ENSU Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
[ Introduction ] [ Contexte ] [ La Nouvelle Initiative d'Harmonization ] [ Préoccupation des Témoins ] [ Recommandations ]
En 1993, les ministres de l’Environnement du Canada, par l’entremise de leur tribune intergouvernementale, le Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME)(1), ont établi que l’harmonisation de la gestion de l’environnement au Canada constituait une priorité. Puis, sous la direction du CCME, l’Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale a été préparé et il a été approuvé en principe par les ministres de l’Environnement le 20 novembre 1996.
L’Accord se veut une entente multilatérale globale fournissant un cadre en vue de l’harmonisation de la gestion de l’environnement au Canada. Il présente une vision des tâches à accomplir et énonce les objectifs et principes devant guider l’élaboration d’ententes auxiliaires sur divers aspects précis de la gestion de l’environnement.
Trois ententes auxiliaires ont été préparées jusqu’à maintenant, soit l’entente auxiliaire sur les standards, l’entente auxiliaire sur les inspections et l’entente auxiliaire sur l’évaluation environnementale. Ces ententes auxiliaires, de même que l’Accord, doivent être ratifiés lors de la prochaine réunion du CCME, présumément au début de 1998. Sept autres ententes auxiliaires doivent également être préparées et ratifiées au cours des trois prochaines années.
Le Comité a tenu des audiences sur l’initiative d’harmonisation du CCME entre le 20 et le 29 octobre 1997. Nous avons entendu un large éventail de témoins dont des représentants des milieux des affaires, des industries, des syndicats, des groupes environnementaux, des peuples autochtones, du CCME ainsi que des fonctionnaires. À partir de ces témoignages, le Comité est heureux de présenter le rapport qui suit.
La Constitution canadienne n’attribue pas explicitement la responsabilité de l’environnement au Parlement fédéral ou aux assemblées législatives provinciales. Les deux paliers de gouvernement ont donc pris des mesures dans ce domaine, en se fondant principalement sur des compétences précises qui sont liées d’une quelconque façon à l’environnement. Parmi les compétences fédérales relatives à l’environnement, notons les pouvoirs du Parlement concernant les pêches côtiêres et intérieures, les terres fédérales et les réserves indiennes, les eaux navigables, le commerce interprovincial et international, le droit criminel de même que son pouvoir général d’adopter des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada.
Pour leur part, les pouvoirs des provinces d’adopter des lois environnementales sont fondés principalement sur leur compétence concernant la propriété et les droits civils, les travaux et entreprises d’une nature locale, ainsi que la propriété et la gestion des ressources naturelles se trouvant sur leur territoire.
Au sein de ce cadre constitutionnel, les deux paliers de gouvernement ont au cours des années pris diverses mesures législatives pour protéger et gérer l’environnement. Selon un article de Kathryn Harrison(2), les relations intergouvernementales étaient plutôt harmonieuses du début des années 70 à la fin des années 80. Le gouvernement fédéral a établi un nombre limité de normes nationales de concert avec les provinces, et il a mené des recherches sur des problèmes environnementaux et des techniques de lutte contre la pollution. Les provinces ont de leur côté joué un rôle prépondérant dans la protection de l’environnement : elles ont établi leurs propres normes, surveillé les sources de pollution et pris les mesures voulues pour faire appliquer tant leur réglementation que la réglementation fédérale.
Ces relations harmonieuses ont commencé à se détériorer à la fin des années 80. Encouragé par des sondages indiquant que le public s’inquiétait sans cesse davantage au sujet de l’environnement et qu’il appuyait de plus en plus les interventions fédérales, le gouvernement fédéral a décidé de jouer un rôle plus actif. Il a adopté la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) en 1988, qui lui a donné de vastes pouvoirs pour réglementer les substances toxiques et d’autres polluants. Les provinces les plus peuplées s’étaient en particulier opposées à cette loi en soutenant que ce renforcement du rôle fédéral équivaudrait au mieux, à établir des chevauchements inutiles et au pire, à créer des possibilités de conflit entre les stratégies fédérale et provinciales. Pour dissiper les inquiétudes des provinces, le projet de loi a été modifié afin de prévoir des «accords d’équivalence» qui suspendraient l’application de la réglementation fédérale et permettraient l’application de mesures provinciales «équivalentes».
Selon Harrison, le Plan vert préparé par le gouvernement fédéral a constitué une autre pomme de discorde. Se plaignant qu’elles étaient insuffisamment consultées, certaines provinces craignaient que le gouvernement fédéral s’ingère dans leurs programmes environnementaux et, ce qui est plus important, dans leurs économies. Même si ces craintes se sont révélées non fondées lorsque le Plan vert a été publié en décembre 1986, de nombreuses provinces sont demeurées mécontentes de ne pas avoir été suffisamment consultées durant sa rédaction.
Les évaluations de l’impact environnemental ont également constitué une source de tension fédérale-provinciale. En 1989, la Cour fédérale du Canada a obligé le gouvernement fédéral à procéder à une évaluation environnementale du projet de barrage Rafferty-Alameda en Saskatchewan, conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (PEEE)(3). Dans une décision similaire rendue en 1992, la Cour suprême du Canada a forcé le gouvernement fédéral à réaliser une évaluation environnementale du projet de barrage sur la rivière Oldman en Alberta, la Cour précisant que le Décret sur les lignes directrices visant le PEEE avait force de loi et devait être respecté dans tous les cas où il s'appliquait(4).
Certaines provinces ont réagi avec colère à ce qu’elles jugeaient être une autre intrusion du gouvernement fédéral dans un domaine relevant de leur compétence, et elles ont exhorté le gouvernement à modifier le Décret sur les lignes directrices visant le PEEE de manière à adopter un libellé plus discrétionnaire. Comme le gouvernement fédéral s’inquiétait qu’une telle mesure soit interprétée par tous comme une fuite devant ses responsabilités, il a plutôt choisi de présenter une nouvelle loi fédérale sur l’évaluation environnementale. Il a ainsi adopté la Loi canadienne sur I'évaluation environnementale en juin 1992 (elle est entrée en vigueur en janvier 1995). Cette nouvelle loi n’a toutefois pas réussi à apaiser les provinces puisqu’elle prévoyait toujours des évaluations environnementales fédérales pour des projets précis, notamment les projets recevant des fonds fédéraux et les projets nécessitant des approbations fédérales, comme cela devait être précisé dans la réglementation.
L’adoption de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale a conclu ce que Harrison a décrit comme la première des trois plus récentes phases des relations intergouvernementales dans le domaine de l’environnement. Voici ce qu’elle a écrit à ce sujet :
L’adoption de la LCEE mettait ainsi un terme à la première des trois plus récentes phases des relations intergouvernementales dans le secteur de l’environnement. Durant cette période, les relations fédérales-provinciales étaient caractérisées par l’unilatéralisme, les deux paliers de gouvernement cherchant à réagir aux exigences de plus en plus grandes du public en matière de protection de l’environnement. Il faut toutefois souligner que c’est l’unilatéralisme fédéral qui était nouveau et de plus en plus controversé, puisque les provinces étaient depuis longtemps actives et passablement autonomes dans le domaine de l’environnement(5).
La seconde phase, qui a chevauché la première, avait comme objectif de coordonner les programmes environnementaux fédéraux et provinciaux dorénavant distincts. Elle s’est amorcée par la revitalisation d’une tribune intergouvernementale, l’ancien Conseil canadien des ministres des ressources et de l’environnement, qui a été rebaptisé le Conseil canadien des ministres de l’environnement en 1989-1990 et déménagé à Winnipeg en même temps qu’il était doté d’un budget et d’un personnel beaucoup plus important.
Considéré par certaines provinces comme une solution de rechange «nationale» à l’action «fédérale», le CCME est devenu une tribune pour l’action concertée. Il a adopté la Déclaration du CCME sur la collaboration intergouvernementale en matière d’environnement en 1990, ce qui annonçait des consultations et une coopération entre les gouvernements. Au cours des années qui ont suivi, il a parrainé un certain nombre de programmes nationaux, notamment le Plan de gestion pour les NOX/COV, le Protocole national sur l’emballage, le Programme national d’assainissement des lieux contaminés, le Plan d’action national pour la réduction des CFC, les Recommandations pour la qualité des eaux au Canada et le Plan d’action national pour encourager l’économie d’eau potable. En prévision de la conclusion d’ententes fédérales-provinciales plus spécifiques, le CCME a aussi élaboré des modèles d’ententes bilatérales dans le secteur des équivalences, de l’administration et de l’évaluation environnementale.
Selon Harrison, la différence cruciale entre la première et la seconde phase réside dans une certaine acceptation par les provinces de l’intervention du gouvernement fédéral dans ce domaine. Voici ce qu’elle écrit à cet égard :
Les efforts déployés par les provinces pour devancer l’ingérence fédérale ont été remplacés au début des années 90 par des tentatives de blocage de l’unilatéralisme et de promotion de la coordination des activités fédérales et provinciales par l’entremise d’ententes officielles(6).
La seconde phase, qui a donc été caractérisée par l’émergence d’un grand nombre d’accords bilatéraux et multilatéraux, a été suivie d’une troisième phase, celle de l’harmonisation. En effet, en novembre 1993, les ministres de l’Environnement ont fait de l’harmonisation de la gestion de l’environnement au Canada la priorité du CCME. Cette «initiative d’harmonisation», comme on l’a appelée par la suite, représentait une réorientation importante par rapport aux initiatives antérieures. Plutôt que d’accepter implicitement les chevauchements dans la gestion et la protection de l’environnement comme c’était le cas avec la Déclaration du CCME sur la collaboration intergouvernementale en matière d’environnement, cette initiative mettait l’accent sur l’élimination des chevauchements et doubles emplois.
La Déclaration sur la collaboration intergouvernementale en matière d’environnement et les accords bilatéraux subséquents constituaient des initiatives des provinces, mais l’initiative d’harmonisation a pu voir le jour à la suite de ce que les fonctionnaires fédéraux et provinciaux ont décrit comme un changement d’orientation «radical» de la part du gouvernement fédéral. En effet, à l’été de 1993, les fonctionnaires fédéraux, sous la direction d’un nouveau ministre et sous-ministre du gouvernement Campbell, ont signalé à leurs homologues provinciaux travaillant au sein du CCME qu’ils étaient dorénavant résolus à éliminer les chevauchements qui étaient apparus au cours des dernières années et à travailler avec eux afin de rationaliser les responsabilités fédérales et provinciales dans ce domaine(7).
L’initiative d’harmonisation a été officiellement lancée en mai 1994 avec la publication par le CCME du document Rationalisation du régime de gestion de l’environnement. Ce document préconisait l’élaboration d’un nouveau cadre de gestion pour l’environnement du Canada, un cadre qui serait fondé sur la coopération et une définition efficace et efficiente des rôles et responsabilités de chacun des intervenants, et qui assurerait une protection de l’environnement uniforme et de haut niveau.
En mai 1995, les fonctionnaires ont soumis un projet d’entente complet aux ministres de l’Environnement. Celui-ci comprenait un accord principal, l’Entente-cadre pour la gestion de l’environnement, et 11 annexes portant sur les responsabilités fonctionnelles qui suivent :
- la surveillance;
- la conformité;
- l’évaluation environnementale;
- les accords internationaux;
- les lignes directrices, objectifs et normes;
- les politiques et lois;
- l’éducation relative à l’environnement et les communications;
- l’intervention en cas d’urgence environnementale;
- la recherche et le développement;
- les rapports sur l’état de l’environnement;
- la prévention de la pollution.
Le texte définitif de l’entente-cadre et 10 des 11 annexes ont été rendus publics en octobre 1995. L’annexe proposée sur l’évaluation environnementale n’a pas été publiée à ce moment-là même si une version préliminaire avait été diffusée plus tôt.
Le projet d’entente a reçu un accueil mitigé. Les industries et milieux d’affaires étaient pour la plupart d’accord tandis que les groupes environnementaux et autochtones étaient pour la plupart mécontents. À la suite des ateliers tenus à Toronto et Edmonton, et après l’étude des mémoires reçus des parties intéressées, le CCME a établi une liste de préoccupations fondamentales mentionnées par tous les principaux groupes au sujet de l’entente, liste qui comprenait les éléments suivants :
- l’imputabilité : la nécessité de se doter de mécanismes clairs et efficaces et la crainte que le projet d’entente pourrait contribuer à former un «troisième palier de gouvernement» qui minerait l’accès du public au processus législatif et réglementaire;
- la transparence : la nécessité d’intégrer le public dans les négociations et l’application de l’entente;
- les parties à l’entente : l’inquiétude face à l’absence du Québec à la table des négociations et la nécessité de définir le rôle des peuples autochtones;
- le rôle du gouvernement fédéral : la nécessité de confier au gouvernement fédéral un rôle de leadership et de coordination appropriés;
- la prise de décision : la nécessité de définir des mécanismes de prise de décision et de règlement de conflit qui permettent d’éviter l’immobilisme et l’application du principe du plus petit dénominateur commun;
- la capacité et les ressources : les intervenants craignent que certaines provinces soient incapables de respecter leurs engagements, et la nécessité de transférer les ressources nécessaires avant de modifier le régime de gestion(8).
À la fin, les ministres de l’Environnement n’ont pas approuvé le projet et il a été mis de côté. À la réunion du CCME tenue en mai 1996, les ministres ont toutefois modifié leur stratégie et demandé l’élaboration d’une nouvelle entente qui inclurait des objectifs et principes favorisant une gestion efficace de l’environnement. Ils ont également convenu d’élaborer des ententes auxiliaires multilatérales portant sur l’inspection, l’évaluation environnementale et l’établissement de standards afin de démontrer comment les principes de la nouvelle entente seraient appliqués. M. Norman Brandson, sous-ministre de l’Environnement du Manitoba, nous a expliqué pourquoi la première initiative d’har-monisation s’est révélée un échec et pourquoi il fallait élaborer une deuxième entente :
Nous avons peut-être vu trop grand. En essayant de tout faire à la fois, en voulant détailler l’accord-cadre et la multitude d’annexes, on a eu de plus en plus de mal à dégager un consensus. Si bien qu’en mai 1996, les ministres ont ordonné à leurs fonctionnaires de préparer un accord d’harmonisation plus simple que l’accord- cadre précédent, qui stipulait plus clairement l’objectif de l’harmonisation, c’est-à-dire améliorer le système actuel pour parvenir au plus haut degré de qualité environnementale au pays. Cela a permis d’écarter les principales inquiétudes soulevées lors des nombreuses consultations sur l’accord-cadre antérieur et de nous concentrer sur un petit nombre des secteurs prioritaires où il était possible d’enregistrer rapidement des progrès(9).
Une seconde proposition, l’Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale, a donc été préparée et présentée aux ministres de l’Environnement. Cet accord a reçu l’approbation de principe du CCME lors d’une réunion tenue en novembre 1996. Le texte provisoire de l’Accord, de même que les ébauches des trois premières ententes auxiliaires (sur l’évaluation environnementale, les inspections et les standards) ont été finalisés et présentés aux ministres pour ratification en mai 1997. Cette première échéance pour la signature a été tout d’abord reportée aux 4 et 5 novembre 1997 avant d’être remise à plus tard une deuxième fois.
LA NOUVELLE INITIATIVE D’HARMONISATION
La nouvelle initiative d’harmonisation comprend actuellement une entente principale et les trois ententes auxiliaires susmentionnées sur les inspections, les standards et l’évaluation environnementale.
A. L’Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale
L’Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale énonce tout d’abord une vision précisant que les gouvernements souhaitent travailler en partenariat en vue d’assurer à l’ensemble de la population canadienne l’environnement le plus sain possible. L’Accord a comme but de fournir un cadre de travail et des mécanismes qui permettront de réaliser cette vision et d’orienter l’élaboration des ententes auxiliaires, tandis que ses objectifs sont d’améliorer la protection de l’environnement, de promouvoir le développement durable et d’accroître l’efficacité, l’efficience, l’imputabilité, la prévisibilité et la clarté de la gestion de l’environnement relativement aux questions d’intérêt pancanadien. Ces objectifs doivent être atteints par les moyens suivants :
- utiliser une approche coopérative, élaborer et mettre en oeuvre des mesures environnementales cohérentes pour l’ensemble des gouvernements incluant des politiques, standards, objectifs, lois et règlements;
- circonscrire les rôles et responsabilités respectifs du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires à l’intérieur d’un partenariat pour la gestion de l’environnement, tout en s’assurant que les responsabilités et rôles spécifiques seront généralement assumés par un seul ordre de gouvernement;
- revoir et modifier les régimes de gestion de l’environnement au Canada en fonction des besoins environnementaux, des innovations, de l’expertise et des capacités, et prendre des mesures pour remédier aux lacunes et aux faiblesses dans les activités de gestion de l’environnement;
- prévenir le chevauchement des activités et les conflits intergouvernementaux.
L’Accord énonce ensuite une série de principes devant guider tous les gouvernements dans la gestion de l’environnement, notamment travailler en collaboration avec les Autochtones et leurs structures de décision, et prendre les décisions en vertu de l’Accord par consensus. Il préconise également la préparation d’ententes auxiliaires multilatérales sur des aspects précis de la gestion de l’environnement ou des dossiers environnementaux. Ces ententes auxiliaires pourraient être complétées par des ententes de mise en oeuvre régionales ou bilatérales, et devraient permettre l’adoption d’un guichet unique pour la mise en oeuvre des mesures environnementales.
L’Accord stipule que les divers rôles et responsabilités seront assumés par le gouvernement «le mieux placé» pour s’en acquitter avec efficacité, et il précise une liste non exhaustive de critères à prendre en considération pour porter ce jugement. Parmi les autres éléments clés de l’Accord, notons :
- lorsqu’un gouvernement a accepté de remplir certaines obligations et assume un rôle, l’autre ordre de gouvernement ne doit pas intervenir dans ce rôle pour la durée précisée dans l’entente auxiliaire pertinente;
- si un gouvernement se trouve dans l’incapacité de remplir les obligations qu’il a contractées en vertu de l’Accord, les gouvernements intéressés devront élaborer un plan alternatif, normalement dans un délai de six mois, afin d’éviter l’apparition de lacunes dans le régime de gestion de l’environnement;
- dans les domaines où les gouvernements n’ont pas pu parvenir à un consensus sur une approche pancanadienne, chaque gouvernement est libre d’intervenir dans les limites de sa compétence;
- lorsque des rôles et des responsabilités spécifiques seront attribués à un ordre de gouvernement en vertu d’une entente auxiliaire ou d’une entente de mise en oeuvre, l’autre ordre de gouvernement devra revoir et chercher à modifier au besoin ses politiques et lois;
- rien n’empêche un gouvernement d’intervenir, à l’intérieur de ses compétences, pour répondre à des urgences environnementales, en conformité avec les ententes en vigueur sur les réponses aux urgences environnementales;
- l’Accord et les ententes auxiliaires peuvent être modifiés de temps à autre, avec le consentement des gouvernements;
- chaque gouvernement s’assurera de rendre disponibles au public l’Accord et les ententes auxiliaires;
- le CCME, en consultation avec le public, réexaminera l’Accord cinq ans après son entrée en vigueur pour évaluer son efficacité et déterminer son avenir.
Le plan de travail exposé à la fin de l’Accord prévoit un échéancier pour diverses mesures précises. Ainsi, on envisage de conclure des ententes auxiliaires sur la surveillance et les rapports, sur les réponses aux urgences environnementales, et sur la recherche et le développement dans un délai de 18 mois. Quant aux ententes auxiliaires sur les politiques et législations, sur les ententes internationales et sur les rapports sur l’état de l’environnement, elles devraient être conclues dans un délai de trois ans. On ne sait pas trop si l’Accord prévoit la conclusion de l’entente auxiliaire proposée sur l’application des lois et règlements dans un délai de 18 mois ou de 3 ans.
B. L’entente auxiliaire pancanadienne sur l’établissement de standards environnementaux
L’entente auxiliaire pancanadienne sur l’établissement de standards environnemen-taux énonce les principes régissant l’élaboration de standards pancanadiens sur la qualité de l’environnement et la santé humaine, et engage les gouvernements à participer à leur élaboration. Ces standards pourraient inclure des lignes directrices et des objectifs, de même que des standards légalement applicables.
L’objectif premier de l’entente auxiliaire serait d’élaborer des standards pancanadiens ambiants pour la qualité de l’air, de l’eau, du sol, du biote et des autres milieux, mais les gouvernements pourraient également établir des spécifications sur les rejets de polluants spécifiques ainsi que des spécifications relatives aux produits ou aux déchets, sur les limites d’une substance ou sur la performance environnementale d’un produit commercial. Le gouvernement responsable serait libre de prendre des mesures spécifiques pour mettre en oeuvre des standards approuvés concernant des questions ayant principalement des effets à l’intérieur de la province ou du territoire. D’un autre côté, lorsque les standards s’appliquent à des questions environnementales qui ont des répercussions trans-frontalières, interprovinciales ou interterritoriales, ou s’il est nécessaire de recourir à une approche pancanadienne, les gouvernements seraient alors tenus de tenter de s’entendre sur l'échéancier à respecter et sur la façon de mettre en oeuvre les standards.
En collaboration avec le public, le CCME serait tenu de revoir cette entente auxiliaire cinq ans après son entrée en vigueur.
C. L’entente auxiliaire pancanadienne sur les inspections environnementales
L’entente auxiliaire pancanadienne sur les inspections environnementales préconise l’adoption du concept de «guichet unique» pour les inspections entreprises afin de garantir le respect des lois sur la protection de l’environnement. Elle exclut spécifiquement les activités liées à l’application des lois et règlements ou toute autre question que les gouvernements pourraient convenir d’exclure en vertu d’une entente de mise en oeuvre. D’un autre côté, elle autorise la conclusion d’ententes de mise en oeuvre visant des activités d’inspection relatives à d’autres lois environnementales (au cas par cas), compte tenu du palier de gouvernement qui serait «le mieux placé» pour assumer la responsabilité, ce jugement étant établi par les critères proposés dans l’entente auxiliaire.
En règle générale, les gouvernements conserveraient un pouvoir d’inspection, mais pourraient se répartir entre eux ou parmi eux la prestation d’activités d’inspection, en fonction de celui qui est le mieux placé pour s’acquitter de ces tâches. Les fonctions normales d’inspection du gouvernement fédéral comprendraient les frontières et les obligations internationales, les questions transfrontalières internes, les terres et les installations fédérales, les produits/substances échangés sur le marché pancanadien, et les autres domaines relevant spécifiquement du gouvernement fédéral. Les fonctions normales d’inspection des gouvernements des provinces et des territoires comprendraient les installations et les rejets industriels et municipaux, l’application des lois sur les terres provinciales et territoriales, la disposition et l’élimination des déchets, et les autres domaines relevant spécifiquement des gouvernements des provinces et des territoires.
Toutes les ententes de mise en oeuvre conclues en vertu de l’entente auxiliaire devront établir des mécanismes de production de rapports publics et un processus énonçant les mesures que le gouvernement responsable devra prendre s’il est incapable de s’acquitter de ses obligations. Dans la mesure du possible, les ententes de mise en oeuvre devraient également traiter d’aspects comme la coordination de la formation des inspecteurs, la compatibilité de la base de données sur les résultats des inspections et les mécanismes permettant de la garantir, et les liens entre les activités d’inspection et les enquêtes qui s’imposent dans les cas de violation de la loi.
En collaboration avec le public, le CCME serait tenu de réexaminer cette entente auxiliaire cinq ans après son entrée en vigueur.
L’entente auxiliaire sur l’évaluation environnementale s’appliquerait lorsque plus d’une partie doit prendre une décision ou délivrer une autorisation qui doivent, en vertu de la loi, être précédées d’une évaluation environnementale. Dans ces cas, seulement une évaluation serait menée par «l’autorité principale» désignée. En règle générale, le gouvernement fédéral serait l’autorité principale pour les projets proposés sur le territoire fédéral, les gouvernements provinciaux seraient l’autorité principale pour les projets proposés sur les territoires situés à l’intérieur de leurs frontières et les gouvernements territoriaux seraient l’autorité principale pour les projets proposés sur le territoire domanial. L’autorité principale pourrait être modifiée par des ententes de mise en oeuvre spécifiques conclues par les gouvernements, à la suite d’une évaluation du gouvernement «le mieux placé pour agir» qui aurait été menée conformément aux critères énoncés dans l’entente.
Les promoteurs seraient tenus de préparer une étude d’impact sur l’environnement conformément à la directive préparée par l’autorité principale. Cette directive pourrait inclure entre autres les éléments d’information énoncés dans l’entente. Toutes les évaluations devraient prévoir la participation du public et comporter des étapes spécifiques. Lorsque les lois ou politiques d’une Partie le requièrent, celle-ci devrait offrir une aide financière aux participants. La procédure d’évaluation de l’autorité principale serait suivie, mais il faudrait combler les besoins d’information de toutes les Parties participant aux décisions.
Les Parties concernées dans une évaluation conviennent de fonder leurs décisions sur l’acceptabilité globale du projet proposé sur le plan de l’environnement. Elles se réserveraient toutefois le droit de prendre des décisions concernant des questions relevant de leur compétence législative. Elles conviennent également de chercher à modifier, au besoin, leurs lois ou procédures d’évaluation, ou les deux, afin de se conformer à leurs obligations en vertu de l’entente.
En collaboration avec le public, le CCME serait tenu de revoir cette entente trois ans après son entrée en vigueur.
Lors des audiences sur l’initiative d’harmonisation du CCME, très peu de témoins ont appuyé l’Accord et les ententes auxiliaires, mais des prédictions pessimistes ont été faites concernant leur impact probable sur la protection de l’environnement au Canada. Le profond sentiment d’inquiétude des témoins a amené les membres du Comité à examiner toutes ces ébauches d’ententes d’un oeil très critique et à tirer les conclusions exposées dans les pages qui suivent.
Ce sont principalement les représentants des gouvernements et de l’industrie qui ont appuyé l’initiative. George MilIer, de l’Association minière du Canada (AMC), a décrit pourquoi il appuyait fortement les objectifs de l’Accord proposé et pourquoi il espérait qu’il serait bientôt ratifié et mis en oeuvre.
À en juger par l’expérience des sociétés membres de I’AMC, le manque de coordination entre les deux niveaux de gouvernement entraîne pour l’industrie et les gouvernements des coûts réels qui se répercutent indirectement sur les contribuables, et nous croyons qu’ils n’aident en rien à améliorer la gestion de l’environnement. La confusion et la délimitation imprécise des responsabilités amènent le plus souvent ceux à qui elles incombent à mal s’en acquitter et nuisent à la reddition de comptes. Par contre, lorsque les deux niveaux de gouvernement ont coopéré, cela a été profitable pour l’environnement autant que pour l’économie(10).
Les témoins qui étaient en faveur de l’Accord et des ententes auxiliaires adoptaient cette position parce que toute cette série d’ententes réduirait les coûts liés au chevauchement des activités gouvernementales dans le domaine de la protection de l’environnement, améliorerait l’efficience de la gestion de l’environnement au Canada, accroîtrait la responsabilisation des intervenants devant le public, et aiderait enfin les divers gouvernements au Canada à progresser sur la voie du développement durable.
Établissant un lien entre l’initiative d’harmonisation et les principes du développement durable, Michael Cloghesy, du Centre patronal de l’environnement du Québec, a exhorté le Comité de convenir que l’Accord et les ententes auxiliaires contribueront à dissiper l’incertitude et donc à créer un climat favorable pour les investisseurs et les milieux d’affaires.
Le gouvernement fédéral a adopté le développement durable comme philosophie et le dossier de l’harmonisation s’inscrit très facilement dans ce contexte. Si nous voulons travailler tous ensemble, nous allons atteindre les objectifs beaucoup plus rapidement que si nous allons chacun sur nos propres voies. Donc, dans cette initiative, le fédéral doit collaborer avec ses contreparties provinciales(11).
Les témoins de l’Association canadienne de l’emballage se sont également déclarés en faveur des principes de l’harmonisation, ce qui est très surprenant compte tenu de l’expérience vécue par leur industrie avec le Protocole national sur l’emballage. En effet, malgré des débuts prometteurs au milieu des années 80 et les nombreux efforts déployés par l’Association pour respecter toutes les exigences du Protocole, celui-ci n’a pas réussi à engendrer une série claire de normes nationales sur l’emballage pour le Canada tout en entraînant des coûts importants pour les sociétés membres et en nuisant à leur compétitivité.
Beaucoup de témoins ont appuyé les principes de l’harmonisation, mais aucun autre n’a demandé au Comité de recommander au gouvernement fédéral de ratifier l’Accord ou ses ententes auxiliaires. Gary Gallon, du Canadian Institute for Business and the Environment, était d’accord avec les représentants de l’industrie pour affirmer que l’harmonisation pourrait atténuer le problème du gaspillage attribuable aux chevauchements et doubles emplois. Toutefois, cet appui à l’égard des principes de l’harmonisation ne l’a pas amené à entériner l’Accord et les ententes auxiliaires. Bon nombre des critiques que M. Gallon a formulées à l’égard de l’Accord et des ententes auxiliaires ont été reprises par d’autres témoins et sont analysées d’une manière plus approfondie dans les pages qui suivent. En résumé, son message était que les preuves avancées pour prouver l’existence et le coût des chevauchements et doubles emplois étaient peu convaincantes. Ses travaux l’ont poussé à conclure que les cinq principales études sur les coûts des chevauchements et doubles emplois contenaient des lacunes importantes, ce qui ne permettait donc pas d’établir le bien-fondé de cette assise cruciale de l’initiative d’harmonisation.
Les témoins représentant les collectivités autochtones, les ONG environnementales, le Congrès du travail du Canada et les associations s’occupant de droit de l’environnement étaient tous opposés à l’Accord et ont souvent exprimé les mêmes inquiétudes à son égard. Une critique qui est revenue souvent est que cette initiative n’était pas justifiée au départ. En effet, depuis le tout début de l’initiative d’harmonisation, en 1993, les défenseurs de cette proposition ont soutenu qu’il existait des chevauchements et doubles emplois dans le régime de gestion de l’environnement du pays. Mark Winfield de l’Institut canadien du droit et de la politique de l’environnement, a ainsi déclaré ce qui suit au sujet des fondements de cette initiative :
Les promoteurs [de ce projet] n’ont pas réussi à faire la preuve du problème que l’Accord et les ententes auxiliaires sont censés résoudre, soit les recoupements et les chevauchements. Nul n’a vraiment fait de recherche à ce sujet au cours des quatre dernières années pendant lesquelles l’initiative était en gestation(12).
Conclusion no 1
Le Comité conclut qu’il n’existe pas de preuves suffisantes de chevauchements et doubles emplois dans les réglementations ou les activités des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux dans le domaine de l’environnement. Par conséquent, le Comité doute que l’Accord et les ententes auxiliaires permettront d’obtenir une plus grande efficience administrative ou de réaliser des économies.
L’absence de preuves au sujet des chevauchements et doubles emplois qui auraient justifié ce projet ont amené de nombreux témoins à présumer que ce projet est défendu pour d’autres motifs. Il est particulièrement inquiétant que leur conclusion générale soit que ce projet n’est pas motivé par des considérations environnementales. Plusieurs témoins ont souligné qu’ils ne seraient pas prêts à appuyer un projet d’harmonisation à moins qu’il n’ait comme objectif une meilleure protection de l’environnement. Les témoins doutaient que la proposition actuelle soit nécessaire pour faciliter la coopération entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. On a souligné qu’il existait déjà de nombreux mécanismes de coopération et que certains avaient même déjà permis de résoudre des problèmes liés aux chevauchements et doubles emplois.
Comme on ne dispose pas de preuves suffisantes relativement à la nécessité de l’initiative d’harmonisation, les membres du Comité sont d’avis que d’autres études auraient dû être menées à ce sujet. Le Comité est aussi d’accord avec les témoins qui ont signalé qu’il est plus important de déterminer où il existe des lacunes dans le régime de protection de l’environnement au Canada que de déterminer où il existe des chevauchements et doubles emplois. À cet égard, voici ce que Martha Kostuch, des Friends of the Oldman River, a déclaré au Comité :
Lors de la toute première réunion du groupe consultatif national sur l’harmonisation, les membres du groupe consultatif, de l’industrie et les membres des ONG ont affirmé à l’unisson qu’une étude des besoins et des problèmes devait être entreprise, et que ces derniers doivent être abordés par le truchement d’un accord d’harmonisation. Nous n’avons cessé de recommander la tenue de cette étude. Il faut identifier les problèmes avant de commencer à vouloir les régler, et ce processus englobe les lacunes. L’étude n’a jamais été entreprise(13).
Conclusion no 2
Le Comité conclut que le besoin d’une initiative d’harmonisation aurait dû être analysé avant l’élaboration de l’Accord et des ententes auxiliaires, avec analyse exhaustive des lacunes, chevauchements et doubles emplois qui existent actuellement dans le régime de gestion de l’environnement au Canada.
Paul Muldoon, de l’Association canadienne du droit de l’environnement, nous a renvoyés aux accords d’équivalence et aux ententes administratives autorisés par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) et la Loi sur les pêches et il nous a souligné que ces ententes devraient permettre aux deux paliers de gouvernement de coopérer dans l’exercice de leurs responsabilités respectives. Il recommandait qu’on examine l’efficacité de ces mécanismes avant de prendre toute autre mesure au sujet de l’initiative d’harmonisation. Le témoin a posé au Comité une série de questions sur les ententes existantes et leur mise en oeuvre, et le président du Comité a transmis ces questions au sous-ministre d’Environnement Canada, Ian Glen. Le Comité a bien reçu une réponse écrite à ces questions, et à première vue elle ne semble pas indiquer des succès très tangibles dans l’application de l’entente administrative ou d’équivalence en matière de cogestion. Toutefois les membres du Comité n’ont pas eu l’occasion d’étudier cette réponse, ni d’obtenir l’aide de témoins à cet égard.
Après avoir cherché d’autres facteurs qui expliqueraient l’actuelle initiative d’harmonisation, certains témoins ont souligné que le gouvernement fédéral cherchait à céder certaines de ses responsabilités en matière de protection de l’environnement aux gouvernements provinciaux. Plusieurs témoins ont qualifié l’initiative d’accord de dévolution. Voici d’ailleurs ce que Marc Beauchemin, du Centre québécois du droit de l’environnement, avait à dire à ce sujet :
La justification n’est pas d’origine environnementale. Le but de l’Accord d’harmonisation n’est pas d’assurer une meilleure protection de l’environnement ou d’accorder aux Canadiens et aux Canadiennes une meilleure protection de leur environnement. Le but de l’entente d’harmonisation, c’est de transférer aux autorités provinciales des pouvoirs qu’a actuellement l’autorité fédérale. C’est l’essentiel des buts visés par l’Accord d’harmonisation(14).
Un autre message clair que les témoins ont adressé au Comité est qu’ils s’opposaient totalement à ce que le gouvernement fédéral cède ses responsabilités en matière de protection de l’environnement aux provinces. Selon Martha Kostuch, c’est la décision rendue en 1992 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire du barrage de la rivière Oldman qui avait déclenché le processus d’harmonisation. Elle a ajouté que le comité d’évaluation environnementale fédéral établi conformément à la décision du tribunal avait statué que le barrage n’aurait pas dû être construit et avait formulé 22 recommandations afin de réduire ou d’atténuer les conséquences environnementales négatives du barrage. Même si la décision de ce comité est venue trop tard, puisque le barrage avait déjà été construit, certaines de ses recommandations sont toujours en train d’être mises en oeuvre. Mme Kostuch est d’avis que l’initiative d’harmonisation du CCME est attribuable aux efforts déployés par les provinces afin de restreindre le rôle joué par le gouvernement fédéral dans le domaine de l’évaluation environnementale et dans les autres aspects de la protection de l’environnement.
Le Comité a entendu des arguments convaincants, qui étaient fondés sur le libellé de l’Accord et des trois ententes auxiliaires, selon lesquels l’initiative aurait comme conséquence globale de céder d’importantes responsabilités fédérales en matière d’environnement aux provinces. Toutefois, Ian Glen, sous-ministre à Environnement Canada, a rappelé ce qui suit lors de sa deuxième comparution devant le Comité :
Je dois préciser à nouveau à l’intention du Comité que nous estimons, et que c’est certainement aussi l’avis des provinces, que le transfert des pouvoirs ne fait pas partie du processus d’harmonisation. Toutes les instances continueront à garder leurs pouvoirs législatifs et à les utiliser comme bon leur semble(15).
Malgré ces garanties, le Comité a été troublé par les avis contradictoires qu’il a reçus à ce sujet. Les membres croient que cette nette divergence d’opinions montre qu’il y a risque qu’on porte atteinte à la qualité de l’environnement au Canada.
Conclusion no 3
Le Comité conclut que les provinces pourraient un jour assumer un grand nombre des fonctions visées par les ententes auxiliaires de l’Accord et que cette situation ne laisserait au gouvernement fédéral qu’un ensemble limité de responsabilités qui seraient considérablement moins importantes que celles qu’il a actuellement en matière de protection de l’environnement.
Les groupes environnementaux s’opposent à la dévolution de pouvoirs fédéraux pour plusieurs raisons, mais principalement parce qu’ils croient que le fait que les deux paliers de gouvernement disposent de pouvoirs dans le domaine de l’environnement permet de mieux protéger celui-ci en garantissant un «renfort» fédéral. Ce renfort permet de combler les lacunes dans la portée des régimes d’évaluation environnementale et de protection de l’environnement des provinces. Des témoins ont cité plusieurs exemples de problèmes environnementaux qui n’ont pu être résolus que par la participation du fédéral, parfois après une période d’inaction de la part du gouvernement provincial. Juli Abouchar, du Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick, a préconisé le maintien des responsabilités actuelles des deux paliers de gouvernement dans tous les secteurs de la protection de l’environnement.
Nous pensons qu’au cours des 20 dernières années, les gouvernements provinciaux et fédéral ont relativement bien travaillé ensemble pour pratiquer une forme de fédéralisme dynamique, qui est enchâssé dans la Constitution. Il en est résulté un réseau complexe de tâches et de responsabilités, et nous croyons que le fait de couper ce réseau ou de retirer certaines tâches et responsabilités fera mal à certaines provinces plus qu’à d’autres(16).
Conclusion no 4
Le Comité prévient qu’une dévolution importante des pouvoirs fédéraux en matière de protection de l’environnement aux provinces et territoires pourrait affaiblir la protection de l’environnement au Canada.
Une autre considération relative à la dévolution possible de responsabilités en matière de protection de l’environnement est que l’Accord et les ententes auxiliaires ne traitent pas de la question du financement. Des fonctionnaires ont informé le Comité que ces aspects devaient être abordés dans les ententes de mise en oeuvre qui doivent être conclues en vertu de l’Accord et de certaines ententes auxiliaires, mais dont on ne peut prendre connaissance pour le moment. Dans le cas où d’importantes responsabilités environne-mentales seraient transférées d’un palier de gouvernement à l’autre, des témoins ont demandé si les ressources financières correspondantes seraient également transférées. Des témoins comme Martha Kostuch ont souligné au Comité que les gouvernements devraient discuter de la possibilité de consacrer plus d’argent à la protection de l’environnement et non moins. Elle s’est violemment opposée au projet voulant que le gouvernement fédéral transfère d’importants pouvoirs et responsabilités en matière d’environnement aux provinces. Toutefois, elle a convenu que si cela devait se produire, les ressources nécessaires devraient être transférées elles aussi.
Il n’y a aucune protection de l’environnement dans cette entente. Nulle part dans l’entente il n’est question d’augmenter la protection de l’environnement sauf dans l’énoncé des perspectives. L’énoncé des perspectives dit que nous aurons la qualité de l’environnement la plus élevée au pays, mais rien dans cet énoncé des perspectives ne permet d’y croire. ... Oui, si le gouvernement fédéral devait renoncer à ses pouvoirs, ce à quoi je m’oppose, il devrait aussi fournir les fonds pour faire le travail. Cela ne risque pas de se produire(17).
D’autres témoins, tels que Marc Beauchemin, fermement convaincus que l’exercice des rôles et des responsabilités relatifs à la protection de l’environnement par les deux paliers de gouvernement est avantageux pour l’environnement du Canada, estimaient que, malgré les transferts budgétaires, il faudrait rejeter l’Accord et l’exclusivité des compétences entre chaque palier de gouvernement.
Je suis intimement convaincu que la protection de l’environnement, scindée en deux ou assurée par deux ordres de gouvernement, bénéficie en bout de ligne à tous les canadiens. Pour ajouter une précision à ma réponse, c’est ce qu’on a appelé tantôt les checks and balances. Autrement dit, si un niveau de gouvernement s’occupe seul d’une chose, comme il y a des mailles dans le filet, il est à peu près certain que certains aspects ne seront pas couverts. Il faut bien dire que si les provinces et le fédéral pouvaient s’entendre pour gérer la question environnementale d’une façon équilibrée en assumant chacun leurs responsa-bilités, les mailles du filet seraient beaucoup plus petites et beaucoup moins de choses passeraient à travers(18).
La dévolution des pouvoirs et des responsabilités serait particulièrement malvenue, comme l’ont fait remarquer la plupart des témoins, dans le contexte des réductions spectaculaires des budgets environnementaux de tous les paliers de gouvernement au Canada. D’après l’industrie, les contraintes financières, que George MilIer, de l’AMC, a qualifiées d’extérieures au processus d’harmonisation, appuient la nécessité d’une harmonisation s’inspirant des propositions du CCME.
Le gouvernement impose [les contraintes financières] par prudence, et elles seront là encore pendant un certain temps. Donc, dans une situation de contrainte financière, n’est-il pas plus logique de faire les choses prioritaires de façon efficace plutôt que de façon inefficace... en partageant et en décidant conjointement quelles devront être les normes, et en adoptant le processus le plus efficace pour surveiller, inspecter...? (19)
D’autres témoins n’appuyaient pas l’interprétation de l’incidence des compressions budgétaires faite par l’AMC. D’ailleurs, la plupart des témoins craignaient que le contexte dans lequel le gouvernement fédéral et un grand nombre de provinces réduisent les budgets de protection de l’environnement ne rende l’initiative d’harmonisation encore moins acceptable. Gary Gallon a déclaré au Comité que le budget du ministère de l’Environnement de l’Ontario a fondu de 43 p. 100, celui de Terre-Neuve, de 60 p. 100 et celui du Nouveau-Brunswick, de plus de 25 p. 100. Martha Kostuch nous a affirmé que le budget du ministère de la Protection de l’environnement de l’Alberta a été amputé de 33 p. 100 entre 1992 et 1997-1998. Marc Beauchemin nous a informés qu’au Québec, le personnel du ministère de l’Environnement a été réduit de moitié depuis cinq ans et que le budget de ce ministère a diminué de plus de 100 millions de dollars. Les membres du Comité ont souvent exprimé leur inquiétude que les compressions budgétaires à Environnement Canada ne limitent la capacité du gouvernement fédéral de remplir ses obligations environnementales actuelles. Dans ce contexte de réduction des ressources, le Comité compatit beaucoup avec les témoins qui craignent que le régime de gestion de l’environnement au Canada n’ait été affaibli et ne puisse avoir subi une perte de capacité dangereuse.
Conclusion no 5
Le Comité conclut que les transferts, entre paliers de gouvernement, des obligations et des pouvoirs relatifs à la protection de l’environnement ne peuvent s’accomplir efficacement sans tenir compte pleinement des implications financières et sans avoir prévu les transferts financiers nécessaires, s’il y a lieu.
Faisant une analogie avec le football pour illustrer son argument, Paul Muldoon a expliqué au Comité que, puisque les deux paliers de gouvernement réduisent leurs budgets de protection de l’environnement, il en résulte une perte de capacité globale qui menace gravement la qualité de l’environnement au Canada.
En réalité, tant le gouvernement fédéral que les provinces sont en train de réduire les ressources affectées à l’environnement. Le gouvernement fédéral projette de régler la situation en cédant sa responsabilité aux provinces. C’est un peu comme une partie de football. Le gouvernement fédéral souhaite passer le ballon, mais il n’y a malheureusement personne pour l’attraper. Les provinces n’ont tout simplement pas la capacité voulue, et bon nombre d’entre elles n’en ont pas la volonté. Ainsi, les mesures prises en matière d’environnement se solderont par un cumul de maladresse(20).
Dave Bennett, du Congrès du travail du Canada, a indiqué que l’Ontario et l’Alberta «déréglementent férocement» la protection de l’environnement. Il a soutenu qu’au lieu de fonder leurs budgets de protection de l’environnement sur des facteurs financiers, les gouvernements au Canada devraient considérer d’abord les mesures de protection de l’environnement qui sont nécessaires, et ensuite les réalités financières.
Si nous nous sommes engagés dans la voie de l’érosion graduelle, et parfois rapide à certains égards, des normes environnementales au Canada, c’est que les gouvernements ont tenu compte en premier lieu des réalités financières. Au lieu de se demander ce dont nous avions besoin en fait de mesures de protection environnementale, ils ont examiné d’un oeil très sceptique le rôle de l’État. Ils ont tenu compte de leurs propres perceptions du rôle de l’État, puis ils ont examiné les réalités financières et ils ont fini par dire : «Que pouvons-nous nous permettre alors, ou qu’allons-nous nous permettre, en fait de protection de l’environnement?» (21).
Conclusion no 6
Le Comité conclut que la santé de l’environnement au Canada dépend d’un financement fiable, soutenu et suffisant des ministères et organismes gouvernementaux chargés de la protection de l’environnement, et que toute nouvelle réduction des budgets de protection de l’environnement par le fédéral, les provinces et les territoires pourrait compromettre la qualité de l’environnement et la santé humaine.
Le Comité a entendu plusieurs témoins indiquer que la coopération entre les divers paliers de gouvernement, et d’ailleurs entre les gouvernements et les autres parties intéressées par les questions environnementales, pourrait être une solution au problème de la diminution des budgets de protection de l’environnement et de l’augmentation des problèmes environnementaux. Malheureusement, l’une des principales caractéristiques de l’Accord et des ententes auxiliaires est qu’ils rationaliseraient le régime de protection de l’environnement du Canada, au lieu de l’harmoniser. Au lieu de promouvoir la coopération et les interventions complémentaires, l’Accord et les ententes auxiliaires définiraient des domaines de compétence exclusive pour chaque palier de gouvernement et empêcheraient l’autre palier de jouer un rôle dans ce domaine. Paul Muldoon a donné plusieurs exemples récents de catastrophes environnementales qui sont survenues au Canada, notamment l’incendie à l’usine Plastinet à Hamilton, la crise du saumon du Pacifique, l’explosion de l’installation de gestion de déchets dangereux de Swan HilI, pour démontrer qu’il faut un effort concerté de la part des gouvernements.
Pour régler efficacement le problème, il faudrait que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux collaborent et coopèrent étroitement. Il faut s’efforcer de prendre les mesures essentielles qui s’imposent relativement à la protection et au bien-être des générations actuelles et futures de Canadiens. En même temps, une solide présence fédérale s’impose afin de renforcer et appuyer les efforts des provinces et des territoires(22).
Conclusion no 7
Le Comité conclut qu'au lieu d’assurer la complémentarité des pratiques et des règlements des deux paliers de gouvernement, l’Accord et les ententes auxiliaires auront pour effet ultime d’éliminer un niveau de règlements et de pratiques.
L'’importance d’une forte participation fédérale à la gestion de l’environnement a été évoquée par de nombreux témoins. Elle a été soulignée par l’arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Hydro-Québec, qui a confirmé la validité des dispositions de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement relatives aux substances toxiques. La Cour a tranché que la protection de l’environnement est «un objectif public d’une importance supérieure» et que les gouvernements ont le devoir de la plus haute importance d’utiliser pleinement les pouvoirs législatifs qui leur ont été conférés par la Constitution en matière de protection de l’environnement. Comme l’a écrit au Comité William Andrews, avocat de la Colombie-Britannique et ancien directeur général de la West Coast Environmental Association :
La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Hydro-Québec confirme la validité constitutionnelle d’un rôle fédéral fort dans la protection de l’environnement. Cela devrait vraisemblablement se refléter dans les accords fédéraux-provinciaux sur l’harmonisation environnementale(23).
En plus des préoccupations relatives à la dévolution des pouvoirs et à l’absence de preuves démontrant la nécessité de l’initiative d’harmonisation, ce qui a le plus déconcerté les membres du Comité, ce sont les témoignages expliquant en détail l’insuffisance des efforts visant à faire participer le public à l’élaboration de cette initiative et à le consulter à cette étape. Une autre lacune tout aussi grave, sinon plus, est l’absence d’une participation des Autochtones du Canada. Les avocats spécialistes de l’environnement et d’autres représentants des ONG connaissaient très bien le site Web du CCME et l’existence des ébauches de document sur lesquels ils pouvaient présenter leurs observations. Plusieurs d’entre eux avaient participé au Groupe consultatif national (GCN) qui a existé à l’étape de l’Entente-cadre pour la gestion de l’environnement, et certains avaient assisté aux ateliers recommandés par le GCN sur cette entente-cadre et ses 11 annexes. La plupart estimaient toutefois que leur participation s’était limitée à un échange de renseignements et que les groupes n’avaient pas vraiment contribué à la rédaction de l’Accord et des ententes auxiliaires.
Nos témoins autochtones ont signalé qu’on ne s’est pas assez efforcé de demander leur opinion et de les faire participer à l’élaboration de cette initiative d’harmonisation, d’autant plus qu’il existe des droits issus de traités, notamment ceux qui s’appliquent aux Cris de la Baie James dans le cadre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Maxine Cole, de l’Assemblée des Premières Nations, a rappelé au Comité que les Premières Nations sont un troisième palier de gouvernement et devraient être parties à des accords de ce genre. À l’instar de Philip Awashish, du Grand Conseil des Cris du Québec, elle a prévenu que la ratification de l’Accord porterait atteinte aux droits issus de traités qui sont protégés par l’article 35 de la Constitution du Canada.
Conclusion no 8
Le Comité conclut que l’absence des gouvernements autochtones lors du processus de négociation qui a mené à l’élaboration de cet Accord et des ententes auxiliaires est très inquiétant, et que les obligations du Canada à l’égard des droits issus de traités et de l’esprit de partenariat à maintenir avec les peuples autochtones exigent qu’on mène des consultations significatives avant que l’un ou l’autre de ces accords ne soit conclu.
On s’est inquiété du lien entre l’Accord et d’autres conventions auxquelles le gouvernement fédéral est partie. Dave Bennett, du Congrès du travail du Canada, a déclaré au Comité que l’Accord et les ententes auxiliaires contrevenaient à l’esprit et peut-être bien également à la lettre de l’Accord fédéral-provincial de 1994 sur le commerce intérieur. Il a indiqué que le rôle du CCME dans le cadre de l’Accord sur le commerce intérieur consistait à faciliter l’harmonisation et non à agir à titre d’organe exécutif pour l’élaboration de normes environnementales nationales. Il a aussi fait remarquer qu'en vertu de cet accord, les parties ne peuvent profiter de l’harmonisation pour abaisser les niveaux de protection environnementale.
Ce chapitre de l’Accord sur le commerce intérieur comprend de bon nombre d’éléments progressistes. Je suis d’avis que, Si les gouvernements qui l’ont signé avaient vraiment à coeur d’appliquer cet accord et d’assurer la protection de l'environnement, ils repartiraient à zéro et se laisseraient guider dans leurs efforts d’harmonisation par le texte de cet accord, car non seulement l’accord exige des normes nationales élevées en ce qui concerne l’environnement, mais il établit un processus en vue d’en arriver à une certaine harmonisation. Je maintiens que les gouvernements n’ont pas respecté à ces deux égards les clauses de l’Accord sur le commerce intérieur(24).
On s’est aussi interrogé sur la compatibilité de l’Accord avec les engagements internationaux du Canada dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC). Le Comité croit comprendre que l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACE), élaboré dans le cadre de l’ALENA, pourrait poser problème. L’article 5 de l’ANACE exige que les parties appliquent leurs lois et règlements dans le domaine de l’environnement, tandis que le paragraphe 20(2) oblige les parties à informer l’autre partie de toute mesure environnementale actuelle ou proposée susceptible de modifier d’une manière appréciable le fonctionnement de l’ANACE. Interrogé sur les conséquences de ces dispositions sur l’Accord, le sous-ministre d’Environnement Canada a été incapable de répondre et s’est engagé à se pencher sur la question.
Steven Shrybman, de la West Coast Environmental Association (WCELA), a soulevé lui aussi quelques problèmes susceptibles de se poser dans le cadre de l’OMT et l’OTC. L’un d’eux porte sur les divers principes énoncés dans l’Accord, à savoir celui du pollueur- payeur, celui de la prudence et celui de la prévention de la pollution. Faisant remarquer que ces principes ont été formellement rejetés par l’OTC et l’OMC, il a mis en doute la viabilité de l’engagement du Canada à respecter ces principes en vertu de l’Accord, étant donné que ces principes ne constituent pas une base légitime ou valide pour la réglementation de l’environnement en vertu des règles de l’OMC. Il craignait également que l’Accord n’impose de nouvelles limites aux prérogatives liées à la souveraineté des provinces en imposant aux provinces des règles commerciales auxquelles elles ne seraient pas assujetties autrement. Soulignant qu’il n’y avait eu aucun examen attentif des répercussions que pourraient avoir les engagements du Canada en matière de commerce international, il demandait qu’un tel examen soit entrepris.
Nous croyons qu’il est nécessaire d’examiner attentivement les répercussions que les engagements du Canada en matière de commerce international pourraient avoir sur les accords fédéraux-provinciaux en matière d’environnement. En l’absence d’un tel examen et compte tenu de l’existence d’un certain nombre de contradictions sérieuses et manifestes, il ne serait pas prudent, à notre avis, que l’un ou l’autre des paliers de gouvernement conclue un accord qui pourrait avoir des conséquences graves et imprévues pour le projet de réforme progressive des lois environnementales. Il n’est pas du tout certain non plus qu’en concluant cet Accord, les gouvernements provinciaux acceptent de se soumettre aux restrictions de l’Accord relatif aux obstacles techniques au commerce et à d’autres règles commerciales(25).
En raison des délais serrés, le Comité n’a pas pu examiner les domaines où des conflits pourraient exister entre l’Accord et les autres accords nationaux et internationaux auxquels le Canada est partie. La question est toutefois importante.
Conclusion no 9
Le Comité conclut que les engagements commerciaux internes et internationaux du Canada pourraient avoir des implications importantes pour l’initiative d’harmonisation, et devraient être considérés attentivement.
Bien que la protection de l’intérêt du public soit sans doute possible par l’harmonisation, le Comité estime que la ratification de l’Accord pancanadien proposé et l’ébauche des trois ententes auxiliaires devraient être retardés jusqu’à ce qu’un certain nombre de questions de fond et de procédure, présentées plus loin, aient été suffisamment étudiées.
Même si le Comité a maintes fois reçu l’assurance du CCME, d’Environnement Canada et de l’industrie minière que l’Accord est une entente administrative qui ne changeait rien à l’actuel partage des pouvoirs, plusieurs témoins très crédibles et engagés craignent que le gouvernement fédéral, en signant l’Accord, se lie les mains et entrave le plein exercice des pouvoirs que la Constitution lui confère. On a également prévenu le Comité du danger que l’Accord devienne rigide à long terme, ou rende beaucoup plus difficile de défendre une position fédérale forte.
Enfin, on a averti le Comité que :
Sur papier, cet accord prend les allures d’une entente administrative mais, Si elle est entérinée, ce qui a au début été considéré comme une entente administrative deviendra au fil des ans une tradition. Nous savons tous que les traditions sont très difficiles à changer. Une fois que d’importants secteurs de responsabilité en matière d’environnement auront été transférés aux provinces, cette question deviendra de compétence provinciale, ce qui constituera un précédent pour d’autres modifications officielles(26).
Étant donné ces considérations, le Comité doit conclure qu’il faut faire une étude plus approfondie de la proposition. Sept ententes auxiliaires manquent encore et doivent être rendues publiques avant que l’on puisse prendre des décisions éclairées.
À notre avis, l’application rigoureuse de l’Accord est particulièrement importante et constitue une exigence expresse en vertu de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement. L’entente auxiliaire sur l’application n’existe pas encore et il faudra peut-être l’attendre encore trois ans. Et pourtant, l’entente auxiliaire sur les inspections fait partie de l’ensemble de documents que nous possédons. Le Comité doute qu’il soit sage d’accepter l’une sans connaître l’autre. Comme beaucoup de témoins l’ont dit, les inspections et l’application des lois et règlements sont étroitement liées et doivent être examinées ensemble.
D’autres documents importants manquent encore : les projets d’ententes auxiliaires sur les politiques et législations, et les accords internationaux. Ces ententes revêtent également une importance cruciale pour la gestion de l’environnement au Canada, mais leur élaboration a elle aussi été reportée.
Comme on l’a vu lors de la phase de l’initiative d’harmonisation consistant à négocier l’Entente-cadre pour la gestion de l’environnement (ECGE), le document entier, qui comprenait l’entente principale et 11 annexes, a finalement été rejeté parce qu’il représentait une modification trop complexe et trop poussée du cadre de gestion environnementale existant. Le Comité croit qu’on ne peut évaluer correctement l’impact du présent Accord et des ententes auxiliaires que si ces dernières sont toutes connues, car sinon, il est impossible d’analyser tout l’impact de l’initiative.
Par conséquent, avant de signer l’Accord, il importe que les Canadiens aient devant eux tous les éléments. Il est aussi essentiel qu’il y ait pleine et réelle consultation, notamment avec les Autochtones du Canada, avant que l’on n’envisage la ratification. De l’avis du Comité, les consultations tenues à ce jour ont été inadéquates et incomplètes. Les gouvernements du Canada doivent s’efforcer de faire participer davantage le public avant de décider. L’Accord est trop important pour qu’on agisse autrement.
Recommandation no 1
Le Comité recommande que la ratification de l’Accord et des trois ententes auxiliaires soit reportée :
1) jusqu’à ce que les préoccupations du Comité et les recommandations spécifiques formulées ci-dessous aient été pleinement considérées;
2) jusqu’à ce que tous les documents, soit l’Accord et les dix ententes auxiliaires proposées, aient été rendus publics afin que la population ait de réelles possibilités d’apporter sa contribution.
Le Comité se préoccupe vivement que les peuples autochtones et leurs représentants n’aient pas participé au processus de négociation qui a mené à la rédaction de l’Accord et des ententes auxiliaires. Comme nous l’avons signalé plus haut, on n’a pas fait assez d’effort pour consulter les populations autochtones durant les négociations du CCME et les témoins autochtones ont affirmé avec vigueur que ces consultations sont essentielles pour que le processus puisse se poursuivre. Comme on nous l’a dit, leur participation est importante parce qu’il s’agit des Premières Nations, et aussi à cause de l’impact possible de l’Accord et des ententes auxiliaires sur les droits issus des traités.
Recommandation no 2
Le Comité recommande que la ratification de l’Accord et des ententes auxiliaires soit retardée jusqu’à ce que les représentants des organisations autochtones aient eu l’occasion de participer au processus de négociation.
Plusieurs témoins, dont des environnementalistes et des avocats de l’environnement, ont également fait la preuve que l’initiative d’harmonisation est prématurée, étant donné les prétentions non prouvées de chevauchement et de double emploi, et l’incapacité des gouvernements d’étudier à fond les lacunes de la gestion de l’environnement au Canada. S’engager dans un ensemble d’ententes multilatérales aussi importantes sans cette information de base est inacceptable, de l'avis du Comité. Comme on l’a déjà dit, l’initiative d’harmonisation pourrait également contrevenir à certaines obligations du gouvernement fédéral en vertu de diverses ententes intergouvernementales nationales et internationales dont l’Accord sur le commerce intérieur, l’Accord de libre-échange nord-américain et l’entente auxiliaire sur l’environnement (ANACDE), et les ententes de l’Organisation mondiale du commerce, en particulier l’Accord relatif aux obstacles techniques au commerce. Le Comité estime que les implications doivent être étudiées à fond avant une éventuelle ratification.
Recommandation no 3
Le Comité recommande que la ratification de l’Accord et des ententes auxiliaires soit retardée jusqu’à ce que :
1) des études complètes précisant les lacunes, les chevauchements et les doubles emplois dans la gestion de l’environnement au Canada aient été menées et rendues publiques;
2) les répercussions de l’harmonisation sur les obligations contractées par le Canada dans toutes les ententes intergouvernementales pertinentes conclues à l’échelle nationale et international aient été pleinement prises en considération.
On a déjà mentionné les préoccupations du Comité concernant l’efficacité des mécanismes de coopération existants comme les ententes administratives et d’équivalence bilatérales rendues possibles en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et de la Loi sur les pêches. Avant que le gouvernement du Canada ne s’engage à mettre en oeuvre un nouveau modèle de coopération intergouvernementale par le truchement de cet Accord et de ses ententes auxiliaires, le Comité est d’avis qu’il faudrait procéder à une analyse approfondie de l’application des mécanismes de coopération existants. Nous croyons que le Bureau du vérificateur général du Canada constituerait l’organisme tout désigné pour évaluer la performance du gouvernement fédéral à l’égard des ententes bilatérales existantes.
Recommandation no 4
Le Comité recommande que le vérificateur général du Canada procède à une vérification environnementale de l’efficacité des ententes environnementales bilatérales conclues par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux comme par exemple celles signées en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) et de la Loi sur les pêches.
L’énoncé de vision par lequel débute l’Accord se lit comme suit : «Des gouvernements travaillant en partenariat en vue d’assurer à l’ensemble de la population canadienne le degré le plus élevé de qualité de l’environnement». Le Comité estime que ce sentiment louable ne se reflète ni dans le contenu de l’Accord, ni dans le libellé des ententes auxiliaires. Les environnementalistes et les avocats de l’environnement, de même que tous les témoins, sauf ceux de l’industrie, ont exhorté le Comité à considérer les efforts complémentaires et concertés du fédéral et des provinces et territoires comme le cadre le plus efficace de protection de l’environnement au Canada. Cette vision de gouvernements oeuvrant en parallèle pour préserver la qualité de l’environnement séduit les membres du Comité. Nous sommes donc consternés par le fait que l’Accord et les ententes auxiliaires tendent à rationaliser la gestion de l’environnement et, dans la plupart des cas cherchent à assigner des sphères exclusives d’activités à un palier de gouvernement au dépens de l’autre palier.
Recommandation no 5
Le Comité recommande que la ratification de l’Accord et des ententes auxiliaires soit retardée jusqu’à ce que l’initiative d’harmonisation ait été révisée de telle sorte que les gouvernements travaillent de concert, en ayant recours à des pratiques et des règlements complémentaires, plutôt que d’attribuer à un palier de gouvernement des secteurs exclusifs de responsabilité environnementale dans lesquels l’autre palier s’engage à ne pas intervenir.
Les cinq premières recommandations que le Comité formule ramène l’initiative d’harmonisation à la case départ, à cause des inquiétudes graves que nous signalons. Cependant, nous avons également entendu des témoignages sur la forme et le contenu de l’Accord et des ententes auxiliaires et nous souhaitons faire d’autres recommandations sur des points techniques.
On s’inquiète beaucoup de l’exigence du consensus. Des témoins ont signalé que 13 gouvernements assis à la table du CCME seraient peu susceptibles de s’entendre sur des sujets comme des normes environnementales pancanadiennes et sur des modifications à l’Accord, l’exigence du consensus risquant d’aboutir à l’adoption du plus petit dénominateur commun, voire à l’impasse. Cette mise en garde se fonde sur l’observation suivante :
Toute partie à une décision consensuelle peut opposer un refus. À mon sens, un veto est beaucoup plus utile à ceux qui souhaitent défendre le statu quo. Faute de ressources, le gouvernement fédéral peut ne pas être en mesure d’opposer un refus et de prendre des mesures unilatérales d’autant plus qu’il s’attendait à ce que les provinces entreprennent certaines activités. Si le gouvernement fédéral opposait un refus, on se retrouverait peut-être devant rien. Je crois que la marge de manoeuvre du gouvernement fédéral sera donc très mince(27).
Si chaque gouvernement détient un droit de veto, la capacité de réagir sera ralentie et il se pourrait bien que le plus petit dénominateur prévale. Conscient du fait que consensus n’égale pas unanimité, le Comité croit qu’il faut clairement formuler une norme plus précise pour la prise des décisions en vertu de l’Accord et des ententes auxiliaires. On a signalé au Comité que la fédération australienne avait adopté la règle de la majorité des deux tiers dans l’annexe sur les mesures nationales de protection de l’environnement de son accord intergouvernemental sur l’environnement. Les membres du Comité conviennent que les décisions prises dans le cadre de l’Accord et des ententes auxiliaires devraient être entérinées par une importante majorité de gouvernements, mais ils estiment qu’il revient au CCME d’adopter une formule spécifique.
Recommandation no 6
Le Comité recommande que le mécanisme décisionnel inclus dans l’Accord et les ententes auxiliaires soit clarifié afin de prévoir que le consensus requis exige une majorité importante des voix, la formule exacte devant être établie par le CCME.
Le Comité n’a entendu aucune présentation proposant d’inclure dans l’Accord un mécanisme particulier de règlement des différends, mais on lui a fait part des préoccupations que suscite l’absence d’un tel mécanisme. Par exemple, dans l’entente auxiliaire sur les inspections, il n’y a aucune disposition qui décrit clairement les choix offerts à un gouvernement qui, ayant accepté de ne pas agir dans un certain domaine de la protection de l’environnement, voit le gouvernement responsable ne pas respecter ses obligations. Des témoins ont souligné que l’entente auxiliaire engage les gouvernements à négocier pendant six mois et à donner ensuite un avis de son intention d’abroger l’entente dans six mois. En réponse à la suggestion de témoins et de membres du Comité que cela risquerait d’empêcher le gouvernement fédéral d’intervenir dans des situations de dangers imminents pour l’environnement (sauf pour les urgences sur lesquelles une entente auxiliaire distincte doit porter), Ian Glen a dit :
Toutes les instances continueront à garder leurs pouvoirs législatifs et à les utiliser comme bon leur semble... Pour ce qui est des mesures à prendre lorsqu’un gouvernement ne respecte pas ses obligations, comme je l’ai dit plus tôt au cours de notre comparution, on s’inquiète de la possibilité d’«intervention». Admettons que l’on se soit entendu sur la marche à suivre pour une instance particulière, mais que ce ne soit pas possible... La principale exception à cela concerne les cas d’urgence pour lesquels les parties sont censées intervenir avec leurs pouvoirs et agir de la façon voulue pour remédier à un problème environnemental urgent(28).
Le Comité constate que de plus en plus d’accords multilatéraux comprennent un mécanisme de règlement des différends. Ainsi en est-il de l’Accord sur le commerce intérieur du Canada, de l’ALENA et de l’OMC. Le Comité croit qu’il serait indispensable de prévoir un tel mécanisme dans l’Accord. Un certain nombre de dispositions de l’Accord et des ententes auxiliaires se prêtent à interprétation et pourraient engendrer des désaccords. Si l’on en référait à un panel indépendant pour régler les différends, la prise de mesures arbitraires serait probablement réduite et la performance des gouvernements améliorée.
Recommandation no 7
Le Comité recommande d’inclure un mécanisme clair et efficace de règlement des différends dans l’Accord et les ententes auxiliaires.
Ayant encore à l’esprit les témoignages reçus sur les effets avec le temps du désengagement des gouvernements de certains domaines touchant l’environnement, le Comité croit aussi qu’il serait utile d’ajouter une disposition de temporisation à l’Accord et aux ententes auxiliaires. Pour l’instant, la seule exigence pertinente est que le CCME, en consultation avec le public, fasse un examen dans un délai déterminé, qui varie de trois à cinq ans selon l’entente. Étant donné toutes les craintes exprimées au sujet de l’Accord et les nombreux changements qui se produiront probablement au moment de l’application des ententes auxiliaires, on doute qu’un simple examen suffise en pareil cas. Dans la nouvelle proposée lors du dernier Parlement, soit la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (le projet de loi C-74), les accords d’équivalence et les ententes administratives négociés en vertu de cette loi auraient été assujettis à une disposition de temporisation. De l’avis du Comité, la justification de l’inclusion d’une telle exigence dans le projet de loi vaut tout autant pour l’initiative d’harmonisation.
Recommandation no 8
Le Comité recommande d’inclure dans l’Accord et les ententes auxiliaires une disposition de temporisation qui prévoira l’expiration de chaque entente au bout de cinq ans à moins qu’après une consultation sérieuse du public, l’entente ne soit expressément reconduite.
La recommandation suivante du Comité concerne l’entente auxiliaire sur l’évaluation environnementale. Le Comité a entendu des témoignages contradictoires quant à la nécessité de modifier la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE) dans la foulée de cette entente. Sid Gershberg, président de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE), a donné au Comité l’assurance que la loi n’aurait pas besoin d’être modifiée. Un certain nombre d’autres témoins n’étaient pas du même avis, dont Rodney Northey, auteur de The 1995 Annotated Canadian Environmental Assessment Act and EARP Guidelines Order.
De ces opinions contradictoires on peut tirer la conclusion que le gouvernement fédéral et les provinces et territoires ont adopté des lois sur l’évaluation environnementale incompatibles. Il faudrait modifier l’une ou l’autre loi pour donner effet à l’entente auxiliaire. Telle est la conclusion à laquelle on parvient lorsqu’on compare les dispositions de la LCEE à celles de la loi ontarienne sur l’évaluation environnementale.
Il faudra que l’une des parties cède, car les deux ne fonctionnent pas facilement. Si le gouvernement fédéral dit, comme il le fait très clairement et de façon officielle maintenant, qu’il ne va pas modifier sa loi, il faudra que l’Ontario explique sa position. Mais le problème est que, quand les deux parties disent qu’elles n’ont pas besoin de modifier leurs lois, que tout se situe sur le plan administratif et qu’elles travaillent ensemble, les gens comme moi sont incrédules, parce que je ne vois pas comment les choses pourraient fonctionner si simplement. Elles ne fonctionnent pas dans le cas du Canada et de l’Ontario(29).
Plusieurs témoins ont souligné l’importance de faire de la loi fédérale sur l’évaluation environnementale le rempart pancanadien et ont conseillé vivement de ne pas transiger sur la LCEE. Le Comité est d’accord avec cette position et croit que la LCEE ne doit être affaiblie d’aucune façon.
Recommandation no 9
Le Comité recommande que soit ajoutée à l’entente auxiliaire sur l’évaluation environnementale une disposition stipulant qu’elle ne requerra aucune modification à la Loi canadienne sur l’évaluation environ-nementale. L’entente auxiliaire devrait aussi préciser que les objectifs et exigences de l’évaluation environnementale doivent être conformes à la norme la plus stricte, et respecter ou excéder les objectifs et exigences inclus dans la LCEE.
Kathryn Harrison de l’Université de la Colombie-Britannique a exprimé des préoccupations au sujet du libellé de l’ébauche d’entente auxiliaire pancanadienne sur l’établissement de standards environnementaux. À son avis, cette entente auxiliaire aboutira à un ensemble disparate de stratégies et de normes sur les rejets parce qu’elle garantit à chaque juridiction la possibilité d’adopter la stratégie qu’elle jugera la meilleure pour atteindre la qualité environnementale visée. Elle a aussi souligné que le remplacement des normes de rejet par des normes sur la qualité de l’environnement constitue un changement qui nuira probablement à l’environnement et les membres du Comité sont du même avis.
L’entente auxiliaire sur les normes se concentre sur l’élaboration de normes uniformes et pancanadiennes sur la qualité de l’environnement plutôt que sur des normes uniformes relatives aux émissions ou aux produits. Cette distinction n’est pas que sémantique. Des normes de qualité environnementale cohérentes auront certainement pour résultat des normes d’émissions industrielles incohérentes, étant donné les grandes variations dans les conditions environnementales d’une province à l’autre(30).
Recommandation no 10
Le Comité recommande que l’entente auxiliaire sur les standards porte surtout sur les rejets plutôt que sur la qualité du milieu ambiant.