Passer au contenu
Début du contenu

FAIT Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

CHAPITRE 1 : DONNER UNE DIMENSION NORD-AMÉRICAINE STRATÉGIQUE À
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA

Les conséquences de l’intégration continentale n’ont pas été aussi cataclysmiques que beaucoup l’avaient cru. Bien qu’il ait abandonné certains moyens d’action pour avoir accès à des marchés plus importants et que les pressions favorables à l’intégration se soient sans doute intensifiées, le Canada a encore une marge de manœuvre importante, même dans les secteurs stratégiques les plus chambardés par l’intégration. Il ne faut pas se laisser tromper par l’illusion d’une fausse nécessité.

George Hoberg, Capacity for Choice :
Canada in a New North America
,
University of Toronto Press, Toronto, 2002 (p. 311).

Le Canada fait face depuis longtemps à un gros problème qui est de savoir comment vivre à côté d’un énorme voisin. Le Canada aussi doit se demander comment tirer parti de l’interdépendance qui existe dans le domaine de la sécurité et dans le domaine économique à l’échelle du continent nord-américain tout en préservant son indépendance et sa culture politique distincte. Je dirais que le Canada y est parvenu assez bien dans l’ensemble. […] L’histoire ne confirme pas la conception voulant que le Canada soit toujours le perdant dans ses rapports avec les États-Unis ou qu’il ne soit qu’un appendice des États-Unis. […] Nous devons abandonner certaines vieilles mentalités et nous demander comment le Canada va continuer à cheminer sur la corde raide, comme il a réussi à le faire jusqu’à maintenant, en tenant compte d’une nécessaire interdépendance tout en  protégeant sa culture politique distincte. La chose est faisable et j’irai même jusqu’à prédire que c’est ce qui va se passer.

Joseph Nye, doyen, Kennedy School of Government,
université Havard, Témoignages*, réunion no 74, 2 mai 2002.

Les intérêts qui amènent le Canada, les États-Unis et le Mexique à se rapprocher méritent une analyse et un débat beaucoup plus poussés. L’attention étant captivée par des propositions et des scénarios qui concernent l’avenir, peu de gens se sont demandé quel était l’objet de toutes ces discussions ou en quoi l’intégration pouvait servir leur intérêt. Le débat sur la question ne portera fruit que si les gains absolus à tirer de la formule nord-américaine sont clairement définis. […] Pour l’instant, nous ignorons jusqu’où exactement les trois pays sont disposés à pousser les rapports nord-américains […] La démarche consistant à intégrer davantage l’Amérique du Nord doit être un effort collectif faisant intervenir beaucoup de paliers de pouvoirs publics, des parlementaires, le secteur privé et l’ensemble de la société.

Stacey Wilson-Forsberg,
North American Integration: Back to Basics,
Document de politique, Fondation canadienne pour les Amériques,
Ottawa, août 2002 (p. 5 et 10).

CE QU’ONT DIT LES TÉMOINS

Jusqu’où l’intégration économique est-elle dans l’intérêt du Canada? Les gouvernements devraient-ils imposer une limite à la portée de l’intégration? Saurons-nous lorsque nous aurons atteint cette limite, ou devrions-nous permettre à l’intégration de se poursuivre sans se poser de questions ou sans la contester? Le Canada peut-il élaborer une stratégie cohérente en matière de relations canado-américaines en procédant au cas par cas ou doit-il élaborer une approche plus globale fondée sur des principes et des structures? Si nous optons pour cette dernière, en quoi consistera-t-elle? Quel est le processus qui permettrait une discussion libre et ouverte sans vous obliger, vous nos dirigeants politiques, à exprimer une préférence avant que vous soyez prêts à le faire? Le Canada devrait-il redéfinir ses relations avec les États-Unis en entamant un dialogue nord-américain plus général qui inclurait le Mexique? Dans l’affirmative, quand et comment procéder et quelles devraient être les caractéristiques de ce dialogue?

David Zussman, Forum des politiques publiques,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

Une intégration accrue avec les États-Unis n’est pas notre unique option. Je me désole de voir certaines gens utiliser les événements tragiques du 11 septembre pour affirmer que nous devons renoncer à un autre pan de notre souveraineté pour maintenir notre relation intérieure avec les États-Unis. Il est malsain de ne nous définir que par notre économie. Nous sommes aussi des citoyens et en notre qualité de citoyens, nous devons travailler à préserver nos valeurs et notre culture, qui sont uniques.

Lawrence McBrearty, Métallurgistes unis d’Amérique,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

Tout d’abord, le Canada ne peut tenir ses relations économiques et politiques avec les États-Unis pour acquises. Il faut évaluer l’incidence économique et sociale des décisions que nous prenons sachant combien les deux situations sont inégales. Nous devons être prudents et nous montrer proactifs en décidant de l’avenir de ces relations. Deuxièmement, l’importance des relations économiques du Canada avec les États-Unis doit être mieux communiquée à la population américaine et probablement aussi à la population canadienne. Troisièmement, des relations étroites entre les décisionnaires canadiens et américains, la recherche d’alliés du Canada aux États-Unis et parmi d’autres partenaires commerciaux influents, sont plus importantes que jamais dans la définition de notre politique par rapport aux États-Unis. Quatrièmement, les règles et obligations établies à l’échelle multilatérale au sein de l’ALE et de l’ALENA restent la meilleure protection pour le Canada contre des actions unilatérales de la part des États-Unis qui peuvent avoir une incidence négative sur notre pays.

Jayson Myers, Manufacturiers et Exportateurs du Canada,
Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.

Les États-Unis jouissent vraiment d’un pouvoir d’attraction très fort. C’est le gros marché. De fait, ils jouent ce marché-là. On le voit au niveau des Amériques. On l’a vu dans l’ALENA. Le Canada était demandeur pour l’ALE. Le Mexique était demandeur pour l’ALENA. Les États-Unis attendent. Ils ont un marché et ils savent qu’ils ont des avantages qui découlent de ces marchés-là. Ils attendent les propositions et ils les reçoivent avec la force qu’ils ont.

Gordon Mace, Université Laval,
Témoignages, réunion no 60, 6 février 2002.

Il n’a jamais été aussi important au cours du dernier demi-siècle que le Canada implique les États-Unis dans ce qu’il fait et nous n’avons probablement pas été moins en mesure de le faire que maintenant.

Fred McMahon, Institut Fraser,
Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.

Nous sommes pour les États-Unis le pays étranger qui lui ressemble le plus et, en conséquence, il est facile pour nous de ne voir que les ressemblances et d’occulter les différences qui sont si importantes pour notre politique publique. […] À mon sens, c’est là le plus grand risque que nous courons : nous risquons de ne plus savoir quand il vaut la peine de payer pour rester différents et nous paierons pour des différences inutiles et oublierons de payer pour celles qui nous sont essentielles. […] Il ne fait aucun doute que nous devrons tenir de plus en plus compte des préoccupations des Américains et que ce sera peut-être dans notre intérêt. Toutefois, nous devrions aussi tenter de tenir compte des préoccupations de nos partenaires des Amériques, de trouver des façons de les aider […] Lorsque nous faisons des choix, nous devons reconnaître que nous sommes les gardiens d’un pouvoir dont ne disposent pas les autres partenaires des Amériques. Si nous voulons nous doter d’un nouveau rôle et peut-être rehausser la position du Canada sur la scène internationale pour pouvoir exercer une plus grande influence, nous pourrions alors en profiter […]

Daniel Cohn, université Simon Fraser,
Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.

La reconnaissance réciproque des normes de nos deux pays faciliterait grandement les échanges sans toutefois harmoniser nos politiques. Cela s’est fait avec succès, en Europe. […] des changements progressifs sont à la fois utiles et importants, mais ils ne suffiront pas à mobiliser l’attention des États-Unis face aux intérêts canadiens. La gestion de la crise ne constitue pas une vision d’avenir. Le Canada devrait mettre en œuvre une stratégie audacieuse et proactive pour atteindre ses objectifs dans l’espace nord-américain.

Danielle Goldfarb, Institut C.D. Howe,
Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.

Les mesures exceptionnelles qui doivent être prises dans le contexte actuel pour assurer la sécurité nationale doivent toujours tenir compte de ce que l’histoire a fait de nous : le respect des droits de la personne, les libertés démocratiques. Ces mesures, tant canadiennes qu’américaines, sont peut-être semblables, mais elles ne doivent absolument pas être identiques. C’est pourquoi nous nous opposons à ce que la politique d’immigration canadienne soit identique à la politique américaine.

Blair Doucet, Fédération du travail du Nouveau-Brunswick,
Mémoire, 28 février 2002.

[…] les relations Canada-États-Unis s’approfondissent de jour en jour. L’intégration économique est déjà une réalité et nous devons examiner toutes les options. Je n’ai pas l’impression que la plupart des Canadiens se rendent compte à quel point l’intégration économique est profonde et s’intensifie. […] Un bon nombre de gens d’affaires que je rencontre considèrent l’Amérique du Nord comme un marché unique et intégré qui présente seulement des différences mineures.

Robert Keyes, Chambre de commerce du Canada,
Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.

La domination que les États-Unis, la dernière superpuissance à avoir émergé, exercent sur la scène mondiale mène tout droit à un conflit de valeurs. La lutte au terrorisme engendre des alignements conflictuels. Il est crucial que le Canada aide ceux qui souffrent de la militarisation et de la dégradation de la planète, qu’il fasse office d’artisan de la paix et qu’il s’efforce de combler le fossé de plus en plus profond qui se creuse entre riches et pauvres. Agir autrement serait attiser le terrorisme, trahir ses citoyens et mettre notre avenir encore plus en péril.

Shirley Farlinger, University Women’s Club of Toronto,
Mémoire, Toronto, mai 2002.

Les Canadiens ont besoin de parler constamment d’engagement. La pire chose qu’on puisse dire, c’est qu’on ne fera rien. Nous ne voulons pas faire de vagues et on ne veut pas en parler. […] En général, dès qu’on annonce un intérêt canadien qui est différent d’un intérêt américain, et qu’on explique notre orientation, je crois que dans l’ensemble, les Canadiens ont tendance à l’accepter.

Robert Huebert, professeur, université de Calgary,
Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.

La compréhension du public et son appui aux processus commercial et économique sont [vitaux] dans des sociétés démocratiques. Une compréhension et une exposition accrues vont réduire l’ampleur du syndrome du « nous par opposition à eux » car, ironiquement, alors que l’intégration économique entre nous s’intensifiera, nous allons également constater une augmentation des différends et des désaccords qui vont alimenter les tensions et refléter des valeurs et des priorités différentes. En aidant la population à voir les autres pays et préférablement à en faire l’expérience, on peut bâtir une conscience transnationale pouvant favoriser le processus d’intégration. Nous avons besoin d’une communauté nord-américaine. Il est important de faire en sorte que les gens qui vivent dans un pays se connaissent mieux et qu’ils connaissent mieux la communauté que nous bâtissons car cela élargit nos horizons et accroît la compréhension que nous avons de nous-mêmes.

Brian Stevenson, université de l’Alberta,
exposé, « Talking to Our Neighbours », 9 mai 2002.

1.1  Les relations nord-américaines et la politique étrangère canadienne remises en question

Au terme du dernier examen parlementaire de la politique étrangère du Canada, le Comité qui en était chargé a fait observer, au premier paragraphe de son rapport, que « le monde s’est transformé. Avec la fin de la guerre froide, les menaces militaires directes contre le Canada et ses alliés se sont éloignées, mais l’ordre et la sécurité demeurent insaisissables. […] En effaçant peu à peu l’espace et le temps, la mondialisation rend les frontières poreuses et encourage l’intégration continentale ». Plus loin, dans une section du rapport portant sur les relations entre le Canada et les États-Unis, le Comité signalait la prolifération des maillages économiques et recommandait de coopérer dans la gestion des « tensions inhérentes » à cette relation bilatérale des plus importante. Mais il estimait également nécessaire de protéger les « intérêts vitaux du Canada [par] la conservation de la souveraineté et de l’indépendance canadiennes et le maintien de sa capacité de jouer le rôle actif et indépendant sur la scène internationale qu’exigent les Canadiens1 ».

En 1994, le Comité voyait bien dans le terrorisme international une nouvelle menace non conventionnelle à la paix et à la sécurité, mais il ne pouvait pas savoir à quel point le Canada allait être bousculé par les mesures que les États-Unis ont prises après les attentats terroristes de septembre 2001.

Il a écrit qu’en tant que signataire de l’ALENA, « le Canada fai[sai]t maintenant partie d’une région nord-américaine en évolution », mais n’a pas étudié les relations du Canada avec le Mexique, ni la possibilité d’initiatives nord-américaines trilatérales2. Pourtant, les citations qui précèdent signalent un dilemme essentiel qui représente pour les concepteurs de la politique étrangère du Canada un défi sans précédent. En effet, l’exposition chaque jour plus grande du Canada sur la scène internationale, surtout à l’influence américaine et aux forces en présence sur le continent, est une réalité qu’il est maintenant impossible d’ignorer, même s’il est concevable qu’elle puisse s’atténuer à long terme. Cela étant, comment le Canada doit-il s’y prendre pour continuer à la fois de profiter de ces associations et d’élaborer ses politiques nationales et internationales tout en préservant sa souveraineté et son indépendance?

Dans le contexte continental, il est clair que le Canada n’est pas entièrement libre d’agir à sa guise. Comme les négociations politiques se font avec des partenaires souverains, les relations nord-américaines exigeront peut-être des compromis et des concessions, quelles que soient leur évolution et la mesure dans laquelle les rouages de l’« intégration » régionale seront compris. Cela pourrait aussi être le cas même si les gouvernements des trois pays ne savent pas encore quelle orientation ils donneront à leurs relations continentales devant les forces ou les pressions favorables à l’intégration. Pour les décideurs canadiens, il s’agit alors de déterminer, d’une part, si le Canada peut profiter d’occasions qui s’offrent à lui et réaliser des gains nets de nature à compenser les aléas éventuels d’une plus grande intégration et, d’autre part, si les gouvernements peuvent choisir des stratégies susceptibles à la fois de maximiser les avantages et les gains à tirer de ces arrangements et de réduire le plus possible les coûts qui y sont associés. Selon ce que nous avons entendu, les Canadiens croient de plus en plus le Canada capable de tirer d’un resserrement des liens économiques avec ses voisins d’Amérique du Nord des avantages pour l’ensemble du pays3.

La question suscite toujours un débat vigoureux, que l’on examine les scénarios que pourraient suivre les relations nord-américaines à l’avenir ou l’expérience que le Canada fait depuis plusieurs décennies de l’intégration économique de l’Amérique du Nord. Par exemple, le professeur Stephen Clarkson, qui a témoigné devant le Comité à Toronto, fait observer, dans son nouveau livre, que la Commission Macdonald avait prôné, au début des années 1980, une politique étrangère plus entreprenante et le libre-échange bilatéral avec les États-Unis sans voir de contradiction entre les deux4. Les partisans d’accords contraignants de ce genre, même d’accords bilatéraux avec une superpuissance, affirment en général que les règles adoptées d’un commun accord par les parties peuvent mieux protéger une petite puissance comme le Canada que le statu quo. Pourtant, certains des témoins entendus par le Comité, dont Clarkson, nieraient catégoriquement que l’ALE et l’ALENA ont amélioré la position du Canada comme ils étaient censés le faire. En fait, Clarkson affirme qu’au contraire, le Canada en est sorti affaibli.

Des arguments similaires ont été avancés il y a encore plus longtemps au sujet des avantages et des inconvénients qu’il y aurait à conclure des partenariats continentaux en matière de défense, car, comme les témoins l’ont souligné, le Canada est intimement intégré à la couverture de sécurité militaire des États-Unis depuis au moins les années 1940. De toute évidence, le débat sur les paramètres de la coopération continentale en matière d’économie et de sécurité et sur les effets positifs ou négatifs qu’ils pourraient avoir sur la liberté d’action du Canada n’a rien de neuf. Il a toutefois repris de plus belle après les événements du 11 septembre 2001 et en raison des effets qu’ils ont encore aujourd’hui sur les affaires internationales, notamment sous la forme de l’usage musclé que les États-Unis font de leur puissance hors de leurs frontières et qui s’explique par leur inquiétude à l’égard de leur sécurité nationale. Compte tenu de ces circonstances difficiles, une question primordiale se pose maintenant avec plus de pertinence que jamais : pour promouvoir ses valeurs et ses intérêts nationaux sans les compromettre, dans quelle mesure le Canada devrait-il laisser les forces favorables à l’intégration nord-américaine influer sur sa politique en matière d’affaires internationales, de défense et de commerce?

Selon certains témoins, les facteurs favorables à l’intégration font partie de la vie quotidienne nord-américaine. À leur avis, le Canada devrait exploiter les occasions de profiter d’une coopération plus étroite avec les États-Unis et, dans une moindre mesure, avec le Mexique et chercher à tirer profit de ses relations continentales en matière d’économie et de sécurité. Comme on l’a signalé au Comité, quoi que les gouvernements décident de faire ou de ne pas faire, l’intégration se fait de toute façon « en douce » en raison des décisions prises chaque jour par des millions de particuliers, d’entreprises et d’associations. Plusieurs témoins, dont Danielle Goldfarb, de l’Institut C.D. Howe, ont soutenu que le Canada doit maintenant adopter une « optique générale » et être vigoureusement proactif à l’égard de l’intégration5. D’autres étaient plutôt d’avis qu’il faut résister à toute intensification des pressions intégrationnistes ou à tout le moins les contenir, et s’opposaient à ce que le Canada aligne davantage ses politiques sur celles de ses partenaires nord-américains. Quelques-uns, comme David Orchard, entendu à Saskatoon, ont proposé de renverser la tendance à l’intégration et à la convergence des politiques qu’on remarque déjà6.

Le Canada peut-il être un bon voisin, l’ami, l’allié et le partenaire des États-Unis et du Mexique, tirer des gains nets de la libéralisation de l’économie nord-américaine et en même temps éviter une « américanisation » qui, selon certains, réduira les choix démocratiques que les Canadiens pourront faire en matière de politique publique? En politique étrangère, si le Canada se laissait entraîner trop profondément dans le « périmètre » nord-américain, affaiblirait-il sa capacité d’exercer une influence qui lui soit propre sur les affaires internationales et perdrait-il son statut actuel pour acquérir celui de puissance marginale? Ou faut-il conclure, comme Allan Gotlieb, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis, l’écrivait dans un article, le 11 septembre 2002, qu’il est temps d’accepter que la position du Canada sur la scène internationale a changé? Comme il l’expliquait, « le principal atout qu’ait le Canada sur le plan international est sa relation avec les États-Unis. […] Ne pourrait-il pas négocier avec les États-Unis des éléments d’un super-accord prévoyant des arrangements nord-américains en matière d’économie, de défense et de sécurité à l’intérieur d’un périmètre commun?7 » Le même jour, toutefois, dans une rubrique voisine, un ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, Gordon Giffin, écrivait : « Pour renforcer leur relation, les deux pays n’ont pas besoin d’une nouvelle idée”; ils n’ont qu’à renouveler leur engagement mutuel. Un Canada sûr de lui et fort d’une vision exhaustive des choses pourrait décider de l’orientation et du contenu à donner à notre partenariat pour lui insuffler une nouvelle vie. […] Au moment d’élaborer une vision proprement canadienne, une vision plus axée sur les intérêts du Canada que sur l’amitié entre les deux pays, il faut se rendre compte que sur la plupart des sujets, il n’existe pas de point de vue américain monolithique8. »

Que faut-il penser de ces évaluations contradictoires de la position actuelle du Canada en Amérique du Nord? Le Comité croit qu’il serait possible de dégager un terrain d’entente permettant au Canada de conclure avec ses partenaires nord-américains des arrangements de coopération et des accords négociés soigneusement étudiés dans des domaines où cela comporterait pour les Canadiens des avantages démontrables, comme la sécurité continentale et l’accès garanti aux marchés. Mais il reconnaît aussi qu’il faudra d’abord déployer beaucoup d’énergie pour faire le point sur la situation canadienne et pour élaborer une formule de partenariat nord-américain respectant les intérêts et les valeurs du Canada. Ce dernier devra aussi négocier efficacement, avec ses partenaires nord-américains et surtout avec les États-Unis, à la lumière de leurs intérêts mutuels. Comme nos audiences de Washington l’ont confirmé, capter et retenir l’attention et l’intérêt des Américains constitue habituellement en soi l’une des principales difficultés à surmonter.

La situation du Canada dans la perspective nord-américaine

La position et les possibilités d’action du Canada dans le contexte nord-américain ont sans aucun doute été conditionnées par ce que le professeur Daniel Cohn, de l’université Simon Fraser, a appelé, devant le Comité, des processus de « régionalisation » axés sur le marché, processus auxquels les cadres stratégiques gouvernementaux s’adaptent, généralement, depuis des décennies. Ces tendances à une intégration nord-américaine avant tout économique, que nous décrivons de façon détaillée au chapitre 2, ne peuvent pas susciter de sentiment d’identité ou d’« appartenance » commune, du moins pas au sens politique9. Elles pourraient tout de même avoir un effet notable sur la façon dont le Canada prend ses décisions en matière d’orientation de politiques et de réglementation. Comme M. Cohn l’a dit, « la régionalisation découle des choix que nous avons faits en faveur de la libéralisation. […] Nous pouvons donc être différents, mais, si tel est le cas, nous devons accepter d’en payer le prix10 ». M. Cohn laisse entendre que, comparativement aux autres pays des Amériques, le Canada jouit d’une situation enviable en matière de négociations, lorsqu’il doit défendre ses intérêts particuliers dans un contexte d’intégration régionale dominé par son gigantesque voisin11. Il va sans dire toutefois que le Canada doit cerner, à la lumière d’une analyse coûts-avantages, les domaines dans lesquels il pourrait être dans son intérêt d’avoir des orientations stratégiques plus intégrées12. Il pourrait décider en quoi ses politiques — notamment en matière d’affaires étrangères, de défense et sécurité et de commerce ainsi qu’à l’égard des secteurs touchés sur le plan national — devraient différer de celles de ses partenaires nord-américains ou même s’en éloigner. Et cette analyse devrait tenir compte des effets outre-frontière de ces choix, étant donné ce que la perturbation des voies de communication continentales établies pourrait coûter. Le « prix de la différence » risquerait alors de grimper à un niveau inacceptable.

Un certain nombre d’observateurs ont signalé que des facteurs nord-américains ont depuis quelques années une incidence croissante sur la politique étrangère du Canada, et ce, bien que les politiques canadiennes se soient notablement démarquées de celles des États-Unis dans certains cas (p. ex., à l’égard du Traité d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel et de la création de la Cour pénale internationale). Certains ont brandi le spectre d’une « trajectoire nord-américaine », d’un « estompage des frontières » et d’un « retour au continentalisme ». Même Lloyd Axworthy, ancien ministre des Affaires étrangères, avait prôné la recherche de formes inédites de coopération trilatérale nord-américaine au-delà du commerce13. Plusieurs prétendent que l’État canadien, même s’il ne peut pas simplement nier la réalité de cette intégration et faire marche arrière, peut encore faire des choix sur la voie de l’intégration nord-américaine14.

Selon certains de nos témoins, le Canada jouit de possibilités fort limitées. Par exemple, le professeur Gordon Mace, directeur des études interaméricaines à l’Institut québécois des hautes études internationales, nous a dit que l’ALE et l’ALENA ont modifié de façon fondamentale et incontournable le paysage de la politique étrangère. La vulnérabilité économique accrue du Canada dans ce qu’il a lui-même appelé le « nouveau cadre de gestion économique », a « rédui[t] sa marge de manœuvre de façon importante » dans ses relations bilatérales avec les États-Unis. Le professeur a réclamé l’élargissement du partenariat avec le Mexique et d’autres pays des Amériques, y voyant un « contrepoids naturel15 ».

Depuis le choc du 11 septembre 2001, la question de la situation du Canada sur le continent et dans le monde se pose avec plus d’acuité. Maureen Molot et Norman Hillmer font observer que ce choc a conféré « un caractère d’urgence aux questions de la souveraineté et du déclin16 ». Cette thèse controversée — que le Canada serait une « puissance en déclin », surtout dans le contexte nord-américain — est toutefois discutable. Beaucoup de témoins ont soutenu que le Canada ne devrait pas sous-estimer sa capacité d’exercer une influence qui lui soit propre sur les États-Unis. Deux Américains en vue — l’ancien congressman au long cours Lee Hamilton, que le Comité a rencontré à Washington, et Joseph Nye, de l’université de Harvard, qui a témoigné à
Ottawa — ont soutenu avec conviction que le Canada, compte tenu de ses atouts en diplomatie non militaire multilatéraliste, pourrait se révéler utile en prévenant les États-Unis contre la tentation de « faire cavalier seul ».

Hamilton reconnaît que « les Américains sont imbus de leur propre importance » et soutient que le Canada pourrait faire preuve de plus de fermeté. « Vous capitulez trop vite », nous a-t-il dit. Christopher Sands, chef du Projet Canada au Centre for Strategic and International Studies (CSIS) de Washington, que le Comité a entendu en novembre 2001, nous a également donné matière à réflexion lorsqu’il a soutenu que le Canada peut choisir d’adopter une « stratégie d’État fort » dans ses relations avec les États-Unis et dans sa façon de réagir à leurs impératifs. En fait, il perçoit des possibilités là où d’autres ne voient peut-être que des contraintes : « grâce à l’interdépendance plus étroite créée par l’intégration économique, le Canada n’est pas une puissance en déclin aux États-Unis, mais une puissance montante, et [il] est plus important pour les Américains et leur prospérité que jamais auparavant dans l’histoire de leur pays17 ».

Quoi qu’il en soit, le Comité ne se fait pas d’illusion : le Canada aura beaucoup de mal à se faire entendre dans les cercles décisionnels américains, en raison des maux de tête que leur cause la question de la sécurité nationale et des incontournables calculs de pure politique intérieure qui caractérisent le système fédéral complexe des États-Unis. Les témoins ont insisté sur l’importance pour le Canada d’exploiter la façon dont ce système fonctionne et de le faire à beaucoup d’endroits et de niveaux, et non seulement au centre du pouvoir fédéral, à Washington. La stratégie du Canada doit tenir compte du fait que le 11 septembre a « changé les États-Unis beaucoup plus qu’il n’a changé le reste du monde », pour citer les propos de Jessica Mathews, présidente de la Carnegie Foundation for International Peace18. Selon elle, la politique étrangère américaine a été jusqu’à maintenant « résolument unilatérale et tout sauf modeste19 », un avis que beaucoup des témoins entendus par le Comité épouseraient. Au début de la présidence de George W. Bush, certains ont dit craindre que les États-Unis ne témoignent plus d’intérêt au Mexique qu’au Canada. Mais selon Mme Mathews, « le 11 septembre a fait disparaître » le Mexique des écrans radar de la politique étrangère américaine. Cette étude générale d’un des groupes de réflexion les plus multilatéralistes de Washington ne mentionne même pas le Canada20.

Le Canada ne doit pas compter exercer une influence aux États-Unis en vertu seulement de l’intégration économique de l’Amérique du Nord ou de la « relation privilégiée » qu’il a toujours eue et s’attend peut-être à continuer d’avoir avec eux, une relation qui tient plus du mythe que de la réalité, à en croire les universitaires Randall et Thompson. Parlant crûment, ils ont dit que « pour les États-Unis, le Canada est comme tous les autres pays. […] L’incompréhension au Canada de cette vérité fondamentale a été source de confusion et d’incertitude chez les Canadiens, qui ont été chagrinés de la réaction des États-Unis lorsqu’il s’est produit que la politique canadienne n’était pas conforme à une norme américaine chère à Washington ou qu’elle prenait, en apparence ou en réalité, le contre-pied d’une position adoptée par les États-Unis21 ».

Andrew Cohen, qui a témoigné devant le Comité en novembre 2001, a soutenu que le Canada devrait tout simplement admettre que sa relation bilatérale avec les États-Unis n’a pas du tout la même importance pour les deux pays et faire en sorte de se doter d’atouts de politique étrangère — « c’est-à-dire des forces militaires fortes et crédibles; un programme d’aide efficient et exemplaire; un corps diplomatique efficace et un service de renseignement de première force. Ainsi pourvu, le Canada pourrait intervenir avec plus d’assurance sur la scène mondiale ». Selon Cohen, le Canada devra absolument tenir compte de l’importance croissante que les Américains attachent à leur sécurité dans le « voisinage » nord-américain, mais s’efforce d’être un acteur multilatéral plus efficace, il n’a pas à se préoccuper d’être remarqué à Washington22.

Ce point de vue revient peut-être à faire contre mauvaise fortune bon cœur dans une situation dérangeante, mais il ne réconforte en rien les producteurs de bois d’œuvre et les agriculteurs ou tous les autres Canadiens qui subissent directement le contrecoup des politiques et des pressions américaines. Le Comité estime que l’aptitude du Canada à faire en sorte que les sujets qui sont importants pour lui soient pris au sérieux au sein du système politique américain importe beaucoup, mais qu’il ne devrait pas attacher une importance indue à des apparences qui n’ont qu’une valeur symbolique. Ce qui compte, c’est d’avoir de l’influence sur l’application des politiques. Nous examinons donc en détails, au chapitre 5, les façons dont le Canada pourrait rendre plus efficaces ses relations diplomatiques bilatérales avec son partenaire le plus important.

La souveraineté du Canada est-elle menacée en Amérique du Nord?

En ce qui concerne les autres problèmes signalés par Hillmer et Molot, c’est-à-dire au sujet de la « souveraineté » du Canada chez lui et à l’étranger, le Comité a entendu des points de vue très partagés. Certains témoins conseillaient de s’inquiéter moins et d’agir plus. D’après l’historien Reginald Stuart, « l’histoire montre que la souveraineté du Canada est relativement assurée », et des sondages récents « laissent croire que les simples citoyens canadiens ont beaucoup plus confiance en leur indépendance, leur différence et leur identité relativement aux Américains que bon nombre des soi-disant porte-parole de la souveraineté canadienne23 ». James Fergusson, du Centre for Defence and Security Studies de l’université du Manitoba, a déclaré ce qui suit : « Notre coopération avec les États-Unis, qui sont nos plus proches amis et alliés, a toujours reposé sur le principe qu’elle contribue dans une large mesure à maintenir la souveraineté canadienne à un coût raisonnable, tant sur le plan financier que sur le plan politique24 ».

La spécificité canadienne ne pose pas nécessairement de problème aux États-Unis non plus, a affirmé le professeur Louis Balthazar, qui a dit avoir constaté « la volonté américaine de reconnaître la souveraineté du Canada25 ». L’éminent spécialiste mondial des relations internationales, Joseph Nye, anciennement secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de sécurité internationale des États-Unis, ne voyait pas pourquoi des initiatives américaines telles que le nouveau « commandement militaire du nord » devrait plus que le NORAD « avoir un effet néfaste sur la souveraineté canadienne ». Il a déclaré : « Je dirais que le fait de s’inquiéter de la perte de souveraineté nuit souvent à une bonne réflexion. […] l’interdépendance en matière de sécurité existe depuis un certain temps déjà et je ne vois pas du tout pourquoi le Canada ne serait pas en mesure de conserver, un droit de retrait de toute activité qu’il n’approuve pas26 ».

Parlant également de sécurité et de défense, le professeur Frank Harvey a dit estimer que le Canada s’inquiétait indûment de la perte de sa souveraineté. À son avis, depuis quelque temps, les politiques étrangères du Canada et des États-Unis divergent très peu sur le fond. Il a ajouté que si le Canada veut s’offrir « le luxe » de se démarquer des États-Unis à cet égard, il devra affecter des crédits à la création de moyens de réaliser sa politique internationale, et faire en sorte que « [ses] babines […] suivent […] [ses] bottines27 ». Plus direct encore, Gordon Gibson, agrégé supérieur à l’Institut Fraser, a dit estimer que les craintes à l’égard d’une perte de souveraineté sont en grande partie injustifiées, car « en bout de ligne, la souveraineté appartient aux particuliers. […] les États-nations ne sont que des services publics visant à assurer l’exercice collectif de la souveraineté individuelle. Si nous choisissons de nous rapprocher des Américains ou eux de nous, qui osera dire que c’est une mauvaise chose28? »

Par contre, d’autres témoins étaient formels : la souveraineté du Canada risque d’être compromise, et le gouvernement devrait s’attacher à conserver la plus grande autonomie possible en matière de politique étrangère de manière à pouvoir défendre sur le plan international des valeurs et des intérêts canadiens qui pourraient être très différents de ceux de notre voisin. Par exemple, le professeur Nelson Michaud a fait une mise en garde : « Quand on parle de souveraineté, on peut se lancer sur un terrain parfois glissant. […] Quand on parle d’un périmètre de sécurité nord-américain, d’une frontière qui répond aux mêmes normes des deux côtés, nord et sud, autant dire que le Canada n’a plus le contrôle de sa frontière. C’est un contrôle, à tout le moins, conjoint. […] il y a un problème si on désire protéger la souveraineté canadienne29 ». Rod Hill, un ancien conseiller en recherche auprès de la Commission Macdonald, a énergiquement rejeté l’énoncé voulant que « si nous y renonçons volontairement, c’est un exercice de souveraineté, de sorte que nous gardons notre souveraineté même si on y renonce, car il s’agit là d’un libre choix30 ».

Le Comité juge nécessaire de tenir compte des craintes qui ont été exprimées maintes fois dans les témoignages au sujet de la souveraineté et de celles selon lesquelles le Canada pourrait avoir du mal à défendre et à promouvoir ses intérêts à la frontière et au-delà. Le Comité estime toutefois, comme il l’a déjà indiqué, que le Canada n’a pas à choisir entre les deux extrêmes que sont, d’une part, la reddition passive aux exigences des États-Unis et, d’autre part, une version ultra-nationaliste de l’unilatéralisme canadien. Une chose est certaine : pour avoir de bonnes relations nord-américaines, le plus raisonnable serait de déterminer en quoi la coopération entre le Canada,
les États-Unis et le Mexique — que ce soit dans un cadre bilatéral, trilatéral ou multilatéral — pourrait être le plus profitable à chacun des partenaires.

Toute relation internationale non caractérisée par l’hostilité ou l’asservissement ou qui n’est pas purement unilatéraliste implique jusqu’à un certain point de partager sa souveraineté ou de l’exercer conjointement dans un but mutuellement convenu. Plus les instruments de la politique étrangère du Canada pourront contribuer à l’atteinte de ce but, plus le Canada peut espérer pouvoir lui donner une dimension nord-américaine qui lui donne les moyens de faire valoir ses intérêts et ses valeurs avec assurance et crédibilité et d’une façon qui en garantisse le respect.

1.2  Ce que veut le Canada — Premières réflexions sur des objectifs bilatéraux, trilatéraux et multilatéraux dans le contexte nord-américain

Cela dit, il importera, dans l’élaboration de la politique étrangère du Canada, de définir les objectifs que sa dimension nord-américaine peut permettre d’atteindre. Le gouvernement du Canada devra s’attaquer à cette tâche en priorité, de concert avec les Canadiens, à moins que le Canada ne choisisse de laisser les relations nord-américaines évoluer au hasard ou de laisser d’autres pays lui dicter ce qu’il doit faire. Les audiences tenues par le Comité depuis un an lui ont donné une idée de ce que doivent être les priorités du Canada en matière d’orientation stratégique et des possibilités dont le pays dispose dans ce domaine. Toutefois, elles aussi ont mis en évidence le fait que le Canada n’a toujours pas établi d’objectifs clairs qui fassent l’objet d’un consensus national ni de stratégies pour les atteindre. Les prochaines sections du présent chapitre examinent les diverses perspectives qui ressortent des témoignages reçus, et les répercussions que les événements du 11 septembre ont eu sur l’élaboration d’un projet nord-américain. Elles exposent aussi notre réflexion sur la façon d’établir l’approche stratégique cohérente que le Comité juge nécessaire.

À ce stade, quelques observations préliminaires s’imposent, à commencer par le fait qu’il faut, pour être réaliste, reconnaître l’importance primordiale pour l’atteinte des objectifs du Canada à l’égard de sa relation avec les États-Unis. La gestion de cette relation influe sur presque tous les aspects de la politique étrangère du Canada et détermine certainement l’efficacité de toute dimension nord-américaine que nous pourrions éventuellement vouloir lui donner. Toutefois, si les États-Unis ont une conception du monde très différente de la nôtre, comme le ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, a dit le croire, le Canada devra toujours veiller à ce qu’elles ne soient pas assimilables, ce qui sera souvent difficile. Comme le ministre l’a déclaré, « [j]e ne dis pas qu’il faut à tout prix nous éloigner de la politique étrangère américaine dans l’élaboration de la nôtre, mais simplement que nous devons nous en tenir à nos propres valeurs31 ».

À ce propos, nous devons réfléchir davantage aux valeurs essentielles que nous devrions incarner dans nos relations internationales, notamment avec les États-Unis. Lorsqu’une question normative est posée à ce sujet, on parle souvent de privilégier le maintien de la paix, les droits de la personne, la diversité culturelle, l’aide aux pays pauvres, les Nations Unies et le multilatéralisme en général. Mais il ne faut pas partir du principe que ces buts ont la même importance et le même poids relatifs pour tous. En effet, un sondage récent de Maclean’s et de L’actualité sur l’importance pour les Canadiens de conserver leur souveraineté révélait que pour la plupart d’entre eux, les questions culturelles comptent beaucoup moins que les ressources naturelles, la santé, l’économie, l’immigration, la défense et la devise32. Ces résultats sont pourtant trompeurs. Dans une lettre au Comité, la Coalition pour la diversité culturelle insistait pour que le Canada défende le principe selon lequel « les politiques culturelles doivent échapper aux contraintes des accords commerciaux internationaux33 ». Ivan Bernier, de l’Université Laval, a aussi demandé que le Canada élabore sa propre définition du rôle de la culture, compte tenu des circonstances actuelles. Il a en effet déclaré ce qui suit :

Je pense que dans tout examen de ce que l’on doit faire en rapport avec les États-Unis à la suite des événements du 11 septembre […] le Canada doit absolument continuer à faire valoir précisément l’importance d’une prise en considération de la dimension culturelle de ces phénomènes [composer avec une plus grande intégration économique et réagir aux menaces à la sécurité]. C’est, à mon sens, une contribution qui lui revient parce que le Canada comprend ce problème et doit chercher à le faire comprendre à ses partenaires et, au premier chef, aux États-Unis34.

Les témoins ont fait état d’autres dossiers épineux dans lesquels, s’il se montre habile, le Canada pourrait prendre un avantage comparatif. Par exemple, Robert Huebert, du Centre d’études militaires et stratégiques de l’université de Calgary, a cité l’exemple du contrôle du Canada sur les eaux de l’Arctique canadien et de sa souveraineté sur les eaux du passage du Nord-Ouest — que les États-Unis contestent encore —, passage qui pourrait rapidement devenir un détroit navigable ouvert au transport maritime international si les hypothèses sur le changement climatique se confirment35. La dimension nord-américaine de la politique étrangère du Canada devra tenir compte de l’évolution des choses dans le Nord.

Au sujet d’une perspective globale sur l’avenir socio-économique du Canada, Danielle Goldfarb, de l’Institut C.D. Howe, a dit que « la première chose qui intéresse le Canada dans les relations canado-américaines, c’est la garantie d’accès au marché américain de façon à réduire les obstacles à la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux, de la technologie et des personnes, tout en maintenant le contrôle sur les politiques importantes pour notre pays s’il veut atteindre ses objectifs sociaux et économiques, par exemple pour déterminer le profil et le nombre d’immigrants permanents36 ».

On pourrait certainement énoncer d’autres objectifs canadiens légitimes. En fait, le gouvernement aurait intérêt à consulter les Canadiens plus directement et plus souvent au sujet des priorités à défendre dans nos relations avec les États-Unis. Au fond, c’est à lui que cela incombe. Mais il devrait se fonder pour le faire sur une évaluation des valeurs et intérêts nationaux du Canada et sur une solide compréhension des enjeux pour lesquels les Canadiens seraient prêts à « payer le prix de leur différence ». C’est pourquoi nous recommandons au gouvernement, à la fin du présent chapitre, de consulter fréquemment les Canadiens et de toujours rechercher le consensus dans l’établissement des objectifs du Canada.

Deuxièmement, la seule chose pire que de ne pas savoir exactement comment traiter avec les États-Unis serait que le Canada accorde trop d’importance à sa relation bilatérale avec ce pays et néglige ses relations avec les autres pays des Amériques. Il se pourrait bien que l’ère de la « Troisième option » des années 1970 soit révolue. Mais même en Amérique du Nord, le Canada ne doit pas négliger le rôle de contre-poids que son partenariat encore limité avec le Mexique pourrait jouer. C’est pourquoi, au chapitre 5, le Comité examine attentivement diverses formules permettant d’intensifier les relations bilatérales du Canada avec le Mexique et de travailler avec lui à multiplier les processus et les objectifs trilatéraux. La diplomatie canadienne dans les autres pays américains est un autre moyen de contrebalancer le poids des États-Unis. Comme George Maclean, qui a écrit sur les relations canado-mexicaines, l’a dit au Comité, « la meilleure tactique pour servir les intérêts du Canada en matière de relations extérieures réside dans le multilatéralisme, surtout pour se prémunir contre une éventuelle politique unique d’intégration à l’échelle de l’hémisphère élaborée et mise en œuvre par les États-Unis. En bref, le Canada doit réaliser un compromis et concilier l’attention capitale qu’il doit accorder à ses relations bilatérales avec les États-Unis avec la nécessité de jouer un rôle plus important dans l’hémisphère. […] malgré l’interprétation typique d’une vision continentale fondée sur un certain recul par rapport aux obligations multilatérales […]37 ».

Troisièmement, pour pouvoir jouer un rôle constructif dans la politique étrangère du Canada, tant à l’endroit des États-Unis que de l’Amérique du Nord, la diplomatie canadienne devra continuer d’avoir une portée résolument internationaliste. Selon Don Barry, professeur à l’université de Calgary, « il faudrait comprendre que plus nous nous intégrons aux États-Unis, plus nous perdons de visibilité ailleurs dans le monde. Le Canada a des intérêts mondiaux importants. D’où la nécessité d’entretenir et de valoriser nos autres relations, y compris celles avec l’Europe […] », à condition « que ces relations répondent à nos intérêts nationaux et qu’elles ne soient pas simplement utilisées pour démontrer notre indépendance vis-à-vis des États-Unis38 ». Pour sa part, même s’il doutait que le Canada cherche à compenser l’importance prépondérante de ses relations avec les États-Unis en se « réfugiant » dans un multilatéralisme traditionnel, Louis Balthazar a affirmé que si le Canada avait une politique étrangère indépendante, les États-Unis pourraient en fait y voir un avantage pour eux sur la scène multilatérale. Il l’a expliqué de la façon suivante :

[…] je crois que les Américains ont même avantage à ce que notre politique soit parfois différente de la leur. Cela leur permet de nous utiliser comme des ballons d’essai, étant donné notre situation en matière de politique internationale et la différence de notre responsabilité par rapport à la leur. […] ça peut nous permettre de jouer un rôle à l’occasion, dans la mesure où on peut se permettre des percées dans la diplomatie internationale que les Américains ne peuvent pas se permettre. Mais cela nous donne une certaine marge de manœuvre pour faire des choses que les Américains ne font pas et peut-être, à l’occasion, de faire valoir nos intérêts et nos principes auprès des dirigeants de Washington39.

De l’avis du Comité, il existe beaucoup de raisons de croire à la capacité du Canada de faire des choix indépendants en Amérique du Nord et sur les autres continents, malgré l’importance primordiale de ses relations bilatérales avec les États-Unis, les paramètres de l’ALENA et d’autres circonstances de durée variable qui influent sur sa liberté d’action (l’importance accordée à la sécurité de la frontière depuis le 11 septembre 2001 étant la plus récente, mais probablement pas la dernière). Le plus difficile sera de donner suite à nos choix après avoir défini clairement nos objectifs nationaux, en nous préparant à payer le prix de ce que nous disons vouloir et en actionnant judicieusement les leviers diplomatiques que le Canada a la chance peut-être unique de posséder, et de faire tout cela en cohabitant sur notre continent avec la seule superpuissance au monde.

1.3   Le débat entourant la question nord-américaine

De récents sondages révèlent que les Canadiens sont insatisfaits et très ambivalents à propos du resserrement de nos relations avec les États-Unis40. Il n’est donc pas étonnant que le Comité ait recueilli des opinions fort diverses sur l’opportunité pour le Canada d’approfondir ses partenariats nord-américains. Au-delà des réserves quant aux effets ou aux lacunes des accords de libre-échange continentaux (ALE/ALENA) — notamment en ce qui concerne le bois d’œuvre, les subventions agricoles, l’eau, la culture et les différends entre investisseurs et États, aux termes du chapitre 11 de l’ALENA (voir le chapitre 4) — ces avis divergents tendent à nuancer les opinions générales quant à savoir s’il serait bon ou non que le Canada s’intègre davantage au sein de l’Amérique du Nord.

Selon certains, l’intégration économique croissante est très avantageuse pour le Canada, et il serait possible de négocier une association encore plus poussée à des conditions favorables. D’autres jugent sévèrement les résultats du libre-échange continental, qu’ils rattachent souvent à des critiques sur le pouvoir des grandes sociétés, la privatisation et la perte apparente de la mainmise démocratique du public. Ils s’opposent même à l’actuel niveau d’intégration, y voyant une menace pour la souveraineté, les intérêts et les valeurs du Canada. Donc, tandis que les uns souhaitent une Amérique du Nord plus intégrée, beaucoup d’autres s’y opposent carrément. Les représentants du monde des affaires se rangent en général dans le premier camp, et ceux du monde du travail, dans le second.

Cette démarcation s’est manifestée dès la première audience que le Comité a tenue à l’extérieur d’Ottawa, soit à St. John’s (Terre-Neuve), le 25 février 2002. Chris Vatcher, du syndicat des étudiants de l’université Memorial a déclaré : « Étant un jeune Canadien qui tient à son pays, je crains certainement qu’on se rapproche davantage des États-Unis. […] J’estime que notre pays joue souvent les seconds violons, pour les États-Unis. […] J’exhorte le Comité à insister sur la souveraineté de notre pays, sur nos préoccupations propres. Ce n’est pas une solution que de nous rapprocher du modèle américain, qui n’est pas un modèle de développement durable et qui doit certainement faire l’objet de rajustements majeurs41 ». Selon Elaine Price, de la Newfoundland and Labrador Federation of Labour, les 10 années de libre-échange, à savoir les années 1990, « ont été caractérisées par une inégalité bien plus marquée au sein de la société canadienne. Le revenu réel a baissé pour une grande majorité de Canadiens et n’a augmenté que pour les 20 % qui sont au sommet de l’échelle salariale. L’emploi est devenu plus précaire et le filet de sécurité social s’est effiloché. […] Contrairement à l’idée qu’on se fait généralement de l’ALE, et de son successeur l’ALENA, comme ayant contribué à créer des emplois, le libre-échange s’est en fait traduit par une importante perte nette d’emplois42 ». Toutefois, Sean McCarthy, qui représente la section de Terre-Neuve et du Labrador des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, estime que le problème consiste pour le Canada à mieux gérer ses indispensables relations nord-américaines : « Il est inéluctable que le Canada et les États-Unis aient des politiques communes. […] Nos économies sont déjà liées. Des liens économiques supplémentaires sont inévitables et bénéfiques. Les dix dernières années ont démontré les avantages qui y sont associés. […] Pour présenter un front de politique publique fort sur la scène internationale, il nous faut un front économique et fiscal fort pour soutenir ces objectifs43 ».

Parmi les opposants à une intégration plus poussée de l’Amérique du Nord, le professeur Rod Hill, de l’université du Nouveau-Brunswick, soutient ce qui suit44 :

La majorité des Canadiens, à mon avis, ne voient pas l’intérêt des programmes intégrationnistes, ni du point de vue politique ni du point de vue économique. Ils reconnaissent me semble-t-il ce qui se passe et ne veulent pas une plus grande intégration avec les États-Unis. Je suis fermement convaincu que nous avons le choix. Les intégrationnistes prétendent que cela va nous coûter très cher. Or les faits ne le prouvent pas. Ils essaient aussi de rétrécir la portée du débat, d’insister sur ce qu’il en coûterait de ne pas poursuivre cette intégration, tout en négligeant les avantages qu’il y aurait à conserver notre autonomie, avantages qui ne sont pas facilement quantifiables mais qui n’en sont pas pour autant moins importants.

M. Hill a cité les recherches de l’économiste John Helliwell, de la Colombie-Britannique, au sujet de l’importance des facteurs nationaux (ce qui implique le commerce interprovincial) pour le bien-être des citoyens et du « rendement décroissant d’une plus grande ouverture », c’est-à-dire à une intégration plus poussée. M. Hill craint également que l’intégration continentale ne compromette la situation internationale du Canada. À ce propos, il cite Helliwell : « Si le Canada doit faire un choix de politique étrangère entre une politique orientée sur le monde et une autre qui consisterait essentiellement à poursuivre les efforts visant à harmoniser nos politiques avec celles des États-Unis, je pense que la réponse est manifeste […]. Cette dernière option serait à la fois un mauvais choix économique et un mauvais choix politique45 ». À Saskatoon, David Orchard a laissé entendre que le Canada pourrait adopter une stratégie analogue à celle de la Norvège, qui a voté deux fois contre son entrée dans l’Union européenne.

Par contre, le Comité a également entendu, aux deux extrémités du pays (c.-à-d. de la part de l’Atlantic Institute for Market Studies, à Halifax, et du Pacific Corridor Enterprise Council, à Vancouver), des appels en faveur du renforcement des liens économiques naturels avec les régions frontalières voisines et l’amélioration d’une économie continentale plus large, les frontières et les infrastructures de transport étant les domaines à privilégier. Pour certains, le risque d’être marginalisés ou coupés des centres du dynamisme économique nord-américain est considéré comme le danger le plus grave pour les futurs emplois et la croissance des revenus.

En ce qui concerne la stratégie nationale, les tenants de l’intégration estiment que les politiques doivent tenir compte des réalités de la situation canadienne. Le professeur Michael Hart, de la School of International Affairs (Université Carleton), a évoqué les facteurs découlant « d’une intégration discrète de plus en plus poussée [… et] le fait que les institutions, les procédures et les réglementations des deux gouvernements [du Canada et des États-Unis] correspondent certes à la réalité d’un accord de libre-échange, mais ne reflètent pas l’intégration profonde de nos deux pays, une intégration qui va beaucoup plus loin que l’accord de libre-échange et qui ressemble plutôt à une union douanière ou même à un marché commun. Je pense que le défi le plus important pour nos deux gouvernements, c’est de trouver les institutions, les méthodes et les réglementations qu’il faut pour nous adapter à cette réalité ». Selon M. Hart, « il faut reconnaître qu’il y a déjà une vaste convergence au niveau des stratégies et des idées de nos deux pays. […] L’intégration de nos deux pays va se poursuivre et s’intensifier d’autant plus que les deux sociétés vont être de plus en plus étroitement liées. La question pour les gouvernements est donc de savoir s’ils veulent gérer, faciliter ou freiner cette intégration46 ».

Jayson Myers, des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, envisage comme suit le défi nord-américain du Canada :

L’intégration économique du Canada avec les États-Unis est motivée par les succès et la restructuration de l’industrie canadienne dans le contexte de l’ALENA. Toutefois, la nature de cette intégration pose un certain nombre de problèmes importants au Canada et aux entreprises canadiennes. Cela crée des contraintes pour la politique canadienne mais, à mon avis, la perte de souveraineté n’est pas le problème. Le débat est de savoir comment mieux gérer nos relations économiques avec les États-Unis et le Mexique de façon à assurer la poursuite de notre croissance économique et la création d’emplois de grande valeur au Canada tout en garantissant aux Canadiens la possibilité de façonner leur propre avenir socio-culturel et économique47.

En gros, l’éventail des opinions va d’un rejet ferme d’une Amérique du Nord plus intégrée, qui empêcherait le Canada de suivre sa voie propre, à une adhésion tout aussi convaincue en faveur d’une intégration principalement axée sur les marchés, qui offrirait un avenir intéressant au Canada sur les plans de la sécurité et de la prospérité de ses citoyens sur le continent. Certains se situent à mi-chemin : ils reconnaissent que les politiques doivent être adaptées aux réalités de l’intégration, mais souhaitent que le fond et la forme des décisions émanent du gouvernement canadien.

Selon le Comité, la plupart des Canadiens souhaitent une démarche pragmatique, et non pas idéologique, à l’égard des partenaires nord-américains du Canada. Toutefois, les avis que nous avons entendus sont très partagés sur la question de savoir si le Canada peut ou doit rechercher, avec les États-Unis en particulier, une « entente stratégique » assortie d’enjeux élevés, comme celle que Wendy Dobson, entre autres, préconise. Les témoins diffèrent également d’avis quant aux tactiques que le Canada doit appliquer pour promouvoir ses intérêts lorsqu’il traite à l’échelon continental avec ses partenaires.

D’un côté, certains estiment que la lenteur et la régularité constituent une stratégie insuffisante. C’est l’avis d’Andrew Wynn-Williams, de la British Columbia Chamber of Commerce :

[…] La réalité est que l’intégration est inéluctable, si bien que les décisions à prendre doivent l’être rapidement, faute de quoi la possibilité d’opérer des choix disparaîtra. Le Canada a actuellement la possibilité d’influer sur l’évolution de notre relation, justement parce que c’est pour nous qu’elle compte le plus. […] La question à laquelle nous sommes confrontés est de savoir si nous allons apporter des changements graduels et subir des événements et nous adapter aux circonstances globales qui nous sont imposées ou bien si nous allons aborder cette problématique avec audace et esprit de décision. […] Le Canada doit être à la place du conducteur et non du passager48.

Toutefois, même les représentants de la Chambre de commerce du Canada (CCC) ont exprimé des réserves quant à l’adhésion immédiate à d’audacieuses nouvelles initiatives, comme une union douanière ou d’autres ententes officielles visant l’intégration. Tout en affirmant que les gens d’affaires canadiens ont tendance à considérer l’Amérique du Nord comme « un marché unique et intégré qui présente seulement des différences mineures », et que le gouvernement canadien n’a pas encore d’« approche stratégique » à l’égard de la relation Canada-États-Unis, le vice-président de la CCC, Robert Keyes, a fait observer que « la réouverture de l’ALENA pourrait également poser des problèmes. […] On n’est pas certain du résultat. On ne gagne pas toujours49 ». Alexander Lofthouse, analyste des politiques à la CCC, a ajouté que la longue expérience de l’Union européenne dans les négociations commerciales internationales à titre collectif demeure extrêmement difficile et conflictuelle, d’où il conclut que les propositions visant une intégration économique plus poussée doivent être étudiées « les yeux ouverts50 ».

Pour certains, seule une entente plus globale (Michael Hart) ou une « grande idée » (Institut C.D. Howe) aurait des chances de retenir vraiment l’intérêt des États-Unis. D’après les interlocuteurs que nous avons entendus dans la capitale américaine, aucun élargissement de l’ALENA ne semble figurer à l’ordre du jour politique ou stratégique de Washington. Les Canadiens qui ont des doutes sur l’opportunité d’avancer rapidement et d’adopter dès maintenant une nouvelle démarche majeure à l’égard des États-Unis craignent que le Canada y perde, en définitive. Louis Bélanger, directeur de l’Institut québécois des hautes études internationales, tout en prônant une approche plus systématique que ponctuelle à la coopération continentale, pour permettre au Canada « de mieux contrôler sa relation asymétrique avec les États-Unis », avertit que « la tentation est souvent grande d’en arriver à des compromis rapides avec les Américains, parce qu’il y a des gains économiques à court terme qui sont pressants pour nous. […] Accepter cette logique équivaut à accepter une logique qui est perdante pour le Canada51 ». Le professeur Don Barry, de l’université de Calgary, est d’avis que « le concept d’entente stratégique devrait être considéré avec beaucoup de précautions. Mis à part l’énorme problème de la gestion des concessions, les ententes d’intégration, une fois conclues, sont rarement réversibles, poussent à toujours plus d’intégration et ont des conséquences à long terme qu’il est impossible, pour beaucoup, de prévoir52 ».

Reginald Whitaker, professeur à l’université de Victoria, a rejeté l’idée selon laquelle « l’actuelle crise en matière de sécurité est une occasion de négocier un nouveau cadre grandiose pour résoudre certains problèmes économiques que continue de vivre le Canada à l’intérieur de la relation canado-américaine, même si nous supposons que de tels arrangements seraient une bonne chose, aux fins de la discussion. Plutôt, l’actuel contexte est tel que ce type de négociation serait particulièrement dangereux pour le Canada. Je maintiens plus que jamais que la voie la plus sûre est celle du gradualisme ». Il a ajouté que « la participation à des négociations stratégiques en vue d’une intégration plus étroite avec un partenaire qui est pleinement engagé envers l’unilatéralisme et un maintien maximal de sa propre souveraineté, et qui a le poids requis pour l’exiger, semble peu sage et mal avisée53 ».

Le Comité estime que les réserves des témoins quant à la recherche enthousiaste d’ententes visant une intégration plus poussée avec les partenaires nord-américains du Canada, notamment à l’échelon bilatéral avec les États-Unis, nous rappellent à juste titre que toute proposition d’intégration doit faire l’objet d’une rigoureuse analyse de l’intérêt public national avant d’être réalisée : le résultat de ces examens publics devra indiquer, pour le Canada, des avantages nets importants, qui en contrebalanceront les inconvénients. Cela ne signifie pas que les Canadiens doivent se satisfaire du statu quo. Loin de là : toute idée (pour ou contre une intégration plus poussée) qui semble avantageuse pour le Canada doit faire l’objet d’un examen approfondi, notamment les « grandes idées » qui risquent de toucher plusieurs domaines stratégiques. Le Comité ne s’attend pas à ce que l’on puisse en prédire les effets avec certitude, même s’agissant des démarches les plus pragmatiques en faveur de l’intégration nord-américaine. Toutefois, le gouvernement doit pouvoir analyser la situation au mieux et — ce qui est aussi important — faire connaître ses objectifs stratégiques aux Canadiens dans le cadre d’un processus public transparent. Ce sont là des questions trop importantes pour être résolues par des négociations discrètes menées en coulisses.

1.4   Les conséquences du 11 septembre sur le plan d’action relatif à l’Amérique du Nord

Quelles conséquences imprévues les attentats du 11 septembre 2001 ont-ils eues pour les États-Unis? De quelle façon les suites à plus long terme de ces événements terribles ont-elles modifié ou réorienté les options stratégiques auxquelles le Canada fait face dans le contexte nord-américain?

Pour la plupart des témoins, les conséquences sont importantes, même si beaucoup d’entre eux souscrivent au commentaire formulé devant nous par Denis Stairs en novembre 2001, à savoir que « Prendre des décisions politiques à long terme dans des circonstances dramatiques à court terme ne peut qu’induire des erreurs54 ». Dans les témoignages, le 11 septembre figurait souvent comme le principal élément susceptible d’engendrer une démarche plus proactive du Canada à l’égard de ses relations avec ses partenaires nord-américains. Par exemple, David Zussman, président du Forum des politiques publiques, l’un des nombreux organismes canadiens, publics ou privés, qui s’intéressent à divers scénarios d’intégration continentale, en conclut ce qui suit : « Les événements du 11 septembre ont considérablement transformé les relations canado-américaines et la frontière est devenue le symbole des liens étroits que nous entretenons avec les États-Unis sur le plan économique, mais aussi de notre vulnérabilité devant la volonté et l’influence des États-Unis. » Soutenant que « la sécurité économique du Canada est inextricablement liée à la sécurité physique de l’Amérique du Nord », il affirme que « les événements du 11 septembre lui ont donné l’occasion [de] remédier » à des problèmes de longue date liés aux politiques concernant la frontière et l’immigration55.

Les sceptiques et les défenseurs de l’intégration ont vite constaté les pressions stratégiques que les événements ont engendrées. Comme l’a dit Reg Whitaker : « Les événements du 11 septembre ont eu pour effet d’intensifier les problèmes jumeaux de la sécurité et du commerce nord-américains et de lier ensemble les deux choses d’une façon sans précédent ». Il a fait la mise en garde suivante : « l’on veut aujourd’hui saisir la question de la sécurité frontalière comme l’occasion pour le Canada de convaincre les États-Unis que l’intégration nord-américaine devrait être accélérée et formalisée56 ». Stephen Clarkson a exprimé des craintes : « Dans un contexte où le Canada et le Mexique dépendent tous deux du marché américain, qui leur achète près de 90 % de leurs exportations, et dans le sillage du 11 septembre, alors que les États-Unis ont créé une confusion sans précédent dans le monde des affaires du continent en fermant (temporairement) leurs frontières, les décideurs de l’élite dans les trois pays prônent le franchissement d’une étape majeure vers l’intégration totale57 ».

De fait, selon certains témoins, le 11 septembre pourrait être l’élément déclencheur d’une intégration très poussée. D’après Barry Scholnick, professeur à l’University of Alberta School of Business : « Après le 11 septembre, la préoccupation liée à la frontière canado-américaine a pris une importance de plus en plus grande dans les milieux politiques et aussi, à mon avis, dans l’esprit d’un grand nombre de Canadiens. Selon moi, le fait de passer de l’actuel accord de libre-échange à une intégration économique plus profonde et à une union douanière présente des avantages politiques importants, compte tenu de ce qui s’est passé le 11 septembre. […] Je dirais que, sur le plan politique, le moment serait bien choisi de lancer l’idée d’une union douanière entre le Canada et les États-Unis58 ». Michael Hart n’est pas allé aussi loin, mais il a déclaré : « Je pense qu’il est essentiel de choisir le bon moment. Il est très difficile d’attirer l’attention des Américains, mais nous avons actuellement cette attention. Le dialogue est en cours, et c’est le moment de foncer59 ». Nous n’avons pas décelé beaucoup d’intérêt pour l’idée d’une entente « ALENA-plus » de la part des fonctionnaires du Département d’État et du Bureau du représentant des États-Unis pour le commerce (USTR) que nous avons rencontrés à Washington. Toutefois, certains ont laissé entendre que les retombées du 11 septembre pourraient être pour le Canada l’occasion de remplacer le Mexique comme chef de file de l’établissement d’un programme à cet égard60. Au sujet de la défense et de la sécurité, Frank Harvey a reconnu que « les États-Unis sont maintenant beaucoup plus déterminés à poursuivre [la] politique [de l’unilatéralisme]61 ». Il fait néanmoins partie de ceux qui sont favorables à ce que le Canada cherche à resserrer la coopération militaire et sécuritaire dans les domaines où la vulnérabilité mutuelle croissante des Nord-américains met en lumière une convergence d’intérêts entre le Canada et les États-Unis.

En revanche, un certain nombre de témoins ne sont pas persuadés que le 11 septembre doive nécessairement provoquer de la part du Canada une tendance à pousser plus loin l’intégration ou l’alignement stratégique avec les États-Unis. De fait, Rod Hill estime au contraire qu’« au cours des six derniers mois, depuis le 11 septembre, les forces intégrationnistes se sont servies de ce qui s’est passé aux États-Unis d’une façon très opportuniste pour redoubler leurs efforts de revendication. En fait, personnellement — et encore une fois je parle ici en tant que citoyen, non pas en tant qu’économiste — cela m’a tout simplement doublement convaincu qu’il est encore plus important que jamais de garder nos distances avec les États-Unis62 ». En ce qui concerne la relation commerciale, Richard Ouellet, professeur de droit à l’Université Laval, a soutenu que les intérêts commerciaux du Canada et des États-Unis ne coïncidaient pas et que les événements du 11 septembre ne représentaient pas « les bonnes raisons » pour pousser plus loin l’intégration nord-américaine63. Son collègue, Gordon Mace, a dit ne pas croire « que ces événements changent la relation fondamentale Canada-États-Unis64 ».

À propos de l’utilisation du 11 septembre comme argument pour défendre la mise en place d’un espace ou d’un « périmètre » de défense nord-américain, Stéphane Roussel a dit craindre que de telles notions de la sécurité ne soient trop facilement élargies et liées à de multiples secteurs de la coopération transfrontalière, soulignant qu’« il y a très peu de domaines qui sont à l’abri du prétexte de la sécurité, d’où l’importance, en particulier pour le Canada, de bien définir les limites de la coopération entre les deux États65 ». Laura Macdonald, directrice du Centre for North American Politics and Society, et professeure à l’université Carleton, nous a déclaré ceci : « Les événements du 11 septembre exigent que nous nous livrions à une réflexion sur l’orientation de l’Amérique du Nord et sur le rôle qu’assumera le Canada. […] Suite au 11 septembre, nous avons pu constater que les États-Unis ont recommencé à accorder plus d’attention à leur allié du Nord, mais nous semblons attirer cette attention pour la mauvaise raison, à savoir que les Américains voient le Canada comme une terre accueillante pour les terroristes. Cette perception a des implications très graves pour les Canadiens ». Mme Macdonald s’inquiète qu’une démarche fondée sur l’idée de « Forteresse Amérique du Nord » n’aboutisse à une « mexicanisation » de la frontière canado-américaine, plutôt qu’à une souhaitable « européanisation », au fur et à mesure que se dérouleront à Washington les débats sur le point d’équilibre entre un commerce libre et les impératifs de sécurité66. Nous reviendrons sur ce point dans les chapitres 3 et 4.

La plupart des témoins seraient sans doute d’accord pour dire que, plus d’un an après les attentats du 11 septembre, la sécurité demeure une préoccupation dominante dans le programme politique de la coopération nord-américaine. C’est aussi le souci de nombreux Canadiens. Les sondages indiquent qu’une majorité de nos concitoyens, ainsi que d’Américains, sont favorables à des politiques communes en matière de sécurité frontalière et à ce que l’amélioration de cette sécurité prenne le pas sur l’assouplissement des restrictions au commerce transfrontalier, lequel a énormément souffert des mesures prises par suite du 11 septembre67. Tandis que les relations entre les États-Unis et le Mexique semblent s’être rafraîchies, on a vu naître un partenariat plus serré entre les États-Unis et le Canada autour des mesures axées sur la défense de l’Amérique du Nord contre d’éventuels attentats terroristes à venir. En revanche, et dans un contexte d’affirmation croissante de la puissance américaine, comme l’a dit succinctement Daniel Cohn : « L’on paie plus cher la différence depuis le 11 septembre — cela ne fait pas l’ombre d’un doute68 ».

1.5   Vers une orientation stratégique de la politique nord-américaine du Canada

Que faire, donc? La première chose à dire, c’est que le Canada, en tant que pays souverain, et les Canadiens, ont des choix à faire dans le contexte nord-américain de l’après-11 septembre. Le Comité estime que notre pays dispose d’options stratégiques et d’une marge de manœuvre considérables, même dans les secteurs les plus touchés par l’intégration continentale69 et par les nouveaux impératifs de sécurité. Nous remarquons de surcroît que les politiques canadiennes continuent de se démarquer de celles des États-Unis dans certains grands dossiers d’importance mondiale, comme ceux de la Cour pénale internationale, du Protocole de Kyoto ou encore de l’Irak. D’ailleurs, la souveraineté juridique officielle du Canada n’est ni en question ni en danger. Au contraire, il s’agit plutôt de se demander : pour quelles raisons affirmer la souveraineté canadienne dans les relations internationales et dans les secteurs stratégiques intérieurs touchés? Et dans le contexte continental : pour quels motifs rechercher une collaboration plus étroite avec nos partenaires nord-américains, ou au contraire, plus d’autonomie et une affirmation des différences?

Selon le Comité, il reste à définir de façon plus précise où se situent les intérêts publics nationaux du Canada au regard des objectifs nord-américains et, cela étant fait, il faudra être disposés à payer pour obtenir ce que nous disons souhaiter. De plus, à notre avis, il importe de ne pas restreindre indûment nos choix en jugeant d’avance les options qui s’offrent à nous sur la base d’une idéologie ou d’un symbolisme mal placés. Il faut les apprécier selon leurs mérites. Reg Whitaker, malgré son scepticisme notoire à l’égard d’une éventuelle « entente stratégique » avec les États-Unis, a bien résumé la question :

[…] La souveraineté nationale ne devrait pas être considérée comme un but ou un objectif en soi. Elle devrait être un moyen d’atteindre un but, en l’occurrence une vie meilleure pour les Canadiens. Les limites à la souveraineté qui servent cette fin ne devraient pas être rejetées pour des raisons nationalistes. Des idées comme une union douanière, un marché commun ou d’autres cadres structuraux en vue d’une intégration nord-américaine pourraient servir cette fin, à savoir une vie meilleure pour les Canadiens. Les avantages doivent bien sûr être soigneusement évalués par rapport à ce qu’amènerait la perte de souveraineté conséquente. Mais de telles grandes idées méritent d’être débattues70.

La première chose à décider, toutefois, c’est le niveau de priorité à accorder à l’élaboration et à la gestion des relations nord-américaines du Canada. Cela s’entend, avant tout, des relations que le Canada entretient avec son partenaire bilatéral le plus important, les États-Unis. Mais il faut y englober ses rapports avec le Mexique (et peut-être avec les Amériques, pour jeter un pont entre les intérêts nord-américains du Canada et ses intérêts hémisphériques). Certes le Canada se doit de maintenir sa propre perspective sur le monde et de rechercher des occasions diversifiées71. Il ne peut se permettre de s’isoler du destin de l’Amérique du Nord, à moins d’être disposé à faire fi des réalités géoéconomiques et de payer presque n’importe quel prix. Par conséquent, selon le Comité, le gouvernement doit affirmer explicitement que les relations nord-américaines constituent une priorité de première importance.

Dans le même temps, rien dans ce destin ne détermine de façon manifeste qu’il doive respecter les conditions imposées par les États-Unis. Au contraire, le Comité se demande ce qui arrivera si le Canada ne prend pas des mesures vigoureuses pour affirmer son propre programme et sa propre vision continentale. Il est à craindre que, malgré le choc du 11 septembre, nous ne retournions à notre nonchalance, jusqu’à ce que nous soyons de nouveau forcés de réagir et de nous mettre sur la défensive. Il en résulterait sans doute une position internationale plus faible pour le Canada, et non pas plus de force et d’autonomie.

Étant donné les problèmes de grande ampleur qui ont été soulevés, dans la série de recommandations qui suit, le Comité demande au gouvernement de prendre l’initiative et de promouvoir un programme d’action d’intérêt national concernant les relations nord-américaines du Canada. De plus, dans un tel programme d’action, nous estimons, à l’instar de Daniel Schwanen, de l’Institut pour la recherche sur les politiques publiques, que, pour en arriver à un niveau fonctionnel d’intégration et de coopération politiques, rien ne laisse supposer qu’il soit inévitable, nécessaire ou même désirable d’adopter des politiques communes ou harmonisées. De fait, il y a moyen d’accomplir beaucoup de choses par des ententes conçues pour faciliter la réalisation d’objectifs communs et pour engendrer la confiance — par exemple les initiatives entourant la « frontière intelligente » que le Canada réalise déjà avec les États-Unis. Toutefois, au-delà de cela, comme il l’a bien dit :

[…] Le Canada a besoin d’une stratégie globale par rapport à l’avenir des relations nord-américaines. Nous ne pouvons pas y aller au jour le jour et de façon ponctuelle, selon les crises qui se produisent. Cependant, tout me porte à croire qu’il nous faudra inventer notre propre modèle d’intégration, un modèle propre au Canada et aux États-Unis, et peut-être au Mexique aussi, comme nous l’avons fait d’ailleurs au chapitre des relations commerciales, plutôt que d’importer ici le modèle européen ou même de nous jeter, un peu en désespoir de cause, sur des concepts un peu idéaux tels l’union monétaire ou l’union douanière72.

Le Comité estime qu’il est grand temps de s’attacher sérieusement à l’élaboration d’une telle stratégie nord-américaine.

Recommandation 1

Le gouvernement du Canada devrait explicitement faire des relations du Canada avec ses partenaires nord-américains une priorité de sa politique générale. À cet égard, et plus précisément pour ce qui concerne la définition de la dimension nord-américaine de la politique étrangère canadienne, le gouvernement devrait élaborer une stratégie publique cohérente pour servir les intérêts et les valeurs du Canada dans le contexte de l’Amérique du Nord, Mexique compris, en commençant par apporter une réponse complète aux recommandations du présent rapport.

L’étude du Comité permet de mettre en lumière un deuxième élément, à savoir qu’il faut disposer de moyens — des instruments de politique coordonnés et assortis de ressources suffisantes — pour donner suite, et mettre en œuvre efficacement les choix retenus par suite de l’élaboration des politiques stratégiques et des délibérations avec le public. Sans cela, nous ne pouvons nous attendre à ce que les démarches du Canada soient prises au sérieux par nos partenaires, les États-Unis et le Mexique. Dans notre rapport préliminaire de décembre 2001, nous avons cité le ministre des Affaires étrangères de l’époque, John Manley, qui reconnaissait que le Canada avait laissé décliner ses capacités en matière de politique internationale. Ce sont là des choix que le Canada a faits; nous ne pouvons en blâmer quiconque. Même si le gouvernement a augmenté les dépenses liées à la sécurité par suite du 11 septembre, l’évaluation du ministre reste vraie un an plus tard, alors qu’il occupe les postes clés de ministre des Finances et de vice-premier ministre.

Au même titre que des ressources suffisantes, il faut une coordination bien menée des divers acteurs, éléments stratégiques et mécanismes qui doivent entrer en jeu dans la gestion d’une relation nord-américaine de plus en plus complexe. Ici aussi, les points faibles sont nombreux. Citons entre autres les problèmes frontaliers déjà anciens, qui ont reçu au mieux une attention intermittente de la part des responsables politiques avant le 11 septembre. Comme l’a déclaré David Zussman au Comité : « Nous avons entre autres appris, lors de notre conférence sur les frontières, qu’en raison du grand nombre de ministères et d’organismes fédéraux de même que d’organisations provinciales, qui s’intéressent aux questions concernant la frontière et les relations canado-américaines, il est difficile pour le gouvernement fédéral d’élaborer une réponse et une stratégie cohérentes. Notre appareil gouvernemental est désuet et ne fonctionne pas aussi bien qu’il le pourrait73 ». Stephen Clarkson, spécialiste chevronné des relations canado-américaines, s’est dit d’avis que la diplomatie canadienne à Washington « fonctionne selon des techniques ponctuelles et relatives de gestion des crises mises au point avant l’époque du libre-échange », et que le gouvernement fédéral du Canada ne s’est pas encore doté d’« une capacité de traiter ses relations diversifiées avec les États-Unis d’une manière coordonnée sur le plan institutionnel74 ».

Les problèmes ne sont peut-être pas aussi graves que le laissent entendre ces commentaires. Toutefois, selon le Comité, ils mettent en lumière des facteurs susceptibles d’empêcher l’affirmation d’un cadre stratégique canadien fort et crédible à l’égard de l’Amérique du Nord, objet de notre première recommandation. Les restrictions budgétaires de la dernière décennie ont nui aux capacités canadiennes en matière de politique étrangère, et il faut réinvestir. Les responsabilités relatives aux grandes questions nord-américaines sont réparties entre divers ministres, ministères et organismes. Dans le cas des relations actuelles entre le Canada et les États-Unis, le vice-premier ministre a conservé un certain nombre de responsabilités dans le domaine de la sécurité transfrontalière qui devraient normalement revenir au ministre des Affaires étrangères. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) s’est donné une Direction générale de l’Amérique du Nord, mais c’est le sous-ministre d’Industrie Canada qui préside le projet des Liens nord-américains, lequel relève du Projet de recherche sur les politiques, mécanisme qui s’étend à toute l’administration publique. Et ainsi de suite. Il ne s’agit pas de remettre en cause les différents rôles qui sont assumés ici ou là selon les circonstances, mais plutôt de souligner la nécessité d’affecter, à la fois, les ressources nécessaires à l’exécution du travail et des moyens suffisants pour assurer la coordination des efforts à l’échelle de l’administration publique.

Aux yeux du Comité, le MAECI doit aussi être en mesure de diriger, en tout ou en partie, l’élaboration d’une vision de la dimension nord-américaine des relations internationales du Canada. Il devrait également jouer ce rôle dans le cadre d’une démarche gouvernementale générale englobant la totalité de nos relations nord-américaines, compte tenu de l’importance cruciale que celles-ci revêtent pour la sécurité et la prospérité intérieures du pays, et pour sa place dans le monde. La cohérence et la coordination à cet égard pourraient être renforcées par des mécanismes interministériels et inter-organismes. Mais il faudra plus qu’une démarche à caractère administratif. Il est nécessaire qu’un leadership ministériel s’exerce tant par l’entremise du MAECI qu’à l’échelon de l’ensemble du Cabinet.

Recommandation 2

Le gouvernement devrait s’attaquer, dans le prochain budget et dans le suivant, à l’amenuisement des capacités du Canada en matière de politique internationale et faire en sorte d’attribuer au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international des ressources suffisantes pour qu’il puisse diriger d’une main ferme l’élaboration et la mise en place d’un cadre stratégique solide et crédible pour les relations du Canada avec ses partenaires nord-américains.

Recommandation 3

Le gouvernement devrait aussi veiller à assurer cohérence et coordination entre toutes les activités fédérales qui concernent de façon significative les relations nord-américaines. À cette fin, il pourrait envisager la création d’un comité spécial du Cabinet responsable des relations nord-américaines. Ce type de comité de haut niveau pourrait être coprésidé par le vice-premier ministre et le ministre des Affaires étrangères et comprendre d’autres ministres ayant d’importantes responsabilités en matière d’affaires nord-américaines.

Troisièmement enfin, le gouvernement fédéral ne peut mener ce dossier seul. Bien entendu, certains éléments de l’édification d’un meilleur partenariat nord-américain exigent le consentement délibéré des partenaires du Canada, les États-Unis et le Mexique. Cela est probablement plus difficile à réaliser au moment où les États-Unis sont préoccupés par la question de la sécurité de leur « territoire national. » De plus, comme certains témoins l’ont souligné, notamment Stephen Blank, pour pouvoir fonctionner, un tel engagement doit s’étendre, au-delà de la capitale américaine, à toutes les parties du système politique américain. Il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées, à supposer que nous puissions être sûrs qu’elles le sont (et nous avons laissé entendre que, par exemple, une « entente stratégique » continentale à vaste portée devrait être envisagée avec beaucoup de prudence et faire l’objet d’une étude et de débats plus poussés). De fait, comme l’a souligné Danielle Goldfarb, de l’Institut C.D. Howe : « une optique ou un cadre général, si intéressant, proactif ou avantageux fût-il pour le Canada, ne permettra en rien d’améliorer les relations canado-américaines, si nous ne réussissons pas à obtenir l’adhésion des États-Unis75 ». Nous y reviendrons au chapitre 5.

À ce stade, il est tout aussi important de souligner qu’aucun cadre nord-américain valable ne pourra être mis en place (ni ne mériterait de l’être) s’il ne recueille pas au préalable l’adhésion des Canadiens. Ce cadre, ou cette vision stratégique, devrait viser à traduire un véritable consensus national sur la meilleure façon de protéger et de promouvoir les intérêts et les valeurs du Canada dans le cadre des relations avec nos partenaires nord-américains. Obtenir un tel consensus sera peut-être difficile, mais c’est une tâche nécessaire, qui doit être amorcée et dirigée par le gouvernement, et non pas laissée au secteur privé et aux groupes non gouvernementaux. On pourrait, pour lancer le processus, commencer par organiser une table ronde nationale (et peut-être aussi des tables rondes régionales) sur les relations nord-américaines, après avoir publié un document sur une stratégie publique. Le mécanisme pourrait être mis en marche et raffiné selon les besoins, en fonction de l’évolution des circonstances.

En outre, la conception et la mise en place d’un cadre canadien devra tenir compte des intérêts des pouvoirs publics autres que fédéraux (provinces, territoires et municipalités), qui, de plus en plus, participent à d’importants aspects des relations nord-américaines et en subissent les effets. Tout en respectant le rôle particulier du gouvernement fédéral en matière de politique étrangère et les responsabilités constitutionnelles des autres paliers de l’administration, il faudrait envisager de faire participer tous les paliers de gouvernement à des mécanismes de coopération visant à renforcer l’élaboration et la mise en œuvre des politiques au regard des relations du Canada avec ses partenaires nord-américains.

De l’avis du Comité, la tâche principale consistera à définir des processus collectifs permanents qui favoriseront une focalisation sur les objectifs du Canada en Amérique du Nord et sur les meilleurs moyens pour les représentants du gouvernement de les atteindre, dans l’intérêt à long terme de tous les Canadiens.

Recommandation 4

Afin d’encourager le public à s’intéresser davantage aux objectifs canadiens en Amérique du Nord, le gouvernement devrait envisager l’organisation de tables rondes nationales et/ou régionales sur les relations nord-américaines, après avoir rendu public un premier énoncé de politique à ce sujet. Ce processus de recherche du consensus pourrait être modulé en fonction de l’évolution des circonstances.

Recommandation 5

Étant donné la participation croissante des acteurs non fédéraux dans de nombreux aspects des relations nord-américaines, le gouvernement devrait chercher le meilleur moyen de prendre en compte les intérêts des autres paliers de l’administration publique selon le principe coopératif et au moyen d’un processus établi de consultation avec les provinces, les territoires et les municipalités dans un cadre stratégique canadien qui continue d’évoluer, afin de faire progresser ces relations.


*Dans l’ensemble du présent rapport, les témoignages recueillis au cours des audiences du Comité sont signalés, dans les renvois, par la mention Témoignages, accompagnée du numéro et de la date de la réunion correspondante. Ces citations renvoient aux délibérations du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, pendant la 1re session de la 37e législature. On peut trouver ces documents dans les deux langues officielles du Canada au site Web du Parlement canadien à l’adresse suivante :
www.parl.gc.ca/InfoCom/CommitteeMinute.asp?Language=F&Parliament=8&Joint=0&CommitteeID=143.
1Rapport du Comité mixte spécial chargé de l’examen de la politique étrangère du Canada, La politique étrangère du Canada : principes et priorités pour l’avenir, novembre 1994, p. 1 et 81.
2Ibid., p. 82.
3Par exemple, selon un sondage récent de Pollara, les deux tiers environ des répondants étaient favorables à une plus grande intégration économique avec les États-Unis (voir Robert Fife, « 66% Favor Stronger Ties to U.S. », The National Post, 21 octobre 2002, p. 1).
4Stephen Clarkson, Uncle Sam and Us: Globalization, Neoconservatism and the Canadian State, University of Toronto Press et Woodrow Wilson Press, Toronto, 2002. Dans son argumentation devant le Comité comme dans son livre, Clarkson fait une critique acerbe de l’idéalisme des hypothèses intégrationnistes de ce genre.
5Voir Témoignages, séance no 77, Toronto, 7 mai 2002. Mme Goldfarb y fait référence au premier article de la série The Border Papers rédigé pour l’Institut par Wendy Dobson, article qui s’intitule « Shaping the Future of the North American Economic Space: A Framework for Action », no 162, avril 2002. Cet article a fait l’objet de critiques assez vives de la part d’autres témoins, dont M. Clarkson, entendu le même jour. Pour prendre connaissance d’autres argumentaires semblables sur les avantages d’une grande ouverture stratégique à l’égard des États-Unis, lire le témoignage de Michael Hart dans Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002; voir aussi Michael Hart et William Dymond, Common Borders, Shared Destinies: Canada, the United States and Deepening Integration, Centre de droit et de politique commerciale, Ottawa, 2001.
6Témoignages, réunion no 83, 10 mai 2002. Le professeur Rod Hill, de l’université du Nouveau-Brunswick, s’est prononcé contre l’intégration nord-américaine de façon tout aussi convaincante dans un plaidoyer économique nationaliste. Se reporter à ce sujet à Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002. Le lecteur trouvera d’autres arguments virulents contre l’intégration continentale dans Murray Dobbin, Zip Locking North America: Can Canada Survive Continental Integration?, écrit pour le Conseil des Canadiens, octobre 2002 (dont on peut trouver le texte à www.canadians.org), et Mel Hurtig, The Vanishing Country: Is It Too Late to Save Canada?, McClelland and Stewart, Toronto, 2002. (Le Conseil des Canadiens avait été invité à faire part de son avis au Comité, mais à la fin de juin, date limite pour présenter des mémoires, et à la prorogation de la législature, en septembre 2002, il ne l’avait toujours pas fait.)
7Allan Gotlieb, « Why not a grand bargain with the U.S.? », National Post, 11 septembre 2002, p. A16.
8Gordon Giffin, « Make it friendship — pure and simple », National Post, 11 septembre 2002, p. A16.
9M. Cohn affirme que les entreprises axent de plus en plus leurs décisions sur la vente de leurs produits à un consommateur nord-américain « médian »; il est par contre assez évident que la notion d’électeur nord-américain médian est absurde.
10Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002, et mémoire, Regionalization in a Neo-Liberal Era: Risks and Opportunities for Canada.
11Comme Daniel Cohn le dit : « Il est difficile de nous concevoir comme le poids lourd, mais comparativement au reste des États des Amériques qui traitent avec les États-Unis, nous le sommes. Ils peuvent bien être le gorille de 900 livres mais nous sommes le chimpanzé de 200 livres dans les Amériques. » (Témoignages, réunion no 78)
12Par « plus intégrées », nous entendons plus compatibles les unes avec les autres et mieux coordonnées, mais pas nécessairement harmonisées ou communes. L’économiste Daniel Schwanen, que nous avons entendu à Montréal, a soutenu que dans beaucoup de dossiers transfrontaliers importants pour les deux pays, il ne suffirait pas, ou il ne serait pas souhaitable, de n’avoir que des accords de reconnaissance mutuelle et des normes d’interopérabilité.
13Cf. Ronald Inglehart, Neil Nevitte et Miguel Basanez, The North American Trajectory: Cultural, Economic, and Political Ties among the United States, Canada and Mexico, Aldine de Gruyter, New York, 1966; John Herd Thompson et Stephen J. Randall, Canada and the United States: Ambivalent Allies, troisième édition, et en particulier le chapitre 11, « A North American Trajectory? 1994-2001 », McGill-Queen’s University Press, Montréal et Kingston, 2002; Fen Osler Hampson et Maureen Appel Molot, « Does the 49th Parallel Matter Any More? », dans Hampson et Molot (sous la dir. de), Canada Among Nations 2000: Vanishing Borders, Oxford University Press, Don Mills, 2000; Fen Hampson, Maureen Molot et Norman Hillmer, « The Return to Continentalism in Canadian Foreign Policy », dans Hampson, Hillmer et Molot (sous la dir. de), Canada Among Nations 2001: The Axworthy Legacy, Oxford University Press, Don Mills, 2001.
14Denis Michaud, « Du libre-échange à une intégration plus poussée : les acteurs étatiques canadiens et l’élaboration de politiques publiques impliquant un état étranger », Canadian Foreign Policy/La politique Étrangère du Canada, vol. 9, no 1, automne 2001, p. 29-42.
15Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
16Maureen Appel Molot et Norman Hillmer (sous la dir. de), préface à Canada Among Nations 2002: A Fading Power, Oxford University Press, Don Mills, 2002, p. xi. Voir aussi l’évaluation critique que le Conference Board du Canada fait des capacités et des options stratégiques du Canada sur les plans mondial et nord-américain dans un rapport récent intitulé Performance and Potential 2002-03, au chapitre 4, « Canada’s Place in the World in 2010: Will Canada matter? » (qu’on peut consulter à www.conferenceboard.ca).
17Christopher Sands, « Fading Power or Rising Power: 11 September and Lessons from the Section 110 Experience », Canada Among Nations 2002, p. 72.
18Mathews, September 11, One Year Later: A World of Change, Mémoire d’information stratégique de la Dotation Carnegie pour la paix internationale, édition spéciale, Washington, D.C., août 2002, p. 1.
19Ibid., p. 10. L’idée non contestée d’États-Unis capables d’exercer leur puissance à l’étranger comme bon leur semblerait et disposés à le faire transparaît dans une adresse livrée en avril 2002 par Richard Haas, directeur du personnel de planification stratégique du Département d’État. En effet, « Au cours du vingt-et-unième siècle, la politique étrangère américaine vise avant tout à intégrer d’autres pays et organismes dans le cadre d’arrangements propres à promouvoir l’avènement d’un monde compatible avec les intérêts et les valeurs des États-Unis afin, ainsi, d’instaurer autant que possible, la paix, la prospérité et la justice. » (Cité dans Christopher Sands, « Integration: Process, Condition, or Doctrine? », North American Integration Monitor, CSIS, Washington, D.C., vol. 1, no 1, juillet 2002, p. 1.)
20Ibid., p. 10 et passim. À l’opposé, le Canada accorde une grande importance à la puissance et aux politiques des États-Unis dans son évaluation de la situation internationale. À ce propos, voir l’Évaluation stratégique 2002 produite par la Direction de l’analyse stratégique du ministère de la Défense nationale du Canada (Ottawa, septembre 2002), qui tient compte de la nouvelle stratégie en matière de sécurité nationale que les Américains ont rendue publique le 20 septembre 2002.
21Thompson et Randall, Canada and the United States: Ambivalent Allies, 2002, p. 324-5. Au sujet du fait que les États-Unis ne font aucune exception pour le Canada ou n’éprouvent aucun intérêt particulier à l’égard de ses préoccupations, voir aussi Edelgard Mahant et Graeme Mount, Invisible and Inaudible in Washington: American Policies Toward Canada, UBC Press, Vancouver, 1999.
22Andrew Cohen, « Canadian-American Relations: Does Canada Matter in Washington? Does it Matter if Canada Doesn’t Matter? », dans Molot et Hillmer, Canada Among Nations 2002, p. 46-47.
23Témoignages, réunion no 59, 26 février 2002.
24Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
25Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
26Témoignages, réunion no 74, 2 mai 2002.
27Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.
28Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
29Témoignages, réunion no 62, 28 février 2002.
30Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002.
31Cité dans Hillmer et Molot, « The Diplomacy of Decline », p. 4.
32Robert Sheppard, « Hedging Our Bets », Maclean’s, 9 septembre 2002, p. 36-37. Le sondage a aussi révélé que la majorité des répondants (56 %) considéraient le Canada « indépendant des États-Unis » en matière de politique internationale et dans des domaines connexes comme l’économie, la sécurité et la culture. Toutefois, paradoxalement, alors que les répondants du Québec tenaient à ce que le Canada conserve sa souveraineté culturelle dans une proportion plus forte que la moyenne nationale, 36 % d’entre eux seulement croyaient le Canada indépendant des États-Unis dans ces domaines.
33Lettre demandant au Comité d’inviter son auteur à témoigner, 18 mars 2002.
34Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
35Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002. Selon une enquête nationale réalisée pour le Centre de recherche et d’information sur le Canada, en octobre 2002, sur ce que les Canadiens pensent des relations avec les États-Unis, l’éventualité que le Canada perde sa souveraineté dans l’Arctique les préoccupe assez. Voir Hubert Bauch, « A rising belief: the U.S. could swallow us up », Montreal Gazette, 26 octobre 2002.
36Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.
37Témoignages, réunion no 75, 6 mai 2002.
38Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
39Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
40Adrien Humphreys, « Canadians, Americans split on benefits of NAFTA », National Post, 7 septembre 2002. Dans ce sondage, effectué pour le journal et pour Global National, une proportion légèrement plus élevée de répondants canadiens ont jugé que les accords de libre-échange avec les États-Unis avaient « désavantagé » plutôt qu’« aidé » l’économie canadienne (48 % contre 46 %). D’un autre côté, un pourcentage encore plus important d’entre eux ignorait que les États-Unis comptaient pour plus de 80 % du commerce extérieur du Canada. 
41Témoignages, réunion no 58, 25 février 2002.
42Ibid.
43Ibid.
44Témoignages, rénion no 63, 28 février 2002.
45Ibid.
46Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
47Ibid.
48Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
49Témoignages, réunion no 89, 11 juin 2002.
50Ibid.
51Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
52Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
53Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
54Cité par Don Barry, Témoignages, réunion no 80, 8 mai 2002.
55« Notes en vue d’une présentation devant le CPAECI », 5 février 2002, et Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002. Thomas Courchene est d’avis que le 11 septembre a « fait éclater la bulle de l’invulnérabilité américaine » et il soutient que les États-Unis ont besoin de la coopération internationale pour améliorer leur propre sécurité. D’autre part, il affirme qu’ « il ne fait guère de doute que le Canada sera progressivement attiré dans l’orbite ou le périmètre de sécurité des États-Unis. Cela aura sûrement des conséquences pour les politiques canadiennes dans une vaste gamme de domaines dont, au moins, l’immigration, les réfugiés, les contrôles frontaliers, le contrôle des passeports, etc., mais également sans doute dans de nombreuses autres sphères ». (Courchene, Embedding Globalization: A Human Capital Perspective, Institut de recherche en politiques publiques, Montréal, Enjeux publics, vol. 3, no 4, mars 2002, « Postscript: September 11, 2001 », p. 46-47).
56Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
57Clarkson, « The Integration Assumption: Putting the Drive for Continental Visions in Context », mémoire du 7 mai 2002, p. 5. Peter Harder, sous-ministre d’Industrie Canada, témoignant à titre de président du projet des Liens nord-américains du gouvernement du Canada, a déclaré au Comité « qu’il est maintenant temps d’amorcer la discussion sur la politique publique », en citant Wendy Dobson, qui avait selon lui « exprimé une idée intéressante ». Pour elle, il est maintenant temps d’agir. Le Canada devrait prendre les devants avant que les États-Unis ne soient obligés de réagir. Les événements tragiques du 11 septembre ont ouvert un créneau dans lequel le Canada peut se permettre de « penser grand » et d’engager le dialogue avec les États-Unis. Elle croit que les démarches de faible envergure passent inaperçues dans le système politique américain. Selon elle, il est possible de conclure une entente stratégique. La souveraineté, ce n’est pas seulement ce que nous cédons, c’est aussi ce que nous gagnons ». (Témoignages, réunion no 90, 13 juin 2002.)
58Témoignages, réunion no 82, 9 mai 2002. Voir également Rolf Mirus, « After September 11: A Canada-U.S. Customs Union », Options politiques, novembre 2001, p. 50-52.
59Témoignages, réunion no 55, 2 février 2002.
60La même idée se retrouve chez certains organismes américains qui suivent le débat canadien sur les effets du 11 septembre concernant l’intégration économique nord-américaine. À ce sujet, voir Tom Jennings, « Closer Integration Between Canada and the United States? », International Economic Review, United States International Trade Commission, publication no 3527, mai/juin 2002, p. 7-10.
61Témoignages, réunion no 61, 27 février 2002.
62Témoignages, réunion no 63, 28 février 2002.
63Témoignages, réunion no 60, 26 février 2002.
64Ibid.
65Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002. M. Roussel a entre autres appuyé sa mise en garde sur l’appel lancé le 19 décembre par l’ambassadeur des États-Unis, Paul Cellucci, en faveur d’une coopération continentale en matière d’énergie, pour motifs de sécurité.
66Témoignages, réunion no 88, 6 juin 2002.
67Par exemple, l’enquête commandée par le Centre de recherche et d’information sur le Canada (CRIC) à la School of Urban and Public Affairs de l’University of Texas at Arlington, ou encore Publius: The Journal of Federalism, publié à Montréal le 20 juin 2002 (détails à l’adresse www.cric.org).
68Témoignages, réunion no 78, 7 mai 2002.
69Cette idée est également avancée dans un ouvrage récent de George Hoberg (sous la dir. de), Capacity for Choice: Canada in a New North America, University of Toronto Press, Toronto, 2001.
70Témoignages, réunion no 76, 6 mai 2002.
71En ce qui concerne la politique économique étrangère, un ex-ministre du commerce international, Roy MacLaren, a lancé l’avertissement suivant : « Les possibilités de mener avec succès des politiques différentes sur les plans de l’histoire, des traditions et des valeurs, sans parler de l’indépendance en matière monétaire et financière, sont faibles si nous ne diversifions pas les sources de notre affluence ». (« Wanted: EU trading partners », The Globe and Mail, 16 août 2002, p. A11). Une telle diversification ne peut pas simplement être dictée par les hautes instances, toutefois, car elle doit traduire les intérêts nationaux tels que perçus et traduits en action par les Canadiens, pour avoir la moindre chance de réussite. (Voir également Drew Fagan, « It’s time we faced facts: Canada’s focus must be on North America », The Globe and Mail, 16 août 2002, p. B8.)
72Témoignages, réunion no 64, 28 février 2002. Voir également Schwanen, « After September 11: Interoperability with the U.S., Not Convergence », Options politiques, novembre 2001, p. 46-49.
73Témoignages, réunion no 55, 5 février 2002.
74Clarkson, « Don’t give it away, Mr. Chrétien, protect it », The Globe and Mail, 9 août 2002, p. A11.
75Témoignages, réunion no 77, 7 mai 2002.