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FOPO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FISHERIES AND OCEANS

COMITÉ PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 25 novembre 1999

• 0900

[Traduction]

Le président (M. Wayne Easter (Malpeque, Lib.)): La séance est ouverte.

Pour mémoire, même si tout le monde le sait, nous étudions les suites du jugement rendu le 17 septembre 1999 par la Cour suprême dans l'affaire R. c. Marshall concernant la gestion des pêches dans la région de l'Atlantique.

Je voudrais signaler que nos premiers témoins, les représentants de l'Eastern Fishermen's Federation, ont dû renoncer à comparaître à cause d'une tempête. Ils devaient venir de Grand Manan, et j'imagine que c'est très probablement la violence du vent sur l'eau qui les a empêchés. Nos troisièmes témoins, les représentants du New Brunswick Aboriginal Peoples Council, sont présents et ce sont eux qui lanceront notre séance du matin.

Betty Ann LaVallée et Philip Fraser, je vous remercie. La parole est à vous.

Mme Betty Ann LaVallée (présidente, New Brunswick Aboriginal Peoples Council): Bonjour, messieurs. Au nom de tous les membres de l'organisation, du conseil d'administration et du bureau du New Brunswick Aboriginal Peoples Council, j'aimerais saisir l'occasion pour souhaiter la bienvenue à Moncton et au Nouveau-Brunswick, ainsi qu'aux terres ancestrales non concédées des Micmacs à tous les membres et collaborateurs du Comité permanent des pêches et océans.

• 0905

Je voudrais commencer ma présentation par la lecture d'un paragraphe extrait d'un ouvrage que notre organisation a publié au début des années 80 et qui a été le tremplin des revendications territoriales globales au Nouveau-Brunswick:

    Son Excellence Peregrine Thomas Hobson, écuyer capitaine général et gouverneur en chef de la province de la Nouvelle-Écosse ou Acadie de Sa Majesté, vice-amiral de la susdite et colonel de l'un des régiments à pied de Sa Majesté et du Conseil de Sa Majesté du chef de celle-ci, et le major Jean Baptiste Cope, chef sachem de la tribu indienne Mick Mack habitant la côte Est de ladite province, et Andrew Hadley Martin, Gabriel Martin et Francis Jeremiah, membres et délégués de ladite tribu, pour leur compte et celui de leur dite tribu, leurs héritiers et les héritiers de leurs héritiers à tout jamais. Commencé et conclu en la manière, forme et teneur suivantes, savoir...

Et c'est là que commence le traité par les articles de paix et d'amitié et qui fut reconduite en 1752.

Messieurs, le major Jean Baptiste Cope, chef sachem de cette tribu de Micmacs était mon arrière-arrière-arrière grand-père. Je suis indienne inscrite et je vis hors réserve. Je suis une héritière et descendante naturelle, contrairement à ce que prétendent d'aucuns au sujet de la composition actuelle des tribus ancestrales.

Notre organisation a été créée en 1972 pour répondre aux besoins qui étaient à l'époque ceux des Indiens non inscrits vivant hors réserve. Il s'agissait de gens comme moi, comme mon père et comme mon grand-père, qui ont été exclus de la réserve pour la seule raison qu'ils s'étaient tous enrôlés dans l'armée. Nous avons honoré nos obligations en vertu du traité en affirmant que nous servirions la Couronne et que nous protégerions ce pays contre quiconque tenterait de nous détruire. Ma famille a tenu sa parole. Mon fils fait partie de cette quatrième génération d'Indiens qui n'ont jamais cessé de faire partie des Forces armées. Il appartient au Régiment aéroporté du Canada basé à Petawawa, et il se fait parachuter d'un avion en fort bon état, en fait peut-être pas aussi bon que cela, mais quoi qu'il en soit. Ma famille a donc respecté le traité.

Il est parfaitement ridicule que le ministre des Pêches et des Océans déclare publiquement que je ne jouis pas des droits qui me reviennent par la grâce de Dieu ou par le sang en niant que je sois une des bénéficiaires ou héritières et descendantes directes d'un des signataires du traité.

Notre association a été créée pour répondre aux besoins politiques, économiques, sociaux et culturels des Autochtones qui vivent hors réserve. Même si nous en avons été exclus par la force, et même si certains d'entre nous ont préféré ne pas vivre dans une réserve, nous avons toutefois voulu continuer à vivre sur nos terres ancestrales. Nous n'avons pas adhéré à la Loi sur les Indiens, et nous en avons payé le prix. Et puisque nous n'avons jamais cédé, puisque nous sommes demeurés sur les territoires naturels ancestraux, et puisque nous avons conservé notre mode de vie traditionnel, on nous a privés du droit d'être appelés Indiens en vertu des lois du Canada. Nous avons été traités comme des citoyens de second ordre. Jusqu'en 1966, nous n'avions même pas le droit de voter dans cette province. On nous a nié le droit d'être un peuple.

Les changements apportés en 1985 à la Loi sur les Indiens ont entraîné des modifications à notre association qui s'est alors ouverte aux Indiens inscrits vivant hors réserve. C'est cela que je suis: une Indienne inscrite vivant hors réserve. Toutefois, aux yeux de la loi fédérale, mon fils n'a toujours pas le droit de se faire inscrire en vertu de la loi. Contrairement aux enfants de mon frère, mon fils ne le peut pas. Le jugement Corbière rendu en mai a été parfaitement explicite, en ce sens que ceux d'entre nous qui vivent hors réserve, et en particulier les femmes et les enfants, font l'objet d'une double discrimination. On nous refuse ce qui nous revient de droit. Les chefs ne peuvent pas conclure d'ententes ou signer d'autres instruments en notre nom jusqu'à ce que le contentieux soit vidé, jusqu'à ce que nous ayons assumé la place qui nous revient de droit.

Notre organisation a joué un rôle fondamental pour tous ceux qui ne sont pas de véritables Autochtones. Nous avons participé au caucus constitutionnel des années 80 et également siégé lors des négociations sur l'Accord de Charlottetown. Mon organisation a été au nombre de celles qui ont permis aux Métis, aux Indiens et aux Inuits d'être couverts par l'article 35 de la Constitution. Ce n'est pas mal pour des non-Autochtones, vous en conviendrez.

• 0910

Depuis lors, le NBAPC offre toute une palette de programmes et de services aux Autochtones hors réserve, notamment en matière de logement, de développement des ressources humaines, de pêche, d'emplois d'été pour étudiants et de stratégies d'emploi pour la jeunesse, pour n'en citer que quelques-uns. Plus important encore, comme je l'ai déjà dit, nous avons été partie prenante et bénéficiaires du processus de revendication territoriale globale qui se déroule actuellement au Nouveau-Brunswick.

Dans le jugement qu'elle a rendu le 17 novembre 1999 dans l'affaire Marshall, la Cour suprême a corroboré nos dires en précisant que nous étions bel et bien les bénéficiaires de nos propres traités. Les Micmacs, Malécites et Passamaquoddys qui sont les descendants hors réserve des signataires du traité continuent à vivre sur leurs terres ancestrales et non pas dans des réserves créées artificiellement et qui ne correspondent pas à la réalité moderne de notre tribu ou de ses territoires ancestraux. C'est ce qu'affirme l'article 17 de l'éclaircissement donné par la Cour suprême et que corrobore le jugement Corbière rendu en mai 1999.

Nous avons notre propre régime de gestion que nous appelons TIMBER. Nous sommes une communauté d'intérêts et en tant que descendants hors réserve des Micmacs, des Malécites et des Passamaquoddys, nous faisons valoir nos droits découlant du traité sur nos territoires ancestraux. La création d'une régie de gestion s'inscrit donc dans le droit fil du jugement de la Cour suprême du Canada.

Nous n'avons jamais été contre la négociation, comme l'ont confirmé à plusieurs reprises les tribunaux dans leurs jugements. Par contre, nous ne saurions permettre aux gouvernements de refuser leurs responsabilités fiduciaires à l'endroit de tous les peuples autochtones, ou d'y déroger, et cela comprend notre peuple qui devrait être prioritaire étant donné qu'il habite toujours sur ses territoires ancestraux.

Les ministres Dhaliwal, Nault, Goodale et MacAulay et, par extrapolation, les gouvernements fédéral et provincial, esquivent tous leurs responsabilités fiduciaires à notre endroit. En refusant à notre peuple les droits que leur accordent leurs traités et que la Constitution protège, comme l'a affirmé la Cour suprême du Canada, on rend impossible l'édification de notre nation. Il faut que les nations originelles puissent être reconstituées. Cela est fondamental, pas seulement pour les Micmacs et les Malécites, mais pour tous les Canadiens. Ce n'est qu'alors que nous pourrons tenter de trouver des solutions à long terme à nos problèmes et de nouer de véritables relations à long terme avec les Canadiens.

Si nous ne parvenons pas à reconstituer nos nations, les peuples autochtones du Canada continueront à vivre dans la pauvreté et à être des citoyens de second ordre. En particulier, les Micmacs et les Malécites hors réserve qui sont les descendants des signataires du traité continueront à être traités comme des citoyens de deuxième, voire de troisième ordre dans le monde autochtone par les chefs, les conseils et les gouvernements aux termes de la Loi sur les Indiens.

Depuis une quinzaine d'années, plusieurs rapports concernant les droits de la personne en général réclament du gouvernement qu'il arrête de traiter les Autochtones hors réserve comme un problème explosif. Si les gouvernements ne commencent pas à chercher une solution aux problèmes du peuple indien vivant hors réserve, ils condamneront celui-ci à rester à tout jamais une sous-humanité, une condition dont il ne sortira jamais. Est-ce cela le problème que vous voulez léguer à vos générations futures? Moi pas.

Je vous remercie.

Le président: Merci.

Qui veut commencer? Monsieur Bernier.

[Français]

M. Yvan Bernier (Bonaventure—Gaspé—Îles-de-la-Madeleine—Pabok, BQ): J'ai d'abord une question bien simple, monsieur le président. J'ai éprouvé quelques difficultés à me servir des écouteurs au début de la séance. La première partie des débats m'a donc échappé et j'en aurais bien besoin pour comprendre la suite.

Au point où j'en suis, j'en perds mon latin. On parle d'autochtones de la réserve. On parle d'autochtones hors réserve. On parle aussi d'autochtones non inscrits. Je pense que c'est ce dont la dame était en train de parler pendant que je me débattais avec mes écouteurs. J'aimerais savoir de qui on parle quand on parle d'autochtones non inscrits. Est-ce que ce sont des personnes de descendance autochtone qui ne sont pas reconnues, soit par la bande, soit par le gouvernement?

• 0915

Lorsque vous dites être de descendance autochtone, est-ce que vous savez de quelle nation ou de quelle bande vous relevez? J'aimerais que vous m'expliquiez cela sommairement pour m'aider à suivre le reste des débats. C'est que j'essaie de m'y retrouver. Ainsi, M. Marshall de l'arrêt Marshall était un autochtone inscrit mais hors réserve. Pouvez-vous m'expliquer cela et ce que c'est d'être non inscrit?

[Traduction]

Mme Betty Ann LaVallée: Vous avez parfaitement raison. M. Marshall est un Indien inscrit. Il est inscrit dans la fédération actuelle en vertu de la Loi sur les Indiens. Par contre, il n'habitait pas dans la réserve.

M. Marshall est comme moi. Il vit hors réserve. C'est quelqu'un comme moi qui vit hors réserve, qui a été accusé de pêcher illégalement l'anguille et qui a été trouvé non coupable. Si vous vous référez à la définition que M. Dhaliwal donne aux peuples autochtones qui ont le droit de se prévaloir du traité ou du jugement, à ce moment-là M. Marshall est exclu parce qu'il ne vit pas dans la réserve.

Ni la bande, ni les réserves ne se sont trouvées devant les tribunaux. Il s'agissait d'un Micmac qui vivait hors réserve. Moi aussi, je vis hors réserve. Cela signifie-t-il que M. Marshall est coupable? C'est l'un ou l'autre, mais pas les deux.

[Français]

M. Yvan Bernier: Je commence à comprendre un peu mieux. En Gaspésie, où nous allons nous trouver à la fin de notre voyage, il existe trois bandes de Micmacs, dont deux sur le territoire de la réserve et une, celle de Gaspé, qui n'a pas de territoire qui lui est propre. Moi-même, quand je me promène, je ne sais pas où ils sont. Ce sont tous des amis, mais je ne savais pas qu'ils étaient autochtones.

Ce que je ne comprends toujours pas, c'est ce qui définit les autochtones non inscrits. Cela veut sans doute dire qu'ils sont hors réserve, mais pourquoi dit-on qu'ils sont non inscrits? Je ne comprends pas. Cela fait donc trois catégories d'autochtones dont il faut tenir compte. Comment les non-inscrits font-ils pour s'inscrire? Et comment va-t-on faire pour tenir compte d'eux et leur réserver une partie de la ressource? Peut-être est-ce compliqué du côté du gouvernement fédéral, mais ce l'est aussi du vôtre, et j'essaie de comprendre.

[Traduction]

Mme Betty Ann LaVallée: Eh bien, pour la simple raison qu'il ne peut probablement pas se faire inscrire parce qu'il ne répond pas aux conditions prévues par la Loi sur les Indiens.

Je suis une Indienne inscrite, mais mon fils n'a pas le droit de l'être selon les dispositions actuelles de la loi. Moi je suis une Indienne au titre du paragraphe 6(2) de la loi. En fait, on nous classe un peu comme du bétail. Mon grand-père était un Indien de la catégorie A, mon père de la catégorie B et moi je suis une Indienne de la catégorie C. Mon fils quant à lui n'est pas jugé digne d'être vendu. Je ne pourrais mieux exprimer la chose. On nous classe comme du bétail, comme de la viande.

Dans toute autre société au Canada... Admettons que vous soyez marié à une anglophone et que vous ayez des enfants. Que diriez-vous si je vous disais: «Vos enfants ne sont pas des francophones, ce sont des Anglais»? Ce sont vos enfants. Comment ont-ils été élevés? Avez-vous élevé vos enfants en français? Les considérez-vous comme des francophones? Je vous remercie.

Il en va de même pour les Juifs et les Irlandais. Nous sommes actuellement la seule classe de gens au Canada à qui l'on dit ce qu'ils peuvent être et ce qu'ils ne peuvent pas être et qui tombent sous le coup de la loi. En tant qu'Indienne appartenant à la tribu micmaque, j'ai bien du mal à accepter que quelqu'un me dise que le fils que j'ai porté et dont j'ai accouché après 18 heures de travail n'est pas un Indien. Je voudrais bien voir qu'on fît cela à quelqu'un d'autre.

Le président: Monsieur Bernier.

[Français]

M. Yvan Bernier: Je trouve ces classifications étonnantes. Pour ce matin, cela suffit à éclairer ma lanterne. Toutefois, j'aimerais bien, monsieur le président, qu'au moment d'écrire notre rapport, on ait la classification à notre disposition ainsi que la façon dont elle est établie, à moins que d'ici là on ait le temps de faire venir des gens du ministère des Affaires indiennes. En tout cas, j'aimerais me faire éclairer là-dessus.

• 0920

[Traduction]

Le président: Yvan, je pense que nous pourrions demander à quelqu'un de la Bibliothèque du Parlement de nous composer une documentation à ce sujet. Nous allons en faire la demande. Nous aurons peut-être à demander à un moment donné des éclaircissements à des gens comme Mme LaVallée, mais c'est ce que nous ferons.

Avez-vous d'autres questions?

[Français]

M. Yvan Bernier: Ça va pour le moment.

[Traduction]

Le président: Monsieur Cummins.

M. John Cummins (Delta—South Richmond, Réf.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je voudrais remercier Mme LaVallée pour l'exposé qu'elle vient de nous faire.

Pour poursuivre cette question des Indiens inscrits et non inscrits, selon votre interprétation des choses, est-il possible qu'un Autochtone non inscrit vivant dans une réserve soit couvert par le jugement rendu dans l'affaire Marshall?

Mme Betty Ann LaVallée: Absolument pas.

M. John Cummins: Le gouvernement prétend donc qu'il s'agit exclusivement des Indiens inscrits qui habitent une réserve.

Mme Betty Ann LaVallée: En effet, et ce qui est drôle dans tout cela c'est qu'il y a dans les réserves des Indiens inscrits qui n'ont pas une goutte de sang indien. Ce sont des femmes comme ma mère qui, par mariage, ont acquis le statut d'Indien. Il y a dans les réserves des Indiens inscrits qui sont les enfants de ces femmes blanches, et si les Indiens qu'elles ont épousés ont décidé d'adopter leurs enfants, ces enfants auraient ainsi le droit d'aller pêcher. Par contre, il y a des gens comme moi et comme mes enfants et ceux de Philip qui ont du sang indien, qui sont de descendance indienne, mais le gouvernement, Pêches et Océans Canada, leur disent qu'ils n'ont pas ce droit. C'est donc un peu contradictoire, hypocrite même.

M. John Cummins: Comment se fait-il que certaines personnes ont perdu leur statut? C'est parce qu'elles ont quitté la réserve à un moment donné?

Mme Betty Ann LaVallée: Non. Dans ma famille, ce qui s'est passé, c'est que mon grand-père a été élevé au pensionnat de Shubenacadie. Dès qu'il a pu en partir, il est allé à Saint John, l'un des lieux de séjour traditionnels des Micmacs, et il y est resté. Ensuite, il y a eu la guerre et il est entré dans l'armée.

À l'époque, si on considérait que vous étiez instruit, si vous étiez une personne autochtone qui avait obtenu son diplôme d'études secondaires, que vous entriez dans l'armée et que vous deveniez membre d'une profession, que ce soit dans l'enseignement ou ailleurs, vous n'étiez plus considéré comme un sauvage et vous ne pouviez donc plus être appelé un Indien ni vivre dans une réserve.

Si vous étiez une femme mariée à un non-Autochtone, vous n'étiez plus considérée comme Autochtone et vous étiez donc expulsée de la réserve; vous n'aviez plus le droit d'y rester.

M. Philip Fraser (coordinateur, New Brunswick Aboriginal Peoples Council): Vous pouvez aussi choisir un moment précis de l'histoire et voir quelles étaient les définitions dans la Loi sur les Indiens à l'époque. Depuis 1869, cette loi n'a pas cessé d'évoluer, et les définitions ont constamment changé aussi. Donc cela ne repose même pas sur une race particulière. C'est simplement quelque chose de purement fortuit. Demain, le Parlement peut très bien modifier encore la Loi sur les Indiens et la définition.

Mme Betty Ann LaVallée: C'est juste. Demain, le ministre des Affaires indiennes pourrait très bien entrer dans cette salle et dire: «Bon, aux fins de la Loi sur les Indiens, toutes les personnes assises autour de cette table sont désormais des Indiens». C'est la réalité.

M. John Cummins: Cela fait partie d'une question plus vaste qui nous écarte peut-être de l'affaire Marshall, mais peut-être le président m'autorise-t-il à poursuivre cette question.

Le président: Allez-y.

M. John Cummins: J'ai l'impression qu'un des problèmes du processus de traité en cours dans ma propre province, la Colombie-Britannique, c'est qu'on ne tient pas compte du fait que de nombreuses réserves sont situées dans des zones qui n'offrent pas ou presque pas de débouchés économiques à la population locale. En essayant d'embellir—et ce n'est peut-être pas le mot approprié—la vie dans les réserves, vous encouragez en fait les gens à rester dans les réserves et à rester des assistés.

Un grand nombre d'Autochtones, et peut-être même la majorité d'entre eux, quittent actuellement les réserves pour essayer de trouver une activité économique ailleurs, mais le gouvernement semble aveugle à cette réalité. On ne les aide pas du tout à s'intégrer.

• 0925

On dirait aussi que l'arrêt Marshall, ou du moins l'interprétation qui en est donnée, et qui fait que seuls les Indiens inscrits vivant dans les réserves sont pris en considération, aboutit aux mêmes résultats. Si vous êtes parti là où il y a du travail—et vous pouvez être obligé de partir là où il y a du travail si vous achetez une licence d'une région où le gouvernement rachète les licences—et si ce n'est pas une zone de résidence d'Indiens inscrits, si vous dites que pour utiliser cette licence vous devez vivre là parce que c'est plus pratique, le gouvernement vous dit pratiquement que non, vous ne pouvez pas le faire, que vous devez rester dans la réserve parce que c'est là que le gouvernement veut que vous soyez. Je ne crois pas que ce soit l'intention du gouvernement, mais c'est ce qui se passe en réalité.

Mme Betty Ann LaVallée: C'est juste. Tous les autres Canadiens ont le droit de se déplacer librement à travers le Canada en continuant à bénéficier des programmes sociaux. Peu importe que vous partiez du Nouveau-Brunswick pour aller en Ontario ou en Colombie-Britannique, vous conservez le droit à l'assurance-chômage, vous conservez le droit aux services sociaux si vous en avez besoin, vous conservez le droit aux services d'assurance-santé si vous en avez besoin. En revanche, si je suis Autochtone et que je ne vis plus dans ma réserve, je perds le droit aux programmes et aux avantages que le chef et le conseil perçoivent en mon nom. Je n'ai plus le droit d'en bénéficier.

Un parfait exemple, c'est le mien quand j'ai quitté l'armée. J'avais une grosse pension. Finalement, j'ai été obligée de la reprendre parce que je n'avais pas tout à fait 20 ans d'ancienneté. Le ministère du Revenu m'a dit que si j'étais repartie dans la réserve, si j'avais quitté mon mari, ils n'auraient pas touché à ma pension. Mais comme je ne l'ai pas fait, que j'ai préféré rester avec ma famille pour trouver un débouché et avoir le travail que j'ai aujourd'hui, j'ai perdu plus des deux tiers de ma pension en impôt.

Le président: Je peux vous demander où cet argent est allé?

Mme Betty Ann LaVallée: Il est retourné au gouvernement fédéral.

M. Philip Fraser: L'autre question, c'est que votre Commission des droits de la personne essaie depuis 10 ou 12 ans de s'occuper de la question des Indiens hors réserve. Quand Betty Ann a dit il y a un instant que si le gouvernement ne commençait pas à s'occuper rapidement des personnes qui vivent hors réserve, ces personnes allaient rapidement devenir une sous-classe permanente, elle reprenait les propres paroles de Max Yalden, votre commissaire aux droits de la personne, dans son rapport de 1989-1990. Si vous lisez les rapports qui ont été publiés depuis, vous verrez qu'ils disent au gouvernement d'arrêter de se cacher la tête dans le sable et de commencer à s'occuper sérieusement de ces questions.

Vous avez raison. Le gouvernement ne veut pas voir le fait que, dans l'Ouest en particulier, beaucoup de gens quittent la réserve. Ici, nous avons encore des liens avec la réserve, mais les chiffres sont quand même les mêmes. Les gens partent vers les zones urbaines.

Le seul autre régime où l'on disait aux gens qu'ils avaient des droits limités, qu'ils avaient des droits à condition de vivre à un endroit donné, mais que s'ils partaient ailleurs ils perdent leurs droits, le seul autre système de ce genre qui existait, c'était celui de l'Afrique du Sud et il a été aboli. La différence, c'est qu'il existe toujours.

Pourquoi nos droits devraient-ils être différents? Si la limite de la réserve est ici et que nous vivons là, nos droits disparaissent? La plupart du temps, pour accéder aux ressources, il faut sortir des limites de la réserve. Le gibier et toutes les espèces animales ne connaissent pas de frontière.

M. John Cummins: En plus, il n'y a pas de travail. Beaucoup de ces réserves sont situées dans des régions où il n'y a pratiquement pas d'activité économique. Vous êtes obligé de partir si vous voulez...

Mme Betty Ann LaVallée: Comment les gens pourraient-ils le faire? Ils n'ont pas de garantie.

M. John Cummins: Oui, c'est vrai. C'est ce qu'on leur refuse avec cet arrêt, c'est ce qu'on leur refuse dans le processus des traités dans l'Ouest canadien.

M. Philip Fraser: Malgré tous les efforts que la Cour suprême a faits pour clarifier le jugement Marshall, elle n'a jamais corroboré le point de vue des chefs ni le point de vue des ministres hiérarchiques sur cette manifestation moderne. Elle parle encore des peuples.

Les peuples sont la nation, et non les structures municipales qu'on voudrait vous présenter comme des nations, car elles ne le sont pas. La nation, c'est l'ensemble des peuples micmacs, l'ensemble des peuples malécites, l'ensemble des peuples passamaquodys, inscrits et non inscrits, vivant à l'intérieur ou à l'extérieur des réserves. C'est cela, les nations.

Le président: Si vous me permettez d'intervenir un instant, Philip, Bernd Christmas, quand il a comparu devant le comité le 28 octobre—a répondu ce qui suit à une question de Stoffer qui voulait savoir si l'arrêt Marshall s'appliquait aux Autochtones non inscrits. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus, Betty Ann ou Philip. Voici la réponse de Bernd Christmas telle qu'elle figure au compte rendu:

    D'après les chefs de la Nouvelle-Écosse, cette décision [...]

—il parlait de la décision Marshall—

    ne s'applique pas aux Autochtones non inscrits. Toutefois, les chefs sont d'avis que c'est aux Micmacs de décider qui peut bénéficier de ce droit issu d'un traité.

• 0930

Il ajoute ensuite qu'ils vont le faire. Qu'en pensez-vous?

Mme Betty Ann LaVallée: Premièrement, M. Christmas n'est pas un représentant, mais un porte-parole payé. Les chefs l'ont toujours dit. C'est pour cela que nous avons la décision Corbière. Ils ont toujours dit qu'ils sont les représentants juridiques de tous les Autochtones et Corbière l'a bien précisé pour nous. Corbière a clairement dit que les chefs ne peuvent régir que les personnes qui vivent à l'intérieur du système des réserves. Ils ne peuvent pas s'exprimer en mon nom ni au nom de Phil, tant qu'ils n'ont pas réglé la question du vote, et cela ne sera pas réglé avant novembre prochain. Donc ils ne peuvent pas signer d'accords ni quoi que ce soit en notre nom, ni négocier en notre nom. Nous devons être présents à la table.

Quant à savoir si c'est à la nation de décider qui fait partie de son peuple, je suis tout à fait d'accord. C'est à la nation de le faire, pas aux chefs.

M. Philip Fraser: En plus, les gens ne se rendent pas compte que les chefs ont été payés depuis un certain nombre d'années pour les droits issus des traités, et s'ils ont pris leur décision, pourquoi va-t-on revenir les trouver encore avec de grosses sommes d'argent pour discuter des droits issus des traités?

Si c'est au peuple micmac de prendre la décision, qu'on demande aux Micmacs de voter, et pas seulement à quelques individus. C'est cela notre problème.

Le président: Monsieur Steckle.

M. Paul Steckle (Huron—Bruce, Lib.): Monsieur le président, je voudrais poser quelques questions.

J'ai trouvé cette discussion très intéressante car même si je n'ai pas de groupes d'Autochtones traditionnels dans ma circonscription en Ontario, il y en a juste à la limite de ma circonscription. Ces décisions qu'on prend de temps à autre ont des répercussions sur ce qui se passe, en particulier la pêche en eau douce dans ma circonscription. Donc je connais un peu la question.

Je voudrais pousser la discussion un peu plus loin. Nous avons parlé de généalogie ce matin. Vous avez aussi parlé dans votre exposé de la juste place des peuples autochtones. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus ce que vous entendez par là? J'aurais des questions à vous poser à ce sujet.

Mme Betty Ann LaVallée: Vous parlez de la juste place des Autochtones au Canada?

M. Paul Steckle: Vous avez parlé de juste place au Canada, j'imagine, mais peut-être plus précisément dans un contexte provincial ou communautaire.

Étant donné qu'il y a des gens qui vivent en dehors des réserves, qu'il y a des Indiens non inscrits, qu'il y a des Autochtones inscrits, quand et où allons-nous poursuivre cette discussion? Est-ce qu'elle va continuer encore pendant 200 ans? J'essaie d'être gentil quand j'aborde ce débat car...

Mme Betty Ann LaVallée: Il est impossible d'être gentil sur une question comme celle-là, car c'est de la discrimination pure et simple.

Je suis une citoyenne de troisième classe dans mon propre pays, et je trouve cela parfaitement inadmissible. La seule solution, c'est de changer la Loi sur les Indiens. Il faut changer cette loi pour que ce soit la nation qui décide de sa citoyenneté, et pour cela il faut reconstituer la nation. Il faut qu'il y ait une place à table pour des gens comme moi, mon fils et mes petits-enfants qui ne sont pas encore nés, mais qui seront mes héritiers et mes descendants naturels.

J'ai un devoir auprès de ma nation. Je suis de la 7e génération. Quand ces traités ont été signés, ils devaient protéger les sept générations suivantes. J'ai maintenant le devoir moral de protéger les sept générations suivantes de mon peuple. C'est pour cela que je trouve assez original le fait d'être passé du domaine militaire à une activité de dirigeante politique. Je n'en avais jamais rêvé, mais je crois au destin. J'ai été placée ici pour une raison, et ma raison d'être, pour autant que je puisse en juger, c'est de protéger mon fils et mes petits-enfants et ceux qui suivront.

Il faut que le ministère des Affaires indiennes commence à s'occuper de nous. Il ne peut plus continuer à nous ignorer. Nous relevons maintenant du ministre responsable de l'interlocuteur et des Indiens hors réserve, qui n'a...

M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD): M. Goodale.

Mme Betty Ann LaVallée: M. Goodale, c'est exact. Il n'a pas d'argent, pas de budget, il est censé faire du lobbying, mais M. Goodale est aussi ministre des Ressources naturelles et ministre responsable de la Commission canadienne du blé. A-t-il le temps et l'argent nécessaires pour discuter de tout ceci avec nous? Je ne crois pas.

• 0935

M. Paul Steckle: Est-ce que ce sont les Autochtones qui vivent dans les réserves ou ceux qui vivent à l'extérieur des réserves qui sont les plus à l'aise financièrement et les plus à même d'occuper leur juste place dans la nation?

Mme Betty Ann LaVallée: Ni les uns ni les autres.

M. Paul Steckle: Pourquoi certains d'entre eux choisissent-ils de quitter les réserves?

Mme Betty Ann LaVallée: Certains le font tout simplement pour des raisons économiques et sociales. Si vous lisez les journaux du Nouveau-Brunswick, vous verrez qu'il y a beaucoup de suicides, surtout chez les jeunes, à cause de la drogue. Ces jeunes n'ont aucun espoir. Ils n'ont aucune ouverture économique.

C'est pour cela que la décision sur le bois d'oeuvre a provoqué un tel tollé au Nouveau-Brunswick. Pour la première fois depuis des siècles, les Autochtones n'étaient plus obligés d'attendre qu'on leur fasse l'aumône. On nous autorisait à aller récolter une ressource. Nous pouvions enfin entrer dans un magasin pour acheter un jouet à notre enfant ou pour lui payer la paire de chaussures de sport que tous les autres enfants de l'école avaient. Nous étions indépendants.

Les manifestations de violence, la violence à l'égard des conjoints, la toxicomanie et l'alcoolisme ont beaucoup diminué.

M. Paul Steckle: Vous voulez dire que cette possibilité de s'intégrer à la population générale a été très utile pour les Autochtones?

Mme Betty Ann LaVallée: Je dis que cela a été le cas pour des gens comme moi, mais cela m'a coûté cher.

M. Paul Steckle: De quel coût parlez-vous? Vous parlez de nation, et je ne comprends peut-être pas très bien ce que vous entendez par là. Nous sommes ici en tant que gouvernement du Canada représentant...

Mme Betty Ann LaVallée: Une nation, c'est l'ensemble des individus qui forment un peuple. Cela veut dire que la nation malécite regroupe tous les membres des peuples malécites où qu'ils vivent—et non pas simplement les réserves.

M. Paul Steckle: Est-ce que ce n'est pas la même chose pour tous les Canadiens—nous sommes canadiens quel que soit l'endroit où nous vivons et celui d'où nous venons?

Mme Betty Ann LaVallée: C'est juste.

M. Paul Steckle: Quand une personne non autochtone épouse une personne autochtone, c'est que les deux s'aiment. Ce n'est pas comme si nous nous méprisions. Il y a quelque chose en commun. Pourquoi ne pourrions-nous pas trouver de points communs dans toutes sortes d'autres domaines?

Je regarde de l'extérieur ce qui est arrivé aux gens des réserves. Nous avons maintenu ces personnes dans les réserves. Nous les avons enfermées dans des murs et nous leur avons jeté des miettes. Cela n'a pas été très bon pour elles.

Mme Betty Ann LaVallée: C'est juste.

M. Paul Steckle: J'aimerais trouver une meilleure façon de—faute d'un meilleur thème—les intégrer.

Mme Betty Ann LaVallée: Mais cela n'a pas été une bonne chose pour des gens comme moi non plus. Du simple fait que j'ai choisi d'honorer le traité que mon arrière-arrière-arrière-grand-père, le major Jean-Baptiste Cope, avait signé, j'ai perdu le droit d'être appelée une Indienne. Du simple fait que j'ai épousé un francophone, j'ai perdu le droit d'être appelé une Indienne. Mon fils a aussi perdu ce droit. Est-ce que c'est juste?

M. Paul Steckle: Eh bien, je ne sais pas. D'après vous, manifestement non. Mais nous tous autour de cette table, nous avons derrière nous un patrimoine.

Mme Betty Ann LaVallée: Je vis aussi dans une province dont personne ne m'a encore montré l'acte de vente. C'est encore ma terre. C'est de la terre qui n'a pas été vendue. Elle n'a jamais été achetée, nous n'avons jamais été indemnisés. On nous a parqués dans des réserves. Ces réserves n'étaient pas conçues pour nous permettre de survivre. Elles étaient destinées à nous faire mourir. C'était cela l'intention, si vous regardez la création historique de ces réserves. Le but, c'était soit de nous tuer, soit de nous assimiler ou de nous intégrer. Et à quel coût pour mon peuple?

M. Paul Steckle: Ne convenez-vous pas, cependant, que nous devons aller de l'avant d'une certaine façon? Nous ne pouvons pas revenir en arrière et défaire ce qui a été fait.

Mme Betty Ann LaVallée: Vous avez raison, nous ne pouvons pas défaire ce qui a été fait. Nous devons aller de l'avant et trouver une solution pour des gens comme moi, afin que je ne sois plus obligée de baisser la tête de honte et de lutter contre mes frères et mes soeurs qui vivent dans la réserve afin d'obtenir le droit d'être reconnue comme Autochtone, le droit de profiter de quelque chose qui me revient de droit.

M. Paul Steckle: L'Accord définitif nisga'a va-t-il dans la bonne direction pour les peuples autochtones?

Mme Betty Ann LaVallée: Si le peuple nisga'a a décidé ce qui était le mieux pour le peuple nisga'a, cela ne me pose pas de problème, pourvu que tous les Nisga'as qui sont les bénéficiaires des descendants des traités qui ont été négociés participent au processus décisionnel.

Je dis qu'en tant qu'Autochtone, j'ai le droit de faire un choix pour moi-même. Personne d'autre n'a le droit de déterminer qui je suis, comment je vis ou ce que je devrais être ou ne pas être.

Vous êtes libre de choisir où vous vivez et vos droits humains fondamentaux sont toujours respectés. En tant que femme autochtone de la tribu et de la nation micmacs, j'ai le droit de choisir quel système de gouvernement représente le mieux ma situation. J'ai le droit de choisir où je veux vivre, selon quelles règles je veux vivre et selon quelles règles je veux exercer mes droits autochtones et mes droits issus de traité qui sont garantis à l'article 35 de la Constitution du Canada.

Le président: Monsieur Stoffer. J'aimerais que nous tentions de nous en tenir plus directement à l'arrêt Marshall, si cela est possible.

M. Peter Stoffer: Comme vous le savez, j'ai posé la question sur le statut indien ad nauseam, et je n'ai pas à le faire maintenant. Je pense que nous avons eu des précisions en ce qui concerne la position de Betty Ann et de Philip.

J'aimerais aborder une autre question en ce qui concerne les ressources. Nous avons entendu des témoignages de gens qui nous ont dit que les Autochtones n'avaient pas accès à certaines ressources à certains moments donnés. Je n'ai pu m'empêcher de remarquer que vous aviez ce livre, alors je vais vous demander de parcourir ce petit livre.

Je sais que c'est une question piège, mais on m'a dit que lorsque les Européens sont venus ici, les Autochtones avaient accès à des ressources au large des côtes, peut-être pas à 200 milles au large des côtes, mais je ne pense pas qu'il y avait un millage déterminé. Je pense qu'ils suivaient tout simplement le poisson là où il allait—que ce soit le thon, l'espadon ou les baleines, et qu'ils le ramenaient.

Nous avons entendu des témoignages, particulièrement des entreprises qui nous ont dit qu'elles préféreraient que l'arrêt Marshall maintienne la limite de trois milles, et que tout ce qui se trouverait au-delà de cette limite ne s'appliquerait pas—alors Philip, allez-y.

M. Philip Fraser: C'est un livre intéressant...

M. Peter Stoffer: Je n'ai pas dit ce mot.

M. Philip Fraser: Cela a été écrit par des universitaires et des écrivains non autochtones venant de divers endroits. Je vais utiliser leurs arguments, et si les gens veulent le lire, le titre du livre est How Deep is the Ocean. Le premier chapitre en particulier fait de nombreuses allusions aux peuples autochtones des Maritimes et aux alentours des Maritimes, de Terre-Neuve jusqu'au Cap-Breton, au Nouveau-Brunswick actuel, et ainsi de suite.

Il y a un site particulier qui remonte à plusieurs milliers d'années où on montre notre peuple qui fait la capture du poisson, utilisant divers crustacés et coquillages, selon certaines preuves qu'ils ont pu établir. Certaines preuves démontrent que notre peuple pêchait le homard il y a 300 à 500 ans. Tout cela remonte donc fort loin.

Il y a par ailleurs des preuves que notre peuple pratiquait la pêche sur les Grands Bancs. Les flottes européennes décrivaient également notre peuple en train de pêcher dans la région des Grands Bancs.

Nous avons utilisé pendant longtemps les ressources marines, que ce soit pour la pêche côtière, semi-hauturière ou en eaux profondes—et cela ne s'est pas prolongé. C'est pourquoi les bateaux des Micmacs étaient construits pour voguer sur les océans—pour affronter les eaux qu'ils devraient affronter au cours des différentes périodes de leur histoire.

Un homme m'a dit qu'il se trouvait à un moment donné en Égypte et qu'ils avaient trouvé un vieux canot pourri sur les côtes. Il est maintenant dans un musée quelque part là-bas. Il s'est un jour trouvé dans ce musée et il a vu le canot en question exposé derrière un écran de verre. Il a été surpris de lire qu'il s'agissait d'un canot micmac. Nous étions les seuls à avoir des canoës avec un haut plat-bord.

On ne sait pas trop comment le canot s'est retrouvé là-bas, mais j'imagine que notre peuple n'était pas différent des Européens. Nous faisons de l'exploration. Si on regarde les terres émergées qui relient Terre-Neuve au Cap-Breton, on sait que par le passé notre peuple se rendait en une journée à Terre-Neuve en passant par la côte sud de Terre-Neuve. Si on reste le long de ces eaux, on n'est pas très loin de la partie sud du Groenland et des eaux plus chaudes d'Europe.

On sait que notre peuple a voyagé au-delà des rives et des côtes de notre coin de pays, de nos territoires traditionnels. Il y a donc beaucoup de preuves à cet effet. Il faudrait peut-être examiner cette question. Pour ceux qui disent que nous n'avions pas les ressources, nous avions des noms traditionnels pour ces ressources également.

• 0945

M. Charlie Power (St. John's-Ouest, PC): De toute évidence, Betty Ann a soulevé un grand nombre de questions. J'aimerais que vous expliquiez brièvement, pour que je puisse comprendre un peu mieux, comment vos enfants sont traités différemment de ceux de votre frère. Je trouve cela absurde que parce que vous êtes une femme vous soyez lésée, Loi sur les Indiens ou pas. Comment est-ce possible?

Mme Betty Ann LaVallée: Ça divise les familles, croyez-moi. Les enfants de mon frère peuvent obtenir des subventions pour jouer au hockey et ce genre de choses, mais je n'ai pas les moyens, pour mon propre enfant...

M. Charlie Power: Est-ce parce que contrairement à vous, il vit dans la réserve?

Mme Betty Ann LaVallée: Non. Il vit hors réserve.

M. Charlie Power: Vous vivez donc tous les deux hors réserve et vous avez les mêmes parents, mais vos enfants sont traités différemment des siens.

Mme Betty Ann LaVallée: C'est exact. On dit que ses enfants sont des Autochtones et ils sont définis comme des Autochtones aux termes de la Loi sur les Indiens. Mon fils n'a pas droit à... mon frère est lui aussi marié à une blanche.

M. Charlie Power: Faut-il blâmer la culture micmaque qui était dominée par des hommes et des chefs dans l'ancien temps?

M. Philip Fraser: La culture micmaque n'a jamais été dominée par les hommes.

Mme Betty Ann LaVallée: C'est exact. La culture micmaque était matrilinéaire. Ce sont les femmes qui dirigeaient dans notre culture.

M. Philip Fraser: Ce sont les mères de clan qui décidaient qui seraient les dirigeants, et elles étaient les seules à décider à quel moment les dirigeants devaient laisser la place à d'autres.

Mme Betty Ann LaVallée: C'est exact. Nous avions nos propres traditions lorsque sont arrivés les gens qui ne croyaient pas aux traditions autochtones, les francophones et les anglophones de la France et de l'Angleterre. Bon nombre d'Européens sont arrivés dans notre pays et ont épousé des femmes autochtones pour avoir accès au commerce de la fourrure, aux ressources, pour les Couronnes britannique et française. Ils se sont intégrés à la communauté autochtone. Ils vivaient comme les Autochtones.

M. Philip Fraser: Les structures de la Loi sur les Indiens d'aujourd'hui ne correspondent pas au régime de gouvernement des nations micmaques.

M. Charlie Power: Nous allons peut-être en parler plus tard, car j'aimerais bien comprendre comment cela s'est produit.

Mme Betty Ann LaVallée: Il n'y avait que deux tribus patrilinéaires en Amérique du Nord ou à Turtle Island, soit les Apaches et, je crois, les Sioux.

M. Charlie Power: Revenons à l'arrêt Marshall, tout d'abord.

L'un des principaux problèmes que nous avons avec ceci au Comité des pêches—et nos exposés hier en Nouvelle-Écosse ont fait ressortir la question—c'est que si l'arrêt Marshall ouvre les ressources, avec toutes les ressources halieutiques dont nous parlons, qu'il s'agisse du homard, du crabe, de la morue ou autres, ces ressources sont limitées. La majeure partie de ces ressources est pleinement utilisée à l'heure actuelle, et la plupart des pêcheurs, du moins certainement à Terre-Neuve, diraient qu'il n'y a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins de tous ceux qui tentent maintenant d'en vivre.

Combien de gens représentez-vous, et combien de gens, à votre avis, voudront pratiquer la pêche? Où va-t-on trouver les ressources pour permettre à ces gens, s'ils veulent pêcher, de gagner leur vie décemment?

Mme Betty Ann LaVallée: Nous représentons environ 7 500 Indiens hors réserve au Nouveau-Brunswick. Est-ce que tout le monde voudra aller pêcher le homard? Non. C'est un travail dur, difficile. Je gagne modérément ma vie. Je ne souhaite nullement faire de la pêche à ce moment-ci. Je n'ai pas besoin de pêcher.

Nous avons préparé un plan de gestion en nous fondant sur l'arrêt Marshall. Il est intitulé TIMBER et donne les grandes lignes de ce à quoi nous avons droit aux termes du traité. Nous avons quatre principes directeurs dont Phil peut vous parler plus en détail, puisqu'il fera la cogestion de tout cela. Depuis environ sept ans, notre stratégie de pêche autochtone est régie par des règlements et des lignes directrices.

M. Charlie Power: D'où viennent les ressources? Si vous avez 7 500 personnes et que 10 p. 100 d'entre elles veulent pratiquer la pêche, on parle de 750 personnes qui voudront maintenant pêcher le homard. D'où viendront les ressources supplémentaires?

M. Philip Fraser: Il n'y a pas de quota à ce moment-ci pour le homard. Personne ne sait quelle est la biomasse du homard. Dans certains districts, on a toujours pêché une quantité record de homard. Les pêcheurs disent que nous n'avons pas besoin de réglementer, qu'il y a suffisamment de ressources.

M. Charlie Power: Mais il y a une limite à la quantité de ressources qui existe.

M. Philip Fraser: Il y a aussi la politique de remplacement des étiquettes. Selon les milieux à qui on s'adresse au ministère des Pêches, si on perd 10 étiquettes, le ministère des Pêches et des Océans a pour politique de remplacer non seulement les étiquettes que l'on a perdues, mais toute la série.

• 0950

Je ne sais pas s'il est possible de convaincre les groupes de venir ici l'admettre, mais il y a des gens, qu'ils pêchent ou non, qui admettent qu'il y a davantage de cages dans l'eau que ce que l'on prétend.

Là déjà, on parle du fait qu'il y a trop de ressources qui sont capturées. Il y a des façons de le faire. J'ai entendu le gouvernement parler d'un programme de rachat. Reste à savoir où se trouvent ces permis qu'ils achètent depuis les six, huit ou dix dernières années. Les permis qui ont été achetés pour nous dans le cadre de ce programme l'an dernier dépendent des caprices du MPO, selon qu'ils veulent ou non faire une pêche alimentaire.

Par conséquent, pourquoi a-t-on vraiment créé le Programme de transfert des allocations aux Autochtones? Est-ce un programme de retraite pour les pêcheurs ou le programme vise-t-il plutôt à donner aux Autochtones accès à la pêche? Cette année, si le MPO veut créer des problèmes et ne pas conclure d'entente, il ne va pas émettre de permis de pêche commerciale. Qu'arrivera-t-il à ces permis? Je croyais qu'on les achetait pour la retraite, pour passer à autre chose. Le permis ne le fait pas complètement, car c'est la politique du MPO à ce moment-ci.

Nous ne savons jamais d'une saison à l'autre ce qui va arriver. Nous avons eu le même problème l'an dernier. Nous avions une bonne pêche alimentaire en place; nous étions supposés obtenir un permis de pêche commerciale pour la zone 23. On a créé des problèmes à la dernière minute, ce qui fait qu'on n'a pu obtenir un permis qu'un mois après le début de la saison de pêche. Nous avons perdu. Nous avons dû engager des coûts à cause de cela.

Cette année, nous avons pu avoir accès au quai, en obtenant finalement un permis dans la zone 25. On nous a harcelés. On nous a dit de quitter le quai. On nous a dit qu'on ne voulait pas nous voir là. Nous sommes cependant restés. Et ce sont les mêmes groupes qui prétendent avoir les intérêts des peuples autochtones à coeur pour qu'ils aient accès à la pêche. Peu importe ce que nous voulons. On n'arrive pas à régler la question.

Certains ne veulent tout simplement pas régler la question. Nous avons toujours été prêts à négocier. Nous avons toujours été prêts à collaborer avec d'autres groupes. C'est ce que nous voulons faire dans le domaine de la pêche—trouver une solution. Mais il faut que des deux côtés l'on fasse des efforts. Les efforts ne peuvent pas être faits dans un seul sens.

Le président: Merci, monsieur Fraser.

Je voudrais dire aux membres du comité que le plan de gestion dont Betty Ann a parlé se trouve dans la documentation que nous vous avons remise à titre d'information.

Merci, madame LaVallée et monsieur Fraser. Nous devons maintenant passer au témoin suivant. Merci beaucoup.

Betty Ann, j'aurais une question à vous poser, même si cela risque d'être gênant pour moi: que signifient les lettres CD qui se trouvent à la suite de votre nom sur le document?

Mme Betty Ann LaVallée: Canadian Declaration.

Le président: Merci.

Bienvenue, monsieur Bell. Je crois que vous nous avez distribué un document. Il est difficile d'entendre ce qui se dit dans cette pièce sans mettre d'écouteurs, mais je vous demanderais de donner les grandes lignes de votre mémoire le plus brièvement possible afin de laisser du temps pour les questions. Nous disposons d'environ une demi-heure.

M. David Bell (témoignage à titre personnel): Monsieur le président, je vous remercie d'avoir eu la courtoisie d'inviter un historien juridique à comparaître devant le Comité des pêches.

Je comprends que le comité s'intéresse à l'avenir et mes observations porteront le plus possible sur l'avenir.

Mon thème est le suivant: les guides d'opinion comme vous doivent prêcher l'évangile d'une négociation globale comme étant la seule solution de rechange acceptable pour mettre fin à cette série de litiges devant les tribunaux. Je remercie le comité et les membres de son personnel d'être venus ici tenir cette tribune constructive au sujet de l'avenir.

L'exposé que j'ai préparé est bref. C'est la deuxième fois en deux décennies que le nom de Donald Marshall entre dans le domaine public. Pour une deuxième fois, le travail personnel de Donald Marshall auprès du système juridique est devenu une sorte de lentille à travers laquelle les habitants des provinces Maritimes sont obligés de confronter des épisodes malheureux de notre passé qui semblent avoir des conséquences étonnantes pour l'avenir.

• 0955

C'est troublant pour les bénéficiaires de la dépossession autochtone d'envisager cette injustice. Si, après l'arrêt Marshall, nous continuons à ne pas tenir compte de la dépossession autochtone et des droits autochtones, ce sera à nos propres risques et périls.

L'idée même que des traités qui remontent aux années 1760 puissent soudainement transformer l'accès aux ressources au XXIe siècle est ahurissante. Rien n'a préparé la population pour l'arrêt Marshall. Le silence de la part des guides d'opinion a permis aux habitants des provinces Maritimes de supposer que les questions des droits des Autochtones étaient limitées à des endroits éloignés comme la Colombie-Britannique ou qu'elles disparaîtraient tout simplement, tout comme la crise dans les forêts du Nouveau-Brunswick qui a été déclenchée il y a quelques années par l'affaire Peter Paul semble avoir disparue.

Le premier message de l'arrêt Marshall c'est que l'époque où la culture dominante pensait qu'elle pourrait reporter indéfiniment le débat sur les droits autochtones est révolue.

L'arrêt Marshall qui a été rendu par la Cour suprême est un fait. Ceux qui se demandent comment ce que le traité en question exprime comme étant une restriction peut être transformé par un tribunal en un droit devraient noter qu'un tel raisonnement a été adopté dans une certaine mesure par les sept juges de la Cour suprême du Canada et aussi par le juge de première instance en Nouvelle-Écosse.

Je voudrais présenter au comité trois observations qui découlent de mon étude générale des traités maritimes du XVIIIe siècle que je suis en train de faire éditer au complet.

Naturellement, tout le monde veut savoir ce qui va arriver. Que va-t-il se passer? Mais comme l'arrêt Marshall le montre bien, ce que nous ferons à l'avenir sera peut-être déterminé—dans une mesure surprenante, dans une mesure ahurissante et déconcertante—par ce qui s'est passé il y a très longtemps.

Le traité de 1761 dont on tient compte dans l'arrêt Marshall n'est qu'un parmi les nombreux fantômes du XVIIIe siècle que nous allons maintenant traîner devant les tribunaux afin de déterminer s'ils sont toujours valables sur le plan juridique.

Il y a trois choses que j'aimerais dire. Il n'y a pas de traité magique. Lorsque les gens comprennent que je fais de la recherche sur tous ces traités, essentiellement pour la première fois, ils me demandent toujours si on ne va pas découvrir sur des tablettes poussiéreuses un traité qui porte globalement sur des questions dont nous sommes saisis aujourd'hui.

Les gens semblent toujours espérer qu'on découvrira un jour un traité signé par les Amérindiens des Maritimes dans lequel ils renoncent à tous leurs droits. La réponse est bien claire. Il n'y a pas de traité magique qui fera disparaître toutes nos préoccupations à l'heure actuelle. Si un tel traité signé par les Amérindiens des Maritimes existait, ces derniers ne l'auraient pas oublié. Nous ne l'aurions pas perdu.

Ma deuxième observation, c'est qu'on continuera d'avoir des litiges relativement aux traités. Seulement deux des nombreux traités relatifs aux Maritimes ont fait l'objet d'un litige qui a été porté devant la Cour suprême du Canada. Bien que l'arrêt Marshall a sans doute rendu inutiles certains litiges relativement à ces traités, car l'arrêt Marshall établit un droit de chasse et de pêche, la grande question qu'il faut encore déterminer consiste à savoir si les Amérindiens des Maritimes ont une revendication territoriale qui se fonde sur les traités.

Il faut alors se pencher plus particulièrement sur le traité de Boston de 1725, le fameux traité Dummer, bien que dans le cas des Malécites, on peut faire valoir que le gouvernement avait fait des promesses dans les années 1760 et 1770. Remarquez que cette revendication territoriale fondée sur le traité sera distincte dans son fondement de la revendication territoriale au terroir non fondée sur un traité que les Amérindiens des Maritimes, au moment où nous nous parlons, sont en train de formuler aux termes de la doctrine légale du titre autochtone.

Enfin, de telles revendications sont plausibles. Je ne veux pas dire par là qu'elles auront gain de cause, mais elles sont plausibles. Elles auront peut-être gain de cause puisqu'elles seront débattues avec beaucoup de vigueur. Jusqu'à tout récemment, les causes relatives à des traités maritimes ont toujours été rejetées. À la suite de la décision Sylliboy en Nouvelle-Écosse en 1928, les juges ont tout simplement été incapables de prendre les traités indiens au sérieux. Cependant, depuis la décision historique de la Cour suprême en 1985 dans l'affaire Simon, les traités maritimes ont fini par être pris davantage au sérieux par les tribunaux, si ce n'est par la culture dominante.

• 1000

Ce qui a changé, ce ne sont pas les traités mais les tribunaux. La génération actuelle est prête à découvrir une signification aux articles des traités alors qu'une génération précédente n'en trouvait pas. Lorsqu'on se demande ce que signifie un traité, on doit se demander en réalité ce qu'un tribunal risque de dire ce que signifie un traité, et la réponse à cette question a considérablement changé au cours de notre vie.

L'arrêt Marshall rendu par la Cour suprême le 17 septembre 1999 semble semer la panique chez les guides d'opinion. La précision du 17 novembre a rafraîchi les esprits et offert un répit temporaire, mais mettra-t-on à profit un tel calme avant que frappe la prochaine série de litiges? Dans dix ans, les habitants des provinces Maritimes devront-ils vivre d'un arrêt à l'autre avec comme toile de fond crise et désordre? Les guides d'opinion dans la presse, en politique et dans la communauté autochtone, auront tout autant que les tribunaux la responsabilité de déterminer la réponse à la question.

Si le contrôle des ressources naturelles dans les Maritimes doit être déterminé par des gens qui vivent au XXIe siècle et non pas par les fantômes du XVIIIe siècle, alors les principaux acteurs doivent tenir compte du conseil sérieux du juge en chef Lamer dans l'affaire Delgamuukw et aussi de M. le juge Binnie dans l'affaire Marshall et accepter de négocier.

Les gouvernements provinciaux et fédéral doivent cesser de jouer au petit jeu de cache-cache des compétences. Certaines questions peuvent relever de la compétence fédérale—les pêches, les Indiens et les terres réservées pour les Indiens—mais l'agitation est provinciale. Les gouvernements provinciaux des Maritimes doivent être prêts à se joindre au gouvernement fédéral à la table des négociations.

Pour ce qui est du droit ancestral et du droit issu de traités, les deux paliers de gouvernement et les deux Premières nations des Maritimes doivent mettre de côté la distinction accidentelle qui existe entre les Indiens inscrits et non inscrits, comme on nous l'a dit. Comme les tribunaux déterminent les droits issus de traités et autres droits ancestraux historiques, on ne peut être tout à fait certain qu'ils continueront à limiter ces avantages aux Amérindiens inscrits seulement. Toutes les parties autochtones doivent être représentées à la table des négociations, mais les Autochtones doivent venir négocier en tant que nations unifiées.

La division entre les Indiens inscrits et non inscrits et aussi la division des Amérindiens inscrits en nombreuses communautés de diverses tailles qui vivent dans les réserves est peut-être un fait établi à des fins juridiques, mais dans le cadre des négociations de l'avenir, les deux groupes culturels doivent se reconstituer comme nations. Ils doivent se mettre dans une position qui leur permettra de négocier comme une nation micmaque réunifiée et une nation malécite réunifiée.

Si les gouvernements et les Premières nations reconstituées ne réussissent pas à négocier, alors dans dix ans nous devrons toujours vivre d'une cause à l'autre, d'une crise à l'autre. Ce n'est que lorsque les deux paliers de gouvernement et les deux Premières nations reconstituées viendront à la table négocier que nous serons en mesure de mettre nos ressources en valeur en tenant compte des besoins du XXIe siècle, et non pas des préoccupations d'il y a 300 ans.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci.

Je donnerai d'abord la parole à M. Provenzano, mais auparavant, est-il possible de faire ce que vous voulez que l'on fasse avec la Loi sur les Indiens dans sa forme actuelle?

M. David Bell: Oui. Je ne dis pas que nous devrions éliminer la distinction entre les Indiens inscrits et non inscrits. Ce que je dis, plutôt, c'est qu'on peut le faire malgré cette distinction.

M. Carmen Provenzano (Sault Ste. Marie, Lib.): Monsieur Bell, c'est une proposition intéressante, avec trois principes, dont le troisième à mon avis pose un problème sur le plan pratique. Il ne fait aucun doute que ce serait une bonne chose que les gouvernements provinciaux et fédéral viennent négocier et que toutes les parties autochtones soient représentées, mais si l'on établit comme condition préalable que les parties doivent parler au nom d'une nation micmaque unifiée et d'une nation malécite unifiée, sur le plan pratique, est-ce que cela ne va pas faire échouer toute mesure? Si les gouvernements adoptaient un tel conseil, cela ne gèlerait-il pas toute la situation sur le plan pratique?

• 1005

Notre comité a entendu ces nations mêmes parler de leurs intérêts opposés, et je dirais, pour le moment, que si l'on tente de n'avoir qu'une seule voix avec le mandat de négocier un accord final, on perd son temps. Étant donné cette réalité, quel serait à votre avis la prochaine étape réelle sur le plan pratique par rapport à ces négociations?

M. David Bell: Mes observations étaient celles d'un observateur intéressé plutôt que celles d'un expert dans les relations actuelles entre le gouvernement et les Autochtones. Mes observations, même si elles ont une certaine connotation utopique à certains égards, visaient cependant à répondre à la question même que vous avez posée.

Essentiellement, nous avons un choix. Nous pouvons vivre avec l'arrêt Marshall. Nous pouvons nous mettre dans une position où il n'y aura plus d'émeutes ou seulement de petites émeutes, des troubles locaux, mais ce n'est que partie remise en attendant la prochaine décision du tribunal ou la prochaine série d'émeutes. Ou bien les décisionnaires, non pas seulement le gouvernement, mais la presse et les intellectuels de la communauté autochtone et les universitaires peuvent repenser ces questions. Je tentais, d'une façon modeste, de repenser ces questions en disant en fait, sans utiliser les mots magiques, que nous avions besoin d'un nouveau traité.

M. Carmen Provenzano: Monsieur Bell, vous ne dites pas que nous devrions repenser ces questions sans tenir compte de la réalité. Étant donné la réalité et la situation dans laquelle nous nous trouvons à l'heure actuelle, quelle est la prochaine étape sur le plan pratique? Si nous adoptons ce qui à première vue semble être très bien, tout sera au point mort. Quelle serait donc la prochaine étape que vous nous recommandez sur le plan pratique?

M. David Bell: Je ne suis pas un expert en la matière. J'ai tenté de me pencher sur la question et de voir où nous devrions nous trouver dans dix ans, et comment nous pouvons y arriver.

Dans dix ans, nous devrions pouvoir contrôler la situation. Nous ne devrions pas nous laisser influencer par ce qui s'est produit il y a 250 ans, même si cela est important. En tant qu'historien juridique, je ne vais pas en diminuer l'importance, mais il faut aller de l'avant, nous devons trouver un moyen de respecter les droits des Autochtones. En un sens, j'estime que nous devons former, officiellement ou tout au moins officieusement, un nouveau traité qui traite globalement de l'accès des Autochtones aux ressources et à l'indemnisation des Autochtones en cas de dépossession.

La seule façon pour nous de conclure un nouveau traité, c'est que tous les intervenants participent aux négociations, de sorte que je tentais de déterminer qui étaient les intervenants. Tant qu'on fera, pour quelque raison que ce soit, y compris pour les négociations, une distinction entre les Indiens inscrits et non inscrits, et que les Indiens inscrits seront divisés en 14 ou 15 municipalités qui a chacune sa propre structure de pouvoir, son propre intérêt dans le système actuel, rien ne pourra se faire. Dans dix ans, nous en serons tout simplement toujours au même point.

Le président: Merci, monsieur Bell.

Monsieur Cummins.

• 1010

M. John Cummins: Vos observations de ce matin m'intéressent. Car elles sont assez réalistes. Si l'on veut résoudre le problème, il est certain que vos suggestions permettront de le faire.

À première vue, j'ai été surpris de vous entendre dire que l'affaire Simon, en 1985, a été interprétée de façon restreinte et que l'affaire Marshall a fait l'objet d'une interprétation plus large, en 1999. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce point et nous dire pourquoi, selon vous, dans un cas l'interprétation a été plus restreinte que dans l'autre?

M. David Bell: En 1985, dans l'arrêt Simon, la Cour suprême du Canada était saisie de son premier dossier concernant un traité maritime découlant de l'article 35. Je ne sais pas à quoi pensait la Cour suprême lorsqu'elle a décidé d'entendre cette affaire, mais lorsque le moment est venu pour elle de rendre sa décision, il est évident qu'elle voulait énoncer les principes de l'interprétation des traités à l'avenir, sans toutefois se prononcer de façon trop précise sur l'affaire dont elle était saisie. La Cour s'est rendu compte qu'elle n'avait pas suffisamment de preuves en main.

L'interprétation des traités a une nature permanente. Il serait terriblement gênant que, cinq ans plus tard, les historiens mettent la main sur toute une foule de nouveaux documents en vertu desquels la décision rendue cinq ans plus tôt pourrait sembler absurde.

D'une part, donc, la Cour tenait à donner une orientation aux autres tribunaux quant aux principes de l'interprétation des traités. Toutefois, pour ce qui est du dossier proprement dit dont elle était saisie, elle a bien pris garde de dire que sa décision portait uniquement sur le fait qu'un Indien vivant dans une réserve que l'on trouvait à l'extérieur de celle-ci muni d'un fusil de chasse, avec l'intention de chasser dans la réserve, n'avait pas enfreint ses droits issus de traité de chasser dans la réserve. Ce n'était pas un problème extrêmement sérieux. En revanche, en 1999, dans l'affaire Marshall, la Cour suprême du Canada avait déjà examiné des traités dans un certain nombre de cas. Il y avait une série d'affaires portant sur le traité numéro 8, qui est une sorte de traité.

Il y eut une affaire remarquable lorsque la Cour suprême déclara dans l'affaire Sioui qu'il s'agissait d'un traité au Québec, ce qui constitue une sorte de traité très différent. Elle a semblé prête à voir la question sous un angle plus vaste. Il s'agissait d'une affaire idéale, d'une certaine façon, car dans l'affaire Marshall, la Cour disposait de deux importants volumes de documents de la Couronne et de douze gros volumes de documents fournis par la défense. C'était apparemment l'affaire idéale.

De par l'ampleur de sa décision, la Cour suprême a rendu superflus un grand nombre d'arguments liés aux traités qui auraient pu lui être soumis à l'égard d'autres traités.

M. John Cummins: Vous parlez de négociation éventuelle. Il va sans dire que le juge en chef Lamer a déclaré que la négociation valait mieux que le litige dans l'affaire Delgamuukw, et il a répété cette remarque dans l'affaire Marshall. Tout cela semble bien beau. Il est bien de dire qu'il faut donner une interprétation large du traité. Toutefois, lorsqu'on est confronté à la réalité, dès qu'on sort du tribunal, il me semble impossible de négocier. Que l'on parle de terre ou de ressources, on ne peut pas en arriver à une décision sans que celle-ci ne se répercute sur quelqu'un d'autre.

Si vous en arrivez à une décision grâce à la négociation, vous pouvez parier ce que vous voulez que quelqu'un intentera des poursuites. C'est ainsi. Il peut s'agir d'un non-Autochtone qui estime que l'on a trop donné ou d'un Autochtone qui estime avoir été laissé pour compte en l'occurrence.

Le Traité nisga'a vient à peine d'être signé en Colombie-Britannique. Les Nishgas de Kincolith disent que quelle que soit la superficie de cette terre, leur territoire traditionnel n'est pas englobé dans le traité, ce qui les exaspère. D'autres bandes prétendent que nous leur avons pris leurs territoires.

• 1015

Malgré toute la bonne foi manifestée autour de la table, il y a toujours à l'extérieur quelqu'un qui sera touché. À mon avis, les litiges risquent d'être interminables. Comment éviter ce problème?

M. David Bell: Un nouveau traité permettra de répondre au plus grand nombre de problèmes, même sur le plan juridique, du plus grand nombre de gens. Je ne veux pas me lancer dans une discussion sur le Traité nisga'a, car cela n'est pas de mon ressort, mais il va sans dire que ce traité prend la forme d'une loi du gouvernement fédéral, d'une loi du gouvernement provincial et de l'accord des nations en question.

Je déduis de l'interprétation donnée par la Cour suprême du Canada que la collectivité peut donner un accord qui lie chacun de ses membres. Il est donc impossible qu'un Autochtone en particulier déclare qu'il rejette cette position à l'égard de ses droits issus d'un traité, et qu'il va donc aller chasser à l'extérieur de toute façon.

Un nouveau traité applicable du point de vue juridique est la meilleure solution. Cela paraît utopique, mais c'est la meilleure chose à faire.

M. John Cummins: Nous sommes une nation composée d'individus. Nous avons une Charte des droits et libertés. Nos droits et libertés individuels sont protégés, mais pas nos droits en tant membres d'un groupe, que ce soit membres d'une bande autochtone ou du Lions Club, par exemple. Nous avons des droits individuels.

À mon sens, c'est pourquoi toute la notion de la conclusion de traité pose problème. De par sa nature, cela fait fi des droits individuels. C'est pourquoi quand je considère la question, je dis et répète qu'il y aura des contestations pendant des générations avant qu'on trouve une solution au problème.

Il y a la Charte des droits, qui est le reflet de la tradition libérale occidentale émanant de la Déclaration britannique des droits qui visait à faire opposition à celle des Stuarts, des Français et des Américains. Vous avez raison de dire que l'accent est mis sur la personne.

Toutefois, il y a au sein de notre politique un petit îlot de droits collectifs traditionnels qui découlent d'un contexte culturel entièrement différent. La Cour suprême du Canada va établir et développer une jurisprudence fondée également sur les droits collectifs.

Le président: Monsieur Bernier.

[Français]

M. Yvan Bernier: J'aimerais faire part au témoin d'un commentaire. Je veux tout d'abord saluer le témoin. Mon commentaire sera peut-être suivi d'une question.

Quand je relis votre document, dont j'ai souligné certaines phrases, et quand je vous écoute, j'ai l'impression que le fait que vous soyez professeur d'histoire peut nous aider à éclaircir le problème que nous vivons actuellement.

La première phrase qui m'a frappé est celle où vous dites que rien ne préparait le public à l'arrêt Marshall ou à ce qu'il a révélé. Si rien n'avait préparé le public, on peut se demander comment on peut faire pour maintenir vivante l'histoire du Canada ou de ce qui nous entoure, parce que ces choses-là étaient écrites.

C'est à cause d'un problème de communication. Dans les communications, il se brasse toujours trop de choses en même temps. Vous le soulignez d'ailleurs quelque part dans votre document. Chaque semaine on nous présente un nouveau problème, et notre attention est détournée.

Cette foi-ci, il est vrai qu'il faut prendre le taureau par les cornes et essayer de régler le problème. Mais quand on parle de régler le problème, est-ce que cela signifie qu'on doit récrire un traité ou plutôt mettre sur papier la façon d'interpréter le premier traité?

• 1020

Si j'interprète bien la Constitution canadienne de 1982, malgré les réserves que je peux entretenir envers elle, les traités sont inaliénables. Il sera donc difficile de réunir toutes les parties concernées autour d'une table pour y changer quelque chose. On devrait plutôt essayer de mettre sur papier, avec les gens qui sont prêts à s'entendre, les choses qu'on peut régler. Vous soulignez aussi vous-même qu'il n'y a pas de traité magique. Il faut donc essayer de régler les problèmes un à la fois.

Je voulais mentionner un autre point. Vous nous dites que la seule façon de régler la situation serait peut-être que les peuples autochtones parlent, s'assoient à la même table et s'unissent pour formuler leurs revendications. Ce peut être un souhait, mais ce sera à eux de décider de le faire et de quelle façon le faire.

Je voulais aussi que vous nous aidiez, sur le plan historique, en nous disant par qui ce traité a été signé. Cela a dû être signé par les différents chefs de bande. Je n'ai pas l'impression que le traité a été signé à l'époque seulement par une bande de Micmacs. Ils étaient peut-être plusieurs à signer ou à passer le message aux autres. À ce moment-là, vouloir tout régler d'un seul coup, à l'occasion d'un seul événement, serait peut-être encore faire une embardée.

L'histoire peut jeter un certain éclairage sur l'ensemble de la situation. Il faut toujours regarder d'où on vient pour déterminer où on doit aller. Tant qu'on n'arrive pas à régler le problème du passé, on ne peut régler ce qui nous attend. On peut souhaiter introduire des choses qui nous semblent susceptibles de régler le problème, mais si on ne tient pas compte des voeux formulés dans le passé par les premières personnes qui ont signé, ce sera difficile.

Donc, pourriez-vous me rafraîchir la mémoire et me dire si les signataires du premier traité appartenaient tous à une même nation, qui ils représentaient et si plusieurs bandes y étaient partie prenante? Merci.

[Traduction]

M. David Bell: J'espère que rien de ce que j'ai dit ne vous porte à croire que je refuse de respecter les traités du XVIIIe siècle. J'en accepte les conditions. Je considère les spoliations autochtones comme un incident déplorable qui mérite examen, et il faut respecter les traités du XVIIIe siècle.

Le problème, si l'on ne fait rien, c'est que les traités du XVIIIe siècle correspondent aux préoccupations de l'époque et ne sont pas de nature globale, de sorte qu'ils ne portent pas sur tous les aspects d'une même question. Seuls certains éléments sont visés.

Dans une province comme le Nouveau-Brunswick, qui compte au moins deux nations autochtones, nous pouvons être dans une situation où l'on constate qu'un traité conclu avec une nation a accordé à celle-ci des droits que l'autre nation n'avait pas. Il est possible de remédier à cette situation, mais il est étrange que les Micmacs jouissent de droits que les Malécites n'ont pas parce que les premiers sont assujettis à un traité différent.

Même si je souhaite respecter les traités du XVIIIe siècle, il y a des limites à s'en tenir à cela uniquement, surtout du fait que l'affaire Marshall ne sera pas la dernière décision à cet égard. Il y a bon nombre d'autres traités dans l'annexe de mon rapport. Il doit y en avoir une quarantaine, dont deux ont déjà fait l'objet de contestations devant la Cour suprême.

Ce que j'ai voulu dire de façon un peu utopique, c'est qu'au lieu d'être témoins de tous ces litiges, nous pourrions adopter une attitude proactive et voir s'il n'est pas possible de conclure un tout nouveau traité. Il n'en demeure pas moins que je suis convaincu qu'il faut respecter les traités du XVIIIe siècle.

• 1025

À la page deux de mon annexe, j'énumère tous les traités qui ont été signés en 1760 et 1761. Vous avez raison de dire qu'il n'y en a pas eu qu'un seul. Il y en a eu au moins 11, et peut-être même un douzième, avec diverses bandes micmaques, malécites et passamaquoddys.

La dernière chose que je dirais pour répondre à vos observations, c'est que je suis d'accord avec vous. Quand je dis que les nations amérindiennes, les deux nations doivent être reconstituées pour que quelqu'un puisse négocier en tant que dirigeant de la nation micmaque ou que dirigeant de la nation malécite, je veux dire que l'initiative doit venir de la collectivité autochtone, bien entendu. Nous ne pouvons pas leur imposer ce genre de choses.

Le président: Merci, monsieur Bell.

Monsieur Stoffer.

M. Peter Stoffer: Merci de votre témoignage ce matin, monsieur Bell.

Lorsque j'ai interrogé d'autres juristes et des chefs autochtones, je leur ai posé clairement la question suivante: La décision Marshall s'applique-t-elle aux Autochtones non inscrits, selon vous? Les réponses qu'on obtient des juristes sont pour le mieux hésitantes. Ils ne veulent pas s'engager dans un sens ni dans l'autre, mais se contentent de dire qu'ils préfèrent ne pas répondre. Et pourtant, les chefs, sans hésiter, affirment qu'elle ne s'applique qu'aux Autochtones inscrits.

Je n'ai jamais posé la deuxième question, mais je vais le faire maintenant. Et s'ils se trompent? J'ai de bonnes raisons de poser cette question. À l'heure actuelle, il y a beaucoup de bonne volonté entre les Autochtones et les membres de la société non autochtones et les villages de pêcheurs. Ils veulent travailler main dans la main pour se préparer pour l'hiver et le printemps, la saison de la pêche au homard, par exemple. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels des non-Autochtones fournissent des pièges et des gréements à des Autochtones. Ils sont prêts à leur donner une formation. Ils sont prêts à s'occuper d'eux et à élaborer une sorte de stratégie à long terme pour intégrer des collectivités dans la pêche, de façon à ce que tout le monde puisse travailler côte à côte en respectant les mêmes conditions pour conserver les ressources et respecter la loi.

Je crains que si cela ne s'applique qu'aux Autochtones inscrits, si l'on met sur pied ce plan et que celui-ci est appliqué pendant quelques années et que tout se passe bien, et d'un seul coup une autre décision de la Cour suprême affirme que cela s'applique aussi aux Autochtones non inscrits, il faudra reprendre les négociations au début.

Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer qu'un document fourni par le Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick renferme des observations qui vont dans le sens de celles de M. Provenzano ce matin, au sujet de la méthode holistique et de l'opinion utopiste. Toutefois, ce n'est peut-être pas si utopiste que ça, étant donné que l'on peut lire ce qui suit dans la décision Gladstone de 1996:

    L'intérêt de tous les Canadiens et, surtout, la réconciliation entre les sociétés autochtones et le reste de la société canadienne, dépendent peut-être de la réalisation de ces objectifs.

À savoir en matière de conservation.

Vous avez dit que les deux Premières nations reconstituées devaient négocier. Vous dites plus ou moins la même chose que Gladstone. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet. Ce n'est peut-être pas si utopiste, puisqu'il vaut peut-être mieux négocier que de laisser les procès se poursuivre.

M. David Bell: C'est tout à fait mon opinion.

Pour en revenir à la première observation que vous avez faite, à savoir si la décision Marshall s'applique ou non aux Indiens non inscrits, je crois qu'elle est muette sur cette question. Toutefois, je prévois que cette décision s'appliquera indifféremment aux Indiens inscrits et non inscrits. Il y a eu au Canada plusieurs décisions qui confèrent des avantages issus de traités aux Indiens, qu'ils soient inscrits ou non, et notamment des décisions rendues au Nouveau-Brunswick, mais également en Ontario. Je suis convaincu que c'est ce que dira la Cour suprême du Canada si on lui pose la question.

Le président: Monsieur Power, c'est la dernière question.

M. Charlie Power: Elle sera brève.

• 1030

Vous êtes un historien juriste. Nous—et les députés de l'opposition en particulier—reprochons aux membres du gouvernement libéral, qui est au pouvoir depuis 1993, de renoncer à sa responsabilité de gouverner le pays et de permettre à bien des égards à la Cour suprême de rendre des décisions que les responsables élus devraient prendre, qu'il s'agisse du problème de la pornographie infantile en Colombie-Britannique ou de l'affaire Marshall. Est-ce là une tendance contemporaine, selon vous? Cela concerne-t-il uniquement notre gouvernement ou est-ce le cas de tous les gouvernements qui évitent de prendre les décisions vraiment difficiles en laissant la Cour suprême le faire pour tous les Canadiens?

M. David Bell: En un mot, c'était l'essentiel de mon exposé. À mon avis, le Parlement et les assemblées législatives provinciales ne devraient pas permettre à la Cour suprême de définir les modes d'exploitation des ressources dans les provinces Atlantiques au XXIe siècle en rendant des décisions au petit bonheur la chance selon son interprétation de traités du XVIIIe siècle.

Pour répondre au point plus précis de votre question, je crains que vous n'ayez raison. Les gouvernements sont de plus en plus tentés de s'en remettre à des résolutions, ou à la loi sur les droits de la personne ou à des contestations en vertu de la charte pour résoudre les questions difficiles, au lieu de donner l'exemple.

M. Charlie Power: J'aimerais poser une autre question, car il est rare que nous ayons des historiens juristes parmi nous.

Il y a aussi chez les gouvernements une tendance contemporaine à faire preuve de révisionnisme dans certaines activités, qu'il s'agisse d'essayer de refaire l'histoire, comme pour Louis Riel. C'était un traître à une époque de sa vie, malheureusement, et voilà qu'il est maintenant patron du Manitoba et un père de la Confédération. Ce genre de chose risque-t-il de se produire à l'égard des traités, selon vous? Quelle part risque de jouer cette tendance au révisionnisme?

M. David Bell: C'est une question difficile, mais une culture ne devrait pas hésiter à affronter son passé. Étant donné que notre culture a spolié les Amérindiens et les a parqués dans des réserves—ce n'était peut-être pas dans le but de les exterminer, mais de les protéger contre l'extermination, mais nous les avons tout de même parqués dans des réserves—, je pense qu'il ne faut pas hésiter à l'admettre.

Le président: Merci, monsieur Power.

J'avais une question au sujet de ce qu'a dit un autre professeur d'histoire. M. Stephen Patterson—je suis certain que vous vous connaissez—a déclaré ce qui suit devant le comité, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

    J'ai trouvé particulièrement frappant que le chef du Cap-Breton, parlant au nom de tous les autres, ait déclaré: «Nos intentions étaient de tout vous céder sans rien n'exiger en retour.» Autrement dit, ils n'ont fait aucune demande et n'ont fixé aucune condition. Dans son long discours, minutieusement traduit par une personne qui parlait le micmac, il n'a pas fait une seule fois allusion au commerce. Il a conclu toutefois en disant ceci: «Tant que le soleil et la lune existeront [...] je resterai votre ami et allié, me soumettant volontiers aux lois de votre gouvernement, loyal et obéissant à la Couronne.»

Vous qui êtes historien, que pensez-vous de cette déclaration? Ou vous en souvenez-vous?

M. David Bell: Il est difficile de répondre en quelques mots à une question historique de cet ordre. Le passage que vous avez cité pourrait être mis en parallèle avec d'autres où il est dit clairement que le commerce a été au coeur des préoccupations des Amérindiens. Il est très avantageux d'être à même de lire simultanément tous ces traités—ceux que j'ai énumérés dans mon annexe. Le thème principal qui se dégage d'un examen de tous les liens issus de traités entre le gouvernement de la Nouvelle-Écosse et les Amérindiens est le commerce. C'est la chose la plus importante pour les Indiens.

• 1035

C'est pourquoi je pense qu'il faut mettre cela en parallèle avec le beau et grand discours attribué au chef micmac. Non pas que je doute de l'exactitude de cette déclaration, mais les Indiens s'exprimaient d'une certaine façon lorsqu'ils négociaient, et les rapporteurs du gouvernement ont tenu les procès-verbaux dans un certain style. Je ne pense pas qu'on puisse citer un passage isolé en disant que cela correspond à l'opinion des Amérindiens, car un examen de l'ensemble des traités révèle clairement que l'accès au commerce des biens était la préoccupation numéro un pour les Indiens.

Le président: Merci de votre opinion et de votre témoignage, monsieur Bell.

M. John Cummins: Monsieur le président, nous devrions signaler que M. Bell a généreusement donné de son temps. Il n'est pas directement concerné par cette question, mais il a énormément apporté à notre discussion de ce matin. Je lui en sais gré.

Une voix: Bravo!

Le président: Merci, John.

Au nom de chacun d'entre nous, je vous remercie, monsieur Bell.

Nous allons maintenant entendre M. David Coon, du Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick.

M. Peter Stoffer: [Note de la rédaction: Inaudible]

Le président: J'ai lu ce document il y a trois ans, Peter. J'espère que vous aussi.

Il est évident que Peter jure par ce livre bleu. Il y fait allusion chaque fois qu'il en a l'occasion. Il s'agit du document sur la pêche intitulé Au delà de la crise, et j'admets que c'est un bon document.

Monsieur Coon, vous savez comment nous procédons. Nous essayons de nous en tenir à une demi-heure. Si vous pouvez nous présenter les grandes lignes de votre mémoire, nous aurons du temps à consacrer aux questions.

M. David Coon (directeur des politiques, Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick): Merci, monsieur Easter et mesdames et messieurs les membres du comité.

Je voudrais dire tout d'abord que nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître devant le comité permanent, et d'avoir pris le temps de vous déplacer pour tenir ces audiences dans le pays. Elles sont extrêmement importantes et c'est véritablement pour nous l'une des rares occasions de participer directement au processus démocratique du régime parlementaire qu'est le nôtre.

Lorsque l'arrêt Marshall a été rendu, je me rappelle l'avoir vérifié sur-le-champ dans l'Internet. Je savais que le Conseil de conservation recevrait des appels des journalistes, pour savoir quelles répercussions cela aurait sur le plan de la conservation. J'ai examiné la décision qui m'a paru relativement simple.

Les droits ancestraux et les droits issus de traités sont enchâssés dans la Constitution de 1982. Cela a peut-être surpris certaines personnes, mais pas nous. Nous connaissions assez bien la jurisprudence et les arrêts de la Cour suprême concernant les droits ancestraux et les droits issus de traités; par conséquent, l'étape suivante, logiquement, était que la Couronne, par l'entremise du ministre des Pêches et des Océans, rencontre les dirigeants autochtones pour discuter du régime de réglementation qu'il fallait mettre en place.

Je n'ai jamais vu une question être aussi souvent présentée de façon aussi inexacte dans les médias, que ce soit à l'échelle régionale, provinciale ou nationale, comme s'il s'agissait de droits de pêche entièrement ouverts accordés aux Autochtones. On parlait continuellement de «droits non réglementés», «droits absolus», «pêcher à volonté», etc. Il ressort de la décision que ce n'était de toute évidence pas le cas, et cela ne l'est toujours pas, puisque les derniers documents émanant de la Cour suprême se contentaient de réitérer le contenu de cette décision. La cour a examiné en détail certaines autres décisions que certaines personnes ne connaissaient peut-être pas très bien, mais l'objet de ce traité dans l'ensemble, pour ce qui est des pêches, est de garantir aux Micmacs, aux Malécites et aux Pescomodys un accès équitable aux pêches, pour leur permettre une subsistance convenable. C'est assez simple.

Il s'agit de savoir comment le système de gestion actuel permet le respect de ces droits issus de traités. Nous savons d'après la décision dans l'affaire Marshall et d'autres décisions antérieures de la Cour suprême que deux sortes de limites ont été établies. D'une part, des restrictions réglementaires pour circonscrire ce qui constitue un équivalent à risque élevé d'une sorte de subsistance convenable. D'autre part, il y a les limites réglementaires que l'on pourrait justifier en fonction d'objectifs publics importants et déterminants, devant être établis en consultation avec les collectivités autochtones touchées.

• 1040

Étant le principal organisme de promotion de la conservation au Nouveau-Brunswick, nous nous attendions à voir le ministre et le ministère entamer dans les plus brefs délais des négociations avec les collectivités autochtones à ce sujet.

De quels objectifs publics s'agit-il? Les choses sont assez claires dans les décisions rendues par la Cour suprême dans les affaires Sparrow et Badger. La conservation passe avant tout le reste. Viennent ensuite les questions d'équité régionale et économique et la reconnaissance de la dépendance historique à l'égard de la participation à une activité, en l'occurrence la pêche. Il y a ensuite la protection de la sécurité du public et diverses autres choses qui peuvent être justifiées comme des objectifs publics déterminants. Comme l'a signalé la Cour suprême, le ministre avait à sa disposition toute une gamme d'instruments et de techniques de gestion, à condition que le recours à ces derniers, dans la mesure où ils limitent les droits issus de traités, puisse être justifié pour atteindre ce genre d'objectifs.

Comme quelqu'un l'a déjà signalé, dans l'arrêt Gladstone, la cour a déclaré que lorsque les conditions nécessaires seront réunies, les objectifs comme ceux que je viens d'énumérer sont dans l'intérêt des Canadiens et, surtout, que la réconciliation entre les sociétés autochtones et le reste de la société canadienne dépendait peut-être de la réalisation de ces objectifs.

Il reste que les grands objectifs publics de conservation, d'équité économique et régionale et de reconnaissance de la dépendance et de la participation historiques à la pêche par les groupes non autochtones n'ont pas été et ne sont pas actuellement atteints par les pêches commerciales, selon leurs méthodes actuelles de gestion. À l'exception de la pêche au homard, les méthodes actuelles de gestion, d'accès et de régie de la plupart des pêches devront être réaménagées pour tenir compte des droits issus de traités et pour respecter les objectifs publics fixés par la cour.

Si je dis que la pêche au homard est une exception, c'est parce qu'elle a été assez bien gérée en comparaison des autres pêches, même si on pourrait bien sûr améliorer les pratiques de conservation et aussi, certainement, l'accès à cette pêche. Je n'en parlerai pas davantage pour l'instant.

Nous voudrions répondre à certaines de vos questions se rapportant aux modèles de gestion des pêches qui pourraient être adaptés aux droits issus de traités des Autochtones, aux structures, etc. À notre avis, un modèle communautaire de gestion écologique des pêches est peut-être le seul qui pourrait s'adapter aux droits issus de traités des Autochtones, tout en permettant efficacement de conserver la ressource, d'assurer une plus grande justice économique et de reconnaître la participation historique.

Le système actuel ne reconnaît pas la participation historique des communautés de pêcheurs aux diverses pêches. Il est ridicule que l'allocation d'un pêcheur pour le poisson de fond ne soit calculée qu'en fonction de quelques années de prises, récentes. Cela ne reconnaît pas la participation historique de cette personne, de sa famille avant elle, ni de sa communauté actuelle.

Lorsqu'on parle d'adaptation à ces droits, il faut aussi penser à la situation actuelle. Ces objectifs publics doivent certainement être atteints tant pour les Autochtones que pour l'ensemble des pêcheurs.

Le modèle de gestion prédominant pour les pêches, en dehors de la pêche au homard, est celui de la gestion de quotas par espèce qui a certainement été un échec, alors que la gestion du homard, bien différente, a été une réussite. Il y a bien sûr quelques préoccupations—dans certaines zones, on pêche peut-être un peu trop et il faudrait des rajustements—mais en gros, pour adapter la pêche au homard aux droits issus de traités, seules de petites modifications seraient nécessaires.

Au sujet du poisson de fond, du hareng et d'autres espèces, un remaniement plus important sera nécessaire et, en le faisant, nous ne croyons pas qu'on pourra rendre le régime acceptable pour tous les intéressés. Il faudra faire des choix, dans le cadre de cette restructuration, pour servir au mieux l'intérêt public. À notre avis, l'intérêt public est servi au mieux, dans la pêche en dehors des communautés autochtones, en conservant une pêche côtière de petits bateaux et la viabilité économique des communautés qu'elle fait vivre, le long de nos côtes.

• 1045

Je vous ai fourni des copies de Beyond Crisis in the Fisheries. Vous avez sans doute déjà vu ce document. On y présente certains des principes clés, que je ne décrirai pas en détail, sauf pour deux d'entre eux.

Il y a d'abord l'idée de droit propriétal sur la ressource halieutique, à accorder aux communautés côtières qui vivent de la pêche. Il s'agirait de donner aux communautés de pêcheurs le genre de droit collectif accordé aux communautés autochtones par les traités, qui permet à leurs membres de pêcher pour gagner leur vie, sans pour autant empiéter sur ces droits issus de traités et ces droits ancestraux. Voilà pour le premier principe.

Le deuxième viserait à confier davantage de responsabilités de gestion aux autorités locales, comme on le fait actuellement. Nous avons proposé une structure de gestion qui en tiendrait compte et qui pourrait certainement fonctionner, à notre avis, dans le milieu des pêches. Il reviendra évidemment aux communautés autochtones de décider de la structure de gestion qu'elles adopteront, mais au bout du compte, ces structures de gestion et cette approche communautaire reposeraient sur un accord fiduciaire négocié entre l'État et les communautés, qu'elles soient autochtones ou non.

Dans le cadre de cet accord fiduciaire, une série d'obligations sont imposées à la communauté locale ou à la communauté autochtone. Par exemple, elles seraient responsables à perpétuité, pour toutes les générations à venir, de la ressource halieutique dans leur zone géographique, dans leur territoire de pêche traditionnel; elles décideraient des nouveaux accès à la ressource et s'assureraient que cet accès est abordable; bref, elles géreraient ce bien public de manière à ce que ce soit le plus profitable possible pour la communauté, à perpétuité, en respectant les droits ancestraux et les droits issus de traités.

Nous ne voyons pas d'obstacle majeur à l'adaptation des pêches aux droits issus de traités, à condition qu'on reconnaisse, en même temps, que le système actuel ne répond pas encore aux objectifs publics déterminants fixés par les tribunaux pour cerner le cadre dans lequel les droits issus de traités seront exercés.

Je veux laisser amplement de temps pour les questions. La dernière fois que j'ai comparu devant un comité, j'ai parlé trop longtemps. Je peux peut-être m'arrêter ici, et répondre à vos questions.

Le président: Merci, David.

Monsieur Stoffer, voulez-vous commencer?

M. Peter Stoffer: Merci beaucoup, monsieur le président.

J'ai bien essayé de m'en empêcher, mais je n'ai pas le choix.

Le président: Ah, il va parler du QIT.

M. Peter Stoffer: M. Coon n'en a pas parlé, mais je vais le faire.

Comme vous le savez, David, je m'oppose avec véhémence au système de QIT et des allocations aux entreprises. C'est manifestement votre opinion aussi. La propriété privée individuelle permettant de privatiser ce que je considère une ressource de propriété commune, qu'on mettrait entre les mains de quelques particuliers, est une mauvaise chose pour tous et, surtout, est une chose désastreuse pour la conservation.

Comme vous le savez, une alliance ou une fusion est imminente, si elle répond aux critères réglementaires, entre les sociétés Clearwater, Bill Barry de Seafreez, FPI et un groupe islandais appelé NEOS. Certains diront qu'il s'agit d'une affaire commerciale, dans un marché concurrentiel, et que c'est ainsi que doivent se passer les choses, si l'on veut protéger les emplois et le gagne-pain de nombreuses localités côtières. C'est peut-être vrai, mais ce que je crains, c'est qu'on concentre de plus en plus la ressource entre quelques mains. Êtes-vous du même avis, ou non?

M. David Coon: Nous avons dit clairement dans notre mémoire et nous avons répété à maintes reprises que l'orientation du MPO dans sa politique publique des pêches, visant une privatisation de la ressource et une concentration accrue, n'est pas à notre avis dans l'intérêt du public. Le gouvernement fédéral doit prendre une décision pour fixer des objectifs clairs pour ses politiques en matière de pêche.

Nous estimons qu'il faut certes conserver les pêches et les processus écologiques qui permettent à la ressource et à la pêche de continuer d'exister, mais que l'objectif est aussi essentiellement de conserver ou de rétablir la santé et la vitalité des communautés des pêcheurs côtiers pour qui la pêche est non seulement essentielle à leur bien-être économique, mais aussi à leur bien-être social et culturel.

• 1050

Évidemment, étant donné les droits issus de traités et en tenant compte de l'histoire, nous estimons que cela s'applique aussi aux communautés autochtones qui ont pratiqué intensivement la pêche, pendant longtemps. Cette forte participation a peut-être été affaiblie quelque peu par les politiques d'assimilation que le gouvernement canadien a essayé d'appliquer, sans succès, pendant le XXe siècle, jusqu'à il y a environ 25 ans, de même qu'à la fin du XIXe siècle.

M. Peter Stoffer: D'après certains témoignages, toutefois, à l'Île-du-Prince-Édouard, par exemple, les crabiers se sont rassemblés et ont formé une organisation, et ont établi une sorte de plan de cogestion avec le MPO, reposant sur des données scientifiques, une application efficace et une sorte d'allocation entre eux. Cela fonctionne très bien.

Nous avons aussi entendu une organisation de crabiers de la zone 19, au Cap-Breton, qui marche très bien. Ils sont très satisfaits de leurs progrès. Dans ce secteur, il y a 111 pêcheurs, et un QIT y est appliqué.

Bien des gens se disent que si la cogestion de la ressource avec le MPO fonctionne dans ce cas-là, c'est un bon modèle et un bon exemple de ce qu'on peut faire pour préserver des espèces précises et pour collaborer plus étroitement avec le MPO et les communautés côtières.

Êtes-vous au courant de ces accords?

M. David Coon: Nous estimons qu'au bout du compte, les méthodes de gestion reposant sur des quotas ne peuvent fonctionner si ce que l'on veut, c'est conserver la ressource. Nous ne pouvons pas savoir combien il y a de poissons dans la mer, parce qu'il y a de nombreux autres facteurs déterminants pour la santé de la ressource halieutique. C'est pourquoi on ne pourra jamais gérer la pêche simplement en fonction de quotas.

Comme on l'a vu pour la pêche au homard, qui n'est pas gérée en fonction de quotas, il y a eu une assez bonne gestion, fixant des limites sur la façon de pêcher, sur les méthodes employées, sur la capacité de prises et ce genre de choses, en plus des restrictions saisonnières. On fixe la période de pêche et pour certaines espèces, on fixe aussi des zones de pêche. On peut aussi décider de ce qui sera ou non pêché. Dans le cas du homard, on ne peut garder les femelles oeuvées ni les homards à carapace molle et peut-être que bientôt, on ne pourra non plus garder les femelles marquées dans d'un V, si c'est le choix que nous faisons.

En examinant la gestion des pêches, nous avons vraiment considéré la pêche au homard comme une sorte de modèle. Nous nous sommes demandé ce qui fonctionnait dans ce cas-là et comment on pourrait l'appliquer ailleurs. Nous avons aussi cherché à savoir ce qui avait été désastreux pour d'autres types de pêches. Il est clair que la méthode de la gestion par quotas a été désastreuse.

[Français]

M. Yvan Bernier: Comme je ne voudrais pas susciter de polémique entre M. Stoffer et moi-même, je vais aborder la question différemment.

Vous parlez des méthodes de conservation et des méthodes de gestion. Je voudrais avoir votre opinion. Ce matin, on essaie de démêler les points qui touchent les autochtones, entre autres à propos de l'affaire Marshall. Dans cette affaire, le point crucial est de définir ce que serait un niveau convenable de subsistance. C'est le défi que nous pose le jugement de la Cour suprême. Un autre comité sera formé par le ministre des Affaires autochtones pour approfondir le sujet avec les bandes autochtones. Mais les pêcheurs ont déjà à faire face à ce défi, en ce sens que c'est à même leurs ressources que devra se constituer en partie la subsistance convenable des autochtones.

Cet été, le Canada a ratifié l'Accord de pêches des Nations Unies. Je crois que l'article 5 de ce traité ainsi que sa section III stipulent que les pays signataires ont à s'entendre pour développer et gérer leurs pêches de façon durable et rentable. Mais je ne suis pas capable d'obtenir des hauts fonctionnaires canadiens une définition de la gestion durable, selon le vocabulaire canadien.

J'aimerais qu'un jour on puisse tenir un forum composé d'experts pour départager les deux écoles de pensée, celle qui est en faveur des engins mobiles et celle qui est en faveur des engins côtiers, toujours dans la perspective d'assurer des pêches durables. Cela pourrait nous conduire à une définition de «pêches rentables». Et si on y arrive, on pourra peut-être un jour définir ce qu'est la subsistance convenable parce que pour accorder une subsistance convenable, il faut d'abord déterminer le seuil de rentabilité. Il faudra ensuite s'entendre avec les autochtones pour déterminer s'il faut ajouter 1 000 $, 6 000 $, 5 000 $, 10 000 $, 20 000 $ ou 100 000 $ au seuil de rentabilité.

• 1055

[Traduction]

Le président: Yvan, j'espère que vous finirez par poser une question.

[Français]

M. Yvan Bernier: J'y arrive, j'y arrive. Ma question est la suivante: est-ce que vous abordez les points que vous soulevez ici relativement aux méthodes de conservation dans les groupes que vous rencontrez ou dans les contacts que vous établissez avec les pêcheurs? Comment peut-on aborder la fameuse querelle qui existe entre les deux positions concernant les engins mobiles—QIT—et les engins fixes et le système de gestion compétitive? Est-ce qu'il y a un moyen d'aborder cela? Ce sont deux écoles de pensée qui s'affrontent tout le temps.

[Traduction]

M. David Coon: Non, on ne peut les concilier.

Nous travaillons beaucoup avec des associations de pêcheurs de la baie de Fundy. Plus récemment, nous avons collaboré avec leur organisation cadre, le Conseil des pêches de la baie de Fundy. Pendant quelques années, ces groupes de pêcheurs de toute la baie de Fundy, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont travaillé à définir les principes de ce qu'ils appellent la saine gestion ou la gestion durable, d'un point de vue écologique et socio-économique. Je pense que tous leurs membres, sauf un sur une douzaine, ont essentiellement ratifié ces principes. Il y a donc un travail excellent et fascinant qui se fait au sein des associations de pêcheurs et des communautés de pêcheurs.

Nous ne pensons pas qu'on puisse concilier la pêche avec QIT et la préservation des communautés de pêcheurs. Notre cadre de référence est précisément celui de la baie de Fundy, parce que nous avons travaillé avec des groupes de pêcheurs de cette région et aussi parce que nous avons des liens familiaux là-bas. Mais pour ce qui est de la subsistance convenable, pour les pêcheurs côtiers, les seuls qui ont une subsistance convenable grâce à la pêche sont les homardiers, et cette subsistance convenable dépend des limites sur le nombre de casiers et des saisons pendant lesquelles ils peuvent travailler. On pourrait donc s'attendre à ce que des restrictions semblables sur le nombre de casiers et les périodes de pêche soient imposées pour permettre aux Autochtones d'avoir une subsistance convenable.

Il y a des gens dans les pêches qui n'ont pas de permis de pêche au homard. Je pense à quelqu'un, dans le comté de Digby, qui n'a pas les moyens de s'en payer un, depuis qu'ils sont échangés comme des marchandises. Il est ridicule qu'au Canada, les permis de pêche au homard soient devenus une marchandise qui n'est pas abordable pour le pêcheur moyen qui voudrait commencer à pêcher le homard.

Je connais un pêcheur qui a essayé de gagner son pain en pêchant du poisson de fond à la main. Je peux vous assurer qu'il n'a pas acquis ainsi une subsistance convenable. La seule façon d'obtenir un permis de pêche au homard, c'est d'avoir accès au capital et d'être prêt à accepter l'appui des entreprises de transformation, en coulisses. C'est une situation très grave.

En ce qui concerne la subsistance convenable, on peut encore examiner les pêches et voir comment les pêcheurs côtiers pêchent, le genre de limites imposées à leurs subsistances, en dehors des fluctuations des prix du poisson. Personne ne sait comment on réglera le problème, mais dans le cas de la pêche au homard, par exemple, il nous semble que les limites actuelles sur le nombre de casiers permettent aux pêcheurs de homard de subsister.

Le président: Merci, monsieur Coon.

J'ai une question. Vous avez beaucoup parlé de la pêche au homard, en disant que c'était un modèle qui semblait bien fonctionner. Mais dans le contexte de l'arrêt Marshall et des explications qui ont suivi, à votre avis, comment pourra-t-on intégrer les Autochtones à cette pêche sans compromettre la ressource ni le gagne-pain des pêcheurs commerciaux actuels?

M. David Coon: Je pense que cela variera, d'une région à l'autre. Dans les régions où la ressource est plus affaiblie, peut-être que chacun devra accepter une petite réduction du nombre de casiers, et peut-être aussi devrons-nous adopter le marquage des homards.

• 1100

Pour faire ce marquage, on entaille l'éventail caudal d'une femelle oeuvée, puis on la remet à l'eau. Il est interdit de la prendre. On ne peut pas prendre les homards dont la queue est marquée, et les femelles peuvent donc se reproduire encore quelques fois. C'est une méthode utilisée dans le Maine, et je pense que c'est en partie ce qui a sauvé cette pêche, là-bas. Il n'y a pas de limite à l'accès à la pêche, au Maine, et il n'y en avait pas non plus, jusqu'à récemment, pour le nombre de casiers, mais le marquage se fait là-bas depuis un bon bout de temps.

Dans certaines zones, il faudra donc rajuster le nombre de casiers, et le marquage des femelles oeuvées serait sans doute une bonne idée de toute façon, pour toutes les Maritimes, à des fins de conservation.

Cela mis à part, il ne nous semble pas qu'il y ait de problème particulier. C'est bien justifié. Il faudra peut-être ajuster les saisons un peu, aussi. Si on regarde les raisons invoquées pour les limites imposées à la pêche en vertu du traité, il faut se demander ce qui justifie les saisons de pêche. Il y a des questions d'équité économique. Chacun sait que dans la pêche au homard, la meilleure pêche se fait pendant les deux premières semaines, puis il y a un déclin. On ne veut donc pas qu'un groupe puisse profiter de ces deux premières semaines, avant tous les autres.

Du point de vue de la conservation, d'une certaine façon, les saisons ont au départ été fixées... Il faut se rappeler les règles relatives au homard qui remontent au XIXe siècle. Les règles fondamentales qui assuraient la conservation de la pêche n'ont pas vraiment beaucoup changé. Au départ, il était interdit de pêcher les homards en mue, à carapace molle, mais ce règlement n'était pas facile à appliquer; c'est pourquoi on a fixé des saisons de pêche, en fonction des périodes de mue des homards, et des périodes où leur carapace était molle.

Ces saisons ont changé. Selon l'endroit où on se trouve dans la région, les saisons ne coïncident pas toujours avec la mue. Il faudrait peut-être modifier un peu les saisons, pour respecter les justifications se rapportant à la conservation.

Du point de vue de la conservation, il est intéressant de constater que dans certaines zones, les périodes de pêche sont tout à fait justifiées, comme dans la baie de Fundy. Là, les saisons arrivent juste au temps de la mue, par exemple. Ailleurs, ce n'est pas nécessairement le cas.

On a donc joué un peu avec les périodes de pêche, d'année en année, au point où le MPO prétend que ce n'est plus du tout une mesure de conservation. Dans certaines régions, on peut comprendre pourquoi. Ce genre de chose peut être arrangé sans trop de difficulté.

Le président: Il y a un secteur pour lequel il n'y a pas de saison: la pêche de subsistance accordée par l'arrêt Sparrow. Nous avons entendu beaucoup de critiques au sujet de la pêche de subsistance, pendant nos visites dans les Maritimes: on dit que ça crée un marché noir, illicite, dans certains cas, tant pour les Autochtones que les non-Autochtones. À votre avis, quelle incidence cela a-t-il sur la conservation du homard, et comment peut-on régler le problème, après l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Sparrow?

M. David Coon: Parlez-vous du marché noir qui pourrait...

Le président: Je parle du homard, de sa pêche à des fins alimentaires et rituelles.

M. David Coon: Il est clair que c'est une toute autre paire de manches, puisque vous parlez des droits ancestraux et non des droits issus de traités. Les conséquences sont bien différentes, pour ce qui est de la réglementation. Je ne pense pas que le problème se rapporte à la pêche de subsistance; on se préoccupe plutôt du marché noir qui pourrait en découler.

Pour nous, cette préoccupation rejoint celle se rapportant au braconnage, dans la société en général. Il faut veiller à l'application des lois.

Nous avons constaté qu'en règle générale, l'application des lois se faisait mollement. S'il y a une chose dont les pêcheurs se plaignent souvent, c'est bien du manque de rigueur dans l'application de la loi. C'est du moins ce que nous constatons.

Et en s'écartant légèrement du sujet, on peut aussi parler d'infractions relatives au rejet sélectif et à l'écrémage. Dans un rapport que nous avons publié conjointement avec le Ecology Action Centre, l'an dernier, nous révélions que ces infractions flagrantes ne faisaient pas l'objet d'une application rigoureuse des règlements.

• 1105

L'application des règlements est une question importante. Dans le régime actuel, elle n'est pas faite très efficacement.

Le président: Comme la question de l'application des règlements a été soulevée à maintes reprises, je me demande si vous ne pourriez pas envoyer une copie de cette étude à notre greffier, ou à Alan, peut-être.

M. David Coon: Volontiers.

Le président: Merci beaucoup, David, pour votre exposé et pour ce document.

Le témoin suivant représente la Fédération de la faune du Nouveau-Brunswick. Il s'agit de M. Fred Wheaton. Bienvenue, monsieur Wheaton. Je remarque que vous avez un exposé assez long. Pourriez-vous nous en présenter rapidement les points saillants, afin qu'il reste suffisamment de temps pour les questions.

M. Fred Wheaton (président, Fédération de la faune du Nouveau-Brunswick): Merci, monsieur le président.

Dans l'invitation que nous avons reçue, on nous demandait de parler de deux sujets: d'abord, nos préoccupations, et ensuite, notre interprétation de l'arrêt Marshall et de l'explication qui a suivi. Si vous n'avez pas d'objection, je ne parlerai que de la première de ces questions. Nous avons décrit de manière télégraphique, dans notre mémoire, notre interprétation de l'arrêt Marshall. Vous avez probablement déjà entendu tout cela auparavant et il ne me servirait à rien de le refaire maintenant, à moins que vous le souhaitiez.

Le président: Faites comme vous voulez, monsieur Wheaton. Nous poserons nos questions sur le contenu du mémoire.

M. Fred Wheaton: Notre fédération a été créée en 1924, et c'est la plus importante organisation de conservation de la province. Nous croyons en l'emploi raisonné des ressources naturelles. Notre fédération représente des clubs de chasse et de pêche de toute la province. Nous sommes la section du Nouveau-Brunswick de la Fédération canadienne de la faune. Nous prenons position sur des questions se rapportant à la faune, à l'habitat faunique, aux chasseurs et aux pêcheurs sportifs.

Permettez-moi d'ajouter que nous sommes une organisation bénévole. Nous avons actuellement un seul employé rémunéré, notre directeur exécutif.

La pêche sportive est une industrie. Ce secteur représentait plus de 50 millions de dollars de l'économie du Nouveau-Brunswick en 1995 et permettait de conserver des centaines d'emplois. D'après une étude de 1993, le rétablissement de la pêche sportive pourrait faire passer la valeur économique de 50 millions de dollars à 135 millions de dollars, et créer 850 nouveaux emplois.

Vos questions portaient sur la viabilité économique de l'industrie. Même si la pêche sportive est une industrie, nous aimerions vous signaler qu'au Nouveau-Brunswick, la pêche sportive fait aussi partie de nos traditions, de notre patrimoine et de notre culture. Il y a une participation historique à cette pêche.

Nous reconnaissons qu'il est essentiel de veiller à la durabilité de la ressource halieutique. Malheureusement, cette ressource subit un déclin marqué. Le nombre de permis de pêche sportive provinciaux a chuté de 50 p. 100 en 15 ans. Nos prises de truites ont baissé de près de la moitié et nos prises de saumons en pêche sportive, des deux tiers.

Nos limites de prise de truites ont été réduites d'une façon marquée. On a fermé la pêche au bar d'Amérique dans le golfe du Saint-Laurent ainsi qu'une bonne partie de la pêche au saumon dans notre province. Le secteur des pourvoiries en souffre. Dans la plupart des cas, on ne peut augmenter les prélèvements pour ces trois espèces, qui sont à la base de notre pêche sportive. Notre principale préoccupation, c'est l'incidence sur ces ressources de la mise en oeuvre des droits issus de traités reconnus et affirmés par l'arrêt Marshall.

Il n'y a pas actuellement de pêche commerciale légale pour le saumon, la truite ou le bar. Au cours des 20 dernières années, près de 2 000 permis commerciaux de pêche au saumon ont été retirés, au coût d'environ 20 millions de dollars.

Nous nous sentons abandonnés par le ministère des Pêches et des Océans, quand on le voit céder ou fermer les écloseries fédérales, et la réduction marquée des efforts d'application des règlements visant la conservation de la ressource.

• 1110

Bien que la gestion de toute la ressource halieutique dans la province incombe au ministère des Pêches et des Océans, il ne gère pas en pratique la pêche sportive, sinon en fixant des règlements pour le saumon et le bar d'Amérique, laissant à la province le soin de gérer le reste, par défaut, tout en refusant de donner au gouvernement du Nouveau-Brunswick les outils nécessaires pour ce travail. Nous estimons qu'il faut un accord entre les organismes, pour permettre à la province de gérer la pêche, à l'année.

Les tribunaux ont suggéré que des accords soient conclus, sans lesquels des recours aux tribunaux seraient possibles. En fait, ce qu'il faudrait faire, c'est renégocier l'ensemble des traités sur toutes les questions, au fédéral comme au provincial, plutôt que de s'attaquer à celles-ci au petit bonheur, comme on le propose.

Autrement, il faudrait au moins conclure des accords, mais la consultation est maintenant essentielle, afin que les accords soient en vigueur tôt en l'an 2000, pour gérer la pêche de l'an prochain. Il convient de signaler que la politique de la FCF, que nous avons annexée, propose des consultations exhaustives auprès des intervenants, y compris les non-Autochtones.

Les quotas de pêche de subsistance au saumon pour les Autochtones sont à notre avis trop élevés, dans certains cas. Étant donné la faiblesse du nombre de prises, aucun gros saumon ne devrait être pris, un point c'est tout. Il s'agit des gros géniteurs qui sont essentiels au rétablissement de la pêche. Il faut noter qu'actuellement, il n'y a pas de pêche commerciale non autochtone, et que les seules prises permises pour les pêcheurs sportifs, sont celles des madelineaux, les saumons d'un an en mer. Il est essentiel de fixer des quotas raisonnables pour tous les aspects des pêches et ces mécanismes doivent être en vigueur pour qu'il y ait des déclarations complètes et exactes des prélèvements par tous les participants.

Il faut signaler que les biens nécessaires doivent venir de l'ensemble des activités de chasse, de pêche et de cueillette, et pas seulement des pêches. C'est pourquoi il doit y avoir des négociations portant sur toutes ces questions, et non pas sur une seule à la fois.

Nous estimons qu'il incombe d'abord au ministère des Pêches et des Océans de gérer la ressource aux fins de conservation, en donnant des allocations supplémentaires aux groupes d'utilisateurs.

Nous demandons: Qu'est-ce que le ministère des Pêches et des Océans entend mettre en place pour veiller à ce que les déclarations soient exactes et pour éviter les abus?

Je m'arrête ici, monsieur le président, si vous le voulez bien, et je répondrai aux questions.

Le président: Merci, monsieur Wheaton, de présenter les choses exactement comme vous les voyez. Nous l'apprécions.

Monsieur Cummins, voulez-vous commencer?

M. John Cummins: Merci beaucoup pour votre exposé de ce matin, monsieur Wheaton.

Dans le document de la Fédération canadienne de la faune que vous nous avez remis, on fixe des priorités pour les utilisateurs. Il y a les Autochtones qui pratiquent la pêche de subsistance, les non-Autochtones qui en font autant, les pêcheurs sportifs et les pêcheurs commerciaux. Comment définissez-vous les non-Autochtones qui pratiquent une pêche de subsistance?

M. Fred Wheaton: J'aimerais que mon président soit ici, puisqu'il est notre directeur au conseil d'administration de la FCF, qui a examiné cette question à sa dernière réunion, le mois dernier. Je ne peux répondre à votre question. On pourrait parler des pourvoyeurs, des personnes qui vivent dans des régions éloignées et qui utilisent la ressource pour s'alimenter.

M. John Cummins: Dans l'arrêt Sparrow, l'ordre de priorité est le suivant: la conservation de la ressource, les Autochtones, les pêcheurs sportifs et les pêcheurs commerciaux. Les pêcheurs autochtones comprendront désormais, je présume, les pêcheurs autochtones définis dans l'arrêt Marshall, et en vertu du droit issu de traités, jusqu'aux pêcheurs autochtones commerciaux.

Il me semble qu'il y a, non pas un conflit potentiel, mais du moins peut-être un litige, dans certains secteurs, puisque si l'on prend la pêche commerciale, cela veut dire un bon nombre de poissons, alors que la pêche sportive en prélève beaucoup moins. Il y aurait toute une différence, dans les quantités. On pourrait donc permettre la pêche sportive d'un poisson, sans que cela ait de grandes incidences sur la conservation de l'espèce, mais sans permettre une pêche commerciale, parce que ses prélèvements auraient un effet trop négatif sur l'espèce.

• 1115

Mais si on interprète le jugement comme disant que le droit issu de traités selon l'affaire Marshall est prioritaire par rapport aux autres usages commerciaux, il va y avoir conflit pour moi. Qu'en dites-vous? Cela vous préoccupe-t-il?

M. Fred Wheaton: Oui, et c'est d'ailleurs ce que nous craignons le plus. Lorsque nous avons vu ce qui s'est produit lors de l'annonce du jugement rendu dans l'affaire Marshall et ce qui s'est passé sur la côte nord, à Burnt Church et ailleurs, nous avons immédiatement craint que les gens interprètent ce jugement comme permettant sans limite la pêche des autres espèces comme le saumon, la truite et le bar.

Ces espèces sont extrêmement vulnérables au Nouveau-Brunswick. Dans la baie de Fundy, et ici même dans la rivière de Petitcodiac, si les stocks de saumons viennent à disparaître, ce sera pour toujours. Dans le cas de la rivière Fundy et tout le long de la côte, il n'y a plus assez de saumon pour le frai. Nous constatons le même déclin depuis huit ou dix ans dans la Miramichi en faisant la courbe des montaisons. Les stocks de truites ont été progressivement décimés par la surpêche et la destruction de l'habitat, et nous essayons de reconstituer les stocks.

Ce que nous voulons faire valoir, c'est que nous ne voyons pas comment qui que ce soit pourrait espérer en tirer une subsistance convenable, si c'est là l'expression consacrée.

M. John Cummins: En effet. Étant donné la pêche sportive, essentiellement au saumon de l'Atlantique, au Nouveau-Brunswick, c'est essentiellement une question de survie de l'espèce, et quand on voit les problèmes qui se posent, peu importe même qui reçoit la priorité.

Je sais que le comité envisage d'examiner l'impact de la transmission aux espèces sauvages de certaines maladies provenant des piscicultures. C'est le genre de problème qui doit vous inquiéter considérablement.

M. Fred Wheaton: En effet. Depuis 1984, les pêcheurs sportifs n'ont plus le droit de conserver les gros spécimens de saumon, ceux qui ont passé plus d'un hiver en mer. Et je crois que la limite est de huit saumons par an par pêcheur pour les petits spécimens, les grilses, qui sont beaucoup moins importants pour le frai que les gros spécimens. Nous essayons donc désespérément de conserver autant de ces poissons matures que nous le pouvons.

M. John Cummins: J'en arrive à former l'impression, du moins ici, qu'avant que quiconque qui souhaite participer à la pêche commence à discuter de la priorité à accorder aux usagers, c'est la survie même de la ressource qui doit occuper l'esprit de tout le monde. C'est cela la question primordiale. Vous avez peut-être quelque chose à dire à ce sujet?

M. Fred Wheaton: Vous avez raison, c'est le problème primordial. Il est évident que si la ressource n'existe pas, il n'y a plus rien pour personne.

Le président: Avant de donner la parole à M. Steckle, je voudrais ajouter un mot. Depuis le jugement rendu dans l'affaire Marshall, c'est surtout la pêche au homard qui a mobilisé, nous le savons, toute l'attention, que ce soit à Burnt Church, dans la baie de Malpeque ou ailleurs.

Le jugement rendu par la Cour suprême a-t-il eu d'autres répercussions pour le saumon, la truite et le bar? Y a-t-il là quelque chose que nous ne sachions pas?

M. Fred Wheaton: Non, pas que je sache. Cela est survenu assez tard dans la saison de pêche officielle à la truite et au saumon, mais non, je ne pense pas qu'il y ait qui que ce soit qui ait commencé à pêcher le bar, la truite ou le saumon depuis que le jugement a été rendu.

Nous craignons par contre ce qui risque de se produire en juin prochain, au moment de l'ouverture officielle de la pêche. C'est cela qui nous inquiète pour l'instant.

Mais je ne pense pas que le jugement ait beaucoup changé les choses pour l'instant.

Le président: Monsieur Steckle, allez-y vous qui êtes un grand amateur de pêche et de chasse.

M. Paul Steckle: Je ne connais pas aussi bien la pêche sportive sur la côte Est que celle qui se pratique en Ontario, mais j'ai l'impression que c'est le même phénomène partout au Canada: les gouvernements, qu'ils soient provinciaux ou fédéral, esquivent certaines de leurs responsabilités qui pourraient néanmoins être les leurs dans le cas de la pêche sportive.

Vous dites ici dans votre texte que le gouvernement fédéral s'est départi de ses responsabilités dans le domaine des écloseries. Dans quelle mesure l'alevinage a-t-il été repris en charge par des intérêts privés, par exemple par des groupes de pêcheurs ou simplement des gens qui s'intéressent à la pêche? Les gens de chez vous ont-ils pris le relais?

• 1120

M. Fred Wheaton: Dans notre province oui, dans une certaine mesure. Il y a quelques années, nous avions un programme de pêche sportive qui bénéficiait d'un financement fédéral. Cela avait commencé en 1992 si je me souviens bien, et le programme avait duré cinq ans. Il avait donné lieu à un certain nombre d'excellents projets de remise en état dans plusieurs régions de la province. Il s'agissait surtout de remise en état des habitats, mais il y eu également quelques initiatives de repeuplement.

S'agissant des écloseries, celle de la Miramichi est actuellement entre les mains d'intérêts privés. J'ignore évidemment si ce projet réussira à long terme, mais on y élève du poisson, et ce poisson—du saumon et de la truite—est utilisé par des bénévoles pour repeupler différents segments du bassin de la Miramichi.

M. Paul Steckle: Qui finance cela? Comment s'y prennent-ils? Il est certain qu'un particulier qui y pratique la pêche sportive doit acheter un permis, est-ce que je me trompe?

M. Fred Wheaton: Non.

M. Paul Steckle: Mais à partir de là, où va l'argent? Retourne-t-il au secteur de la pêche sportive, à l'industrie en quelque sorte, ou se trouve-t-il noyé dans les recettes générales?

M. Fred Wheaton: Jusqu'à il y a trois ou quatre ans environ, l'argent des permis revenait intégralement au trésor public. Depuis lors, le Conseil de la faune du Nouveau-Brunswick a été créé et une surtaxe de 5 $ imposée à tous les permis de pêche et de chasse vendus dans la province est rétrocédée au Fonds pour la faune qui est administré par un conseil de bénévoles. Depuis deux ou trois ans, ce programme est financé à hauteur d'environ 1 million de dollars par an pour des projets intéressant la chasse et la pêche dans la province. Une partie de cet argent est donc effectivement réservée ou rétrocédée. De fait, le fonds offre un concours financier depuis deux ou trois ans aux écloseries de la Miramichi et de Charlo. Cet argent ne vient donc pas du gouvernement fédéral.

M. Paul Steckle: Je voudrais faire le lien avec quelque chose qu'on trouve en Ontario. L'Ontario encaisse rien qu'en TPS environ 65 millions de dollars grâce à l'industrie de la pêche sportive. Je me demande vraiment pourquoi il est tellement difficile au gouvernement d'obliger le ministère des Pêches à mieux comprendre l'importance de cette industrie étant donné qu'elle donne au gouvernement des recettes aussi importantes. Il y a ici un gros dividende à toucher. Pourquoi ont-ils tellement de mal à le comprendre? Qu'en pensez-vous?

M. Fred Wheaton: J'aimerais bien que vous me l'expliquiez. Je pense comme vous depuis déjà bien des années et je ne le sais toujours pas. Si on songe à l'importance économique de la pêche sportive—je n'ai pas les chiffres sous les yeux—, les recettes et l'activité économique attribuables à cette industrie sont colossales, mais le ministère des Pêches et des Océans ne semble malgré tout pas lui accorder beaucoup de priorité. Que je sache, cela se manifeste surtout au niveau de l'administration centrale. Je n'en sais rien.

M. Paul Steckle: À ma place, que feriez-vous?

M. Fred Wheaton: J'imagine... Je n'en sais rien. À quel sujet? Soyez un peu plus...

Le président: Paul est un député de la majorité.

M. Paul Steckle: Je suis du côté du gouvernement.

Le président: Mais pas toujours.

M. Paul Steckle: Je vais vous mettre dans mes souliers. À ma place, que feriez-vous? Même si c'est difficile pour vous, j'imagine qu'à votre avis je devrais être en mesure de faire quelque chose. Je pense qu'à certains moments c'est difficile. C'est probablement plus difficile à faire dans ma situation.

M. Fred Wheaton: Je pense que je demanderais au ministre des Pêches et des Océans pourquoi la situation dont nous venons de discuter existe et ce qu'on pourrait faire pour y remédier. J'essaierais de lui parler de l'importance de la pêche. Je lui demanderais ce qui va se faire, quelles sont les garanties qui vont être mises en place pour le printemps prochain afin de protéger ces espèces précieuses qui se raréfient. C'est quoi, le plan? C'est quoi, la stratégie? En avez-vous une? Si vous n'en avez pas, qu'attendez-vous?

Le président: Merci, monsieur Wheaton.

M. Paul Steckle: Je pense qu'il y a un autre élément encore, et c'est l'élément scientifique. Qui prévoit, qui peut prévoir, qui devrait prévoir? Il est évident que si le ministère a abdiqué ses responsabilités à l'endroit de cette industrie, d'où proviennent les données scientifiques? Qui dit à qui que les stocks risquent d'être anormalement bas, et beaucoup plus rapidement que ce ne devrait être le cas?

M. Fred Wheaton: Dans le cas du saumon de l'Atlantique et du bar rayé, les données scientifiques viennent du ministère des Pêches et des Océans. Les recherches sont conduites principalement à Moncton et à Halifax au niveau régional, mais également sur le terrain. Le ministère fait beaucoup d'analyses au sujet du bar rayé et du saumon.

Notre problème dans le cas du saumon est celui de la survie en milieu marin. En mer, le saumon a un prédateur mais nous ignorons lequel. L'Atlantique Nord est un énorme trou noir lorsqu'on veut y faire de la recherche, et je ne vois pas ce qu'on pourrait bien découvrir de plus là-bas.

• 1125

Pour ce qui est maintenant de la truite, du bar bleu et d'autres espèces encore, il n'y a pratiquement personne qui procède à des évaluations. Pour l'essentiel, ce sont surtout des conjectures, surtout de la part des biologistes provinciaux, et qui tiennent davantage du folklore que d'autre chose. Il n'y a pas vraiment d'évaluation scientifique pour ces autres espèces. Chez nous, la truite des ruisseaux est le pilier de l'activité économique halieutique de la province.

Le président: Je vous remercie, Paul.

Monsieur Stoffer.

M. Peter Stoffer: Merci, monsieur le président.

Merci à vous, monsieur Wheaton, pour votre rapport. J'ai toujours beaucoup d'admiration pour le simple citoyen qui essaie de protéger une ressource naturelle dans l'intérêt de tous, pas uniquement pour les loisirs, mais également pour des raisons d'intérêt économique. Votre organisation et vous-mêmes, méritez des félicitations pour ce que vous avez fait, avec d'autres, partout au Canada, en mobilisant les citoyens et en intervenant avec une aide financière modique, voire nulle, de la part du gouvernement fédéral et, dans certains cas aussi, de la part également des gouvernements provinciaux.

Il y a une ou deux choses qui me préoccupent. Vous nous avez dit que sans aucun doute, les droits et les frais qui ont été imposés aux pêcheurs et à leurs organisations représentent des sommes énormes, et je parle de tout ce qui est frais d'enregistrement, droits de mise en oeuvre, amendes, frais de permis et ainsi de suite. Et nous, nous essayons de dire à tous ces gens qui exploitent cette ressource d'en tirer une subsistance convenable malgré toutes ces augmentations de frais et de droits qui leur sont imposées par le ministère.

J'ai essayé d'obtenir du ministère une subvention de 50 000 $ pour l'écloserie de Margaree afin qu'elle puisse devenir opérationnelle d'ici deux ou trois ans, ce qui donnerait d'appréciables retombées économiques dans la région du Cap-Breton, car cette rivière, comme vous le savez, est une zone de pêche exceptionnelle.

Pourquoi le gouvernement est-il à ce point hésitant, négligent même pourrait-on dire, lorsqu'il s'agit d'offrir une aide financière qui est pourtant si désespérément nécessaire?

M. Fred Wheaton: Je l'ignore et que je sois pendu si je sais qui a inventé cette politique de dessaisissement des écloseries, qui a voulu les confier à l'industrie privée mais en précisant bien qu'elles ne peuvent être exploitées que par des organismes sans but lucratif.

M. Peter Stoffer: Prenez-moi pour un fou si vous voulez, mais j'ai l'impression de trouver dans votre mémoire des choses qui contredisent le texte de la Fédération canadienne de la faune qui l'accompagne. Pour ce qui est des droits inhérents au statut autochtone, on peut ainsi lire:

    Dans une société démocratique, un gouvernement qui reconnaît des droits à quelqu'un ne doit pas le faire en se demandant si cette personne est autochtone ou non-autochtone. Tous les Canadiens sont égaux devant la loi et les gouvernements doivent tout faire pour qu'ils jouissent des mêmes droits individuels.

Au paragraphe suivant, on dit: «Personne ne devrait jouir de droits exclusifs de chasse et pêche ou de gestion de la faune du fait de son origine autochtone,»—et voici le problème—«sauf dans les réserves autochtones où sur les autres terres appartenant exclusivement aux Autochtones».

Dans un paragraphe, vous dites que tous devraient être traités de la même façon, mais au paragraphe suivant, vous dites que seuls les Autochtones vivant dans les réserves ou sur des terres appartenant exclusivement aux Autochtones devraient avoir le droit de gérer ou d'exploiter les ressources fauniques. N'y voyez-vous pas une contradiction?

M. Fred Wheaton: En effet.

M. Peter Stoffer: C'est le mémoire que vous avez présenté, et je me demande pourquoi vous y dites cela.

M. Fred Wheaton: Encore une fois, j'aimerais bien que mon président m'accompagne, car il est un des membres du conseil d'administration de la FCF et il a participé à l'examen de cette politique. Je n'avais pas vu ce document depuis des années. Il me l'a remis et m'a demandé de vous l'apporter. Je pourrais vous obtenir une réponse plus tard, si vous le souhaitez.

M. Peter Stoffer: Oui, quand cela vous conviendra. Le comité vous en saurait gré.

M. Fred Wheaton: D'accord.

M. Peter Stoffer: Encore une fois, je vous remercie, vous et votre organisation, de nous avoir fait part de votre point de vue.

M. Fred Wheaton: Je vous souhaite bonne chance avec votre écloserie de Margaree. J'espère que vous trouverez les fonds qu'il vous faut.

M. Peter Stoffer: Je vais répondre à cette question. Si j'étais député ministériel, j'irais voir le ministre et je lui dirais: «Donnez-moi un chèque de 50 000 $; nous l'enverrons à M. Wheaton. Donnez m'en un autre pour l'écloserie de Margaree; ce problème sera réglé.» Ce serait fait en deux temps trois mouvements.

M. Fred Wheaton: C'est exact.

Le président: Il adore dépenser de l'argent. Nous le savons, Peter—surtout s'il s'agit de l'argent des autres.

M. Peter Stoffer: C'est un investissement.

Le président: Monsieur Power.

M. Charlie Power: Laissez Peter terminer.

Je vous félicite de l'excellent travail que vous faites. Je suis moi-même chasseur et pêcheur à Terre-Neuve, et j'ai fait affaire avec certaines des organisations de cette province. Votre travail est noble et parfois difficile.

Je vais répondre à la question de Paul sur ce qui explique que le gouvernement fédéral, le ministère des Pêches et des Océans en particulier, a abandonné la pêche de tourisme, sportive et récréative au Canada. Par suite de la compression des effectifs et de certaines pressions qui ont été exercées sur le MPO, ce ministère est devenu le ministère des pêcheurs commerciaux, le ministère de la pêche commerciale. Bien des pêcheurs commerciaux affirmeraient que le ministère ne s'occupe pas bien d'eux, mais le ministère ne fait rien d'autre—que ce soit en matière de sciences, d'application de la loi ou de gestion.

• 1130

Si le gouvernement du Canada prenait conscience de la taille du secteur du sport récréatif au Canada, y compris la pêche et la chasse, s'il comprenait les immenses retombées économiques qu'il a sur le gouvernement et les particuliers, il envisagerait peut-être de créer un ministère de la chasse et de la pêche, de créer un poste de ministre en second de la chasse et de la pêche; ce ministre pourrait transmettre au Cabinet les préoccupations du secteur et lui donner ainsi la priorité qu'il mérite. Dans bien des régions du pays, c'est un atout précieux, qui fait partie de notre secteur touristique. La chasse et la pêche sont un secteur économique important.

Voilà probablement ce qui s'est passé: la pêche commerciale a pris toute la place au MPO.

À votre avis, combien d'argent faudrait-il pour revitaliser le secteur du saumon et de la truite? Combien d'argent faudrait-il investir dans les écloseries, dans les projets de mise en valeur et dans ce genre d'initiative pour assurer la viabilité future de cette pêche? Je vous serais reconnaissant de me répondre assez brièvement. Combien d'argent faudrait-il pour renverser la vapeur?

À plusieurs reprises, dans votre mémoire, vous dites qu'il n'y a pas de pêche légale. Quelle est l'ampleur de la pêche illégale de la truite et du saumon ainsi que des autres espèces au Nouveau-Brunswick?

M. Fred Wheaton: Pour répondre à votre question sur l'envergure de la pêche illégale, je répondrai que tous l'ignore. Je suis certain que le MPO l'ignore, car il a réduit son personnel sur le terrain d'environ deux tiers ces 15 dernières années. Nous l'ignorons, parce qu'habituellement, les braconniers se cachent. Je dirais que dans notre province, il y a beaucoup moins de braconnage qu'il y a 15 ou 20 ans.

Pour ce qui est de savoir ce qu'il en coûterait de revitaliser nos pêches, encore une fois, vous le savez aussi bien que moi. J'ignore s'il y aurait suffisamment d'argent pour aider le saumon de l'Atlantique. Il y a un problème dans l'Atlantique Nord. J'ignore si on trouvera une solution. C'est un problème environnemental, et je crois que la plupart des experts des salmonidés seraient d'accord avec moi là-dessus. Certaines rivières produisent d'assez bonnes quantités de saumoneaux qui vont jusqu'à la mer. Les quantités de juvéniles dans nos deux grands réseaux riverains, celui de la Restigouche et celui de la Miramichi, sont plus élevées qu'il y a 20 ans et restent stables ou augmentent. Nous produisons donc de bonnes quantités de saumoneaux, de petits saumons de l'Atlantique. Nous croyons qu'ils se rendent jusqu'à la mer, mais nous savons aussi qu'ils ne sont pas aussi nombreux à revenir.

J'ignore combien d'argent il faudrait investir ou même s'il est réaliste de consacrer de l'argent à la recherche sur l'Atlantique Nord pour déterminer quelles sont les causes du problème. Si vous décelez le problème, serez-vous en mesure de le régler?

M. Charlie Power: En effet, il n'y a peut-être pas de solution.

M. Fred Wheaton: Où vont nos truites et les autres espèces? Avec 300 000 $ par année, on pourrait rouvrir les trois écloseries qui ont été fermées ou cédées. Avec 100 000 $ par année, on pourrait exploiter une petite entreprise qui ferait du bon travail dans la plupart des cas.

M. Charlie Power: C'est une somme minime.

M. Fred Wheaton: En effet, mais je crois qu'il faut aussi prévoir davantage de fonds pour la protection. On a encore du mal à appliquer la loi et j'aimerais bien qu'on renforce ces efforts ou, à tout le moins, que les ressources affectées à l'application de la loi soient les mêmes qu'elles étaient il y a quelques années. Combien cela coûterait-il? Je l'ignore.

Le président: Merci, monsieur Wheaton.

Monsieur O'Brien, vous pourrez poser la dernière question.

M. Lawrence D. O'Brien (Labrador, Lib.): Merci.

Monsieur Wheaton, je viens du Labrador; manifestement, je connais bien la faune et la flore qui font partie de ma vie de tous les jours. Je partage certaines de vos préoccupations.

En ce qui concerne le saumon de l'Atlantique, qui sait? On produit de bonnes quantités de tacons et de saumoneaux qui se rendent en aval, mais ils ne semblent pas être aussi nombreux à revenir un, deux, trois ou quatre ans plus tard. C'est probablement attribuable à bien des facteurs, allant des phoques jusqu'aux goélands et Dieu sait quoi d'autre.

Ma préoccupation rejoint la vôtre et ce que vous avez dit dans votre discussion avec M. Power et M. Steckle. Ma préoccupation est essentiellement la même.

• 1135

Dans mon coin de pays, nous estimons que les panneaux et l'application de la loi sont fondamentaux pour bon nombre de ces questions. Vous en avez déjà parlé, mais j'aimerais que vous nous donniez plus de détails.

J'ai entendu mon collègue d'en face proposer la création d'un poste de ministre en second ou secrétaire d'État de la chasse et de la pêche parce que toute l'attention va aux secteurs des pêches commerciales, de sorte que les pêcheurs sportifs, qui tentent de protéger les ressources à des fins récréatives, sont souvent laissés pour compte.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet, compte tenu de mes remarques et de celles de mes collègues?

M. Fred Wheaton: Je n'ai jamais envisagé la possibilité de créer un poste de ministre en second ou une nouvelle direction au sein du ministère des Pêches et des Océans, mais c'est une idée intéressante. En général, je dirais que tout effort servant à souligner la véritable valeur de la pêche sportive sur la rue Kent à Ottawa serait utile, car cela ne semble pas être une priorité à l'heure actuelle.

Le président: Merci, monsieur Wheaton. Nous devons terminer là-dessus et passer au dernier témoin de ce matin...

M. Fred Wheaton: Monsieur le président, puis-je vous poser une question avant de partir?

Le président: Oui.

M. Fred Wheaton: Nous avons passé en revue le dernier document rendu public par le tribunal et précisant l'arrêt Marshall. Il semble que les traités dont il est question ont été conclus avec des collectivités autochtones particulières et qu'il ne s'agit pas d'un seul traité qui s'applique à tous les Autochtones. Je tente de déterminer, et personne n'a pu me répondre jusqu'à présent—mais cela ne devrait pas tarder—si les traités qui sont intervenus entre les bandes et la Couronne s'appliquent aux bandes du Nouveau-Brunswick tout comme à celles de la Nouvelle-Écosse.

M. John Cummins: Le professeur David Bell de l'Université du Nouveau-Brunswick nous en a remis une liste ce matin. Une liste est annexée à ce document. Si nous avons un exemplaire supplémentaire, nous pourrions vous le donner.

M. Fred Wheaton: Je vous en saurais gré.

M. John Cummins: Je suis certain que cela confirme que les traités s'appliquent aussi aux bandes du Nouveau-Brunswick.

Le président: Le greffier vous en remettra un exemplaire, monsieur Wheaton. Merci beaucoup.

M. Fred Wheaton: Merci à vous. Merci de m'avoir invité.

Le président: Nous accueillons maintenant le représentant de l'Association des pêcheurs de poisson de fond acadiens, M. Gauvin. Je vous souhaite la bienvenue, Alyre. Vous avez la parole. Votre mémoire n'est pas très long; vous pouvez le lire ou simplement le résumer. Il y aura ensuite une période de questions.

[Français]

M. Alyre Gauvin (président, Association des pêcheurs de poisson de fond acadiens): Merci, monsieur le président. Bonjour, tout le monde.

Mon document n'est pas très long, Si j'avais entendu plus tôt les deux dernières affirmations qui viennent d'être faites et si j'avais su que j'aurais à débattre des modes de gestion de la pêche en Atlantique et des modes de conservation, aux fins de savoir lesquels sont bons et lesquels ne le sont pas, il aurait sans nul doute été beaucoup plus épais.

Je m'attendais aujourd'hui à ne discuter que des répercussions du jugement Marshall et de la position que nous devions adopter par rapport à ce jugement. D'ailleurs, ce serait peut-être une idée de vous relancer la balle, messieurs du comité, et de vous demander si vous avez de nouveaux éléments à ajouter dans les discussions qui durent depuis déjà trop longtemps relativement aux modes de gestion et de conservation existants.

Lorsque j'entends ces choses-là, je me rappelle toujours que le gouvernement canadien avait établi une zone économique de 200 milles au milieu des années 1970. Probablement que l'intention du gouvernement, ainsi que celle de l'industrie, était d'éloigner de nos côtes les pêcheurs des pays étrangers pour leur démontrer que nous étions capables d'aller capturer le poisson qui s'y trouvait et d'approvisionner ainsi le marché mondial.

• 1140

Certains, tels que les bateaux hauturiers et les bateaux semi-hauturiers, ont relevé le défi, les côtiers ayant choisi de conserver les pêches beaucoup plus traditionnelles qui datent, je dirais, de 10, 15, 20 ou 30 ans, ou même de plusieurs centaines d'années.

Cela étant dit, monsieur le président, je vais en revenir à l'objet de ma présentation d'aujourd'hui. Sachez que je suis le président de l'APPFA. L'APPFA, c'est l'Association des pêcheurs de poisson de fond acadiens. Elle représente aujourd'hui 17 pêcheurs semi-hauturiers, tous sous régime QIT. Il faut aussi savoir que ces pêcheurs sont les plus touchés par le moratoire du poisson de fond depuis 1993.

Des 32 pêcheurs que nous étions en 1993, au moment de la fermeture de la pêche à la morue, nous sommes passés à 17. Et lorsque je parle de pêcheurs dans mon document, monsieur le président, il faut savoir que je parle aussi de capitaines-propriétaires. Ces 17 pêcheurs sont tous propriétaires de bateaux de pêche qui emploient en moyenne quatre membres d'équipage chacun.

Nous pensons, monsieur le président, qu'il faudrait d'abord savoir quelle participation les peuples autochtones veulent avoir dans la pêche. Est-ce qu'ils veulent une participation partielle pour pratiquer une pêche de subsistance ou davantage? D'après nous, ils doivent clairement définir leurs besoins afin de nous permettre de mieux nous préparer et de nous positionner en conséquence. Il faudrait aussi que les négociations se fassent, pour chacune des espèces, entre les autochtones, le gouvernement et les groupes directement touchés parce qu'ils dépendent de ces espèces.

Je vous disais au début que je représente un groupe qui dépend du poisson de fond, c'est-à-dire un groupe qui n'a que ce permis-là pour vivre de la pêche, et cela depuis déjà bien des décennies, depuis bien avant le moratoire. Probablement, monsieur le président, qu'avant de tenir des négociations tripartites, il faudrait que le gouvernement facilite des rencontres entre les groupes les plus intéressés, soit les autochtones et les pêcheurs, ceux qui dépendent de ces espèces.

Une chose est certaine: le gouvernement ne devrait jamais, dans ses négociations sur une espèce, en marchander une autre. Je vous en donne un exemple récent; il date de cette année, de 1999. Le ministère avait décidé, après avoir dépensé 550 millions de dollars depuis 1993 pour la rationalisation de la pêche du poisson de fond, que nous étions trop de pêcheurs dans ce secteur et que nous étions trop dépendants de cette ressource. Il nous a dit qu'il nous fallait être moins nombreux et nous rationaliser, et qu'il allait nous aider financièrement à le faire.

Nous avons relevé le défi. Comme je vous le disais tout à l'heure, notre nombre, au Nouveau-Brunswick seulement, est passé de 32 pêcheurs dépendant du poisson de fond à 17. Cela veut dire une grande réduction des membres d'équipage, beaucoup de réduction d'emplois et aussi de main-d'oeuvre dans les usines.

En 1999, le ministère annonce une réouverture commerciale de la pêche à la morue dans le golfe. Des 32 que nous étions, nous sommes passés à 17; nous sommes tous sous le régime QIT. N'en déplaise à certains, le régime QIT faisait notre affaire parce qu'il nous garantissait l'accès à une ressource dont nous dépendions.

Le ministère a convenu cette année d'une autre façon de fonctionner. Pourquoi? Pour acheter la paix vis-à-vis de certains groupes qui réclamaient des zones côtières de gestion intégrée. Cela voulait dire qu'ils voulaient des parcs le long de certaines côtes, ce qui leur aurait permis de cogérer cela avec le ministère fédéral, pour le bien de leurs pêcheurs. Cela leur a été refusé pour toutes sortes de raisons. Après qu'ils aient présenté un document qui avait exigé quelque cinq ou six mois de recherche et autres travaux, le ministère a déclaré qu'il ne pouvait répondre favorablement à leur requête.

Au retour, on s'est fait dire, pas par n'importe qui mais par des adjoints directs de David Anderson, qui était ministre le printemps dernier, et certains autres hauts fonctionnaires du fédéral, qu'on avait dû modifier notre part par flottille. On avait dû la diminuer pour la donner à un côtier afin d'acheter la paix, parce que ces côtiers n'auraient pas été contents tant qu'ils n'auraient pas obtenu leur zone côtière de gestion intégrée.

• 1145

Donc, tout l'effort qu'on a mis dans la rationalisation de notre groupe, tous les efforts et tout l'argent qu'ont dépensé le ministère fédéral des Pêches et des Océans et le ministère du Développement des ressources humaines pour rationaliser les pêches n'ont servi à rien parce que les secteurs qui ont reçu la grande part, soit 72 p. 100 des quotas libérés par notre rationalisation, ont pu quintupler sinon sextupler le nombre de pêcheurs de poisson de fond au cours de la première année de la réouverture de cette pêche, cette année. Ils sont passés de moins de 100 qui pêchaient en 1993, l'année du moratoire, à au-delà de 600 cette année.

Ce que je crains aujourd'hui et que je présume, monsieur le président, c'est que, lors des négociations du ministère concernant certaines espèces et la cohabitation entre autochtones et pêcheurs, les pêcheurs côtiers soient les premiers consultés à cause de l'accessibilité, à cause de la facilité d'accès.

Ceux qui connaissent un peu plus la pêche—peut-être M. Bernier lui-même, qui a représenté des groupes semi-hauturiers—sauront que la pêche semi-hauturière se rapproche beaucoup de la pêche hauturière. Elle demande des investissements dans de plus gros bateaux. Les pêcheurs qui s'en vont en mer toute la semaine au lieu d'une seule journée doivent avoir une plus grande connaissance du domaine. Ce n'est pas facile pour qui que ce soit. Je ne veux pas mettre en doute l'intelligence ou la capacité de qui que ce soit. C'est une question d'habileté. C'est une question de maîtrise du métier. C'est beaucoup plus complexe.

Si le ministère s'en va négocier, par exemple dans le secteur du homard, avec les pêcheurs côtiers et leur propose de faire une bonne place aux autochtones et de ne pas s'inquiéter de la ressource parce qu'il va leur attribuer autre chose qui proviendra de quelqu'un d'autre... Déshabiller saint Paul pour habiller saint Pierre n'est pas, à mon avis, une bonne méthode de gestion des pêches en Atlantique. Ce n'est pas une méthode pour la conservation des espèces et ce n'est pas non plus une méthode pour maintenir une économie stable dans une région. Croyez-moi, ce qu'on a fait aux flottilles de pêche nous a déstabilisés, et nous aurons de la misère à nous remettre de ce mauvais coup, monsieur le président.

L'APPFA reconnaît la décision de la Cour suprême ainsi que les droits acquis des autochtones. Là aussi, monsieur le président, on a été tenus dans l'ignorance, probablement par le gouvernement canadien, de toute cette histoire pendant trop longtemps. Lorsque le gouvernement canadien a rapatrié la Constitution en 1982, certaines de ces choses-là étaient sûrement connues de quelqu'un. Nous, qui sommes une industrie de pêcheurs, une organisation de pêcheurs et qui travaillons au bien-être de nos groupes et à l'avancement de nos secteurs, n'avons jamais été mis au courant de ce que cela pouvait nous arriver un jour.

Aujourd'hui, on se réveille un bon matin avec un jugement qui va probablement bouleverser beaucoup de choses. J'espère que le gouvernement canadien aura au moins la décence et le sens de ses responsabilités. J'espère que cette fois-ci, il nous permettra de nous asseoir avec ces gens-là et de négocier de bonne foi en fonction de leurs droits. Il ne faudrait pas partir aujourd'hui en se disant que, vu qu'ils ont des droits, on n'a qu'à se retirer et que c'est à leur tour. Je ne pense pas que cela doive se faire ainsi.

Si les parts par flottille ou par province doivent être modifiées pour leur faire une place dans la pêche de l'an 2000, c'est très bien, mais il ne faudrait pas que cela se fasse sans que les parties qui sont déjà là et qui ont bâti cette industrie pendant tant d'années soient consultées. Nous avons bâti une industrie au cours des années et nous nous attendons à ce que ces acquis soient respectés.

On s'est fait dire, et je pense que la Loi sur les pêches est quand même assez claire, que nos permis, comme pêcheurs non autochtones, étaient des privilèges. Peut-être, mais l'industrie qu'on a bâtie est un acquis et un droit qu'il faut nous reconnaître. Cela est incontestable de ce point de vue, monsieur le président. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Gauvin.

Avez-vous eu des entretiens—ou vous a-t-on invité à des entretiens—avec M. MacKenzie, qui se penche sur certaines de ces questions et qui est le représentant en chef du gouvernement fédéral dans l'affaire Marshall?

• 1150

[Français]

M. Alyre Gauvin: Non. Nous n'avons reçu d'eux aucune invitation à les rencontrer.

Monsieur le président, nous sommes une très petite organisation ayant des moyens financiers très limités. Les tribunes comme celle-ci sont bien souvent les seules occasions que nous avons de nous faire entendre.

Je ne sais pas s'il y a un manque de communication entre le ministère et les parties, mais nous n'avons appris la nomination de M. MacKenzie, et même votre visite en Atlantique, que par les médias. Je pense qu'il y a un énorme problème de communication. C'est toujours nous qui avons à nous débattre pour nous faire entendre et nous faire écouter. On ne vient jamais nous chercher de bon gré. Je crois donc qu'il y a un problème quelque part. Est-ce que ma personne dérange trop de monde? Je me le demande. Je me le fais dire parfois, mais c'est une autre histoire.

Il faut aussi savoir—peut-être en avez-vous déjà entendu parler—qu'un nouveau conseil est en train d'être mis sur pied. C'est un organisme auquel nous sommes intéressés; il s'agit de l'Atlantic Fishery Industry Alliance, à laquelle nous avons l'intention d'adhérer. Eux ont déjà rencontré M. MacKenzie et M. Thériault, et nous avons l'intention, par le biais de cette alliance, d'essayer de les rencontrer.

[Traduction]

Le président: Merci. Et nous sommes certainement heureux que vous soyez ici pour nous faire part de votre point de vue, monsieur Gauvin.

[Français]

Monsieur Bernier.

M. Yvan Bernier: Je salue le témoin.

C'est vrai que dans une vie antérieure, j'ai travaillé dans le domaine des pêches pour une association de pêcheurs principalement équipés de bateaux semi-hauturiers, mais lorsque j'ai... Il faut faire un peu d'histoire parce qu'on a commencé avec un témoin qui parlait d'histoire ce matin. Dans cette association du secteur semi-hauturier, il y avait des bateaux où on pêchait aussi à la palangre, ce qui n'est pas un engin mobile.

J'ai dit tout à l'heure qu'il faudrait, à un moment donné, régler le débat entre les deux écoles de pensée. Ce n'est pas aujourd'hui qu'on va le faire. Toutefois, il est important de mentionner le sujet, parce qu'il faudra bien déterminer, autant que faire se peut, quel engin permettra de pratiquer une pêche durable. Il va nous falloir le faire.

Je vais dire une chose qui fera peut-être de la peine à mes amis, qui ne deviendront pas, je l'espère, d'anciens amis, mais vu le peu de ressources à notre disposition maintenant, il faudra voir si on peut, en recommençant les pêches, envisager de diminuer l'utilisation de certains engins. Il nous faudra le faire.

Étant donné que nous ne sommes pas tous de la même école de pensée—j'aperçois M. Stoffer—, j'aimerais que le témoin répète à l'intention des députés que, lorsqu'ils ont commencé à travailler sous quota individuel, c'était en fonction du volume qui leur était imparti dans le passé. Il faut aussi comprendre que cet outil de gestion a été mis au point parce qu'à l'époque, c'était la misère noire.

Je voudrais aussi que le témoin nous rappelle pourquoi il faudrait que des négociations soient conduites pour chacune des espèces. De plus, tout en rappelant l'histoire de leur formation et de leur activité, en faisant allusion au passé mais en sachant très bien que les choses ne peuvent continuer comme avant, j'aimerais qu'il nous dise si le groupe qu'il représente, qui a l'esprit ouvert, serait prêt à changer d'engin de pêche, le cas échéant. Est-ce une chose envisageable?

Ceci servirait à amorcer le débat, car il faut que je pose la question aux deux groupes. Merci.

Le président: Monsieur Gauvin.

M. Alyre Gauvin: En premier lieu, puisque vous avez parlé d'histoire, monsieur Bernier, et que vous avez dit que nous étions dans la misère noire, je préciserai que le principe du quota individuel transférable s'est appliqué à la suite d'une première crise, surtout dans le poisson de fond, qui s'est produite dans les années 1970 et qui a pris beaucoup de gens au dépourvu. La différence, c'est que dans ce temps-là, il y avait beaucoup de secteurs ou d'espèces qui n'étaient pas encore exploités de façon très intensive, ce qui a permis à certains secteurs des flottilles de s'orienter vers d'autres espèces sans déranger trop de monde.

• 1155

Vers le milieu des années 1980, étant donné la façon dont les choses étaient gérées, on s'est aperçu qu'on se dirigeait... Je vous disais tout à l'heure, dans ma présentation, que le gouvernement canadien et les pêcheurs devaient démontrer aux pêcheurs étrangers qu'il fallait être capable de pêcher pour approvisionner les marchés internationaux. On en a été trop capables. On en a été trop vite capables pour le bien de l'espèce elle-même. La technologie s'est développée tellement vite qu'on n'a pas pu évaluer l'impact d'une telle pêche.

Vers le milieu des années 1980, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose. Est-ce l'engin qui est dangereux? Est-ce la gestion qui est dangereuse? Est-ce le pêcheur? Quel est le problème?

Le principal problème qu'on voyait dans tout cela, c'était une question économique: on devait prendre sa part de poisson le plus vite possible avant que cela s'arrête. C'est un peu le concept qu'on avait adopté. Les pêcheurs hauturiers et semi-hauturiers se sont dit qu'il fallait trouver une manière de s'assurer un taux de capture pour s'assurer ainsi un certain revenu, mais en reconnaissant chacun des joueurs au lieu de poursuivre cette course à la ressource qui n'était plus freinable. C'est de là que c'est parti. On s'est dit: «Quel est l'historique des débarquements, flottille par flottille, province par province? Quels efforts chacun des pêcheurs a-t-il faits dans les années antérieures pour développer cela?»

Par exemple, le groupe que je représente fait partie d'un groupe QIT. Le Québec, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve, le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, enfin tous les secteurs semi-hauturiers ont dit qu'ils allaient faire le calcul des quotas individuels en se basant sur l'historique de pêche de chacun. Par exemple, 26,98 p. 100 des quotas alloués globalement dans le sud du golfe appartiennent à notre groupe QIT. On avait historiquement 26,98 p. 100 des débarquements et on a pris cette part. Par exemple, cette année, on avait un quota de 6 000 tonnes dans le sud du golfe; une part de 26,98 p. 100 de ce quota devait nous appartenir et on la divise entre les participants de ce secteur de flottille. C'est cette méthode qu'on suit.

Pour ce qui est de la question de l'engin de pêche, vous me pardonnerez, monsieur Bernier, mais je suis encore convaincu que je ne serai pas capable de vous convaincre aujourd'hui quant au meilleur engin de pêche à utiliser. Je mets n'importe quel utilisateur au défi de faire la même chose. J'ai près de 30 ans d'expérience comme pêcheur et j'ai pêché dans bien des domaines. Je suis presque allé du pôle nord au pôle sud. Personne en ce bas monde ne peut dire qu'un engin est plus destructeur qu'un autre, mais tout le monde est capable de douter de l'homme qui l'utilise. La question de l'utilisateur en est une dont on pourrait débattre beaucoup plus facilement. Un fusil de chasse peut être bien dangereux entre les mains d'un innocent ou être bien sécuritaire entre les mains d'un homme qui sait s'en servir. C'est la même chose dans le cas de l'engin de pêche.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Gauvin.

Monsieur Cummins.

M. John Cummins: C'est une bonne chose que vous comptiez adhérer à l'Atlantic Fishery Industry Alliance, car j'estime que si les groupes représentant les pêcheurs unissent leurs efforts, on pourra résoudre le problème plus rapidement. Je pense aussi que cela fait en sorte que le gouvernement ne puisse faire jouer les intérêts d'un groupe contre ceux des autres. C'est donc une très bonne initiative de votre part.

Cela dit, je me demandais si votre groupe a discuté de la façon de permettre aux groupes autochtones de participer à votre pêche. Dans l'affirmative, à quoi peut-on s'attendre? Avez-vous réglé ce problème au sein de votre groupe?

[Français]

M. Alyre Gauvin: J'en ai discuté au téléphone avec un groupe en particulier, celui de Mme LaVallée. Nous avons parlé de nous rencontrer pour discuter de façons de tenter une première approche. Je souhaite que nous continuions de cette façon et je pense que les deux parties sont aujourd'hui intéressées à le faire.

• 1200

Je n'ai pas la solution aujourd'hui. Je ne peux pas trouver la solution tout seul. Cela doit se faire au moyen de discussions entre les parties. J'ai certaines idées quant à la façon dont cela pourrait se faire. Un exemple serait une rationalisation de la dépendance par les pêcheurs eux-mêmes, ce qu'avait appuyé le gouvernement fédéral. Il arrive que c'est par choix qu'on devient pêcheur, mais il arrive aussi que ce n'est par par choix qu'on reste pêcheur. À un moment donné, on n'a plus les moyens de s'en aller. Je suis convaincu que le ministère pourrait trouver des solutions à cela.

Autre chose: il y a beaucoup trop de back-pocket licences en Atlantique. Il y a beaucoup trop de pêcheurs qui gardent leur permis dans leur poche en attendant que la situation s'améliore. Si jamais la situation devenait meilleure, ils reviendraient à la pêche. De cette façon, on punit ceux qui développent l'industrie, ceux qui développent des marchés, ceux qui développent une expertise. On les punit parce qu'ils ont beaucoup travaillé au développement de l'industrie. Dès que cela devient payant, ces gens disent: «J'ai mon permis, j'ai mon back-pocket licence, je m'embarque, moi aussi.» C'est ce qui est arrivé cette année dans le secteur côtier.

Vous me pardonnerez si je ne vous donne pas les chiffres exacts. C'est que je n'ai pas encore réussi à les obtenir de façon officielle. Dans le sud du golfe, on est passé de 86 pêcheurs côtiers en 1993, l'année où on a fermé la pêche à la morue, à 586 en 1999. Lorsque la pêche à la morue a été fermée en 1993, on parlait d'un quota de 42 000 tonnes. Ce quota a été ramené à 12 000 tonnes, avec un prix de moins de 40c. la livre. Cette année, on a parlé d'un quota de 6 000 tonnes, mais avec un prix qui frisait 1 $ la livre. Cela risquait d'être payant. Quels sont ceux qui sont les plus punis, d'après vous? Ceux qui sont arrivés en 1999 ou ceux qui ont fait l'effort de rester et d'attendre que la morue revienne et qui se sont serré la ceinture et la cravate pendant six années? Qui sont les plus punis aujourd'hui?

Le ministre devrait commencer par mettre un frein à ce genre d'attitude. Qu'il élimine ces back-pocket licences, que ce soit dans le poisson de fond ou dans les autres espèces. M. Brian Tobin avait essayé de faire cela au début des année 1990, lorsqu'il était ministre des Pêches. Malheureusement, un gros méchant loup, qui s'appelle la politique, est entré dans le portrait et a dit: «Arrêtez cela! C'est un impact politique qui n'est pas profitable pour vous. Arrêtez cela!» Aujourd'hui, qui en paie la note? L'industrie et ceux qui ont dépensé du temps et de l'argent pour rester dans la game.

[Traduction]

M. Peter Stoffer: Merci de votre exposé, monsieur Gauvin. Je tiens à ce qu'il soit bien clair que je m'oppose au régime des quotas individuels transférables, non pas parce qu'ils sont individuels, mais parce qu'ils sont transférables. C'est cet aspect-là qui me préoccupe le plus.

Comme vous le savez sans doute, sur les Grands Bancs, Clearwater détient sept des huit permis de pêche aux pétoncles. La question que je voudrais vous poser, à vous et à n'importe qui d'autre, vous n'êtes pas tenu de répondre, bien sûr—est la suivante: Comment Clearwater a-t-elle obtenu tous ces permis? Certains prétendent que c'est grâce au marché, mais il n'en reste pas moins qu'il est possible pour un particulier ou une entreprise de détenir tous ces permis.

Mais ce n'est pas vraiment la question que je veux vous poser. La question que je veux vous adresser porte sur la conservation. Que vous soyez assujettis au QIT, au QI ou que vous soyez un pêcheur de homard, vous devez avoir accès aux poissons et les poissons doivent avoir un habitat pour survivre.

Dans la région du golfe, où vous pêchez, nous savons que l'on accorde des concessions gazières et pétrolifères à des entreprises telles que Corridor Resources au large de la falaise Cabot. Nous avons vu des plans qui prévoient le forage séismique de tout le golfe. Si on découvre un gisement, cette société pourrait avoir le droit de forer au coeur même des frayères de homard et de morue.

• 1205

Le saviez-vous? Vous avez dit que le gouvernement devrait participer aux négociations. Quel rôle pourrait jouer le Nouveau-Brunswick, par exemple, dans le cadre d'une alliance avec l'Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse ainsi qu'avec non seulement votre organisation mais d'autres organisations à l'issue de la décision Marshall?

[Français]

M. Alyre Gauvin: Monsieur Stoffer, avant de répondre à cette question, j'aurais le goût de revenir à votre inquiétude à l'égard du QIT. Certaines règles administratives ont été établies au niveau du QIT. Par exemple, une règle interdit à des individus de prendre un contrôle majoritaire dans ce domaine. Il y a ce qu'on appelle un maximum à atteindre. On ne peut pas avoir plus de tant de tonnes pour qu'il puisse se faire une répartition, pour que personne ne prenne le contrôle. Supposons que je gagne à la 6/49 et que, du jour au lendemain, je veuille acheter tout le monde. Je ne pourrais pas le faire. Il y a une limite sur laquelle l'industrie et le gouvernement se sont entendus.

Pour revenir à votre question sur les provinces, je crois que les provinces devraient jouer un rôle très important dans ce domaine. Je pense que la responsabilité des gouvernements provinciaux est de voir à une stabilité économique lors des chambardements ou des changements qui pourraient survenir à la suite de négociations ou d'ententes entre les autochtones et les pêcheurs traditionnels.

D'ailleurs, les négociations de cohabitation entre les groupes autochtones et les pêcheurs traditionnels, comme je les appelle, devraient se faire région par région ou province par province, et non pas de façon at large en Atlantique. Les besoins des autochtones ou ceux de l'industrie traditionnelle au Nouveau-Brunswick sont très différents de ceux des gens de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve ou du Québec, et c'est normal. Par exemple, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, les besoins sont très différents de ceux de l'est de la Nouvelle-Écosse, du Cap-Breton, etc. C'est la même chose au Nouveau-Brunswick, tant pour ceux qui habitent du côté du golfe que pour ceux qui habitent du côté de la baie de Fundy.

J'admets que ce n'est pas une petite chose, mais il faut passer par là. Il faut passer par une négociation locale ou régionale. On en viendrait peut-être à s'entendre sur certains principes qui pourraient s'appliquer partout en Atlantique, mais au départ, les régions doivent s'asseoir de façon individuelle.

[Traduction]

M. Peter Stoffer: Ma dernière question, monsieur Gauvin, porte sur les permis qui ne sont pas utilisés et auxquels vous avez fait allusion. J'ai consulté des pêcheurs de toutes les régions du pays, et ils savent qu'il y a beaucoup de gens qui détiennent des permis de pêche mais qui n'ont pas pêché depuis des années. Ces derniers attendent que les prix soient meilleurs pour retourner à la pêche, ce qui ne fera qu'exercer davantage de pression sur les stocks.

Si nous voulions mettre fin à cette pratique, si nous adoptions une politique prévoyant que ceux qui n'utilisent pas leur permis le perdent, imposeriez-vous une période particulière pendant laquelle il faudrait utiliser son permis—par exemple, si on n'utilise pas son permis dans les trois années qui viennent, on le perd? Si cette règle entrait en vigueur aujourd'hui, tous ceux qui détiennent un permis de pêche et qui n'ont pas exercé leur droit de pêcher dans l'année qui vient perdront leur permis sans indemnisation. Imposeriez-vous une période particulière?

[Français]

M. Alyre Gauvin: Il est très difficile de fixer une limite de temps. Ce n'est pas évident, et je ne pense pas que cela puisse se faire juste parce que cela me plaît à moi, que cela plaît à un autre ou que cela déplaît à quelqu'un.

Je vais vous donner un exemple. Cet hiver, plusieurs groupes demanderont à être consultés par le Comité consultatif du poisson de fond. Lorsqu'on parlera de conservation, de cohabitation avec les autochtones et du poisson de fond, il y aura autour de la table beaucoup de groupes composés uniquement de pêcheurs qui possèdent un back-pocket licence, mais le gouvernement va leur accorder la même attention qu'à ceux qui ont bâti l'industrie et qui travaillent avec acharnement année après année pour qu'il y ait une conservation adéquate, mais reliée aux questions économiques.

C'est bien beau parler de conservation. La meilleure mesure de conservation serait tout simplement de fermer la pêche de toutes les espèces dans l'Atlantique, mais il y a une économie qui dépend de cette pêche, et on doit essayer de concilier les deux. C'est là qu'on a un problème.

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Est-ce que le ministère va tout simplement dire aux détenteurs de permis de poche: «C'est fini, on arrête cela, vous n'êtes plus détenteurs du permis», ou si le ministre va dire: «Vous n'êtes que des joueurs potentiels, vous n'êtes pas des joueurs actifs; donc, fiez-vous aux autres acteurs pour s'occuper de la conservation, de la production, etc.»? C'est ce genre de questions qu'on doit se poser dans tout le système.

Merci.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Gauvin. Je crois qu'il n'y a pas d'autres questions. Nous vous remercions de votre témoignage.

Le comité reprendra ses travaux à 13 h 15. Nous pouvons garder nos chambres jusqu'à quatre heures; vous ne devriez donc pas avoir de problème avec vos bagages. La séance est levée.