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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 135 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 27 février 2019

[Enregistrement électronique]

  (1550)  

[Traduction]

    Bienvenue à cette réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne qui reprend son examen des accords de réparation, de la doctrine Shawcross et des discussions entre le Bureau du procureur général et les fonctionnaires au sujet de SNC-Lavalin.
    Je tiens à remercier tout particulièrement notre témoin, l’honorable Jody Wilson-Raybould, notre collègue de Vancouver Granville, qui a accepté de témoigner devant nous aujourd’hui.
    Contrairement à notre pratique habituelle consistant à accorder 10 minutes aux témoins, nous avons tous convenu d’accorder 30 minutes à Mme Wilson-Raybould pour qu’elle puisse nous donner toute sa version des faits. Elle est au centre des événements que nous étudions, et je pense qu’il est vraiment important de lui donner ce temps. Bien entendu, j’informe les autres témoins que ce n'est pas là la pratique normale du Comité.
    Avant d'entendre le témoignage de Mme Wilson-Raybould, M. Rankin m’a indiqué qu’il souhaitait soulever un point. Comme je ne veux pas empiéter sur le temps de parole de Mme Wilson-Raybould, j'invite M. Rankin à parler.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je veux en fait aborder deux points connexes. Premièrement, quand elle a accepté notre invitation, Mme Wilson-Raybould nous a indiqué dans sa lettre qu'elle était disposée à rester pour répondre aux questions du Comité aussi longtemps que celui-ci le souhaiterait.
    Vous vous souviendrez, monsieur le président, que nous avons également prolongé le temps de parole de M. Wernick, le greffier du Conseil privé, qui était prêt à rester plus longtemps. J’aimerais proposer que le Comité accepte l'offre de Mme Wilson-Raybould et lui permette de rester plus longtemps avec nous, que ce soit aujourd’hui ou à l'occasion d'une réunion ultérieure. Voilà pour mon premier point.
    Deuxièmement, compte tenu de la façon dont nous avons procédé par le passé et étant donné qu’elle va faire une très longue déclaration, j’aimerais que cette déclaration, si elle est disponible sur papier, nous soit distribuée pendant qu’elle parle, parce que nous allons bien sûr avoir encore moins de temps que d'habitude pour poser des questions. Cela nous permettrait, je crois, d'être plus efficaces dans nos questions si nous avions cette déclaration à l’avance.
    Merci, monsieur Rankin.
    Pour ce qui est de votre première suggestion, je me demande si Mme Wilson-Raybould a effectivement une déclaration qu’elle aimerait faire distribuer au Comité. Je m'en remettrai à sa décision. Que préféreriez-vous, madame?
    J’ai une déclaration qui a été remise aux interprètes et, si les membres du Comité le souhaitent, elle pourrait leur être distribuée.
    Dès que les copies seront prêtes, monsieur le greffier...
    Le Comité est-il d’accord pour que cette déclaration soit distribuée en anglais seulement?

[Français]

    Nous allons vous fournir la déclaration dès que c'est possible, monsieur Fortin. Êtes-vous d'accord?
    Ce n'est pas possible maintenant?
    Vous n'êtes pas membre du Comité, mais nous allons vous fournir la déclaration en français dès que possible.
    Elle n'est pas disponible actuellement?
    Non. C'est pour cela que j'ai demandé le consentement unanime du Comité pour la distribuer.
    Comme je ne suis pas membre du Comité, je ne pourrai pas voter, mais j'aimerais avoir la version anglaise et la version française dès que possible.
    Dès que c'est prêt.

[Traduction]

    Des députés: D'accord.
    Le président: Je crois voir un consentement unanime; le greffier peut donc distribuer ce document.
    Pour ce qui est de la proposition, j’apprécie beaucoup l’offre de Mme Wilson-Raybould de rester un peu plus longtemps afin de répondre aux questions. Normalement nous nous limitons à deux tours de questions, mais il semble que nous sommes d’accord pour en faire plus. Après le troisième tour, nous déciderons au fur et à mesure. Nous en avons eu trois avec M. Wernick alors, si nous avons d’autres questions, nous pourrons toujours décider d'un tour de plus.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Rankin, voulez-vous faire votre déclaration avant que Mme Wilson-Raybould ne prenne la parole ou si nous pouvons commencer?
    Je préférerais, si c'est possible.
    Comme cela prendra de 5 à 10 minutes, il conviendrait de commencer par le témoin.
    Oui. Merci.
    Madame Wilson-Raybould, vous avez la parole. Quand nous arriverons au terme des 30 minutes, je vous ferai signe.
    Gilakas’la. Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité de la justice de me donner l’occasion de témoigner plus longuement aujourd’hui. Je l’apprécie beaucoup.
    Tout d’abord, je souhaite mentionner que nous sommes sur le territoire, sur les terres ancestrales du peuple algonquin.
    Pendant quatre mois environ, entre septembre et décembre 2018, j’ai été soumise aux démarches incessantes et soutenues de nombreuses personnes au sein du gouvernement qui ont tenté de s’ingérer politiquement dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de procureure générale du Canada en matière de poursuite, cela dans une tentative déplacée visant à obtenir un accord de poursuite suspendue avec SNC-Lavalin.
    Onze personnes en tout sont intervenues, à l’exclusion de mon personnel politique et de moi, toutes du Cabinet du premier ministre, du Bureau du Conseil privé et du cabinet du ministre des Finances. Il y a eu des conversations en personne, des appels téléphoniques, et des échanges de courriels et de messages textes. Il y a eu une dizaine d'appels téléphoniques et une dizaine de réunions qui ont précisément porté sur SNC. Mon personnel ou moi avons participé à ces réunions.
    Dans le cadre de ces conversations, il y a été expressément question de la nécessité d’intervenir dans l’affaire SNC-Lavalin, des risques de conséquences et de menaces voilées advenant que SNC ne bénéficie pas d'un APS. Ces conversations ont culminé le 19 décembre 2018 par un échange que j’ai eu avec le greffier du Conseil privé, échange sur lequel je fournirai des détails importants.
    Quelques semaines plus tard, le 7 janvier 2019, le premier ministre m’a informée qu'il me retirait la fonction de ministre de la Justice et de procureure générale du Canada.
    Pour la plupart de ces conversations, j’ai pris des notes à chaud, des notes détaillées, sur lesquelles je m’appuie aujourd’hui, en plus de mes souvenirs très clairs et d'autres documents. Mon objectif, dans ce témoignage, est de présenter les détails de ces communications au Comité et, en fait, à tous les Canadiens. Toutefois, avant de le faire, permettez-moi de formuler quelques remarques.
    Premièrement, je tiens à remercier les Canadiens de leur patience depuis l’article du Globe and Mail du 7 février. Merci également à ceux et à celles qui ont communiqué avec moi d’un bout à l’autre du pays. J’ai apprécié leurs messages, et je les ai tous lus.
    Deuxièmement, à propos du rôle de procureur général, celui-ci exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite, comme le prévoit la Loi sur le directeur des poursuites pénales. En général, ce pouvoir est exercé par le directeur des poursuites pénales, mais le procureur général a le pouvoir d’émettre des directives au DPP sur des poursuites particulières ou de prendre en charge des poursuites. Il est bien établi que le procureur général exerce un pouvoir discrétionnaire de poursuite. Il exerce ce pouvoir de façon individuelle et indépendante. Ce ne sont pas des décisions du Cabinet.
    Je précise qu’il est approprié que les collègues du Cabinet attirent l’attention du procureur général sur ce qu’ils jugent comme étant des considérations stratégiques importantes et pertinentes en regard des décisions relatives à la façon de mener une poursuite. Par contre, ce qui n’est pas approprié, c’est de presser le procureur général sur des aspects qu’il ne peut pas prendre en considération, comme les questions de politique partisane, de continuer de l’exhorter à changer d’idée pendant des mois après que la décision a été prise, ou de laisser entendre qu'il vaudrait mieux éviter un conflit avec le premier ministre sur ces questions.
    Cela dit, le reste de mon témoignage sera une description détaillée et factuelle d’une dizaine d’appels téléphoniques, de 10 réunions en personne, de courriels et de messages textes qui ont fait partie d’une tentative d’ingérence politique dans l’affaire SNC en vue d’obtenir la suspension des poursuites.
    Tout a commencé le 4 septembre 2008. Ma chef de cabinet et moi-même étions à l’étranger quand j’ai reçu une note de service adressée à la procureure générale, conformément à l’article 13 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Elle était intitulée: « Devrait-on prendre l’initiative de négocier un accord de réparation avec SNC-Lavalin? » et avait été préparée par la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel.
    De cette note, je ne divulguerai que ceci: « Le DPP est d’avis qu’aucune invitation à négocier ne doit être faite en l’espèce et qu’aucune annonce ne sera faite par le SPPC. »
    Comme c’est le cas pour tous les avis émis en vertu de l’article 13, le DPP fournit les renseignements pour que le procureur général puisse prendre les mesures qu’il juge appropriées. En d'autres mots, la directrice avait décidé de ne pas négocier d'accord de réparation avec SNC-Lavalin.

  (1555)  

     Par la suite, j’ai parlé de cette décision au personnel de mon cabinet et j’ai, comme à l’habitude, décidé d’entreprendre un travail à l'interne et de faire personnellement preuve d'une diligence raisonnable relativement à cette note, pratique que j’ai appliquée pour bon nombre d'avis émis en vertu de l’article 13 pendant que j’étais procureure générale. Autrement dit, j’ai immédiatement proposé, avec l’aide de mon ministère et de mon cabinet, d'effectuer un examen attentif de la question.
    Deux jours plus tard, le 6 septembre, mon cabinet a reçu l'une des premières communications extérieures à mon ministère au sujet d’un APS. Ben Chin, le chef de cabinet du ministre Morneau, a envoyé un courriel à ma chef de cabinet, qui a pris des dispositions pour discuter avec lui. Il voulait parler de SNC et de ce que nous pourrions faire, le cas échéant, pour régler ce problème. Il lui a dit que si SNC n'obtenait pas d'APS, la firme quitterait Montréal et que, comme on était à la veille des élections au Québec, il fallait éviter une telle issue. Il a ajouté qu’il y aurait une importante réunion le mardi suivant et que cette nouvelle embarrassante pourrait être rendue publique.
    Le même jour, ma chef de cabinet a échangé des courriels avec le personnel de mon cabinet à ce sujet, et celui-ci l’a informée que la sous-procureure générale, Nathalie Drouin, travaillait à quelque chose et que mon personnel était en train de rédiger une note de service sur le rôle du procureur général vis-à-vis du SPPC.
    C’est à peu près ce jour-là que j’ai demandé une rencontre en tête-à-tête avec le premier ministre, sur une autre question urgente, le plus tôt possible après mon retour au pays. Cette demande allait aboutir à la rencontre du 17 septembre entre le premier ministre et moi-même, qui a été largement médiatisée.
    Le 7 septembre, ma chef de cabinet a eu une conversation téléphonique avec ma sous-ministre de l’époque au sujet de l’appel qu’elle avait reçu de Ben Chin, et la sous-ministre lui a spécifié que le ministère travaillait à ce dossier. Elle a ensuite donné à ma chef de cabinet un bref aperçu des options qui s’offraient à elle. Le même jour, j’ai reçu une note de mon personnel sur le rôle du procureur général, une note que mon bureau a également partagée avec Elder Marques et Amy Archer du CPM.
    Le même jour, le personnel de mon bureau a rencontré la sous-ministre. Certains extraits de la note de l’article 13 lui ont été lus, mais celle-ci a refusé d'être destinataire de cette note.
    Le 8 septembre, ma sous-ministre a fait parvenir l’ébauche de la note sur le rôle du procureur général à ma chef de cabinet, qui m’en a fait part par la suite et, le lendemain, mon personnel a demandé à la sous-ministre des précisions sur certains aspects des options présentées dans sa note.
    Une conversation de suivi entre Ben Chin et un membre de mon personnel, François Giroux, a eu lieu le 11 septembre. M. Chin a dit que la firme SNC avait été informée par le SPPC qu’il n'y aurait pas d'APS, et Ben a de nouveau expliqué en détail les raisons pour lesquelles on lui avait dit qu’il n’y en aurait pas. M. Chin a ajouté que l'avocat-conseil de SNC était Frank Iacobucci, et il a décrit plus en détail les conditions que SNC était prête à accepter, la firme déclarant qu’elle considérait que sa démarche s'inscrivait dans le cadre de la négociation.
    Je dois préciser que, jusqu'à ce stade, je n’avais pas encore été contactée directement par le premier ministre, par le personnel du Cabinet du premier ministre ni par celui du Bureau du Conseil privé à ce sujet. À l’exception des discussions de M. Chin, les communications sont restées au sein du ministère de la Justice.
    Tout a changé le 16 septembre. Ma chef de cabinet a reçu un appel téléphonique de Mathieu Bouchard et d'Elder Marques du Cabinet du premier ministre. Ils voulaient discuter de SNC. Ils lui ont dit que SNC avait envoyé d’autres observations à la Couronne faisant état d'« un léger assouplissement, sans plus ». Ils avaient entendu dire que les procureurs de la Couronne étaient prêts à négocier une entente, mais pas la directrice. Ils se sont dits conscients des limites à ce qui pouvait être fait, qu’ils n'étaient pas en droit de donner de directives, et qu’ils avaient cru comprendre que notre sous-ministre de la Justice estimait que nous pourrions demander au SPPC de déclarer: « Nous pensons que nous devrions obtenir des conseils de l’extérieur à ce sujet. » De leur avis, nous nous devions de parvenir à une solution plus raisonnable. Ils ont alors précisé à ma chef de cabinet que la prochaine réunion du conseil d’administration de SNC aurait lieu le jeudi 20 septembre.

  (1600)  

     Il a aussi été question du contexte électoral au Québec. On a demandé à ma chef de cabinet si quelqu’un avait suggéré l’idée d’un conseil externe au SPPC et si nous serions ouverts à cette suggestion. Les deux interlocuteurs voulaient savoir si ma sous-ministre accepterait de le faire.
    En réponse, ma chef de cabinet leur a parlé de l’indépendance de la poursuite et des craintes d’ingérence possible dans l’indépendance des fonctions de la poursuite. MM. Bouchard et Marques n’arrêtaient pas de lui dire qu’ils ne voulaient pas franchir ces lignes tout en demandant à ma chef de cabinet de faire un suivi direct auprès de moi à ce sujet.
    Soyons clairs, j’étais tout à fait au courant des conversations que j’ai décrites entre le 4 et le 16 septembre. Mon personnel m’a régulièrement informée dès le départ, et j’ai également examiné tous les documents produits. De plus, je m'étais déjà fait une opinion à ce moment-là, grâce au travail de mon ministère et de mon cabinet, et à mon propre travail, pour conclure qu’il n’était pas approprié que j'intervienne dans la décision de la directrice des poursuites pénales dans cette affaire afin de chercher à obtenir un accord de poursuite suspendue.
    Dans cette optique, j’ai discuté de la question à plusieurs reprises avec ma sous-ministre de l’époque, pour l'informer de mon point de vue. À plusieurs reprises, je lui ai fait part de mes préoccupations au sujet de la pertinence des communications que nous recevions de l’extérieur du ministère, et j’ai également soulevé des réserves au sujet de certaines des options qu’elle avait suggérées.
    Le 17 septembre, la sous-ministre a dit que ses contacts au ministère des Finances lui avaient fait part de leur volonté de s’assurer que Kathleen comprenait les conséquences possibles si nous ne faisions rien dans ce dossier. Étant donné le genre de préoccupations que pouvait soulever cette conversation, j’en ai discuté plus tard avec ma sous-ministre. Le même jour, le 17 septembre, j’ai eu ma rencontre en tête-à-tête avec le premier ministre, celle que j’avais demandée quelques semaines plus tôt. À mon arrivée, le greffier du Conseil privé était également présent.
    La réunion ne devait pas porter sur SNC et les APS, mais le premier ministre a immédiatement abordé la question. Il m’a demandé de l’aider à trouver une solution dans le dossier SNC, précisant que, s’il n’y avait pas d'APS, beaucoup d’emplois seraient perdus et que SNC déménagerait de Montréal. En réponse, je lui ai expliqué la loi et ce que j’avais la capacité de faire et de ne pas faire en vertu de la Loi sur le directeur des poursuites pénales relativement à l’émission de directives ou à la conduite de poursuites. Je lui ai dit que j’avais fait preuve de diligence raisonnable et que j’avais pris ma décision au sujet de SNC, celle de ne pas m’ingérer dans la décision de la directrice.
    En réponse, le premier ministre a réitéré ses préoccupations. J’ai ensuite expliqué comment tout cela s’était passé, que plus tôt en septembre, j’avais reçu une note du DPP en vertu de l’article 13 et que j’avais examiné la question de très près. J’ai ajouté que je voulais être très claire quant à mon rôle de procureure générale et que je n'étais pas prête à émettre une directive dans ce cas-ci, que cela ne serait pas approprié.
    Le premier ministre a encore une fois parlé de la perte potentielle d’emplois et du risque de déménagement de SNC. Puis, à ma grande surprise, le greffier a commencé à faire valoir la nécessité de conclure un APS, affirmant qu'une assemblée d'actionnaires en présence du conseil d’administration allait avoir lieu le jeudi 20 septembre, que la firme déménagerait probablement à Londres s'il n'y avait pas d'accord et que des élections allaient bientôt se dérouler au Québec.
    À ce moment-là, le premier ministre est intervenu, insistant sur les élections au Québec et précisant: « Je suis un député du Québec, je suis député de Papineau. »
    J’ai été très surprise. Ma réponse — et je m’en souviens très bien — a été de poser une question directe au premier ministre, tout en le regardant droit dans les yeux. Je lui ai demandé: « Êtes-vous en train de vous ingérer politiquement dans mon rôle, dans ma décision de procureure générale? Je vous conseille fortement de ne pas le faire. »
    Le premier ministre a répondu: « Non, non, non. Nous devons simplement trouver une solution. »
    Le greffier a ensuite dit qu’il avait parlé à ma sous-ministre qui lui avait indiqué que je pouvais parler à la directrice des poursuites.
    J’ai répondu par la négative, que je ne le ferais pas, que ce serait inapproprié. J’ai également expliqué au greffier et au premier ministre que j’avais eu une conversation avec ma sous-ministre au sujet des options envisageables et de ma position à ce sujet.
    À la suite de cette discussion, j’ai convenu avec le premier ministre que j’aurais un autre entretien avec ma sous-ministre et le greffier, mais que ces conversations ne me feraient pas changer d’avis. J’ai ajouté que mon personnel et mes fonctionnaires n'étaient pas autorisés à parler avec le SPPC.
    Puis, nous avons enfin parlé de la question pour laquelle j’avais demandé la réunion.

  (1605)  

     J’ai quitté la réunion et j’ai immédiatement informé mon personnel de ce qui avait été dit au sujet de SNC et des APS.
    Le 19 septembre, j’ai rencontré le greffier comme je l’avais promis au premier ministre, juste lui et moi, dans mon bureau.
    Le greffier a parlé des pertes d’emplois et que ce n'était pas tant la question des élections au Québec ou le fait que le premier ministre est un député de Montréal. Il a dit ne pas avoir vu la note en vertu de l’article 13. Il a ajouté qu’il croyait savoir que SNC intervenait régulièrement auprès de la DPP et voulait plus d’informations, que Iacobucci n’est pas un vieux croûton. Il a parlé de la date du 20 septembre et du fait que rien n'était sorti du DPP. Il a ajouté que le premier ministre était très préoccupé par les limites de mon rôle de procureure générale et de directrice des poursuites pénales. Selon lui, le premier ministre était très conscient de mon rôle de procureure générale du Canada.
    J’ai répété au greffier que j’avais ordonné à ma sous-ministre de ne pas communiquer avec la directrice des poursuites et qu'après avoir étudié la question, je ne lui parlerais pas directement d’un APS. J’ai dit au greffier que si SNC m’envoyait une lettre exprimant ses préoccupations, énonçant ses positions quant à l'intérêt public, ce serait acceptable et que je la ferais suivre à la directrice des poursuites pénales.
    Plus tard ce jour-là, ma chef de cabinet a reçu un appel téléphonique d'Elder Marques et de Mathieu Bouchard, du Cabinet du premier ministre. Ils voulaient faire le point sur la situation au sujet des APS, car, selon eux, il ne restait plus beaucoup de temps. Elle leur a communiqué mon résumé de la réunion avec le greffier et le premier ministre.
    Mathieu et Elder ont également soulevé l’idée d’une « communication informelle » avec la DPP. Ma chef de cabinet a dit qu’elle savait que je n’étais pas à l’aise, car cela avait l'apparence et constituait probablement de l’ingérence politique. Ils ont demandé si c’était vraiment le cas, si ça venait vraiment de la procureure générale elle-même et pas de son personnel ou de la sous-ministre. Ma chef de cabinet a répondu « oui » et a proposé qu'on me téléphone directement. Ils ont alors annoncé qu'ils allaient réfléchir avant de nous recontacter.
    Toujours le 19 septembre, j’ai parlé de cette question avec le ministre Morneau, à la Chambre. Il a de nouveau insisté sur la nécessité de sauver des emplois, et je lui ai dit que les contacts entre son bureau et le mien au sujet de SNC devaient cesser, qu’ils étaient déplacés.
    Or, ils ont continué. Le 20 septembre, ma chef de cabinet a téléphoné à M. Chin et à Justin To, deux membres du cabinet du ministre des Finances, au sujet des APS et de SNC.
    Après le 20 septembre, il semble qu'il y ait eu une pause dans les communications avec ma chef de cabinet ou moi au sujet de l’affaire SNC. Nous n’avons plus entendu parler de qui que ce soit avant le 18 octobre, lorsque Mathieu Bouchard a téléphoné à ma chef de cabinet pour lui demander que nous — en fait, moi — examinions la possibilité de demander un avis juridique externe sur la décision de la DPP de ne pas lancer d'invitation à négocier un APS.
    Puis, cela est revenu en leitmotiv pendant un certain temps dans les messages du CPM où il était question de soumettre la décision de la DPP à un examen externe.
    Le lendemain, SNC a déposé une requête en Cour fédérale pour faire annuler la décision de la DPP de ne pas conclure d’accord de réparation.
    À mes yeux, cela mettait forcément un terme à l'idée que je parle avec la DPP ou que j'intervienne auprès d'elle, ou encore que l'on réclame un examen externe. L’affaire était maintenant devant les tribunaux et un juge allait examiner le pouvoir discrétionnaire de la DPP.
    Cependant, le 26 octobre 2018, quand ma chef de cabinet a parlé à Mathieu Bouchard et lui a dit que SNC ayant maintenant demandé à la Cour fédérale de réviser la décision de la DPP, il n'était plus nécessaire de faire intervenir la procureure générale ou d’obtenir un avis externe sur la même question, Mathieu lui a répondu qu’il n'avait pas abandonné cette idée d’un avis juridique externe. Il se demandait si la procureure générale ne pourrait pas obtenir un avis juridique externe pour savoir si la DPP avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée et, en regard de la demande elle-même, si la procureure générale ne pourrait pas intervenir et demander la suspension des procédures, étant donné qu’elle attendait un avis juridique.

  (1610)  

     Ma chef de cabinet a dit que si sa patronne remettait en question la décision de la DPP, cela serait évidemment perçu comme de l’ingérence. Mathieu lui a rétorqué qu'il serait regrettable si, six mois après les élections, SNC annonçait le déménagement de son siège social à l’extérieur du Canada. « Nous pouvons bien avoir les meilleures politiques au monde, mais nous devons nous faire réélire », a-t-il ajouté, et que si tout le monde était conscient que la décision revenait à la procureure générale, il fallait quand même s’assurer que toutes les options étaient examinées. Selon Mathieu, il n'y avait pas de problème à ce qu'en fin de compte la procureure générale se sente mal à l’aise. Il ne voulait tout simplement pas que des portes se referment. Jessica, ma chef de cabinet, lui a indiqué que je serais toujours heureuse de lui parler s’il le souhaitait.
    À la mi-novembre, le CPM m’a demandé de rencontrer Mathieu Bouchard et Elder Marques pour discuter de la question, ce que j’ai fait le 22 novembre. Cette réunion a été assez longue; je dirais environ une heure et demie. J’étais irritée d’avoir à y participer, car j’avais déjà tout dit au premier ministre, qu’il n’y aurait pas d'APS avec SNC, que je n’allais pas émettre de directive, etc. Au cours de cette réunion, c'est surtout Mathieu qui a parlé. Il a essayé de me faire comprendre qu’il y avait d'autres options et que je devais trouver une solution. Je leur ai alors parlé des articles 15 et 10 de la Loi sur le DPP et de l’indépendance de la poursuite comme d’un principe constitutionnel, et du fait qu’il s’agissait d’une ingérence. J’ai parlé de l'avis en vertu de l’article 13, qu’ils ont dit n’avoir jamais reçu, mais je leur ai rappelé que nous l’avions envoyé en septembre. Mathieu et Elder ont continué de plaider leur cause disant que, si je doutais de ma décision, nous pourrions engager un éminent juriste pour me conseiller. Ils étaient venus tâter le terrain et je leur ai dit non. Mon idée était faite et il fallait arrêter cela. C’était assez.
    Là-dessus, je vais faire une brève pause pour vous parler de mon état d’esprit.
     En ma qualité de procureure générale, j’avais reçu la décision de la DPP en septembre, j’avais examiné l’affaire, j’avais pris une décision sur ce qui était approprié au vu d'un APS et je l’avais communiquée au premier ministre. J’avais également pris d’autres mesures que le premier ministre m’avait demandé de prendre, comme le fait de rencontrer le greffier.
     À mon avis, les communications et les efforts déployés pour me faire changer d’avis sur cette question auraient dû cesser. Divers fonctionnaires m’ont également exhortée à tenir compte de considérations politiques partisanes, ce qui était clairement déplacé à mes yeux. Soit notre système est fondé sur la primauté du droit, l’indépendance des fonctions de poursuite et le respect des personnes chargées d’exercer leur pouvoir et leur pouvoir discrétionnaire, soit il ne l'est pas.
    Même si, au tout début et compte tenu de notre système de gouvernement, il pouvait être approprié de tenir des discussions axées sur les politiques, l'insistance — sans égard aux procédures judiciaires portant sur la même question et aux décisions nettes de la directrice des poursuites pénales et de la procureure générale — à poursuivre les pressions, voire à les intensifier, soulève, quant à moi, de graves préoccupations. C'est pourtant ce qui a continué de se produire.
    Le 5 décembre 2018, j’ai rencontré Gerry Butts. Nous avions tous les deux souhaité cette réunion. Je voulais parler d’un certain nombre de choses, y compris de SNC et de la pléthore de gens qui nous harcelaient, mon personnel et moi. Vers la fin de la réunion, au Château Laurier, j’ai insisté pour que tout le monde arrête de me parler de SNC, parce que j’avais pris ma décision et que ces intrusions étaient inappropriées.
    Gerry a alors relancé la conversation en disant que nous avions besoin d’une solution pour SNC. Il a insisté pour que je trouve une solution. Je lui ai rétorqué que tel ne serait pas le cas et j’ai mentionné l’enquête préliminaire et le contrôle judiciaire. J’ai ajouté que j’avais donné au greffier la seule solution appropriée, soit l’idée de la lettre, et elle n’a pas été retenue. Gerry a alors dit que la loi avait été adoptée par Harper et qu’il ne l’aimait pas. Je lui ai répondu que c’était la loi que nous avions.

  (1615)  

    Le 7 décembre, j’ai reçu une lettre du premier ministre datée de la veille, accompagnée d’une lettre du PDG de SNC-Lavalin datée du 15 octobre. J’ai répondu à la lettre du 6 décembre du premier ministre, soulignant que l’affaire était devant la justice et que je ne pouvais donc pas faire de commentaires à ce sujet, que la décision concernant l'APS relevait de la DPP, qui est indépendante de mon bureau.
    Cela m’amène aux derniers événements de la chronologie qui, quant à moi, marquent l’escalade finale des tentatives d'ingérence dans ce dossier de la part du Cabinet du premier ministre. Le 18 décembre 2018, ma chef de cabinet a été convoquée de toute urgence à une réunion avec Gerry Butts et Katie Telford pour discuter de SNC. Ils voulaient savoir où j’en étais — personnellement — dans la quête d'une solution. Ils lui ont dit qu’ils avaient l’impression que le problème s’aggravait et que je ne faisais rien. Ils ont parlé d’un appel possible avec le premier ministre et le greffier le lendemain.
    Je vais maintenant vous lire la transcription des parties les plus pertinentes d’une conversation entre ma chef de cabinet et moi, presque immédiatement après cette réunion.
    Jessica: « Essentiellement, ils veulent une solution. Rien de nouveau. Ils veulent que l’on retienne les services d’un conseiller juridique externe pour qu’il vous donne une opinion quant à savoir si vous pouvez revoir la décision de la DPP ici et si vous devriez, dans ce cas... Je leur ai dit que ce serait de l’ingérence. Gerry a rétorqué: “Jess, il n’y a pas de solution ici qui n’implique pas une certaine ingérence.” Au moins, a ponctué Jessica, ils sont enfin honnêtes quant à ce qu’ils vous demandent de faire: ne pas se soucier de l’indépendance du SPPC. Katie a dit: “Nous ne voulons plus débattre de questions juridiques.” Et ils ont martelé: “Nous ne sommes pas avocats, mais il doit y avoir une solution.” »
    J'ai alors texté sous mon pseudo MOJAG: « Alors, sur quoi vous êtes-vous laissés? »
    Jessica: « Ce n'est pas clair du tout. J’ai précisé que j’allais bien sûr vous faire part de la conversation et ils ont dit qu’ils allaient “tâter le terrain” auprès de quelques personnes en soirée. Quand je suis partie, le greffier attendait à l’extérieur. Ils ont ajouté qu’ils voulaient organiser un appel téléphonique entre vous, le premier ministre et le greffier demain. J’ai répondu que vous seriez évidemment heureuse de parler à votre patron! Ils semblent emballés à l’idée que vous reteniez les services d’un ancien juge de la Cour suprême du Canada pour obtenir des conseils à ce sujet. Katie Telford estime que cela fait parler de nous dans le milieu des affaires et le milieu juridique, et que ça permettra au premier ministre de dire que nous faisons quelque chose. Elle a ajouté: “Si Jody est nerveuse, nous rameuterons le plus grand nombre de personnes possible pour rédiger des articles d'opinion affirmant qu'il n'y a rien de mal dans ce qu'elle a fait.” »
    Le 19 décembre 2018, on m’a demandé d'accepter l'appel du greffier, un appel assez long que j’ai pris de chez moi. J’étais seule, livrée à moi-même. Compte tenu de ce qui s’était passé la veille avec ma chef de cabinet, j’étais déterminée à mettre fin une bonne fois pour toutes à toute ingérence et à toute conversation à ce sujet. Voici ce dont le greffier et moi avons discuté.
    Le greffier a indiqué qu’il appelait au sujet de la conclusion d'un APS avec SNC, précisant qu’il voulait me transmettre la position du premier ministre. Il a parlé du conseil d’administration et de la possibilité qu’il décide de vendre SNC à d’autres intérêts, que la firme déménagerait son siège social et que des emplois seraient perdus.
    Il a ajouté que le premier ministre voulait pouvoir dire qu’il a tout essayé dans les limites de la légalité, qu'il est très déterminé, très ferme, mais qu'il veut savoir pourquoi on n’utilise pas la formule de l'APS prévue par le Parlement. Il a précisé: « Je pense qu’il va trouver une manière de le faire, d’une façon ou d’une autre... voilà son état d'esprit, et je voulais vous en faire part. »
    Le greffier a précisé qu’il ne savait pas si le premier ministre avait l’intention de m’appeler directement ou s’il pensait que quelqu’un d’autre serait en mesure de lui donner des conseils. « Vous savez, m'a-t-il dit, il ne veut rien faire d’autre que ce qui est légal ou approprié, il veut mieux comprendre, être conseillé à ce sujet ou faire en sorte que vous le soyez, si cela pouvait vous rassurer quant au fait que vous n'agissez pas de façon inappropriée ou en dehors du cadre établi. »
    J’ai répondu au greffier que j’étais tout à fait convaincue de ne rien faire d’inapproprié. Une fois de plus, j’ai réitéré ma conviction d'avoir pris la bonne décision au sujet de SNC et de l'APS. J’ai répété qu’il s’agissait d’un principe constitutionnel, celui de l’indépendance de la poursuite.

  (1620)  

     Lors de cet appel, j’ai prévenu le greffier que nous nous aventurions en terrain dangereux. J’ai également émis un avertissement sévère, soit qu'en tant que procureure générale, je ne pouvais pas agir de telle façon de mon côté tandis que la poursuite agirait de telle autre façon. Cela n'aurait pas été objectif et il n'y aurait pas eu d'indépendance. Je ne pouvais pas agir de façon partisane et obéir à des motivations politiques. On comprend bien pourquoi.
    Le greffier se demandait si quelqu’un d'autre pouvait parler à la directrice du contexte ou lui demander d’expliquer son raisonnement. Avant de partir, le greffier m’a dit qu’il allait devoir faire rapport au premier ministre, puis il a répété que le premier ministre avait une idée bien arrêtée de la question et qu’il était un peu inquiet.
    Quand je lui ai demandé ce qui l’inquiétait, le greffier m'a répondu qu’il n’était pas bon que le premier ministre et sa procureure générale soient à couteaux tirés.
    Je lui ai précisé que je donnais les meilleurs conseils possible au premier ministre et que, s’il ne les acceptait pas, il était en droit de faire ce qu’il voulait, mais que j’essayais de le protéger contre toute ingérence politique, perçue ou autre.
    Le greffier l’a reconnu en ajoutant toutefois que le premier ministre n’avait pas le pouvoir de faire ce qu’il voulait. Selon lui, c'est moi qui avais tous les outils dans les mains.
    J’ai dit que cela me faisait penser au massacre du samedi soir, mais que j’avais la certitude d’avoir donné au premier ministre mes meilleurs conseils pour le protéger et pour protéger le principe constitutionnel de l’indépendance de la poursuite.
    Le greffier a dit qu’il s’inquiétait du risque de conflit parce que le premier ministre était assez ferme à ce sujet. Il l'avait vu quelques heures plus tôt et avait constaté que cela était vraiment important pour lui. C’est essentiellement là que s’est terminée la conversation, et je n’ai pas été contactée par le premier ministre le lendemain.
    Je tiens simplement faire savoir à tout le monde qu’en ma qualité de président, j'ai décidé de vous accorder plus de 30 minutes. Vous avez dépassé ce temps, mais j’aimerais que vous puissiez terminer votre déclaration.
    Quelqu’un s’y oppose-t-il?
    Des députés: Non.
    Non, et je pense que personne dans l’auditoire ne s'y oppose non plus.
    D’accord.
    Veuillez poursuivre, madame.
     Merci, monsieur le président.
    Le 7 janvier, j’ai reçu un appel du premier ministre m’informant qu’il me retirait le rôle de ministre de la Justice et procureur général du Canada. Je n’entrerai pas dans les détails de cet appel ni des communications subséquentes au sujet du remaniement, si ce n'est pour dire que je lui alors déclaré alors que, selon moi, c'était sans doute dû à l’affaire SNC, ce qu'il a nié.
    Le 11 janvier 2019, le vendredi précédant le remaniement, mon ancienne sous-ministre a été appelée par le greffier pour se faire dire qu'un remaniement était en cours et qu’elle aurait un nouveau ministre. À l'occasion de cette conversation, le greffier a précisé à la sous-ministre qu’un des premiers sujets de conversation entre le nouveau ministre et le premier ministre concernerait SNC-Lavalin, ce qui voulait dire que le nouveau ministre devrait être prêt à parler de ce dossier avec le premier ministre. La sous-ministre a répété cela à ma chef de cabinet, qui m’en a fait part.
    Mon récit des événements s’arrête là, mais je dois réitérer au Comité ce qui me préoccupe et qui apparaît dans la lettre adressée à votre président hier. En effet, le décret 2019-0105 ne porte que sur mon mandat de procureure générale du Canada et, par conséquent, il ne m'exonère pas des restrictions s’appliquant aux échanges que j'ai eus pendant que je servais fièrement en qualité de ministre des Anciens Combattants, ni à ma démission de ce poste ou encore à mon exposé au Cabinet après ma démission.
    Cette période comprend des communications sur des sujets que certains membres du Comité ont explorés avec d’autres témoins et au sujet desquels d’autres ont fait des déclarations publiques. Le décret laisse en place les diverses contraintes, en particulier à propos des documents confidentiels du Cabinet, qui m’empêchent de parler librement de ce qui s'est produit après que j’ai quitté mon poste de procureur général.
    Malgré ces limitations, j’espère que grâce à ma relation des faits d’aujourd’hui, le Comité et tous ceux qui nous écoutent partout au pays ont une idée claire de ce que j’ai vécu et de ce que je sais au sujet du rôle des différents acteurs et de ce qui s'est dit. J’espère et je crois que les faits parlent d’eux-mêmes. J’imagine que les Canadiens comprennent maintenant très bien que, selon moi, ces interventions étaient autant de pressions pour que j'intervienne dans une cause et que ces pressions ou ingérences politiques n’étaient pas appropriées. Toutefois, les Canadiens peuvent en juger par eux-mêmes, puisque nous disposons maintenant d'un même cadre d’information.
    Enfin, comme je l’ai déjà dit, j’ai toujours été d’avis que le procureur général du Canada doit être non partisan et davantage transparent dans l'application des principes qui sous-tendent les décisions prises et que, ce faisant, il doit toujours être disposé à dire la vérité au pouvoir en place. En prononçant ces mots, je pensais à ce que je considère comme étant l’importance vitale de la primauté du droit et de l’indépendance de la poursuite dans notre démocratie.
    Ma vision en la matière a été façonnée par mon vécu. Bien sûr, je suis avocate. J’ai été procureure dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, et j’en suis venue à cette conclusion en ma qualité de professionnelle dûment formée et attachée à certaines valeurs qui me paraissent essentielles à notre système de gouvernance.
    La façon dont j'appréhende la primauté du droit a aussi été inspirée par mon vécu d’Autochtone et de dirigeante autochtone. L’histoire des relations entre la Couronne et les Autochtones dans ce pays englobe toute une période où la primauté du droit n’a pas été respectée. En effet, l’une des principales raisons pour lesquelles il y a urgence de miser sur la justice et la réconciliation aujourd’hui tient à ce que, dans l’histoire de notre pays, nous n’avons pas toujours défendu certaines valeurs fondamentales dans le cas des peuples autochtones, comme la primauté du droit. J’ai vu de mes propres yeux les répercussions négatives que cela peut avoir sur la liberté, l’égalité et une société juste. Cela étant, quand je me suis engagée à servir les Canadiens en qualité de ministre de la Justice et procureure générale, je l’ai fait avec un attachement profond à la primauté du droit et à l’importance d’agir indépendamment des intérêts partisans, politiques et étroits dans tous les dossiers. Quand nous n'agissons pas ainsi, je pense sincèrement, en fait, je sais que nous faisons pire en tant que société.
    Je conclurai en disant ceci: on m’a enseigné à toujours faire attention à ce que l'on dit parce qu'on ne peut plus reprendre ses paroles.

  (1625)  

     On m’a appris qu'il fallait demeurer fidèle à ses valeurs et principes fondamentaux et agir avec intégrité. Ce sont les enseignements de mes parents, de mes grands-parents et de ma communauté. Je viens d’une longue lignée de matriarches, et je dis la vérité, conformément aux lois et aux traditions de notre grande maison. C’est la personne que je suis et que je serai toujours.
    Gilakas’la. Merci.
    Merci beaucoup, madame Wilson-Raybould, de nous avoir fait part de votre point de vue. Nous vous en sommes très reconnaissants.
    Mesdames et messieurs, je vais établir les règles pour les questions. Je suis habituellement très souple du point de vue du temps de parole, mais comme nous l’avons fait pour les autres réunions sur cette question, nous allons nous en tenir au temps imparti. Par conséquent, si quelqu'un demande une réponse rapide, je demanderais à notre témoin d’être succincte, mais, évidemment, je veux qu’elle puisse terminer ses réponses.
    Pour la première série, les conservateurs commenceront avec six minutes, puis ce seront les libéraux avec six minutes aussi et les néo-démocrates pour six minutes, avant de revenir aux libéraux pour le même temps. Je ferai savoir à tout le monde, avant chaque tour, où nous en sommes côté temps.
    Nous allons commencer par Mme Raitt.

  (1630)  

    Merci beaucoup, madame Wilson-Raybould. Je vous remercie de votre patience. Le cheminement n’a pas été facile, mais je sais que les Canadiens l’apprécient vraiment et qu’ils apprécient votre témoignage d’aujourd’hui.
    Je tiens d’abord à dire que je crois tout ce que vous avez dit aujourd’hui. Je vous suis reconnaissante de votre sens de l'honneur et de votre honnêteté, et je vous suis reconnaissante de votre intégrité et de votre courage.
    J’ai quelques questions à poser, cependant, et j'aimerais recueillir vos commentaires et avoir votre point de vue.
    D’abord et avant tout, le premier ministre a dit que vous pourrez discuter de tous les renseignements pertinents, mais croyez-vous qu’il y a des renseignements pertinents que vous n’avez pas pu inclure dans votre déclaration de 30 minutes qui pourraient être utiles au Comité?
    Comme je l’ai indiqué dans ma lettre au Comité hier et comme je l’ai dit dans mes remarques aujourd’hui, le décret et la renonciation au privilège et à la confidentialité s’étendent jusqu’au 14 janvier, date à laquelle j’ai été assermentée comme ministre des Anciens Combattants, de sorte qu’ils ne comprennent pas les conversations ayant eu lieu par la suite. Ils ne comprennent pas mes éventuels entretiens avec le premier ministre ni les échanges que j’ai eus avec mes anciens collègues du Cabinet après ma démission.
    Pensez-vous que ce serait pertinent à votre position?
    Après avoir entendu certains de vos débats et certaines des questions posées par le Comité au cours de vos réunions antérieures, je pense que l'on pourrait répondre à certaines questions si ces renseignements étaient disponibles.
    L’un des éléments importants de votre témoignage d’aujourd’hui concerne les noms que vous nous avez donnés et qui donnent lieu à une liste différente de personnes étant intervenues dans cette situation depuis le début, en septembre.
    Auriez-vous l’obligeance de nous fournir une liste complète de ces noms. J’en ai noté quelques-uns, mais je n’ai pas la liste complète. Est-ce quelque chose que vous seriez prête à faire pour nous?
    Je crois que la liste complète des noms se trouve dans mes propos liminaires qui, je crois, vous ont été distribués, mais si j’ai mal compté, je fournirai tous les noms.
    Je l’apprécie. À la page 14, vous dites que diverses personnes sont intervenues à l’époque. Si vous vous rappelez de qui il s'agissait, cela nous serait utile pour nous assurer d’avoir une liste complète de tous les témoins.
    Vous nous avez fait remarquer que le 7 janvier, on vous a dit que vous étiez renvoyée du poste de procureur général. De plus, vous avez publié un très long message sur Facebook après avoir été ministre des Anciens Combattants. Je suppose que vous avez beaucoup réfléchi à ce que vous alliez écrire dans une telle note à l’époque où vous étiez procureure générale. Par conséquent, je pense et je crois que la déclaration que vous avez faite, même si techniquement elle l'a été alors que vous étiez ministre des Anciens Combattants, a été réfléchie à l'époque où vous étiez procureure générale et qu'elle reflète votre état d'esprit d'alors.
    J’aimerais vous poser deux ou trois questions au sujet de vos messages sur Facebook. Je vais citer le premier que vous avez mentionné dans vos remarques: « J’ai toujours été d’avis que le procureur général du Canada doit être non partisan, davantage transparent... et, cela étant, toujours disposé à dire la vérité aux autorités. »
     Croyez-vous, aux fins du compte rendu, que vous avez été démise de vos fonctions de procureure générale parce que vous avez dit la vérité aux autorités au sujet de la poursuite en cours de SNC?
    Je vais devoir faire très attention à ce que je vais dire.
    Je comprends.
    Je crois pouvoir parler de mon état d'esprit du 7 janvier jusqu’à mon assermentation comme ministre des Anciens Combattants.
     Oui.
    D’après mes remarques, il doit être évident que je craignais d’être démise de mes fonctions de ministre de la Justice et de procureure générale, peut-être à cause de ma décision de ne pas négocier un accord de poursuite suspendue, APS, avec SNC. J’ai fait part de ces préoccupations au premier ministre et à Gerry Butts. Comme je l’ai dit dans mes propos liminaires, tous deux l'ont nié. Je ne peux pas parler de mon état d'esprit par la suite.
    Je comprends cela.
    Dans la deuxième partie de cette lettre, vous dites: « Le caractère unique et indépendant du double rôle de ministre de la Justice et procureur général du Canada sont encore plus importants. Je sais que les Canadiens de partout au pays s’attendent à ce que des normes aussi élevées continuent d’être respectées, surtout en cette période d’incertitude dans laquelle nous vivons actuellement, et je m’attends à ce que cela continue. »
    J’aimerais savoir si vous craignez que l’indépendance du Bureau du procureur général ne soit érodée, compte tenu de ce que vous nous avez dit aujourd’hui et du fait que vous pensiez que le procureur général actuel devait être informé du report de la décision concernant SNC-Lavalin.

  (1635)  

    Je ne ferai pas de commentaires sur le procureur général actuel, mais je vais parler du temps que j’ai passé comme procureure générale et de ce que je me suis dit quand, durant mes vacances à Bali, j’ai reçu un appel du premier ministre.
    Pendant ces quatre mois où j'étais encore procureure générale, mis à part les pressions et l’ingérence politiques tout à fait déplacées, je suis demeurée convaincue que, dans ce rôle, j’étais celle qui prendrait la décision finale sur la question de savoir si une directive serait émise dans l’affaire SNC. Je savais donc que, tant et aussi longtemps que je resterais procureure générale, cela ne se produirait pas.
    J'ai craint, après avoir été démise de mes fonctions de procureure générale, que cela devienne possible. J’ai décidé d’embrasser ce nouveau rôle, un rôle très important — et je tiens vraiment à dire publiquement que le rôle de ministre des Anciens Combattants Canada est extrêmement important — et je l’ai pris très au sérieux.
    J’avais donc décidé d’assumer le rôle que le premier ministre venait de me confier, mais j’avais des inquiétudes, parce que j'étais toujours assise autour de la table du Cabinet et que je savais que, si une directive devait être publiée dans la Gazette, j’allais devoir démissionner sur-le-champ.
    Merci beaucoup.
    Madame O’Connell.
    Merci, monsieur le président.
    Merci de votre présence et de nous avoir fourni vos notes d'allocution. Je les pense utiles.
    Pour ce qui est de mes questions, j’aimerais avoir une idée générale du calendrier des événements. Je sais que vous l’avez expliqué ici, et j’ai essayé de suivre un peu.
    Je crois que c'est aux environs du 17 septembre — et corrigez-moi si je me trompe — que vous avez rencontré le premier ministre pour la première fois, mais pas a priori au sujet de SNC-Lavalin, même si ce sujet a été abordé. Est-ce à ce moment-là que vous vous êtes sentie mal à l’aise quant à votre rôle dans cette affaire, ou si votre malaise remontait au premier compte rendu de votre chef de cabinet après ses échanges avec M. Chin?
    Comme vous avez posé deux ou trois questions, si j'en omets une, n’hésitez pas à me le faire savoir.
     Comme je l’ai dit, j’avais réclamé la réunion du 17 septembre sur une autre... sur une question importante. Comme je l’ai dit, le premier ministre a parlé de SNC et de l’accord de poursuite suspendue. En présence du greffier, nous avons eu des échanges au sujet de SNC. Il a parlé de SNC, des emplois et du risque de perte d’emplois. Je dirais qu’il était tout à fait approprié que le premier ministre soulève ces questions.
    En revanche, les conversations se sont révélées tout à fait inappropriées quand il a été fait mention des élections au Québec et du fait que le premier ministre était un député du Québec. C’est à ce moment-là que j’ai immédiatement commencé à m’inquiéter et, parce que j’étais procureure générale, j’ai cherché à avoir un échange avec le premier ministre au sujet de la loi, du rôle du procureur général et de l’indépendance nécessaire que le procureur général doit avoir dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, dans ce cas-ci en ce qui concerne une poursuite.
    Les préoccupations politiques qui ont été soulevées m’ont incitée à demander directement au premier ministre s’il s’ingérait politiquement dans mon rôle de procureur général, et dès cet instant tous mes sens se sont mobilisés. Le premier ministre m’a assuré que ce n’était pas le cas, mais peu de temps après, j’ai demandé à mon personnel — m'incluant moi-même dans la démarche — de s’assurer que nous avions une chronologie très détaillée de toutes les réunions et conversations au sujet de SNC et de l'accord de poursuite suspendue.

  (1640)  

    Merci.
    Vous ne diriez pas que le sujet de la conversation avec M. Chin, le 7 septembre, a nécessairement déclenché un signal d’alarme, parce qu'il avait été question d'entreprises... Est-ce qu'à un moment donné, dans votre esprit, le débat a basculé sur des thèmes politiques ou vous étiez-vous sentie tout aussi préoccupée dès le 7 septembre?
    Pour ce qui est des réunions antérieures à ma rencontre avec le premier ministre, Ben Chin avait eu des discussions avec ma chef de cabinet sur des questions touchant à la politique publique, aux répercussions des décisions et à la perte d’emplois, ce qui était approprié.
    D’accord.
    Mais je dirai que, dans ces appels — je n’ai pas mes notes devant moi, mais j’ai une assez bonne mémoire —, M. Chin a soulevé la question des élections au Québec. Je dirais qu’il n’y a pas de mal à parler de pertes d’emplois, et c’était bien d’en parler dans les premiers échanges, mais quand ces questions ont continué à être soulevées alors qu'il était clair qu'une décision avait été prise, c'est là que c'est devenu inapproprié.
    Merci de cette précision.
    Je suis désolée. Je veux simplement tirer cela au clair parce que vous avez mentionné avoir des notes et une assez bonne mémoire. Dans vos remarques liminaires, tant par écrit que de vive voix, toutes les conversations qui ont eu lieu les 7, 8 et 11 septembre, du moins celles avec M. Chin, se sont déroulées avec votre personnel et pas directement avec vous. Avez-vous oublié les conversations que vous avez également eues ou s’agissait-il simplement de notes que vous avez prises à la suite de vos conversations avec quelqu’un s'étant entretenu avec M. Chin? Je veux simplement apporter une précision, parce que vous l’avez mentionné.
    Oui, bien sûr, je serais heureuse de répondre à la question si vous me permettez de parler du fonctionnement de mon cabinet de ministre. J’entretenais nécessairement une relation incroyablement étroite avec ma chef de cabinet. À l’époque, j’entretenais également des relations très étroites avec ma conseillère à la magistrature qui, pendant un certain temps, a été ma chef de cabinet parce que nous étions à l’extérieur du pays.
    Chaque fois que ma chef de cabinet parlait avec quelqu'un, elle prenait des notes et me les transmettait immédiatement, surtout dans le cas de conversations ayant suscité des préoccupations. À cause de cette nécessaire proximité, elle et moi partagions des renseignements importants et procédions toujours de la même façon pour les réunions, les appels téléphoniques et les courriels qu’elle recevait. Elle avait l’obligation — c’est ce que je lui avais demandé — de me fournir force détails.
     Merci.
    Madame O’Connell, c’est votre dernière question.
    D’accord.
    Ici — je suis désolée, je ne me souviens pas où —, il est dit quelque part dans ces conversations que vous étiez — ou que votre personnel l'aurait dit en votre nom — ouverte à d’autres discussions sur l’affaire SNC-Lavalin, du moins au mois de septembre.
    N’est-ce pas exact? Ou encore: en septembre, vous étiez à l’aise et confiante que la décision avait été prise.
    Ma foi, pendant cette période, j'avais entamé des conversations et demandé des breffages, comme je le faisais normalement lorsque je recevais un avis en vertu de l'article 13. Je pense pouvoir parler d'une prise de conscience accrue au sujet de l'avis donné en vertu de l'article 13 concernant SNC. Toutes ces conversations ont eu lieu au sein du ministère de la Justice. En tant que procureure générale, j'ai vu ce qu'il convenait que j'examine en me fondant sur la note de la directrice au sujet de l'article 13.
    Nous n'avons pas communiqué avec l'extérieur. Le cabinet du ministre des Finances a pris contact avec mon ministère, et ces conversations ont débuté.

  (1645)  

    Merci.
    Monsieur Rankin.
    Merci.
    Monsieur le président, je dois dire que je suis très troublé par ce que j'entends aujourd'hui. Je suis avocat depuis plus de 40 ans. J'ai enseigné la primauté du droit à une génération d'étudiants en droit. Ce que j'entends aujourd'hui devrait troubler au plus haut point tous les Canadiens.
    Madame Wilson-Raybould, nous venons tous deux de la Colombie-Britannique. Nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Sachez que je vous crois entièrement. Sachez également que j'admire tout le courage dont vous faites preuve en venant raconter aux Canadiens ce que vous avez vécu.
    Je crois — si nous vous croyons, ce qui est le cas — qu'il n'y a pas d'autre conclusion qui puisse raisonnablement être tirée, mais qu'il y a eu un effort soutenu et constant d'ingérence politique dans le rôle crucial qu'un procureur général doit jouer dans notre système juridique.
    Je vous cite: « J'ai été la cible de pressions constantes et soutenues de la part de bien des membres du gouvernement cherchant à s'ingérer politiquement dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite, dans mon rôle de procureure générale du Canada, dans une tentative inappropriée d'obtenir un accord de poursuite suspendue... »
    Vous avez parlé de 10 appels téléphoniques, 10 réunions sur ce sujet précis. Puis vous avez parlé de ce que j'appellerais les conséquences et des menaces pour vous faire plier. Vous avez dit que « les conséquences potentielles et des menaces voilées si un accord de poursuite suspendue, un APS, n'était pas offert à SNC » ont été portées à votre attention pendant ces conversations.
    Voici ma question: comment les Canadiens, s'ils vous croient, comme je vous crois, peuvent-ils conclure à autre chose qu'une tentative d'ingérence politique dans votre rôle de procureure générale indépendante?
    Eh bien, je vous remercie de vos observations et de votre question, mais je crois que la question est plutôt rhétorique.
    Dans mon témoignage d'aujourd'hui, j'ai voulu présenter les faits. Aujourd'hui et tout au long des quatre mois, je suis venue à la conclusion qu'il y a eu un effort soutenu ou une tentative d'ingérence politique dans le pouvoir discrétionnaire de la procureure générale du Canada. C'était inapproprié.
    Le 11 janvier, avez-vous dit — c'était le vendredi précédant le remaniement ministériel — le greffier a appelé votre ancienne sous-ministre pour lui faire part du remaniement en cours et lui a dit que l'une des premières conversations que le nouveau ministre devrait avoir avec le premier ministre concernerait SNC-Lavalin.
    Une personne raisonnable qui se pencherait là-dessus conclurait qu'on vous a retiré votre rôle pour avoir refusé de vous laisser convaincre de changer d'avis en résistant aux pressions persistantes et constantes et que vous avez été congédiée de votre fonction de procureure générale parce que vous n'avez pas changé d'avis. C'est ce que je retiens du dossier. Autrement dit, il semble y avoir un lien direct entre cette conversation de la veille du remaniement ministériel et ce qui s'est passé, c'est-à-dire la perte de votre rôle de procureure générale. C'est ce qui semble avoir été dit.
    Maintenant, j'ai une question. Après ce que vous avez appelé des pressions « constantes et soutenues » pour vous faire revenir sur votre décision, j'aimerais en entendre un peu plus sur les raisons pour lesquelles vous n'avez pas changé d'idée.
     Je n'ai pas changé d'idée de ne pas donner une directive à la directrice des poursuites pénales sur la question de l'invitation à négocier un accord de réparation avec SNC parce que j'avais lu l'article 13 et fait mon propre exercice de diligence raisonnable quant à la pertinence de conclure un accord de poursuite suspendue avec SNC, et que j'avais pu également bénéficier de la rétroaction et des séances d'information des fonctionnaires de mon ministère et de mon personnel politique.
    J'ai pris ma décision avant la réunion du 17 septembre. Ceux qui me connaissent savent que mon processus décisionnel tient compte de multiples points de vue, et que je fais bon accueil à de nombreux points de vue sur les questions de politique publique. Ayant tenu compte de nombreux points de vue différents et bien consciente de mon rôle — de mon rôle indépendant de procureure générale — ainsi que de la nécessité de prendre une décision... Je sais que vous étudiez les principes Shawcross — et je ne veux pas parler des principes Shawcross — mais en tant que procureure générale, je dois prendre des décisions avec mon chapeau judiciaire, sans égard aux considérations politiques et autres.
     J'avais décidé de ne pas donner de directive. Il était inapproprié d'empiéter sur le pouvoir discrétionnaire de la directrice des poursuites pénales, et ayant pris ma décision en tenant compte de toute l'information — encore une fois, pour ceux qui me connaissent — je n'allais pas changer d'avis.

  (1650)  

    Merci.
    Madame O'Connell.
    Pour revenir sur certaines questions d'échéancier, il semble, d'après votre réponse, vous n'avez revu Gerry que le 5 décembre pour lui faire part de votre impression précise qu'il s'agissait d'ingérence. Puisque vous connaissez M. Butts depuis longtemps — on a souvent rappelé que c'est lui qui vous a recrutée comme candidate pour le Parti libéral, si bien que vous vous connaissiez même avant la politique —, je suis curieuse de savoir s'il est juste de dire que ce n'est pas avant la réunion du 5 décembre avec M. Butts... que vous ne lui aviez pas envoyé de message au sujet des pressions constantes dont vous parlez, et si vous aviez communiqué avec lui de quelque manière, par texto, par courriel ou autrement, avant la réunion du 5 décembre pour lui dire que vous estimiez que ces conversations devaient cesser...
    Ma foi, je ne commenterai pas la nature de ma relation avec M. Butts...
    Très bien.
    ...mais je dois dire que c'est le premier ministre, alors chef du parti, qui m'a recrutée. Bien sûr, il y avait des conversations continues entre lui et M. Butts...
    Puis-je demander, alors, s'il est juste de dire, par contre, que vous le connaissiez et que vous étiez à l'aise avec lui? Je suppose que vous lui parliez régulièrement...
    Oui, bien sûr. J'ai eu des conversations assez fréquentes avec Gerry. En fait, Gerry m'a souvent dit — je ne pense pas dévoiler un secret — « Je vous parle plus qu'à la plupart des ministres ». J'aimais cette relation.
    Pour répondre à la deuxième partie de votre question, comme je l'ai dit, il y a eu des efforts soutenus de communication, non seulement avec moi, mais aussi avec mon bureau, de la part de divers membres du Cabinet du premier ministre, dont Mathieu Bouchard et Elder Marques, tous deux conseillers en politique et conseillers juridiques du premier ministre, ainsi qu'avec Gerry Butts et Katie Telford. À mon avis, mes préoccupations n'étaient pas un secret.
    À ce sujet, si ce n'était pas un secret, pourquoi avez-vous attendu le 5 décembre pour communiquer avec M. Butts au sujet, justement, de ces communications? On a dit en quelque sorte que vous-même ou quelqu'un de votre bureau examineriez la question en septembre; donc, si c'était constant, et que vous reconnaissez avoir parlé régulièrement à M. Butts, pourquoi ne pas avoir soulevé la question en septembre ou en octobre au sujet de ces conversations continues avec quelqu'un du Cabinet du premier ministre ou des cabinets d'autres ministres? Ou peut-être l'avez-vous fait? Je crois que la question est légitime. Avez-vous communiqué avec M. Butts avant cela pour lui faire part de vos préoccupations?
     Je vous remercie de votre question, qui me permet de rappeler encore une fois l'échéancier. J'ai bien fait part de ma préoccupation en septembre non pas à Gerry Butts, mais au premier ministre du pays. J'ai communiqué avec le greffier du Conseil privé, sous-ministre du premier ministre. J'ai communiqué avec Elder Marques et avec Mathieu Bouchard. J'ai communiqué avec la sous-ministre de la Justice et sous-procureure générale du Canada. Lorsque les efforts soutenus d'ingérence politique ont continué, j'ai cru — et j'ai des messages texte pour confirmer le moment où j'ai demandé la rencontre avec Gerry qui a finalement eu lieu le 5 décembre — qu'il était temps de lui réitérer mes préoccupations au sujet du caractère inapproprié de ces conversations, comme je l'ai fait au ministre Morneau en octobre ou septembre, sauf erreur — je me trompe peut-être de dates — pour dire que cela était inapproprié et devait cesser.

  (1655)  

    Vous n'avez pas mentionné Mme Telford. Donc, est-il juste de dire que vous n'avez pas parlé à Mme Telford entre ces dates en septembre? L'avez-vous déjà mentionné à Mme Telford ou avez-vous communiqué avec elle par texto, courriel ou sur papier au sujet des pressions constantes, comme vous dites?
    Correction: c'est le 19 septembre que j'ai eu la discussion avec le ministre Morneau.
    Pour répondre à votre question, dans la plupart des conversations que j'ai eues avec le Cabinet du premier ministre au plus haut niveau, Katie ou Jerry accompagnait Gerry Butts.
    D'accord.
    Soyons clairs, par contre. Ma chef de cabinet a eu des conversations avec M. Butts et Mme Telford le 18 décembre, comme je l'ai expliqué en détail.
    Après le 19 septembre, après cette rencontre avec le premier ministre, lui avez-vous reparlé des pressions continues que vous subissez?
    Ma réunion avec le premier ministre a eu lieu le 17 septembre. Et après le 17 septembre, je n'ai plus reparlé directement au premier ministre avant le 7 janvier; mais entretemps, il y a eu, comme je l'ai expliqué, de nombreuses réunions avec le personnel supérieur du Cabinet du premier ministre et le greffier du Conseil privé.
    Vous avez mentionné tantôt, pendant mon premier tour, que vous jugiez tout à fait approprié de discuter des emplois et de ces genres de répercussions — je paraphrase. Vous avez alors mentionné le ministre Morneau et la conversation que vous avez eue avec lui le 19, à la Chambre; c'est ce que vous avez dit dans votre témoignage, je crois. Vous avez dit qu'il a mentionné les pertes d'emplois. Qu'est-ce qui vous a donné l'impression que cette conversation était inappropriée?
    Inappropriée?
    Oui.
    Au sujet du premier point concernant les emplois et les pertes d'emplois, comme je l'ai dit dans mon témoignage et dans la conversation que j'ai eue avec le premier ministre, je ne crois pas qu'il soit inapproprié...
    D'accord.
    ... de discuter de pertes d'emplois, de SNC, aux premières étapes, où les ministres peuvent saisir le procureur général de ces questions. Ce qui est inapproprié, ce sont les longues discussions soutenues au sujet des pertes d'emplois une fois qu'il était clair que j'avais pris ma décision et que je n'allais pas recourir à un accord de poursuite suspendue.
    Abstraction faite des pertes d'emplois, les conversations que j'ai eues avec eux sont devenues clairement inappropriées lorsqu'elles ont touché des questions politiques, comme les élections au Québec, une défaite électorale si SNC déménageait son siège social, des conversations de ce genre, des conversations comme celle que j'ai eue avec le greffier du Conseil privé, qui a invoqué le nom du premier ministre tout au long de notre conversation et m'a parlé du pétrin dans lequel se trouvait le premier ministre et de ses inquiétudes à propos de ce qui allait se passer. Dans mon esprit, il s'agissait de menaces voilées, que j'ai considérées comme telles. C'est tout à fait inapproprié.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant au deuxième tour.
    Nous allons commencer le deuxième tour avec Mme Sahota.
     Merci, monsieur le président.
    J'aimerais d'abord revenir à la réunion du 17 septembre avec le premier ministre et le greffier du Conseil privé. Vous avez mentionné que c'est là que vous avez spécifiquement demandé au premier ministre s'il s'ingérait et qu'il vous a répondu que la décision vous appartenait toujours.
    C'est bien cela?

  (1700)  

    Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. J'avais situé le contexte des commentaires du premier ministre et du greffier, et je sais que c'était ce que les médias avaient rapporté, mais ce n'est pas ce qui a été dit.
    J'ai posé une question directe au premier ministre, après avoir entendu ses commentaires au sujet des élections et de mon élection dans Papineau: « Est-ce que vous vous ingérez dans mon rôle de procureure générale, dans ma décision? ». Je lui ai vivement conseillé de ne pas le faire; c'était ma question directe au premier ministre.
    Il a dit que la décision vous appartenait toujours. Est-ce exact?
    Il n'a pas dit cela. Il a dit non, non, non, ce n'est pas ce que je fais.
    D'accord. Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que, pendant tout le temps que vous avez été procureure générale, vous avez reconnu que la décision vous appartenait toujours.
    Je comprenais parfaitement mon rôle de procureure générale, et la décision d'émettre ou pas une directive me revenait à moi, et à moi seule.
     Plus tôt en septembre, vous aviez demandé la réunion du 17 septembre, et vous avez dit que vous étiez alors partie en vacances. Avez-vous reçu cette demande assez rapidement?
    Je n'ai pas dit que j'étais en vacances. En fait, j'étais...
    Vous étiez à l'extérieur du pays.
    ... en Australie pour une réunion du Groupe des cinq et, heureusement, il y a eu quelques jours de congé...
    D'accord.
    ... lorsqu'une autre question très importante a surgi à ce moment-là, j'ai demandé à Gerry Butts directement, par message texte, une réunion en tête-à-tête avec le premier ministre. C'était vers le 6 septembre.
    D'accord. Et ensuite, le 17 septembre, vous avez eu la réunion, après votre retour au pays?
    Je suis revenue au pays le 12 septembre et j'ai pu rencontrer le premier ministre le 17 septembre.
    Quel était le but principal de la réunion?
    Je ne suis pas libre d'en discuter puisque les réunions et les discussions entre le premier ministre et moi, à part ce qui est couvert par la dérogation concernant SNC et les accords de poursuite suspendue, sont couvertes par le secret du Cabinet.
    Dans son témoignage devant le Comité, le greffier du Conseil privé a mentionné que l'objet principal de cette réunion était le cadre des droits des Autochtones et que la question de SNC-Lavalin a été abordée brièvement. Pourriez-vous nous dire si c'est exact ou non?
     Je dirai que le greffier du Conseil privé est libre de dire ce qu'il veut. J'ai indiqué que la réunion du 17 septembre concernait une autre affaire extrêmement importante, mais que le premier ministre a soulevé la question de SNC et des accords de poursuite suspendue dès le début de cette réunion.
    D'accord.
    Ma prochaine question porte sur le fait que vous avez mentionné le caractère approprié ou inapproprié et la ligne qui a en quelque sorte été tirée. Vous avez indiqué que, lorsqu'il parlait des emplois, le premier ministre ou le député de Papineau se trouvait dans un espace tout à fait approprié, mais vous avez ajouté que, lorsqu'il a parlé de la possibilité d'un déménagement hors de Montréal, c'était inapproprié. Est-ce exact?
    Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que mon alarme interne s'est déclenchée — et le mot « alarme » n'est pas celui que j'ai utilisé — lorsque le greffier du Conseil privé a dit qu'il y avait une réunion du conseil chez SNC le jeudi 20 septembre et qu'il y avait des élections au Québec. Puis, le premier ministre est intervenu en disant: « Je suis un député du Québec, le député de Papineau. » C'était totalement politique et tout à fait inapproprié, et c'est ce qui a inspiré la question que j'ai posée au premier ministre.
    Vous avez mentionné, dans certaines de vos réponses aux questions, qu'il a dit qu'il était le député de Papineau, qu'il parlait des élections, et qu'il a dit que si l'on ne trouvait pas de solution, l'entreprise risquait de quitter Montréal.
    À mon avis, lorsqu'une entreprise plie bagage et quitte une ville ou un pays, cela entraîne des pertes d'emplois. N'est-ce pas exact?
    C'est votre point de vue.
    Bien sûr, j'étais consciente du risque de pertes d'emplois.
    C'est une conversation légitime pour un premier ministre.
     Encore une fois, à l'époque, je ne trouvais pas cela totalement inapproprié. Bien sûr, les ministres peuvent s'adresser au procureur général et lui faire part de leurs préoccupations en matière de politique publique qui découlent des décisions que prendra le procureur général. Ce qui est devenu inapproprié, ce sont les discussions soutenues après que j'ai pris et fait connaître ma décision.

  (1705)  

    Madame Sahota, ce sera votre dernière question.
    D’accord.
    Le 19 septembre, vous aviez rencontré le greffier ainsi que le ministre Morneau, à la Chambre. Je crois que vous avez dit au ministre Morneau, après qu'il avait parlé de sauver des emplois, que c’était inapproprié et qu’il devait cesser d’en parler. Cependant, dans votre discussion avec le greffier ce jour-là, vous avez dit que, si SNC-Lavalin vous envoyait une lettre pour vous faire part de ses préoccupations et de ses arguments d’intérêt public, vous étiez disposée à en examiner le contenu. Est-ce exact?
    Non, ce n'est pas cela. J’ai...
    C’est dans votre déclaration préliminaire.
    Si vous me permettez de répondre, je peux préciser en quoi cette partie n’est pas exacte.
    J’ai eu une discussion avec le greffier du Conseil privé sur la base de la conversation que j’avais eue avec le premier ministre la veille, au cours de laquelle il avait demandé des solutions en sachant que j’avais déjà pris ma décision. J’ai fait savoir au greffier du Conseil privé que si, SNC m’adressait une lettre en ma qualité de procureure générale pour exprimer ses préoccupations— ses préoccupations d’intérêt national et ses préoccupations d’intérêt public —, je la transmettrais immédiatement à la directrice des poursuites pénales. Je ne l’aurais pas examinée moi-même, puisque cela aurait entièrement relevé de la directrice des poursuites pénales. Toute intervention de ma part à l'égard de cette lettre aurait été inappropriée. Ce que j’ai dit, c’est que je l’aurais envoyée immédiatement à la directrice, sans en prendre connaissance.
    D’accord. Merci.
    Madame Raitt.
    Merci beaucoup.
    Madame Wilson-Raybould, quand vous vous adressiez à Gerry Butts, à Katie Telford ou au greffier du Conseil privé, estimiez-vous qu’ils étaient porteurs de toute l'autorité du premier ministre dans leurs discussions avec vous?
    J’ai quelques questions précises, si vous le permettez.
    Croyez-vous que le premier ministre ou un autre membre du Cabinet du premier ministre avait le pouvoir légal de vous dire de donner des directives à la directrice des poursuites pénales sur ce qu’elle devait faire?
    Non, j’étais la dernière, et à titre de... Le procureur général est la personne qui décide au final si, à titre de procureur principal, il doit ou non faire quoi que ce soit relativement à une poursuite.
    Très bien. Est-ce qu'on peut dire — compte tenu de votre témoignage et de tout ce que vous nous avez dit — que vous avez subi des communications répétées, directes ou indirectes, ayant pour objet de vous faire changer d’avis? S'agissait-il de communications répétées, directes ou indirectes?
    On peut le dire.
    D’accord.
    Je me demande également, étant donné le nombre de fois que cela apparaît dans la dernière partie de votre déclaration... M. Butts vous a dit, dans le cours de la conversation, que vous deviez trouver une solution au problème. Dans la déclaration que vous avez reçue de votre chef de cabinet, il y a des détails sur le fait de ne plus vouloir « débattre de questions juridiques » et il n'y a « aucune solution » n'émanant pas de « quelque ingérence ». Le greffier a fait savoir que, selon lui, il — c’est-à-dire le premier ministre — allait « trouver un moyen de régler cela, d’une façon ou d’une autre ». On vous aurait dit également que « le premier ministre a la prérogative de faire ce qu’il veut ». Vous avez pensé, dites-vous, au massacre du samedi soir. Le greffier a dit qu’il craignait un « conflit entre vous et le premier ministre ». Vous avez dit il y a quelques minutes que vous aviez eu le sentiment qu’il s’agissait de « menaces voilées ».
    Tout cela, si je peux me permettre, semble donner à penser qu’il y avait une intention — d’après tous ces commentaires et compte tenu de cette pression constante — de vous faire craindre pour votre emploi et que, au bout du compte, il y aurait un remaniement ministériel ou que vous seriez démise de vos fonctions. Ai-je raison de supposer cela?
    Je ne peux pas parler de l’intention d’autres personnes.
    J'entends bien.
    Je peux parler du niveau d’anxiété très élevé que j’ai éprouvé, qui est allé en augmentant et qui a atteint son paroxysme lorsque j'ai discuté avec le greffier le 19 décembre. Je me souviens très bien avoir terminé la conversation en disant: « J’attends le couperet. » Je crois que cette réflexion ou mes commentaires sont suffisamment éloquents.

  (1710)  

     Je ne tiens pas à couper les cheveux en quatre, et pardonnez-moi si vous le prenez ainsi — d'ailleurs, vous pouvez me répondre de la même façon qu'au sujet de l’intention —, mais pensez-vous que ces commentaires visaient à vous faire réexaminer la question de crainte que vous ne restiez peut-être pas au Cabinet?
    Pouvez-vous répéter la question?
    Bien sûr. Pensez-vous que le but des commentaires formulés au cours de ces conversations, avec vous, avec votre chef de cabinet, directement avec le greffier, par l’entremise de Gerry Butts, par l’entremise de Katie Telford, ou même par le biais de la remarque du greffier laissant entendre à quel point le premier ministre était anxieux, et le fait que vous ne vouliez pas être « à couteaux tirés »... Pensez-vous que le but des commentaires ainsi lancés dans ces conversations était de faire pression sur vous et de faire en sorte que vous vous demandiez si vous resteriez au Cabinet?
    Je suis convaincue que les discussions du 18 décembre et du 19 décembre visaient à exercer des pressions extraordinaires sur moi pour me faire changer d’avis. Quant à l’intention des personnes qui ont parlé à ma chef de cabinet ou à moi-même, je ne peux pas formuler d'opinion à cet égard.
    Très bien.
    Il vous reste une minute.
    D’accord.
    Si vous permettez, le 7 janvier, vous avez reçu un appel vous annonçant que vous alliez changer de poste. J’ai déjà reçu ce genre d'appel, et je sais donc ce que c’est. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette conversation, s'il y a lieu, et nous faire savoir qui vous a dit que vous alliez être mutée du ministère du Procureur général à celui des Anciens Combattants et s'il a été question de SNC dans cette conversation?
    Eh bien, j’ai effectivement déclaré, et c’est dans le décret et la renonciation qui m’a été fournie concernant les documents confidentiels du Cabinet au sujet de SNC et des accords de poursuites suspendues, que j’avais eu une conversation avec le premier ministre le 7 janvier. Il m'a parlé de ma mutation de mon poste de ministre de la Justice et de procureure générale et m'a donné des explications sur lesquelles je ne reviendrai pas. Je lui ai dit que je ne pouvais pas m’empêcher de penser que cela avait quelque chose à voir avec une décision que je ne voulais pas prendre. J’ai eu par la suite, peu de temps après, une conversation avec Gerry Butts, à qui j’ai dit précisément que je savais que cela avait à voir avec SNC et avec une décision que je ne voulais pas prendre, ce à quoi il a répondu en me demandant si je remettais en cause l’intégrité du premier ministre. Je n’ai pas répondu.
    Merci.
    Passons maintenant à M. Ehsassi.
    Merci, madame Wilson-Raybould. Je suis heureux de vous voir devant le Comité aujourd’hui.
    Je ne reviendrai pas sur les faits; je voudrais parler du contexte, si vous voulez bien. Vous vous souvenez, en votre qualité de ministre de la Justice et procureure générale, que des ententes de réparation ont déjà été examinées et approuvées par le Cabinet. Est-ce exact?
    C’est exact.
    Vous étiez ministre de la Justice et procureure générale également le 6 juin lorsque le Parlement a voté en faveur du projet de loi C-74 et vous avez vous-même voté en faveur du projet de loi C-74.
    C’est exact.
    Merci.
    Vous conviendrez avec moi que les solutions de rechange aux poursuites ne sont pas une idée nouvelle dans le paysage de divers domaines du droit. Par exemple, en droit international, il existe des lignes directrices qui remontent aux années 1990 au sujet des solutions de rechange aux poursuites. On le constate assez souvent s’agissant de notre propre Code criminel, lorsqu’il est question de déjudiciariser des causes par le biais de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Nous le constatons aussi dans le cas de la criminalité en col blanc. Convenez-vous que cette idée existe depuis un certain temps?
    Je dirai ceci. Nous avons désormais, dans notre Code criminel, des instruments qui permettent aux procureurs de déterminer s’ils doivent ou non entamer des négociations concernant des accords de poursuites suspendues. Ce sont des instruments que d’autres pays utilisent également.
    À propos d’autres pays, vous avez parlé du Groupe des cinq. À ma connaissance, exception faite de la Nouvelle-Zélande... Les États-Unis ont un mécanisme de suspension des poursuites. Le Royaume-Uni aussi. La France a un mécanisme du même genre. L’Australie est en train d’en adopter un. Compte tenu de toute cette évolution, serait-il juste de dire que de nombreux commentateurs sont d’avis que nous sommes en train d'uniformiser les règles du jeu et que nous faisons du rattrapage par rapport à ces pays?

  (1715)  

     Je ne tiens pas à me prononcer sur ce que d’autres commentateurs ont dit. Je dirai ceci: je ne ferai pas d’autres commentaires sur les ententes de poursuites suspendues. Je tiens compte de mes responsabilités de députée et je tiens compte du fait qu’il y a actuellement deux causes devant les tribunaux.
    Je peux comprendre que vous ne vouliez pas aborder cette question, mais vous conviendrez qu’il y a eu de vastes consultations publiques à ce sujet.
    Des consultations ont eu lieu avant l’adoption du projet de loi.
    Effectivement.
    Si j'ai bien compris, vous avez laissé entendre dans votre exposé que certaines personnes se sont adressées à vous et vous ont demandé de solliciter les services d’un avocat.
    Serait-il juste de dire que votre ministère reçoit régulièrement des conseils juridiques de divers cabinets?
    Excusez-moi, pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « certaines personnes se sont adressées à moi » pour me demander de solliciter les services d’un conseiller juridique et dans quel contexte?
    Si j'ai bien compris, vous avez parlé de... vous avez dit qu’il y avait eu une discussion avec M. Bouchard et qu'il vous avait demandé si vous envisageriez de demander un avis juridique externe.
    Dans le contexte des ententes de poursuites suspendues et de SNC, en effet. J’ai eu cette conversation avec Mathieu Bouchard, Elder Marques et plusieurs autres personnes.
    À l’époque, toutes ces personnes savaient que ma décision était ferme de ne pas empiéter sur le pouvoir discrétionnaire de la directrice des poursuites pénales, et il est tout à fait inapproprié de discuter de l’embauche de conseillers juridiques externes dans ce contexte.
    Mais vous avez travaillé à certains dossiers très difficiles pendant la période où vous étiez ministre de la Justice et procureure générale. Serait-il juste de dire que vous demandiez régulièrement à des avocats de l’extérieur de vous aider à mieux comprendre divers textes législatifs?
    En ma qualité de ministre de la Justice et ayant eu l'occasion, comme les gens ici présents le savent, de comparaître devant le Comité au sujet de divers projets de loi, nous avons eu recours à des avocats de l’extérieur.
    Mais que les choses soient claires: mon rôle de ministre de la Justice, qui consistait à piloter des projets de loi à la Chambre des communes, était tout à fait distinct de celui de procureure générale, dans le cadre duquel l'idée de solliciter des conseils juridiques externes après que j’ai pris ma décision à titre de procureure générale était tout à fait inappropriée.
    Vous avez une dernière question, monsieur Ehsassi.
    Merci.
    Avant de passer à autre chose, accepteriez-vous de nous expliquer quelles étaient vos réticences à l'égard des ententes de suspension des poursuites?
    Je n'y tiens pas. Je ne tiens pas à avoir cette conversation. Je pense que c’est inapproprié à titre de députée, compte tenu du fait qu’il y a deux affaires devant les tribunaux.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Paul-Hus.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Wilson-Raybould, de ce vibrant témoignage, qui est important pour le Canada et pour la démocratie.
    Avant de commencer, je vais laisser la parole à ma collègue Mme Raitt pour quelques instants.

[Traduction]

    J’ai deux questions très brèves, madame Wilson-Raybould.
    Tout d’abord, et après avoir tout écouté, je dois vous poser une question. Depuis votre première nomination et jusqu'aux quatre derniers mois, et malgré le réconfort de travailler pour le ministère des Anciens Combattants, qui est un merveilleux portefeuille — et je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que vous avez fait votre travail là-bas —, comment vous êtes-vous sentie à la fin de tout cela? Quelle est l'émotion qui vous est restée de tout cela? Vous nous parlez de faits très positifs, mais la façon dont les choses se sont déroulées a bien dû vous causer une certaine déception ou une certaine tristesse.

  (1720)  

    De façon générale ou concernant ma mutation comme ministre?
    Non, en général; la façon dont vous avez été traitée.
    Je m'inquiète beaucoup de la façon dont on rend compte de la situation. Je m’inquiète de ce que les gens appellent généralement des campagnes de dénigrement. Cela m’attriste beaucoup — et je ne parle pas de moi personnellement. C’est la remise en cause publique du travail que j’ai pu faire avec un groupe de personnes extraordinaires, quand j’étais ministre de la Justice et procureure générale, alors que mes fonctionnaires étaient déterminés, et le sont toujours, je le sais, à assurer la justice au pays et à travailler sur des propositions législatives, tout comme mon personnel politique.
    Comment est-ce que je me sens? Comment est-ce que je me suis sentie? Je dois dire que j’ai aimé être ministre de la Justice et procureure générale. Je ne peux pas imaginer un avocat qui n’aimerait pas être ministre de la Justice et procureur général.
    C’est vrai. Oui, je suis d’accord.
    Je crois avoir rempli ce rôle avec intégrité, en y consacrant un travail assidu. Je suis fière de l’héritage que nous avons laissé. Je ne veux pas faire croire que je n’étais pas triste quand j’ai été écartée de ce rôle — bien sûr que je l’étais —, mais je comprends que c’est la prérogative du premier ministre de faire ces remaniements. Ma façon de réagir est d'accueillir d’autres occasions, et c'est ce que j’ai tenté de faire pendant le temps malheureusement limité où j’ai été ministre des Anciens Combattants.
    Merci.
    Mon collègue Pierre Paul-Hus va conclure.

[Français]

     Vous avez deux minutes, monsieur Paul-Hus.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Wilson-Raybould, la ministre du Revenu national, Mme Lebouthillier, a mentionné que cette question avait été soulevée lors d'un cabinet ministériel. Lors de son témoignage, M. Wernick a dit que jamais la question n'avait été discutée en cabinet. On ne peut pas avoir deux versions. Je ne veux pas avoir les détails, mais je veux savoir laquelle des deux personnes a raison. Est-ce Mme Lebouthillier ou M. Wernick?

[Traduction]

    Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir laquelle de ces deux personnes avait raison, mais ce que je peux vous dire est ce que je sais, compte tenu du fait que je peux parler de SNC et des ententes de suspension de poursuites. Nous avons eu des discussions au Cabinet au sujet de la création d’un nouvel instrument pour les procureurs, à savoir les ententes de réparation. Il y a eu des conversations, mais la question de SNC n'était pas au centre de ces conversations; il y a eu des commentaires périphériques à ce sujet, mais ce n’était pas au coeur de nos discussions. Nos discussions portaient sur la création d’un instrument pour les procureurs.

[Français]

    D'accord, merci.
    Le premier ministre Trudeau a dit que vous pourriez parler de l'information pertinente sur l'affaire. Pensez-vous qu'il existe de l'information pertinente dont vous ne pouvez pas nous parler?

[Traduction]

    J’ai répondu à une question semblable. Comme je l’ai indiqué dans ma lettre et comme je l’ai dit ici aujourd’hui, compte tenu de certaines des questions que les membres du Comité ont posées, je ne peux pas parler de la période écoulée entre le 14 janvier, lorsque j’ai été assermentée, en passant par les réunions que j’ai pu avoir ou non avec le premier ministre, jusqu'à ma démission, et des conversations que j’ai eues avec mes anciens collègues du Cabinet et qui, de toute évidence, ont été largement publicisées. Je ne peux pas parler de ces sujets.

[Français]

    Merci beaucoup.

[Traduction]

    Monsieur Rankin, vous avez trois minutes.
    Madame Wilson-Raybould, le 12 février, le premier ministre a dit ceci: « Si quelqu’un pensait le contraire, il avait l'obligation de soulever la question avec moi. Personne ne l'a fait », y compris vous.
    Vous avez dit avoir rencontré le premier ministre le 17 septembre. Vous avez dit que, le 5 décembre, Gerry Butts et vous vous êtes rencontrés, et vous nous avez dit qu’il s'était exprimé avec toute l'autorité du premier ministre. Le 18 décembre, votre chef de cabinet a rencontré M. Butts et Mme Telford. À tout le moins, n’est-ce pas là une déclaration trompeuse de la part du premier ministre? Vous lui avez parlé. Votre personnel lui a parlé. Vous avez parlé à son personnel. En fait, n’est-il pas trompeur de dire que vous ne l’avez pas fait?

  (1725)  

     Je le redis, je ne vais pas me prononcer directement sur les commentaires du premier ministre. Je pense que la chronologie et les faits que j’ai présentés ici au Comité, ainsi que le témoignage que j'ai rendu, sont suffisamment éloquents.
    D’accord.
    J’aimerais savoir ce que vous pensez de quelque chose dont on a parlé tout à l'heure. Dans votre témoignage, vous avez dit que, le 19 décembre, vous avez eu une conversation téléphonique avec le greffier du Conseil privé, M. Wernick, qui a déjà témoigné ici. En parlant du premier ministre, il a dit ceci — je vous cite: « Je pense qu’il va trouver un moyen de régler cela, d’une façon ou d’une autre... Il est donc dans cet état d'esprit, et je voulais que vous le sachiez. »
    Comment interprétez-vous ces commentaires?
    Comme je l’ai dit, au cours de cette conversation avec le greffier, mon état d'anxiété s'est amplifié. Cela a été le point culminant de nombreuses réunions et de nombreux appels téléphoniques avec moi ou ma chef de cabinet qui se sont multipliés. C’était le sommet de cette escalade.
    Comme je l’ai dit, j'ai eu le sentiment à trois reprises au cours de cette conversation que le greffier agissait de façon menaçante en invoquant le nom du premier ministre.
    Est-ce que j'ai le temps d’en poser une autre?
    Il vous reste une trentaine de secondes.
    D’accord.
    Vous nous avez dit que le décret nous empêche de parler de ce qui s'est passé après le 14 janvier. Apparemment, ce sont les règles.
    Le 18 février, Gerry Butts, le conseiller principal du premier ministre, a démissionné. Nous avons eu toutes ces réunions au sujet de SNC-Lavalin. Dans sa lettre de démission, il s’adressait spécifiquement à vous. Savez-vous pourquoi?
    À part ce que tout le monde a lu dans la déclaration de Gerry Butts, je ne sais absolument pas pourquoi il a démissionné.
    Merci.
    Cela met fin à la deuxième série de questions. Nous avons déjà décidé d'en faire une troisième.
    Mme May m’en a parlé, et j’ai vu M. Fortin lever la main. Il est déjà arrivé, à la toute dernière série de questions, que, nous étant rendu compte que nous en étions à notre dernière série, que nous demandions au Comité de consentir à ce que le Bloc québécois pose une question. Quand nous en arriverons à la dernière série de questions convenue par le Comité, je demanderai aux membres à la fin s’ils sont d’accord, et c’est ce que nous allons faire. Nous ne le ferons pas à chaque fois.
    Nous en sommes maintenant à notre troisième série de questions. Il y aura six minutes pour les conservateurs, six minutes pour les libéraux, six minutes pour le NPD et six minutes pour les libéraux.
    Madame Raitt.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Compte tenu de votre témoignage d'aujourd'hui, madame Wilson-Raybould, je dois vous demander si le premier ministre, le Cabinet du premier ministre ou le greffier du Conseil privé vous ont contactée et vous ont donné des directives ou formulé des suggestions sur la conduite du procès de Mark Norman ou de tout autre procès relevant de votre compétence comme procureure générale?
    Je ne suis pas autorisée, en raison de leur caractère confidentiel, à discuter de quoi que ce soit d'autre que de SNC et des ententes de suspension de poursuites.
    Merci.
    Par souci de clarté, pouvez-vous nous dire de quoi vous avez discuté avec le premier ministre lors de vos rencontres à Vancouver le 11 février?
    Je ne peux pas.
    Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez démissionné du Cabinet?
    Je ne peux pas.
    Pouvez-vous nous dire ce qui a été discuté avec le Cabinet le 19 février?
    Je ne peux pas.
    Si ce qui entrave votre aptitude à communiquer le contenu de ces conversations au Comité était réglé et que vous puissiez être libérée du secret du Cabinet ou du secret professionnel, seriez-vous disposée à revenir devant le Comité et à témoigner de nouveau?
    Je me demande également, madame Wilson-Raybould, si, lorsqu'il vous a parlé dans le cadre de ces communications — je sais que je vous ai déjà posé la question, mais je veux être parfaitement claire —, le greffier parlait avec tout le poids et l’autorité du premier ministre, et que c'est ainsi que vous avez cru comprendre que le premier ministre s’adressait à vous par l’entremise du greffier.

  (1730)  

    Je ne peux que me fier à ce que le greffier m’a dit au cours de cette conversation, lorsqu’il a invoqué le premier ministre en me transmettant des messages du premier ministre.
    Je veux tirer une chose au clair. Dans votre déclaration, vous avez décrit ce que le greffier a dit au nom du premier ministre. Cela fait partie de votre déclaration d'aujourd’hui.
    En effet.
    Vous avez parlé à quelques reprises de votre conversation téléphonique avec le premier ministre le 7 janvier au sujet du fait que vous ne seriez plus procureure générale. Vous avez dit à quelques reprises que vous ne vouliez pas parler du contenu de la conversation. Je respecte cela. Je ne vais pas vous poser la question une troisième fois.
    Pouvez-vous nous dire pourquoi — en vertu de quelle autorité — vous ne voulez pas divulguer la conversation, simplement pour que je puisse comprendre si vous êtes liée par quelque chose d’autre, afin que nous puissions peut-être éliminer cet obstacle pour obtenir votre témoignage complet?
    Je ne vais pas donner de conseils juridiques au Comité, mais je me fie au décret et à la renonciation qui ont été fournis au sujet de SNC et des ententes de suspension de poursuites, et je peux parler de toutes les conversations qui ont eu lieu sur ces sujets lorsque j’étais procureure générale.
    Votre chef de cabinet s’appelle Jessica Prince. C'est bien cela?
    En effet.
    Est-ce qu'elle était...
    Elle est mon ancienne chef de cabinet.
    Ah oui, excusez-moi. C’est exact.
    Je comprends tout à fait la relation entre un chef de cabinet et son ministre, et je trouve assez impressionnant qu’elle ait décidé de passer avec vous au ministère des Anciens Combattants. C’était très bien de sa part.
    J’ai trouvé cela tout à fait remarquable.
    Oui, c’était très impressionnant.
    Ce que j’aimerais savoir, cependant, c’est si elle vous a dit que, dans ses conversations avec Mme Telford et M. Butts — et je sais qu’il s’agit de ouï-dire, mais vous avez parlé du texte qu'elle vous a adressé —, elle se demandait si elle aurait encore un emploi de chef de cabinet si elle ne vous convainquait pas de revoir la décision relative à l'ingérence dans le procès en cours.
    Évidemment que je ne veux pas parler au nom de Jessica de la question précise de sa crainte.
    D'accord.
    Je peux dire que, dans mes conversations avec elle et dans mes messages textes, mais surtout dans mes conversations avec elle par la suite, elle m'a dit avoir été très bouleversée après la réunion. Maintenant que j’en ai l’occasion, je dirai, et je crois que certaines personnes m’écoutent, que Jessica Prince, qui était ma chef de cabinet au ministère de la Justice et qui m'a suivie au ministère des Anciens Combattants, est une personne et une avocate extraordinaire.
    Elle est incroyablement instruite et très professionnelle dans tout ce qu’elle fait. Je suis d’accord avec vous à ce sujet et je pense que tout le monde aimerait que vous adressiez d'aimables pensées de notre part à votre chef de cabinet. C’est toujours extrêmement agréable.
    J’ai une dernière chose, si vous permettez. Je crois savoir, et c’était le cas lorsque nous avons rempli cet office, que les chefs de cabinet sont embauchés et congédiés essentiellement par le Cabinet du premier ministre. Il serait difficile pour vous, comme ministre, de retenir les services d’un chef de cabinet qui n’est pas en faveur du Cabinet du premier ministre. Est-ce que c'est vrai dans votre cas?
    Je ne tiens pas à commenter les interactions entre mon cabinet et le Cabinet du premier ministre.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Madame Khalid.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Wilson-Raybould, d’être venue aujourd’hui et de nous avoir fait part de votre point de vue.
    J’ai toujours eu l’impression que vous défendiez passionnément ce en quoi vous croyez vraiment, sans égard à d'autres points de vue. Vous avez parlé haut et fort au Cabinet, vous avez parlé haut et fort au premier ministre et vous avez parlé haut et fort aux Canadiens. En fait, vous vous êtes exprimée officiellement à bien des événements publics et vous avez vraiment formulé vos points de vue sur des questions auxquelles vous croyez vraiment, comme le dossier autochtone.
    Si je me fie à votre témoignage et à la chaîne des événements, je constate qu’il n’y a pas eu de communication entre vous et le premier ministre lui-même entre septembre et le moment où il vous a appelée pour le remaniement.
    Pourquoi? Pourquoi n’avez-vous pas parlé franchement au premier ministre alors que vous avez tant parlé de questions comme le dossier autochtone et que vous saviez avoir accès à lui? Pourquoi ne lui avez-vous pas fait directement part de vos préoccupations? Estimez-vous que vous en aviez l’obligation?

  (1735)  

     Je dois dire deux ou trois choses au sujet de votre question. Je rejette complètement votre affirmation selon laquelle je ne tiens pas compte des opinions des autres. Vous avez parlé de la table du Cabinet, mais, avec tout le respect que je vous dois, vous n’avez aucun moyen de savoir comment se passent les discussions à la table du Cabinet.
    Je ne m’excuse pas d’avoir exprimé clairement mon opinion, mais cela ne veut pas dire que je n’accorde pas de valeur à celle des autres. Durant toute ma carrière professionnelle et compte tenu de mon éducation fondée sur le principe des décisions consensuelles, il a toujours été extrêmement important pour moi de tenir compte des opinions des autres. C’est ainsi que nous élaborons de bonnes politiques publiques au Canada.
    Vous avez parlé des questions autochtones. Je suis une fière Autochtone de la côte Ouest de la Colombie-Britannique, et je ne m’excuserai pas de défendre ardemment des changements en profondeur pour les Autochtones dans ce pays. J’ai travaillé dans le monde autochtone comme responsable politique pendant un bon bout de temps et j’ai une compréhension très approfondie des problèmes auxquels font face les Autochtones. Cela ne veut pas dire que tout le monde est d’accord...
    Madame Wilson-Raybould...
    ... et je m'intéresse à l'opinion des autres.
    Pour ce qui est de votre question au sujet du premier ministre, je crois avoir déjà répondu. J’ai eu une conversation directe avec le premier ministre, ainsi qu’avec les gens de son cabinet et le greffier du Conseil privé.
    Veuillez m’excuser, madame Wilson-Raybould, je parlais de votre ardeur comme d’un signe de force. Comme députée et collègue, ayant travaillé avec vous, je reconnais votre efficacité à défendre les enjeux auxquels vous croyez vraiment, et nous vous en sommes reconnaissants. Merci de votre dévouement.
    J’aimerais comprendre quelque chose. Vous avez parlé d’ingérence politique au sujet des élections au Québec. Les élections québécoises étaient terminées au début d’octobre. Donc, si vous pouviez, s’il vous plaît, aider les Canadiens à comprendre, quel était donc, entre octobre et décembre, le contexte de la pression inappropriée?
    Oui, la question des élections au Québec a été soulevée à la réunion du 17 septembre. Il y a eu beaucoup d’autres conversations et tentatives inappropriées d’ingérence politique après cette date. Un exemple, dont j’ai déjà parlé, s’est produit après que j’ai pris ma décision à titre de procureure générale, laquelle m'incombait entièrement, lorsque des gens du Cabinet du premier ministre ont tenté à plusieurs reprises de me faire embaucher un conseiller juridique externe pour évaluer ma décision. Il y a eu d’autres conversations au sujet des élections à venir, au sujet de la possibilité qu'un déménagement de SNC risque de nuire aux élections.
    J’ai également dit, quand nous parlions d’emplois et de pertes d’emplois — et je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un autour de cette table qui ne veuille pas empêcher des pertes d’emplois — que c’était approprié dans les phases initiales. Cependant, après que j’ai pris la décision à titre de procureure générale de ne pas produire de directive, les commentaires successifs et insistants au sujet des emplois sont devenus inappropriés, parce que j’avais pris ma décision et que tout le monde le savait parfaitement.
    Je crois que la situation s’est encore aggravée lorsque s'est produit ce que j’ai décrit comme des « menaces voilées » vers la fin de cette période, autour du 18 et du 19 décembre. Il y a eu de nombreuses occasions où la ligne rouge a été franchie.
    J’aimerais être sûre de comprendre, madame Wilson-Raybould. Après les élections au Québec et jusqu’à la fin de décembre, comme vous venez de le dire, affirmez-vous — et je cherche simplement à obtenir des précisions — que c’était inapproprié parce que vous aviez dit que votre idée était déjà faite sur cette question?

  (1740)  

     Ma décision de ne pas produire de directive avait été prise avant la réunion du 17 septembre. Les élections au Québec et toute considération partisane avant ou après sont des éléments tout à fait inappropriés et n’avaient pas lieu d'être pour moi à ce moment-là, puisque je remplissais alors mon rôle de procureure générale ayant à déterminer si j’allais ou non exercer mon pouvoir discrétionnaire et produire une directive.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Rankin.
    J’ai seulement une question technique à poser d'emblée, madame Wilson-Raybould. Je me demandais si vous pourriez fournir au Comité une copie de tous les messages textes et courriels dont vous avez parlé dans votre témoignage.
    Je comprends. Je vais prendre la question en délibéré.
    Merci.
    Au sujet de votre conversation avec M. Wernick, qui est le plus haut fonctionnaire du pays, le greffier du Conseil privé, en réponse à une question, vous avez dit quelque chose au sujet de « l’attente du couperet ». Que vouliez-vous dire?
    Comme je l’ai déjà dit auparavant, la conversation était très tendue. J’étais extrêmement anxieuse. C’était le point culminant de nombreux appels téléphoniques et de réunions en personne. Quand j'ai dit que j'« attendais le couperet » à la fin de la conversation, c’est ainsi que s'est terminé l'appel téléphonique. J’avais cru comprendre, d’après ce que le greffier m’avait dit avant de partir, qu’il retournerait parler au premier ministre et, compte tenu de ce qu'il m’avait aussi dit, à savoir que le premier ministre était résolu, qu’il était ferme et que ce n’était pas le moment d'avoir une procureure générale à couteaux tirés avec le premier ministre.
    J’étais extrêmement inquiète à l'idée de recevoir un appel du premier ministre le lendemain, ce qui, selon le greffier, pouvait se produire, et de me dire qu’il pourrait y avoir d’autres directives ou une autre issue pour moi comme ministre de la Justice et procureure générale.
    Autrement dit, il pouvait y avoir des conséquences au fait que vous faisiez votre travail de procureure générale indépendante et que vous disiez avoir pris votre décision, que c’était tout. Ce que vous avez déduit de cette conversation, c’est qu’il pouvait y avoir des conséquences.
    C’est une évaluation juste de la façon dont j’ai interprété la conversation.
    Vous nous avez parlé d'un grand nombre de membres du personnel du Cabinet du premier ministre ainsi que du greffier du Conseil privé. Ne pensez-vous pas que les Canadiens... Étant donné que nous faisons notre travail en allant au fond des choses pour les Canadiens, ne pensez-vous pas que nous comprendrions mieux la situation si nous entendions les gens dont vous avez parlé?
    Eh bien, je ne peux pas vous dire si vous comprendriez mieux la situation. Je crois qu’il est important d’entendre autant de personnes que possible parmi celles qui ont eu des relations et des interactions directes dans cette affaire, et c’est pourquoi je suis... je ne sais pas si « heureuse » est le mot juste, mais je suis d’accord pour être ici et avoir cette conversation, parce que je sais qu’il est important pour moi de présenter les faits au Comité.
    Merci.
    Vous avez dit quelque chose de très intéressant. J’aimerais vous le lire. Vous avez dit: «  L’histoire des relations entre la Couronne et les Autochtones dans ce pays englobe toute une période où la primauté du droit n’a pas été respectée. »
    Est-ce que cela — votre passé, votre vécu, auquel vous avez renvoyé — a alimenté ou renforcé votre résistance à toute perversion éventuelle de la primauté du droit?
    Mon vécu est incroyablement important pour ce qui est de mes antécédents, de mon éducation et de ma façon de penser le monde. C’est cette expérience vécue, non seulement comme professionnelle, mais aussi du point de vue de mon enracinement dans la culture kwakwaka’wakw et dans les valeurs que mon père, ma mère et ma grand-mère m’ont enseignées, qui m’a menée à mon rôle de ministre de la Justice et de procureure générale du Canada.
    Je croyais, et je crois encore aujourd’hui, qu’il est incroyablement important d’avoir une diversité de points de vue et d’antécédents, et d’avoir un pays — et nous vivons dans le meilleur pays du monde — qui respecte chaque personne, où l'on tienne compte de la nécessité d'assurer l’égalité et la justice, et, dans le cas des Autochtones, où l'on continue de travailler fort pour créer l’espace qui permettra aux Autochtones de trouver leur place et de se reconnaître dans le miroir de notre Constitution.

  (1745)  

     Je crois comprendre que mon temps est presque écoulé. Je tiens à vous remercier sincèrement, parce que vous nous avez présenté une liste de faits telle que, à mon avis, une personne raisonnable qui vous écoute et qui vous croit, comme moi, devrait conclure à une tendance systématique à des pressions politiques et à une ingérence dans le rôle indépendant que vous avez prêté serment de remplir. Je ne peux m’empêcher de penser que nous avons encore du travail à faire à la suite de votre témoignage.
    Je vous remercie sincèrement, non seulement en notre nom, mais au nom du Canada, d’avoir eu le courage d’être ici et de nous dire ce qui s’est passé.
    La parole est à M. Boissonnault.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Madame Wilson-Raybould, je vous suis vraiment reconnaissant d’être ici aujourd’hui. Vous et moi avons travaillé ensemble sur plusieurs dossiers dans le cadre de plusieurs projets. Je tiens également à prendre acte de votre territoire. Si j’étais de retour sur le territoire du Traité no 6, je pourrais dire quelque chose comme meotatakawan tatawaw,, qui veut dire, en cri, « Chers visiteurs, vous êtes les bienvenus, il y a de la place ici ». Je vous suis reconnaissant de ce que vous avez fait et je comprends que la réconciliation avec les Autochtones est une responsabilité qui nous incombe à tous et qui incombe à tous les Canadiens.
    Nous avons tous nos façons de travailler. Je pense que les gens qui ont travaillé avec vous savent que vous êtes une texteuse, et je voudrais simplement savoir si...
    Je suis une quoi, désolée?
    Vous aimez les textos, vous aimez communiquer en textant.
    Est-ce que vous avez déjà communiqué vos préoccupations au sujet de cette affaire à Gerry Butts par écrit, par message texte, lorsque vous étiez procureure générale?
    Il faudrait que je vérifie, mais je n’en ai pas un en tête.
    D’accord. Avez-vous déjà parlé ou écrit à Katie Telford au sujet de SNC-Lavalin ou d’autres questions pendant que vous étiez procureure générale?
    Avez-vous déjà parlé du dossier SNC-Lavalin, particulièrement avec Mme Telford?
    Pas que je me souvienne.
    Merci beaucoup.
    Vous voyez régulièrement le premier ministre. Vous êtes à la Chambre tous les jours, il y a des réunions du Cabinet, des réunions de comités, du caucus du Cabinet, d’autres réunions, d’autres activités. Vous avez parlé de la réunion du 17 septembre. J’ai votre document ici, et je vous remercie de nous avoir fourni un document écrit. Le greffier et le premier ministre participaient à cette réunion.
    En votre qualité de procureure générale, et compte tenu de toutes les interactions que vous nous avez décrites cet après-midi, de tout ce qui s’est passé en septembre, octobre, novembre et décembre, y compris la rencontre avec Mme Prince, n’aviez-vous pas l’obligation de soulever ces préoccupations auprès du premier ministre, de l’appeler ou de lui écrire, de défendre votre personnel ou d’indiquer que vous estimiez que des pressions inappropriées étaient exercées?
    J’ai soulevé le caractère inapproprié de la conversation. J’en ai parlé à de nombreuses personnes au Cabinet du premier ministre. J’en ai parlé au premier ministre le 7 janvier.
    Encore une fois, je suis confiante et je connais mon rôle à titre de procureure générale, et je savais et je comprenais que je prendrais la décision finale à cet égard lorsque j’ai dû faire face à des pressions soutenues ou à des tentatives d’ingérence entre le 17 septembre et le 19 décembre inclusivement par le Cabinet du premier ministre, par le greffier du Conseil privé, par ce dernier au nom du premier ministre, j’avais des préoccupations... et le mot est faible. Pourquoi m’adresserais-je au premier ministre pour lui faire part de ces préoccupations, alors que je savais avec certitude qu'il n'y aurait pas d'APS avec SNC parce que la décision finale me revenait et d’autres personnes au...

  (1750)  

    Je reviendrai plus tard à la question de la prise de décision finale.
     ... Cabinet du premier ministre, y compris ceux qui exerçaient des pressions sur moi pour me faire changer d'avis, par suite de la conversation avec le greffier, et le premier ministre.
    Je comprends.
    Le 14 janvier, vous avez accepté une nouvelle nomination au Cabinet à titre de ministre des Anciens Combattants. Vous savez comment les choses se passent au caucus. Les gens se présentent, ils veulent être députés et ils veulent avoir leur place autour de la grande table. Cela fait partie de ce rôle. C’est un grand honneur d’être ministre, dans n’importe quel portefeuille. Je ne peux qu'imaginer le grand honneur que constitue le fait de pouvoir aider les gens qui ont été au service de notre pays et qui profitent maintenant d'un repos bien mérité après avoir servi. Ce jour-là, en acceptant ce poste, vous avez réaffirmé votre confiance dans le gouvernement, n'est-ce pas?
     J’ai été extrêmement honorée d’être nommée ministre des Anciens Combattants. C’était un poste très différent de celui que j'occupais auparavant, mais je l’ai accepté d'emblée, non sans avoir eu beaucoup de réflexions personnelles à faire au cours de la période de Noël et de la nouvelle année, mais je répondrai à votre question.
    Comme je l’ai dit, je craignais sérieusement, si je n’étais plus procureure générale, qu'un accord de poursuite suspendue soit conclu et publié dans la Gazette. Comme je l’ai dit, j’aurais démissionné du Cabinet à ce moment-là.
    J’ai décidé — en toute connaissance de cause — d’accepter le rôle que le premier ministre m’a proposé, et c’est effectivement un très grand honneur. Je tiens à le dire clairement. J’ai décidé de croire le premier ministre sur parole. Je lui ai fait confiance. J’avais confiance en lui, et j’ai donc décidé de continuer à faire partie du Cabinet malgré mes préoccupations au sujet de SNC, parce que j’ai cru le premier ministre sur parole.
    Merci.
    Ce sera votre dernière question.
    En prêtant serment le 14 janvier, vous avez donc réaffirmé votre confiance dans le gouvernement. Faites-vous encore confiance au premier ministre aujourd’hui?
    Je ne vais pas m’engager dans une discussion sur les raisons pour lesquelles j’ai démissionné, si ce n’est pour dire que j’ai démissionné du Cabinet parce que je n’avais plus la confiance requise pour siéger au Conseil des ministres. C’est pourquoi j’ai démissionné.
    Ma question ne serait pas de savoir pourquoi vous avez démissionné, mais plutôt pourquoi vous n’avez pas démissionné avant.
    Mesdames et messieurs, nous avons terminé trois tours. Y a-t-il des gens qui souhaitent faire un quatrième tour?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Nous allons donc passer à un quatrième tour.
    Notre témoin aimerait-elle faire une pause, aller à la salle de bain ou autre chose?
    J’aimerais savoir quelle heure il est.
    Je peux vous dire qu’il est 17 h 53. Voulez-vous faire une pause, madame Wilson-Raybould?
    Non, ça va.
    Ça va? D’accord.
    Pour que ce soit bien clair, au quatrième tour, nous entendrons d'abord les libéraux pendant six minutes, puis les conservateurs pendant six minutes, et les libéraux pendant encore six minutes, les conservateurs pendant cinq minutes et trois minutes pour le NPD.
    Monsieur Boissonnault, continuez-vous?
    Monsieur le président, avec plaisir.
    Madame Wilson-Raybould, vous savez que mon expérience du droit est limitée. Je viens du milieu des affaires, et comme j’apprends encore ce que cela signifie que d’être membre du Comité de la justice, je cherche souvent à comprendre certains principes juridiques.
    Nous avons appris ici aujourd’hui, et de la bouche d’autres témoins, y compris Wendy Berman, Kenneth Jull et le greffier du Conseil privé, que le procureur général a un rôle à jouer dans les accords de réparation, et vous avez indiqué dans votre document ici le concept du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. L’une des fonctions d’un procureur consiste à déterminer s’il doit ou non intenter des poursuites, n’est-ce pas?
    Dans le guide du Service des poursuites pénales du Canada, qui se trouve sur le site Web du ministère de la Justice, il est indiqué très clairement:
Lorsqu’ils décident s’ils engagent et mènent une poursuite... les procureurs de la Couronne doivent se poser les questions suivantes: Existe-t-il une perspective raisonnable de condamnation en fonction de la preuve qui sera probablement présentée au procès? Si tel est le cas, une telle poursuite serait-elle dans l’intérêt public?
    Sachant cela, seriez-vous d’accord pour dire que la perspective raisonnable d’une condamnation et l’intérêt public sont les deux critères dont doit tenir compte un procureur?

  (1755)  

    Ce sont assurément des critères dont les procureurs tiennent compte.
    D’accord. Alors, pour revenir au guide:
Sur la foi des documents disponibles, les procureurs de la Couronne doivent demeurer convaincus, à chaque étape du processus, que la poursuite est toujours dans l’intérêt public.
     Je répète que je ne suis pas un expert en droit, mais compte tenu de la nécessité d’évaluer continuellement la situation, ne serait-il pas juste de dire que la décision de continuer ou non une poursuite n’est jamais définitive et qu’elle fait l’objet d’une réévaluation à la lumière de la perspective raisonnable d'une condamnation dans l’intérêt public?
    Le procureur général doit donc garder un esprit ouvert à l’idée que de nouveaux renseignements soient constamment communiqués et qu'en réalité, la décision n’est jamais définitive parce qu’elle est continuellement réévaluée. Il faut continuellement évaluer de nouveaux faits et de nouveaux renseignements, n'est-ce pas?
    Parle-t-on de façon générale, ou parlons-nous précisément de SNC et de la possibilité d'un APS?
    De façon générale, d’abord, puis je parlerai ensuite de SNC-Lavalin.
    Je reconnais que le procureur a tout à fait le pouvoir discrétionnaire de continuer d’évaluer les poursuites. Je suis fière d'avoir été procureure pendant près de quatre ans.
     Merci beaucoup.
    J’ai également vu dans les documents du ministère de la Justice publiés en septembre dernier que l’un des objectifs des accords de réparation est de réduire les préjudices que la condamnation au criminel d’une organisation pourrait causer aux employés, aux actionnaires et à d’autres tiers qui n’y sont pour rien dans l’infraction.
    À l’alinéa 715.31f) du Code criminel, il est précisé que l'accord de réparation vise à:
réduire les conséquences négatives de l’acte répréhensible sur les personnes — employés, clients, retraités ou autres — qui ne s’y sont pas livrées, tout en tenant responsables celles qui s’y sont livrées.
    Je pense qu’il est juste de dire qu’étant donné l’importance de l’entreprise, son histoire, le fait qu’elle emploie près de 9 000 personnes au pays — 52 000 à l’échelle mondiale —, il y a un impact local sur les collectivités où vivent de nombreux retraités, fournisseurs et clients innocents.
    Lors de votre consultation, vous avez dit avoir exercé une diligence raisonnable. Comment avez-vous tenu compte de l’intérêt public et de l’impact sur les milliers d’employeurs, de retraités et de fournisseurs innocents en l'absence d'un APS?
    Monsieur le président, je crois que nous nous aventurons sur un terrain glissant. Je m’acquitte fondamentalement de mes responsabilités de députée en vertu de la convention relative aux affaires en instance judiciaire et je ne crois pas qu’il soit opportun pour moi de répondre à des questions concernant les accords de réparation, le Code criminel ou SNC et la possibilité d'un APS.
    J'estime que le problème réside dans la nature de la question, et que les membres du Comité doivent être prudents afin de ne pas s’immiscer dans des affaires en instance judiciaire.
    Monsieur le président, je remercie ma collègue de la mise en garde.
    Cependant, madame Wilson-Raybould, ma question porte sur l’intérêt public, et non sur une affaire en particulier. Le greffier et peut-être le président pourraient expliquer la convention relative aux affaires en instance judiciaire.
    Mais comment un procureur général pourrait-il prendre une décision — et, pour reprendre vos mots, prendre une décision finale — sans tenir compte de cette information? C’est clairement dans l’intérêt public.
    Encore une fois — et j’aimerais savoir ce qu'en pense le président —, il est tout à fait approprié, comme je l’ai dit dans mon témoignage, que tous les procureurs généraux reçoivent des avis en vertu de l’article 13 du directeur des poursuites pénales. Le contenu de cet avis ne concerne que le directeur des poursuites pénales et le procureur général du Canada. Je ne parlerai pas des situations, des scénarios, des conversations sur l’intérêt national concernant en particulier le dossier SNC-Lavalin.
    J’aimerais entendre le président à ce sujet.
    Merci beaucoup.
    Ce que je propose, c’est de s’en tenir à une formulation générale ou hypothétique, et de ne pas parler des décisions de notre témoin concernant SNC. C’est ce que je propose.
    Bien entendu, les membres du Comité ont entièrement le droit de poser des questions ici, et notre témoin a entièrement le droit d'y répondre ou non. Cependant, le Comité, s’il décide de lui demander de répondre de toute façon, a ce pouvoir.
    Je vous demande de formuler des questions de nature générale ou hypothétique, dans la mesure du possible.
    Je comprends.
    Permettez-moi donc de poser la question suivante.
    Suivant quelle doctrine ou quels principes juridiques avez-vous conclu que vos échanges avec des membres du Cabinet du premier ministre et d’autres collègues constituaient, en vos propres mots, des pressions inappropriées?
    Sur quel fondement juridique avez-vous fait cette affirmation? Des juristes nous ont dit qu'il en faut beaucoup, et qu'il faut pour ainsi dire se faire intimer un ordre, pour affirmer cela. Il est tout à fait légitime et approprié de discuter sérieusement de l’intérêt public, de la possibilité de sauver 9 000 emplois ou 52 000 emplois.
    Quel est le fondement juridique, la doctrine sur laquelle vous avez fondé votre décision finale et décidé que vous n'alliez plus tenir compte de nouveaux renseignements?

  (1800)  

    Je comprends la question et je peux répéter ce que j’ai dit plus tôt.
    Je reconnais que lorsque j’étais procureure générale — tout probablement comme les procureurs généraux avant et après moi —, il était tout à fait approprié de discuter de l’intérêt public. J’ai eu des discussions avec des collègues au sujet de SNC et des accords de poursuite en tenant compte des pertes d’emplois possibles, et du risque d'un déménagement de SNC.
    Mais, après avoir tenu compte de tout cela lorsque j’étais procureure générale, y compris par suite d'échanges avec des membres de mon ministère, avec le personnel de mon cabinet, et en assurant une diligence raisonnable, j’avais décidé de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire ni d'émettre de directive, que ce soit en vertu de l’article 10 ou de l’article 15, afin de suspendre la poursuite, parce que j’estimais qu’il était inapproprié de le faire, puisque la directrice des poursuites pénales avait pris sa décision.
     Merci beaucoup.
    Nous passons à Mme Raitt.
    Je vais revenir un instant aux directives, madame Wilson-Raybould.
    D’après ce que j’ai compris des rapports, ces directives sont très rares en pratique. Je pense qu’il y en a eu trois dignes de mention au cours des 13 dernières années. Deux sont venues de vous, soit une sur les poursuites pour séropositivité, et une relativement aux poursuites contre les Autochtones également, je crois, qui est récente, mais qui n’a pas été ajoutée à la liste. Et il y en a eu une de notre gouvernement sur le terrorisme. À part cela, si je me souviens bien, il n’y a pas vraiment eu d’autres directives d’une grande importance en matière de politique.
    Si vous me le permettez, il y a eu une directive — je ne me souviens plus exactement — concernant le terrorisme.
    Oui.
    J’ai émis une de ces directives. J’ai été heureuse de travailler avec le député, M. Boissonnault, au sujet de la directive sur le VIH. J’ai dû observer le processus prévu dans ces cas.
    Il s’agissait d’une directive générale, comme dans le cas du terrorisme, visant à fournir des lignes directrices au procureur de la Couronne. En émettant cette directive, j’ai dû suivre les procédures, y compris la publication de la directive dans la Gazette. Auparavant, j’ai eu des échanges avec la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel, au sujet de la directive sur le VIH, ce qui est tout à fait approprié. Cette directive est entrée en vigueur au début de décembre.
    Dans l’autre cas, vous voulez sans doute parler de la Directive sur les litiges civils mettant en cause les peuples autochtones.
    Oui.
    Cette directive n'a pas été publiée dans la Gazette. C’était une directive interne que je suis très heureuse d’avoir émise à l’interne au ministère de la Justice en ce qui concerne les litiges civils mettant en cause les peuples autochtones. Elle n’a pas été publiée dans la Gazette parce qu’il s’agissait d’une directive à l’intention des avocats plaidants du ministère de la Justice.
    Cela m’aide beaucoup. Je comprends maintenant pourquoi elle n’est pas sur la liste. Ces directives sont toutefois rares. Elles sont uniques et spéciales.
    Elles sont très rares, mais cela ne veut pas dire qu’un procureur général ne peut les utiliser. Des directives générales comme les deux que nous venons de mentionner ont été émises, mais il n’y a jamais eu de directive précise sur un cas particulier en instance judiciaire, et aucun procureur général n’a eu recours, en vertu de l’article 15, à un accord de poursuite suspendue. Ce serait une première si cela se produisait.
    Excellent, merci.
    J’ai une question au sujet de certaines parties du témoignage du greffier du Conseil privé devant le Comité. À vrai dire, je suis un peu troublée par une incohérence, et je voulais simplement savoir ce que vous en pensez. Ce n’est pas si difficile. Il ne s'agit pas de comparer deux versions contradictoires cette fois-ci.
    Le greffier du Conseil privé nous a dit qu’il avait appris qu’un accord de poursuite suspendue ne serait pas conclu avec SNC-Lavalin un peu après le 17 septembre, à l’automne, dans le cadre d'un reportage de National Newswatch.
    Vous dites dans votre témoignage qu’il était présent dans la pièce où le premier ministre a soulevé la question de l’accord de poursuite suspendue. Vous souvenez-vous qu’il était dans la pièce le 17 septembre et qu’il aurait su dès ce moment que SNC-Lavalin s’était fait dire qu’elle n’obtenait pas d’accord de poursuite suspendue, puisqu'il était présent?

  (1805)  

    Le greffier du Conseil privé l'aurait appris lors de la réunion du 17 septembre parce que je lui en ai parlé précisément, à lui ainsi qu’au premier ministre, et il a expliqué en détail l'avis en vertu de l’article 13 qui m'avait été envoyé. Encore une fois, j’ai dit très clairement que j’avais déjà pris ma décision concernant l’accord de poursuite suspendue et que je n'allais pas intervenir.
    Le Comité est ici pour étudier un certain nombre de questions et pour analyser les échanges auxquels vous avez participé avec vos collègues. De par leur nature, les comités envoient normalement des rapports au Parlement par suite de leur étude. Avez-vous des recommandations à faire au Comité en vue de son rapport? Je ne vais pas entrer dans les détails, mais après avoir passé en revue ce que vous avez vécu, tout ce que vous pensez que nous devrions signaler au Parlement serait utile à nos collègues.
    Puisque vous en parlez, c’est une question très sérieuse, et je vais vous donner une réponse sérieuse, car j’y ai beaucoup réfléchi. J’espère que le Comité étudiera, pour répondre à votre question précédente, le plus de renseignements et de preuves possible. J’apprécie l’étude sur les accords de réparation, qui porte sur une doctrine relativement ancienne, la doctrine Shawcross.
    Je pense qu’il serait très utile que le Comité se penche sur la fonction de ministre de la Justice et procureur général du Canada, et qu'il examine s'il n'y aurait pas lieu de séparer les deux rôles.
    Je crois, depuis un certain temps, avant même de devenir procureure générale, que notre pays bénéficierait d’une étude détaillée et d’un examen visant à faire en sorte que le procureur général ne siège pas au Conseil des ministres, comme c’est le cas au Royaume-Uni.
     Merci.
    Est-ce qu'il me reste du temps?
    Il vous reste 10 secondes.
    C’est donc tout en ce qui me concerne. Prenez une grande respiration. Servez-vous un verre d’eau.
    Merci beaucoup.
    Madame O’Connell.
    Merci, monsieur le président.
    J’aimerais parler un peu du témoignage de M. Wernick, greffier du Conseil privé. Il a parlé de la doctrine Shawcross — je paraphrase, mais je suis sûre que nous pouvons trouver l'extrait exact — dans le contexte de conversations soutenues. Vous reconnaissez vous-même qu’il y a des conversations légitimes à tenir.
    M. Wernick a fait remarquer, et je cite ici l'extrait de la doctrine Shawcross qui me semble pertinent:
Pour ce faire, il peut — sans y être tenu à mon avis — consulter l’un ou l’autre de ses collègues au gouvernement; en fait, comme l’a dit un jour lord Simon, il serait même imprudent de ne pas le faire dans certains cas.
     Dans votre témoignage d’aujourd’hui, vous avez mentionné que le 16 septembre, lorsque votre chef de cabinet a parlé au téléphone à MM. Bouchard et Marques, ils ont signalé la nécessité d'obtenir des conseils de l’extérieur à ce sujet. Toujours pour revenir à votre témoignage, vous avez indiqué que le 18 octobre, c’est également M. Bouchard qui a parlé à votre chef de cabinet et qui a demandé s’il pouvait être possible de demander un avis juridique externe sur la décision d’un DPP de ne pas lancer d’invitation.
    Pour revenir au 16 septembre, vous avez dit que votre décision était prise et que vous n’alliez pas intervenir. Toutefois, dans le commentaire que vous avez fait le 16 septembre, il a été précisé qu’ils comprenaient que le procureur de la Couronne voulait négocier une entente, mais que la directrice ne le voulait pas. Cela m’indique que même du côté de la poursuite, un débat a eu lieu. Il y a eu un débat pour savoir si c’était approprié ou non d'intervenir.
    Est-il donc déraisonnable, s’il y a toujours un débat, même au sein du bureau du procureur de la Couronne, ou de qui que ce soit d’autre dont on parle, de prendre connaissance d’autres conseils qui ont été demandés le 16 septembre, ainsi que le 18 octobre, pour voir quelles étaient les options juridiques? De toute évidence, qu'il s'agisse de vous, de votre cabinet ou du Cabinet du premier ministre, il semble y avoir eu des désaccords ou des divergences d’opinions au sein de la poursuite.
    Pourquoi aurait-il été déraisonnable — pour revenir ensuite au témoignage de M. Wernick au sujet de la doctrine Shawcross — de consulter le plus de gens possible avant de prendre ce genre de décision? S’il y avait encore des divergences d’opinions, pourquoi ne pas tenir compte d'autres avis, d'avis juridiques externes?

  (1810)  

    D'accord, je vais répondre à cela, mais nous commençons selon moi à nous répéter. J’avais pris ma décision en ma qualité de procureure générale. Je n’avais pas besoin de conseillers juridiques externes. Il n'était pas opportun que des gens du Cabinet du premier ministre continuent de dire que j’avais besoin d’un conseiller juridique externe. C’est inapproprié. Je dois dire, en ce qui concerne les conversations dont vous avez parlé et les remarques de Mathieu Bouchard selon lesquelles l’opinion d’un procureur est différente de celle de la directrice des poursuites pénales, que je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi il soulève cette question. Comment pouvait-il le savoir? Comment a-t-il obtenu cette information?
    Il est tout à fait inapproprié qu’un membre du Cabinet du premier ministre ou qu'un membre du personnel de mon ministère tienne compte de ces conversations, parce que j’aurais alors de sérieuses réserves — comme j'en ai eu à ce moment, et comme j'en ai encore — quant à la façon dont ces renseignements ont été obtenus, et de qui.
    Merci.
    Si vous estimiez que cette information était si inappropriée le 16 septembre, avez-vous envisagé de démissionner? Si le projet était allé de l’avant et s’ils avaient continué, n’aviez-vous pas envisagé de démissionner alors?
     Je n’ai pas envisagé de démissionner à ce moment-là. À mes yeux, je ne faisais que mon travail de procureure générale. Je protégeais un principe constitutionnel fondamental de l’indépendance de la poursuite et de la magistrature. C’est mon travail. Je devrais plutôt dire que c’était mon travail à titre de procureure générale. Tant que j’étais procureure générale, j’allais veiller à ce que l’indépendance de la directrice des poursuites pénales dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ne soit pas compromise.
    Faites-vous toujours confiance au premier ministre aujourd’hui?
    Je ne vois pas en quoi cette question est pertinente.
    D’accord.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Paul-Hus.
    Monsieur Paul-Hus, comme M. Cooper m’a demandé de lui accorder les trois dernières de ces cinq minutes, je vais simplement vous dire, après deux minutes, que nous allons passer à M. Cooper.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Madame Wilson-Raybould, le 19 décembre, lorsque vous avez reçu l'appel du greffier du Conseil privé, M. Wernick, qui est le plus haut fonctionnaire du Canada, ce dernier a dit qu'il voulait vous fournir du contexte sur cette question. Comment avez-vous ressenti cela?

[Traduction]

    Je crois que le greffier a fait des commentaires semblables lorsqu’il a comparu devant le Comité de la justice. À ce moment-là, à titre de procureure générale, après quatre mois de ce genre de conversations — en fait, pas même après quatre mois — après avoir pris ma décision, j’avais l'intime conviction qu'elle était la bonne dans les circonstances. Comme procureure générale, je n’ai jamais travaillé en vases clos. J’ai eu la possibilité de consulter d'autres personnes, de lire des documents et de discuter de la réalité de SNC et des accords de poursuite suspendue. Bien sûr, puisque je siégeais au Conseil des ministres, je n’avais pas besoin qu'on m'explique le contexte.
    Je n’avais certainement pas besoin qu'on m'explique un contexte identique à celui qui existait quatre mois plus tôt.

  (1815)  

[Français]

    Est-ce que vous avez considéré que c'était une entrave à la justice?

[Traduction]

    Bien sûr. Ce n’était pas une entrave, parce que je n’ai jamais cédé. Soyons clairs à ce sujet. Il y a eu un effort concerté et soutenu pour tenter de m’influencer politiquement dans mon rôle de procureure générale. En ma qualité de procureure générale, je n’ai pas cédé.

[Français]

    Merci, madame.

[Traduction]

    Merci beaucoup, madame Wilson-Raybould. C’est une triste journée, et je vous remercie beaucoup de votre franchise devant le Comité.
    Au sujet du greffier du Conseil privé et de l’appel reçu le 19 décembre, était-il habituel de recevoir un appel du greffier du Conseil privé? Cela s’est-il produit souvent?
    La réponse est non, mais je pourrais essayer d’y réfléchir davantage. Ce n’est pas que je n’ai pas eu de conversations individuelles avec le greffier du Conseil privé. J’en ai eu une le 19 septembre à mon bureau. Je connais le greffier depuis de nombreuses années, et tout au long de mon mandat de ministre, nous avons eu l’occasion d’avoir des conversations, mais une conversation directe ou une réunion directe, c'est arrivé assez rarement.
    Je vous en remercie.
    Dans votre intervention liminaire, vous avez dit avoir songé au célèbre massacre du samedi soir. Pouvez-vous nous donner un peu plus d'explications?
    Je peux vous donner la description du massacre du samedi soir que l'on trouve sur Wikipédia. Les gens savent peut-être de quoi il s’agit.
    Le massacre du samedi soir est un événement auquel on fait souvent allusion, relativement à l’ancien président Richard Nixon, lorsqu’au début des années 1970, il a demandé à son procureur général de l’époque de congédier un procureur spécial. Le procureur général a refusé et il a démissionné. Le président Nixon a ensuite demandé la même chose à son sous-procureur général, et ce dernier a lui aussi refusé et démissionné, et c'est ce qu’on appelle communément le « massacre du samedi soir ». C'est un fait bien connu.
    Après avoir parlé au greffier, je réfléchissais évidemment à ce qui se passait et à la possibilité que le premier ministre me donne un ordre et que je doive envisager de démissionner.
    C’était donc assurément un peu plus que...
     Monsieur Cooper, c'est votre dernière question.
    Je dirais simplement que le greffier faisait plus que de vérifier auprès de vous, comme il l'a prétendu.
    Le greffier voulait savoir ce qu'il advenait du dossier SNC et de l'accord de poursuite suspendue.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant au NPD pour trois minutes.
    Monsieur Angus.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Wilson-Raybould. Je suis très honoré d’être ici aujourd’hui, parce que ce dont nous avons été témoins, à mon avis, ce n’est pas de la politique, mais bien une leçon d’intégrité. Je pense que le témoignage que vous avez livré aujourd’hui sera étudié dans les écoles pendant des décennies, et que le Canada s'en trouvera amélioré. La plus belle chose que nous puissions obtenir de n’importe quel fonctionnaire, c’est qu'il défende la vérité face au pouvoir, et c'est ce qui ressort de votre déclaration de démission.
    J’ai très peu de temps pour les questions. Je veux simplement m’assurer de bien comprendre le cadre. Il semble que ce que nous constatons aujourd’hui, c’est une tentative soutenue et constante de la part d’acteurs très puissants du Cabinet du premier ministre, qui ont pourtant l’obligation de faire respecter la justice et la primauté du droit, pour essayer d'entraver la primauté du droit. Est-ce une bonne interprétation de votre témoignage?

  (1820)  

    Merci de vos commentaires et de votre question. Encore une fois, je sais qu’il y a eu un effort constant et soutenu pour tenter de m’influencer politiquement dans mon rôle de procureure générale.
    Je tiens vraiment à dire ceci, et je serai brève. Je ne veux pas que les membres du Comité ou les Canadiens pensent que l’intégrité de nos institutions s’est évaporée. L’intégrité de notre système de justice, l’intégrité de la directrice des poursuites pénales et des procureurs sont intactes. Je tiens à ce que soit clair. Il nous incombe à tous de faire respecter nos institutions et la primauté du droit. C’est pourquoi je suis ici.
    Je vous en remercie, parce que j’ai été vraiment choqué lorsque j’ai lu le témoignage dont vous avez reproduit la teneur... pour M. Wernick, le greffier du Conseil privé, qui est tenu d’être la voix non partisane de la fonction publique. Il a dit, en parlant du premier ministre — qu'il allait trouver un moyen d'arriver à ses fins, d’une façon ou d’une autre... parce que telle était son humeur, et qu'il voulait que vous en soyez consciente. Vous avez ensuite parlé du congédiement du procureur spécial par Richard Nixon à l'époque.
    En déduiriez-vous que la remarque concernant l'humeur du premier ministre et la nécessité pour vous d'en prendre conscience constituait une menace directe concernant le premier ministre?
    Je crois qu’à trois reprises au cours de cette conversation, il y a eu une menace voilée.
    D’accord. Merci.
    Il ne me reste que quelques secondes, mais j’ai entendu mes collègues libéraux vous demander aujourd’hui pourquoi vous n'aviez pas démissionné, pourquoi vous n'aviez pas soulevé cette question, comme si... c’était votre responsabilité, et ensuite vous demander pourquoi vous n'aviez pas obtenu des conseils de l’extérieur pour vous aider à changer d’avis.
    Je suis vraiment content que vous disiez qu’il s’agissait de tentatives d’obstruction et d’entrave à la justice, mais que le système de justice demeure intact.
    Craignez-vous que le Cabinet du premier ministre considère le rôle du ministre de la Justice comme celui d'un figurant qui peut être influencé ou manipulé selon les besoins partisans ou politiques du moment?
    Je ne vais pas spéculer sur les motivations ou les opinions du Cabinet du premier ministre.
    Très bien.
    Je veux simplement dire, monsieur le président...
    Le président: Vous avez épuisé votre...
    M. Charlie Angus: ... je veux simplement...
    Le président: Monsieur Angus, vous avez épuisé...
    M. Charlie Angus: ... je veux proposer une motion...
    Monsieur Angus, votre temps est écoulé.
    ... que le Comité exige que le premier ministre...
    Monsieur Angus, votre temps est écoulé. Vous n’avez pas la parole.
    Je propose une motion.
    Je crois que votre temps était écoulé. Comment...
    Désolé, je propose une motion, monsieur le président.
    J’avais déjà dit, monsieur Angus, que votre temps était écoulé.
    Mon microphone était toujours ouvert et j’ai dit que je proposais une motion.
    Je ne vous ai pas entendu dire que vous alliez proposer une motion, mais j’ai dit que votre temps était écoulé. J’allais demander aux membres du Comité s’ils souhaitent passer à un autre tour de questions. Je reviendrai à votre motion lorsque nous aurons déterminé si nous voulons passer à un autre tour de questions.
    Mesdames et messieurs, voulez-vous un autre tour de questions?
    Des députés: Oui.
    Le président: Oui? D’accord.
    Il y aura donc un autre tour de questions.
    Monsieur Angus, quelle est votre motion?
    Je ne sais pas si nous avons besoin d’un autre tour de questions. Non, je pense que nous avons terminé. Nous avons terminé.
    J'ai deux ou trois points à mettre au clair.
    À titre de précision, monsieur Angus, vous n’êtes pas membre du Comité. Puisque M. Rankin est ici, vous ne pouvez pas proposer de motion. C'est mon premier point.
    Deuxièmement, nous devions décider s'il y aurait un autre tour de questions. S’il y a désaccord à ce sujet, je suppose que nous devrons proposer une motion et tenir un vote, s'il n'y a pas consensus en faveur d'un autre tour.
    Quelqu’un propose-t-il de passer à un autre tour de questions?
     J’en fais la proposition.
    Y a-t-il des commentaires à ce sujet?
     Tous ceux qui sont en faveur de passer à un autre tour?
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Madame Wilson-Raybould, vous êtes ici depuis un certain temps. Voulez-vous faire une pause?
    Non, ça va.
    Si ça va, je vous félicite.
    Si nous nous rendons jusqu'à 21 heures, je changerai probablement d'idée.
    Veuillez me faire savoir si, à un moment donné, vous avez besoin d’une pause.
    Le prochain tour, un peu comme le premier, sera de six minutes pour les conservateurs, six minutes pour les libéraux, six minutes pour le NPD et six autres minutes pour les libéraux.
    Madame Raitt.
    Merci beaucoup.
    Je ne veux pas me répéter, mais je vais simplement résumer et vous pourrez me dire si j’ai bien compris ou non. La réalité, c’est que pendant un bon bout de temps — entre le moment où vous avez d'abord pris votre décision et celui où vous avez été mutée au ministère des Anciens Combattants —, vous avez maintenu la primauté du droit en dépit des pressions et des supplications de diverses personnes au sein du gouvernement, du Bureau du Conseil privé et de conseillers du gouvernement. En conséquence, nous pouvons tirer la conclusion que votre mutation — non pas à l’extérieur, mais au sein du Cabinet — est le résultat du fait que vous n’avez pas obéi aux directives et n’avez pas livré ce que le premier ministre voulait, c’est-à-dire une solution aux problèmes politiques de SNC-Lavalin.
    Ai-je bien résumé la situation?

  (1825)  

    Je crois que les membres du Comité peuvent tirer leurs propres conclusions. Je ne commenterai pas les conclusions des membres du Comité.
    Oui, c’est juste.
    Au tout début, je vous ai posé une question sur les témoins qui pourraient se présenter. De toutes les personnes que vous avez nommées — merci de votre aide — croyez-vous qu’elles seraient toutes en mesure de nous donner une idée de ce qui s’est passé dans certaines circonstances? Il y a peut-être eu des conversations dont vous n’avez pas eu connaissance qui pourraient aider à éclairer ce qui se passait.
    Je crois que les personnes que j’ai nommées dans mon témoignage, ayant participé à ces conversations ou à ces réunions, ont un point de vue sur ces réunions. Encore une fois, je pense qu’il est important que le Comité dispose le plus possible des renseignements et des témoignages des personnes directement concernées.
    Ce n’est pas une question piège, mais connaissez-vous le lien d’amitié et la relation qui existe entre Ben Chin et le vice-président des relations gouvernementales chez SNC-Lavalin? Savez-vous qu’ils ont tous deux travaillé pour l'administration McGuinty, qu’ils y étaient d’excellents amis et que leur relation d'amitié remonte à encore plus loin que leur engagement politique? Êtes-vous au courant de cela?
    Je ne suis pas au courant.
    Êtes-vous au courant du fait que M. Butts entretient également des liens de longue date avec le vice-président des affaires gouvernementales de SNC-Lavalin, et qu’ils ont aussi travaillé ensemble au sein du gouvernement McGuinty en Ontario pendant une longue période, et qu’ils se connaissent probablement?
    Je ne suis pas au courant.
    Trouviez-vous étrange que le chef de cabinet du ministre des Finances demande des réunions concernant votre autorité en matière d’accords de poursuite suspendue, ou même de poursuites criminelles? Était-ce une surprise pour vous?
    J’étais au courant des conversations initiales entre le chef de cabinet du ministre des Finances et ma chef de cabinet. Je n’ai pas trouvé cela très embêtant, mais j’ai trouvé que les communications soutenues posaient problème. Je ne voyais pas pourquoi quelqu’un du ministère des Finances devrait parler à ma chef de cabinet de mon rôle de procureure générale.
    Pourquoi pensez-vous que la disposition qui a modifié le Code criminel en ce qui concerne les accords de poursuite suspendue s’est retrouvée dans le projet de loi d’exécution du budget, et non dans votre projet de loi de réforme du système de justice pénale?
     Les accords de poursuite suspendue sont une chose qu'un certain nombre de ministres, y compris le ministre des Finances, avaient préconisée, au Cabinet, pour fournir un instrument supplémentaire aux procureurs.
    Bien sûr, en tant que ministre de la Justice, je suis responsable, au Code criminel. À ce titre, j’ai participé à la documentation et aux discussions qui ont mené à la présentation du projet de loi sur l'exécution du budget, notamment en ce qui concerne les accords de poursuite suspendue, parce que moi seule pouvais modifier le Code criminel.
     D’accord.
    À l’époque, votre ministère a-t-il participé à la discussion sur la modification du régime d’intégrité, qui relevait de Travaux publics? Votre ministère a-t-il participé à cela également?
    Je ne peux pas préciser le nombre de conversations qui ont eu lieu, mais il est certain que la ministre Qualtrough a participé au régime d’intégrité. Mon ministère a collaboré avec elle au sujet des consultations, mais quant à l’ampleur de ces... Je sais que cela ne relevait pas du ministère de la Justice, mais du SPPC.

  (1830)  

    J’ai une dernière question à vous poser. Compte tenu de tout le lobbying qui a été fait à ce sujet, y compris, il faut le reconnaître, auprès de notre parti — SNC est venue parler à tout le monde, et je crois qu'elle s'est aussi adressée à mes collègues — je ne vois pas votre nom sur la liste des personnes qui ont fait l’objet de lobbying. Est-ce que les lobbyistes de SNC ont demandé à venir vous voir pour vous parler de la question des accords de poursuite suspendue, étant donné que vous seule pouviez modifier le Code criminel?
    Il n’y a jamais eu de demande.
    D’accord. Merci.
    Madame Sahota.
    Merci.
    Madame Wilson-Raybould, j’apprécie vraiment que vous ayez souligné que notre système est intact et qu’il y a beaucoup d’intégrité dans notre système judiciaire. Je sais qu’après l’audience d’aujourd’hui, ces préoccupations seront soulevées, et que vous-même et le greffier du Conseil privé en avez témoigné.
    J’aimerais aborder brièvement la question de la responsabilité que vous aviez en tant que procureure générale. Il me semble qu'à un moment donné, en novembre, vous aviez eu suffisamment d'interactions et que votre décision était prise. Si vous estimiez que le problème était si grave, pourquoi n’avez-vous pas démissionné ou téléphoné au premier ministre pour vraiment avoir une conversation sérieuse avec lui à ce moment-là?
    Eh bien, j’ai pris ma décision en septembre, et je l’ai expliquée au premier ministre. Je ne me suis pas sentie obligée de démissionner, parce que je faisais mon travail de procureure générale. J’avais pris une décision à l'égard de mon pouvoir discrétionnaire et de l’exercice de ce pouvoir en ce qui concerne l’émission d’une directive ou la prise en charge d’une poursuite relativement à SNC et l’accord de poursuite suspendue...
    Bien. Qu'en est-il du 7 janvier? Vous avez dit que vous avez eu une conversation avec le premier ministre au sujet de votre mutation au portefeuille des Anciens Combattants. À ce moment-là, avez-vous fait part de vos préoccupations au premier ministre quant aux raisons qui, selon vous, motivaient ce changement?
    D’accord, mais vous avez quand même pris le poste, sachant ce que vous saviez et ressentant ce que vous ressentiez... S’il y avait de l’ingérence, si la pression était si importante... Vous venez de dire que la raison pour laquelle vous avez démissionné ultérieurement n’est pas que vous ne faisiez pas confiance au premier ministre — ou vous ne l'avez pas dit en ces termes —, mais que vous n’aviez pas suffisamment confiance pour siéger au Cabinet. Pourquoi avoir pris cette décision alors, et non pas au moment où on vous a offert les Anciens Combattants?
    Je ne peux pas parler davantage de ma démission ou des conversations ou de ce que j’ai ressenti, car la dispense par décret du conseil qui a été fournie au Comité ne couvre pas cela.
    Alors que j’étais encore ministre de la Justice et procureure générale, après le 19 décembre et jusqu’au 14 janvier inclusivement, j’ai réfléchi à mon rôle, à mes préoccupations et à mon incertitude quant à savoir si le gouvernement ou le nouveau procureur général — je ne savais pas qui ce serait à l’époque, et cela n’a pas d’importance — conclurait un accord de poursuite suspendue avec SNC.
    Comme je l’ai dit, si j’avais vu un avis dans la Gazette — ce qui est obligatoire — concernant cette directive, j’aurais immédiatement démissionné.
    Vous avez fait allusion au massacre du samedi soir. Nous avons eu d’autres procureurs généraux qui ont fait face à des défis — notamment un en Colombie-Britannique, Brian Smith — et qui, dans le cadre de leur rôle, ont jugé qu'ils avaient le devoir de démissionner à ce moment-là. N'avez-vous pas pensé qu’il vous incombait de démissionner si la question était si grave?
    À ce moment-là, je n'ai pas jugé qu’il m’incombait de démissionner. Je me voyais comme la procureure générale du pays qui faisait son travail pour assurer et préserver l’indépendance de ma fonction, maintenir l’intégrité du système de justice et la primauté du droit.
     Le 4 novembre, vous avez célébré le troisième anniversaire de votre assermentation. Vous avez publié un message sur Twitter pour remercier le premier ministre et dire à quel point c’était un honneur de jouer ce rôle. Vous avez également affiché votre serment au Conseil privé, dans lequel il était écrit: « J’exprimerai fidèlement, honnêtement et en toute vérité, mon sentiment et mon opinion sur toute chose traitée, débattue et résolue en Conseil. » C’est un serment que vous avez prêté et que le premier ministre a également prêté.
    Lorsque je pense aux conversations — je n’ai jamais été là — autour de la table du Cabinet, je suppose qu'en tant que collègues, vous discutez ouvertement des intérêts en jeu et des mesures concernant différents dossiers, des décisions à prendre, et que le premier ministre parle ouvertement et en toute franchise de ce qui se passe, tout comme vous le faites vous-même.
    À cet égard, j’ai l’impression que vous avez hésité à vous prononcer, même si le premier ministre avait mentionné à plusieurs reprises sa préoccupation au sujet de l’intérêt public, des pertes d’emplois.

  (1835)  

    Je peux dire, sans équivoque, que je n’ai pas hésité à me prononcer en tant que procureure générale dans cette affaire. De façon plus générale, en tant que procureure générale, et aussi en tant que ministre de la Justice, j’ai toujours pensé qu’il convenait de soulever mes préoccupations, de participer à des discussions et à des débats et, comme je l’ai dit, de toujours donner l'heure juste aux pouvoirs en place. C’est ce que j’ai fait. Dans ce cas particulier, le 17 septembre, je n'ai pas hésité à demander au premier ministre s’il s’ingérait politiquement dans les décisions concernant SNC et l'accord de poursuite suspendue.
    Et il a dit non. Alors, l’avez-vous cru à ce moment-là, parce que le 14 janvier, vous avez assumé de nouvelles fonctions dans un autre ministère?
     Comme je l’ai dit, je l’ai cru sur parole. Je l’ai cru sur parole après l’avoir interrogé directement en septembre, et je l’ai cru sur parole après l’avoir interrogé directement, ainsi que Gerry Butts, en janvier. J’ai choisi de les croire sur parole.
    Et donc, le 14 janvier, vous aviez aussi la conviction qu’il n’y avait pas d’ingérence et c’est pourquoi vous avez assumé de nouvelles fonctions?
    J’avais de sérieuses réserves à ce sujet, mais encore une fois, j’ai cru le premier ministre sur parole.
    Merci.
    Nous allons passer à M. Cullen.
    Je tiens à signaler que le NPD m’a informé qu’il souhaite présenter une motion. Lorsque nous aurons terminé les tours de questions, s'il n'y a pas d'autres questions, je permettrai au représentant du NPD, M. Rankin, de présenter la motion.
    Monsieur Cullen, vous avez la parole.
    Merci, madame Wilson-Raybould, non seulement de votre témoignage, mais aussi de votre endurance aujourd’hui, car cela dure depuis un certain temps.
    En ce qui concerne la directive dont vous avez parlé, Mme Raitt a mentionné à quel point son utilisation était rare et exceptionnelle. Pouvez-vous répéter qu'elle n’a jamais été utilisée dans une poursuite? Était-ce là votre témoignage d’aujourd’hui, à savoir qu’un procureur général n’a jamais utilisé cette directive particulière dans un cas précis, comme dans celui de SNC-Lavalin? Est-ce exact?
    C’est exact.
    Donc, non seulement cet instrument est incroyablement rare, mais il n’a jamais été appliqué comme l'ont suggéré le greffier du Conseil privé et toutes les autres personnes qui ont constamment exercé des pressions sur vous pour que vous l'utilisiez. Ils vous demandaient, en fait, de prendre une mesure historique.
    Le procureur général n’a jamais émis de directive précise dans le cadre d’une poursuite, et n’a jamais émis de directive — excusez-moi — pour la prise en charge d’une poursuite. Ce serait historique — une première.
    Ce serait historique. Ce qu’on vous a demandé n’est pas seulement extraordinaire dans ce cas-ci, on vous a demandé de faire quelque chose d’inédit. Est-ce exact?
    Pour ce qui est d’une poursuite en particulier, oui.
    Vous parlez d’un cas précis.
    Je suis un peu perplexe devant le raisonnement que mes collègues libéraux viennent de tenir. Ils mettent essentiellement en doute votre intégrité pour ne pas avoir démissionné. Je pensais que votre intégrité avait été renforcée en ne démissionnant pas, en restant là et, comme vous venez de le dire, en préservant la primauté du droit. Ce qui me laisse perplexe, c’est l’idée que vous auriez dû démissionner lorsque vous subissiez des pressions, de façon inappropriée et constante, de certaines des personnes les plus puissantes de ce pays. Vous avez dit que vous aviez résisté à ces pressions. Vous n’alliez pas accorder cet arrangement, cette offre spéciale, et vous êtes restée en poste. Les gens remettent en question votre intégrité pour avoir agi ainsi. Comprenez-vous ma confusion et la raison pour laquelle les Canadiens peuvent être perplexes?
    Je peux dire ceci: j’ai toujours agi avec intégrité, en accord avec mes convictions et mes principes. C’est ce que j’ai fait dans le cadre de mes fonctions de procureure générale en ce qui concerne SNC et la possibilité d’un accord de poursuite suspendue. Je suppose que le Comité discutera des témoignages et des divergences d’opinions, mais je fais également confiance aux Canadiens et à leur capacité d’entendre les paroles que j’ai prononcées, d’entendre les faits que j’ai relatés et de tirer leurs propres conclusions.

  (1840)  

     Je pense que nous sommes nombreux à tirer nos propres conclusions en fonction de ce que nous entendons aujourd’hui.
    La capacité de conclure l’un de ces... Je les appelle des arrangements. Je ne suis pas avocat. Ces suspensions ne peuvent pas être accordées pour des raisons politiques, n'est-ce pas?
    C’est exact.
    Il est illégal pour vous de prendre cette décision pour des motifs politiques, n'est-ce pas?
    Il serait illégal pour moi de le faire.
    Cela aurait été illégal pour vous. Est-il illégal pour quelqu’un de vous demander de le faire?
    De me l'ordonner ou de me le demander?
    De faire pression sur vous. On a composé un narratif.
    Lorsque cette histoire a éclaté, le premier ministre a dit que tout était faux. Ensuite, aucune pression n’a été exercée. Des pressions ont été exercées. Ne vous inquiétez pas, a dit le greffier. C’était une pression appropriée.
    Toutes les pressions dont vous avez parlé dans votre témoignage d'aujourd’hui avaient des motifs politiques, et il aurait été illégal que vous y cédiez en tant que procureure générale.
    Ai-je dit quelque chose d'inexact jusqu’à maintenant?
    D’accord. Bien.
    Est-il illégal que quelqu’un fasse pression sur le procureur général pour qu’il accorde un arrangement spécial comme celui-ci pour des raisons politiques? Est-il illégal que quelqu’un fasse pression sur le procureur général pour qu’il intervienne dans une cause?
    À mon avis, ce n’est pas illégal. C’est très inapproprié, selon le contexte des commentaires qui sont faits, la nature des pressions, les questions précises qui sont soulevées.
    D’accord.
    C’est incroyablement inapproprié et cela cherche à compromettre ou forcer un procureur général indépendant.
    On a donc exercé des pressions; vous avez parlé de menaces voilées. Vous avez demandé à plusieurs reprises que ces menaces, ces communications avec vous et votre bureau, cessent.
    Est-ce exact?
    C’est exact.
    Et cela a continué. Vous avez dit que vous ne le feriez pas. Vous aviez déjà pris votre décision. Vous aviez de bonnes raisons juridiques; vous respectiez la primauté du droit. La pression s’est poursuivie, les menaces voilées ont continué jusqu'au mois de décembre.
    Est-ce exact?
    Cela a continué. Je ne dirais pas que les menaces voilées se sont poursuivies tout au long de cette période. L'escalade des pressions ou des tentatives d’ingérence politique a abouti à la réunion du 19 décembre.
    Jusqu’à cette réunion du 19 décembre, à partir de septembre, vous aviez donné avis, vous aviez pris votre décision, le train avait quitté la gare, vous n’alliez pas vous ingérer dans la décision du service des poursuites pénales, son indépendance pour faire son travail et faire respecter la primauté du droit.
    Vous avez demandé que cela cesse. En fait, la pression a augmenté.
    Est-ce exact?
    C’est exact.
    Donc, l’indépendance du bureau de la procureure générale... Je pense simplement à l’argument du premier ministre au sujet de l’importance de la primauté du droit au Canada lorsqu’il est question de Huawei. Le premier ministre a toujours soutenu qu’il n’avait pas le choix parce qu’il croyait tellement à la primauté du droit. En même temps, lui et son personnel, son principal conseiller, le greffier du Conseil privé et d’autres membres de son personnel, en commençant par le ministre des Finances, ne respectent pas la primauté du droit et votre indépendance en tant que procureure générale du Canada.
    La contradiction et l’hypocrisie de cette situation me sidèrent, et c'est typique de la part des gouvernements libéraux.
    Merci.
    Nous passons maintenant à M. Ehsassi.
    Merci, monsieur le président.
    Vous avez eu l’occasion de parler des capacités et du pouvoir discrétionnaire des procureurs. Je voudrais vous poser une question au sujet des obligations des procureurs.
    Vous connaissez très bien le guide à l’intention des procureurs, ainsi que les obligations et les attentes dont vous leur faites part. Dans une partie pertinente de ce manuel, on dit que les procureurs de la Couronne doivent continuellement évaluer, à chaque étape du processus, si la poursuite est dans l’intérêt public.
    Donc, s’ils ont l’obligation de faire continuellement une réévaluation, pourriez-vous nous expliquer pourquoi, selon vous, lorsque vous avez pris votre décision le 16 septembre, vous n’aviez pas également l’obligation de réévaluer continuellement les faits.

  (1845)  

     En tant que procureure générale, je reçois — en vertu de l’article 13 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales — des avis du directeur au sujet de questions d’intérêt général. Nous recevons — j’en ai reçu lorsque j’étais procureure générale  — un grand nombre de ces avis. C’est le directeur qui soulève, comme je l’ai dit, des questions d’intérêt général en disant qu’on me fournit ces renseignements, en tant que procureure générale, pour faire ce que je juge approprié. J’ai pris ma décision en me fondant sur l’information que j’ai reçue de la directrice des poursuites pénales. J’ai exercé une diligence raisonnable et, encore une fois, j’ai pris une décision ferme.
    Je n’ai jamais dit que les procureurs n’ont pas la capacité ou le pouvoir discrétionnaire de continuer d’évaluer l’affaire dont ils sont saisis. Bien sûr que si. C’est le cas dans toutes les poursuites. Les procureurs peuvent agir en fonction des circonstances, des faits et des commentaires qui leur sont présentés. Ce n'est pas moi qui poursuis. Je peux être avisée par le directeur des poursuites pénales au moyen d’avis en vertu de l’article 13.
    Merci.
    Il me semble que tous ceux qui ont cette responsabilité ont l’obligation d’examiner les faits au fur et à mesure qu’ils changent.
    Maintenant, j’avais une question sur le choix du moment. Encore une fois, pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous n’avez porté à l’attention de personne vos craintes au sujet du processus judiciaire avant votre nomination à un autre portefeuille?
    Je suis désolée, je ne comprends pas la question. Je ne peux pas parler de quoi que ce soit concernant la période où je n’étais plus ministre de la Justice et procureure générale.
    Lorsque j’étais ministre de la Justice et procureure générale, en ce qui concerne SNC et les accords de poursuite suspendue, j’ai soulevé mes préoccupations au sujet de la nature inappropriée des interactions avec moi.
    Quand avez-vous soulevé cette question?
    Du 17 septembre jusqu’à la réunion du 19 décembre, inclusivement, et jusqu’à la réunion du 7 janvier.
    Par conséquent, toutes vos préoccupations sont celles que vous avez décrites en détail dans votre déclaration préliminaire?
    En fait, je suis heureuse de répondre à cette question, parce que je sais que la lettre du président m’invitait à venir ici pour faire un exposé complet des faits. Je me suis efforcée de le faire, mais à cause du manque de temps, j’ai dû limiter mes observations à certaines expressions, réunions et précisions. Cela ne veut pas dire que c’est un compte rendu complet de tout ce qui a été dit. Je ne peux certainement pas parler de ce qui s’est passé après le 14 janvier.
    Pourriez-vous nous expliquer la raison pour laquelle vous pensez que tout ce qui s'est passé après votre nomination à un nouveau portefeuille ne peut pas être inclus dans cette renonciation? Quelle obligation pensez-vous respecter?
    Je ne vais pas parler de cela. J'ai reçu le décret et la renonciation que l'on m'a accordés pour témoigner devant ce comité et pour dévoiler au commissaire à l'éthique des faits qui se sont produits et des secrets du Cabinet que j'ai entendus pendant que j'étais ministre de la Justice et procureure générale du Canada. Ces faits faisaient partie du secret professionnel entre avocat et client.
    Je vous en remercie.
    Je ne veux pas trop interrompre, mais pour éclairer les membres du Comité, je crois que cette question portait sur le secret du Cabinet. Votre nomination à la fonction de ministre des Anciens Combattants vous a relevée du secret professionnel. Il s'appliquerait cependant encore au secret du Cabinet, n'est-ce pas? C'est en réalité...

  (1850)  

    Toutes les conversations que j'ai eues ou non quand j'étais ministre des Anciens Combattants avec le premier ministre ou sans le premier ministre, jusqu'à, et inclusivement, la réunion que j'ai tenue avec mes collègues de l'époque à la table du Cabinet, font partie du secret professionnel.
    Je crois que c'est ce qu'il voulait savoir. Merci.
    Entamons-nous un autre tour de questions, mesdames et messieurs?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Avant que nous recommencions, madame Wilson-Raybould, voudriez-vous que nous fassions une pause?
    Je serai heureuse de répondre à un autre tour de questions, mais après cela, je vous demanderai que nous nous réunissions un autre jour pour poursuivre ces discussions.
    Bien sûr, mais si vous désirez que nous fassions une pause maintenant, je me ferai un plaisir de vous accorder une pause de 10 minutes. Est-ce que cela vous aiderait?
    En réalité, je préférerais que nous ne fassions pas de pause.
    Je le répète, je suis heureuse de répondre à des questions, mais celles qu'on me pose semblent toutes revenir au même. Nous restons toujours sur le même sujet. Je suis heureuse de répondre aux questions, mais je tenais à souligner cela.
    Si le Comité désire entamer un autre tour après celui-ci, je vous demanderais de me permettre de revenir une autre fois pour répondre aux questions.
    Je comprends.
    Le Comité tiendra certainement compte de cela en prenant sa décision à la fin de ce tour.
    Je crois que nous pouvons considérer ce tour comme le dernier de la journée.
    Nous faisons donc un tour de six minutes pour les libéraux, six pour les conservateurs, six pour les libéraux, cinq pour les conservateurs et trois pour les néo-démocrates.
    Madame Khalid.

[Français]

    Je vous prie de m'excuser, mais M. Fortin était présent à nos réunions précédentes et il a demandé du temps de parole. Nous lui avons accordé trois minutes à la fin du dernier tour de questions.

[Traduction]

    Je voudrais demander au Comité s'il consentirait à ce qui suit: accepterions-nous, à la fin de ce tour, de donner trois minutes à M. Fortin, trois minutes à Mme May et trois minutes à la Fédération du commonwealth coopératif pour qu'elle pose sa première question en comité parlementaire depuis 50 ans?
    Seriez-vous tous d'accord?
    Des députés: D'accord.
    Le président: Seriez-vous d'accord, madame Wilson-Raybould?
    Tout à fait.
    Merci beaucoup.
    Nous passons d'abord la parole aux libéraux.
    Madame Khalid.
    Merci, madame Wilson-Raybould. Nous vous remercions profondément d'avoir tant de patience et de rester ici pour dévoiler une grande partie de la vérité, car je suis sûre que les Canadiens se posent de nombreuses questions.
     Vous avez dit que lors de la réunion avec Jessica Prince et avec le secrétaire principal et la chef de cabinet du premier ministre, votre chef de cabinet était bouleversée quand elle a quitté la réunion. Afin d'en comprendre la raison et les mesures à prendre à ce moment-là, le greffier, M. Wernick, a également dit dans son témoignage qu'il avait énuméré quelques démarches possibles.
    Il vous a suggéré d'aller en discuter franchement avec le premier ministre. Il a aussi suggéré d'appeler le commissaire à l'éthique et, en dernier recours, de donner votre démission. Je ne pense pas que l'on s'attendait à ce que vous démissionniez, mais nous essayons juste de comprendre le contexte et les sentiments qui vous animaient pendant toute cette épreuve.
    Je vous ai demandé tout à l'heure si vous aviez parlé au premier ministre entre votre rencontre du 17 septembre et le moment où il vous a annoncé votre nouvelle nomination. En réalité, je voudrais vous demander pourquoi vous n'avez pas parlé au premier ministre pendant la période où la situation s'aggravait? Comme vous l'avez dit, pendant que toutes ces choses se déroulaient, pourquoi n'en avez pas discuté avec le premier ministre? Pourquoi n'avez-vous pas appelé le commissaire à l'éthique? Vous tenez à appliquer la primauté du droit, et vous avez tout à fait raison. Pourquoi n'avez-vous pas entamé l'une de ces démarches? Il n'était pas nécessaire d'en arriver au point de démissionner.
     Je ne vais pas parler d'en arriver à démissionner, mais je le répète, j'en ai parlé directement au premier ministre le 17 septembre. Après cela, jusqu'au 19 décembre inclusivement, j'ai subi des pressions continuelles m'exhortant à faire de l'ingérence politique lors de réunions tenues avec de nombreuses personnes au Cabinet du premier ministre. Il y a eu la réunion avec le secrétaire principal et la chef de cabinet du premier ministre à laquelle assistait aussi mon ancienne chef de cabinet, Jessica Prince. Oui, elle était bouleversée en sortant de cette réunion à cause des pressions continuelles et croissantes qu'elle subissait de la part du secrétaire principal et de la chef de cabinet, qui l'exhortaient à me convaincre, moi, sa ministre. Au cours de ces conversations, le secrétaire principal soutenait que cette situation ne se résoudrait pas sans un type d'ingérence. Les autres commentaires exprimés pendant cette réunion se trouvent dans ma présentation liminaire.
    Après en avoir parlé avec ma chef de cabinet, j'ai cru comprendre que je serais convoquée à une réunion, ou à un appel parce que j'étais à Vancouver, avec le greffier du Conseil privé et le premier ministre. J'attendais cet appel du greffier ou du premier ministre, ou des deux. Le greffier a fini par m'appeler et il a cité le nom du premier ministre tout au long de la conversation. En raccrochant, j'étais convaincue que, comme tout le monde partait en vacances, il n'y aurait pas d'ingérence dans le cadre de mon pouvoir discrétionnaire, parce que j'étais la procureure générale et que j'avais décidé qu'il en serait ainsi.
     Nous sommes tous partis en vacances. La conversation suivante a eu lieu le 7 janvier avec le premier ministre. C'est alors que je lui ai parlé du problème.

  (1855)  

     Vous aviez réussi à joindre le premier ministre par le passé. Je ne comprends toujours pas pourquoi vous n'avez pas cherché à lui parler de ce problème, qui était vraiment grave. Vous n'en avez pas non plus parlé au commissaire à l'éthique. Vous m'excuserez, je n'en comprends toujours pas clairement la raison.
    Je vais juste passer à l'autre sujet dont nous avons parlé aujourd'hui. Il s'agit des accords de réparation sur lesquels mes collègues vous ont posé de nombreuses questions.
    Acceptez-vous, en principe, la notion d'accord de réparation?
    Je faisais partie du Cabinet qui a donné aux procureurs cet outil supplémentaire, les accords de poursuite suspendue.
    Alors en principe, vous acceptez la notion d'accord de poursuite suspendue?
    Je ne crois pas que mon opinion sur les accords de poursuite suspendue soit pertinente.
    Compte tenu de la portée de la motion, je pense qu’il serait pertinent que nous l’examinions.
    La portée de la motion?
    C'est la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd'hui. La motion indique le besoin de comprendre en quoi consistent les accords de réparation, les poursuites suspendues, etc. Je crois bien que vous avez voté pour les accords de poursuite suspendue dans le cadre du projet de loi budgétaire.
    Bien sûr. Je l'ai déjà dit. Je faisais partie du Cabinet qui a créé cet outil. Le Parlement a adopté cette loi, et le Code criminel a été modifié en septembre 2018.
    Je soutiens que la question des accords de poursuite suspendue n'a rien à voir dans la discussion que nous tenons. Cette discussion porte sur le rôle du directeur des poursuites pénales, sur le rôle du procureur général du Canada et de l'autonomie que la Constitution accorde nécessairement aux procureurs. À mon avis, notre discussion porte sur ce rôle et non sur le fait que j'accepte ou non — ou que les membres de ce comité acceptent ou non — le principe de l'outil d'accord de poursuite suspendue.
    Merci de nous avoir précisé cela, madame Wilson-Raybould.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Barrett.
    Madame Wilson-Raybould, merci beaucoup d'avoir prolongé votre témoignage devant le Comité.
    Estimez-vous que le premier ministre a fait des déclarations exactes et véridiques sur ce problème?
    Je ne ferai pas de commentaire sur la validité des déclarations du premier ministre ou de qui que ce soit d’autre.

  (1900)  

    Je comprends.
    Monsieur le président, nous allons céder le reste de notre temps de parole. Merci.
    Merci beaucoup.
    Puisque les conservateurs cèdent le reste de leur temps, la parole revient aux libéraux. À qui le tour?
    Monsieur Boissonnault.
    Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

    Madame Wilson-Raybould, j'ai une question à vous poser en français.
    Quand vous occupiez le rôle de procureure générale, avez-vous déjà reçu des conseils de sources externes du gouvernement, comme des avocats ou des cabinets d'avocats, sur des grandes questions de loi ici, au Canada, ou sur des projets de loi?

[Traduction]

    Dans le cadre de mes fonctions de ministre de la Justice et de procureure générale du Canada, j'ai reçu des conseils d'avocats de l'extérieur. J'ai pris l'initiative d'entretenir des liens avec les anciens ministres de la Justice et procureurs généraux du Canada.
    À mon avis, et je le répète, il est très important d'examiner divers points de vue sur chaque enjeu. J'écoute très volontiers l'opinion des gens, surtout avant de déposer un projet de loi ou de modifier le Code criminel, par exemple.
    Merci beaucoup.
    Dans la version aussi bien écrite que lue de votre intervention liminaire, vous nous dites que vous avez consacré un certain temps à l'exercice d'une diligence raisonnable. Pouvez-vous nous dire avec qui vous avez exercé cette diligence raisonnable dans l'affaire SNC-Lavalin?
    Je ne pense pas qu'il convienne que je réponde à cette question.
    On vous a accordé une renonciation du secret professionnel et du secret du Cabinet. Alors qui avez-vous consulté?
    Je ne pense pas pouvoir répondre à cette question, parce qu'elle porte sur le contenu de l'avis en vertu de l'article 13 que la directrice des poursuites pénales m'a signifié dans le cadre de mes fonctions de procureure générale. Cet avis porte sur des sujets débattus à l'heure actuelle devant les tribunaux.
    D'accord, mais je vais reformuler ma question, qui porte sur le fait que vous examinez les nouveaux renseignements et que vous veillez à ne jamais prendre de décisions définitives.
    Combien de personnes avez-vous consultées pendant votre exercice de diligence raisonnable avant de prendre ce que vous appelez votre décision définitive, bien que la loi vous ait autorisée à continuer d'envisager l'octroi d'un accord de poursuite suspendue? Vous nous avez affirmé très clairement que les principes de la loi exigent que vous gardiez l'esprit ouvert tant qu'une décision définitive n'a pas été rendue? En fait, cette décision ne peut jamais être définitive, alors combien de personnes avez-vous consultées en exerçant votre diligence raisonnable?
    J'invoque le Règlement, monsieur le président. Pardonnez cette interruption. Excusez-moi, monsieur Boissonnault, mais on a posé à Mme Wilson-Raybould une question sur les personnes de l'extérieur qu'elle a consultées, et elle a répondu que comme cette question est sub judice, en instance judiciaire, elle n'a pas le droit d'y répondre. Toutefois, M. Boissonnault insiste pour la poser.
    Nous avons entendu...
    C'est un tout autre sujet, totalement différent.
    Maintenant vous demandez combien. Vous demandez exactement...
    Monsieur Cullen, la question sur l'extérieur...
    Je ne m'adresse pas à vous, monsieur Boissonnault. Je parle au président.
    Laissez M. Cullen finir ce qu'il a à dire, puis je...
     Quand un témoin répond que le sujet d'une question est en instance judiciaire et qu'on lui repose essentiellement la même question... Le témoin a déjà prononcé le terme sub judice.
    Voilà trois heures et demie que sommes en réunion. Il me semble étrange qu'un argument souvent invoqué pour empêcher des témoins de répondre, l'argument sub judice, soit maintenant invoqué par le témoin même et que nous le rejetions. Le député poursuit en posant la même question.
    Vous le savez, monsieur le président. Bien souvent, quand un témoin affirme ne pas vouloir ou ne pas pouvoir répondre à une question, les membres du Comité l'acceptent tout simplement.
     J'ai deux ou trois choses à vous répondre. Depuis trois ans et demi que je siège à ce comité, je ne me souviens pas d'avoir entendu un témoin refuser de répondre à une question en invoquant une cause en instance judiciaire, alors vous êtes dans l'erreur.
    Quant à M. Boissonnault, il essaie de reformuler sa question. Je vous rappellerai à tous que Mme Wilson-Raybould a souligné que la règle sur les affaires en instance judiciaire s'applique aux questions qui mentionnent spécifiquement SNC-Lavalin. Nous ne voulons surtout pas influencer la décision sur l'appel de SNC-Lavalin au sujet de l'accord de réparation. Par conséquent, ses conversations avec la directrice des poursuites pénales et avec d'autres personnes du ministère de la Justice ne sont pas nécessairement...
    Le Comité pourra en décider. Il est maître de son domaine. Tout le monde peut poser ces questions. Nous nous sommes imposé cette restriction. Il n'y a rien d'injuste s'il essaie de reformuler sa question — bien que je lui conseille de le faire d'une autre façon — ou d'un autre côté si le témoin refuse de répondre à la question pour cette raison.
    Voilà ce que nous devrions faire, à mon avis. Il reste trois minutes et demie à M. Boissonnault pour poser ses questions.
    Monsieur Boissonnault.
    Merci, monsieur le...
    [Inaudible] Quelle était la question?
    Madame Wilson-Raybould, si vous pensez qu'il a fini de formuler sa question, je vous encourage à y répondre.

  (1905)  

    Je vais répondre comme j'allais le faire avant la discussion des membres du Comité.
    Monsieur Boissonnault, je n'essaie pas de ne pas répondre. Je prends mes responsabilités de parlementaire très au sérieux.
    Discuter de ce que j'ai fait ou non en exerçant la diligence raisonnable sur l'avis en vertu de l'article 13... Avec tout le respect que je lui dois, il me semble que le Comité devrait comprendre qu'à cette époque, j'étais la procureure générale du pays, donc dans les circonstances en question, je n'étais pas considérée comme une personne ordinaire. Avec tout le respect que je vous dois, il serait très inapproprié que je vous parle de ces discussions.
    Je comprends. Je vous remercie pour cette réponse.
    Ma question est la suivante: une fois que vous avez pris votre décision définitive — vous l'avez dit dans votre témoignage —, diriez-vous qu'alors, vous avez fermé votre esprit à tout nouveau renseignement découlant d'un nouveau contexte?
    J'avais décidé de ne pas m'immiscer dans la décision de la directrice des poursuites pénales et de ne pas empiéter sur son pouvoir discrétionnaire. Dans le cadre de mes fonctions de procureure générale, la directrice des poursuites pénales me signalait les poursuites d'intérêt général en m'envoyant des avis en vertu de l'article 13. J'avais pris ma décision sur cette cause particulière.
    Cela ne veut pas dire qu'un procureur, dans ce cas ou dans n'importe quel cas, ne continue pas à étudier la cause, à recueillir de nouveaux renseignements et à en discuter avec les personnes qu'il choisit de consulter tout au long de la procédure, y compris jusqu'au procès éventuel.
    Merci.
    Pouvez-vous nous dire où vous avez commémoré votre décision de ne pas signer un accord de poursuite suspendue dans cette affaire?
    Où j'ai commémoré...
    Où vous avez rédigé une note de service ou indiqué que ce jour même, vous alliez cesser d'en discuter, parce que vous preniez une décision définitive.
    Où auriez-vous inscrit cela?
    Ma réponse ne s'applique pas directement à votre question, mais je prends énormément de notes quotidiennement.
    Alors cela se trouve quelque part dans vos notes?
    Je reçois de nombreux avis en vertu de l'article 13 — ou du moins, j'en recevais quand j'étais procureure générale.
    Alors je vais vous demander si le premier ministre, le greffier ou le CPM vous ont ordonné de signer un accord de réparation avec SNC-Lavalin?
    Merci.
    Nous passons la parole aux conservateurs.
    Monsieur Cooper.
    Merci encore, madame Wilson-Raybould.
    Plusieurs collègues d'en face mentionnent sans arrêt ces conversations comme si leur contenu était d'intérêt public, laissant entendre par-là qu'elles sont appropriées.
    Nous avons ici certains facteurs, comme les élections au Québec, le besoin de trouver une solution pour SNC, comme le premier ministre vous l'a rappelé pendant votre conversation du 17 septembre. Il y a aussi le fait que le premier ministre est un député de Montréal, que l'avocat de SNC-Lavalin est tout sauf timide, et enfin, le fait que le greffier du Conseil privé vous ait avertie le 19 décembre que le premier ministre était déterminé à trouver un moyen d'appliquer cet accord d'une manière ou d'une autre.
    Y voyez-vous des motifs raisonnables d'appliquer votre discrétion de procureure pour protéger l'intérêt public?
    Ces motifs ne sont pas justifiés.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Rankin, à vous la parole.
    Nous siégeons depuis plusieurs heures, monsieur le président. Je crois que je voudrais présenter la motion plutôt que d'y consacrer plus de temps à la fin.
    Je n'utiliserai mon tour que pour proposer cette motion.
    Je vais vous permettre de proposer la motion, cela ne pose aucune difficulté.
    Cependant, n'oubliez pas que nous avons décidé que M. Fortin...
    Absolument.
    ... et aussi Mme May et M. Weir.
    Désirez-vous attendre un peu avant de proposer la motion?
    Je voudrais profiter de mon temps de parole pour proposer cette motion, puis passer au vote si c'est nécessaire. Ensuite, bien sûr, nous passerons la parole aux autres, comme nous l'avions décidé.
    Parfait, je suis d'accord. Vous pouvez proposer une motion pendant votre temps de parole.
    Je souligne seulement que cela oblige notre témoin à rester pour répondre aux dernières questions au lieu de pouvoir s'en aller.
    Je comprends. Ma motion est brève.
    Je propose
Que, par souci de transparence et de reddition de comptes, le Comité demande au premier ministre et au gouverneur en conseil de lever le secret professionnel et la confidentialité du Cabinet concernant l’affaire SNC-Lavalin, pour que l’ancienne procureure générale du Canada puisse faire part au Comité de tout renseignement pertinent au sujet de la période survenue après qu’elle ait cessé d’exercer ses fonctions à titre de procureure générale du Canada le lundi 14 janvier 2019.
    Autrement dit, monsieur le président, nous en sommes arrivés à un point où nous ne pouvons pas poser de questions, et notre témoin ne peut pas nous dire ce qui s'est passé.
    Il me semble amplement évident que nous devons savoir cela. Par conséquent, je propose que ce comité demande au premier ministre et au gouverneur en conseil de modifier le décret à cet effet.

  (1910)  

    Merci beaucoup.
    Tout d'abord, il faut que je vous demande si vous avez besoin de temps pour consulter quelqu'un et pour en discuter entre vous, ou êtes-vous tous prêts à passer au débat et au vote?
    Je voudrais un vote par appel nominal.
    Madame Khalid.
    Nous permettriez-vous de discuter entre collègues libéraux pendant cinq minutes?
    C'est justement ce que je vous demandais.
    Puis-je reposer ma question, monsieur Rankin? Vous avez proposé la motion. Puis-je demander aux trois derniers intervenants de poser leurs questions, puis nous ferons une courte pause pour les consultations?
    Bien sûr. Je voulais juste que la motion figure au compte rendu.
    Je comprends.
    Je serai très heureux que nous considérions cela comme un avis de motion. Je demanderais que nous y revenions aujourd'hui, tout de suite après la fin du témoignage.
    C'est sûr.
    Je suggère que nous passions la parole à M. Fortin, à Mme May et à M. Weir pendant les trois minutes...
    Bien sûr.
    ... et que nous libérions notre témoin. Nous reviendrons ensuite à cela. Nous ferons juste une courte pause.
    Merci.
    Je n'aurais probablement pas dû utiliser le mot « libérer ».

[Français]

    Qui veut prendre la parole en premier: monsieur Fortin, madame May, monsieur Weir?

[Traduction]

    Après vous, mesdames?
    Madame May.
    Gilakas'la. Je vais d'abord vous poser une question très claire, puis je passerai à un sujet différent de ceux sur lesquels portaient les questions de mes collègues.
    Tout d'abord, estimez-vous que les pressions que vous-même et vos collègues avez subies enfreignaient le Code criminel?
    Je ne le crois pas.
    Nous avons discuté de nombreux rapports de force. La plupart des questions ont porté sur les relations de pouvoir entre les acteurs politiques, la chef de cabinet, le secrétaire principal du premier ministre et votre double rôle, celui de procureure et de membre du Cabinet.
    Toutefois, je crois que des acteurs inhabituels de la fonction publique jouent un rôle très important. En effet, le greffier du Conseil privé est le patron de la sous-ministre de la Justice et du reste de la chaîne hiérarchique, et vous agissez essentiellement comme un rempart qui protège l’indépendance de la directrice des poursuites pénales.
    Je voulais revenir à votre témoignage, car vous avez mentionné certaines choses, et je me demandais si elles vous inquiétaient et si oui, pourquoi.
    En ordre chronologique, vous avez mentionné que le 7 septembre, la sous-ministre a obtenu qu'on lui lise certaines sections de l’avis en vertu de l’article 13, mais elle a refusé d'en accepter une copie. Cela vous a-t-il inquiétée d’une certaine façon? Vous l'avez mentionné dans votre témoignage, alors je voulais simplement approfondir la question.
    Oui, cela m'inquiétait.
    Pour quelle raison?
    Je le répète, dans mes fonctions de procureure générale, j’ai travaillé en étroite collaboration non seulement avec ma chef de cabinet, mais avec la sous-ministre, la sous-ministre de l'époque, et avec le greffier du Conseil privé. Lorsque des fonctionnaires prennent part à des discussions politiques, il est évident que cela me préoccupe et que je trouve cela inapproprié.
     Passons au 17 septembre. Vous nous avez décrit une réunion que vous aviez demandée avec le premier ministre pour discuter d'un autre sujet. Vous pensiez rencontrer le premier ministre seulement; autrement dit, vous ne vous attendiez pas à ce que le greffier du Conseil privé participe aussi à cette rencontre, n'est-ce pas?
    Je ne m'y attendais pas. Je vous dirai que le fait qu'il soit là... Je ne lui ai pas demandé de s'en aller.
    Dans le contexte des pressions que vous subissiez et des préoccupations politiques que l'on soulevait, je vais vous présenter un énoncé positif, et vous me direz si vous êtes d'accord.
    Le rôle du greffier du Conseil privé consiste à appuyer le procureur général quand il affirme qu'il perçoit un danger d'ingérence politique. Les fonctionnaires doivent demeurer non partisans et donner de bons conseils. Estimiez-vous que le greffier du Conseil privé se comportait adéquatement quand il exerçait des pressions politiques sur certaines personnes, dans cette situation?
    Je ne trouvais pas qu'il se comportait adéquatement, et c'est pourquoi j'ai été surprise qu'il soulève la question des élections au Québec et d'une réunion de conseil d'administration qui était censée avoir lieu avec SNC.

  (1915)  

    Estimez-vous que le greffier du Conseil privé exerçait sur votre sous-ministre de la Justice des pressions qui auraient pu lui faire perdre confiance en sa sécurité d'emploi?
    Honnêtement, je ne crois pas pouvoir répondre à cette question.
    D'accord.
    Enfin, vous avez dit que vous...
    Madame May, il faudra conclure, vous avez dépassé votre temps de parole.
     Très bien. HÍSWKE.
    [La députée s'exprime en kwak'wala ainsi qu'il suit:]
    Gilakas'la.
    [Les propos de la députée sont traduits ainsi:]
    Merci.
    [Traduction]
    Merci beaucoup.

[Français]

    Monsieur Fortin, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Wilson-Raybould, je vous remercie, moi aussi, de votre présence aujourd'hui. Je tiens à souligner que je considère qu'il faut beaucoup de courage pour témoigner comme vous l'avez fait aujourd'hui, et je l'apprécie.
    Cela dit, j'aurai des questions qui iront peut-être un peu dans une direction différente. J'aimerais revenir sur les motifs de votre décision. Je comprends qu'il y a un certain nombre de choses que vous ne pouvez pas nous dire, et je vous laisserai répondre au fur et à mesure.
    Ma première question concerne les raisons pour lesquelles vous avez considéré qu'il n'y avait pas lieu d'en venir à un accord de réparation avec SNC-Lavalin. Dois-je en conclure que c'est après avoir révisé les critères prévus aux articles 715.31 et 715.32 du Code criminel?

[Traduction]

    Je vous remercie d'avoir fait ces observations et d'avoir posé cette question.
    Je peux simplement vous dire que je ne pensais pas, d'après l'avis en vertu de l'article 13 que j'avais reçu de la directrice des poursuites pénales et d'après la diligence raisonnable que j'avais exercée, qu'il soit approprié, dans le cas de SNC, d'émettre une directive, de m'ingérer dans la poursuite et de m'immiscer dans le pouvoir discrétionnaire de la directrice des poursuites pénales.

[Français]

    Est-ce que vous avez discuté des raisons pour lesquelles vous considériez que ce n'était pas opportun de négocier une telle entente? En avez-vous discuté avec le premier ministre ou quelqu'un d'autre du Bureau du premier ministre?

[Traduction]

    Oui, certainement.

[Français]

    Est-ce qu'on peut savoir avec qui vous en avez discuté?

[Traduction]

    J'en ai discuté avec le premier ministre, avec le greffier du Conseil privé, avec Elder Marques et avec Mathieu Bouchard ainsi qu'avec d'autres personnes, dont le secrétaire principal du premier ministre. En outre, ma chef de cabinet, Jessica Prince, en a discuté avec le secrétaire principal et avec la chef du cabinet du premier ministre ainsi qu'avec le chef de cabinet du ministre des Finances.

[Français]

    Et je comprends que vous ne pouvez pas nous dire... vous considérez que vous ne pouvez pas nous dire aujourd'hui quels sont ces motifs pour lesquels vous avez considéré qu'il n'y avait pas lieu d'en venir à une négociation d'entente.

[Traduction]

    J'estimais, à ce moment-là, qu'il était inapproprié de ma part, à titre de procureure générale, de m'ingérer dans le pouvoir discrétionnaire de la directrice des poursuites pénales pour SNC. J'ai donc décidé de ne pas entamer de négociations sur un accord de poursuite suspendue.

[Français]

    Merci beaucoup.
    En vertu de quelle condition prévue à la loi...
    Monsieur Fortin? Monsieur Fortin?
    Oui?
    Malheureusement, vos trois minutes sont écoulées.
    Après trois heures et demie, monsieur le président, j'ai trois minutes... vous admettrez que j'ai été très patient. Ne pouvez-vous pas m'accorder 30 secondes ou une minute de plus?
    Je vais vous accorder 30 secondes de plus.
    Juste pour que tout le monde le sache, lorsque les partis politiques...
    C'est très généreux. Merci, monsieur le président.
    Je voulais juste bien comprendre le témoignage de Mme Wilson-Raybould. Cela me paraît important pour l'ensemble des citoyens, des électeurs, de comprendre cet aspect-là de la situation. Ce n'est quand même pas banal.
    Encore là, je ne dis pas... je ne me prononce pas sur l'importance de votre question. Je me prononce uniquement sur le fait que vos trois minutes sont écoulées. Je vais vous donner 30 secondes de plus, si vous le voulez.
    Merci, monsieur le président.
    Madame Wilson-Raybould... 30 secondes, je m'excuse, mais...
    Est-ce que votre décision de ne pas intervenir était basée sur l'une des conditions d'application prévues à la loi, au Code criminel, pour ce qui est de la négociation de l'accord de réparation?
    C'est vraiment lié à la règle sub judice. C'est vraiment au cœur de la règle sub judice. Je conseille à notre témoin...
    Monsieur le président, ce n'est pas au cœur de la règle sub judice. Je ne demandais pas quelle est la raison, je demandais si cette raison-là se situait à l'intérieur des critères?

[Traduction]

    Cela dépendra de notre témoin, si elle...

[Français]

    Je pense que le témoin peut répondre, effectivement. Je vous remercie, monsieur le président. Je vais laisser Mme Wilson-Raybould répondre.

[Traduction]

    Je ne répondrai pas à cette question.

[Français]

    Merci, madame Wilson-Raybould.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Weir.

  (1920)  

    Merci beaucoup de m'avoir accordé cette occasion. Madame Wilson-Raybould, merci beaucoup de nous avoir présenté un témoignage approfondi et instructif.
    J’aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur l’idée de séparer le rôle du procureur général de celui du ministre de la Justice. Il semble que dans le système actuel, le premier ministre pourrait choisir de confier ces rôles à deux personnes différentes. Recommanderiez-vous ou envisageriez-vous de faire du procureur général un mandataire du Parlement ou de le séparer officiellement du gouvernement?
    Je ne veux pas trop m'avancer. J’espère vraiment que le Comité envisagera d’étudier cette question. J’essaie toujours de trouver des façons de progresser. Je pense qu’il serait tout à fait approprié que ce comité examine différents modèles existant dans le monde. J’ai mentionné le Royaume-Uni, où le procureur général n’est pas membre du Cabinet.
    Dans notre pays, les deux rôles de ministre de la Justice et de procureur général sont totalement différents. À mon avis, il serait bon de les confier à deux personnes. Évidemment qu'il faudra avant cela en discuter en profondeur et bien étudier la question. Cette décision relèvera du gouvernement et du premier ministre qui sera au pouvoir à ce moment-là.
    Avez-vous mentionné cette idée au premier ministre ou au greffier du Conseil privé?
    Je dirais que non, parce que je ne me souviens pas d'avoir participé à une discussion concrète à ce propos. J'ai cependant parfois mentionné cette question à quelques personnes à l'interne, quand j'étais ministre, et il est bien possible que j'en aie discuté avec d'autres collègues.
    On vous a demandé si vous souteniez la notion d'accord de poursuite suspendue. Je ne veux pas vous poser cette question une fois de plus. Je voudrais toutefois vous demander de nous décrire le candidat idéal à une poursuite suspendue.
    À mon avis, l'accord de poursuite suspendue est un outil. Le directeur des poursuites pénales ou les procureurs peuvent soupeser les critères énoncés dans le Code criminel.
    D'accord. Je n'ai plus de questions.
    Merci beaucoup.
    Je tiens à remercier profondément Mme Wilson-Raybould pour son témoignage. Nous lui en sommes très reconnaissants.
    Nous passons maintenant à la motion de M. Rankin. On nous a demandé d'accorder aux membres une courte pause pour qu'ils puissent en discuter.
    Puis-je suggérer que nous suspendions la séance pendant cinq minutes?
    Un député: C'est parfait.

  (1920)  


  (1925)  

    La séance reprend.
    Monsieur Rankin, la parole est à vous.
    Désirez-vous que je relise la motion, monsieur le président?
    Bien sûr, relisez-la pour le compte rendu.
    Alors je la relis:
Que, par souci de transparence et de reddition de comptes, le Comité demande au premier ministre et au gouverneur en conseil de lever le secret professionnel et la confidentialité du Cabinet concernant l’affaire SNC-Lavalin, pour que l’ancienne procureure générale du Canada puisse faire part au Comité de tout renseignement pertinent au sujet de la période survenue après qu’elle ait cessé d’exercer ses fonctions à titre de procureure générale du Canada le lundi 14 janvier 2019.
    Merci beaucoup.
    Y a-t-il des commentaires sur la motion?
    Madame Khalid.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je crois que cette réunion visait réellement à mettre de la lumière sur ce problème, que nous trouvons très sérieux.
    Dans notre motion initiale, nous proposions de nous réunir après le témoignage de Mme Wilson-Raybould pour discuter des prochaines étapes à suivre. À mon avis, nous devrions discuter de cette motion pendant que nous déterminons les prochaines étapes afin de ne pas chercher à extraire des renseignements qui n'existent peut-être même pas. Je crois que le Comité devrait se réunir avant de proposer cette motion.
    À mon avis, je crois qu'il serait sage de voter pour rejeter cette motion et de la réexaminer pendant notre réunion sur les prochaines étapes.
    Oui, monsieur Rankin.
    Très bien, alors je demande le vote, monsieur le président.
    Quelqu'un sent-il vraiment la nécessité d'intervenir à ce sujet? Comme je ne vois personne, nous passons au vote.
    (La motion est rejetée par 5 voix contre 4.)
    Le président: Chers collègues, j’ai une suggestion à vous faire. Nous n’avons pas encore envoyé l’avis de motion pour la réunion de demain. Je pense qu’il sera difficile d'assimiler tout le témoignage de Mme Wilson-Raybould d'ici à 8 h 45 demain et de revenir pour déterminer les prochaines étapes. Puis-je consulter les vice-présidents afin de vous proposer une heure un peu plus tardive pour la réunion de demain?
    Excellente idée.
    Un député: Oui.
    La séance est levée.
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