administration de ce processus.
    Comme Me Battista l'a souligné, il y a une difficulté relativement aux obligations déontologiques des médecins. On parle, par exemple, de l'obligation de suivre son patient et de ne pas l'abandonner. En effet, pour certains médecins, donner une pilule au patient et le laisser se l'administrer lui-même est vu comme une forme d'abandon. Il peut aussi être difficile pour un médecin de s'impliquer dans un tel processus.
    Parlons de la compatibilité avec l'arrêt Carter. N'oublions pas que l'on va dorénavant mesurer la portée de la loi à l'aune de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel est plus large que ce que le projet de loi propose. Si on adopte un critère plus restrictif que ce que permet maintenant l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, il est clair que cela ouvre la porte à des contestations judiciaires. Pour le Barreau du Québec, il n'est pas souhaitable que des gens qui pourraient avoir accès à l'aide médicale en vertu des critères de l'arrêt Carter ne l'aient plus à cause du projet de loi C-14. On a vu, au Québec, ce qui arrive lorsqu'on a un critère un peu plus restrictif. Par exemple, des gens ont cessé de s'alimenter pour devenir admissibles en vertu de la loi. Ce genre de situation créée en raison d'un critère plus restrictif n'est pas souhaitable. C'est important et c'est pourquoi nous avons recommandé cela.
    Par ailleurs, nous pensons que le critère de mort raisonnablement prévisible est trop flou, trop incertain. Pour le Barreau du Québec, il est important que les citoyens puissent compter sur une norme juridique la plus claire possible. Le fait que ce soit sujet à interprétation de façon aussi importante, à cause de la manière dont c'est formulé, risque de priver certains Canadiens du droit constitutionnel à l'aide à mourir. Si on veut qu'il y ait un tel critère, il est important de mieux le développer. Par contre, vu que ce critère n'existe pas dans l'arrêt Carter, nous pensons que le laisser dans le projet de loi ouvrira la porte à des débats judiciaires. C'est pourquoi nous recommandons purement et simplement d'enlever l'alinéa 241.2(2)d) proposé dans le projet de loi.
    Parlons de quelques situations plus techniques en ce qui a trait aux mesures de sauvegarde, notamment la question des caractéristiques rattachées aux témoins. On impose des normes tellement strictes qu'il sera difficile, même pour la personne, de trouver un témoin pour signer. On élimine les membres de la famille et beaucoup de gens, aussi. Il ne faut pas oublier que le témoin n'atteste que la signature, rien de plus. De toute façon, le médecin va devoir vérifier que le patient a donné son consentement de façon libre. Je pense qu'on en impose beaucoup aux témoins. Ces critères seraient plus appropriés si on demandait de consentir à la place d'une autre personne. Dans le cas d'un simple témoin, nous pensons que ces mesures sont beaucoup trop rigides.
    Passons à la question de la déclaration. Notre mémoire est conçu dans l'optique où il existe une loi provinciale très détaillée et où l'on ajoute une loi fédérale. Pour éviter la multiplication des formalités et des rapports, je pense qu'il serait important que la loi prévoie qu'il y ait une exemption lorsque le gouvernement du Canada est satisfait des mesures de déclaration qui existent dans une province, pour éviter que les médecins aient à faire plusieurs déclarations. La paperasse décourage aussi un certain nombre de médecins de faire ces choses.

  (1940)  

     Au Québec, le processus de rapport est déjà très élaboré. Pourquoi faudrait-il qu'un rapport supplémentaire soit présenté? Je crois que cela ne ferait qu'alourdir inutilement le processus. Par contre, rien n'empêcherait l'autorité fédérale de requérir de la province qu'elle fournisse des données recueillies par l'entremise de son propre mécanisme de surveillance. Dans le cas du Québec, la surveillance de l'aide médicale à mourir est exercée par la province. Nous avons une institution spécialement dévolue à cela, qui s'appelle la Commission sur les soins de fin de vie, en plus de la surveillance exercée par le Collège des médecins et de celle du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens. Alors, de vouloir créer un nouveau palier de surveillance nous apparaît assez inutile. Il faut tenir compte de la possibilité d'imposer des mesures de contrôle moins lourdes dans les provinces où il y a déjà une loi à ce sujet.
    Merci.
    Merci beaucoup de votre présentation.

[Traduction]

    Passons aux représentants d’End of Life Planning Canada.
    Vous avez la parole, madame Hébert.

[Français]

[Traduction]

    Merci, monsieur le président, de m’accorder le privilège de m’adresser au Comité ce soir.
    Je m’appelle Françoise Hébert. Je suis présidente de l’organisme End of Life Planning Canada. Avant de prendre ma retraite, il y a quatre ans, pour devenir bénévole à temps plein, j’étais directrice de l’Alzheimer Society of Toronto. Nous avons en fait aidé le personnel du chef Blair à s’y retrouver.
    Mon collègue Nino Sekopet est psychothérapeute. Il s’occupe de nos services à la clientèle. Vous l’avez peut-être vu dans le dernier numéro de Maclean's, où on le présente comme le plus important conseiller du Canada en matière d’aide à mourir. Nino est la personne à consulter si on veut discuter, en toute sécurité et confidentiellement, de la façon de mourir dans la dignité. Il est assiégé par les médias en ce moment, c’est son 15 minutes de gloire.
    End of Life Planning Canada regrette que le projet de loi C-14 impose certaines limites et conditions qui fermeront la porte à la possibilité de l’aide à mourir pour beaucoup de Canadiens qui par ailleurs pourraient remplir les critères énoncés dans la décision Carter.
    Le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir a tout à fait raison, à notre avis, et nous espérons que vous serez d’accord pour dire qu’il faut faire preuve de courage et de bon sens quand on réglemente un enjeu relevant de la Charte des droits et libertés, même si cela suppose qu’on aille plus loin que d’autres pays dans la façon d’aborder la décision difficile et extrêmement personnelle de demander de l’aide pour mourir. Nous vous supplions, chacun de vous autour de cette table, comme les juges de la Cour suprême l’ont fait eux-mêmes, de vous imaginer dans un état de santé aussi grave qu’irrémédiable qui vous cause des souffrances intolérables. C’est à partir de là qu’il faut légiférer.
    Je passe la parole pour quelques minutes à mon célèbre collègue Nino Sekopet.

  (1945)  

    Merci de m’avoir invité. Je m’appelle Nino Sekopet et je suis le psychothérapeute engagé par End of Life Planning Canada pour aider les gens qui cherchent un endroit sécuritaire pour parler de leur mort. Pendant quatre ans avant cela, j’ai joué le même rôle auprès de l’organisme Dying With Dignity Canada.
    Je m’occupe de la question très complexe et profonde de la fin de vie. C’est pour moi un continuum qui, malheureusement, se divise en deux extrêmes à forte charge émotionnelle et très polarisés. Il y a d’un côté les gens qui appuient l’aide médicale à mourir et il y a ceux qui s’y opposent. Il y a aussi un vaste espace entre les deux pôles. Si on considère les choses du seul point de vue psychologique, je crois que, quand on se positionne sur l’un de ces pôles, individuellement ou collectivement, et qu’on déserte l’espace intermédiaire, on passe à côté de quelque chose de très important. On passe à côté de ce qui précisément charge ces pôles. On oublie l’impact que cela a sur la fin de vie. On oublie l’impact de la peur et de l’insécurité dont sont chargés ces deux pôles.
    Je crois que, si nous abordons correctement la question de l’impact de la peur et de l’insécurité et si nous le faisons dans la mesure nécessaire, ces extrêmes polarisés perdront une partie de leur charge. Autrement dit, nous serons moins polarisés. Individuellement et collectivement, nous deviendrons plus sains et plus disposés à tenir compte de nos différences et à les accepter. Nous deviendrons plus inclusifs et non pas exclusifs. Nous deviendrons plus tolérants.
    Ce que j’ai appris auprès des gens qui approchent le moment de leur mort est que la clarté est le meilleur moyen de contenir la peur et d’ouvrir un espace où ces patients puissent se sentir plus en sécurité. La clarté offre un espace psychologique où les gens peuvent se détendre librement, en sachant qu’ils sont en sécurité et qu’on les écoute. Cela s’applique à tous ceux qui sont en fin de vie. Cela s’applique également aux professionnels de la santé, aux patients et à leur famille.
    D’après mon expérience, le critère de la prévisibilité raisonnable du décès naturel envisagé dans le projet de loi C-14 offre peu de sécurité et constitue un cadre de référence fragile. Parce qu’il est ouvert à interprétation, il suscite de la peur et de l’insécurité au lieu d’offrir un espace de sécurité. Si on supprime ce critère du projet de loi, on rétablira la clarté instaurée par la décision Carter de la Cour suprême. Tous ceux qui sont engagés sur le territoire de la fin de vie, patients et professionnels de la santé, en bénéficieront. Et, en fin de compte, c’est nous tous qui en bénéficierons, individuellement et collectivement.
    Je vous invite à entrer dans le vaste espace intermédiaire et à contenir la peur de tous ceux qui sont engagés sur le territoire de la fin de vie en supprimant du projet de loi le critère de la prévisibilité raisonnable du décès naturel. Je vous invite à faire confiance à ceux qui subissent de terribles souffrances et à leur médecin, pour savoir quand leur temps est venu. Ce faisant, vous redonnerez une mesure de sécurité à ceux qui sont engagés sur ce territoire, quelle que soit la place qu’ils y occupent.
    Je vous remercie.

  (1950)  

    J’aimerais aborder maintenant le deuxième point de notre mémoire, à savoir les demandes anticipées d’aide médicale à mourir.
    Le projet de loi C-14 ne tient pas compte de la recommandation numéro 7 du Comité mixte spécial, qui aurait autorisé les demandes anticipées lorsque la maladie diagnostiquée risque d’entraîner une perte de compétence, par exemple dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Le gouvernement propose plutôt une étude distincte de la question des demandes anticipées, et il pourrait réexaminer la question dans cinq ans, lorsque le projet de loi fera l’objet d’une évaluation.
    Voici notre point de vue.
    Les maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer sont des maladies terminales. Elles tuent les cellules vitales du cerveau, lentement et cruellement. La maladie peut durer 20 ans après le diagnostic. Dans les dernières étapes de ces maladies, le corps est vivant, mais le cerveau est abîmé de façon irréparable. Le patient est devenu une coquille vide, il vit dans un état avancé de déclin irréversible de ses capacités. C’est un état pitoyable.
    L’idée de vivre dans un état de démence me fait très peur. J’aimerais mieux être morte que vivre les dernières étapes de la démence. Nous avons tous entendu quelqu’un dire « Tuez-moi » à l’idée d’être atteint de démence grave. Nous prévoyons la perte de qualité de leur vie à venir. Ils prévoient la qualité de leur vie à venir et ils nous supplient d’être autorisés à obtenir une aide médicale à mourir si, à ce stade, ils ont perdu l’aptitude à en faire la demande. Nous pensons qu’une demande anticipée valable comprenant une description précise et vérifiable par un tiers d’un état à venir si dénué de qualité que la vie elle-même serait intolérable pour le patient qui survivrait à son aptitude à demander l’aide médicale à mourir.
    Certains diront que cela ne peut pas marcher parce que cette personne pourrait changer d’avis, mais nous estimons que, quand on perd l’aptitude à faire un choix éclairé concernant son propre corps, on perd également l’aptitude à changer d’avis, et la demande anticipée serait l’expression des dernières volontés de la personne en pleine possession de ses moyens cognitifs.
    Si ma demande anticipée, dûment écrite et confirmée par témoin, décrit un état si dénué de qualité qu’il me serait intolérable et si ma description de cet état est suffisamment claire pour que mon représentant légal et deux professionnels de la santé indépendants puissent confirmer que la détérioration de mon état est telle que je l’ai décrite clairement dans ma demande, alors cette demande devrait remplir les critères juridiques permettant que je reçoive une aide médicale à mourir.
    En gros, cela revient à ceci. Le projet de loi C-14 devrait énoncer des règles claires sur l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, mais en tenant compte de l’autonomie du patient qui devrait pouvoir, après consultation de professionnels de la santé, décider quand la souffrance devient intolérable au point que la mort est préférable. Cela peut se faire en temps réel ou cela peut se faire de façon anticipée par le biais d’une demande claire et dûment vérifiée. Nous vous supplions de ne pas abandonner à leur sort pitoyable les Canadiens qui prendraient le temps de rédiger une demande anticipée d’aide médicale à mourir au cas où ils perdraient ultérieurement l’aptitude à faire une demande contemporaine de leur état.
    Faites confiance aux gens qui vous ont élus pour les représenter et faites confiance à la profession médicale.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    À vous la parole, docteur Johnston.
    Merci beaucoup, monsieur le président et mesdames et messieurs du Comité. C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui.
    Je suis médecin de famille depuis 35 ans. Je pratique des accouchements. Je m’occupe aussi de patients en soins palliatifs. Et je m’occupe de personnes handicapées qui ne sont pas près de mourir. Je suis peut-être le seul autour de cette table à avoir effectué des évaluations d’aptitude, une centaine en fait, dont beaucoup étaient à la fois médicales et juridiques.
    C’est avec un certain soulagement que j’ai constaté que le projet de loi C-14 en première lecture abordait la question de façon très prudente. Bien loin d’essayer de faire une percée ou d’être à l’avant-garde du monde entier par sa nature audacieuse, il traduit une perspective très responsable à l’égard de beaucoup des enjeux auxquels nous faisons face.
    J’aimerais prendre une minute pour vous parler d’oncle Matt.
    Oncle Matt était un vieil homme fort parti à la chasse dans le nord de la Colombie-Britannique. Il avait passé deux semaines dans la forêt, mais, à son retour, près de Chilliwack, il a commencé à ressentir une faiblesse dans un côté de son corps. C’était un infarctus. Il a finalement été transféré à l’hôpital Memorial de Surrey, et je l’ai rencontré 10 jours après le retrait du tube qui l’alimentait. Sa nièce m’a contacté parce qu’elle avait compris qu’il voulait mourir. Il pouvait dire « faim », « soif », et sa nièce avait demandé à la fille d’oncle Matt: « Pourquoi est-ce qu’on ne remet pas ce tube? Il veut vivre! » La réponse a été la suivante: « J’ai fait les comptes, et ce n’était pas un homme très bon. »
    La nièce et un autre des neveux d’oncle Matt l’ont kidnappé et l’ont emmené à l’hôpital général de Vancouver. L’infirmière de l’hôpital, même s’il était capable de grogner « soif! », savait que les deux n’avaient pas de pouvoir de procuration et elle a renvoyé oncle Matt en ambulance au Memorial de Surrey. Il est mort.
    Il est mort pendant une audience d’urgence que j’ai contribué à obtenir, au cours de laquelle le juge a effectivement ordonné qu’on remette le tube d’alimentation, qu’on réhydrate le patient et que son véritable désir soit pris en considération.
    Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que les gens qui se sont adressés à Nino ou à Françoise sont comme oncle Matt, parce que ces gens ont pris eux-mêmes la décision de rencontrer des représentants d’organisations vouées à la fin de vie. Je veux simplement dire que le système médical, dans son état actuel, était composé pour oncle Matt de médecins qui n’entendaient pas son désir de vivre et ne voyaient pas qu’il était délibérément déshydraté à mort — il faut savoir que sa fortune s’élevait à plusieurs millions de dollars en biens fonciers — et que la direction de l’hôpital s’inquiétait plus de ne pas s’exposer à des poursuites que de respecter le désir d’oncle Matt.
    C’est ce qui me ramène à ce projet de loi qui, bien qu’on puisse le supposer, ne dit nulle part que les médecins doivent effectivement examiner le patient ni ne précise l’ampleur de cet examen pas plus que la mesure dans laquelle les médecins doivent prendre en considération les facteurs internes et externes qui rendent le patient vulnérable. Je vous renvoie à la norme sur la protection des personnes vulnérables, qui est publiée et qui prévoit quatre éléments principaux qui devraient faire partie de ce projet de loi.
    Ce manque d’exigence concernant les deux professionnels de la santé, je parle des médecins et des infirmières, à s’engager profondément à l’égard du patient commence par l’acceptation d’une demande écrite, qui peut être rédigée devant deux témoins par quelqu’un qui représente le patient et prétend comprendre la nature de sa demande. Les professionnels de la santé ne sont pas tenus de tenir compte des motifs du représentant ni de les évaluer. Il suffit que le représentant du patient et deux témoins soient physiquement présents, mais un professionnel de la santé n’a pas besoin d’être là.
    Les deux témoins ne sont pas tenus de comprendre la situation, en dehors du fait qu’une demande est signée et datée. Ils ne sont pas tenus de connaître l’aptitude décisionnelle du patient ou les motifs du représentant. Selon le projet de loi, n’importe qui peut chercher parmi un nombre indéfini de médecins les deux qui approuveront l’aide à mourir, quelle que soit la situation.
    Les facteurs énumérés dans les mesures de sauvegarde, à l’article 241.2 du projet de loi, sont discutables à bien des égards. Je propose donc que la première des quatre modifications que je souhaiterais soit de prévoir un examen préalable par un tiers, comme un juge objectif indépendant, par exemple, ou une procédure quelconque d’examen des faits qui ont amené quelqu’un à proposer le suicide assisté ou l’euthanasie pour le patient.

  (1955)  

     Je peux vous dire que c’est une tâche extrêmement difficile, que j’ai assumée très souvent. Je pense que, si on s’attend à ce que deux professionnels de notre système médical puissent le faire, on s’expose à l’homicide délictuel. Je suis convaincu que, dans 20 ans, comme vous devez le comprendre, beaucoup de décès auront eu lieu sous les auspices du projet de loi C-14. Je suis convaincu que vous voudrez pouvoir penser que, si des homicides délictuels découlent de ce projet de loi, vous aurez fait de votre mieux pour combler ses lacunes et ses insuffisances et protéger vraiment les personnes vulnérables. Dans l’état actuel des choses, la norme des deux professionnels de la santé chargés d’évaluer le consentement et l’aptitude au consentement est, selon moi, insuffisante, et je crois que je ne suis pas le seul à le penser.
    Ma deuxième observation est qu’il semble que M. Rankin soit celui qui comprend le mieux le fait que beaucoup de temps peut s’écouler entre le moment où le médicament est prescrit et celui où il est administré au patient. Entre ces deux moments, il y a, hélas, place aux abus. En Oregon, une fois la dose remise au patient à la pharmacie, elle disparaît dans la nature et aucun compte n’en est rendu. Si le patient s’est débattu et que la dose lui a, en fait, été donnée par quelqu’un d’autre, personne ne le saura.
    L’insistance de M. Rankin à ce sujet peut viser à ouvrir la voie au consentement anticipé, mais je crois qu’on peut déduire autre chose de ses fines observations, et cela concerne la formulation de l’alinéa 241.2(3)h), sous la rubrique des mesures de sauvegarde, qui prévoit que le médecin doit:
[…] immédiatement avant de fournir l’aide médicale à mourir, donner à la personne la possibilité de retirer sa demande […].
     Je suis d’avis que la formulation devrait être « au moment de » fournir l’aide médicale à mourir. Par ailleurs, pourquoi la dose létale ne serait-elle pas remise par le pharmacien non pas au patient, mais au médecin, lequel pourrait s’assurer au moment de son utilisation que les éléments de consentement et l’aptitude au consentement sont bien présents? Cela répondrait aux préoccupations de M. Emberley, de l’association des pharmaciens, et à certaines de celles de Francine Lemire.
    Comme nous l’avons entendu à quatre reprises, je crois, de la bouche de la ministre Wilson-Raybould rien dans cette loi ne contraint quiconque à participer à une procédure de suicide assisté ou d’euthanasie. Je crois qu’il est temps que ces mots apparaissent effectivement dans le projet de loi: « Rien dans cette loi ne contraint quiconque ». Cela pourrait être énoncé dans le préambule, ou dans une autre partie. Je crois que cela circonscrirait plus clairement l’aspect central de la protection des objecteurs de conscience et du jugement professionnel qui est si souhaitable.
    Il y a une autre question, évidemment, et c’est celle de savoir si on peut effectivement apporter une simple modification de vocabulaire dans la partie du projet de loi relative à l’admissibilité. Cette modification répondrait dans une certaine mesure à trois des quatre enjeux dont j’ai parlé jusqu’ici. On pourrait en fait… pardon, c’est à l’article 227, qui serait ajouté au Code criminel et qui concerne les exemptions de poursuite au criminel pour les médecins et ceux qui apportent une aide médicale à mourir à des patients remplissant les critères d’admissibilité.
    Le paragraphe 241(2) se lit comme suit:
Ne commet pas l’infraction […] le médecin ou l’infirmier praticien […]
    On pourrait facilement dire « tout médecin ou infirmière praticienne dûment autorisés à cet égard ». Cela réglerait plusieurs problèmes en même temps. L’un est que, dans les critères d’admissibilité, on ne dit nulle part que le patient doit obtenir des services ou une offre de services de la part d’une équipe multidisciplinaire capable de tenir compte des facteurs donnant lieu à la demande d’aide médicale à mourir. Un médecin ou une infirmière dûment autorisés à cet égard pourraient être chargés de veiller à ce que ce soit fait.

  (2000)  

    J’estime qu’il vaut la peine d’approfondir cette question. J’ai souvent entendu dire qu’il est inconcevable de s’en remettre à deux médecins qui ne soient pas responsables de veiller à ce que d’autres solutions soient proposées, ce qui pourrait facilement faire partie des critères d’admissibilité.
    Je serais heureux de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier tous nos témoins pour leurs exposés.
    J’invite maintenant les conservateurs à poser leurs questions.
    Allez-y, monsieur Warawa.
    Merci, monsieur le président.
    Merci aux témoins de s’être déplacés.
    Je suis sûr que la plupart d’entre nous, dans cette salle, ont déjà dit adieu à un être cher ou à un ami. J’ai 66 ans et j’ai dit adieu à mes parents et à mes beaux-parents. Et que la mort les emporte quand ils sont encore jeunes, comme l’a été ma mère, brutalement dans son sommeil, à 47 ans, ou plus tard dans leur vie, comme ma belle-mère, c’est toujours douloureux.
    Ma belle-mère était atteinte de démence, mais elle n’était pas pour autant dans un état de décrépitude. Au contraire, elle a vécu une vie merveilleuse, remplie d’amour. On l’aimait. Elle était digne. Elle était digne parce que nous lui accordions cette dignité. Son état n’a jamais été lamentable. J’ai entendu un témoin nous dire aujourd’hui que cet état pouvait être perçu par certains comme étant de la décrépitude et, au comité spécial, j’ai de nouveau entendu dire qu’il est insensé de laisser une personne comme elle finir ses jours en couches, immobilisée et en proie à la démence, tandis qu’il ne lui restait qu’une année à vivre. Pourtant, on l’aimait et elle nous manque.
    Un jour, nous sommes allés lui faire nos adieux, puisque le médecin de famille nous avait informés qu’il ne lui restait que tout au plus cinq jours à vivre. On s’est demandé à quoi bon s’acharner à lui donner ses médicaments contre le glaucome, la démence et tout le reste. Toute la famille a décidé de cesser de lui donner ses médicaments et de la laisser partir. Après avoir passé trois jours avec elle en Californie, ma femme lui a fait ses adieux. C’était une expérience formidable. De retour chez nous, nous avons appelé la maison de repos: est-elle partie? Non. Le lendemain: est-elle partie? Non. Le troisième jour, on nous a fait savoir que quelqu’un nous demandait.
    Elle était revenue à la vie. Nous avons passé ensemble une autre merveilleuse année. C’était une de nos meilleures années.
    Je vous assure qu’on ne sait pas à quoi on a affaire en réalité. On ne sait jamais si quelqu’un est vraiment sur le point de partir. Notre père lui manquait et elle voulait aller le rejoindre. Elle aurait satisfait aux critères d’admissibilité. Pourtant, elle est revenue et nous avons ensuite passé une merveilleuse année ensemble.
    Docteur Johnston, vous recommandez de préciser dans le préambule qu’aucune contrainte ne doit être exercée sur les médecins, mais les tribunaux n’accordent généralement pas aux préambules le même poids que le corps d’un texte de loi. Nous avons tous maintes fois entendu des témoins nous dire que l’enjeu primordial, en ce qui nous concerne, est la protection de la liberté de conscience des médecins, du personnel infirmier, des pharmaciens et d’autres fournisseurs de soins de santé. Nous n’avons pas le droit à l’erreur quand il est question des Canadiens les plus vulnérables et nous nous devons de protéger la liberté de conscience. C’est ce qu’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Carter.
     En l’état, les dispositions du projet de loi C-14 restent muettes sur ce point. Les fonctionnaires et le ministère ont expliqué qu’il n’est nulle part écrit qu’on peut contraindre qui que ce soit à adhérer à la procédure. La question est plutôt passée sous silence. Serait-il utile d’édicter, dans le corps du projet de loi plutôt que dans le préambule, la criminalisation de toute forme de coercition, d’intimidation ou de contrainte exercée sur un médecin, un fournisseur de soins de santé, du personnel infirmier ou des pharmaciens, cela pour les obliger à les faire adhérer à ce que prévoit le projet de loi?
    L’arrêt Carter dit qu’il est permis de se suicider, mais interdit d’aider quelqu’un à le faire, quoiqu’en présence de certaines conditions, il serait acceptable d’aider quelqu’un à se donner la mort. Nous passons d’un extrême à l’autre, au point où maintenant le comité spécial nous dit qu’il faut orienter les patients, mais les Canadiens disent qu’ils veulent avant tout une protection de leur liberté de conscience.
     Ma question est la suivante: si le projet de loi C-14 était modifié pour criminaliser toute forme de coercition, d’intimidation ou de contrainte exercée sur un médecin, cela suffirait-il pour protéger la liberté de conscience?

  (2005)  

    Je vous remercie pour vos deux excellentes questions. Je répondrai d’abord à la première.
    La touchante histoire de votre belle-mère nous rappelle que la faiblesse fatale du concept de consentement préalable est bien la présomption mal fondée que la perte de capacité juridique ainsi que la perte de capacité de communiquer oralement doivent nécessairement être accompagnées de la perte de la faculté de changer d’avis. En fait, la faiblesse fatale de l’argumentaire évoqué à l’appui du consentement préalable est cette tentative d’enlever à une personne sa faculté de changer d’avis, quand elle est arrivée à un stade avancé de son handicap. Pourtant, l’apparition de cette incapacité se fait souvent de manière progressive. Il me semble que ce résultat ne pouvait être ce que recherchait le législateur. Je pense d’ailleurs que c’est faire preuve de prudence élémentaire que de ne pas permettre qu’une décision prise dans un état physique et un contexte particulier puisse avoir un caractère irréversible, menant à un possible homicide délictuel qui ne saurait, de plus, être détecté.
    Pour aborder votre prochain point, il est vrai qu’une confirmation effective de la liberté de conscience, certes enchâssée dans l’article 2 de la Charte, sans être toutefois, me semble-t-il, appuyée par la jurisprudence, devrait figurer dans le Code criminel. Celle-ci devrait aussi prévoir la pénalisation de tout acte de discrimination à l’égard d’une personne qui est, a été ou envisage de devenir professionnel de la santé ou qui participe au traitement d’un patient, cela dans le dessein de la contraindre à prendre part à un suicide assisté, à un acte d’euthanasie ou à toute autre action visant à porter atteinte au patient. J’appuierais sans réserve un tel amendement. J’estime qu’il serait tout indiqué de prendre le contrepied de l’exceptionnelle innovation en droit canadien que constituerait une exception à l’infraction de meurtre, aussi bouleversant que la révision de l’article 241, en confirmant la liberté de conscience de manière tout aussi éclatante.
    J’inviterais le Comité à traiter de cet enjeu épineux comme étant une question spéciale, puisqu’il est clair que ce ne sera pas la dernière dont nous aurons à traiter. La science médicale, de même que la génétique, nous livreront sans doute tant d’autres questions controversées. La liberté de conscience des fournisseurs de soins de santé concernés doit-elle être sacrifiée sur l’autel du progrès juridique chaque fois qu’un nouveau droit d’accès est créé par un tribunal ou par le Parlement? Il est temps de détacher la liberté de conscience des droits d’accès. La manière la plus efficace d’y parvenir serait d’édicter dans le Code criminel une confirmation éclatante de la protection de cette liberté.

  (2010)  

    Merci beaucoup. Votre temps est écoulé.
    Nous passons maintenant à M. Fraser.
    Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à tous de vous être déplacés pour prendre part à nos travaux et pour vos exposés réfléchis. La tâche qui nous a été confiée de veiller à la qualité de ce projet de loi n’en sera que plus facile.

[Français]

    Ma première question s'adresse aux représentants du Barreau du Québec.
    Vous avez mentionné que le projet de loi exempterait d'infraction un médecin ou une infirmière praticienne qui fournit l'aide médicale à mourir, mais que le fait de conseiller quelqu'un à cet égard demeurerait criminel.
    Suggérez-vous qu'un amendement soit apporté au projet de loi? Si oui, à quoi ressemblerait-il?
     Merci de la question.
    L'idée est de protéger les médecins afin qu'ils ne se retrouvent pas dans une situation ambiguë. Je crois que le Dr Johnston a fait état de la délicatesse de la question. Le sujet étant fort délicat, nous avons une préoccupation. Si on ne prévoit pas de façon explicite l'immunité dans le cas d'un médecin qui conseille un patient sur l'aide à mourir, il faut considérer cela dans un sens plus large. Or conseiller quelqu'un qui veut commettre un suicide alors qu'on n'est pas un praticien reconnu ou un professionnel licencié, c'est autre chose. Notre préoccupation touche l'interprétation qui pourrait être faite du mot « conseiller » ou la portée qu'on pourrait lui donner.
    Évidemment, la relation entre médecins et patients est très intime et confidentielle. Les médecins doivent pouvoir librement informer les patients de toutes les options qui s'offrent à eux. Il ne faudrait pas que, ce faisant, les médecins soient placés dans une situation ambiguë. C'est pourquoi nous proposons un amendement en vue d'assurer une protection aux médecins et aux professionnels qualifiés.

  (2015)  

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Par souci de brièveté, nous allons maintenant passer à End of Life Planning Canada.
    Vous avez évoqué les directives préalables dans votre exposé. Pourtant, le paragraphe 127 de l’arrêt Carter pose le principe de l’exigence d’un consentement éclairé. L’arrêt ne limite-t-il pas cette possibilité puisqu’il mentionne clairement l’exigence du consentement?
    Je ne sais pas si l’arrêt Carter fait explicitement état de la notion de consentement concomitant, mais celui-ci doit être clair.
    Si vous donnez des directives préalables claires et précises, qui envisagent un état de santé futur qui vous serait insupportable, c’est comme si votre option avait été exercée à l’avance. C’est de cela dont je parle.
    En interdisant le consentement préalable, vous privez ceux qui seraient en train de souffrir atrocement, et cela en toute connaissance de cause en ce qui vous concerne, de l’option d’une aide médicale à mourir. Vous leur fermez complètement la porte. Je soutiens qu’il faut, au contraire, leur laisser cette option.
    Les directives préalables, telles qu’elles sont actuellement réglementées dans les provinces et les territoires, sont quelque peu confuses. Elles présentent toutes des caractéristiques différentes, certaines étant juridiquement contraignantes et d’autres pas.
    J’envisage un formulaire national assez limpide qui permettrait d’énoncer d’avance ce qui serait un état médical inacceptable pour le répondant. Tous les autres critères devront, par ailleurs, être respectés et la description de l’état qui leur serait insupportable devrait y figurer clairement. Cette directive préalable ne devrait pas être rendue caduque par la seule perte de capacité du répondant à formuler un consentement éclairé.
    Je doute que beaucoup changeraient d’avis en s’imaginant en état végétatif, recroquevillés en position foetale, nourris à la cuillère, portant des couches et devant être lavés tous les jours. Pour certains, cette perte de qualité de vie serait insupportable. Je ne voudrais donc pas que la loi interdise ce recours.
    Affirmez-vous que les directives préalables vont au-delà des balises que pose l’arrêt Carter?
    L’arrêt Carter ne traite pas du tout de la question des directives préalables. Il ne mentionne que l’impératif d’un consentement éclairé.
    Il parle de la possibilité d’une aide médicale à mourir pour les adultes capables.
    Exactement. Quand vous préparez une directive préalable tandis que vous avez tous vos moyens, mais que vous les perdez ensuite, la directive en question devrait demeurer la dernière expression de votre volonté éclairée.
    Merci pour ces éclaircissements.
    Monsieur Johnston, vous avez aussi clairement dit que vous pourriez appuyer la notion de directives préalables, tout en précisant qu’une personne a toujours la faculté de changer d’avis. Comment savons-nous qu’elle ne le fera pas?
    La Belgique et le Luxembourg permettent l’utilisation de directives préalables quand la personne est dans un état d’inconscience irréversible. Cela satisferait-il vos préoccupations?
    Il me semble que mes inquiétudes relatives aux directives préalables découlent, du moins en partie, de mon expérience en tant que médecin de famille.
    Il m’a été donné de rencontrer, au cours de ma pratique, beaucoup de jeunes patients qui se sont fait faire des tatouages surprenants en des endroits tout aussi surprenants. Au moment où ils se sont fait tatouer, ils étaient capables, ont donné leur consentement et pensaient bien le vouloir. Je vois les directives préalables comme un type de tatouage qui vous poursuit toute votre vie, et c’est bien là le problème. Il est difficile de s’en débarrasser puisque, quand vous en arrivez finalement à la conclusion que vous voulez vous en départir, personne ne peut deviner vos intentions.
    Ces sceaux de clodos, si vous voulez, sont tout comme les directives préalables. L’analogie est parlante: vous êtes dans un certain état d’esprit quand vous prenez votre décision, mais que se passe-t-il quand vous changez d’avis?
    Ce n’est pas exagérer que de se référer à certains cas de cataplexie et de coma dont sont sorties plusieurs personnes qui ont raconté avoir non seulement tout entendu pendant leur épisode, mais aussi avoir eu pleine conscience de certains abus dont elles avaient été victimes.
    Bien que ce soit une tâche difficile, je pense que nous devons cesser de projeter notre propre dégoût de l’incapacité sur les autres, aussi authentique et humain soit-il. Aucun être humain ne mérite, à quelque moment que ce soit de son existence, la qualification de coquille vide. Aucun être humain ne mérite, à quelque moment que ce soit de son existence, d’être l’objet du dégoût des autres du fait de la nature des soins qui doivent lui être prodigués.
    Certaines personnes tout à fait bienveillantes, à l’instar de Françoise et de Nino, essayent de donner aux gens ce qu’ils réclament. Je souligne, à l’intention du Comité, qu’il serait sage d’éviter d’introduire dans la législation existante la notion de directives préalables.

  (2020)  

    Merci beaucoup.
    Passons maintenant à M. Rankin.
    Merci, monsieur le président.
    Je commence par le Barreau du Québec, et en particulier par M. Ménard. Merci, monsieur, pour votre témoignage très utile devant le comité mixte où vous aviez été l’un des premiers témoins. Votre témoignage a été d’un précieux apport pour élucider l’expérience québécoise et vous nous avez été d’une grande aide.
    Je vous avouerais avoir écouté vos remarques en anglais, et j’aimerais obtenir de vous quelques commentaires pour faire suite aux notes que j’ai prises.
    Vous avez parlé du caractère excessivement restrictif du projet de loi C-14. Vous avez dit que la loi n’était pas basée sur les principes de l’arrêt Carter, qu’elle était vulnérable à un recours constitutionnel, qu’elle était plus restrictive que l’article 7, et vous avez encore une fois parlé de recours constitutionnel. Vous avez parlé de mort « raisonnablement prévisible », expression qui figurerait à l’alinéa 241.2(2)d) proposé, et dit que vous suggérez de la radier de la liste de critères. Vous avez indiqué qu’elle était trop vague et qu’une telle définition exigeait un certain degré de clarté.
    Ce faisant, vous avez repris les propos du professeur Downie, de la côte Est et, mardi, nous allons entendre Me Arvay qui a représenté la position de la côte Ouest. Vous nous avez parlé du point de vue du Canada français et du Canada anglais.
    Il semblerait, chez beaucoup d’experts juristes comme vous, une reconnaissance que ceci ne serait tout simplement pas conforme à l’arrêt Carter. Je vous invite à nous expliquer davantage cette position.

[Français]

     On peut en effet avoir toutes sortes de raisons, morales ou autres, de penser autrement, mais d'un point de vue purement juridique, le projet de loi tel qu'il est libellé crée une difficulté bien réelle. Je suis praticien et j'ai des clients, entre autres des groupes de personnes handicapées. Or certains nous ont demandé d'envisager ce scénario. Il est important, dans le cadre d'un projet de loi aussi fondamental, de générer une certaine sécurité juridique pour les citoyens. Il faut que les normes et les règles du jeu soient claires pour tout le monde.
    Ce projet de loi propose une norme visant à permettre l'accès à l'aide médicale à mourir, mais le problème, je le dis avec le plus grand des respects, est que ce n'est pas la norme de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés telle que la Cour suprême l'a élaborée dans le contexte de la cause Carter. En adoptant une norme plus étroite, où il est question de fin de vie et de questions de ce genre, la difficulté vient du fait qu'on crée un vide. En effet, les personnes qui ne répondent pas aux conditions de fin de vie incluses dans le projet de loi C-14, mais qui répondent à celles relatives aux maladies graves irrémédiables de l'arrêt dans la cause Carter, veulent revendiquer le droit d'accéder à l'aide médicale à mourir. Le vrai sens de ce que la Cour suprême a décidé visait ces personnes.
    La Cour suprême n'a pas pris sa décision en fonction de critères de fin de vie. Elle ne s'est pas demandé si les personnes étaient vraiment en fin de vie. Ce n'est pas un critère que la Cour a retenu. Elle parle de gens qui souffrent de conditions graves et irrémédiables, dont certaines peuvent entraîner une fin de vie rapprochée. Lorsque la Cour a donné toute sa portée à l'article 7, elle l'a fait bien consciemment, je pense, de façon à viser un bassin plus large que celui visé par le projet de loi.
     Le problème est qu'en établissant des limites comme on le fait ici, on risque de laisser de côté une partie des gens qui ont le droit constitutionnel d'accéder à l'aide médicale à mourir. Ce projet de loi va leur retirer ce droit ou obliger ceux qui veulent l'exercer à recommencer la même bataille devant les tribunaux afin que la Cour suprême comble de nouveau ce vide. Deux, trois ou quatre ans plus tard, la Chambre des communes, le Parlement, devra alors modifier sa loi encore une fois.
     Le Barreau du Québec considère que ce n'est pas souhaitable, surtout dans le cas de personnes souffrant d'une maladie grave et irrémédiable qui auraient à se lancer de nouveau dans un débat judiciaire. Comme société, ce n'est pas ce qu'on doit viser.
    On peut être d'accord ou ne pas l'être. La Cour suprême est peut-être allée trop loin, mais il s'agit de la Cour suprême et de la loi du pays. On ne peut pas faire abstraction de cela au nom d'autres principes.
    Concernant le critère voulant que la mort soit raisonnablement prévisible, nous avons aussi au Québec une difficulté de ce genre. En effet, le critère voulant que la personne soit en fin de vie fait aussi l'objet de débats. Nous en sommes présentement à l'application, et cela soulève des difficultés. Comme le critère peut être parfois trop flou, la position peut varier d'un médecin à l'autre. Certains affirment que, pour être considéré en fin de vie, il faut être mourant, en phase terminale, alors que d'autres parlent de trois ou six mois. Il est clair que la mort relativement prévisible est un critère beaucoup trop flou. Pour les citoyens, il est important que les normes juridiques soient claires, applicables et faciles à comprendre pour tous.
    Nous avons tenu un long débat, au Québec, pour déterminer s'il était souhaitable d'établir un délai, par exemple de six mois ou de trois mois. Le problème est que la science médicale est incapable de prédire s'il va s'agir, selon les personnes, de trois mois ou de six mois. Nous avons alors déterminé qu'il était préférable de laisser au médecin la possibilité d'exercer son jugement.
     Le problème, cependant, est qu'en présence de critères flous, le droit du citoyen devient plus ou moins élastique, ce qui entraîne des difficultés. En tenant compte de ces dernières ainsi que de la portée de l'arrêt dans la cause Carter, nous avons recommandé que ce critère soit purement et simplement retiré de la loi.

  (2025)  

[Traduction]

    J’aimerais aussi vous poser une autre question qui ne découle pas de mes notes, mais qui vous a été posée par mes collègues: qu’en est-il de la liberté de conscience des médecins? Il me semble que, lors de votre passage à la télévision québécoise, et bien que cela reste du ouï-dire et que je peux me tromper, vous avez dit que cette question serait de compétence purement provinciale.
    Pourrez-vous élucider ce dernier point, si je n’ai pas fait erreur?

[Français]

     Cette question m'apparaît extrêmement pertinente. Les clauses de conscience ne relèvent pas du droit criminel. Dans la pratique médicale et la pratique professionnelle, les clauses de conscience relèvent d'abord de la déontologie médicale. C'est le milieu médical qui détermine la façon d'interagir avec les patients et de se comporter comme médecin. À mon avis, ce serait mal placer la clause de conscience que de la situer dans l'angle du droit criminel. Les clauses de conscience relèvent de la déontologie médicale et des lois provinciales qui encadrent également l'exercice de la pratique médicale. Le projet de loi n'en parle pas, ce qui m'apparaît comme une sage décision constitutionnelle.
    Au Québec, la Loi concernant les soins de fin de vie prévoit des clauses de conscience qui sont très claires. Le Code de déontologie des médecins prévoit aussi des clauses bien claires. Ces clauses se ressemblent d'une province à une autre. Par contre, une clause de conscience fédérale pourrait être différente des clauses de conscience provinciales, ce qui poserait un problème quant à la norme que le médecin devra suivre. À mon avis, il serait préférable de laisser aux collèges des médecins de chaque province le soin de définir les normes de comportement des médecins. Je vous invite donc, avec le plus grand respect pour le Dr Johnston, à ne pas ouvrir la porte à ce genre de situation.
     Dans son projet initial, le Barreau du Québec avait inscrit un commentaire concernant ce point, mais étant donné que ce point ne figurait pas dans le projet de loi, nous l'avons retiré. Toutefois, je réitère notre point de vue: nous vous invitons à laisser le pouvoir de réglementation aux provinces et aux collèges des médecins. Les provinces réglementent déjà la pratique médicale. Je pense qu'on en a déjà plein les bras avec les règles de droit criminel, alors n'allons pas plus loin.
    Je cède maintenant la parole à M. McKinnon.
    M. McKinnon aura la parole durant quatre minutes, puis il cédera ses deux dernières minutes à M. Thériault, qui pourra vous poser des questions.

[Traduction]

    Merci, monsieur le président. Il y a tant de questions et tant d’excellents témoins.
    Je commencerai par le Barreau du Québec qui est la première organisation de juristes avec laquelle nous traitons, hormis le ministère de la Justice.
    Le ministère de la Justice, ainsi que les ministres, sont convaincus et confiants que le projet de loi C-14 est non seulement conforme à la Charte, mais qu’il se situe aussi à l’intérieur des balises posées par l’arrêt Carter. Je crois comprendre que vous n’êtes pas d’accord avec ces positions.
    Vous l’avez déjà évoqué, donc je me borne à ne traiter que d’un aspect de la question.
    La définition de problèmes de santé graves et irrémédiables comprend l’exigence que la situation médicale du patient se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités. Pensez-vous que ce critère découle de l'arrêt Carter et qu’il est approprié?

  (2030)  

[Français]

    Ce n'était pas un critère de l'arrêt dans la cause Carter. Ce critère a été ajouté. L'arrêt dans la cause Carter ne donnait aucune définition, et c'est probablement à dessein que la Cour suprême ne voulait pas aller trop loin sur ce point.
    La notion de déclin avancé de la maladie est un critère nouveau et plus limitatif que ce que prévoit l'arrêt dans la cause Carter. Cela dit, ce critère pourrait être plus facilement gérable que les critères proposés à l'alinéa 241.2(2)d), où il est question de mort raisonnablement prévisible. Quand on décide que la maladie grave et irrémédiable doit entraîner un certain déclin avant que l'aide médicale à mourir ne devienne accessible, disons qu'on est sur le fil du rasoir. À la limite, sans vouloir être trop strict, on pourrait laisser passer ce critère, mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'un critère de l'arrêt dans la cause Carter. Pour appliquer strictement l'arrêt dans la cause Carter, il faudrait s'en tenir au paragraphe (1) et oublier tout le paragraphe (2) de l'article 241.2. Initialement, nous avions envisagé de retirer tout le paragraphe (2). Ce paragraphe introduit plusieurs critères qui ne sont pas dans l'arrêt dans la cause Carter, mais le critère de la mort raisonnablement prévisible me semble être le critère le plus important. En ce qui concerne le critère du déclin avancé, je ne vous cache pas qu'on est sur le fil du rasoir. De plus, il ne s'agit pas d'un critère de l'arrêt dans la cause Carter.

[Traduction]

    Vous avez dit qu’une norme juridique bien plus claire devait venir élucider le concept de mort raisonnablement prévisible. Le ministre nous a dit qu’il s’agit là d’une détermination plus médicale que juridique.
    Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

[Français]

     Il est clair que le problème, c'est que les médecins s'attendent à ce que la loi définisse en détail toutes les situations. Or plus la loi définira les situations, plus elle les limitera. Il faut faire attention à cela aussi. Compte tenu de l'extrême variété des situations, il est difficile d'avoir une définition qui collera à chaque cas.
    Il est important de laisser une certaine marge de jugement au patient dans sa relation avec son médecin. On va énoncer des paramètres importants et des grandes lignes permettant d'évaluer les situations. Au Canada, il faut faire confiance à la pratique médicale. Il faut surtout faire confiance au jugement et à l'autonomie des patients. Cette loi concerne d'abord et avant tout un droit des patients. Tout ce cheminement qu'on fait ici est une extension des droits des patients, de leur droit de contrôler leur vie et, surtout, de contrôler le moment de leur mort et la manière dont ils vont mourir. Cette loi ne donne pas nécessairement des pouvoirs ou des droits aux médecins ou aux établissements de santé. Elle est faite pour les patients, pour le monde, si l'on veut.
    Dans la mesure où un patient est conscient et compétent, qu'il fait des choix, qu'il est bien informé de sa situation et qu'il pose des gestes en fonction de cela, la définition de toutes les conditions et variables médicales n'a pas besoin d'aller trop loin. Plus on va donner de détails, plus on va exclure des situations.
    C'est exactement ce qui se produit ici. Le paragraphe 241.2(1) proposé parle des critères énoncés dans l'affaire Carter, mais en les définissant au paragraphe 241.2(2) proposé, on exclut déjà beaucoup de gens. Il faut être extrêmement prudent et ne pas vouloir aller trop loin. Il faut faire confiance aux citoyens, aux patients et aux médecins canadiens. En instaurant des mesures de contrôle et de surveillance appropriées, on peut se rassurer comme société.
    Merci.
    Avec la permission de M. McKinnon, nous passons à M. Thériault.
    J'ai deux minutes?
    Oui. Vous avez deux minutes de temps de parole.
    Merci.
    Sur le fond, la loi québécoise est fondée sur deux prémisses.
    J'énonce la première comme suit: franchir le seuil de la mort en toute sérénité, lâcher prise en toute quiétude sans avoir peur de souffrir, sans souffrir, n'est-ce pas ce que nous souhaitons tous? N'est-ce pas ce que l'on peut souhaiter de mieux à autrui?
    L'autre prémisse est la suivante. On porte atteinte à la dignité de la personne quand on porte atteinte à son autodétermination; ce n'est pas une question de couche. L'autre principe est l'autodétermination. Le droit consacre ce principe de notre vivant, quand on est bien en forme. Or pourquoi retirerait-on ce principe de l'autodétermination dans un moment aussi intime que celui de notre propre mort? Ce n'est pas le voisin qui va mourir à ma place ou qui va vouloir mourir à ma place.
    Ces deux principes ont mené à la loi québécoise qui s'intitule Loi concernant les soins de fin de vie. Elle ne couvrait pas le suicide assisté. Si j'insiste là-dessus cet après-midi, c'est qu'il y a un problème de confusion conceptuelle entre l'euthanasie et l'aide médicale à mourir en phase terminale de vie. Que ce soit six mois ou un an, il reste que le processus vers la mort est irréversible. On n'est plus dans le curatif, mais dans le droit de mourir et dans les soins palliatifs. La demande de mort émerge toujours en soins palliatifs, et rarement avant.
    Maintenant, la cour nous demande d'encadrer le suicide assisté. Le critère dont il est question est celui de la mort naturelle. On parle souvent aujourd'hui de mort vraisemblablement prévisible, mais il y a une expression encore plus floue, à savoir la mort naturelle vraisemblablement prévisible. Or la mort en soins palliatifs est-elle naturelle? À ce que je sache, le patient en soins palliatifs meurt de ce qu'on lui administre pour endurer la douleur. Une dernière dose, même si elle n'est pas mortelle, finira par faire arrêter le coeur. Peut-on alors parler de mort naturelle?
    Je pourrais en parler longtemps, mais je veux vous poser des questions.
    La loi québécoise ne prévoit pas de délai; ici, on a parlé de 15 jours. Pour toutes ces raisons, j'ai l'impression d'être devant une loi québécoise mal écrite. Seriez-vous favorable à l'ajout d'une disposition d'équivalence, comme le proposait le professeur Hogg?
    Si on adopte cette loi telle qu'elle est, elle va engendrer des situations particulières pour le Québec. Notamment, au Québec, il n'est pas question d'infirmiers praticiens ou d'autres professionnels de la santé. Seriez-vous d'accord pour qu'on ajoute une disposition d'équivalence dans la loi? Ainsi, si le ministre fédéral était convaincu qu'une province ou un territoire donné a mis en place les garanties nécessaires équivalant en substance aux garanties fédérales, la loi fédérale ne s'appliquerait pas. Ne serait-il pas plus prudent de faire cela?

  (2035)  

     Tout d'abord, il faut comprendre le sens de la loi québécoise. J'ai été mêlé de très près à ce processus. Il s'agit d'une loi dont le but est de réglementer l'ensemble des soins de fin de vie. Cette loi ne relève pas du droit criminel, mais de la santé. Cette loi vise un ensemble de pratiques de soins de fin de vie, incluant les soins palliatifs, l'aide médicale à mourir, les directives médicales anticipées et ainsi de suite. L'objectif de cette loi est légèrement différent de celui du projet de loi à l'étude.
    Nous sommes saisis d'un projet de loi visant à modifier le Code criminel dans le contexte de l'aide médicale à mourir, laquelle a été définie plus largement par la Cour suprême que ce que la loi québécoise permet. Sur le plan de l'équivalence, ce projet de loi n'est pas le pendant fédéral de la loi québécoise, c'est clair. Celle-ci a un objet plus restrictif.
    Par ailleurs, je le dis avec respect envers le législateur fédéral, beaucoup de mesures que l'on trouve dans le projet de loi C-14 sont du copier-coller de la loi québécoise à certains égards. C'est adéquat, car cette loi n'était pas mal inspirée non plus. Toutefois, la question que vous soulevez me paraît pertinente. Il faut éviter le plus possible la dualité de régimes et que le citoyen québécois, une fois la loi adoptée, soit face à deux normes juridiques qui régissent ses décisions.
    Si un citoyen veut avoir accès à l'aide au suicide, il ne le peut pas en vertu de la norme provinciale, mais il le pourrait en vertu de la loi fédérale. La procédure est un peu différente. Il est probablement important de se garder une petite réserve pour affirmer que le gouvernement du Canada peut exempter une province de certaines formalités ou permettre qu'elle ait une certaine marge de manoeuvre en ce qui a trait à certains aspects de la loi. Cependant, pour ce qui est du fond, cela ne peut aller très loin, parce que l'intention doit être compatible avec la décision de la Cour suprême, avec l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et avec les règles qu'on est en train d'établir en comité.
    Monsieur Thériault, vous avez le temps de poser une brève question.

  (2040)  

    Dans l'arrêt dans la cause Carter, la Cour suprême prétend que le droit à la vie est atteint, en ce sens que cela forcerait des gens atteints d'une maladie dégénérative à précipiter leur mort par un suicide alors qu'ils ne sont pas rendus au moment où ils auraient besoin d'aide. Or il faut savoir que les gens atteints d'une maladie dégénérative ne sont pas suicidaires. Ils veulent vivre le plus longtemps possible, jusqu'au moment où ils ne pourront plus supporter l'état dans lequel ils seront, et leur état peut décliner rapidement du soir au matin. Ils veulent obtenir des législateurs parlementaires l'assurance que, à ce point de leur vie, quelqu'un va bien s'occuper d'eux.
    Il s'agit d'une des difficultés importantes. Dans le cas de l'arrêt dans la cause Carter, la décision de la Cour suprême visait ce genre de situation, alors que le projet de loi à l'étude semble l'exclure. Il s'agit d'une limite importante et c'est pourquoi nous vous invitons à reconsidérer le problème. Évidemment, ce genre de décision concerne le législateur. Pour notre part, nous appliquons ce que vous décidez. Nous vivons avec cela et nous allons faire en sorte que ce soit accessible aux Canadiens le plus possible.
    Je vous remercie beaucoup de vos témoignages.

[Traduction]

    Nous avons apprécié tous vos exposés qui nous ont beaucoup appris.
    Le Comité passe maintenant à huis clos. Je vous demande donc de bien vouloir quitter la salle calmement dans les prochaines minutes afin que nous puissions procéder à cette audience.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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