a) demande au gouvernement de se retirer complètement de la contestation judiciaire de la loi sur la laïcité de l’État du Québec en Cour suprême;
b) demande au gouvernement de retirer son mémoire déposé le 17 septembre 2025 à la Cour suprême contestant le droit du Québec de se prévaloir de la clause de dérogation;
c) dénonce la volonté du gouvernement d’utiliser la Cour suprême pour enlever des pouvoirs constitutionnels au Québec et aux provinces.
— Madame la Présidente, avant de commencer, je précise d'emblée que je vais partager mon temps de parole avec la députée de , leader à la Chambre du Bloc québécois.
Je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui sur cette motion que j'ai l'honneur de déposer au nom du Bloc québécois. Celle-ci comporte trois éléments, qui sont très clairs et sur lesquels nous aurons l'occasion de nous pencher. Avant d'entreprendre les débats, je tiens toutefois à faire quelques rappels qui m'apparaissent importants.
D'abord, la disposition de dérogation, honnie par le gouvernement actuel qui voit cette atrocité comme une épée de Damoclès au-dessus de la Charte canadienne des droits et libertés, n'est ni plus ni moins ce qui a permis au gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau de rapatrier la Constitution sans l'accord du Québec, le couteau de ce qu'on a appelé « la nuit des longs couteaux ». Sans disposition de dérogation, il n'y a pas d'entente avec les provinces, il n'y a pas de René Lévesque tout seul dans son coin. Pourquoi donc, me demandera-t-on?
En fait, cette disposition assure aux provinces que le fédéral et sa Charte ne sont pas un palier supérieur, que la Charte fédérale ne supplante pas la volonté des provinces, que la souveraineté parlementaire des provinces n'est aucunement remise en question. La disposition de dérogation permet aux gouvernements du Québec et des provinces, et au gouvernement fédéral, d'adopter des lois nonobstant l'article 2 ou les articles 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
À l'article 33, on peut lire ce qui suit:
(1) Le Parlement ou la législature d'une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d'une disposition donnée de l'article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte.
(2) La loi ou la disposition qui fait l'objet d'une déclaration conforme au présent article et en vigueur à l'effet qu'elle aurait sauf la disposition en cause de la charte.
(3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d'avoir effet à la date qui est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur.
(4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée au paragraphe (1).
(5) Le paragraphe (3) s'applique à toute déclaration adoptée sous le régime du paragraphe (4).
Nulle part, il n'est question d'utilisation préventive ou non préventive ou curative. Nulle part, on ne mentionne une limite au renouvellement de la clause dérogatoire. C'est tout simplement un outil.
Mon premier rappel, c'est donc celui-ci: le gouvernement du Québec a le droit d'utiliser la clause dérogatoire de la façon qu'il le souhaite, dans les limites de sa portée, évidemment. Ce n'est pas à Ottawa de lui imposer ses vues.
Mon deuxième rappel va comme suit: depuis les années 1960, le Québec a fait de la laïcité un élément fondamental de son vivre-ensemble. D'abord, on a laïcisé l'enseignement avec la création du ministère de l'Éducation. On a ensuite remplacé les cours classiques par les cégeps. Les profs ont cédé leur soutane pour des pantalons et leur cornette pour des mises en plis. Cette laïcisation s'est poursuivie jusqu'à un amendement constitutionnel mettant un terme aux commissions scolaires confessionnelles, remplacées par des commissions scolaires linguistiques.
Au cours des 20 dernières années, on a débattu d'accommodements raisonnables, on a mis en place la commission Bouchard‑Taylor, on a eu des consultations publiques sur la Charte des valeurs, qui ont duré des mois, on a eu le débat sur la loi 21 et, tout récemment, on a eu le comité Pelchat‑Rousseau sur les limites de la Loi sur la laïcité de l'État.
Depuis 60 ans, le Québec réfléchit à la laïcité, pose les fondations du vivre-ensemble québécois, de la séparation de l'Église et de l'État, le français comme langue commune, l'égalité entre les hommes et les femmes et la reconnaissance d'un patrimoine historique commun.
Depuis 60 ans, Ottawa essaie de saboter les efforts du Québec en contestant nos façons de faire. Encore aujourd'hui, la Chambre des communes commence ses travaux quotidiens par une prière. Que ce gouvernement reste absolument inactif ou insensible à protéger la laïcité, c'est une chose, mais ce qu'il fait maintenant, c'est bien pire. Il essaie d'affaiblir la laïcité québécoise. Ça, c'est littéralement juger puis condamner, méprisant les choix du Québec du haut d'une supériorité morale qu'il s'arroge. Ottawa n'aime tout simplement pas les choix de la société québécoise.
Nous voilà donc aujourd'hui avec cette motion qui demande trois choses au gouvernement fédéral. Premièrement, qu'il ne vienne pas contester les choix du Québec en Cour suprême. Deuxièmement, qu'il garde pour lui ses commentaires. Troisièmement, qu'il n'ait pas la mauvaise idée d'utiliser cette disposition pour affaiblir les pouvoirs du Québec et des provinces.
Quand nous avons rédigé cette motion, le procureur général du Canada n'avait pas encore déposé son mémoire. Ce que nous avions comme information, c'est qu'Ottawa allait contester strictement l'utilisation de la disposition de dérogation, mais pas la Loi sur la laïcité de l'État. Nous trouvions cela plutôt absurde. Nous pensions que, sans la disposition de dérogation, une série de lois telles que la Loi sur la laïcité et celle sur la protection de la langue française se retrouveraient nécessairement devant les tribunaux. Ainsi, pendant des mois, nous avions l'impression qu'Ottawa allait devant la Cour suprême pour affaiblir la laïcité québécoise, mais nous étions dans l'erreur. Le gouvernement fédéral va devant la Cour suprême pour enlever au Québec des outils qui lui permettent d'établir les règles et les balises de son vivre-ensemble. Nous demandons au gouvernement qu'il se retire de la contestation de la loi 21.
J'irai plus loin. Lors du rapatriement de la Constitution de 1982, c'est afin d'isoler le Québec que le gouvernement Trudeau père a inséré dans la Charte canadienne des droits et libertés l'article 33 sur la disposition de dérogation.
Pour s'assurer que rien ne change, il a mis en place un véritable verrou constitutionnel. Pour modifier la Constitution, rappelons-le, il faut l'appui de la Chambre, du Sénat et de sept provinces qui représentent au moins 50 % de la population. Ce que le gouvernement libéral est en train de faire aujourd'hui, c'est remplacer les Parlements et les élus de la population par quelques juges qu'il a lui-même nommés. C'est une tentative de coup de force constitutionnel. Si le gouvernement est mal à l'aise avec la disposition de dérogation, ce qui semble être évidemment le cas, qu'il invite les élus à une conférence constitutionnelle. Ce débat doit avoir sa place dans les Parlements, pas devant les tribunaux. Il doit se tenir entre les élus de la population, pas entre des juges et des avocats.
Les libéraux prétendent défendre la Charte canadienne des droits et libertés, et, en demandant à la Cour suprême de limiter l'article 33, ils écartent le processus démocratique de leur démarche. En utilisant la loi 21 comme prétexte pour demander à la Cour suprême de modifier la Constitution, les libéraux veulent démontrer les dérives de la disposition de dérogation. Ils disent qu'il faut encadrer la disposition de dérogation, sous prétexte que ce que les méchants Québécois font avec la laïcité est épouvantable. C'est ce que ce gouvernement est en train de dire.
N'aimant pas les choix du Québec, il veut retirer les outils qui lui permettent de faire ses choix. C'est une bataille politique. Nous sommes dans l'univers politique, non pas juridique. C'est ici, dans les assemblées législatives des provinces et avec l'Assemblée nationale du Québec que ce débat doit se tenir. Un des arguments en faveur de la disposition de dérogation, c'était que les provinces ne voulaient pas d'un gouvernement des juges. Pour contester cette disposition, le gouvernement fait exactement le contraire et demande à la Cour suprême de faire de la politique et de changer la Constitution et son esprit. C'est antidémocratique.
Le gouvernement doit se retirer, retirer son mémoire et oublier, une fois pour toutes, cette mauvaise idée d'utiliser la Cour pour affaiblir le Québec et les provinces.
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Madame la Présidente, je suis heureuse de prendre la parole au sujet de cette importante motion et je tiens à remercier mon collègue de de l'avoir déposée aujourd'hui afin que nous puissions en débattre. Je le remercie également de son discours très éclairant.
Comme il l'a fait, je vais me permettre de relire la motion au bénéfice de tout le monde et des nombreuses personnes qui, j'en suis convaincue, nous écoutent à la maison.
a) demande au gouvernement de se retirer complètement de la contestation judiciaire de la loi sur la laïcité de l’État du Québec en Cour suprême;
b) demande au gouvernement de retirer son mémoire déposé le 17 septembre 2025 à la Cour suprême contestant le droit du Québec de se prévaloir de la clause de dérogation;
c) dénonce la volonté du gouvernement d’utiliser la Cour suprême pour enlever des pouvoirs constitutionnels au Québec et aux provinces.
Le a déposé à la Cour suprême son mémoire contestant la loi 21. Il dira que c'est inexact, mais c'est pourtant bien le cas. Il conteste la loi 21. Il peut prétendre qu'il conteste strictement l'utilisation préventive de la disposition de dérogation, mais il le fait quand même dans le cadre de la contestation de la loi 21. C'est bien la Loi sur la laïcité de l'État qui est contestée.
Le député de , qui est également chef du Bloc québécois, aime à dire que la conséquence connue fait partie de l'intention.
Le procureur général conteste donc indirectement la loi 21, qui a été promulguée en 2019. Si d'aventure la Cour suprême devait se rendre aux arguments du procureur général voulant que la disposition de dérogation ne puisse être utilisée que pour une durée de cinq ans, la conséquence serait que la loi 21 pourrait être annulée. En tout cas, elle ne pourrait plus être protégée par la disposition de dérogation. La conséquence connue fait partie de l'intention, et nous sommes d'avis que le fait de contester la loi sur la laïcité fait également partie de l'intention du procureur général, même s'il ne le dit pas précisément.
Il faut garder ça en tête quand on lit le mémoire du procureur général. La thèse défendue par le gouvernement libéral est celle-ci: l'utilisation de la disposition de dérogation est un pas vers la fin des libertés. Selon lui, la disposition de dérogation est une arme antidémocratique qui a le potentiel de faire disparaître la liberté de presse, les syndicats et la liberté de culte. Selon lui, avec la disposition de dérogation, on peut faire taire les journalistes, on peut fermer les églises et on peut rendre illégal le syndicalisme. On pourrait croire que je délire, que je fabule et que j'invente. Je comprendrais. Je vais citer un passage du mémoire qui se trouve à la page 13:
La disparition de moyens essentiels à l’exercice d’un droit ou d’une liberté pourrait produire des effets qui perdureront au-delà de l’expiration de toute déclaration sous l’art. 33. La liberté de presse, garantie à l’al. 2b) de la Charte, pourrait disparaître si, pendant une période prolongée, il était interdit aux journaux et aux médias indépendants d’exercer leurs activités. La liberté de religion, garantie à l’al. 2a) de la Charte, pourrait disparaître si, pendant une longue période, les lieux de culte étaient déclarés illégaux. La liberté d’association, garantie à l’al. 2d) de la Charte, pourrait disparaître si tous les syndicats étaient déclarés illégaux et qu’il leur était interdit d’exercer quelque activité que ce soit durant une longue période.
Selon le procureur général, la disposition de dérogation nous permettrait d'établir une dictature, comme si le Québec n'avait rien de mieux à faire la nuit que de penser à toutes les façons de contourner les articles 2 et 7 à 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Le choix des exemples du procureur général n'est d'ailleurs pas anodin. Le procureur général utilise les lieux de culte en envoyant un bien étrange message: les Québécois sont tellement anti-religion qu'ils pourraient aller jusqu'à interdire les églises, les synagogues et les mosquées. C'est pratiquement ce que nous dit le procureur général. C'est le sous-entendu pas très subtil du gouvernement qu'on décode dans ce pamphlet libéral.
On n'a cependant pas besoin de la disposition de dérogation pour affaiblir les journaux, les syndicats et les droits et libertés. En tout cas, le fédéral réussit à le faire sans recourir à un article de dérogation. Le gouvernement est en train de retirer hypocritement le droit de grève aux travailleurs fédéraux. Son usage excessif de l'arbitrage exécutoire et de l'article 107 du Code canadien du travail en témoigne.
Je tiens à rappeler que le Québec a adopté sa propre loi anti-briseurs de grève à la fin des années 1970, alors que le fédéral vient à peine d'en faire autant 45 ans plus tard. Par ailleurs, nous pourrions rappeler les trous et les failles qu'il y a dans ce projet de loi, mais ça prendrait une autre session au complet.
Le Bloc québécois, quant à lui, avait déposé pas moins de 11 projets de loi en ce sens, lesquels ont tous été rejetés. Ottawa nous dit qu'on peut utiliser la disposition de dérogation pour interdire les syndicats. Ottawa utilise l'argument des journaux, alors que son inaction est en très grande partie responsable de la fermeture de la majorité des journaux régionaux du Québec et du Canada. Le fédéral se drape dans sa vision de la liberté de culte alors qu'il ne fait rien pour empêcher les discours haineux sous couvert de prêches. Rien ne justifie ces exemples dans une cause qui concerne une loi québécoise. Ces exemples devraient nous inciter à la méfiance et c'est exactement là où les Québécois devraient aller.
Le mémoire du procureur général va même jusqu'à parler d'exécution et d'esclavage. Voici ce qu'il est écrit: « […] une loi qui invoquerait l'art. 33 de manière à autoriser l'exécution arbitraire ou l'esclavage franchirait dès lors une limite constitutionnelle […] » Le procureur général nous dit qu'une loi qui utiliserait la disposition de dérogation pour permettre les pelotons d'exécution et l'esclavage irait trop loin. On peut en convenir, mais pourquoi inscrire dans son mémoire ce qui ne peut être fait, si ce n'est que pour faire la démonstration que l'utilisation de la disposition de dérogation est nécessairement contraire aux valeurs de justice et de démocratie? En lisant ce mémoire, on peine à croire que la disposition de dérogation est en vigueur depuis déjà 43 ans. C'est à se demander comment on a survécu, où sont les goulags, et comment on a fait pour conserver nos droits.
C'est ce gouvernement, qui fait la leçon au Québec et aux provinces, qui vient pourtant de déposer le projet de loi , un projet de loi qui dit que, pour les projets déterminés par le gouvernement, toutes les autres lois ne tiennent plus. C'est une loi au-dessus des lois. Est-ce que, ça, ça respecte l'esprit de la Charte canadienne des droits et libertés? On ne peut certainement pas dire du gouvernement qu'il prêche par l'exemple. C'est ce gouvernement qui a imposé de façon négligente la Loi sur les mesures d'urgence et suspendu pour un temps des droits fondamentaux, eux aussi garantis par la Charte. C'est ce même gouvernement pour qui 50 % plus 1, ce n'est pas assez. C'est ce gouvernement qui juge de haut le Québec, une société accueillante et généreuse, et qui nous soupçonne de xénophobie, de racisme et de tentation autoritaire.
Ce mémoire est une insulte qui en dit davantage sur la perception du fédéral à l'égard du Québec qu'il n'en dit sur la laïcité et l'utilisation de la disposition de dérogation. Nous demandons au gouvernement qu'il se retire de la cause et qu'il reprenne avec lui son mémoire surréaliste. Nous lui reconnaissons le droit de vouloir revoir la disposition de dérogation, mais ça s'appelle un amendement constitutionnel, et ça se fait en négociant avec le Québec et les provinces dans le cadre de rondes constitutionnelles. Comme l'a rappelé mon confrère avant moi, ce débat ne se fait pas devant les tribunaux. Si le gouvernement veut débattre de l'utilisation de l'article 33, ça va nous faire plaisir d'en débattre avec lui. Il pourra nous parler autant qu'il veut ensuite d'esclavage, de pelotons d'exécution, d'exploitation des enfants ou de dictatures, et nous allons lui demander à ce moment-là un peu de sérieux.
Je veux rappeler une autre chose au gouvernement concernant l'article 33. Le gouvernement prétend que cet article doit être utilisé de façon temporaire et non permanente. Il nous dit que la Charte, qui fait partie de la Constitution, est inconstitutionnelle et que le paragraphe 4 de l'article 33 n'a pas lieu d'être. À tout événement, on peut contester sa notion de permanence de la loi. Nous sommes des législateurs. Le gouvernement légifère. Les lois peuvent être changées, amendées ou abrogées, si c'est la volonté des élus, qui, elle, reflète la volonté de la population, tout aussi susceptible d'évoluer. Quand ce gouvernement parle de permanence de la loi, il parle d'un concept ésotérique en politique. Nous avons le pouvoir de tout modifier, incluant les lois qui utilisent la disposition de dérogation. Si le procureur général n'aime pas les lois qui utilisent la disposition de dérogation de façon préventive, il a juste à appuyer un parti qui s'y oppose, ou faire comme Pablo Rodriguez et se présenter au Québec.
Il y a une chose qui est claire: ce débat-là ne doit pas se faire dans une salle de tribunal.
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Madame la Présidente, je me lève aujourd'hui à la Chambre pour dire que la Charte canadienne des droits et libertés est importante pour moi et est au cœur même de mon identité de Québécoise et de Canadienne. J'expliquerai aussi pourquoi il faut la protéger.
Comme tant de femmes avant moi, ma mère et ma grand-mère se sont battues pour obtenir l'égalité devant la loi. Pour la petite histoire, ma grand-mère possédait des kiosques à journaux à Montréal. C'était une entrepreneure. Elle en avait plusieurs. Elle engageait des travailleurs. Pourtant, la loi de l'époque lui interdisait d'avoir un compte bancaire. Elle devait passer par son mari. Elle n'avait pas non plus le droit de vote.
Compte tenu de ce qu'on voit aujourd'hui chez nos voisins du Sud, il est plus que jamais essentiel de protéger nos droits et libertés enchâssés dans notre Constitution, dans la Charte. On ne doit pas permettre aux assemblées législatives de limiter ces droits sans encadrement ni sans qu'un tribunal puisse examiner exactement si les limites sont justifiées.
J'aime bien citer Simone de Beauvoir, selon qui « il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». Elle ajoutait: « [Nous devrons] rester vigilantes [notre] vie durant. » C'est exactement ce que je fais aujourd'hui. Je me lève à la Chambre pour défendre les droits et les libertés que ma grand-mère et que des générations de femmes au Québec ont durement gagnés. Je me lève pour appuyer notre gouvernement et pour éviter qu'une brèche soit faite dans la protection et les garanties que nous offre la Charte canadienne des droits et libertés. Je parle du droit des femmes, bien sûr, mais aussi de celui des minorités et des travailleurs, comme mon collègue en a parlé.
Je prends la parole aujourd'hui pour appuyer le rôle important que joue le procureur général du Canada lorsqu'il comparaît, par l'intermédiaire d'un avocat, devant le plus haut tribunal du pays, soit la Cour suprême du Canada, afin de donner son point de vue juridique sur des questions constitutionnelles, y compris la protection de nos droits si chèrement acquis et la définition des limites de la disposition de dérogation de la Charte, l'article 33, dont on discutait tout à l'heure.
Les limites constitutionnelles prévues à l'article 33 empêchent que la disposition de dérogation soit utilisée pour modifier ou abroger les droits et les libertés garanties par la Charte. En effet, une utilisation non encadrée et sans limite d'aucune sorte reviendrait à dire que nos droits et nos libertés peuvent être réduits comme peau de chagrin. Les tribunaux ont la responsabilité de veiller à ce que l'utilisation d'une disposition de dérogation soit limitée, respectée et exceptionnelle.
Notre démocratie constitutionnelle repose sur un équilibre. Je vais beaucoup revenir sur ce concept de l'équilibre. Cet équilibre essentiel est au cœur de notre démocratie. Le Parlement et les gouvernements provinciaux ont une large marge de manœuvre pour adopter des lois dans l'intérêt du public à l'intérieur de leurs champs de compétence, mais cette latitude n'est pas absolue, et c'est un peu le débat de cette affaire. Le principe de souveraineté parlementaire a toujours été encadré par la Constitution canadienne, qui comprend une charte des droits et libertés. La disposition de dérogation ne doit pas écarter la compétence d'un tribunal de déclarer que les droits et les libertés ont été indûment limités au sens de l'article 1 de la Charte.
Il est important de rappeler que notre pays est régi par la primauté du droit et que la Constitution est la loi suprême du Canada. Dans notre système fédéral, c'est la Constitution qui attribue les pouvoirs législatifs au Parlement et aux gouvernements provinciaux.
Comme l'a souligné la Cour suprême, la Constitution lie tous les gouvernements. En effet, leur seule prétention à exercer l'autorité légitime repose sur les pouvoirs qui sont conférés en vertu de la Constitution et ne peut provenir d'aucune autre source.
Dans notre système, les gouvernements, fédéral, provinciaux et territoriaux s'efforcent de coopérer, afin d'offrir le plus grand bien possible à l'ensemble des citoyens qu'ils représentent, ainsi qu'à leurs communautés, qu'elles soient provinciales, territoriales ou locales. À l'occasion, il est possible que des différends surgissent sur la question de savoir si un palier de gouvernement ou un autre a outrepassé les limites de son autorité en vertu de la Constitution. Les tribunaux sont là pour trancher ces différends sur la base de principes juridiques. Nos tribunaux sont sensibles aux efforts visant à promouvoir la coopération entre les différents paliers de gouvernement et, bien sûr, à préserver — ça, c'est important — l'autonomie des provinces, qui est une caractéristique de notre système fédéral.
En effet, la volonté de préserver l'autonomie des provinces exprime à la fois, tel que nous le rappelle la Cour, un souci d'accommoder la diversité au sein d'un même pays en accordant des pouvoirs importants aux gouvernements provinciaux, et une préoccupation constitutionnelle plus large visant à maintenir l'équilibre entre la conciliation de l'unité et la diversité. Nous sommes unis dans notre diversité. C'est, selon moi, une valeur qui est au cœur de notre démocratie et de notre pays, mais aussi au cœur de la Charte.
De même, d'autres principes et valeurs constitutionnelles sont constamment en équilibre. On a la souveraineté parlementaire, d'une part, et la protection des minorités enchâssée dans la Charte canadienne des droits et libertés, d'autre part. La Constitution canadienne a toujours reflété le souci de respecter les minorités, comme en témoignent historiquement des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi de 1870 sur le Manitoba, qui traitent des droits linguistiques et des écoles confessionnelles. Avec l'avènement de la Charte canadienne des droits et libertés, des garanties supplémentaires, y compris les libertés et les droits fondamentaux, les droits juridiques, le droit à l'égalité et un plus large éventail de droits linguistiques, ont été enchâssées dans la Constitution.
Le procureur général du Canada a joué un rôle important, tant avant qu'après l'entrée en vigueur de la Charte, pour veiller à ce que ces principes tels que la souveraineté parlementaire soient équilibrés dans le cadre général de la Constitution, y compris la protection des droits des minorités et des garanties fondamentales dans la Charte. Par exemple, le procureur général a comparu devant la Cour suprême dans les affaires Procureur général du Québec c Blaikie et autres et Procureur général du Manitoba c Forest, en 1979, au sujet du droit constitutionnel d'utiliser le français et l'anglais dans les lois, les législatures et les tribunaux du Québec et du Manitoba. De plus, dans l'affaire de l'association des commissions scolaires protestantes du Québec, en 1984, et dans de nombreux cas depuis, le procureur général est également intervenu pour aider la Cour suprême à interpréter le droit à l'instruction dans la langue de la minorité. Ce droit est maintenant enchâssé dans l'article 23 de la Charte et son application dans plusieurs provinces.
Comme l'a fait remarquer le juge en chef de la Cour supérieure du Québec, le regretté Jules Deschênes, en accordant le statut d'intervenant au procureur général du Canada dans l'affaire de l'Association des commissions scolaires protestantes du Québec en 1982, la Charte canadienne des droits et libertés est un instrument constitutionnel qui s'applique partout au pays et il est évident que le procureur général du Canada a un intérêt sur la base d'une saine administration de la Charte à travers tout le pays.
La Constitution nous fournit un cadre juridique stable et équilibré pour la gouvernance démocratique et la protection de tous nos droits et libertés fondamentaux. Le Parlement et les législatures provinciales sont souverains dans leurs sphères de compétence respectives, telles qu'elles leur sont attribuées par la Constitution et tant qu'elles ne transgressent pas d'autres dispositions. Depuis 1982, la Charte fait partie intégrante de la Constitution et elle garantit les droits et libertés qui y sont énoncés, sous réserve bien sûr des limites raisonnables permises par la règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Il est vrai que, dans le compromis conclu avec les provinces lors de la finalisation du rapatriement constitutionnel en novembre 1981, la disposition de dérogation a été ajoutée. Elle permet au Parlement ou à une législature provinciale d'adopter exceptionnellement une loi qui s'applique nonobstant certains droits. On a dit donc que l'article 33, c'est-à-dire la disposition de dérogation, préserverait un minimum de souveraineté parlementaire dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, l'équilibre inhérent dans le cadre constitutionnel serait rompu si l'exception devenait la règle, de sorte qu'au lieu de respecter l'idée maîtresse de la Charte, qui est une sorte de Magna Carta solennelle destinée à protéger et à garantir constitutionnellement les droits et libertés fondamentaux des Canadiens, les législatures provinciales auraient systématiquement recours à la disposition de dérogation comme moyen de rechange pour complètement écarter la Charte et de refuser aux tribunaux toute possibilité de s'exprimer. Cela ne respecterait pas la structure sous-jacente de notre Constitution et l'objectif principal d'avoir une Charte canadienne des droits et libertés enchâssée dans notre Constitution. La disposition de dérogation, qui se trouve à la fin de la Charte, réduirait nos droits et libertés garantis par la Charte à des peaux de chagrin, c'est-à-dire les faire dépérir au point de devenir de simples fictions juridiques.
La tentation croissante de recourir à la disposition de dérogation et de tenter d'empêcher tout examen judiciaire de l'action législative compte tenu des garanties de la Charte menace nos droits et valeurs fondamentaux, et elle menace l'équilibre entre la souveraineté parlementaire et d'autres principes constitutionnels comme la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le principe fondamental de la séparation des pouvoirs nous confère un pouvoir judiciaire fort et indépendant, et souligne le rôle légitime des tribunaux dans l'interprétation et l'application des dispositions de la Constitution, y compris la Charte.
La Chambre respecte depuis longtemps la règle inhérente à la convention constitutionnelle dite sub judice: elle s'abstient de débattre des questions juridiques qui font l'objet d'une procédure devant les tribunaux. Comme l'a dit la Cour suprême dans l'affaire Canada c Vaid en 2005, « [c]'est suivant un principe d'une grande sagesse que les tribunaux et le Parlement s'efforcent de respecter leurs rôles respectifs dans la conduite des affaires publiques. » Le Parlement, pour sa part, s'abstient de commenter les affaires dont sont saisis les tribunaux en vertu de la règle du sub judice. Les tribunaux, pour leur part, veillent à ne pas interférer dans le fonctionnement du Parlement ou d'une législature provinciale.
Dans l'appel interjeté par la Commission scolaire English‑Montréal et d'autres parties, le mémoire du procureur général du Canada, à titre d'intervenant, n'a pas contesté la validité de la Loi sur la laïcité de l'État. À la lumière du recours croissant à la disposition de dérogation de l'article 33 de la Charte, le procureur général invite la Cour suprême à clarifier les limites constitutionnelles de ce pouvoir. Cela est très important pour les droits et libertés de tous les Québécois, de toutes les Québécoises, de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes.
Cet argument repose fondamentalement sur le principe selon lequel la Constitution du Canada établit un équilibre délicat entre la compétence législative et nos droits fondamentaux. Bien que le Parlement et les législatures disposent d'un large pouvoir discrétionnaire pour adopter des lois dans leurs domaines de compétence respectifs, la souveraineté parlementaire a toujours été assujettie à la Constitution, y compris depuis 1982, depuis la Charte. Cet appel offre une occasion de réaffirmer l'équilibre qui est au cœur de notre démocratie.
La Cour suprême du Canada est la cour d'appel générale du Canada et, en tant qu'institution judiciaire la plus élevée, elle sera bien servie par l'intervention du procureur général du Canada, dans l'examen des garanties de la Charte et de l'utilisation de la disposition de dérogation. Les Canadiens et les Québécois n'en attendent pas moins.
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Madame la Présidente, le lien est évident.
Ce libéral a fait tellement de promesses aux Canadiens qu'il tente aujourd'hui de diviser davantage les citoyens pour éviter de faire face à son bilan. Le mémoire qui a été déposé devant la Cour suprême vise encore une fois à diviser les Canadiens, à les dresser les uns contre les autres pour faire oublier les nombreuses crises et les nombreuses promesses que ce premier ministre a faites aux Canadiens pour se faire élire. Or il se retrouve aujourd'hui dans une situation où il n'a pas de réponse.
C'est ça, la réalité. C'est la crise alimentaire à laquelle font face les Canadiens et les Québécois.
Cette dame âgée, dont j'étais en train de parler avant d'être interrompu par mon collègue du Bloc québécois, doit faire des choix extrêmement difficiles. Elle se prive de manger. Elle dit qu'elle ne se souvient pas de la dernière fois où elle a mangé un steak. Ça, c'est la réalité, malgré les promesses de ce libéral de faire les choses différemment et de mettre fin à 10 années de chaos où il était censé être celui qui allait rétablir l'ordre et rabaisser le coût de la vie à un niveau acceptable. Pourtant, ce n'est pas ce qui est arrivé.
Des exemples comme ça, il y en a plein. Il y a une augmentation de 4 millions de personnes dans les banques alimentaires, seulement à Toronto. C'est incroyable. Il y a une augmentation de l'inflation qui fait que les gens ont des choix difficiles à faire. Les familles n'ont plus les moyens d'offrir ce que les enfants méritent d'avoir dans leur boîte à lunch. C'est ça, la réalité. C'est de ça que les Canadiens veulent entendre parler.
Quelles sont les solutions que propose ce gouvernement pour mettre fin à la crise libérale du coût de la vie?
Il y a une autre crise aussi, c'est la crise de la dette. Peut-on imaginer que ce libéral dépense plus et plus vite que son prédécesseur, Justin Trudeau? C'est vrai: il dépense plus et plus vite que son prédécesseur, Justin Trudeau. On ne pensait pas ça possible. Je pense que, si on avait posé la question avant les élections à quelqu'un pour savoir si on croyait sincèrement qu'un premier ministre pourrait dépenser plus et plus rapidement que Justin Trudeau, on ne l'aurait pas cru. Pourtant, c'est ce qui est arrivé. On se retrouve dans une situation de crise que le gouvernement veut désespérément faire passer sous le tapis, tout ça, sans avoir présenté de budget. Imaginons qu'on se prépare à rénover sa maison, qu'on fait venir des entrepreneurs et qu'on dit qu'on veut un château, mais qu'on se fait demander si on a les moyens de payer et qu'on répond qu'on verra ça plus tard. Qu'est-ce qui va arriver? Le château ne sera pas à moitié construit qu'on va avoir les huissiers à la maison. Ils vont tout saisir et on va tout perdre.
C'est dans cette direction qu'on va. C'est une crise comme celle-là qu'est en train de créer le premier ministre libéral en refusant de présenter aux Canadiens un budget. Il nous avait promis un budget au début de l'automne, parce qu'on l'attendait. Ensuite, ça devait être en octobre. Finalement, on a appris que ce serait le 4 novembre, ce qui est quand même assez tard, parce que l'année est quand même pas mal avancée. Il ne se passera pas six mois avant la présentation d'un autre budget si on suit les rythmes normaux et habituels.
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Madame la Présidente, je remercie mon collègue de partager son temps de parole avec moi aujourd'hui.
Il s'agit d'une autre manœuvre de diversion orchestrée par le . Il tente de détourner l'attention de son terrible bilan. Même s'il occupe ses fonctions de premier ministre depuis peu, son bilan est catastrophique, et il tente désespérément de détourner l'attention. Je vais vous expliquer comment je le sais. C'est une distraction montée de toutes pièces parce que le premier ministre n'a jamais dit qu'il était contre la loi 21 au Québec.
Nous pouvons examiner le mémoire officiel. J'ai ici une copie du mémoire de l'intervenant, le procureur général du Canada. Pour les personnes à la tribune ou à la maison, ou les journalistes, qui regardent le débat et qui essaient de déterminer comment encadrer la conversation, je vais lire la première ligne. Au moyen de ce document, le procureur général du Canada présente officiellement devant la cour la position du gouvernement du Canada, le gouvernement libéral, sur la loi 21.
L'extrait est tiré de la partie I, section A, à la ligne 1 du paragraphe 1. Je tiens à le préciser, car il s'agit de la déclaration préliminaire, l'argument principal avancé par le gouvernement dans son mémoire: « Conformément à son rôle d'intervenant, le Procureur général du Canada ne fera pas d'observations quant à la validité constitutionnelle des dispositions de la Loi sur la laïcité de l'État, sur quelque base que ce soit. » Il ne prend aucune position, quelle qu'elle soit. C'est la position du gouvernement.
Il y aurait sans doute lieu de se demander quel est le but de la distraction orchestrée. Elle a pour objet de détourner l'attention de la terrible crise du coût de la vie que le gouvernement libéral a déclenchée il y a 10 ans, avec des hausses d'impôt touchant les travailleurs et les propriétaires de petites entreprises canadiens, la multiplication massive des règlements visant les secteurs productifs de l'économie canadienne, les obstacles à l'investissement et à la construction, et l'interdiction d'exporter l'énergie canadienne, tandis que le pétrole et les ressources étrangères entraient dans notre pays.
Qu'on me permette d'énumérer certaines de ces crises pour que la Chambre puisse bien comprendre pourquoi le gouvernement cherche tant à poursuivre ce débat au lieu d'une conversation sur les difficultés auxquelles les Canadiens font face. Le a déclaré, on le sait bien, qu'il serait jugé en fonction des prix payés à l'épicerie. C'est ce qu'il a dit pendant la campagne électorale. Qu'est-il arrivé à ces prix-là? Ils continuent d'augmenter; le taux d'inflation à cet égard dépasse maintenant de 70 % le seuil visé. Les aliments coûtent 40 % de plus qu'avant l'arrivée du gouvernement libéral au pouvoir.
Le aggrave encore la crise de la dette créée sous le gouvernement Trudeau. On se rappelle que Justin Trudeau a accumulé plus de dettes pendant la courte période où il a été au pouvoir que tous les autres premiers ministres réunis. On n'a qu'à penser à la Première Guerre mondiale, à la Seconde Guerre mondiale et à la Grande Dépression; le Canada a affronté toutes ces crises, mais il a fallu Justin Trudeau pour accumuler une dette massive.
Depuis l'arrivée du au pouvoir, les dépenses fédérales ont augmenté de 8,4 %. Nous rappelons-nous ce qu'il a promis pendant la campagne électorale? Il a garanti par écrit aux électeurs, pour obtenir leur vote, qu'il limiterait le déficit à 63 milliards de dollars. Les dépenses ont augmenté de 8,4 %.
Le a invité le roi du Royaume‑Uni à venir ici depuis Londres. Le roi Charles a gracieusement accepté cette invitation et est venu au Sénat pour lire le discours du Trône. Dans ce discours, le gouvernement s'engageait à limiter à 2 % la hausse des dépenses. À peine 48 heures plus tard, le gouvernement a déposé ses prévisions des dépenses et a fait voler ce pourcentage en éclats. Pourquoi avoir invité Sa Majesté à traverser l'océan pour venir lire le discours si ce dernier ne valait même pas le papier sur lequel il était imprimé? Que cela passe à l'histoire comme étant la promesse libérale ayant été tenue le moins longtemps: 48 heures, un nouveau record mondial.
Je suis gêné pour le gouvernement. Je sais que les libéraux ne sont pas gênés, car il faut savoir ce qu'est la honte pour cela. Je suis toutefois gêné qu'ils aient invité Sa Majesté à venir faire diversion dans le but de tromper les Canadiens.
Parlons plutôt de la crise du salaire net. Les premiers à souffrir de l'inflation sont ceux qui vivent au jour le jour, les travailleurs de quart et les personnes qui doivent avoir un deuxième emploi pour joindre les deux bouts. En effet, quand le gouvernement crée une crise inflationniste, il y a quelques gagnants et beaucoup de perdants.
Les gagnants sont ceux qui reçoivent l'argent frais en premier: les gestionnaires d'actifs, les exploitants de fonds spéculatifs et les grandes banques. Ils reçoivent l'argent frais avant tout le monde, et ils peuvent ainsi acheter des actifs avant que les prix augmentent. Cependant, les personnes qui travaillent dur dans un hôtel, les plombiers, les mécaniciens et tous ceux dont le salaire ne suit pas l'inflation doivent d'abord payer les prix majorés avant d'obtenir la moindre augmentation de salaire. Ils doivent faire durer leur salaire plus longtemps. Ils travaillent plus dur pour acheter moins.
Depuis que le est entré en fonction, 86 000 Canadiens de moins touchent un salaire, car 86 000 personnes ont perdu leur emploi. Il avait promis d'avoir l'économie la plus dynamique du G7; or, le Canada a l'économie qui se contracte le plus rapidement du G7. Le taux de chômage dans la région du Grand Toronto est maintenant de 9 %, avec 365 000 personnes sans emploi. Le taux d'emploi chez les jeunes est de 53,6 %, à son plus bas en près de trente ans. Ainsi, près de la moitié des jeunes actifs à la recherche d'un emploi n'en trouvent pas. Le taux d'emploi chez les jeunes est à son plus bas en près de trente ans. L'endettement des ménages canadiens est le plus élevé du G7. Les faillites augmentent à un rythme jamais vu depuis 2008.
Ce n'est pas seulement la crise du coût de la vie qui cause tant de difficultés au Canada et dont le gouvernement tente de détourner l'attention; nous connaissons aussi une crise de la criminalité. Nous avons un gouvernement libéral qui a décidé de demander aux juges d'accorder la liberté sous caution à des délinquants parmi les pires, les plus violents et les plus enclins à récidiver au pays. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie qu'aujourd'hui, la personne qui se fait arrêter pour la 14e, la 15e ou la 20e fois recouvre souvent sa liberté le jour même.
Selon des associations de policiers, il est arrivé que, vers 17 ou 18 heures, on arrête quelqu'un qu'on avait déjà arrêté le matin même. Ces délinquants dangereux et récidivistes ont été libérés par le gouvernement fédéral, et les Canadiens en ont ras-le-bol de ce manège. Cependant, au lieu de prendre des mesures concrètes comme l'adoption de la règle conservatrice des trois infractions et de présenter des excuses aux Canadiens pour toutes les vies qui ont été brisées par les criminels que le gouvernement a libérés, les libéraux bloquent et entravent les tentatives légitimes de corriger le système de mise en liberté sous caution et d'imposer des peines plus sévères aux délinquants dangereux et aux récidivistes.
C'est ce que font les libéraux. Ils essaient de détourner l'attention de leur piètre bilan, que ce soit par rapport au coût de la vie, à la sécurité publique ou aux promesses rompues de responsabilité budgétaire, eux qui ont laissé la criminalité et le chaos régner dans nos rues en faisant passer les droits des délinquants dangereux avant ceux des Canadiens respectueux de la loi.
C'est honteux, mais le utilise la même tactique que son prédécesseur, Justin Trudeau, c'est-à-dire diviser pour détourner l'attention de son médiocre bilan, ce qui confirme bien qu'il n'est qu'un libéral parmi tant d'autres.
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Madame la Présidente, j'ai envie de commencer en disant « mais quelle mouche les a piqués? » ou, en québécois, « y sont-tu tombés su'a tête? »
Il y a, dans les mémoires déposés par les procureurs du gouvernement, des propos qui nous étonneraient même de ce qu'il y a de plus radical de l'autre bord de la frontière. On va regarder cela.
En termes plus polis, le gouvernement s'est couvert de ridicule, mais il a mis en évidence la différence profonde de culture, de tradition et d'histoire entre le Canada et le Québec. Il a mis en évidence une différence de vue, une différence de modèles, celle qu'il y a entre le modèle du multiculturalisme canadien et le modèle « interculturaliste » du Québec. C'est le modèle du conquérant qui veut effacer non pas toutes les différences — il y en a qui sont utiles dans bien d'autres provinces relativement au Québec —, mais les différences du conquis qui n'a pas voulu s'intégrer, disparaître dans le conquérant. Or le geste posé s'inscrit dans la lecture d'une constitution qui reflète l'intention du législateur, du gouvernement de l'époque, ou nommément de M. Trudeau père.
Il y a quelque chose d'un peu insultant dans le fait de dire qu'ils n'ont pas compris leur propre Constitution, qu'ils n'ont pas été honnêtes ou qu'ils n'ont pas été compétents, ce qui, à bien des égards, s'appliquerait davantage au gouvernement actuel, en de telles matières.
La Constitution reflète la volonté des signataires de la Constitution. On ne peut pas revoir, présumer, inventer, fabuler, multiplier les fariboles sur ce qu'était l'intention du législateur. De plus, on ne peut pas demander au juge de se prêter à cet exercice. L'intention a été écrite, l'intention a été signée, l'intention a été imposée au Québec, qui n'a jamais, tous gouvernements confondus, adhéré à cette Constitution.
Alors, faisons un peu d'histoire. Commençons en 1760.
Pendant environ 200 ans, les Français de Nouvelle-France sont essentiellement coupés des Français de France. Au cours du XXe siècle, les élites intellectuelles et les artistes, lorsqu'ils y arrivaient, partageaient un rêve qui survivra longtemps, jusqu'à tout récemment, celui de pouvoir reprendre contact avec la France. Toutefois, les Canadiens français, dans les années 1950, c'était des Canadiens français qui travaillaient pour le boss anglais. Ils étaient assujettis à cette autorité, parce qu'ils n'avaient que très peu de contrôle sur leur propre économie. Ils étaient aussi assujettis à une entente tacite et très ancienne entre l'Église et cette même autorité anglaise qui avait dit à l'Église qu'elle garderait son autorité si elle les gardait bien en rang.
Ensuite est arrivée la Révolution tranquille. La Révolution tranquille, c'est l'appropriation par les Canadiens français, qui allaient devenir Québécois, de leur propre destinée par les moyens à leur portée. On mentionnera évidemment le premier très grand geste d'appropriation de nos outils économiques par la nationalisation de l'hydroélectricité par René Lévesque dans le gouvernement de Jean Lesage.
Par la suite, suivront de nombreuses institutions parmi lesquelles il y aura la loi 101 — je me permets de la classer dans les institutions —, la Charte de la langue française, ainsi que des institutions absolument fondatrices, exemplaires, extraordinaires de l'histoire du Québec, comme le système d'éducation avec la fondation des polyvalentes et des cégeps et la création de toutes pièces d'un réseau d'universités qui, aujourd'hui, fait non seulement la fierté des Québécois, mais leur permet aussi d'avoir un niveau de scolarisation et de diplomation comparable à ce qui existe en Occident, alors qu'à l'époque, on était loin, en queue de peloton.
Ce sont des révolutions, quant au rôle de l'État, son rôle économique, mais son rôle à tous égards.
Le regretté Guy Rocher a joué un rôle extraordinaire en ce qui concerne plusieurs de ces éléments. Ce n'est pas banal de le souligner. Il a joué un rôle extraordinaire dans la rédaction de la Charte de la langue française, dans la création de notre réseau d'établissements scolaires et universitaires et dans la mise en place fondatrice des éléments qui ont donné naissance à une vision toute québécoise de la laïcité de l'État. Ce faisant, nous sommes devenus des Québécois.
On pourra nous « Elvis-Grattoniser » tant qu'on le voudra. Toutefois, nous ne sommes rien d'autre; nous sommes entièrement et fièrement des Québécois.
La stratégie du gouvernement canadien est la même depuis longtemps, et elle ne changera pas. Il s'agit d'abuser de l'accueil et de la bienveillance généreuse et incomparable de la société québécoise en nombre et en gestes à l'égard des nouveaux arrivants dans le but de faire de la société québécoise une minorité de plus en plus affaiblie à l'intérieur de la majorité canadienne. Il s'agit d'utiliser aussi le déséquilibre fiscal pour assujettir économiquement le Québec et toutes les provinces dans le but de procéder à une centralisation dont l'odieux projet de loi n'est qu'un exemple. Sans déséquilibre fiscal, il n'y aurait pas de projet de loi C‑5. La volonté centralisatrice d'Ottawa, c'est aussi simple que cela.
Or, la valeur de laïcité est un héritage fondamental de notre affranchissement. Le Canada assume son multiculturalisme au moyen de la Charte et de la Cour et il se dote d'outils, dont le principal est le recours à la Cour suprême. Il finance les gens qui veulent contester les valeurs québécoises jusqu'en Cour suprême.
Le sujet, au Québec, est toxique. Il est dangereux pour les multiculturalistes. Les appuis à la valeur de séparation de l'Église et de l'État — car c'est bien ce dont il s'agit — sont massifs. Ils traversent largement les lignes de partis. Tout se complique lorsqu'on ajoute la variable d'une immigration qui n'est pas réussie au mélange du multiculturalisme canadien. C'est une connotation récente qui n'existait pas au moment de l'apparition d'une telle valeur. Aujourd'hui, elle est devenue, pour les libéraux, électoraliste et idéologique.
Au fond, pour les libéraux, et pour le néolibéralisme en général, l'immigration est l'accueil de gens qui sont à la fois producteurs et consommateurs. Ce sont de pures variables économiques. On ne se soucie pas des éléments contributifs à ce qui pourrait être une identité collective. Il ne s'agit pas de participer à une culture commune, qui est évidemment en transformation continuelle, comme l'a été celle du Québec, qui a accueilli les Irlandais, les Écossais et toutes les autres vagues d'immigration. Il n'y a pas de tronc commun de langue dans le multiculturalisme canadien, parce que cela va de soi: l'attrait de l'anglais est assez prononcé.
Il n'y a pas de valeur associée ou requise à la prétention d'égalité, parce qu'on prétend, bien sûr, que le Canada va défendre l'égalité de tout le monde. Dans la défense de l'égalité de tout le monde, il y a la tolérance, sinon la promotion, de comportements et de valeurs qui nient littéralement l'égalité entre les femmes et les hommes. De surcroît, il y a dans la stratégie la volonté de dépeindre, auprès des gens qui arrivent ici, les Québécois comme étant des ennemis xénophobes qui font preuve d'un racisme identitaire hostile. C'est un peu odieux.
Évidemment, rien n'est plus faux. Cependant, on ne veut pas affronter les Québécois de front en ce qui a trait à leurs valeurs et à leur langue, parce que l'appui à la souveraineté monte, et que le prochain gouvernement du Québec sera probablement un gouvernement souverainiste.
Alors, on progresse vers la contestation. On parle d'encadrement du recours à la disposition de dérogation. On nous parle du « avant », du recours préventif. Bon, il n'existe pas de recours préventif dans la Constitution. Il y a un quelconque légiste de l'autre bord qui, un beau jour, a dit qu'il venait d'avoir une bonne idée. Ses amis lui ont donné une tape dans le dos et lui ont dit qu'il n'avait pas le courage de le dire. Il a eu le courage, il l'a dit, et le recours préventif s'est inscrit dans le narratif. L'article 33 est clair. Il dit ce qu'il a à dire et il correspond à l'intention.
Qu'en est-il du « après »? Ici aussi, c'est écrit, c'est très clair. Il s'agit de périodes de cinq ans, renouvelables, sans détermination du nombre maximum de fois où c'est renouvelé. Il n'y a pas de moralité attachée à ça, pas de procès d'intention attaché à ça. C'est la préservation de la souveraineté des Parlements du Québec et des provinces. Je nous rappelle qu'un Parlement est toujours souverain dans ses décisions et ses prérogatives.
Il y a néanmoins un bonus. Si le gouvernement gagne en Cour suprême pour encadrer la disposition de dérogation et faire obstacle à la valeur québécoise de laïcité de l'État, il gagne en même temps, sur la question de la langue, la contestation de la loi 96 pour encadrer encore une fois le recours à la disposition de dérogation et sur tout le reste; les velléités relatives aux syndicats dans d'autres provinces et tout ce qui pourrait se présenter. La disposition de dérogation a été évoquée ou renouvelée largement plus de 100 fois au Québec. C'est le plus puissant outil de centralisation depuis 1982. Combiné à la loi découlant du projet de loi , c'est proprement effrayant.
Pourtant, l'effet pourrait être le contraire de celui que le gouvernement souhaite, notamment parce que, comme je le disais, les libéraux sont peut-être tombés sur la tête. Selon lui, le recours à la disposition de dérogation pourrait en théorie permettre à un gouvernement du Québec d'autoriser des exécutions sommaires — rien de moins —, d'avoir recours au travail forcé, d'abroger la liberté de presse et la liberté de rassemblement. Quel est donc ce délire, en particulier à l'encontre de la société la plus progressiste du continent?
Il y a quelque chose de « tarla » là-dedans. En effet, si je comprends bien, imaginons que je sois l'État québécois et que j'adopte une loi qui permet l'exécution sommaire de quelqu'un, qui permet le travail forcé et l'esclavage ou qui abolit la liberté de presse. Leur démarche ne dit pas que je n'ai pas le droit. Elle dit que j'ai le droit pendant cinq ans, jusqu'à ce que quelqu'un conteste. Le raisonnement du fédéral, c'est donc qu'une province pourrait autoriser l'exécution sommaire pendant cinq ans. Je ne sais pas qui a pensé à ça, mais c'est grave et il faut très vite retourner au cégep. Il faut aller à l'école parce qu'en matière de niaiserie, c'est gratiné. Qui est le smatte qui pense que le Québec va avaler ça? En passant, je souligne que Robert Bourassa et Jean Charest ont eu recours à la disposition de dérogation. J'ai fouillé et je n'ai pourtant pas trouvé chez ces hommes de carte de membre du Parti québécois. Tous les gouvernements du Québec depuis l'époque ont renouvelé, dans la plupart des cas, la disposition dérogatoire.
Ce gouvernement fédéral a recours à des procédés très comparables à ceux qu'il reproche à la droite américaine: populisme, plus petit dénominateur commun, abus du manque d'information qui se rend à la population, utilisation du genre de biais médiatique qu'on va retrouver dans les réseaux sociaux et qui contient n'importe quoi, sauf de l'information dans la majorité des cas. En comparaison, moi, je propose le rapport de Richard Rousseau, un travail de synthèse absolument exceptionnel, malheureusement ni assez diffusé ni assez lu. Ce rapport fait l'histoire de la valeur de laïcité à travers l'évolution québécoise tout au long de la Révolution tranquille. On y sent tellement la trace de Guy Rocher. C'est une analyse sérieuse, intelligente et respectueuse de l'intelligence du lecteur.
Je me répète, l'intention de Pierre Trudeau est celle qui est inscrite dans la Constitution. Toute autre interprétation, y compris celle de son fils ou celle du gouvernement, est une insulte qui s'ajoute à l'injure. Il y a deux premiers ministres qui ont suspendu les libertés fondamentales dans l'histoire: Pierre Elliott Trudeau, en 1970, et Justin Trudeau, en 2021.
La loi issue du projet de loi contient aussi la suspension de n'importe quelle loi fédérale que le ministre décidera de suspendre, alors qu'on nous oppose de ridicules procès d'intention. Le gouvernement des juges et celui du populisme ne sera pas celui du Québec. Nous sommes ceux qui sont les plus hostiles au populisme, à la démagogie, aux extrémismes de toute nature.
Les Québécois sont tellement tolérants que, parfois, on se ravise et on se demande s'ils ne le sont pas trop, avant de réaliser que c'est sagesse. C'est ce qui fait toute la force, la vigueur et la valeur de cette extraordinaire nation qu'est la nation québécoise.
Je dis donc au gouvernement d'avoir le courage de débattre des enjeux de modèle, de laïcité, de langue et d'immigration. À ce jour, ce gouvernement ne l'a pas davantage que le précédent. Le m'a répondu, la semaine dernière, qu'une des responsabilités du gouvernement est de défendre la Charte canadienne des droits et libertés. Ce n'est donc pas la responsabilité de la cour, c'est la responsabilité du gouvernement. On se fait pousser la colonne vertébrale de l'autre, on la solidifie un peu, on s'assoit autour d'une table et on dit qu'on veut avoir une conversation sur la Constitution. Qu'on m'invite. Moi, je vide mon agenda. Allons-y, mais qu'on ne se cache pas derrière les juges.
Je remercie donc le gouvernement pour la démonstration de la façon dont il travaille et réfléchit. Je nous rappelle à tous que tout fonctionnera mieux quand nous serons de bons voisins, avec des affinités, avec des défis partagés, avec des différences qui nous définissent, mais qui nous définissent librement, chacun à sa façon. Au fond, tout nous ramène à cette opposition entre les droits individuels et les droits collectifs. Imposer la suprématie des droits individuels jusqu'au déraisonnable, c'est diviser pour régner. C'est atomiser la société. C'est en faire une addition d'individus au mépris de ce qu'ils ont en commun, de ce qu'ils bâtissent en commun et de ce dont ils rêvent en commun.
C'est d'autant plus étonnant, lorsqu'on forme 80 % de la population et qu'on est riche, de devoir recourir à la division pour essayer de régner. C'est, sans équivoque, la doctrine des faibles.
Je nous invite donc à discuter de nation à nation, entre égaux, qui seront liées par traités. Au fond, vive le Québec libre.
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Monsieur le Président, c'est avec grand plaisir que je me lève à la Chambre pour participer à ce débat. J'aimerais d'abord préciser que je vais partager mon temps de parole avec mon honorable collègue de .
Il est très important, dans ce débat, de se rappeler comment nous en sommes arrivés ici. Nous sommes ici pour discuter d'une motion présentée par mes honorables collègues du Bloc québécois. Cette motion comporte trois volets, dont le premier « demande au gouvernement de se retirer complètement de la contestation judiciaire de la loi sur la laïcité de l'État du Québec en Cour suprême ». Or, après avoir lu le document qui a été soumis à la Cour suprême par le procureur général du Canada, je peux affirmer qu'on ne conteste pas la validité de la loi 21.
Deuxièmement, le Bloc québécois « demande au gouvernement de retirer son mémoire déposé le 17 septembre 2025 à la Cour suprême contestant le droit du Québec de se prévaloir de la clause de dérogation ». Encore une fois, on voit dans le mémoire qui a été déposé qu'on ne conteste même pas le droit d'une province d'utiliser la disposition de dérogation.
Troisièmement, le Bloc québécois demande à la Chambre qu'elle « dénonce la volonté du gouvernement d'utiliser la Cour suprême pour enlever des pouvoirs constitutionnels au Québec et aux provinces ». Sur ce troisième point, la réponse est non. Toutefois, certaines nuances méritent d'être apportées.
En réalité, le gouvernement fédéral poursuit une approche contraire: il ne cherche pas à empêcher les provinces d'utiliser la disposition de dérogation. Cette disposition demeure utile, notamment lorsqu'un projet de loi adopté par l'Assemblée nationale du Québec, une autre assemblée provinciale, ou même par ce Parlement, entre en conflit avec certains droits fondamentaux.
Le génie dans tout ça, c'est qu'on laisse ouverte la possibilité de recourir à la disposition de dérogation dans certaines circonstances où cela s'avère nécessaire. Certains contestent cette idée, d'autres croient que la disposition de dérogation ne devrait même pas exister. Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'une soupape utile: lorsqu'un jugement de la Cour suprême conclut qu'une loi contrevient à des droits fondamentaux, cette disposition permet aux législateurs de trouver une solution. Ils peuvent soit modifier leur loi pour se conformer à la décision, soit chercher un compromis temporaire qui leur permet de poursuivre leur objectif sans que cela devienne une solution permanente.
Nous arrivons au coeur du mémoire déposé à la Cour suprême. Il s'agit d'une situation où plusieurs provinces sont concernées. Il ne s'agit pas seulement de ma belle province de Québec à laquelle je suis profondément attaché. Le Québec est mon foyer, ma patrie, l'endroit où j'ai choisi d'élever ma famille, mes enfants et mes petits-enfants. Comme on l'a sans doute deviné à mon accent, ma langue maternelle est l'anglais. Toutefois, j'ai fait le choix de m'intégrer à la société québécoise, notamment en apprenant à parler le français couramment. Je suis un fier francophile et je tiens à le souligner, car je suis attaché au Québec.
Quand on a des droits fondamentaux qui sont en conflit avec un projet de loi, nous, les citoyens, les Québécois, ou les Canadiens si ça arrive dans d'autres provinces comme c'est arrivé en Saskatchewan ou en Ontario, où ils avaient proposé des projets de loi qui recourraient à la disposition de dérogation d'une façon préventive, nous avons le droit de contester ça devant les tribunaux.
Je pense qu'il est tout à fait normal que les gens le fassent. Certains Québécois vont être en désaccord avec l'adoption de certains projets de loi. Ils ont donc ce droit. Le gouvernement décide de se protéger de cette contestation et de recourir à la disposition de dérogation. Je dis bravo et je peux comprendre ça. Par contre, si on fait ça à répétition, ça soulève une question très légitime: à quoi sert la Charte canadienne des droits et libertés? À quoi sert-elle si on peut toujours abroger les droits qui sont garantis dans ce document? Effectivement, ce qui est en train d'arriver, c'est que, si on recourt à l'article 33 à l'infini, tous les cinq ans, on va se trouver dans une situation où on n'aura plus de droits. Je pense donc que, dans l'esprit des Québécois et des Canadiens, il est tout à fait légitime et raisonnable de revoir cette question, et c'est ça, le noyau du mémoire qui a été déposé.
J'espère que les juges de la Cour suprême vont en prendre note et vont offrir une feuille de route aux Canadiens et au gouvernement pour dire comment baliser l'utilisation de cette disposition. Je pense que les droits qui ont été conférés à tous les Canadiens par la Charte canadienne des droits et libertés sont des droits qui sont très importants, qui sont fondamentaux. Ce sont des droits qui assurent qu'on peut vivre dans une démocratie constitutionnelle, où on peut prendre des décisions et la majorité peut proposer des lois et, jusqu'à un certain point, où on peut protéger les minorités des lois qui vont trop aller à l'encontre de leurs intérêts. Pour moi, c'est ça la chose la plus importante, la raison pour laquelle je comprends très bien pourquoi le procureur général du Canada a proposé cette voie.
Pour résumer, je pense que pour deux des trois éléments de la motion qui a été proposée par le Bloc québécois, la réponse est que ça ne s'applique manifestement pas. Pour le troisième, nous voulons empêcher des changements constitutionnels par la porte arrière en recourant à la disposition de dérogation à l'infini. Je pense que c'est très important, dans une démocratie. On dit souvent qu'on utilise ce mot avec certaines réserves, mais il faut chercher des compromis. Ça, c'est important. C'est ça qu'on fait chaque jour ici, à la Chambre des communes. On cherche des compromis pour proposer des lois qui tiennent la route et qui protègent tout le monde.
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Monsieur le Président, je remercie mes collègues du Bloc québécois qui ont proposé la motion en cette journée de l'opposition.
Ça me fait plaisir de parler en tant que Québécois à la Chambre des communes, parce que c'est très important de reconnaître que les Québécois ont beaucoup de perspectives différentes sur la question de la loi 21 et l'utilisation préventive de la disposition de dérogation. Le Bloc québécois n'a pas le monopole de parler au nom de tous les Québécois à la Chambre des communes. La grande majorité des députés québécois à la Chambre sont des députés fédéralistes et sont de ce côté‑ci de la Chambre. Je tenais à le mentionner d'entrée de jeu.
Par ailleurs, la question dont nous débattons, c'est la question du factum du gouvernement fédéral devant la Cour suprême. Ce n'est pas un débat sur la loi 21. C'est une disposition de la loi 21 dont il est question. C'est la première fois en 35 ans que la disposition de dérogation et les moyens de l'utiliser sont en litige devant la Cour suprême du Canada. Il est donc nécessaire que le procureur général du Canada soit présent à la cour principale du Canada, soit la Cour suprême du Canada, pour protéger la Constitution et la Charte canadienne des droits et libertés.
Nous avons adopté une charte des droits et libertés parce que nous avons cru important, en tant que pays, de protéger les droits des minorités, même si la majorité au pays ou dans une province n'est pas d'accord pour protéger les droits des minorités. C'est important de dire que la disposition de dérogation peut être utilisée par le Parlement du Canada ou par les provinces. C'est donc un débat qui est important pour nous, en tant que législateurs fédéraux. Nous avons choisi d'avoir une charte parce que nous avons estimé que certains droits étaient tellement importants qu'il fallait les protéger, même si la majorité n'est pas d'accord pour protéger ces droits des minorités. En outre, dans la Charte, il y a l'article 1. Ce n'est pas comme le Bill of Rights des États-Unis. Nous avons une limite. On dit que les législateurs peuvent adopter des lois qui briment un droit s'ils le font d'une manière raisonnable dans une société libre et démocratique.
Quand on invoque l'article 33, on admet par nature que ce n'est pas raisonnable, dans une société libre et démocratique, de limiter le droit comme cela. Le document fédéral présente trois arguments qui sont très importants.
Le premier est nécessaire, parce que la Cour d'appel du Québec a pris une position contraire à celle prise par les cours de la Saskatchewan et la Cour supérieure du Québec sur la question d'une déclaration. Le rôle principal du procureur général du Canada est d'assurer qu'il n'y a pas de conflit entre les lois partout au Canada, un conflit de décision entre les cours canadiennes. C'est la raison pour laquelle cette disposition est devant la Cour suprême du Canada.
La Cour suprême du Canada doit nous dire ce qu'est la loi: est-ce que cela correspond à ce qui a été prononcé par les cours de la Saskatchewan et la Cour supérieure du Québec qui disent que, même si on invoque l'article 33, on peut avoir un jugement déclaratoire, ou est-ce que c'est comme ce qui a été prononcé par la Cour d'appel du Québec qui dit qu'une cour ne peut pas examiner la question consistant à savoir si un droit est brimé d'une manière qui n'est pas raisonnable, selon l'article 1, parce que la disposition de dérogation a été invoquée?
Le procureur général du Canada est donc là, parce qu'il faut qu'il apporte, en tant que procureur général du Canada, des arguments pour dire si on prend la position des cours de la Saskatchewan ou la position de la Cour d'appel du Québec. C'est naturel.
Je trouve étonnant que le Bloc québécois nous dise que le gouvernement du Canada ne devrait pas être présent à la Cour suprême du Canada, mais qu'il ne dise rien sur les autres provinces qui sont intervenues dans la cause. Est-ce qu'on prend la position selon laquelle toutes les provinces peuvent intervenir sur cette question, mais pas le gouvernement du Canada?
Le rôle du gouvernement du Canada, c'est de protéger les droits de tout le monde, y compris les Québécois et toutes les minorités au pays. On ne peut pas dire que le gouvernement du Canada devrait être là quand on aime sa position et qu'il ne devrait pas être là quand on n'aime pas sa position.
J'aimerais parler des trois arguments qu'a présentés le gouvernement du Canada devant la Cour suprême.
[Traduction]
Le premier argument que le gouvernement avance, c'est que même si nous utilisons la disposition de dérogation, un tribunal a la capacité de déclarer que la loi contrevient à l'article 2 ou aux articles 7 à 15 de la Charte d'une manière qui n'est pas raisonnable dans une société libre et démocratique. Ce sont les seuls articles de la Charte pour lesquels nous pouvons utiliser la disposition de dérogation. Il est important que les habitants de cette province sachent ce que leur gouvernement a fait.
[Français]
Quand on utilise la disposition de dérogation de manière préventive, en se disant qu'on l'utilise sans que des droits soient vraiment violés, on ne donne pas toute l'information à sa population. Si on se présente en vue d'une réélection, il est important que la population puisse avoir la chance de dire qu'un gouvernement a violé la Charte de manière déraisonnable, oui ou non. Ça, c'est un argument qui est devant la Cour.
[Traduction]
Un autre argument que le gouvernement fédéral avance, c'est que nous n'avons pas le droit d'utiliser la disposition de dérogation pour enfreindre un droit autre que ceux garantis par l'article 2 ou les articles 7 à 15. Par exemple, si nous contrevenons à la liberté d'expression garantie par l'article 2 de la Charte, mais aussi aux droits garantis par l'article 3, à savoir les droits démocratiques, nous n'avons pas le droit d'utiliser la disposition de dérogation pour enfreindre un droit autre que ceux garantis à l'article 2 ou aux articles 7 à 15.
[Français]
Il arrive qu'une loi soit contestée non seulement en vertu d'un article de la Charte, mais en vertu de plusieurs articles de la Charte. Il est évident que, pour utiliser la disposition de dérogation, on ne peut pas évoquer l'un des articles qui ne sont pas assujettis à la disposition de dérogation. C'est un argument qui est important pour assurer que les autres droits ne sont pas touchés parce que quelqu'un a fait une déclaration en vertu de la disposition de dérogation selon l'article 2 ou les articles 7 à 15.
[Traduction]
Le troisième argument est l'argument le plus important avancé par le gouvernement fédéral dans cette affaire. Il s'agit du fait qu'un droit ne peut être supprimé de manière à ne pas pouvoir être rétabli avec la même force. Tout comme lorsque nous éteignons une ampoule, celle-ci se rallume et brille avec la même intensité, nous ne pouvons pas supprimer un droit prévu par la Charte et le faire disparaître complètement, de sorte que lorsque nous cessons d'utiliser la disposition de dérogation, les personnes concernées n'ont plus la possibilité de faire ce qu'elles faisaient auparavant. Cela pourrait se produire soit en raison d'utilisations successives et continues de la disposition de dérogation, soit parce que le droit est supprimé d'une manière tellement déraisonnable que cela finira par priver les personnes de la possibilité d'exercer ce droit de façon pérenne.
Les arguments avancés devant la Cour pour illustrer en quoi pourraient consister de telles situations ne font nullement référence au gouvernement du Québec. Ils concernent tout gouvernement, y compris le gouvernement fédéral, qui pourrait agir de la sorte. Nous affirmons simplement qu'il existe des motifs autres que procéduraux pour invalider l'application de l'article 33.
[Français]
Finalement, à propos de l'argument selon lequel on ne devrait pas parler de ça et selon lequel le gouvernement du Canada ne devrait pas faire un factum devant la Cour suprême parce qu'il y a des autres enjeux au pays, j'aimerais simplement dire qu'il y a évidemment d'autres enjeux au pays.
[Traduction]
Les gens du ministère de la Justice qui ont travaillé sur ce mémoire n'ont pas fait de choses qu'ils n'étaient pas censés faire avec ce mémoire. Personne ne parle des gens dans le secteur du logement ou des économistes qui participent à ce mémoire, alors les arguments que les conservateurs utilisent aujourd'hui sont incroyables.
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Monsieur le Président, je tiens à préciser en commençant que je vais partager mon temps de parole avec l'honorable député de Gaspésie—Les Îles‑de‑la‑Madeleine—Listuguj.
J'ai envie de nous amener ailleurs avec le débat d'aujourd'hui. Je me suis dit que ce serait peut-être bénéfique pour plusieurs collègues ici présents qui entendent régulièrement les doléances du Québec, mais qui ne sont pas familiers avec notre histoire, d'en savoir un peu plus sur notre parcours, si différent culturellement de celui du Canada. Parcourons alors ensemble l'histoire des valeurs québécoises, de leur émergence à leur affirmation, en passant par les résistances qu'elles ont suscitées.
De la commission Parent à la loi 21, en passant par la loi 101 et ses itérations au fil du temps, la plus récente étant la loi 96, le Québec a entrepris au début des années 1960 un vaste processus d'émancipation, un chantier majeur qui n'a pas été sans obstacle, comme on peut d'ailleurs s'y attendre de réformes aussi transformatrices pour une société. C'est ainsi qu'en cours de route, le Québec s'est continuellement heurté à l'opposition du Canada, dont le modèle de multiculturalisme est simplement incompatible avec les aspirations légitimes du Québec.
Nous sommes au début des années 1960. Le Québec de cette époque est une société plutôt traditionnelle, majoritairement rurale, encore dominée par l'Église catholique. L'éducation est confessionnelle, inégalitaire, encore dominée elle aussi par l'Église, et peu accessible pour M. et Mme Tout‑le‑Monde. C'est dans ce contexte que le gouvernement de Jean Lesage met sur pied la commission Parent. Cette commission est chargée de réformer le système d'éducation. Je note au passage qu'autour de la table se trouve le sociologue Guy Rocher, qui nous a quittés récemment et dont les réflexions conduisent vers un consensus quasi inattendu à cette époque, soit la pertinence de déconfessionnaliser l'éducation et, en parallèle, la santé.
C'est donc la commission Parent qui marque le début de ce qu'on appelle la Révolution tranquille, avec des réformes audacieuses, comme la création d'un ministère de l'Éducation, des cégeps, des écoles polyvalentes et, surtout et principalement — l'essentiel est là —, l'accès pour tous à l'enseignement supérieur. Ce qu'on veut, c'est sortir le Québec de l'obscurantisme et permettre à nos jeunes générations d'aspirer au même sommet que les anglophones et les mieux nantis de la société, historiquement favorisés par le système de l'époque. Bref, on veut donner une chance égale à tous alors qu'à cette époque au Québec, on le sait, tout le monde disait qu'on était né pour un petit pain.
Au-delà des réformes, c'est une véritable révolution des valeurs qui s'opère. Pour la première fois, on voit le Québec affirmer des principes assez nouveaux, comme la laïcité, l'égalité des chances, la primauté du savoir. Pour faire vivre ces principes, l'État prend le relais de l'Église dans toutes les sphères publiques. L'avenir de la société québécoise sera construit sur les valeurs qui nous sont chères et qui nous définissent. La Révolution tranquille ne s'est jamais vraiment terminée, mais certains pourraient dire qu'elle a atteint son point culminant dans les années 1970, quand une vive ferveur nationaliste s'est emparée du Québec. Les Québécoises et les Québécois se sont décomplexés. Ils se sont affirmés au point d'élire pour la première fois de leur histoire un gouvernement indépendantiste.
Le 15 novembre 1976, René Lévesque devient premier ministre du Québec en faisant élire 71 députés. En 1977, le gouvernement de M. Lévesque adopte la loi 101, la Charte de la langue française. Encore une fois, Guy Rocher partage sa sagesse, à ce moment, et sa plume avec Camille Laurin pour rédiger cette loi qui vise à faire du français la langue officielle du Québec, dans un contexte où déjà, l'anglicisation menaçait la survie culturelle des francophones du continent tout entier. La loi 101 devient le pilier de l'identité québécoise. Elle affirme que le français n'est pas seulement une langue, mais un vecteur de culture, de solidarité et de cohésion sociale.
On pourrait s'attendre à ce qu'une si belle émancipation de la société québécoise ait été soutenue et applaudie par nos voisins, mais non. Au contraire, l'affirmation identitaire se heurte à un mur de la part du Canada. Cela n'a pas pris trop de temps pour que la Cour suprême invalide des dispositions de la loi, notamment sur l'affichage unilingue en français au Québec. Le fédéral, qui n'en a que pour son modèle « bilingue » et multiculturel, considère que la loi 101 est une atteinte aux droits des anglophones.
Voilà une démonstration de la divergence profonde entre nos deux visions du vivre ensemble. Le Québec défend une langue commune pour favoriser l'intégration. Le Canada, lui, favorise la coexistence des langues et des cultures, dans un bouillon sans cohésion. Disons que le choc est brutal.
Puisque mes collègues auront abordé le sujet en long et en large, je me permets de sauter quelques épisodes de notre histoire, notamment le triste épisode du rapatriement de la Constitution, de la grande trahison de Jean Chrétien à l'endroit de René Lévesque, de l'arrogance de Pierre Elliott Trudeau qui n'aura, en fin de compte, jamais réussi à écraser sous sa botte méprisante les Québécoises et les Québécois, des crises constitutionnelles qui s'en sont suivies jusqu'au référendum volé de 1995, pour arriver à 2019, année de l'adoption par l'Assemblée nationale du Québec de la Loi sur la laïcité de l'État, la fameuse loi 21.
La loi 21 s'inscrit dans cette tradition de laïcisation amorcée lors de la Révolution tranquille. La loi 21 vise simplement à garantir la neutralité de l'État et à préserver un espace public commun, exempt de manifestations religieuses visibles, conformément au modèle de société choisi par les Québécoises et les Québécois.
Cependant, encore une fois, le Canada s'y oppose. Le gouvernement fédéral critique la loi et la qualifie de discriminatoire. Des groupes de défense des droits contestent la loi devant les tribunaux. Québec s'attendait à ça. Ce n'est pas pour rien que la disposition de dérogation a été invoquée.
Ce que ça montre, ce n'est rien de moins qu'une fracture idéologique. Le Québec défend une laïcité active où l'État impose des règles dans l'espace public. Le Canada, lui, privilégie une laïcité permissive où la liberté religieuse prime la neutralité.
Au fil des décennies, le Canada et le Québec ont développé des modèles de société de plus en plus divergents. Le modèle québécois est fondé sur la langue française comme ciment social. Il se définit par la laïcité de ses institutions étatiques. Il favorise l'interculturalisme, soit l'intégration autour des valeurs communes de la société québécoise, le français, l'égalité homme-femme, la laïcité, etc., et aspire à l'autonomie politique et culturelle.
Le modèle canadien, lui, se dit bilingue, malgré le fait qu'il soit outrageusement dominé par l'anglais. Il est multiculturaliste, centralisateur et il donne la priorité aux droits individuels plutôt que les valeurs collectives.
Ces différences ne sont pas seulement théoriques, elles ont aussi des conséquences concrètes sur les politiques d'immigration, d'éducation, de justice et de citoyenneté. Elles nourrissent des tensions constantes entre le Québec et le reste du Canada. Ce sont des oppositions qui traduisent une incompréhension fondamentale. Le Canada voit le Québec comme une province parmi les autres, alors que le Québec est une société et une nation distincte avec ses propres valeurs, sa propre histoire et sa propre trajectoire.
Les valeurs québécoises sont souvent perçues de l'extérieur comme rétrogrades ou exclusives, du moins dans le reste du pays. Pourtant, le Québec est simplement fidèle à son identité et à ses principes. On ne cherche pas à exclure, mais à rassembler autour d'un projet commun. La diversité, on ne la rejette pas, mais on l'inscrit dans un cadre cohérent.
De la Commission Parent à la loi 21, le Québec a entrepris une révolution tranquille, mais profonde. Il a redéfini ses valeurs, affirmé son identité et tenté de construire une société à son image. Tout au long du chemin, il s'est heurté à l'opposition constante du Canada, dont le modèle de multiculturalisme n'est simplement pas compatible avec les aspirations québécoises.
Cette opposition n'a pas freiné le Québec. Au contraire, elle a renforcé la volonté de se définir par lui-même. C'est parce qu'au fond, l'histoire des valeurs québécoises, c'est celle d'une nation qui aspire à être seule aux commandes de son destin. À ceux qui disent que les lois de l'Assemblée nationale qui protègent les valeurs québécoises vont trop loin, je les réfère au récent rapport de la Commission Pelchat‑Rousseau qui dit, au fil de ses 50 recommandations, qu'au contraire, on n'en fait pas assez. Les valeurs progressistes de la société québécoise ont besoin de plus de remparts. C'est à Québec qu'il appartient de les ériger. L'article 33 est un outil essentiel pour protéger le législateur québécois des manœuvres fédérales visant à brimer l'élan d'émancipation identitaire des Québécoises et des Québécois.
La Révolution tranquille ne s'est jamais vraiment terminée, mais certains pourraient dire qu'elle atteindra son point culminant quelque part après l'automne 2026, alors que les Québécoises et les Québécois boucleront enfin cette grande boucle à laquelle des géants ont contribué, les Lévesque, Laurin, Parent, Parizeau, Marois et tant d'autres, dont Guy Rocher, que j'ai eu le privilège de rencontrer le temps d'un repas en avril dernier. Guy Rocher m'a confirmé que, malgré les embûches, les années qui passent, la ferveur qui monte et qui descend, nos valeurs profondes et fondamentales ne se perdent jamais et ne perdent jamais leur raison d'être. Elles méritent qu'on s'y attache et qu'on se batte pour elles tant qu'il s'en trouvera pour les contester.
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Monsieur le Président, du plus loin qu'on puisse voir, le Québec veut un espace de liberté, le pouvoir d'exprimer sa différence et la capacité de faire ses propres choix.
Ce désir de liberté et de démocratie est la trame de fond qui a porté le mouvement des Patriotes, dans les années 1830, et la Révolution tranquille des années 1960. C'est ce désir de liberté et de démocratie qui a motivé les importantes réformes du gouvernement de René Lévesque, à compter de 1976, et, plus récemment, la loi 21, qui concerne la laïcité, et la loi 96, qui renforce la protection de notre langue française.
Le Québec, c'est un peuple, une langue, un territoire avec ses propres couleurs, une nation avec ses propres valeurs.
Pour certains, dont je suis, le seul espace de liberté qui nous convient est celui d'un pays; un État indépendant francophone en Amérique du Nord, qui donnerait aux Québécois les pleins pouvoirs pour diriger leur destinée; un Québec libre de négocier lui-même les traités qu'il signe avec les autres pays; un Québec libre de déterminer lui-même démocratiquement les directions de son développement; un Québec libre de protéger sa langue et de soutenir son économie.
Or, pour d'autres, le Québec peut s'accommoder d'évoluer au sein du Canada. Il y aurait, selon eux, dans l'ensemble canadien, assez d'espace pour la différence québécoise. Pour ces gens-là, la disposition de dérogation est précisément une preuve que le Canada peut permettre au Québec, parfois, d'affirmer sa différence. La disposition de dérogation, c'est un article de la Constitution qui permet à une province, ainsi qu'au gouvernement fédéral, d'adopter une loi sans permettre au juge de la réviser. On l'appelle aussi la disposition de souveraineté parlementaire, car elle permet à un Parlement de voter démocratiquement une loi qui ne pourra pas, par la suite, être invalidée ou annulée par des juges.
Cette disposition est limitée. Elle ne permet de déroger qu'à certains droits individuels de la Charte canadienne des droits et libertés, et elle n'est valide que pour cinq ans à la fois. Le gouvernement du Québec a invoqué la disposition de souveraineté parlementaire pour protéger de toute contestation la loi sur la laïcité de l'État. Depuis 1982, le Québec a utilisé cette disposition à de nombreuses reprises pour protéger des lois votées par l'Assemblée nationale du Québec. Il l'a utilisée pour protéger la langue française et l'identité nationale du Québec, mais, de façon générale, le Québec a aussi utilisé cette disposition pour promouvoir des droits collectifs et des objectifs de société. Par exemple, il l'a fait: pour donner des avantages à la relève agricole; pour favoriser l'emploi par le gouvernement de personnes issues de communautés sous-représentées; pour améliorer l'accès à la justice, avec la Cour des petites créances; pour protéger l'identité des jeunes à la Chambre de la jeunesse.
Toutes ces avancées sociales, souhaitées par le Québec, ne pouvaient être mises en avant à cause de droits individuels inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cette disposition de souveraineté parlementaire est donc un petit espace de liberté pour que s'exprime la démocratie québécoise. C'est une façon de résister à l'effet uniformisateur des tribunaux canadiens.
Pour René Lévesque, qui a subi la Nuit des longs couteaux lorsque le rapatriement de la Constitution a été négocié, cette disposition n'était pas suffisante. C'est pourquoi, même s'il y est soumis, le Québec n'a jamais adhéré à la Constitution de 1982. Cependant, pour plusieurs provinces canadiennes, cette disposition était le compromis qui rendait la Constitution acceptable.
Aujourd'hui, ce gouvernement libéral souhaite réduire ce petit espace de liberté démocratique. Il invite la Cour suprême à limiter l'utilisation qui peut être faite de la disposition de souveraineté parlementaire. Comme il n'a pas le courage de proposer une négociation avec les provinces, il demande aux juges de faire son travail. Il plaide que, sans de nouvelles limites, le Québec pourrait commettre de dangereux dérapages. Il y a là une vision extrêmement condescendante du Québec et ce n'est vraiment pas nouveau.
C'est ciblé contre les Québécois parce que, si le gouvernement libéral était vraiment préoccupé par le principe de dérogation à des droits fondamentaux, il commencerait par faire le ménage dans ses propres lois. Il faut bien le dire, la plupart des chartes des droits contiennent une disposition de dérogation. Celle du Québec en a une, celle de l'Alberta en a une, celle de la Saskatchewan en a une. Même la Déclaration canadienne des droits contient une disposition de dérogation. Elle est une charte des droits qui s'applique aux domaines de compétence du fédéral. Elle a été adoptée en 1960 sous le leadership de M. Diefenbaker et son article 2 est une disposition dérogatoire. Si le fédéral était tant préoccupé par la possibilité qu'il y ait des dérogations, il aurait pu commencer par modifier cette loi lui-même à la Chambre des communes.
Or, ce qui l'inquiète, ce ne sont pas vraiment les dispositions dérogatoires en général, mais plutôt la possibilité que la différence québécoise s'exprime. C'est pour ça qu'il ne souhaite que baliser la disposition de souveraineté parlementaire qui s'applique au Québec.
Pour bien prendre la mesure de ce qui se passe, revenons en arrière. Le 20 novembre 1981, lors des débats entourant l'adoption de la disposition de souveraineté parlementaire, le ministre libéral de la Justice de l'époque, M. Jean Chrétien, prit la parole à la Chambre:
La clause dérogatoire a pour but d'assurer suffisamment de souplesse pour que les assemblées législatives, plutôt que les juges, aient le dernier mot en ce qui a trait aux grandes questions d'intérêt public [...]
L'histoire du recours à la clause dérogatoire et le besoin de se donner une soupape de sûreté pour corriger les situations absurdes sans devoir obtenir des modifications à la constitution ont amené trois défenseurs des libertés civiles à favoriser l'insertion de la clause dérogatoire dans la charte des droits et libertés.
En conclusion, il est entendu que le compromis entre le premier ministre et neuf premiers ministres provinciaux [le Québec n'ayant pas adhéré à cela] conserve le principe de l'insertion d'une charte des droits et libertés complète et efficace dans la constitution. Aucun droit garanti dans la version originale de la charte n'est exclu du compromis. De fait, la charte a été améliorée puisqu'on pourra corriger des situations imprévues sans devoir apporter de modifications à la constitution. Pour ceux qui s'inquiètent encore de la clause dérogatoire, je leur rappelle que: “Le prix de la liberté est l'éternelle vigilance”.
Dans cette dernière phrase, M. Chrétien s'adressait peut-être à ceux qui forment aujourd'hui le gouvernement libéral.
Quarante ans plus tard, l'ancien premier ministre n'avait toujours pas changé d'idée. Le 19 avril 2017, il a déclaré à la CBC qu'il était favorable à la disposition de dérogation parce qu'il pensait qu'on en avait besoin et qu'on ne pouvait pas se reposer uniquement sur les tribunaux. Il disait que c'était la raison pour laquelle il était heureux qu'on ait une disposition de dérogation. Selon lui, les juges savent, lorsqu'ils les écrivent, que les gouvernements peuvent refuser un de leurs jugements.
Ce n'est pas tout. Je vais maintenant citer Pierre Elliott Trudeau, qui s'accommodait aussi fort bien de la disposition de dérogation:
Je dois avouer franchement que je ne crains pas vraiment la disposition de dérogation. On peut en abuser comme de toute chose, mais il suffit de se reporter à la Déclaration canadienne des droits adoptée par Diefenbaker en 1960; elle comporte une disposition de dérogation qui n’a pas fait grand scandale. Je ne crois donc pas que la disposition de dérogation nuise beaucoup à la Charte.
Il poursuivait:
C’est un moyen pour les assemblées législatives fédérale et provinciales de garantir que ce sont les représentants élus du peuple plutôt que les tribunaux qui ont le dernier mot.
Quand c'est rendu qu'on cite l'ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau et l'ex-premier ministre Jean Chrétien pour défendre l'autonomie des provinces, c'est que ça va mal. C'est que le désir centralisateur d'Ottawa atteint en ces temps des sommets inégalés.
Il faut prendre la mesure de ce qui se passe. Cette disposition, qui n'était pas suffisante pour convaincre le Québec de signer la Constitution de 1982, est maintenant trop importante pour qu'Ottawa la tolère. Cet espace de liberté démocratique pour le Québec est désormais une erreur historique que le fédéral souhaite corriger.
Plus le temps passe, plus le fédéral veut encarcaner le Québec. Ça vient à démontrer le réel état de la situation: le Canada travaille contre la différence québécoise, il ira toujours de plus en plus loin, il n'arrêtera jamais. Toutefois, le Québec, c'est un peuple, une langue et un territoire avec ses propres couleurs, une nation avec ses propres valeurs, et, un jour, j'en suis certain, une majorité de Québécois conviendront que le seul espace de liberté qui nous convienne, c'est celui d'un pays à nous.
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Monsieur le Président, je vais partager mon temps de parole avec le député de la circonscription .
Je prends la parole, aujourd'hui, en réponse à une motion demandant au gouvernement de se retirer complètement des litiges concernant le projet de loi 21. En fait, la motion voudrait que la Chambre convienne que le gouvernement du Canada, le gouvernement de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens d'un océan à l'autre, ne devrait pas participer à l'un des appels constitutionnels les plus importants de mémoire récente devant la Cour suprême.
Le présent pourvoi concerne directement la législation québécoise, certes, mais les questions juridiques qu'il soulève et que le procureur général du Canada a abordées sont d'un intérêt primordial et portent sur le rôle et l'importance de la Charte canadienne des droits et libertés dans notre système moderne de gouvernance. La Cour suprême doit déterminer ce que signifie l'utilisation de l'article 33 de la Charte par le Parlement fédéral ou un Parlement provincial.
L'article 33 de la Charte, connu sous le nom de disposition dérogatoire, n'a jamais été utilisé au fédéral. Aujourd'hui, j'aimerais parler davantage de certaines façons, les moins bien comprises, dont le gouvernement en vertu de la Charte favorise la bonne gouvernance et l'amélioration des politiques et des lois. Je le fais pour souligner les pratiques réfléchies qui pourraient être menacées si l'on permettait à l'utilisation de l'article 33 de devenir plus courante et moins taboue.
Ce que je veux dire aujourd'hui, c'est que la Charte impose une discipline essentielle à l'élaboration des politiques et des lois par le gouvernement. C'est une discipline qui serait perdue si le recours à l'article 33 devenait normalisé. Je vais expliquer.
Je m'explique. La Charte fait partie de la Constitution et la Constitution est la loi suprême du pays. Cela signifie que chaque loi et chaque mesure du gouvernement doit être conforme à la Charte. En tant que pays fondé sur des principes qui incluent la primauté du droit, les gouvernements doivent avoir à cœur la nécessité de veiller à ce que les mesures qu'ils prennent et les lois qu'ils proposent respectent la Charte.
Avant 1982, il ne fait aucun doute que les gouvernements étaient conscients de la valeur fondamentale d'un Canada libre et démocratique qui devait, en fin de compte, être enchâssée dans les droits et libertés garantis par la Charte. Après 1982, le respect de ces valeurs est devenu une question d'impératif constitutionnel.
Pour être clair, respecter les droits et libertés ne signifie pas de ne jamais les limiter. Les droits et libertés garantis par la Charte ne sont pas absolus. L'article 1 de la Charte prévoit expressément des limites, ce qui est très important, et garantit les droits et libertés, sous réserve des « limites raisonnables » prévues par la règle de droit dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Quelles sont ces limites raisonnables qui peuvent être imposées aux droits et libertés des Canadiennes et des Canadiens? En substance, la norme se résume en une série de questions d'une simplicité trompeuse.
L'objectif du gouvernement est-il suffisamment important pour justifier la limitation d'un droit? La limite est-elle un moyen rationnel d'atteindre cet objectif? En essayant d'atteindre l'objectif, la loi utilise-t-elle l'option qui cause le moins de tort au droit qui est limité? Enfin, si la réponse à chacune de ces questions est « oui », le préjudice global causé à l'exercice ou à la jouissance du droit en vaut-il la peine lorsqu'il est mis dans la balance avec les avantages de la mesure limitative des droits?
Si c'est le cas, nous considérons donc, au Canada, qu'une telle limite est raisonnable et, en supposant qu'un gouvernement soit bien armé avec des preuves, une logique et une raison à l'appui, qu'elle soit également manifestement justifiable.
Lorsque des répercussions potentielles sur les droits et libertés garantis par la Charte sont cernées dans le cadre du processus d'élaboration des politiques, les gouvernements doivent évaluer soigneusement si les limites aux droits et libertés sont raisonnables et peuvent être justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique du Canada.
Comme je l'ai souligné précédemment, cela nécessite de poser une série de questions qui, en fin de compte, portent sur le caractère raisonnable de ce qui est pris en compte.
Prenons la première question: l'objectif du gouvernement en proposant une loi est-il suffisamment important pour justifier la limitation d'un droit ou d'une liberté?
Cela peut empêcher les gouvernements de proposer des lois triviales ou simplement symboliques qui limiteraient les droits et libertés.
La deuxième question consiste à savoir si la façon proposée d'atteindre l'objectif du gouvernement est rationnelle ou, en d'autres termes, si c'est le bon outil pour le travail. Cela permet d'éviter de se fier, par exemple, au « bon sens » qui n'est peut-être pas fondé ou simplement informé. Ce n'est pas en disant que la sécurité publique sera renforcée en faisant une chose particulière qu'il en sera ainsi, surtout si le poids de la preuve démontre que ce n'est pas le cas. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, les solutions fondées sur des données probantes à certains problèmes sont contre-intuitives, et gouverner dans le respect des droits et libertés garantis par la Charte nous aide à en prendre conscience et à proposer des approches meilleures et plus efficaces.
La troisième question vise à déterminer s'il existe un autre moyen efficace d'atteindre les objectifs importants, tout en portant moins de tort aux droits ou à une liberté. Pour satisfaire à cette norme, il faut évaluer les différentes options disponibles pour faire avancer un objectif et choisir la plus raisonnable qui cause le moins de tort aux valeurs fondamentales du Canada et aux Canadiennes et aux Canadiens dont leurs droits et libertés seront limités.
Enfin, la dernière question porte sur la question de savoir si les avantages d'une loi proposée dans la réalisation d'un objectif important l'emportent sur les préjudices causés à l'exercice ou à la jouissance du droit et de la liberté. Il s'agit de l'évaluation ultime des coûts et des avantages, et elle doit être objective. Cet élément de la norme de l'article 1 empêche l'adoption de lois comportant des avantages marginaux et ayant des répercussions réelles sur les droits et libertés des Canadiens. Il ne tolère pas les lois qui ne tiennent pas compte des droits et libertés des personnes qui peuvent être impopulaires, comme les personnes accusées ou punies pour un crime, ou les lois qui ne tiennent pas compte des effets négatifs sur les membres d'un groupe minoritaire qui ont un pouvoir politique limité et une sympathie publique faible ou éphémère.
Je pense que tout le monde s'entend pour dire que les questions que la Charte nous oblige à poser lorsque nous envisageons une nouvelle loi sont bonnes et appropriées. Ces questions, ainsi que les réponses à celles-ci, sont posées et évaluées tout au long du processus d'élaboration des politiques, depuis la discussion initiale au sein d'un ministère des options pour résoudre un problème, jusqu'à l'examen des options par un cabinet, à la rédaction d'un projet de loi et, enfin, à l'étape la plus importante du débat et de l'adoption d'un projet de loi par le Parlement. Des réponses faibles à l'une ou à l'autre des questions posées devraient tirer la sonnette d'alarme et conduire à un examen plus approfondi et à l'examen de solutions de rechange.
Le fait d'avoir de bonnes réponses aux questions que la Charte nous oblige tous à nous poser nous mène à adopter des politiques plus réfléchies et à de meilleures lois pour les Canadiens. L'absence de bonnes réponses et la faiblesse des arguments et des preuves à l'appui d'une loi mal élaborée devraient amener le gouvernement à être tenu responsable de ses choix.
C'est ce dont nous devons nous inquiéter si l'utilisation de l'article 33 devient normalisée au Canada. Au lieu de lois mûrement réfléchies, bien raisonnées, logiques et fondées sur des données probantes qui limitent les droits et les libertés et qui sont assujetties à de solides freins et contrepoids sous la forme d'un contrôle judiciaire devant les tribunaux, le recours à l'article 33 élimine cette approche disciplinée de l'élaboration des lois. Le recours à l'article 33 peut équivaloir à une affirmation brute de pouvoir sur les droits et libertés des personnes au Canada qui s'oppose directement à la façon dont la gouvernance fédérale fonctionne depuis plus de 40 ans.
Bien que le Canada soit l'un des meilleurs pays au monde où vivre, nous sommes loin d'être parfaits. Nous avons commis de graves erreurs par le passé. Les préjugés et les angles morts sont inhérents aux êtres humains et aux institutions que nous créons et exploitons. Voici quelques exemples de ce que nous avons fait dans le passé: nous avons imposé une taxe d'entrée aux immigrants chinois, forcé des générations d'enfants autochtones à aller dans les pensionnats et, en 1939, refoulé des réfugiés juifs d'Allemagne à bord du MS Saint Louis. Il y en a peut-être quelques-uns qui continuent de croire à la justesse de toutes ces décisions, mais, en général, en tant que nation, nous sommes venus à les regretter et à nous excuser. La discipline que la Charte nous impose au gouvernement dans le processus décisionnel et législatif permet d'éviter que de telles tragédies ne se reproduisent au Canada.
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Monsieur le Président, aujourd'hui, j'ai le plaisir de m'exprimer sur les propos de la motion du député de , qui est mon voisin de circonscription.
Je veux d'entrée de jeu rappeler à la Chambre que la question soulevée par cette motion n'est pas anodine. Elle touche à l'un des piliers de notre démocratie, la Charte canadienne des droits et libertés, qui s'applique à l'ensemble des Canadiens et Canadiennes. Elle soulève aussi des préoccupations fondamentales liées à l'interprétation et à l'utilisation de la disposition de dérogation, une disposition exceptionnelle de notre Constitution.
Notre présence devant la Cour suprême ne vise pas à rouvrir de vieux débats. Elle ne vise aucunement à opposer le Canada aux provinces ni à remettre en question leurs compétences législatives. Notre participation dans cet appel vise à remplir un devoir constitutionnel important du gouvernement fédéral: défendre la primauté du droit, assurer la cohérence de notre Constitution et protéger les droits et libertés que nous partageons tous comme citoyens de ce pays.
Il n'y a rien d'anormal ou d'inattendu dans la participation du Canada à l'appel interjeté par la Commission scolaire English‑Montreal. En soutenant la Cour suprême dans ce dossier, le gouvernement fait tout simplement ce qu'il a toujours fait et fera toujours, c'est-à-dire défendre tous les Canadiens et Canadiennes, ce qui est notre responsabilité et notre privilège.
Avant d'entrer dans le détail de l'affaire qui nous occupe, j'aimerais rappeler le cadre institutionnel dans lequel s'inscrit l'intervention du gouvernement fédéral devant la Cour suprême. Lorsque la Cour est saisie de questions constitutionnelles et de questions relatives à la Charte, les règles prévoient qu'un avis doit être donné au procureur général du Canada et aux procureurs généraux des provinces. Dans ces circonstances, les procureurs généraux fédéral et provinciaux ont le pouvoir d'intervenir de plein droit.
Le procureur général du Canada est fréquemment appelé à agir comme intervenant devant la Cour suprême. Cela ne devrait pas être surprenant. Pour défendre l'intérêt public, le procureur général doit avoir la possibilité de participer à ces affaires qui soulèvent d'importantes questions constitutionnelles, en veillant à ce que la constitutionnalité des lois soit pleinement et correctement débattue devant les tribunaux.
Ce rôle contribue au maintien de la primauté du droit, veille à ce que les mesures prises par le gouvernement respectent les limites fixées par la Constitution et la Charte et, en fin de compte, veille à ce que les droits et les intérêts de tous les Canadiens et Canadiennes soient protégés.
J'aimerais insister sur le rôle particulier d'un intervenant devant la Cour suprême. En tant qu'intervenant, l'objectif principal du Canada est d'apporter une contribution significative à la résolution des questions juridiques complexes qui entraînent des conséquences importantes pour tous les Canadiens et Canadiennes. Le gouvernement ne cherche pas à plaider en faveur d'un résultat particulier ni à prendre position sur la validité de la loi provinciale en litige. Il vise plutôt à appuyer la Cour en offrant un point de vue utile et distinct sur les questions juridiques à l'étude, fondé sur ses responsabilités constitutionnelles et sa capacité de fournir une perspective nationale et fédérale sur les questions dont la Cour est saisie.
Par exemple, en tant que gouvernement national, le Canada a un intérêt important à ce que la Constitution, la loi suprême du pays, soit interprétée et appliquée de manière uniforme dans l'ensemble du pays. En tant que gouvernement national, le Canada a également intérêt à promouvoir et à protéger l'unité nationale, un rôle fondé sur le principe du fédéralisme.
De plus, en tant que gouvernement national, nous avons un intérêt évident dans les droits et libertés de tous les citoyens, quel que soit leur lieu de résidence. Le procureur général du Canada a un rôle important à jouer pour veiller à ce que les droits des minorités soient respectés de manière uniforme dans l'ensemble de la fédération.
La Cour suprême du Canada a clairement indiqué, notamment dans le renvoi relatif à la sécession, que le respect des minorités fait partie des principes sous-jacents de la Constitution canadienne. Ce principe, ainsi que le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, constitue le fondement du cadre constitutionnel du Canada.
Comme on le sait, ce gouvernement a fait preuve d'un engagement indéfectible à défendre les droits des minorités linguistiques partout au Canada.
J'aimerais maintenant illustrer comment ces principes s'appliquent concrètement à l'affaire qui nous préoccupe aujourd'hui, soit celle concernant la Commission scolaire English‑Montreal et d'autres appelants. Nous avons toujours indiqué que, compte tenu des questions d'importance nationale que cette affaire soulève, nous serions là, devant la Cour suprême du Canada, pour défendre la Charte. C'est exactement ce que nous faisons aujourd'hui.
Pour être clair, de nombreuses questions sur la façon dont la Constitution est interprétée ou appliquée sont en jeu dans cette affaire. En outre, plusieurs provinces, à part le Québec, ainsi qu'une quarantaine d'organismes, interviennent déjà dans ce dossier, chacun présentant ses propres arguments sur ces questions. C'est, à mes yeux, la meilleure preuve qu'il s'agit d'un débat d'importance majeur pour notre pays et notre fédération.
C'est pourquoi ce gouvernement a indiqué son intention d'intervenir dans cette affaire en mars dernier et qu'il a maintenant soumis son mémoire à la Cour suprême le 17 septembre dernier. Par ce geste, nous faisons entendre la voix du gouvernement du Canada dans un débat qui touche directement à l'interprétation et à l'avenir de la Charte.
Cette affaire ne se limite pas aux questions immédiates portées devant la Cour. Elle touche aux libertés et aux droits fondamentaux, ainsi qu'à l'interprétation et à l'application de la Charte. En ce sens, je tiens à préciser que les représentations du procureur général du Canada ne portent pas sur la Loi sur la laïcité de l'État. Elles portent exclusivement sur la bonne interprétation de la Charte. La décision de la Cour suprême déterminera la manière dont les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient invoquer la disposition de dérogation dans les années à venir.
Le procureur général du Canada est fermement résolu à participer à ces importantes discussions nationales, qui pourraient avoir des répercussions sur tous les Canadiens et Canadiennes. Pour cette raison, le gouvernement ne se retirera pas de ce débat devant la Cour suprême. Ce serait manquer à son devoir de défendre la Charte et de contribuer au maintien d'un cadre constitutionnel clair et cohérent pour tout le pays.
Il est dans l'intérêt de la Cour, du public et de la Constitution que le gouvernement contribue à ce débat, en particulier en ce qui concerne l'interprétation de l'article 33. Comme il l'a déjà affirmé, ce gouvernement est très préoccupé par le recours accru à la disposition de dérogation, c'est-à-dire l'article 33 de la Charte. Le premier mot ne devrait pas être le dernier dans le dialogue entre les Parlements et les tribunaux.
On observe, à l'échelle du pays, un recours de plus en plus fréquent à la disposition de dérogation par les Parlements. Nous avons entendu les Canadiens exprimer leurs préoccupations quant au bien-fondé de tels recours à la disposition de dérogation. Je le répète, notre rôle est de fournir à la Cour des observations utiles sur l'interprétation d'une disposition de la Constitution, en l'occurrence, la disposition de dérogation.
C'est une contribution qui vise à renforcer le débat, non pas à cibler une province ou à contester sa capacité de légiférer. Nous respectons les champs de compétence des provinces, y compris ceux du Québec, mais respecter ne veut pas dire se taire. Quand une question touche l'interprétation de la Charte, il est normal, même essentiel, que le gouvernement du Canada se fasse entendre.
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Monsieur le Président, je vous indique que je partagerai mon temps de parole avec mon collègue le député de .
Je suis vraiment heureuse de prendre la parole aujourd'hui en cette journée de l'opposition du Bloc québécois. En effet, quand on s'engage en politique, on a des valeurs que l'on souhaite défendre. On souhaite défendre ses concitoyens et, dans mon cas, fière députée du Bloc québécois, je tiens à défendre le Québec. C'est vraiment ce dont il est question aujourd'hui.
Je rappelle la motion. Le Bloc québécois demande ce qui suit:
Que la Chambre: a) demande au gouvernement de se retirer complètement de la contestation judiciaire de la loi sur la laïcité de l'État du Québec en Cour suprême; b) demande au gouvernement de retirer son mémoire déposé le 17 septembre 2025 à la Cour suprême contestant le droit du Québec de se prévaloir de la clause de dérogation; c) dénonce la volonté du gouvernement d'utiliser la Cour suprême pour enlever des pouvoirs constitutionnels au Québec et aux provinces.
Je tenais à représenter la motion, parce que j'ai entendu les discours depuis ce matin et j'ai l'impression qu'on dit que ce n'est pas important, que c'est un détail, qu'il y a d'autres sujets qui devraient être discutés; or, on parle ici de la nation québécoise en elle-même. On parle d'une attaque à la nation québécoise. N'en déplaise à ce que mon collègue plus tôt a dit, soit qu'on n'attaque pas du tout la loi 21, mais plutôt la disposition de dérogation, c'est le Québec qu'on est en train d'attaquer.
Je rappellerai à mon collègue que ce n'est pas la première fois que la disposition de dérogation est utilisée par le Québec. Elle a été utilisée à plusieurs reprises depuis qu'elle existe — à 41 reprises, pour être exacte. Depuis toutes ces années, l'utilisation de la disposition de dérogation n'est pas contestée, mais, au moment où on parle de laïcité de l'État, où on parle de l'identité même de la nation québécoise et de ses valeurs, on décide de se poser la question sur la légitimité, la validité et l'intention d'utiliser cette disposition de dérogation pour défendre un projet de loi dûment voté à l'Assemblée nationale du Québec. Donc, c'est vraiment une attaque frontale. C'est vraiment une attaque idéologique. C'est le même programme que celui de l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, du plus récent premier ministre, et même du actuel. On essaie de nous dire depuis le mois de mars dernier que ce n'est plus le même gouvernement et que c'est un autre gouvernement, mais le programme est tout le temps le même. On poursuit aujourd'hui la même volonté de Trudeau père, qui s'est transformée, muée en post-nation avec notre ancien premier ministre M. Trudeau fils, et maintenant avec le gouvernement actuel. Il n'y a absolument rien qui a changé.
J'ai parlé de l'identité. Évidemment, le gouvernement du Québec l'a invoquée à plusieurs reprises, notamment pour la langue, ainsi que pour des questions sociales. Ce sont des sujets qui distinguent le Québec du Canada et qui font que nous sommes qui nous sommes. Nous voulons adopter les lois qui sont les nôtres parce qu'elles nous définissent comme société et qu'elles définissent les projets que nous avons comme nation.
Outre la question de l'identité, il y a notre démocratie qui est en jeu. On a encore un gouvernement moralisateur qui va nous percevoir d'une certaine hauteur qu'il se donne lui-même pour juger de ce qui est bon ou pas pour le Québec. Pourtant, le Québec est souverain pour ce qui est d'adopter ses propres lois; pensons à la loi 96, en matière de langue, ou à la loi 21, en matière de laïcité. Je crois que ce n'est pas seulement le Québec que cela inquiète. Oui, je défends le Québec, mais je parlais de démocratie. C'est également ce que nous souhaitons défendre ici aujourd'hui.
Plusieurs provinces canadiennes ont appuyé le Québec parce qu'elles voient aussi que la souveraineté dans leur propre assemblée est menacée par une volonté — encore une fois, paternaliste — du gouvernement fédéral, qui décide de ce qui est bon pour les provinces et le Québec. C'est vraiment une question qui déborde le sujet de la laïcité, parce qu'on a le fond et on a la forme. Le fond demeure un prétexte pour attaquer le Québec, mais, pour ce qui est de la forme, ça demeure aussi une raison pour attaquer la démocratie et les droits qu'ont l'ensemble des provinces et le Québec en vertu de la Constitution.
D'ailleurs, cette crainte du gouvernement fédéral, que manifeste le procureur général du Canada en déposant son mémoire, est une attaque sur la forme. On parle de la disposition de dérogation en soi, mais aussi de la façon même de faire du gouvernement fédéral, qu'on a dénoncée à plusieurs reprises parce qu'il n'est pas capable d'y aller de front et qu'il fait vraiment des détours pour attaquer le Québec. Je trouve immonde — oui, c'est le premier mot qui me vient à l'esprit — le fait qu'il décide d'utiliser l'argent des contribuables du Québec contre eux. Nos lois sont légitimes, elles ont été votées par nos assemblées nationales.
Je vois des députés du Québec à la Chambre, comme mon collègue qui a parlé plus tôt, qui n'osent pas dire s'ils sont en faveur ou non de la loi 21, une loi dûment votée par le Québec. J'aurais envie d'ajouter que ce qu'il disait, qu'il soit pour ou contre, c'est que, pour lui, son assemblée nationale n'est pas légitime et ne peut même pas voter ses propres lois. J'ai une grande difficulté à ce sujet. Une autre députée du gouvernement a dit qu'il y a présentement plus de députés libéraux que de députés bloquistes. J'aimerais que les députés libéraux — parce qu'au-delà de ça, nous sommes des députés du Québec — puissent eux aussi défendre le Québec. On a beau avoir des députés libéraux à la Chambre, je pense qu'on a un problème s'ils décident que, pour eux, leur assemblée nationale n'est pas légitime. On voit où logent les députés du Québec du parti du gouvernement.
À ce moment-ci du débat, je souhaite rappeler que ce n'est pas parce qu'on est un député du Québec qu'on défend le Québec et qu'on défend notre assemblée nationale. Pour moi, selon ce que j'ai entendu du débat jusqu'ici, il y a seulement les députés du Bloc québécois qui défendent bec et ongles l'Assemblée nationale du Québec, et donc le Québec. J'aimerais entendre mes collègues de l'autre côté de la Chambre se dédire à ce sujet s'ils le souhaitent, parce que ce n'est pas ce que j'entends depuis le début du débat.
Enfin, j'aimerais aussi que le gouvernement élargisse ses perspectives. Il se dit multiculturaliste, ouvert et postnational, comme je l'ai dit tout à l'heure, mais il devrait aller voir aussi ce qui se fait ailleurs, tant sur la forme, comme les dispositions dérogatoires ou les outils démocratiques dont les Parlements peuvent se servir, que sur le plan du contenu. Quand on regarde ce qui se fait dans l'Union européenne, par exemple, on voit que plusieurs pays se servent de ces outils et ils se font confiance. Le gouvernement fédéral conteste un outil de sa propre Constitution devant les tribunaux, ce qui est quand même incroyable. On est capable d'utiliser cet outil, comme le font d'autres États. C'est la même chose pour ce qui est du contenu. Quand on parle de la loi 21 et de ce qui concerne les signes religieux, d'autres États, tels que l'Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique, ont des dispositions de fond en la matière. Pourtant, je n'ai pas entendu le gouvernement fédéral dire qu'ils sont antidémocratiques, qu'ils utilisent peut-être ou remettent sur pied des pelotons d'exécution, ou encore qu'ils rétablissent l'esclavage.
Je pense donc que le gouvernement libéral devrait être en mesure de le dire à la face du monde. Je pense également que le Québec va être aussi libre que ces nations qui se sont dotées de dispositifs tels que la disposition de dérogation, et, bien sûr, sur des sujets légitimes qui concernent leur propre assemblée nationale.