INDU Rapport du Comité
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CHAPITRE 2 :
LA PRODUCTIVITÉ DES
ÉCONOMIES INDUSTRIALISÉES :
QUE S'EST-IL PASSÉ APRÈS 1973?
Trois aspects de la médiocrité de la productivité canadienne méritent explication. Nous analyserons donc dans un premier temps (dans le présent chapitre) l'ensemble des facteurs qui ont contribué au ralentissement de la croissance de la productivité qui s'est opéré au Canada comme dans le reste du monde industrialisé depuis 1973 et qui tiennent sans doute aux mêmes causes. Puis nous nous pencherons dans un deuxième temps (au chapitre 3) sur les facteurs en raison desquels le secteur manufacturier canadien s'est laissé distancé par son homologue américain depuis la fin des années 1970, creusant ainsi l'écart de productivité existant entre ces deux pays. Enfin, nous examinerons dans un troisième temps (au chapitre 4) les PME, surtout celles appartenant à des intérêts canadiens, et leur apport à l'écart de productivité dans le secteur manufacturier et à son élargissement. Les causes de ces deux derniers aspects de la tenue de la productivité sont sans doute propres au Canada. Heureusement, les témoins qui se sont présentés devant le Comité n'ont pas craint d'avancer diverses théories à propos de ces tendances.
Les experts canadiens expliquent l'essoufflement de la productivité dans les économies industrialisées par une baisse des taux d'investissement en capital physique, surtout en matériel et outillage (M&O), le déplacement structurel du secteur manufacturier vers les services et le temps qu'il faut apparemment aux investissements en informatique et en technologie de l'information et des communications pour se traduire par des gains de productivité. Le Comité se penchera sur chacune de ces explications.
La quasi-totalité des témoins estiment que la réduction du taux de formation nette du capital fixe dans le monde industrialisé est la principale cause de la médiocre croissance de la productivité depuis 1973. En clair, la lenteur de l'investissement en capital a abouti à un ralentissement du taux de croissance de la productivité du travail. Cela peut sembler évident; en effet, comme la main-d'uvre est plus productive lorsqu'elle est équipée de meilleurs outils, une décélération de la croissance du ratio du capital à la main-d'uvre résultant d'une baisse de l'investissement en capital se traduit par un essoufflement de la productivité. Mais il se pourrait bien que cela ne soit pas tout.
Selon les estimations, environ 80 % de tout progrès technique provient de nouveaux M&O et y est incorporé3. Donc, quelle que soit l'évolution du ratio du capital à la main-d'uvre, un amenuisement sensible et prolongé de l'investissement en capital physique peut se solder par une décélération de la croissance de la productivité, qui résulterait d'un taux moins élevé de progrès technique dans l'économie. Il est également possible d'envisager la situation sous l'angle de l'âge moyen du stock de capital. Il est généralement admis que les nouvelles immobilisations, surtout celles entrant dans la catégorie du M&O, sont plus susceptibles que les autres de se traduire par l'adoption de techniques nouvelles et exemplaires. Un stock de capital vieillissant (pouvant résulter d'un taux d'investissement en capital plus faible) peut donc ralentir la progression de la productivité, pour la simple raison que les progrès techniques (dans une proportion d'au moins 80 %) sont dans le même temps entravés4. Un déclin moins rapide de l'âge moyen du M&O (ce qui diffère du vieillissement) peut ralentir le rythme du progrès technique et la croissance de la productivité dans l'économie. Les chercheurs ont confirmé l'existence de ce phénomène, que l'on appelle souvent effet de génération, et ont effectué une estimation préliminaire de son action délétère sur l'économie. Enfin, comme le capital physique neuf suppose souvent une formation complémentaire, tout recul de l'investissement en capital peut également s'accompagner d'une réduction dans l'investissement en capital humain, autre concept corrélé directement à la productivité.
Donc, les effets directs et indirects d'un ralentissement de la formation de capital fixe peuvent freiner la croissance de la productivité. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est la meilleure source de renseignements sur l'investissement net. Selon elle, l'investissement net, c'est-à-dire dont on a défalqué l'amortissement, de ses pays membres a tourné autour de 12 % dans les années 1970, de 10 % dans les années 1980 et de 5 % dans les années 1990. Le Comité aimerait également citer ici une étude d'Industrie Canada sur l'âge du stock de capital au pays et sur le ralentissement de la productivité qui en a résulté :
L'évolution de l'âge du matériel et de l'outillage (M&O) suit généralement celle du stock total de capital[...]. Durant la période 1963-1973, l'âge du M&O a diminué dans presque toutes les industries. Seules trois industries de services -- transport et entreposage, communications et services personnels, sociaux et communautaires -- font état d'une légère augmentation de l'âge de leur M&O. Au cours de la période 1973-1992, l'accumulation de capital en M&O a accusé un ralentissement dans presque toutes les industries, sauf les industries de services, ce qui a eu pour effet de renverser ou de ralentir le mouvement de réduction de l'âge du M&O. Dans la plupart des industries de services, l'âge du M&O a diminué à un rythme plus rapide entre 1973 et 1992 qu'entre 1963 et 19735. |
Premièrement, nous avons trouvé des preuves empiriques significatives et robustes de l'existence d'un effet de génération (progrès technique incorporé au capital), qui permet d'expliquer (en moyenne) environ 14 % du ralentissement de la croissance de la PTF et 7 % de la décélération de l'augmentation de la productivité du travail[...]. Le taux de progrès technique intégré au M&O a diminué de façon spectaculaire, passant de 8,5 % par année durant la période 1963-1973 à 3,3 % par année entre 1973 et 19926. |
Le Budget 2000 reconnaît et corrige dans une certaine mesure ce problème en abaissant le taux d'imposition des sociétés de 28 % à 21 % et en ramenant le taux d'inclusion des gains en capital imposables des trois quarts aux deux tiers. Jugeant néanmoins qu'il reste encore beaucoup à faire pour stimuler les investissements, le Comité recommande :
3. Que le gouvernement du Canada élabore des politiques industrielles qui stimulent l'investissement des entreprises en capital physique, en matériel et outillage surtout, de sorte que le taux d'investissement du Canada s'élève au-dessus du taux moyen des pays du G7.
L'analyse doit tenir compte du stock de capital du secteur public, même si celui-ci est faible en termes relatifs. L'infrastructure publique, notamment les aéroports, les ports maritimes, les routes, les transports en commun, les égouts, les établissements d'enseignement et les hôpitaux, contribue également à la productivité d'une nation, car elle influe sur l'efficience opérationnelle du secteur des entreprises. Comme on l'a dit au Comité : « La compétitivité concerne l'amélioration de l'efficacité et de l'efficience du marché [...]. Avec les gouvernements [...] il y a la question d'avoir l'infrastructure matérielle voulue pour faire arriver les produits sur les marchés. »[Michael McCracken, Informetrica Limited,8:9:40]. Au Canada, la proportion que représente l'investissement fixe brut réel du gouvernement dans le PIB est tombée de son sommet de 4 %, enregistré dans les années 1960, à 2,2 % en 1997. Heureusement, certaines de ces installations ont été récemment privatisées et devraient donc adopter une approche plus commerciale qui devrait se solder par une productivité accrue. Le Budget 2000 contient un plan pluriannuel visant à améliorer les autoroutes provinciales et l'infrastructure municipale par le truchement d'un investissement de 1,6 milliard de dollars répartis sur 3 ans.
Le Comité félicite le gouvernement de son projet de financement supplémentaire de l'infrastructure publique, mais estime néanmoins qu'il faut faire plus encore. Selon les estimations, il faudrait entre 10 et 20 milliards de dollars pour moderniser l'infrastructure routière nationale et provinciale. Le Comité est d'avis que cet investissement sera payant pour le Canada, car il stimulera la croissance de la productivité; il faudrait par ailleurs qu'il soit effectué dans des délais raisonnables. Le Comité recommande donc :
4. Que le gouvernement du Canada, en collaboration avec les provinces et les municipalités, accroisse ses investissements dans l'infrastructure publique des réseaux de transport.
Le déplacement structuel du secteur manufacturier vers les services
Selon certains analystes, l'émergence du secteur des services dans le monde industrialisé est la principale cause de la piètre croissance de la productivité depuis 1973. Certains témoins entendus par le Comité ont toutefois hésité à appuyer cette opinion, qu'une étude récente de l'OCDE semble, cependant, conforter : après comparaison des taux de croissance de la productivité du travail dans diverses branches d'activité, l'étude conclut que les secteurs de haute et moyennement haute technologies, le secteur manufacturier et le secteur des services avaient enregistré, dans cet ordre, les meilleures performances7. Le Comité citera également un document de travail d'Industrie Canada contenant des chiffres sur la productivité de la main-d'uvre pour certains secteurs au Canada (voir tableau 2.1). Les chiffres de la productivité du travail sont de toute évidence plus faibles, et de loin, dans le secteur des services que dans les autres secteurs.
En gros, selon ces arguments, le taux de croissance de la productivité globale a souffert du glissement qui s'est opéré dans l'économie entre le secteur manufacturier à forte productivité et le secteur des services à faible productivité, ce dernier, qui représentait environ la moitié du PIB après-guerre, comptant aujourd'hui pour les deux tiers environ du PIB et les trois quarts de l'emploi dans les économies industrialisées. Qui plus est, de nombreux services à forte intensité de main-d'uvre ne peuvent tirer les mêmes avantages de l'informatisation que les autres secteurs de l'économie. Le nombre de coupes de cheveux que peut effectuer un coiffeur est limité, tout comme le nombre de clients que peut servir un tailleur et le nombre d'articles que peut rédiger un journaliste. La productivité de ces travailleurs du secteur des services est donc condamnée à stagner.
Tableau 2.1
Productivité du travail de certains secteurs canadiens -- 1992
Secteurs de services | Productivité de la main- d'oeuvre ($ de 1986 par heure) |
Autres secteurs | Productivité de la main- d'oeuvre ($ de 1986 par heure) |
Électricité, gaz et eau | 111 | Agriculture, foresterie et pêche | 29 |
Construction | 57 | Mines et carrières | 134 |
Commerce de gros et de détail | 24 | Aliments, boissons et tabac | 105 |
Restauration et hôtellerie | 22 | Textiles, vêtements et cuir | 41 |
Transport et entreposage | 50 | Produits du bois et meubles | 58 |
Communications | 89 | Papier, produits du papier et impression | 72 |
Services personnels, sociaux et communautaires | 30 | Produits chimiques | 139 |
Industries des métaux de base | 129 | ||
Appareils électriques | 81 |
Source : S. Gera, W. Gu et F. C. Lee, op. cit., tableau 1, p. 11.
À première vue, le secteur des services ne semble pas en très bonne position, mais une étude plus poussée permet de mettre cette conclusion en doute. Tout d'abord, les mesures traditionnelles de la productivité sont mal adaptées au secteur des services. Par exemple, dans le commerce de détail, s'ajoutent aux intrants des entreprises les intrants considérables que les consommateurs fournissent sous forme d'achat. Malheureusement, il n'existe aucune mesure statistique satisfaisante de ces intrants non commerciaux et de leur évolution dans le temps. Toute interprétation de l'efficience du commerce de détail basée sur des mesures de productivité qui ne tiennent compte que des intrants commerciaux est suspecte, car il y peut y avoir une substitution considérable entre ces intrants et les intrants non commerciaux. D'autre part, les amateurs de lèche-vitrines valorisent les services qu'ils reçoivent, mais ils n'entrent pas dans les statistiques et ne sont donc pas pris en compte dans les mesures de la productivité. Enfin, il est bien connu que le commerce de détail fournit des intrants et des extrants hétérogènes qu'il est extrêmement difficile de combiner en une seule mesure.
Comme la plupart des biens de consommation et des services, les services financiers sont fournis par l'entremise d'un intermédiaire qui rapproche acheteurs et vendeurs de fonds par le truchement de points de distribution et de marketing. Au cours des 30 dernières années, des changements considérables ont eu lieu dans le domaine des télécommunications, qui se sont traduits, entre autres choses, pour le secteur bancaire par la prolongation des heures de service et la multiplication des points de vente, puisqu'il est désormais possible de faire affaire avec une succursale 24 heures par jour presque partout dans le monde. Les temps d'attente au guichet ont été considérablement écourtés, et il est désormais possible de régler ses factures chez soi, que ce soit par Internet ou par téléphone. La venue des guichets automatiques et des cartes de débit a également grandement réduit le temps et l'argent que les consommateurs devaient dépenser pour faire leurs achats. Malheureusement, les mesures de la productivité du secteur bancaire, qui a fortement réduit les intrants liés aux clients en engageant des dépenses en capital très importantes, ne tiennent pas correctement compte de ces améliorations. Toutefois, le Comité n'a entendu qu'un nombre limité de témoignages allant dans ce sens :
La CIBC, comme toutes les banques canadiennes, peut être décrite comme faisant largement appel à la technologie de l'information. Ses investissements à ce titre ont augmenté de 86 % entre 1988 et 1995, passant de 129 à 239 millions par an et ont été consacrés essentiellement aux guichets automatiques. Au cours de la période allant de 1987 à 1996, le nombre de guichets a crû de 310 %. La technologie de l'information a changé la dynamique de travail au niveau des succursales. Au lieu d'avoir à se présenter entre 8 heures et 17 heures pour confier à un préposé les renseignements nécessaires pour effectuer une transaction, les clients peuvent, directement au guichet automatique, entrer les renseignements à n'importe quel moment du jour ou de la nuit. Les banques ont effectué leurs propres analyses en matière de productivité et ont conclu que le coût d'une transaction effectuée par un intermédiaire au guichet était de 3 $. Elles ont fortement investi dans la technologie de manière à mettre sur pied d'autres modes de prestation de services. Avec le service bancaire par téléphone, le coût de la transaction est tombé à 1,50 $. Le coût de la transaction par ordinateur personnel a été ramené à 50 cents. Avec Internet, il devrait être possible d'effectuer des transactions bancaires pour aussi peu que 15 cents par transaction. [Gaylen Duncan, Association canadienne de la technologie de l'information, 26:16:20]. |
Pour toutes ces raisons, le Comité a tendance à abonder dans le sens d'un témoin éminent selon lequel « la principale cause de notre productivité -- c'est-à-dire du rendement par travailleur -- insuffisante est un piètre rendement dans le secteur manufacturier et non dans celui des services » [Dale Orr, WEFA Canada Inc.,10:9:20]. Le Comité recommande donc :
5. Que le gouvernement du Canada améliore la collecte de données de même que la mesure de la productivité dans le secteur des services et sensibilise les Canadiens à l'importance de la productivité pour la qualité de vie.
Le paradoxe productivité-technologie de l'information et des communications
Du point de vue des entreprises, les 10 dernières années ont été particulièrement notables pour ce qui est des investissements au titre de la technologie de l'information. Presque tous les secteurs et branches d'activité au Canada ont considérablement investi en technologie de l'information au cours des années 1990 dans l'espoir de moderniser leurs activités et leurs installations, car il était généralement admis que cela permettrait de hausser les niveaux de productivité. Les entreprises des autres pays industrialisés ont suivi la même voie. Le Centre d'étude du niveau de vie décrit le cas du Canada de la façon suivante :
Entre 1992 et 1995, les investissements au titre de l'informatisation des bureaux qu'a effectués le secteur des services au Canada ont augmenté de 64,2 % en termes réels, mais la productivité des facteurs n'a progressé que de 1,2 %. Ce qui est encore plus étonnant [...], c'est que le secteur des services ayant la plus forte proportion d'investissements en informatique a eu tendance à afficher la pire croissance de la productivité factorielle globale8! |
Comme cette piètre tenue de la productivité par rapport aux investissements en technologie de l'information se retrouve un peu partout dans l'économie canadienne (voir tableau 2.2) et que les données concernant les autres pays industrialisés semblent pour le moins contradictoires, on ne peut que remettre en question les avantages promis par ceux qui voyaient dans la technologie de l'information le moteur de l'économie9.
Tableau 2.2
Investissement en informatique et croissance de la productivité globale des facteurs dans
le secteur canadien des services
Secteur | Investissements en informatique en %
de l'ensemble des investissements 1995 |
% de variation des investissements
réels en informatique 1992-1995 |
% de variation de la productivité
globale des facteurs 1992-1995 |
Transportation et entreposage | 3,4 | 86,8 | 6,8 |
Communications et autres services d'utilité publique | 7,8 | 108,3 | 9,7 |
Commerce de gros | 14,7 | 59,1 | -0,6 |
Commerce de détail | 16,5 | 351,4 | -0,2 |
Finances, assurances et immobilier | 13,4 | 85,8 | -0,8 |
Services aux entreprises | 55,8 | 3,2 | -15,6 |
Services publics | 6,6 | 45,2 | 0,1 |
Enseignement | 7,3 | 67,0 | -2,2 |
Services médicaux et sociaux | 7,5 | 97,2 | -4,6 |
Hôtellerie et restauration | 5,4 | 3,4 | 4,2 |
Total pour le secteur des services | 9,8 | 64,2 | 1,2 |
Centre d'étude du niveau de vie, Productivity: Key to Economic Success, tableau 8, p. 35.
Cette évolution inattendue, que certains chercheurs en économie ont appelé le paradoxe de la productivité, peut s'expliquer de trois façons :
Bien que les investissements en informatique donnent les améliorations de la productivité escomptées, ces dernières ne paraissent pas dans les statistiques sur la productivité, car les mesures utilisées sont incapables de saisir exactement leur incidence.
Les rendements des investissements en informatique sont exagérés, car ils exigent des adaptations onéreuses et souvent perturbatrices du milieu de travail.
Il faut attendre longtemps avant que les grandes innovations technologiques dans le milieu de travail, comme l'arrivée des ordinateurs et des périphériques, puissent se répandre dans l'ensemble de l'économie et fonctionner de façon à la fois efficace et efficiente.
Bien sûr, le Comité n'est pas en mesure de trancher la question, mais il soupçonne que les trois hypothèses comportent un élément de vérité. La première suggère de toute évidence qu'il convient d'améliorer nos indicateurs et nos mesures de la productivité, surtout pour le secteur des services, qui fait intensément appel à la technologie de l'information. Cette idée confirme d'ailleurs la recommandation précédente du Comité. Pour ce qui est de la seconde hypothèse, dont on peut déduire que les PDG du monde entier ont fortement exagéré le potentiel de la technologie de l'information et que des critères plus stricts en matière d'investissement s'imposent, le Comité n'a aucune solution à proposer. Enfin, on peut déduire de la troisième hypothèse que les gains de productivité découlant de l'adoption des nouvelles techniques risquent d'être décalés dans le temps, comme cela a été le cas de l'électricité, qui s'est traduite par une amélioration de la productivité 40 ans après son apparition, soit dans les années 192010. Le Comité examinera plus en détail ces répercussions, qui vont loin et exigent une adaptation du milieu du travail et des mécanismes institutionnels.
Ce décalage entre l'investissement en technologie de l'information et l'amélioration au niveau de la productivité peut s'expliquer par les difficultés, souvent institutionnelles, que pose las mise en place efficace des nouvelles techniques. De fait, si ces difficultés n'allaient pas au-delà de l'abordabilité et de la formation des travailleurs, elles auraient été effacées en large mesure par la puissance des ordinateurs, qui augmente à pas de géant, et par la baisse rapide des prix intervenue au cours des deux dernières décennies. Mais les changements institutionnels ne peuvent se faire du jour au lendemain, et se répartissent plutôt sur plusieurs générations. La nature humaine n'est tout simplement pas aussi adaptable face aux changements radicaux, ni même en mesure de les subir, que ne l'exigent souvent les nouvelles technologies, et toute adaptation humaine prend beaucoup de temps. Les éventuels changements de nature institutionnelle qui ont été évoqués comprennent l'aplatissement des hiérarchies dans les milieux de travail, la formation d'équipes multidisciplinaires au sein de la hiérarchie, la délégation de la prise de décisions au niveau de l'exploitation et la mise en place de mécanismes de dialogue et de contrôle bilatéral, un assouplissement des conditions de travail (horaire et lieu de travail), l'adoption d'incitatifs pécuniaires fondés sur la productivité ou la rentabilité et un remaniement complet des organes chargés d'établir les règlements dans les relations industrielles et des institutions responsables.
Rares sont, dans l'histoire de l'humanité, les exemples de changements aussi fondamentaux permettant d'établir des comparaisons ou des prévisions. De façon générale, nous pouvons conclure que la révolution industrielle a transformé l'économie, les activités artisanales disparaissant au profit de vastes complexes industriels et le lieu de production passant du domicile à l'usine. La mécanisation accrue des méthodes de production a signifié perte de liberté pour ce qui est de déterminer l'intensité, la régularité et la durée de son effort et l'affectation des ouvriers à des activités hautement spécialisées de manière à assurer une production continue et concertée11. Les économies d'échelle et les gains de productivité que nous connaissons aujourd'hui n'auraient pu être réalisés autrement12. La main-d'uvre a été bien récompensée de cette perte de souveraineté et de son affectation à des activités souvent abrutissantes, et il est apparu une classe de négociateurs professionnels veillant à ce que les méthodes adoptées à l'usine cadrent avec les impératifs de productivité. Les règles du travail en usine, aujourd'hui institutionnalisées, sont suivies partout, mais cela a pris un siècle ou plus.
Il est actuellement possible pour certains employés de travailler à leur domicile, étant reliés à leur entreprise par ordinateur, et pour les gestionnaires de confier différentes activités à des organismes satellites plus petits, si bien que l'entreprise peut se concentrer sur ses activités clés. La révolution de l'information semble donc avoir réduit l'envergure des activités des entreprises et restauré le domicile comme lieu de travail. L'émergence de techniques de fabrication sans gaspillage ou souples a permis d'orchestrer le démantèlement de modes de travail rigides, lesquels ont été remplacés par une participation des travailleurs, qui ont pu tirer parti de la nouvelle dimension humaine de leur travail13. Les entreprises accordent également des incitatifs financiers aux travailleurs, pour les motiver et accroître la productivité, ainsi que pour s'attacher ce capital de connaissances intangible et très mobile. Ces changements du milieu de travail sont inéluctables, mais il faudra sans doute attendre longtemps avant que cela ne soit chose faite. D'aucuns pensent que nous assisterons bientôt à un bond de la productivité et que les débuts de la révolution de l'information devraient être aussi décisifs que l'ont été ceux de la révolution industrielle. Le Comité ne peut qu'espérer que cela sera le cas.
3 J. B. DeLong et L. H. Summers, « Equipment Investment and Economic Growth, » Quarterly Journal of Economics, 106, 1991, p. 445-502.
4 Qui plus est, un stock de capital vieillissant suppose des frais d'entretien et de réparation plus élevés par unité de production, et l'affectation de ressources provenant d'autres activités productives aux réparations et à l'entretien ne se soldera certainement pas par un essor de la productivité.
5 S. Gera, W. Gu et F. C. Lee, Progrès technique incorporé au capital et ralentissement de la croissance de la productivité au Canada, Industrie Canada, document de travail no 21, 1998, p. 13.
6 Ibid., p. 32.
7 OCDE, Technologie, productivité et création d'emplois -- Politiques exemplaires, 1998, p. 46.
8 Centre d'étude du niveau de vie, Productivity: Key to Economic Success, mars 1998, p. 32.
9 Pour en savoir plus sur les études internationales concernant la technologie de l'information et la productivité, voir S. Gera, W. Gu et F. C. Lee, Technologie de l'information et croissance de la productivité du travail : analyse empirique de la situation au Canada et aux États-Unis, Industrie Canada, document de travail no 20, mars 1998.
10 Grâce à l'amélioration de la distribution et du transport de l'électricité, les usines ont pu : 1) être situées plus loin des voies navigables, 2) adopter une forme plus allongée et rectangulaire mieux adaptée aux chaînes de montage (comme celles de la Ford) et abandonner le modèle cubique à trois étages, et 3) délaisser le centre-ville pour s'installer dans les banlieues industrielles, de manière à pouvoir s'étendre sur une superficie plus grande. Toutefois, les manufacturiers n'étaient pas disposés à abandonner sur-le-champ leurs usines ni leur équipement. Une fois que leurs installations eurent été suffisamment amorties et désuètes, il leur est devenu financièrement possible de tirer pleinement parti des avantages pour la productivité que comportait l'électricité en mettant en place ces restructurations.
11 La productivité de chacun étant devenue fortement dépendante de celle d'autrui dans un tel cadre, on peut supposer que le fait d'abandonner la prise de décisions à un chef d'atelier visait à faire en sorte que personne ne se dérobe à ses obligations.
12 Les principes clés qui sous-tendent les techniques de production de masse sont la normalisation du produit et des pièces, la spécialisation de l'équipement et l'élimination d'une main-d'uvre spécialisée sur la chaîne de montage.
13 Les principes clés derrière les techniques de production maigres sont la disponibilité « juste à temps » des pièces, qui permet d'économiser sur les stocks; le contrôle autonome des défauts, les travailleurs des chaînes de montage pouvant arrêter le processus lorsqu'ils découvrent un défaut, jusqu'à ce que la source du problème soit trouvée et corrigée, de manière à économiser au niveau du travail de reprise et des rappels de fabricant, qui sont onéreux; et le remplacement de travailleurs non spécialisés et spécialisés par des équipes multidisciplinaires qui contribueraient davantage, par l'entremise des cercles de qualité, à l'amélioration de la production.