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CIMM Rapport du Comité

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RÈGLEMENT SUR LES TIERS PAYS SÛRS

INTRODUCTION

        En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), le Ministre peut désigner un pays dans lequel les demandeurs du statut de réfugié peuvent être renvoyés pour demander l’asile. Bien qu’elle fasse partie du droit canadien depuis 1989, la disposition qui porte sur la désignation d’un « tiers pays sûr » n’a jamais été invoquée. Il est maintenant proposé d’accorder cette désignation aux États-Unis.

        Dans les faits, il est nécessaire de conclure une entente avec le pays désigné si l’on souhaite opposer un refus d’accéder à notre système de détermination du statut de réfugié et renvoyer un demandeur dans ce pays. Le 30 août 2002, le Canada a conclu une entente préliminaire sur les tiers pays sûrs (l’Entente) avec les États-Unis. Les deux pays se sont engagés à soumettre l’Entente à leur gouvernement respectif; au Canada, le Cabinet a donné son approbation le 8 octobre 2002. Le secrétaire d’État américain n’a pas encore approuvé officiellement l’Entente, mais on s’attend à ce qu’il le fasse avant la rencontre du vice-premier ministre John Manley avec le gouverneur Ridge, prévue pour le 5 décembre 2002. Le gouvernement américain publiera à ce moment-là son règlement d’application.

        Le règlement du Canada sur les tiers pays sûrs a fait l’objet d’une publication préalable le 26 octobre 2002, assortie d’une période de consultation publique de 30 jours. La publication préalable du règlement permet aux citoyens intéressés de l’examiner et de soumettre des observations par écrit au ministère avant que la version finale du règlement ne soit établie et n’entre en vigueur. Le Comité comprend que les impératifs administratifs exigent de limiter la période de consultation. Toutefois, à titre de comité chargé de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), il est de notre compétence d’examiner et de commenter à notre discrétion tous les dossiers ministériels. Nous n’avons malheureusement pas été en mesure de respecter le délai relatif à la consultation publique. Cependant, ayant été informés que le règlement et l’Acord n’entreront pas en vigueur avant le printemps prochain, nous nous attendons à ce que nos recommandations et commentaires soient pris en considération. Le Comité a récemment procédé à l’examen du Règlement d’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et le rapport de mars 2002 du Comité, intitulé Bâtir un pays, a permis d’apporter des améliorations importantes au règlement publié préalablement. Nous espérons que le présent rapport recevra un accueil tout aussi favorable.

        Même si nous n’avons disposé que de très peu de temps pour réaliser notre étude, nous sommes convaincus d’avoir abordé les principaux enjeux. En plus d’avoir pu bénéficier de la présence du Ministre et de représentants de CIC, nous avons entendu les témoignages de 20 personnes représentant neuf organisations et reçu de nombreux mémoires. Le Comité formule les commentaires et les recommandations ci-après à la lumière des préoccupations communes qu’il a relevées.

A.    CONTEXTE

        Le paragraphe 33(1) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés) stipule :

Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

        De même, le paragraphe 3(1) de la Convention des Nations Unies contre la torture, ratifiée par le Canada et les États-Unis, précise :

Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

        C’est en partie à la lumière de ces engagements internationaux qu’il faut évaluer l’Entente. Nous devons nous assurer que le renvoi des demandeurs d’asile se fait en conformité avec la Convention sur les réfugiés et la Convention contre la torture. D’ailleurs, cet aspect est défini à l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, lequel précise les éléments dont il faut tenir compte dans la désignation d’un tiers pays sûr. Le Comité observe que l’article 3 de l’Entente stipule que le Canada et les États-Unis ne procèderont pas au renvoi vers un autre pays de toute personne visée par l’Entente tant que la demande d’asile n’aura pas fait l’objet d’une décision.

        Le Comité a appris que le concept du tiers pays sûr est d’abord apparu en Europe comme mesure visant à prévenir la « quête du meilleur pays d’asile ». Il semble en effet que certains individus faisaient des demandes d’asile dans plusieurs pays d’Europe, de façon simultanée ou consécutive, afin de trouver le pays qui était le plus avantageux sur le plan personnel. Le gouvernement est d’avis que le choix d’un lieu de résidence en fonction de facteurs personnels ou économiques relève de l’immigration et ne cadre pas dans le contexte des demandes d’asile. Les réfugiés devraient essentiellement être tenus de demander l’asile dans le premier pays sûr dans lequel ils arrivent. En revanche, nombre des témoins que nous avons entendus estiment que les demandeurs devraient pouvoir choisir le refuge sûr dans lequel ils ont le plus de chances de rétablir leur situation financière et sociale.

        Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a établi des lignes directrices visant la mise en œuvre du concept de tiers pays sûr et ne s’oppose pas en principe à la conclusion d’ententes du genre. Le HCR reconnaît que les états ont la liberté de conclure des accords sur le partage des responsabilités relatives aux demandes d’asile, pourvu qu’il soit clairement établi que le renvoi ne peut être effectué que dans les cas où le demandeur concerné aura accès à un processus de demande d’asile équitable dans le pays d’accueil. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagne le projet de règlement précise que le HCR souscrit aux objectifs de l’Entente et qu’il estime que les deux pays remplissent leurs obligations internationales. Toutefois, lors de leur comparution devant le Comité, les représentants du HCR ont cru bon d’ajouter que certaines parties de l’Entente risquent de compromettre l’obtention du statut de réfugié, ce qui va à l’encontre des normes internationales. Comme nous le verrons plus loin, cette question préoccupe le Comité.

B.    STATISTIQUES

    Les témoins ont présenté diverses statistiques sur le nombre de demandes que l’Entente devrait régler. Selon des données fournies par CIC, de 1995 à 2001, environ le tiers de toutes les demandes de statut de réfugié présentées au Canada (soit de 31 % à 37 % par année) étaient soumises par des personnes dont on sait qu’elles arrivaient des États-Unis ou étaient passées par ce pays. Il y en a peut-être un plus grand nombre, mais ce pourcentage ne tient pas compte des demandeurs dont la voie d’entrée n’a pas été confirmée. Chez les personnes ayant présenté une demande directement à leur point d’entrée, où il est sans doute plus facile de vérifier les pays de transit, de 60 %  à 70 % arrivaient des États-Unis ou étaient passées par les États-Unis pour entrer au Canada. En 2001, 13 497 personnes dont on sait qu’elles arrivaient des États-Unis ou y étaient passées ont présenté des demandes d’asile et 95 % de ces demandes ont été formulées à partir de points d’entrée terrestres. Bien qu’il n’ait pas été possible d’obtenir des données sur le nombre de demandeurs du statut de réfugié aux États-Unis qui proviennent du Canada, il semble qu’il se limiterait à quelques centaines par année.

C.    ÉTUDES ANTÉRIEURES

        Au milieu des années 1990, il y a eu projet d’entente entre le Canada et les États-Unis. Un avant-projet d’entente a été conclu en novembre 1995 puis diffusé au public. Le Comité de la citoyenneté et de l’immigration a tenu des audiences en mars 1996 et déposé un rapport sur la question en mai de la même année1. Le Comité a alors conclu que le concept d’une entente sur les tiers pays sûrs était en soi une bonne idée et que l’avant-projet s’appuyait sur des principes solides. Il a toutefois formulé les recommandations suivantes :

  • Il est nécessaire d’établir un comité de surveillance permanent formé de représentants des gouvernements et du HCR.

  • Le mandat du comité de surveillance devra couvrir la question des différences importantes dans le traitement que les deux pays réservent aux personnes qui, de l’avis du HCR, présentent des demandes valables.

  • Dans les cas où des demandeurs de langue française désirent présenter une demande au Canada pour des raisons de langue, le gouvernement devrait user de son pouvoir discrétionnaire pour leur permettre de présenter une telle demande même s’ils devaient normalement s’en remettre aux États-Unis.

  • Tout autre projet d’entente devrait être soumis au Comité pour une nouvelle étude.

        En 2001, le Comité s’est de nouveau penché sur la question dans le cadre de son étude de la sécurité frontalière2. Le Comité, tout en recommandant au gouvernement de conclure des ententes de tiers pays sûrs avec certains pays clés, en particulier avec les États-Unis, a eu le commentaire suivant :

Le Comité estime qu’il y a lieu d’essayer de nouveau de négocier une telle entente avec les États-Unis, mais il fait une mise en garde contre la tentation d’y voir une panacée qui règlera l’augmentation des demandes exercées sur notre système de détermination du statut de réfugié. Il s’agira en fait d’un outil parmi nombre d’autres. Les travailleurs frontaliers de première ligne sont clairement en faveur d’une telle entente avec les États-Unis et croient qu’elle permettra de grandes économies. En outre, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a établi des lignes directrices concernant l’application de la notion de tiers pays sûrs. Conformément à ces lignes directrices, le Canada pourrait chercher à conclure avec les États-Unis une entente qui assurerait le respect de nos obligations humanitaires.

Nous prenons également note des observations du Sénat dans le cadre de l’étude du projet de loi C-11, Loi sur l’immigration et sur la protection des réfugiés (LIPR), par le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie3. Ce comité a lui aussi conclu que le gouvernement devrait chercher à mettre en œuvre les dispositions de la LIPR portant sur les tiers pays sûrs, et plus particulièrement à en venir à un accord avec les États-Unis sur le partage des responsabilités en matière de traitement des demandes d’asile.

LE PROJET DE RÈGLEMENT

        Le règlement précise d’abord la désignation des États-Unis en vertu de l’alinéa 101(1)(e) de la LIPR, lequel stipule que la demande ne peut être renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié si le demandeur arrive, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement. La suite du règlement est consacrée à la définition d’exceptions à la règle des tiers pays sûrs et des dispositions en matière de suspension et de résiliation de l’Entente.

        Les dispositions du règlement ne s’appliquent qu’aux points d’entrée terrestres. Le règlement stipule que l’Entente ne s’applique pas si le demandeur cherche à entrer au Canada à l’un ou l’autre des endroits suivants :

  • un endroit autre qu’un point d’entrée (un bureau intérieur de CIC);

  • un port qui sert de point d’entrée;

  • un aéroport.

        De plus, un demandeur ne sera pas renvoyé aux États-Unis s’il démontre qu’un membre de sa famille se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

  • il est citoyen canadien;

  • il est résident permanent;

  • sa demande d’asile a été acceptée;

  • il est âgé d’au moins 18 ans et sa demande d’asile a été soumise à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

        L’article 2 du projet de règlement donne la définition suivante d’un « membre de la famille » : À l’égard du demandeur, son époux ou conjoint de fait, son tuteur légal, ou l’une ou l’autre des personnes suivantes : son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son oncle, sa tante, son neveu et sa nièce.

        Les mineurs sont également exemptés des dispositions concernées et les détails à ce sujet sont donnés dans le règlement. Si le mineur a moins de 18 ans, qu’il n’est pas accompagné par un adulte, qu’il n’a ni époux ni conjoint de fait et ni père, ni mère ou tuteur légal au Canada ou aux États-Unis, il sera autorisé à se prévaloir du système canadien de protection des réfugiés.

        En outre, l’Entente ne vise pas les demandeurs qui sont détenteurs d’un visa canadien valide ou ceux qui n’ont pas besoin de visa pour entrer au Canada mais qui doivent en obtenir un pour entrer aux États-Unis.

        En vertu de l’article 6 de l’Entente, l’une ou l’autre des parties peut à sa discrétion étudier la demande d’asile de tout demandeur si elle juge qu’il est dans l’intérêt public de le faire. Au titre de cet article, l’article 159.6 du projet de règlement stipule que le renvoi aux États-Unis ne sera pas effectué si le demandeur :

a)    est mis en accusation aux États-Unis pour une infraction qui pourrait lui valoir la peine
        de mort dans ce pays, ou a été déclaré coupable d’une telle infraction;

b)    est mis en accusation dans un pays autre que les États-Unis pour une infraction qui
        pourrait lui valoir la peine de mort dans ce pays, ou a été déclaré coupable d’une
        telle infraction;

c)    a la nationalité d’un pays à l’égard duquel le ministre a imposé un sursis aux mesures
        de renvoi.

        L’article 10 de l’Entente définit les modalités de suspension et de résiliation de l’Entente, alors que le règlement proposé précise le processus de notification nécessaire. L’Entente peut être résiliée moyennant un avis de six mois, ou suspendue pour une période maximale de trois mois sur présentation d’un avis écrit à l’autre partie.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES

        Des représentants de Citoyenneté et Immigration Canada ont informé le Comité que l’Entente vise à réduire le nombre de demandes du statut de réfugié renvoyées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en particulier les demandes présentées par des personnes qui obtiennent des États-Unis un visa de visiteur et qui se rendent ensuite à la frontière canadienne pour formuler une demande de statut de réfugié. Le Comité espère que les économies attribuables à la réduction du nombre de demandes d’asile formulées de l’intérieur du pays, grâce à l’Entente, permettront d’accroître les sommes consacrées à notre programme de réétablissement d’étrangers visés par des considérations humanitaires.

        Le Ministre et les représentants de CIC ont indiqué que même si l’on prévoit que la mise en œuvre de l’Entente permettra de réduire la charge de travail imposée à la Commission, elle n’aura pas d’incidences négatives sur les demandeurs d’asile puisque ceux-ci se verront garantir l’accès au système canadien ou américain de détermination du statut de réfugié. Les représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) qui ont témoigné (elles s’opposent à la notion de tiers pays sûr) et le HCR (il ne s’oppose pas à de tels accords) n’ont pas accepté les assurances à ce chapitre données par le ministère. Pour le Comité, il s’agissait donc de déterminer si les préoccupations exprimées par ces témoins étaient importantes et, le cas échéant, si l’Entente était mauvaise en soi ou s’il était possible de donner suite à ces préoccupations en modifiant le règlement.

        Dans une certaine mesure, le Comité n’a pas tous les éléments en main. Au Canada, les détails relatifs à la procédure ne sont pas encore finalisés. Aux États-Unis, étant donné que le secrétaire d’État n’a pas encore signé l’Entente, la réglementation américaine n’a pas encore été publiée, ce qui pourrait éventuellement clarifier certaines questions soulevées dans le présent rapport.

        Tout compte fait, le Comité appuie l’Entente mais a des préoccupations au sujet de certains aspects du règlement proposé. Le Comité est persuadé que le ministère se penchera sur les enjeux précisés ci-après, avant que n’entrent en vigueur l’Entente et le règlement.

LES ENJEUX

        A.    Le système américain de demande d’asile

        De nombreux témoins ont mis en doute le principe selon lequel les États-Unis représentent un pays « sûr » pour tous les demandeurs d’asile. Des témoins représentant des ONG et le HCR ont soulevé certaines inquiétudes à l’égard des pratiques américaines actuelles. Ils ont notamment évoqué les pratiques de détention, le processus de renvoi accéléré, la période d’un an pendant laquelle les demandes d’asile aux États-Unis doivent être soumises et les divergences dans l’interprétation de la définition d’un réfugié dans la jurisprudence américaine. Nous avons également pu examiner un mémoire que CIC avait commandé au professeur David A. Martin, de l’University of Virginia. Dans son document, le professeur Martin en vient à la conclusion que les États-Unis souscrivent bel et bien aux principes de la Convention sur les réfugiés et que leurs processus de demande d’asile respectent le droit international.

i)    Renvois accélérés

        En 1996 les États-Unis ont adopté la Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsibility Act (l’IIRIRA) et modifié en profondeur leur processus de demandes d’asile. En vertu de l’IIRIRA, lorsqu’un demandeur se présente à un point d’entrée, les agents de l’immigration peuvent ordonner le renvoi du demandeur sans que celui-ci puisse bénéficier d’une audience ou d’un examen, si les agents estiment que la personne s’est présentée sans les documents voulus et qu’elle se trouve au pays illégalement. Lorsqu’un demandeur étranger qui n’est pas muni des documents appropriés présente une demande d’asile à un point d’entrée ou lorsque le demandeur d’asile est par le passé entré au pays sans se soumettre à une inspection à un point d’entrée officiel, les agents de l’immigration peuvent ordonner son renvoi des États-Unis s’ils estiment que sa crainte de persécution n’est pas « crédible ». Le demandeur d’asile doit demeurer en détention jusqu’à ce qu’une décision soit rendue. L’IIRIRA permet au demandeur d’en appeler de la décision défavorable d’un agent de l’immigration devant un juge spécialiste de l’immigration. Le juge doit rendre sa décision dans les sept jours. La détention du demandeur est discrétionnaire pendant l’examen de la question par le juge.

        Certains témoins se sont dits préoccupés par ce processus. Ils craignent que les demandeurs renvoyés du Canada en vertu de l’Entente ne se voient pas nécessairement accorder une audience en bonne et due forme pour leur demande aux États-Unis s’ils ne possèdent pas les documents voulus. En fait, ces personnes pourraient être soumises au processus de renvoi accéléré. Selon de nombreux témoins, dont le HCR, ce processus n’offre pas de garanties procédurales adéquates contre le refoulement, à savoir le renvoi dans le pays où le demandeur craint être victime de persécution.

        Des représentants du ministère ont répondu que les demandeurs qui sont renvoyés aux États-Unis par le Canada ne seraient pas soumis au processus de renvoi accéléré puisque celui-ci s’applique uniquement aux points d’entrée américains. Or, les demandeurs qui sont refoulés à la frontière canadienne se trouvent déjà aux États-Unis. Le HCR n’est pas de cet avis puisqu’il a indiqué dans son mémoire que même si des représentants du gouvernement américain ont déclaré qu’ils s’attendent à ce que la majorité des personnes renvoyées du Canada ne seront pas soumises au processus de renvoi accéléré, ce détail n’a pas encore été confirmé. De plus, le document du professeur Martin est ambigu à ce chapitre, indiquant qu’il n’est pas possible de déterminer si ce processus pourrait viser les demandeurs refoulés aux États-Unis par le Canada. M. Martin mentionne toutefois qu’un tel renvoi serait considéré comme une nouvelle arrivée au pays, qui tomberait sous le coup du délai d’un an visant les demandes d’asile; on pourrait donc conclure qu’une telle arrivée déclencherait le processus de renvoi accéléré.

        Le Comité observe que l’article 3 de l’Entente exige que la demande d’asile fasse l’objet d’une décision dans l’un des deux pays. Étant donné nos doutes quant au processus de renvoi accéléré, nous estimons qu’il faudra en débattre plus avant pour que l’article 3 prenne tout son sens.

RECOMMANDATION 1

Le Comité recommande que le gouvernement cherche à obtenir l’assurance que les personnes renvoyées aux États-Unis ne seront pas assujetties au processus de renvoi accéléré.

ii)    Détention

        La plupart des ONG ont soulevé la question du recours excessif à la détention par les autorités américaines. Ces témoins ont également remis en cause les conditions de détention et indiqué que de nombreux demandeurs d’asile aux États-Unis, y compris des mineurs, sont détenus en compagnie de criminels.

        Le ministère a déclaré que même s’il est probable que les États-Unis mettent davantage de demandeurs d’asile en détention, sur le plan juridique, les motifs du recours à la détention sont les mêmes qu’au Canada : le demandeur concerné présente une menace à la sécurité; il risque peu d’obtenir une audience ou de faire l’objet d’un renvoi; son identité n’a pas été établie. Le professeur Martin a rejeté les préoccupations soulevées par des groupes comme Amnistie Internationale au sujet de la détention, affirmant que ces inquiétudes concernaient des cas qui contrevenaient à la loi américaine, cas qui ont été rectifiés.

        Le Comité convient que les politiques de détention des États-Unis diffèrent de celles du Canada dans une certaine mesure et estime que les États-Unis respectent les normes du droit international en la matière. En ce qui concerne la détention de mineurs, le Comité observe que l’Entente et le règlement prévoient que les mineurs non accompagnés seront autorisés à entrer au Canada à partir des Etats-Unis. D’ailleurs, nous avons fait des recommandations ci-après visant à améliorer le traitement réservé aux mineurs non accompagnés. Le Comité craint que certaines personnes qui ne seraient probablement pas détenues au Canada le soient aux États-Unis. Comme nous le recommandons plus loin, cette question devrait faire partie de l’examen continu de l’Entente.

iii)    Demandes d’asile fondées sur le sexe

        Certains témoins s’interrogeant sur l’interprétation de la notion de réfugié par les autorités américaines ont indiqué que les demandes fondées sur le sexe sont traitées différemment au Canada, notamment lorsque ces demandes concernent la violence familiale. D’ailleurs, le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation reconnaît que le Canada et les États-Unis traitent ces demandes différemment. À ce sujet, le professeur Martin souligne que les États-Unis sont en fait considérés comme un chef de file dans la reconnaissance des demandes fondées sur le sexe et que seule la nature « délicate et controversée » des demandes reliées à de la violence familiale pose problème. Selon M. Martin, cette situation est attribuable au jugement de la Board of Immigration Appeals américaine (commission d’appel de l’immigration) dans l’affaire Matter of R.A., en 1999, alors qu’une interprétation restrictive de la notion de « groupe social particulier » définie dans la Convention sur les réfugiés a mené au rejet d’une demande fondée sur la violence familiale. Il souligne que ce jugement a été par la suite renversé par la secrétaire à la Justice des États-Unis, Janet Reno, et que le gouvernement travaille présentement à l’élaboration d’un nouveau règlement qui orientera les décisions des autorités en la matière. M. Martin reconnaît toutefois que l’incertitude relative aux normes américaines actuelles persistera tant que ce nouveau règlement ne sera pas en vigueur.

RECOMMANDATION 2

Le Comité recommande d’exempter les femmes qui demandent le statut de réfugié au motif qu’elles sont victimes de violence familiale, au titre de l’article 159.6 du projet de règlement, jusqu’à ce que le règlement américain visant les demandes fondées sur des motifs de persécution liée au sexe soit aligné sur la pratique canadienne en la matière.

RECOMMANDATION 3

Le Comité recommande par ailleurs que l’analyse comparative entre les sexes fasse partie du mécanisme de surveillance de l’application de l’Entente afin d’éviter que les victimes de violence familiale ne subissent des préjudices.

iv)     Délai d’un an pour soumettre une demande d’asile aux États-Unis

        En vertu de l’IIRIRA, toute personne qui omet de présenter une demande d’asile dans l’année qui suit son arrivée aux États-Unis se voit refuser l’accès au système américain de détermination du statut de réfugié. De nombreux témoins ont affirmé qu’en raison de cette disposition, certains demandeurs renvoyés du Canada en vertu de l’Entente risquent de ne pas pouvoir accéder à l’un ou l’autre système; par exemple, ce serait le cas de demandeurs désirant entrer au Canada après avoir passé plus d’un an aux États-Unis comme étudiants ou visiteurs. Notamment, le HCR a plaidé en faveur de l’exemption de cette catégorie de demandeurs.

        Paradoxalement, dans son mémoire le professeur Martin souligne que la limite d’un an n’est pas absolue. Il est en effet possible de la contourner si les demandeurs concernés démontrent que de nouvelles circonstances ont une incidence sur leur admissibilité à l’asile (par exemple un étudiant qui se trouve aux États-Unis depuis un an craint de retourner dans son pays en raison d’un coup d’état militaire) ou encore que le retard à présenter leur demande est lié à des circonstances exceptionnelles (notamment une maladie grave, une invalidité ou un soutien juridique inefficace). En outre, le délai d’un an commence à compter de la plus récente arrivée du demandeur concerné. Selon le professeur Martin, tout renvoi du Canada vers les États-Unis effectué en vertu de l’Entente serait considéré comme une « nouvelle arrivée » et signifierait du même coup le début d’un nouveau délai d’un an.

RECOMMANDATION 4

Le Comité recommande au gouvernement du Canada d’obtenir des États-Unis l’assurance que les demandeurs renvoyés en vertu de l’Entente ne se verront pas refuser l’accès au système américain au motif qu’ils se trouvent aux États-Unis depuis un an ou plus.

B.     L’Entente s’applique uniquement aux points d’entrée terrestres

        Dans le cadre des travaux du Comité, le fait que l’Entente et le projet de règlement ne visent que les demandes soumises à des points d’entrée terrestres a suscité de nombreuses discussions. L’exemption visant les demandes soumises à l’intérieur du pays est en partie attribuable aux leçons tirées de l’expérience européenne. Pour mettre en œuvre des mécanismes de tiers pays sûrs, certains pays avaient dû établir des processus longs et coûteux pour le traitement des demandes de l’intérieur. Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement canadien souhaite éviter d’affecter des ressources à un processus visant à établir l’itinéraire emprunté par ces demandeurs pour entrer au Canada, pour plutôt consacrer ce temps et cet argent à l’étude des demandes de statut de réfugié comme telles.

        Certains témoignages ont également porté sur l’expérience allemande. En 1993, l’Allemagne a adopté un règlement sur les tiers pays sûrs visant les neuf pays avec lesquels elle partage une frontière. En vertu de ce règlement, aucune personne (sans exception) cherchant à entrer en Allemagne par la voie terrestre n’était autorisée à entrer au pays et à présenter une demande d’asile. Cet accord visait principalement à réduire le nombre de personnes qui soumettaient à l’Allemagne des demandes d’asile. Ainsi, du jour au lendemain, plus personne n’a présenté de demandes d’asile aux points d’entrée terrestres. Pourtant, depuis l’entrée en vigueur de cette entente, environ 100 000 personnes présentent chaque année une demande d’asile en Allemagne. Les demandeurs entrent illégalement au pays puis soumettent leur demande de l’intérieur.

        De nombreux témoins ont soutenu que le fait que l’Entente ne vise pas les demandes intérieures incitera les gens à entrer au pays clandestinement, comme dans le cas de l’Allemagne. Certains témoins ont même mentionné que des groupes confessionnels aideraient les gens à le faire, créant ce qu’ils ont désigné comme un « chemin de fer clandestin » moderne. D’autres témoins ont indiqué que les passeurs d’immigrants clandestins risquent de tirer profit de l’Entente. Les ONG ont parlé des dangers liés à l’entrée illégale au Canada et des risques inhérents de blessures et de décès.

        Certains témoins ont aussi fait état du système relativement structuré maintenant utilisé aux points d’entrée canadiens, y compris aux postes frontaliers terrestres. Ainsi, tous les demandeurs sont photographiés et soumis à la prise d’empreintes digitales, et ils reçoivent des directives concernant des examens médicaux. Évidemment, ces mesures ne peuvent être prises si les gens ne se rapportent pas aux postes frontaliers. Selon des témoins, l’Entente pourrait donc avoir un effet néfaste sur la sécurité et la santé publique au Canada, puisqu’un plus grand nombre de personnes y entreraient illégalement. D’autres personnes ont fait état de la possibilité que l’Entente entraîne une réaction négative du public envers les réfugiés, parce que l’immigration illégale tend à susciter de l’intolérance.

RECOMMANDATION 5

Le Comité recommande que le processus de surveillance de la mise en œuvre de l’Entente prévoie un suivi rigoureux des questions de « mouvements irréguliers » et de l’introduction clandestine d’immigrants. Si l’Entente ne permet pas de réduire le nombre des demandes renvoyées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et si l’augmentation du nombre d’entrées illégales au Canada devient évidente, le gouvernement devra être disposé à exercer son pouvoir en matière de suspension ou de résiliation de l’Entente.

C.     Définition de la famille

        Les témoins ont exprimé des réserves au sujet de la définition d’un « membre de la famille » dans le règlement. Cette définition est capitale, étant donné que les demandeurs dont un membre de la famille habite au Canada ne seront pas renvoyés aux États-Unis.

        Premièrement, certains témoins ont fait savoir que la définition devrait explicitement comprendre les membres de la famille de facto. De nombreux immigrants perdent des membres de leur famille biologique et deviennent dépendants d’autres personnes, tant sur le plan financier qu’émotif.

RECOMMANDATION 6

Le Comité recommande que le règlement prévoie une exception pour les demandeurs dont un membre de la famille de facto habitant au Canada constitue ou constituait leur principal appui.

        Deuxièmement, les témoins ont émis des réserves quant au libellé du paragraphe 159.5b) du règlement proposé. Pour que l’exception s’applique, il faut que le membre de la famille habitant au Canada ait un « statut légal », et ce paragraphe inclurait un membre de la famille dont la demande d’asile a été acceptée en vertu de la Loi. Certains témoins craignent que ce libellé n’exclue à tort les membres de la famille ayant obtenu le statut de personne protégée grâce au processus d’évaluation des risques avant le renvoi prévu par la Loi.

RECOMMANDATION 7

Le Comité recommande de modifier le paragraphe 159.5b) du règlement de façon à ce qu’il comprenne explicitement toutes les personnes protégées en vertu de la Loi.

        Une dernière question sur l’exception relative à la famille a été soulevée lors de notre discussion sur les revendications du statut de réfugié fondées sur la violence familiale. Nous avons recommandé que les femmes qui demandent le statut de réfugié au motif qu’elles sont victimes de violence familiale soient autorisées à être entendues au Canada, jusqu’à ce que le règlement américain visant les demandes fondées sur des motifs de persécution liée au sexe soit aligné sur la pratique canadienne en la matière. Pour veiller à ce que les victimes de violence familiale ne soient pas poursuivies par leurs conjoints abusifs, le Comité est d’avis que le règlement devrait clairement préciser que l’exception relative à la famille ne devrait pas s’appliquer aux hommes dont l’épouse ou la conjointe de fait a été autorisée à entrer au Canada pour ce motif.

RECOMMANDATION 8

Le Comité recommande de modifier la définition de la famille de façon qu’une personne ne soit pas autorisée à entrer au Canada pour y faire une demande d’asile au motif que son épouse ou sa conjointe de fait est au Canada, si celle-ci a été autorisée à entrer au Canada pour faire une demande d’asile au motif de violence familiale.

D.     Mineurs non accompagnés

        L’Entente prévoit une exception pour les mineurs non accompagnés, qui seraient autorisés à entrer au Canada pour faire une demande de protection. Or, selon le règlement, un mineur non accompagné devrait satisfaire aux exigences suivantes :

  • Il a moins de dix-huit ans et n’est pas accompagné par une personne de dix-huit ans ou plus;

  • Il n’a ni époux ni conjoint de fait;

  • Il n’a ni père, ni mère, ni tuteur légal au Canada ou aux États-Unis.

        Cette définition, comme l’ont fait remarquer des témoins, semble plus restrictive que celle de l’Entente elle-même, qui définit un mineur non accompagné comme une personne non mariée qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans et qui n’a ni mère, ni père, ni tuteur légal dans l’un ou l’autre pays. Cette exigence supplémentaire du règlement selon laquelle l’enfant ne doit pas être accompagné d’un adulte à la frontière est jugée problématique. Qu’en est-il d’un orphelin mineur accompagné d’un frère ou d’une sœur adulte? L’Entente semblerait l’autoriser à entrer au Canada, mais pas le règlement. Et s’il était accompagné d’un étranger bienveillant qui cherche simplement à l’aider ou d’un autre adulte n’ayant aucune responsabilité juridique envers lui?

        Des témoins ont aussi souligné que les Américains détenaient souvent des enfants, parfois avec des criminels, et qu’ils n’avaient pas ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant.

RECOMMANDATION 9

Le Comité recommande qu’on définisse un mineur non accompagné comme un mineur séparé de ses deux parents et non accompagné d’une personne de 18 ans ou plus chargée, de par la loi ou la coutume, de veiller sur l’enfant.

E.     Non-application relative à l’intérêt public

        L’article 6 de l’Entente prévoit que chacun des pays peut, à son gré, décider d’examiner une demande d’asile qui lui a été présentée si elle juge qu’il est dans l’intérêt public qu’elle agisse ainsi. Voici ce que prévoit le règlement proposé pour les exceptions liées à l’intérêt public :

  • Le demandeur est accusé ou reconnu coupable d’une infraction qui pourrait lui valoir la peine de mort dans n’importe quel pays;

  • Le demandeur a la nationalité d’un pays à l’égard duquel le ministre a imposé un sursis aux mesures de renvoi.

        Certains membres du Comité ont dit craindre que l’exception accordée aux demandeurs accusés ou reconnus coupables d’une infraction qui pourrait leur valoir la peine de mort dans n’importe quel pays n’encourage des meurtriers ou d’autres auteurs de graves infractions à chercher refuge au Canada. Les représentants de CIC ont rétorqué que la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire U.S. c. Burns et Rafay4 prouvait que cette disposition correspondait aux valeurs canadiennes. Néanmoins, il est vrai que certains Canadiens continuent de craindre qu’on ne perçoive le Canada comme un « refuge » pour les criminels. Avouons que cela semble être effectivement le cas si l’on examine l’exception isolément.

        Cependant, cette exception devrait être perçue comme faisant partie d’un processus continu et non comme une fin en soi. Une personne admise au Canada ayant été reconnue coupable d’une infraction passible de la peine de mort ne sera sans doute pas autorisée à demander asile au titre de l’alinéa 101(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés5. Qui plus est, les autorités du pays où l’infraction a été commise exigeront sans doute le renvoi de la personne en vertu d’un accord d’extradition. C’est à ce moment-là que commenceraient les procédures d’extradition. Si le demandeur est effectivement passible d’extradition, le ministre de la Justice peut, à sa discrétion, le renvoyer, après avoir obtenu l’assurance que la peine de mort ne s’appliquera pas au demandeur ou, dans les cas les plus extrêmes, sans même obtenir cette assurance.

        Par conséquent, le Comité en conclut qu’on ne peut prétendre que l’exception s’appliquant aux personnes passibles de la peine de mort offre un refuge aux criminels. Cette exemption est plutôt conforme à d’autres aspects de notre droit, et la plupart des membres du Comité y sont favorables. Nous soulignons également qu’aucun témoin ne s’est opposé à cette exception.

        À l’inverse, certains témoins préconisent même un plus grand nombre de cas de non-application relative à l’intérêt public. Tout d’abord, certains témoins estiment que le règlement paralyse la grande discrétion accordée au ministre par l’Entente. Ils croient en effet que le règlement devrait préciser que le ministre peut choisir de ne pas appliquer les dispositions sur les tiers pays sûrs à un demandeur dans l’intérêt public. Le Comité est d’avis qu’il est justifié de préciser ce pouvoir de discrétion.

RECOMMANDATION 10

Le Comité recommande d’ajouter à l’article 159.6 du règlement une disposition autorisant la non-application de l’Entente pour tout autre cas où le ministre juge qu’il en va de l’intérêt public.

      Les témoins ont aussi formulé d’autres suggestions d’exceptions liées à l’intérêt public. Notre rapport a déjà traité de certains problèmes pouvant être réglés par des dispositions supplémentaires sur la non-application de l’Entente. Le Comité a tenu compte de toutes les propositions et formule les recommandations suivantes :

RECOMMANDATION 11

Le Comité recommande que les demandeurs francophones soient, dans l’intérêt public, autorisés à déposer leur demande au Canada.

RECOMMANDATION 12

Le Comité recommande que les personnes dont la demande de protection pourrait être acceptée en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés mais qui, en raison de la nature de leur demande, ne seraient pas protégées aux États-Unis, soient, dans l’intérêt public, autorisées à déposer leur demande au Canada.

F.     Questions de procédure et d’administration

i)    Exigences en matière de ressources

        Beaucoup de témoins se demandent quelle genre de processus il faudrait établir aux points d’entrée terrestres pour administrer le règlement. Les représentants de CIC nous ont appris qu’il y aurait deux agents, dont un agent principal d’immigration, pour examiner les demandes des personnes alléguant que leur situation correspond à l’un des cas de non-application prévus par le règlement. C’est uniquement à ce moment-là qu’une personne pourrait être renvoyée aux États-Unis. Cependant, les témoins du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada ont fait remarquer que certains postes frontaliers ne disposaient que d’un seul agent.

        Les représentants du Syndicat ont aussi mentionné qu’il faudrait de nouvelles ressources pour appliquer le règlement. Pour déterminer si la situation des demandeurs correspond ou non à l’un des cas de non-application prévus par le règlement, les agents affectés à la frontière devront mener des entrevues plus approfondies. Étant donné qu’on peut s’attendre à une augmentation du nombre de demandes dans les bureaux de l’intérieur et les aéroports, il faudra y consacrer des ressources en conséquence. L’augmentation prévue de « migration clandestine » viendra elle aussi alourdir la charge de travail du personnel frontalier. Cette surcharge exercera donc des pressions sur les ressources, au moment même où, pour des raisons financières, le ministère met à pied des employés embauchés pour une période déterminée.

        Il faut accorder au ministère suffisamment de ressources pour mettre en oeuvre l’Entente, sans quoi il est clair qu’elle ne donnera pas les résultats escomptés. Nous espérons par ailleurs que le ministère affectera au moins deux agents aux postes frontaliers, comme il s’y est engagé, pour déterminer équitablement et rapidement si les exceptions prévues au règlement s’appliquent aux demandeurs.

RECOMMANDATION 13

Le Comité recommande que des ressources supplémentaires soient accordées au ministère pour répondre à l’augmentation de la demande que ne manquera pas d’entraîner l’Entente. Le gouvernement doit surveiller de près les conséquences de l’Entente et constituer des équipes d’intervention spéciale pouvant être rapidement déployées en cas de congestion.

ii)    Fardeau de la preuve

        Des témoins s’interrogent sur l’équité fondamentale des procédures proposées. Nombre d’entre eux ont évoqué le fardeau de la preuve qui incomberait au demandeur, l’article 159.5 du règlement proposé stipulant que les demandeurs d’asile doivent démontrer, au poste frontalier, qu’ils ont le droit de faire leur demande au Canada. Cela pourrait être difficile pour les demandeurs qui n’ont pas de conseiller juridique ou qui ne parlent pas l’une des langues officielles du Canada, et qui ont peut-être besoin de temps pour démontrer qu’ils se trouvent dans l’une des situations d’exception prévues par l’Entente. De même, le Comité sait que nombre de demandeurs ont été forcés de fuir leur pays d’origine sans documents ou qu’ils proviennent de pays où il n’existe aucune autorité centrale capable de délivrer des documents pouvant les aider.

RECOMMANDATION 14

Le Comité recommande que le règlement énonce clairement qu’il faut l’interpréter de façon à tenir compte de la difficulté qu’auront les demandeurs à prouver qu’ils sont autorisés à faire leur demande au Canada , et qu’il faut leur accorder le bénéfice du doute.

        Nous soulignons qu’en cas de délai dans ce processus, la demande sera réputée être déférée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans les trois jours suivant sa réception, dans la plupart des cas, conformément au paragraphe 100(3) de la Loi.

iii)    Mécanisme d’appel

        L’absence d’un mécanisme d’appel efficace inquiète aussi nombre de témoins. Les représentants du ministère ont déclaré que les décisions rendues par un agent d’immigration étaient sujettes au contrôle judiciaire de la Cour fédérale. Toutefois, des témoins représentants d’ONG ont répliqué que la plupart des demandeurs ne pourraient pas se prévaloir d’un tel appel, ceux-ci ne disposant de 15 jours seulement pour obtenir conseil et demander l’autorisation d’être entendu par la Cour. Il est souvent difficile d’obtenir cette autorisation et, si la Cour fédérale consent à examiner la décision de l’agent d’immigration, elle n’en remettra pas le bien-fondé en cause. Ainsi, bien qu’on puisse avoir recours à un contrôle judiciaire, ce n’est pas nécessairement la meilleure solution. Étant donné que la LIPR prévoit maintenant qu’un jugement d’irrecevabilité interdit toute demande subséquente, les répercussions de la décision de l’agent d’immigration sont énormes.

RECOMMANDATION 15

Le Comité recommande que le règlement prévoie le recours à un mécanisme d’appel interne efficace et transparent avant de renvoyer quelqu’un faire sa demande aux États-Unis.

G.     Projet d’entente supplémentaire

        Une note de nature diplomatique et fondée sur l’article 9 de l’Entente a été publiée en annexe à l’Entente. Elle autoriserait les États-Unis à confier au Canada jusqu’à 200 demandes de réétablissement par année, attendu que les demandeurs sont « à l’extérieur des États-Unis et du Canada, au sens où l’entendent leurs lois respectives sur l’immigration, et dont le besoin de protection internationale a été établi par le gouvernement de l’un ou l’autre de ces deux pays ». Si l’Entente énonce clairement que le Canada peut confier des demandes de réétablissement aux États-Unis, le projet d’entente supplémentaire porte uniquement sur le bon vouloir du Canada d’accepter les demandes de réétablissement faites par les États-Unis. À cet égard, le Ministre a laissé entendre qu’au départ, les États-Unis souhaitaient que le Canada accepte 2 400 demandes de réétablissement par année.

        Le Comité fait remarquer que l’article 9 de l’Entente est réciproque et que le Canada est lui aussi autorisé à demander aux États-Unis de réétablir des réfugiés. Nous avons bon espoir que les États-Unis se montreront tout aussi enclins à accepter les demandes confiées par le Canada, le cas échéant. Nous soulignons aussi que le ministère nous a assurés que les réfugiés confiés au Canada par les États-Unis seraient assujettis aux lois canadiennes et que leur dossier serait examiné par nos représentants avant qu’ils ne puissent entrer. En revanche, pour des raisons de transparence, le Comité estime que s’il est nécessaire de préciser le nombre de revendications déférées, il faudrait le faire pour les deux pays et dans l’Entente principale. Il ne convient pas de régler ainsi une question d’une telle importance par l’ajout d’une note diplomatique.

RECOMMANDATION 16

Le Comité recommande que le contenu du projet d’entente supplémentaire soit intégré à l’Entente principale.

H.     Examen de l’Entente

        Le Comité a été touché par la conviction et la vive inquiétude des témoins venus exprimer leurs réserves quant à l’Entente et au règlement. Toutefois, il ne fait aucun doute que l’Entente entrera bientôt en vigueur. Nous tenons à encourager tous ceux qui travaillent sur la ligne de front — dans le ministère et les ONG — à nous faire part de tout problème éventuel. Qui plus est, le Comité devra certainement continuer d’étudier la question.

        En surveillant continuellement la situation, on veillera à ce que les diverses questions soulevées lors des audiences ne tombent pas dans l’oubli. Par exemple, certains témoignages nous portent à croire que le système de demande d’asile des États-Unis subit peut-être l’influence indue des objectifs en matière de politique étrangère. Si la surveillance de l’application de l’Entente révélait la présence d’une telle influence, le gouvernement du Canada pourrait recourir à des mesures correctives, notamment à la suspension ou même à la résiliation de l’Entente.

RECOMMANDATION 17

Le Comité recommande que, lorsque le ministère procédera à un examen complet de l’Entente un an après sa mise en oeuvre, il en fasse rapport au Comité. Le rapport du ministère devrait comprendre les renseignements suivants :

  • Nombre de demandeurs renvoyés aux États-Unis en vertu de l’Entente et nom de leur pays d’origine;

  • Nombre de demandeurs renvoyés au Canada en vertu de l’Entente et nom de leur pays d’origine;

  • Nombre de demandeurs ayant obtenu une exemption par chacun des pays et catégorie d’exemption;

  • Nombre de demandes faites dans les bureaux de l’intérieur au cours de la période, et nombre de demandes faites dans les bureaux de l’intérieur dans un même laps de temps dans l’année précédant la mise en oeuvre de l’Entente;

  • Nombre de demandes faites dans les aéroports au cours de la période, et nombre de demandes faites dans les aéroports dans un même laps de temps dans l’année précédant la mise en oeuvre de l’Entente;

  • Rapport sur le passage et le trafic de personnes vers le Canada au cours de la période;

  • Statistiques sur les détentions aux points d’entrée terrestres au cours de la période, et statistiques sur les détentions dans un même laps de temps dans l’année précédent la mise en oeuvre de l’Entente;

  • Cas d’immigrants tués ou blessés en tentant d’entrer illégalement au Canada;

  • Résumé des questions soulevées par les organisations non gouvernementales auprès du ministère;

  • Tout autre problème porté à l’attention du ministère, y compris toute conséquence involontaire ou imprévue de l’Entente.


1    Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 35e législature, 2e session, Avant-projet d’entente entre le gouvernement du
       Canada et le gouvernement des États-Unis concernant les revendications du statut de réfugié,
premier rapport du Comité permanent
        de la citoyenneté et de l’immigration
, mai 1996.

2     Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 37e législature, 1re session, deuxième rapport, Rapprochements
         transfrontaliers : Coopérer à notre frontière commune et à l’étranger afin de garantir la sécurité et l’efficacité
, décembre 2001.

3     Sénat, Comité permanent des affaires sociales, science et technologie, Neuvième rapport, le 23 octobre 2001,
         37e législature, 1re session.

4     [2001] C.S.C. 7.

5     Cet alinéa prévoit l’irrecevabilité d’une demande d’asile si la personne a été déclarée coupable à l’extérieur du Canada et que le
         ministre estime que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada ou si l’infraction, commise au Canada, constituerait
         une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.