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FAIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 23 septembre 2003




Á 1105
V         Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.))
V         M. David Dewitt (professeur de sciences politiques, directeur, Centre for International and Security Studies, Université York)

Á 1110

Á 1115

Á 1120
V         Le président

Á 1125
V         M. Farhang Rajaee (professeur de sciences politiques et humaines, Université Carleton)

Á 1130

Á 1135

Á 1140
V         Le président
V         M. M.J. Akbar (à titre individuel)

Á 1145

Á 1150

Á 1155

 1200
V         Le président
V         M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne)
V         M. M.J. Akbar
V         M. Stockwell Day
V         M. M.J. Akbar

 1205
V         Le président
V         M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ)
V         Le président
V         M. Farhang Rajaee
V         Le président
V         M. Farhang Rajaee

 1210
V         M. Bernard Bigras
V         Le président
V         M. Farhang Rajaee
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.)

 1215
V         M. David Dewitt
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         M. David Dewitt

 1220
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD)
V         Le président
V         M. David Dewitt
V         Le président
V         M. David Dewitt

 1225
V         Le président
V         M. Farhang Rajaee
V         Le président
V         L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.)
V         Le président
V         M. M.J. Akbar
V         M. Farhang Rajaee

 1230
V         Le président
V         M. David Dewitt
V         Le président
V         M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne)
V         M. M.J. Akbar

 1235

 1240
V         La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau)
V         M. Farhang Rajaee
V         M. Keith Martin
V         M. Farhang Rajaee
V         Le président
V         M. Farhang Rajaee
V         Le président
V         M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.)
V         M. Farhang Rajaee

 1245
V         M. David Dewitt
V         M. Farhang Rajaee
V         Le président
V         M. Murray Calder
V         M. M.J. Akbar
V         Le président
V         M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.)

 1250
V         M. David Dewitt
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll

 1255
V         M. M.J. Akbar
V         Le président
V         M. David Dewitt
V         Le président

· 1300
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président
V         Mme Aileen Carroll
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président
V         Mme Alexa McDonough
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international


NUMÉRO 045 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 23 septembre 2003

[Enregistrement électronique]

Á  +(1105)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.)): Ordre du jour : conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, étude des relations avec les pays musulmans.

    Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin M. David Dewitt, professeur de sciences politiques et directeur du Centre d'études internationales et sécurité de l'Université York, M. Farhang Rajaee, professeur de sciences politiques et humaines de l'Université de Carleton et, à titre personnel, M. J. Akbar, journaliste, auteur et ancien député de l'Inde.

    Bienvenue à tous à notre comité. Nous sommes très heureux de vous accueillir.

    Je vais vous donner la parole, monsieur Dewitt, puis à M. Rajaee et à M. Akbar et vous aurez une dizaine de minutes pour faire votre exposé d'introduction, après quoi nous passerons aux questions des membres du comité.

+-

    M. David Dewitt (professeur de sciences politiques, directeur, Centre for International and Security Studies, Université York): Merci beaucoup, monsieur le président pour cette invitation. Je suis très heureux d'avoir cette occasion de vous rencontrer, et j'ai lu avec beaucoup d'intérêt les témoignages des témoins qui nous ont précédés ici ces derniers mois.

    Contrairement à ceux qui ont témoigné devant vous, et contrairement à mes collègues, je ne suis pas un expert sur la foi, l'histoire ou la sociologie de l'Islam ni des peuples musulmans. Je m'intéresse aux affaires internationales et c'est dans cette perspective que je ferais quelques remarques liminaires qui, je l'espère, pourront déboucher sur une discussion intéressante. Je ne répéterai donc pas ce qui a déjà été dit et j'espère aussi que je n'empiéterai pas sur les interventions de mes collègues qui sont des experts et ont une connaissance approfondie à la fois de la politique et de l'histoire de l'Islam et des Musulmans.

    Mes remarques seront organisées en trois volets : des remarques sur la politique islamique; l'Islam et la politique internationale; et les questions de politique canadienne. Naturellement, ce ne sont que des remarques d'introduction et j'espère que nous pourrons en discuter.

    Il y a beaucoup à dire ici, et presque tout ce que l'on peut dire est sujet à controverse et n'est pas très original, je crois. Je reconnais ma dette envers les nombreux érudits réputés qui se penchent sur ce domaine contesté et je vais donc me contenter de quelques brèves remarques initiales.

    Comme on vous l'a dit dans le précédent témoignage, l'Islam a été une force à la foi religieuse et politique—une force de changement, d'édification, d'oppression, d'expansion et de consolidation. En tant que politique à la fois religieuse et de pouvoir, il a une longue histoire faite de diversité. Je voudrais dire tout d'abord—et je pense que c'est important de le souligner dans le contexte de l'après 11 septembre—que l'Islam n'est pas l'ennemi.

    Il pourrait être utile d'examiner l'Islam en tant que foi et les Musulmans en tant que fidèles sous l'angle de l'espace et du lieu. En termes d'espace, comme vous le savez, l'Islam est présent dans le monde entier, de l'Arabie à l'Amérique en passant par l'Afrique et l'Asie. Pour ce qui est de son lieu, du point du vue politique, il y a dar el-Islam et dar el-harb : l'univers contrôlé par l'Islam et la partie des sociétés humaines situées à l'extérieur.

    Certains en conclueront que c'est l'expression d'un conflit perpétuel entre les deux. Mais on peut aussi transposer cet espace et ce lieu dans un sens plus moderne en parlant de nationalisme et d'état. Tout au long de leur histoire les peuples musulmans ont pratiqué non seulement la conversion et la guerre, mais aussi le commerce et la diplomatie, et des peuples de confession islamique se sont établis dans des collectivités indigènes sur lesquelles ils ont une influence. Nous avons maintenant des pays, des états même qui s'identifient comme Musulmans ou qui reconnaissent la présence de collectivités musulmanes importantes. L'expression politique de l'Islam dans une société à domination musulmane peut prendre diverses formes, comme on le voit en Iran, en Arabie saoudite, en Égypte, en Syrie, en Turquie, au Pakistan, en Malaisie, en Indonésie, au Bangladesh, en Bosnie, au Soudan, en Algérie ou au Nigéria. Il y a une tension entre l'idéologie de l'édification de l'état et la consolidation nationale et l'impact de l'Islam en tant que religion de la majorité.

    De même, dans d'autres pays, il y a une tension, même si ce n'est pas un obstacle, entre l'existence de peuples musulmans et leur présence à titre de minorité—par exemple, en France, en Grande-Bretagne, au Canada, en Chine, en Russie, aux Philippines ou en Inde—et le projet politique de ces pays dans leur effort pour faire avancer les priorités de l'état et faire progresser l'identité nationale dans un contexte multiculturel.

    Ce qui est plus compliqué encore, c'est que dans les pays à domination musulmane il y a des schismes importants au sein de l'Islam auxquels se superposent des facteurs ethniques ou identitaires, par exemple en Syrie ou au Liban, en Turquie ou en Irak, le lieu est différent de l'espace. Dans le lieu, contrairement à l'espace, il y a la mémoire—un lien explicite entre l'histoire séminale et l'identité qui accompagne le fait d'être un individu de foi musulmane et la situation physique de ces personnes, tout particulièrement, mais pas seulement dans le cas de la Mecque, Médine et Jérusalem. Mais le lieu a aussi son importance au sein des schismes de l'Islam, qu'il s'agisse de différences à l'intérieur de l'Islam, comme on le voit surtout dans la division entre Chiites et Sunnites, ou du facteur connexe de l'ethnicité, comme on le voit chez les Kurdes, les Turcs, les Afghans, les Ibos, les Javanais ou les gens de Mindinao.

    Il y a aussi les conflits qui se développent autour du lieu quand des sociétés musulmanes importantes, par exemple en Inde ou en Indonésie, coexistent avec d'autres sociétés profondément ancrées dans une foi et quand ces sociétés entrent en conflit en raison des aspects politiques et économiques de leur identité. L'exemple le plus dramatique est peut-être celui d'Israël où le lieu et l'histoire se font contrepoids, et où la lutte a pris une expression ethno-nationalo-religieuse.

    Je signale au passage que je ne suis pas un expert en foi et en politique fondée sur la foi, mais que mon expérience n'est pas limitée à la recherche car elle englobe aussi divers efforts diplomatiques «secondaires» à la fois dans le contexte israélo-palestinien et dans certains aspects de la situation en Asie du sud-est, du sud et du nord-est.

Á  +-(1110)  

    Le point crucial ici, c'est qu'il est relativement facile de s'occuper de l'espace politiquement, mais pas du lieu.

    Le lieu est un des facteurs qui ont contribué à la tragédie de Jérusalem, au conflit des Kurdes, à l'hostilité entre Shiites et Sunnites dans le golfe. Le lieu mêle dans le conflit l'identité religieuse, le fanatisme et l'attachement à un emplacement géographique. Il encourage la mobilisation en termes religieux autour de situations matérielles et aboutit par conséquent à une expression politique.

    Il y aurait beaucoup plus à dire là-dessus. Pour l'instant, je concluerai cette partie de mon intervention par une remarque. Pour comprendre l'Islam et plus particulièrement ses implications politiques, il faut avoir une parfaite connaissance des situations locales. Comme dans le cas de la plupart des fois et des forces sociales, le contexte joue un rôle déterminant. En d'autres termes, et ceci plaira aux politiciens présents dans cette salle, la politique est locale, même si dans ce cas elle est compliquée par la capacité de mobilisation transnationale de la foi et de la communauté islamique.

    Je passe maintenant à l'islamisme et à la politique de confrontation et de coopération. Permettez-moi de citer mon collègue et ami de l'Université Stanford, Don Emmerson, un expert de grande renommée sur l'Asie du sud-est et l'Islam, quelqu'un que je vous recommande vivement de rencontrer si vous en avez l'occasion. Voici ce qu'il dit :

L'islamisme est l'expression, par la rhétorique, les symboles ou l'action, d'un désir de construire un état islamique, de défendre et de développer la communauté islamique, d'élargir cette communauté ou d'approfondir sa foi islamique, ou d'affirmer l'identité islamique de son propre groupe ou de soi-même. Le sens de «islamique» dans chacun de ces contextes qui se chevauchent est plus ou moins subjectif et contesté.

    Pour comprendre l'islamisme en général, nous devons l'aborder au niveau du particulier, du local. Bien qu'il soit tentant de le traiter comme un phénomène unique, les figures et les mouvements de l'islamisme diffèrent considérablement et tout particulièrement dans la mesure où ils privilégient l'une ou l'autre des préoccupations qui viennent d'être mentionnées : un projet d'État, une défense communautaire, une mission sociale ou une identification distinctive. Toutes ces manifestations ne sont pas nécessairement conflictuelles, violentes ou hostiles, bien que cette possibilité existe dans chaque cas. Nous pouvons donc soit affronter les intérêts de l'Islam, soit chercher des formes de coopération.

    Je dirais que les choix que nous faisons en tant que Canadiens nous sont dans une certaine mesure imposés. Dans certains cas—quand par exemple l'islamisme s'exprime par la violence et l'extrémisme politique, comme dans le cas des Talibans—je pense que notre liberté de choix est considérablement limitée. Ou nous choisissons la confrontation, ou nous fermons les yeux—dans ce dernier cas à nos risques.

    En revanche, par exemple, la politique du premier ministre actuel de la Malaisie, Mahathir Mohamad, nous laisse une certaine latitude. Certains aspects de sa politique et de ses politiques sont répugnants, par exemple la publicité qu'il continue à donner aux sinistres protocoles des aînés de Zion, ou l'utilisation des identités et des relations islamiques au profit d'intérêts sectoriels étroits. En revanche, d'autres aspects de son gouvernement sont dignes d'admiration, notamment sur le plan du développement national, de l'éducation et du progrès des droits des femmes.

    Puisque je parle de Malaisie, je vous signale que dans quelques semaines, l'Organisation de la conférence islamique tiendra la deuxième rencontre de son histoire, pour la deuxième fois à Kuala Lumpur. C'est seulement la deuxième fois qu'elle se réunira en Asie, en dépit du fait que les pays asiatiques—l'Indonésie, la Chine, l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh—regroupent les plus fortes populations musulmanes du monde. Cela devrait nous en dire long sur la cohérence et la convergence des intérêts au sein de la communauté islamique. Ces intérêts sont liés à des questions et à des contextes particuliers et d'ordre essentiellement politique, au profit des puissants.

    L'Organisation de la conférence islamique, la Ligue arabe, l'OPEC, l'Aopep, l'Union africaine, sont toutes des organisations qui donnent sous une forme ou sous une autre, expression économique et politique à des peuples et à des pays musulmans. Cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas représentatives ou démocratiques ou efficaces, que c'est une question empirique au cas par cas. Cela montre plutôt qu'il existe des forces internationales qui émergent en partie ou entièrement de certaines régions du monde musulman et qui peuvent constituer des possibilités d'avoir une influence, de coopérer et au besoin de s'opposer.

    J'ajoute aussi que l'OTAN, l'OSCE, et naturellement les Nations Unies, comptent parmi leurs membres des pays à majorité ou à forte minorité musulmane. Il est donc important de reconnaître que nous devons tous mieux comprendre comment la foi islamique et les peuples qui s'identifient comme musulmans, quelle que soit leur complexité, influent sur la politique des États et des organisations inter États.

    Nous devons en outre devenir plus conscients de l'émergence de ce que certains appellent la société civile au sein des collectivités et des pays musulmans. Ces sociétés peuvent être libérales et réformistes ou conservatrices et réactionnaires. Elles peuvent être dominées par les forces islamistes. Elles représentent des forces sociales, économiques et politiques aussi divergentes que leur pays et leur contexte. Les regrouper sous l'étiquette de Taliban, de Hamas, de Jihad Islamique ou de Jamaat Islamia, c'est une erreur aussi grossière que de considérer que toutes les mosquées et tous les imams sont sous l'influence des Wahhabi.

Á  +-(1115)  

    Cela dit, nous ne devons pas non plus être excessivement romantiques ou naïfs et faire comme s'il n'existait pas de forces extrémistes au sein des pays musulmans et dans l'ensemble du monde musulman, influencées et appuyées directement par des institutions islamiques ou indirectement par des groupes et des gouvernements. Ceci vaut aussi pour les institutions au Canada, les écoles islamiques et les mosquées, comme ailleurs.

    J'en viens rapidement à la dernière partie de mon exposé, la politique canadienne à l'égard des pays musulmans. Comme je l'ai déjà dit ailleurs, le Canada pratique un mélange de ce que j'appellerais le bilatéralisme affirmatif et le multilatéralisme activiste. L'un ne remplace pas l'autre, ils sont plutôt complémentaires dans notre politique étrangère. Il en va de même dans nos relations avec les pays qui proclament une identité islamique comme pour les États laïques qui ont un éventail de préférences idéologiques et de communautés confessionnelles, y compris des minorités musulmanes. Ce que je veux dire, c'est qu'il existe des normes canadiennes—normatives, éthiques, morales, juridiques et pragmatiques—qui façonnent ou devraient façonner toutes nos relations diplomatiques dans les secteurs politiques, économiques et de la sécurité.

    Depuis la fin de la guerre froide, le gouvernement canadien a exprimé une série de préférences et pris un certain nombre d'engagements. À notre avis, nous n'avons plus à être limités par au moins quelques-unes des contraintes traditionnelles de ce système westphalien. Je parle en particulier du besoin, lorsque cela nous paraît justifié par nos valeurs, nos normes et nos intérêts, de contester un gouvernement que nous jugeons inacceptable de la part de gouvernements, de régimes, d'organisations et d'individus. Ceci est exprimé de diverses manières au Canada et par les dirigeants canadiens, et tout particulièrement par le fait que nous sommes signataires de la Convention sur les droits de l'homme et les principes sous-jacents à la notion de sécurité humaine et les principes sur lesquels s'appuient la notion fondamentale de responsabilités de protection qui ont émané de la Commission internationale sur l'intervention et la souveraineté des États parrainés par le Canada. Je ne vais pas entrer ici dans ces détails. Je me contenterai de souligner que nous devons, par le biais de nos engagements aussi bien bilatéraux que multilatéraux, être prêts à être aussi systématiques que les conditions et le contexte locaux nous le permettent, ce qui peut signifier dans certains cas que nous n'acceptons pas la politique de l'autre.

    Qu'est-ce que cela signifie pour nos relations avec les pays musulmans? Quand les abus perpétrés à l'égard des droits humains sont systémiques et généralisés, cela devrait suggérer une remise en question de la normalité de nos relations. Lorsque des occasions d'aider les peuples de ces pays à faire avancer un programme réformiste axé sur une politique démocratique se présente, nous devons être prêts à investir à divers niveaux. Je vous recommande le livre de Noah Feldman sur le Jihad et la démocratie qui est une bonne source d'inspiration. Il peut s'agir de réforme du secteur de la sécurité, de libéralisation des échanges commerciaux, d'enseignement ou en particulier de création de capacités des institutions civiques de ces pays. Cela devrait être l'expression de notre intérêt pour le bon gouvernement, la transparence et le recul de la violence, des choses qui figuraient naguère au programme de l'ACDI.

    Quand un parti islamique reçoit les suffrages pour former un gouvernement, il faut réfléchir soigneusement aux répercussions qu'a le refus d'appuyer cet effort, sans parler des conséquences imprévues de l'appui qu'on apporte à sa négation. Songez à l'Algérie il y a plus de dix ans. Le bilan s'élève maintenant à quelques 150 000 morts, et la démocratie y est pratiquement inexistante. Comme l'écrivait Don Emmerson : «On peut difficilement imaginer pire résultat».

    Il ne faut pas partir du principe qu'un gouvernement islamiste élu imposera un état islamique sur le modèle des Talibans. N'oubliez pas que personne n'a élu les Talibans. L'Islam et les symboles musulmans ont une résonnance politique, et il est absurde de vouloir le nier. Il faut respecter et comprendre cette réalité. La politique de l'Indonésie d'après Suharto est un témoignage supplémentaire. Nous devons donc appuyer les efforts de démocratisation. Mais, dans l'intérêt du Canada et des Canadiens et de l'intégrité de notre gouvernement, nous devons être prêts à parler clairement et à agir en conséquence dans des situations délicates.

    Je vais conclure.

    De nombreux régimes du monde islamique posent des problèmes. Les qualificatifs d'autoritaire, d'interventionniste, de restrictif, d'opaque, d'arbitraire et de fausseté sont très forts, mais s'appliquent pourtant à trop de ces régimes. Ils ne sont ni démocratiquement élus, ni démocratiques dans leurs actions. Les interdits ou les abus les plus flagrants concernent souvent les droits humains des individus et des collectivités. Ce ne sont pas nécessairement des indices d'un gouvernement islamique ou islamiste, mais c'est un constat que l'on fait dans les pays islamiques comme on a pu le faire dans des pays non islamiques. Mais ce n'est pas parce qu'on les trouve dans des pays islamiques qu'on ne doit pas oser les affronter comme il se doit.

Á  +-(1120)  

    Permettez-moi maintenant de modérer ces déclarations emphatiques. En tant que Canadien, je suis profondément conscient de l'importance qu'il y a à garder ouvert les canaux de communication, à communiquer plutôt qu'à isoler, à poursuivre progressivement les efforts pour établir les fondements d'un changement encore plus grand, de travailler à l'éducation et à la socialisation et finalement de faciliter le désir interne de changement. Ce sont des valeurs et des idéaux libéraux qui nous sont chers.

    On éduque pour le progrès et l'éducation prend des formes diverses et s'appuie sur des instruments divers. En Asie, on pourra parler d'engagement constructif, alors que l'ANASE s'en sert pour expliquer ses relations avec la Birmanie, ou encore nous ou d'autres pays occidentaux nous en servons lorsque nous discutons notre présence croissante auprès de la Chine, dans les deux cas en dépit de sérieuses préoccupations concernant leurs affaires intérieures respectives.

    Je répète donc ce que je disais précédemment. Il faut évaluer chaque cas en fonction de ses mérites. Il faut comprendre le contexte, évaluer les options et les conséquences. Le Canada a un éventail complet de relations avec les pays musulmans ou à forte minorité musulmane. Dans le domaine commercial, la Chine et l'Inde occupent une place importante, et aussi peut-être le Nigéria et les états du golfe, compte tenu des questions énergétiques, et sur le plan de la politique de la sécurité, on parle surtout de la Russie et de la Chine, de l'Inde et du Pakistan, de l'Iraq et de l'Iran, ainsi que d'Israël et la plupart des états arabes, compte tenu du problème des armes de destruction massive et de leur prolifération.

    En matière de politique intérieure d'immigration, la Chine et l'Asie du sud et du sud-est, ainsi que la Corne de l'Afrique, l'Afrique centrale et l'Afrique de l'ouest et aussi le Liban, occupent une place importante dans les préoccupations intérieures du Canada. Pour ce qui est de la politique d'ensemble, de nos relations bilatérales et multilatérales au plan intérieur et international, la situation Israélo- Palestino-arabe demeure une préoccupation à tous les paliers du gouvernement du Canada.

    Que pouvons-nous faire de plus ou d'autre? Il faut renforcer nos engagements en matière de sécurité humaine, d'établissement de la paix et d'intervention humanitaire, mais nous ne pouvons le faire sans un lien clair avec notre politique en matière de sécurité internationale, notre politique de développement et notre politique de défense. Je soutiens que nous devons reconsidérer nos capacités, notamment en matière de défense et à l'égard de l'ACDI et de nos politiques de développement. Il faut renforcer et réorienter les capacités de ces trois secteurs. Si nous ne pouvons pas tout faire, il faut choisir quoi, quand, où et comment nous souhaitons investir nos ressources limitées en les exploitant au mieux, et poursuivre une diplomatie secondaire dans ce domaine lorsque nous pouvons apporter quelque chose.

    Enfin, je dirais que la neutralité n'est pas une attitude honorable ni nécessaire. Nous devons prendre position et cette position doit être le reflet de nos valeurs.

    Je n'ai pas du tout parlé du problème de nos relations avec nos alliés ou les États-Unis. Notre attitude face à la politique américaine auprès du monde musulman est d'une importance vitale, pas seulement pour nous mais aussi pour nos amis musulmans, car nous avons une relation spéciale avec les États-Unis et nous avons le devoir de réfléchir soigneusement aux répercussions de nos relations avec les Américains sur nos relations avec ces pays islamiques et à minorité musulmane.

    Merci, monsieur le président.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Dewitt.

    Je vous précise ainsi qu'à nos témoins, que le comité va voyager, probablement, en octobre. Il va se diviser en trois groupes. Deux d'entre eux iront au Moyen Orient et le troisième ira en Inde, au Pakistan, en Malaysie et en Indonésie.

    Nous allons passer à M. Rajaee.Je remercie M. Rajaee d'avoir communiqué son mémoire au comité à l'avance, ce qui nous a permis de le faire traduire.

    Merci, monsieur Rajaee.

Á  +-(1125)  

+-

    M. Farhang Rajaee (professeur de sciences politiques et humaines, Université Carleton): Je vous remercie.

    Bonjour, mesdames et messieurs.

    J'ai remis au comité un document assez long que j'ai rédigé où je tâche de mettre par écrit notre relation avec le monde musulman en général, dans la situation actuelle. Je tâcherai de le résumer de mon mieux.

    Lorsque j'ai été invité à comparaître devant vous, je songeais à certains aspects généraux et quotidiens, aux questions pratiques auxquelles fait face le Canada dans ses rapports avec le monde musulman. J'ai songé qu'il faudrait peut-être que j'aborde une longue liste de ces questions. Cependant, après avoir reçu le document préparé par la Direction de la recherche parlementaire, j'ai décidé d'adopter une perspective plus générale.

    J'ai décidé d'agir ainsi parce que j'ai remarqué que le document présuppose l'existence d'une opposition binaire du choc des civilisations et de la façon dont l'Amérique voit le monde. J'ai fait mes études aux États-Unis où j'ai d'ailleurs passé de très bons moments dans ma jeunesse, mais cela n'a rien à voir avec l'exposé que je vais vous faire aujourd'hui.

    La présupposition que fait le document et la notion de choc des civilisations sont tout à fait éloignées du monde où j'ai décidé de m'établir. Je suis un nouveau Canadien et fier de l'être. Et la raison pour laquelle j'ai choisi ce pays c'est qu'il voit le monde et fonctionne dans le monde selon les principes de la paix, de l'ordre public et de bon gouvernement, et bien sûr en raison de la situation actuelle du village global et du multiculturalisme. En fonction des convictions et des décisions que je viens d'énoncer, je tâcherai de répondre à trois questions pour vous.

    Premièrement, les événements du 11 septembre ont-ils changé le monde au point où nous devons tenir aujourd'hui une telle réunion et déployer de tels efforts pour aller voir ce qui passe ailleurs? Deuxièmement, quels sont les défis qui se posent à nous compte tenu de la situation du monde à l'heure actuelle? Et troisièmement, dans quelle direction faut-il s'orienter maintenant?

    Les événements du 11 septembre ont-ils changé le monde? Il s'agit d'une terrible tragédie. Que Dieu bénisse ces victimes innocentes et punisse ces personnes malavisées qui ont fait de la religion leur idéologie de la terreur. Cela dit, je ne crois pas que les événements du 11 septembre ont changé le monde. Les événements du 11 septembre ont toutefois changé le monde pour ceux que Joel Beinin, professeur d'histoire au Michigan, appelle les analystes du terrorisme, qui considèrent la civilisation comme un monde manichéen divisé entre ennemi et ami et le pouvoir comme la panacée.

    Pour bien des gens, moi y compris, les événements du 11 septembre ont eu un effet très important. Les événements du 11 septembre ont suscité une prise de conscience très importante. Mais une prise de conscience concernant quoi? J'en aborderai deux aspects. Il existe de très nombreux aspects qui pourraient être abordés.

    Tout d'abord, ils nous ont fait prendre conscience du fait que le monde est réellement devenu un village global. On disait à une époque que la terre était plate. Par la suite on a établi qu'elle était ronde. Aujourd'hui, il est devenu une vaste toile où la vie de chacun est influencée par celle des autres.

    Je suis tout à fait conscient que cette grande toile qu'est devenu le monde, que j'appelle le monde d'une civilisation et de nombreuses cultures, représente une civilisation, à savoir que nous faisons tous partie d'un monde technique, d'un monde d'information. Même les terroristes utilisent la technologie de l'information. Nous avons appris hier comment les attentats avaient été planifiés sur Internet et ainsi de suite. Il s'agit d'une civilisation, c'est-à-dire une civilisation de la technologie et de l'information mais qui comporte un aspect très positif, à savoir que c'est un monde de nombreuses cultures. Grâce aux efforts de remarquables groupes d'émancipation comme les féministes, comme le Mouvement de libération de la femme, comme la pensée post-moderne, nous reconnaissons que nous vivons dans un monde où il existe de nombreuses cultures.

    C'est donc un monde d'une civilisation et de nombreuses cultures. Parallèlement, je suis tout à fait conscient, pour reprendre l'expression anglaise utilisée par James Rosenau, qu'il s'agit un monde de «fragmegration», c'est-à-dire un monde à la fois fragmenté et intégré. Il s'agit d'un monde qui est simultanément fragmenté et intégré. C'est une notion qui peut être difficile à saisir parfois.

Á  +-(1130)  

    C'est la première chose dont on a pris conscience à la suite des attentats du 11 septembre.

    La deuxième chose dont on a pris conscience, c'est que soudain il s'agissait des gens qui appartenaient au centre même du monde musulman. Je le répète, le centre du monde musulman est hanté par les déplorables conceptions de l'islamisme.

    Si l'on examine le monde musulman en général, on peut y constater de remarquables craintes culturelles, de l'Asie du sud-est jusqu'au monde postsoviétique, au monde de l'Afrique méditerranéenne et même au monde de la diaspora. Mais il y a ensuite le coeur du monde musulman, le sous-continent—c'est-à-dire le Pakistan, l'Afghanistan, l'Inde, l'Iran et le monde arabe. Pourquoi ces pays qui forment le centre du monde musulman sont-ils importants? Il ne faut pas oublier que c'est là où le monde musulman était à l'avant-garde de la civilisation, de la production, en plein essor et au faîte de sa puissance auparavant—à l'époque du monde Ottoman, du monde Safavide et à l'époque des Moghols. Le reste du monde musulman se composait plus ou moins de minorités. Ces gens savaient comment se comporter en minorité; ils savaient comment vivre dans un monde où ils étaient minoritaires. Mais c'est le centre du monde musulman qui s'est trouvé à affronter cet incroyable bouleversement qu' était le modernisme ou l'impérialisme.

    La deuxième chose dont on s'est rendu compte après les événements du 11 septembre, c'est que le coeur du monde musulman est hanté par l'idéologie de l'islamisme. Le danger de cette idéologie se résume comme suit «la fin justifie les moyens». Malheureusement, toute approche idéologique pour comprendre la politique résulte dans cette formule, à savoir que la fin justifie les moyens. C'est un principe répandu parmi les islamistes.

    Si tel est le cas, si nous nous rendons compte que le monde dans lequel nous vivons est un monde où existe une civilisation et de nombreuses cultures à un niveau, et un monde confronté à ce phénomène de l'islamiste à un autre niveau, comment pouvons-nous y faire face? Comment abordons-nous cette situation? Comment réglons-nous les difficultés que nous présente ce phénomène? Bien sûr, la manifestation concrète de cette idéologie est le terrorisme, mais comment devons-nous y faire face?

    Je vous donnerai deux exemples. Le premier est celui d'un chirurgien ou d'un intervenant en matière de santé. La deuxième image est celle de l'exécuteur ou du jardinier. Malheureusement, les spécialistes du terrorisme nous disent qu'il faut soit être un chirurgien, soit être un exécuteur, qu'il faut trouver les terroristes, s'en débarrasser et les éliminer. L'intervenant en matière de soins de santé ou le jardinier vous disent qu'ils ne sont pas opposés à ce qu'on se débarrasse des mauvaises herbes. Aucun jardinier ne tolère les mauvaises herbes et aucun intervenant en santé ne tolère les microbes. Mais pour les éliminer, il faut comprendre d'où ils proviennent. En quoi consiste le phénomène? Il ne s'agit pas de le justifier ni de l'excuser, mais de tâcher de la comprendre pour s'en débarrasser.

    Donc la deuxième démarche, celle adoptée par le jardinier ou l'intervenant en santé consiste à se demander d'où provient le terrorisme. Nous avons été amenés à constater un autre phénomène intéressant : le fait que la plupart des auteurs de ces actes terroristes proviennent de la classe moyenne. Cela va à l'encontre de toute théorie sociologique. Tous les sociologues, depuis Aristote jusqu'aux sociologues contemporains, nous ont dit que la classe moyenne est le pivot de la société modérée, de la démocratie. En fait, Ralph Dahrendorf est devenu célèbre en avançant l'idée selon laquelle la classe moyenne est le pivot des sociétés industrielles occidentales et du système démocratique. Soudain, on a affaire à tous ces coupables qui appartiennent à la classe moyenne. C'est un signe de quelque chose. Cela doit vouloir dire quelque chose. Nous devrions être plus prudents et éviter de faire des généralisations.

    Donc, selon la méthode adoptée par le thérapeute, l'intervenant en santé ou le jardinier, il s'agit d'essayer de comprendre le phénomène du terrorisme.

Á  +-(1135)  

    J'ai dit dans le document que je vous ai remis que le terrorisme était le résultat d'un triangle, un triangle d'injustice ou de perception d'injustice. Ce n'est qu'un angle de la question. Le deuxième c'est de se prendre en main en se disant : je peux faire quelque chose face à cette injustice, je peux réagir à ce problème auquel je suis confronté.

    Troisièmement, ce qui est plus important, il doit y avoir une idéologie qui justifie mon action. Elle doit avoir un sens. Je suis musulman et je respecte le verset du Coran qui dit que si tu essayes de me tuer, je ne te tuerai pas car je ne peux pas en répondre devant Dieu. C'est une façon de voir le Coran. Évidemment, il y a des versets du Coran qui peuvent aussi vous servir à justifier ce que vous faites.

    Il y a donc trois choses : l'injustice ou le sentiment d'injustice, la prise en main et l'idéologie de la terreur.

    Je vous ai expliqué que près d'un siècle d'injustice dans le monde musulman a suscité une sorte de sentiment d'injustice. Il faut rectifier cela. Il faut prendre Bin Laden au mot quand il dit que nous y goûtons depuis à peu près 80 ans. À peu près 80 ans, cela nous fait remonter à la Deuxième guerre mondiale et à la Première guerre mondiale et au développement qui a suivi cette guerre, et cela nous renvoie à certaines choses évoquées par le professeur Dewitt : des gouvernements irresponsables qui ne rendaient pas de comptes et s'appuyaient sur la répression. Et je peux vous assurer que beaucoup de ces gens attribuent cela à l'Occident. Toute le monde en parle, mais la plupart de tout cela n'est pas de l'histoire ancienne. Il y a donc ce sentiment d'injustice.

    En second lieu, il y a la prise en main, une émancipation qui a été permise par les écoles de l'après-guerre mondiale, les universités, l'argent du pétrole et la mondialisation. La mondialisation est extrêmement importante. Quelles que soient les critiques qu'on peut formuler à son égard, il reste qu'elle apporte un pouvoir à tous sans discrimination et qu'elle a apporté un pouvoir à beaucoup de gens.

    Enfin, l'idéologie de la terreur ne date pas d'aujourd'hui ni d'hier, mais remonte aux années 60 avec des gens, comme Sayyid Qutb, Abd Faraj etc. etc. Pourquoi Abdel Nasser a-t-il fait exécuter Sayyid Qutb? Parce qu'il avait établi le monde du «nous» et du «eux», le monde de la terreur.

    Ces trois éléments se sont donc combinés, et malheureusement l'islamisme y a apposé le sceau final. Le sentiment d'injustice, la prise en main, et l'idéologie de la terreur se sont combinés et sont prévalents—je le répète, ils sont courants—au coeur du monde musulman. Ils sont courants en Égypte, chez les Palestiniens et malheureusement chez les Iraniens, etc.

    La troisième question est de savoir ce que nous pouvons faire au Canada. Comment aborder cette situation? Avant tout, il faut envisager le monde sous l'angle de notre propre intérêt.

    Disons, pour les besoins de notre argumentation, que The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, si vous l'avez lu soigneusement, a été écrit du point de vue de l'intérêt national américain. Il s'agit de Samuel Huntington et de ses écrits subséquents, naturellement. Ce n'est pas la théorie des relations internationales, c'est la théorie de l'avenir de la position américaine dans le monde. Nous devons considérer le monde à travers notre propre prisme, en fonction de nos idéaux et de nos objectifs pratiques à long terme : le multilatéralisme, le multiculturalisme, les droits de la personne—et, je le répète, la paix, l'ordre public et le bon gouvernement. C'est d'ailleurs cette formule qui m'a incité, au départ, à demander à venir au Canada.

    Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, je suis Canadien de fraîche date, je ne suis ici que depuis sept ans.

    Nous devons donc définir exactement en quoi consiste notre intérêt national face aux pays X ou Y—et là encore, le professeur Dewitt a fait un excellent exposé en précisant individuellement tous les contextes. Deuxièmement, naturellement, en tant que citoyen dans le contexte de la mondialisation, que pouvons-nous faire?

    Il faut tout d'abord contre-attaquer les informations fausses, comme cela a été le cas lors de l'attaque contre l'Irak. Nous découvrons maintenant ce qu'il en était en réalité.

    Deuxièmement, il faut affaiblir ou détruire le triangle du terrorisme dont je vous ai parlé. Si nous pouvons lui ôter sa légitimité ou en rectifier certains aspects, l'islamisme automatiquement va perdre de son attrait.

    Troisièmement, il faut confirmer l'importance de l'ONU. C'est avec un plaisir sans nom que j'ai constaté que l'essai de M. Richard Perle «Thank God for the death of the UN» s'était finalement soldé pour lui par un échec ignominieux, et je suis ravi qu'il ait disparu de la scène.

    Enfin, il faut encourager les sociétés civiles et l'aide étrangère.

Á  +-(1140)  

    Quand on m'a demandé de témoigner devant vous, certains m'ont dit que les membres du comité pourraient avoir des questions concernant l'Iran. Je serai ravi d'y répondre directement durant la période de questions. Je pense avoir presque dépassé le temps qui m'était alloué. Aussi, vais-je m'arrêter.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Nous avons gardé M. Akbar pour la fin. Je vous ai indiqué au début que M. Akbar est journaliste en Inde et qu'il connaît le fonctionnement du Parlement, étant lui-même un ancien député.

    Nous sommes très chanceux de vous avoir parmi nous ici à Ottawa en tant que témoin.

    Ce n'est pas tous les jours qu'un secrétaire d'État vient assister à nos délibérations. Nous souhaitons aussi la bienvenue à M. Kilgour.

    Monsieur Akbar.

+-

    M. M.J. Akbar (à titre individuel): Merci beaucoup, monsieur le président, pour vos commentaires.

    En tant que député, je n'avais pas atteint le rang de ministre moi-même, et c'est pourquoi je comprends que ce soit un privilège d'avoir un ministre dans la salle quand un comité parlementaire siège.

    Je voudrais partir d'un point de vue très pratique. J'espère que vous vous rendez compte de toute l'estime dont jouit votre pays grâce à sa décision de ne pas envoyer de troupes en Irak. Cela vous donne une occasion inouïe de jeter un pont entre l'occident et le monde musulman, un pont qui, je le crains, est très chancelant à l'heure actuelle. Ce pont repose sur différents piliers, le principal étant peut-être la langue. C'est un pont qui exige que les deux parties comprennent le sens des mots qui ont une forte charge émotive, qui sont très importants et décisifs dans leurs esprits. Je pense que vous allez voir certains éléments de ce pont durant votre périple.

    Je dois faire une petite mise en garde. Une des premières choses que vous allez entendre pratiquement sans cesse en parlant des Musulmans, c'est que l'Islam est une religion pacifique, qu' Islam signifie paix. C'est tout à fait vrai. Salaam signifie Islam, qui signifie paix. Aucune religion ne prône la violence. Mais je vous prie de vous rappeler d'une chose : c'est une réaction défensive. Si l'Islam ne signifiait que la paix et qu'il ne tolérerait pas la guerre, je ne crois pas que nous serions ici en train d'en discuter.

    Je présume que personne ne soutient que la guerre est quelque chose de mal en soit, en tout cas pas après les deux dernières années, quand on sait que l'Amérique a lancé deux guerres au nom de l'humanité, du bien supérieur de l'être humain, d'un idéal supérieur et toutes les belles choses que Paul Wilfowitz a oublié de mentionner quand il nous a dit la vérité il y a quelques semaines.

    Je le signale en passant pour insister sur le fait que l'Islam est une religion qui a créé une dialectique de guerre dès son avènement. Vu sous cet angle, c'est une religion très différente. Les motifs de cette guerre qu'on appelle le jihad... qui est reconnu, et c'est un mot qui a été diabolisé—et c'est là un des principaux problèmes. Le terme a été diabolisé parce qu'il est mal compris.

    La terminologie et le concept même du jihad remontent à l'époque du Prophète et font partie du texte révélé de l'Islam. Il ne s'agit pas simplement de l'expérience et du comportement du Prophète.

    Cette dialectique de guerre a été déterminée en partie par l'expérience même du Prophète du fait de la persécution qu'il avait subie. Il y a une différence fondamentale entre l'attitude de Jésus envers la persécution et celle du prophète Mohammed. Jésus est autant un prophète pour les Musulmans que pour les Chrétiens. Si la réaction de Jésus face à la persécution était le martyr, celle de Mohammed, qui n'était pas seulement en train d'édifier une religion mais un État aussi, a accepté d'être persécuté pendant une longue période, même qu'il a choisi l'exode à Médine. Mais à un moment donné, le Prophète a aussi levé l'épée.

    Cela étant, je voudrais insister sur le fait que le jihad n'est pas simple, pas plus qu'il n'est irresponsable. Il ne peut pas non plus être décrété par un anticonformiste. C'est un principe qui est très clairement établi. Il existe dix principes fondamentaux régissant la guerre sainte islamique communément appelés le jihad. Ces principes sont très bien étayés dans les premiers textes de l'Islam, en tout cas à l'époque des premières armées dirigées par Abu Bakr et Umar.

    Je voudrais vous dire brièvement que l'une des choses qui n'existe pas dans le concept du jihad, c'est le terrorisme. Je pense que les dix éléments ou les dix règles du jihad, et plus particulièrement les sixième, septième et huitième principes disposent clairement qu'on ne peut pas tuer un non combattant; on ne tue pas les femmes et les enfants. En fait, on n'a même pas le droit de détruire des palmiers et de la végétation quand on fait du jihad. C'est une forme de guerre strictement réglementée.

    Le fait que le jihad ait été mal utilisé ne nie pas sa réalité, ni le fait qu'il a joué un rôle très important dans l'histoire musulmane. Essentiellement, comme vous venez de l'entendre, s'il faut définir le jihad, c'est une guerre contre l'injustice.

Á  +-(1145)  

    En tant qu'hommes ou femmes politiques, vous savez que la perception a plus d'importance que la vérité, quelle qu'elle soit. Si les gens croient quelque chose et qu'ils pensent qu'il y a une injustice, ils réagissent.

    Je pense que pour comprendre le monde musulman tel qu'il est actuellement, et pour comprendre son étendue, il faut savoir que c'est une sorte de croissant inversé du Maroc à l'Indonésie, même sur le plan géographique. Si vous voulez comprendre le monde musulman, vous devez savoir qu'il existe deux éléments démographiques. Même si le coeur de l'Islam est à la Mecque, à Médine et dans le monde arabe, le coeur démographique de l'Islam est en Asie du sud et en Asie du sud-est. C'est là où l'on retrouve une forte concentration de musulmans. En fait, si l' on considérait tout le monde islamique comme une étendue d'eau où lorsqu'un événement se produit à un certain endroit cela crée des courants qui se répercutent ailleurs, alors vous verriez souvent l'incidence ou le contrecoup de ce qui se produit dans l'Ouest, à Bali, en Indonésie, ou à quelqu'autre endroit.

    Le deuxième élément, c'est qu'aujourd'hui, l'Islam s'est également constitué sa propre diaspora. Le Canada en fait partie maintenant. Je pense qu'il y a peut-être 600 000 musulmans qui vivent ici. Chez nos voisins du Sud, aux États-Unis, l'évolution de cette diaspora s'est traduite en une expression «la nation de l'Islam». Je dois vraiment vous mettre en garde contre cette expression qui n'a aucune résonnance dans l'histoire musulmane. L'Islam ne se limite pas à une nation; c'est une fraternité. L'Islam n'a pas été converti en une idéologie des nations. Le nationalisme existe depuis l'époque du prophète lui-même. Il peut avoir pris la forme d'une manifestation tribale à cette époque, ou plus tard et a évolué vers l'idée d'un petit État. Lorsque l'Islam a commencé à interagir avec la Perse, il est certain que les Perses n'allaient pas renoncer à leur propre nationalisme, ni le subsumer sous quelque chose de plus vaste, et c'était clairement établi.

    Mais l'histoire moderne de l'Islam commence réellement au XIXe siècle parce que c'est la première fois que des parties du monde islamique sont complètement consumées, écrasées par l'impérialisme britannique, par la colonisation britannique. Les deux empires dont vous avez parlé, l'Empire ottoman et l'Empire moghol ont fini par tomber aux mains des Britanniques. Si les Safavids conservaient un certain degré d'indépendance, celle-ci était fortement compromise par une grande dépendance.

    C'était presque la totalité du monde islamique qui avait été envahie et colonisée. Après 1918, qui est une année importante dans l'histoire musulmane, tous les pays musulmans avaient été colonisés. Cette situation a duré jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. En 1919, dans le coeur démographique de l'Islam, c'est-à-dire l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh, un mouvement d'envergure est né, que l'on appelle le mouvement khilafat. Ce mouvement est mal compris, car il est perçu comme un mouvement qui appuyait la Turquie. Or, il ne s'agissait pas de la cause de la Turquie. La cause de ce mouvement, c'était d'avoir un calife qui représenterait les musulmans, surtout pour défendre les villes saintes de la Mecque et de Médine. Ce concept de la défense des villes saintes que j'ai citées, vous le retrouverez dans les arguments d'Oussama ben Laden, et ailleurs, car c'est quelque chose qui est très évocateur dans la perception musulmane.

    Puis nous en arrivons à une réalité singulière et très musulmane. Le monde musulman évolue vers la décolonisation, mais celle-ci ne se fait pas par un processus facile ou simple, comme cela s'est fait dans des pays comme l'Inde. Elle a abouti à la néo-colonisation, surtout dans le monde arabe. C'est la néo-colonisation et la création de royaumes complètement artificiels qui ont suivies. Je fais une référence symbolique au Royaume hachémite. Puisque l'Irak est à l'ordre du jour, il faut dire que le roi Faisal a été imposé à l'Irak en 1920, après avoir été expulsé de Syrie. Un homme qui n'avait jamais mis les pieds à Bagdad auparavant a tout d'un coup nommé roi de Bagdad.

Á  +-(1150)  

    Ce processus de néocolonisation a continué pendant au moins deux ou trois générations. La résistance de la société, de l'élite et des peuples musulmans à cette néocolonisation a finalement éclaté dans divers pays, de manière différente. Dans le cas de l'Irak, elle s'est manifestée par un coup d'état de l'armée, ce qui est très normal. Les armées locales se sont débarrassées de ces dirigeants néocolonialises et artificiels.

    Ensuite vient une étape dont, je pense, les pays musulmans n'ont pas encore trouvé d'issue, ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan pratique. C'est une sorte de colonisation post-moderne. Il s'agit d'une phase post néocolonisation, que j'ai appelé la création des gouvernements d'alibi, ou l'élite locale, c'est-à-dire, le plus souvent, l'armée, saisit le pouvoir grâce à un alibi ou un autre, pour créer une nouvelle forme de despotisme local, de dictature locale. On y retrouvait des éléments de violence ou de despotisme, mais le nationalisme était l'alibi principal de ces gouvernements dans des régions telles que le Moyen-Orient, où Israël est devenu leur alibi préféré. Ailleurs, on a trouvé d'autres prétextes. Le développement national est devenu l'alibi qui a permis à Suharto et à d'autres dirigeants de se maintenir au pouvoir.

    Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas uniquement un phénomène musulman. Cela s'est produit dans beaucoup de pays africains, dont la majorité étaient chrétiens, où l'on a observé la formation de gouvernements d'alibis semblables qui faisaient fi de la liberté des citoyens. Pourtant, ces citoyens avaient obtenu l'indépendance nationale de leur pays, car l'indépendance était devenue synonyme de dictature et de despotisme. C'est à ces gouvernements que ce sont confrontés d'abord l'Union soviétique, puis l'Ouest, l'Amérique, dans plusieurs parties du monde pendant la guerre froide, ce qui a mené à de nombreux paradoxes et contradictions.

    Le deuxième argument que je voulais faire valoir, c'est qu'il ne faut pas uniquement comprendre la nature de la nation islamique telle qu'elle apparaît aujourd'hui, mais il faut également étudier la nature de la guerre que l'on impose à certains pays musulmans, surtout à l'Irak. Je vois qu'on établit des parallèles avec la Seconde Guerre mondiale. On le voit dans presque tous les rapports, tous les discours et toutes les discussions : nous l'avons fait en Allemagne, nous l'avons fait au Japon, alors pourquoi ne pas le faire en Irak? Il y a une différence cruciale entre cette guerre et la Seconde Guerre mondiale.

    Nous avons participé à deux types de guerre au cours du XXe siècle. L'une d'elle était une guerre entre des conquérants. La Première et la Seconde Guerre mondiales étaient des guerres qui se jouaient entre des conquérants d'empire, des gens qui voulaient se partager le monde et ses ressources. Le deuxième type de guerre est né au XXe siècle. Il s'agit d'une guerre entre ceux qui souhaitaient libérer leur pays et ces conquérants, que ce soit la guerre d'Algérie ou la guerre non violente en Inde, ou encore des guerres qui se manifestent différemment dans d'autres contextes, dans d'autres pays.

    La différence, c'est que l'Amérique voit la guerre en Irak comme une guerre de libération artificielle, alors que l'Irak et la majorité du monde islamique pensent que cette guerre s'inscrit dans les efforts nécessaires pour se libérer de l'impérialisme occidental qui s'est manifesté au départ dans l'impérialisme européen de la Grande-Bretagne et de la France. L'Amérique a maintenant succédé à ces puissances. Elle est leur successeur impérialiste, comme c'était le cas au Vietnam, en Amérique latine et dans d'autres régions du monde.

    Voilà les deux perceptions qui existent. L'écart se situe entre ces deux perceptions, et j'ose dire qu'il y a un peu d'irréalisme et beaucoup de réalisme des deux côtés. Mais tant que ce problème n'est pas résolu... puisque je suis aussi journaliste, je suis heureux de vous rapporter que dans les médias, que ce soit dans le New York Times, dans l'AP ou sur CNN, ce que l'on appelait la guerre de libération en Irak s'appelle maintenant la guerre d'occupation. Le terme est accepté. C'est sans doute la première étape du processus pour arriver à une réalité médiane que les deux parties accepteront.

Á  +-(1155)  

    J'ai une dernière chose à dire. Les Américains sont entrés en Irak. Ils ont créé des nouvelles données sur place. Ces données ne vont pas changer. Peu importe la motivation de George Bush—et comme vous le savez, ces motivations ont changé récemment, et même Paul Wolfowitz dit aujourd'hui que les armes de destruction massive n'étaient qu'une échappatoire bureaucratique—j'espère que vous comprenez que l'intégrité de la guerre est définie par son objectif. On ne peut pas changer, après coup, la justification de cette guerre et dire qu'il s'agit d'une guerre d'intégrité.

    Cependant, les choses ont changé sur place. Lorsque cela se produit, la situation géopolitique change également. Un des plus gros problèmes de l'occident, lorsqu'il étudie la question de l'Irak, c'est qu'il n'étudie que la médiane nord-sud, comme si la girouette ne tournait jamais. L'Irak est au nord de l'Israël, l'Arabie saoudite au sud, et l'occident étudie l'incidence de ses propres interventions dans cette dimension uniquement. Ces études ne sont axées que sur Israël ou, ce que nous savons aujourd'hui, sur l'Arabie saoudite, parce que les Américains ne sont plus sûrs de pouvoir utiliser l'Arabie saoudite comme base de retranchement permanente pour leurs intérêts économiques et stratégiques dans la région. On a défini cette guerre, à juste titre, comme un parallèle aux Philippines, qui ont finalement permis à l'Amérique d'accéder au Pacifique.

    Je pense que la réelle incidence de cette guerre se fera sentir sur un vecteur est-ouest. Il y a quelque chose d'inhabituel qui s'est produit et dont le public n'est pas encore conscient, parce qu'elle fait partie de la dynamique même de l'intervention américaine, c'est-à-dire que dans un avenir proche ou éloigné, l'Irak doit devenir un État démocratique. Je suppose qu'aucune nation occidentale ne conteste cet argument. Pour la première fois en 1 400 ans, l'Irak sera dirigé par une certaine forme de gouvernement majoritaire chiite. Cela change complètement les données géopolitiques de la région. Pour la première fois en 1 400 ans, une région qui s'étend de la frontière afghane à la frontière syrienne et qui comprend certaines parties essentielles du nord de l'Arabie saoudite, sera dominée par les Chiites; cela respectera notre dialectique sur la perception chiite de ce que devrait être l'avenir de l'Islam.

    Je ne veux pas porter de jugements; je ne dis pas que c'est bon ou mauvais. Ce que je veux dire n'est peut-être pas très à la mode, mais je pense que nous avons le temps d'arriver à la perception de l'Imam Khomeini ou d'essayer de trouver une dialectique pour un avenir axé sur l'Iran ou sur le chiisme. Que vous soyez d'accord ou non, il vous faut la comprendre, à cause de ce qui se passe en Irak en ce moment à Najaf. La solution se trouve auprès des factions de la Dawa du sud du pays, pas auprès de la faction Hakim de la Dawa. Hakim a déjà été détruit par une bombe. J'ignore quelles seront les conséquences des bombes à retardement qui ont été posées.

    Ce que je sais, c'est que l'isolement de l'Iran prendra fin. Je sais que le silence de l'Iran en dit beaucoup plus long que ses paroles. Je sais que c'est un nouveau Moyen-Orient qui est en train d'être créé, mais que ça n'est pas le Moyen-Orient que Richard Perle et compagnie pensaient créer lorsqu'ils s'en sont mêlés.

    Merci.

  +-(1200)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, c'est très intéressant.

    Nous allons maintenant passer à la période des questions et des réponses. Je vous rappelle, chers collègues, que les tours sont de cinq minutes, questions et réponses comprises.

    Nous allons commencer par l'opposition avec M. Day, s'il vous plaît.

+-

    M. Stockwell Day (Okanagan—Coquihalla, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

    Ces exposés démontrent clairement que l'histoire, tout comme l'art, est une science subjective.

    J'aimerais faire quelques petites remarques puis poser une question très importante à mes yeux et qui, si nous pouvons y obtenir une réponse, nous permettra peut-être de mettre le doigt sur ce qui est au coeur du terrorisme.

    Pour commencer, je ne suis pas tout à fait d'accord lorsque vous dites que le Canada s'est acquis un capital de bonne volonté en se distançant de ses alliés historiques. Il y a à peu près 50 pays qui se sont joints à la coalition des volontaires et que l'absence du Canada auprès de ses alliés traditionnels a quelque peu perturbés.

    Nous faisons des efforts. Nous pouvons établir un pont—, je suis d'accord avec vous—avec le monde musulman. Il est évident que nous avons quelques difficultés quand l'Arabie saoudite arrête un de nos citoyens, l'emprisonne et le torture pendant près de trois ans; quand l'Iran arrête sans aucune raison un de nos citoyens, une femme, la bat à mort et en refuse la responsabilité; quand le Liban soutenu par la Syrie arrête un de nos citoyens sans aucune raison et que seule l'indignation de l'opinion publique les oblige à le relâcher. On ne peut pas, selon moi, accuser notre gouvernement d'être dur dans ses propos quand il s'adresse à ces pays. Nous voulons voir ce pont. Les actes de certains de ces pays sont tellement assourdissants qu'il est impossible d'entendre leurs voix. Mais nous ne renoncerons pas.

    J'aimerais vous poser la question suivante. Après vous avoir écouté et avoir lu vos documents, j'ai encore une fois cette impression d'équivalence morale, quand je lis une apologie d'Oussama ben Laden le décrivant comme une personne qui s'est sentie dépossédée—alors que c'est un homme très riche d'Arabie saoudite, pays très riche et très puissant—et que je ne vois pas comment on peut trouver des excuses à un meurtrier fou du calibre d'Oussama ben Laden... Je sais que dans ce débat on invoque la liberté d'expression, mais je rejette ce principe totalement. C'est l'acceptation de cette équivalence morale qui lui donne, à lui et à ses condisciples, toute sa crédibilité.

    Est-ce que je peux poser la question suivante? La majorité d'entre nous qui avons des amis musulmans avons toujours considéré que l'Islam était une religion de paix. Tout comme c'est avec des idées qu'on combat d'autres idées, tout comme on se bat avec des armes contre d'autres armes, quand on se bat contre une aberration religieuse, pour moi le soi-disant Islam des terroristes est une aberration, on ne peut la combattre qu'en lui opposant les vrais principes de cette religion.

    Il y a une chose qui nous préoccupe. Il est tout à fait clair qu'on a dit aux terroristes—je rejette totalement le qualificatif de «dépossédé»—qu'ils deviendraient des martyrs et qu'ils seraient accueillis à la porte du paradis, et je cite, par «72 vierges». Ils pourront faire pardonner les péchés de 70 membres de leurs familles. Il faudrait qu'ils écoutent les musulmans qui ne pensent pas du tout comme ça—je leur parle tous les jours et je les crois. Il faudrait quelque chose pour contrer ce genre de message religieux et non pas simplement des idées : ce n'est pas le capitalisme contre le communisme.

    Permettez-moi pour commencer de vous poser à chacun la question. Y a-t-il un verset du Coran qui justifie cette promesse pour ces assassins qui se font sauter avec leurs victimes, d'être accueillis à la porte du paradis par 72 vierges? N'y a-t-il pas d'imans pour dénoncer cette promesse dans les mosquées? J'aimerais le savoir. Finirons-nous par l'entendre? Je sais que beaucoup le pensent mais finirons-nous par l'entendre?

+-

    M. M.J. Akbar: Je réponds volontiers à cette question. C'est très simple. En fait, l'imam que je vais nommer vivait au XIIe siècle.

+-

    M. Stockwell Day: Je parle d'aujourd'hui.

+-

    M. M.J. Akbar: Non, non. Puisque nous en parlons, ces vierges ont été promises au VIIe siècle; cet imam lui vivait au XIIe siècle.

    L'histoire de l'Islam est parsemée d'actes de terrorisme. Ce n'est pas la première fois que le terrorisme est utilisé comme arme contre les impérialistes. Hasan Sabbah l'a utilisé au XIe siècle quand les autres nations musulmanes se sont trouvées incapables de régler les problèmes des croisades. C'était avant l'arrivée de Saladin. En fait, Hasan Sabbah menaçait tout le monde.

    Pour abréger une très longue histoire, la vérité sur cette question, quant à savoir si le terrorisme est justifié, si le martyre qui vous est promis est promis dans le contexte d'une guerre juste, il n'est pas promis pour des actes terroristes. L'Imam Ghazzali, dont on a dit, du moins dans le monde islamique—que c'est lui qui clôt le débat—vu sa réputation intellectuelle, son interprétation de la loi est communément suivie—a très clairement dit, que pour les musulmans le terrorisme est autodestructeur.

    En conséquence, aujourd'hui, la personne dont on se souvient comme héros—Hasan Sabbah et Saladin étaient contemporains—dans le monde de l'Islam est Saladin qui a mené, selon l'histoire de l'Islam, une guerre juste, guerre déclarée sur des principes que vous connaissez tous. Une partie de cette histoire a été romancée. Cela fait mille ans qu'Hassan Sabbah est rejeté et ce sera aussi le sort d'Oussama.

    Qu'Oussama soit rejeté par l'Amérique est moins important. Il est beaucoup plus important que ce soient les sociétés musulmanes et les gouvernements musulmans qui le rejettent. Si je peux avoir une minute, regardez bien quelle a été la réaction des nations musulmanes quand l'Occident a fait la guerre en Afghanistan, quand il a fait la guerre en Irak. Les nations musulmanes, les peuples musulmans ont fait la queue pour soutenir l'Amérique en Afghanistan parce qu'ils considéraient les Talibans comme une imposition injuste, une aberration de l'Islam, voir une aberration tout court.

    C'est le doute à propos de l'Irak qui a obligé le Canada à ne pas soutenir la position américaine à bras ouverts, comme il l'a fait pour l'Afghanistan. C'est ce doute qui alimente notre réflexion.

  +-(1205)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à M. Bigras. Il y aura un deuxième tour si nous avons le temps, mais c'est cinq minutes par député et nous avons déjà dépassé six minutes. Tous les membres du comité veulent poser des questions et nous devons terminer à 13 heures.

    M. Bigras va vous poser sa question en français.

[Français]

    Monsieur Bigras, s'il vous plaît.

+-

    M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ): Merci, monsieur le président.

    Dans cette étude des relations avec les pays musulmans, une de mes préoccupations est toute la question du respect des droits de la personne, et plus précisément des droits des enfants. J'ai fait adopter à l'unanimité par la Chambre des communes, l'an passé, une motion visant à lutter contre l'enlèvement international d'enfants et à encourager le plus de pays possible à adhérer à la Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

    Vous n'êtes pas sans savoir que plusieurs pays musulmans ont refusé de signer cette convention. Bien sûr, ils ont adhéré à la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, mais ils refusent d'adhérer à une convention qui comporte des mesures exécutoires. On sait aussi que le Canada a conclu certains accords, par exemple un accord bilatéral avec l'Égypte dans lequel aucune mesure exécutoire n'est prévue. On y a inscrit des principes, bien sûr, mais aucune mesure exécutoire n'y est prévue.

    Voici ma question. Comment pouvons-nous en arriver à un juste équilibre entre la protection des droits de l'enfant et le respect des cultures et des religions? Soit dit en passant, je suis très ouvert et je ne crois pas devoir faire de déclaration en faveur de l'ouverture et du respect des cultures et des religions.

    Monsieur Rajaee, vous nous avez parlé de l'importance de l'ONU. Vous savez que l'ONU n'est pas un organisme virtuel. L'ONU trouve ses assises dans des conventions internationales. On ne peut pas prêcher l'importance de l'ONU quand certains pays refusent d'adhérer à des consensus internationaux. Donc, dans le respect des religions et des cultures, comment pouvons-nous respecter le droit des enfants d'être avec leurs parents? À mon avis, c'est fondamental. Il faut viser cet équilibre entre les deux. Comment voyez-vous les choses dans cette perspective?

+-

    Le président: Monsieur Rajaee.

[Traduction]

+-

    M. Farhang Rajaee: Je voulais répondre à l'autre question car elle m'a été posée directement. Je me ferai un plaisir d'y répondre si nous avons le temps.

+-

    Le président: Je vous en prie.

+-

    M. Farhang Rajaee: Je ne remonterai pas au XIIe siècle. Je crois que l'esprit dans lequel notre document a été rédigé—et j'espérais bien le faire comprendre—montre qu'il y a des conditions qui permettent toujours à des esprits tordus comme celui d'Oussama ben Laden de tirer profit de tout. Il ne se sent pas lui-même victime d'injustice mais il y a beaucoup de gens qui se sentent victimes d'injustice et ce qu'il leur dit leur plaît. C'est contre cela qu'il faut lutter, selon moi.

    Le professeur Dewitt a parlé du livre de Noah Feldman. Ce livre est excellent. M. Feldman, en passant, est actuellement en Irak. Noah Feldman a écrit un livre intitulé After Jihad (Après le Jihad). Il essaie de mettre en place un régime démocratique en Irak. C'est un juriste constitutionnel de Colombie.

    Il y a une nouvelle génération de musulmans qui avancent exactement le même point de vue que vous. Aux États-Unis cette nouvelle voix est celle de Khaleb Abou Fadl. Mais le problème c'est que la voix de Khaleb Abou Fadl sera réduite au silence par les forces de l'extrémisme aussi longtemps qu'il y aura ce sentiment d'injustice, aussi longtemps qu'il y aura des gouvernements irresponsables, aussi longtemps, comme le ministre vient de le dire, qu'il y aura des gouvernements qui ne respectent pas les droits des enfants.

    Je suis donc entièrement d'accord avec vous. Mais pour ce qui est de la solution, je crains ne pas pouvoir vous proposer de stratégie. Comme le professeur Dewitt l'a suggéré, une solution serait d'essayer d'encourager les organismes civils qui ont été créés au cours des 10 ou 15 dernières années dans le monde musulman précisément dans ce but—dans le but de protéger les droits des femmes et des enfants, etc. Il y a eu le différend entre Mahathir Mohamad et les organismes de travailleurs en Malaisie. Mahathir Mohamad parlait de «notre façon de faire typiquement asiatique» et les travailleurs lui répondaient : «Quelle façon de faire typiquement asiatique? Vous voulez nous exploiter et c'est pour ça que vous employez cette expression. L'exploitation, c'est toujours l'exploitation».

    Je connais de jeunes musulmans qui s'intéressent précisément à la même question. Peut-être qu'en contactant ces organisations non gouvernementales...

  +-(1210)  

[Français]

+-

    M. Bernard Bigras: Mais il y a une réalité: selon la loi musulmane, entre autres, un fils né de père musulman doit être musulman. Il y a de plus une inégalité entre les deux parents quant à l'accès aux enfants. Je comprends ce que vous nous dites, mais quand un pays, quel qu'il soit, musulman ou pas, ne respecte pas une convention internationale comme celle des Nations Unies sur le droit de l'enfant, quelles mesures le Canada devrait-il prendre pour amener ce pays à respecter cette convention internationale? Croyez-vous qu'il devrait y avoir des sanctions? Quel genre de mesures et de moyens devraient être pris?

[Traduction]

+-

    Le président: Soyez bref, s'il vous plaît.

+-

    M. Farhang Rajaee: J'arrive maintenant à votre point. Je comprends fort bien qu'il y a des choses contradictoires dans les conventions internationales. Il y a deux arguments qui permettent d'y voir plus clair. Premièrement, il y a actuellement une grande polémique entre musulmans post-islamiques à propos de l'authentification de ces lois. Ces lois sont le fruit de l'histoire et nous pouvons les changer. Il y a ce mouvement qui est en marche. Deuxièmement, je crains que dans certains domaines nous ne pouvons accepter de compromis. Je pense ici à l'idée de lois populaires proposées par un philosophe américain qui prétendait que tant que l'intégrité de l'être humain est préservée, parfois il faut se contenter du cadre que ces lois offrent.

    Je peux vous comprendre quand vous dites que certaines questions ne se prêtent à aucun compromis. Cependant, je répète, qui a authentifié ces lois? Il y a beaucoup de jeunes musulmans qui se le demandent. Je n'ai pas à appliquer cette loi du XIe siècle. Cela n'en fait pas une loi islamique.

    Permettez-moi d'en profiter pour dire un mot à propos de M. Akbar et d'être très clair. Le prophète n'a jamais rendu de décisions. Pourquoi? Parce qu'il justifiait toutes ses décisions par une révélation divine. Donc, dans un certain sens, il n'est permis à aucun musulman de justifier le comportement du prophète et de dire qu'il peut le faire parce qu'il l'a fait, parce que c'est la révélation elle-même qui l'y autorise. Cette autorisation lui a été donnée personnellement.

    Beaucoup de jeunes essaient de réviser les lois précisément pour qu'elles concordent avec ce que vous proposez.

+-

    Le président: Nous devons en rester là. Je vais donner la parole à Mme Carroll et c'est M. Dewitt qui répondra en premier.

    Madame Carroll, je vous prie.

+-

    Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Merci, messieurs.

    C'est incroyablement stimulant sur le plan intellectuel de vous écouter tous les trois. Cela me donne une bonne idée de tout ce que j'ai à apprendre—mais je ne parle pas pour les autres.

    Professeur Dewitt, rapidement, j'aimerais vraiment avoir une copie de vos observations liminaires, lorsque vous pourrez nous en fournir une, car elles étaient tout à fait à-propos.

  +-(1215)  

+-

    M. David Dewitt: C'est avec plaisir que j'en remettrai une copie au greffier.

+-

    Mme Aileen Carroll: Je sais jusqu'à quel point vous avez dû les préparer à la hâte.

    Vous avez mentionné que vous n'aviez pas eu le temps de parler de la responsabilité de protéger, et si le temps le permet, j'aimerais que vous nous en parliez. Je pense qu'il serait pour nous avantageux que vous nous en parliez, car le Canada a certainement joué un rôle pour ce qui est d'établir ce lien, comme vous le savez. Et à l'heure actuelle, c'est tout à fait à-propos puisque nous parlons de la confiance dans l'ONU.

    Professeur Rajaee, je pense que tout ce triangle permet de comprendre énormément de choses, si on le considère, comme vous venez de le dire, comme une injustice ou comme une injustice perçue, qui mène au renforcement du pouvoir, qui mène à l'idéologie de la terreur. Ma question pourrait sembler être naïve—j'espère que ce n'est pas le cas—mais est-ce que le premier mène au deuxième et au troisième? Le sentiment d'injustice est-il si puissant, a-t-on vraiment l'impression que l'on a tout tenté pour y remédier et que par conséquent seule la terreur donne des résultats? Je me demande tout simplement comment on part de ce premier élément pour en arriver au deuxième et au troisième, nécessairement.

    Je devrais peut-être m'arrêter. J'ai un million de questions à poser. Si j'ai un deuxième tour, j'aimerais vous poser une question, monsieur Akbar. 

+-

    Le président: Je vais demander au professeur Dewitt de répondre en premier, puis à M. Rajaee.

    Professeur Dewitt, allez-y.

+-

    M. David Dewitt: Permettez-moi d'établir un lien entre votre question et celle de M. Bigras...

    Mme Aileen Carroll: Oui, si vous le pouvez, exactement.

    M. David Dewitt: ... car il s'agit de la responsabilité de protéger et de ce que l'on fait au sujet des droits des enfants et autres droits.

    Je voudrais commencer par emprunter une expression bien connue et qu'aime bien un de vos collègues qui est un de mes amis de longue date, Irwin Cotler, qui dirait : «Le gouvernement a droit à la vérité mais il la doit à son peuple», et je pense qu'il le dirait avec beaucoup de passion. La raison pour laquelle je m'inspire d'Irwin en ce qui concerne cette question des droits de la personne, c'est parce que dans nos discussions, je pense qu'il y a un lien entre la responsabilité de protéger et, évidemment, notre engagement à l'égard des droits de la personne et à dire la vérité au gouvernement, ce qui veut dire que si on est membre des Nations Unies et que l'on n'est pas signataire d'une convention particulière qui semble s'inspirer d'une position universelle, alors nous sommes obligés de le contester et de continuer à le faire. À un certain moment donné, on a la responsabilité de protéger, que ce soit en faisant en sorte que nos programmes d'aide ciblent les enfants, ce qui ne suscite pas nécessairement la controverse ou la confrontation, mais ce qui est un geste très pragmatique, en comprenant les réalités politiques voulant que si nous souhaitons aider les enfants ou d'autres personnes dont les droits ne sont pas respectés, nous ne pourrons le faire si nous fermons les frontières, si nous ne voulons pas intégrer, engager.

    Il y a quelque chose dans cette idée d'engagement constructif, même si parfois cela peut paraître difficile à digérer. Je reviens à mes entretiens avec mes collègues chinois dans les années 80, avant et immédiatement après les événements de la place Tiananmen, au sujet des droits de la personne et de la démocratie. Ils diraient : «La démocratie avec des caractéristiques chinoises, des droits de la personne avec des caractéristiques chinoises». Or, d'un côté c'est un alibi ou une excuse, mais d'un autre côté cela représente une ouverture.

    Donc, en réponse à votre question très pragmatique sur la façon dont on peut fonctionner avec des principes dans un monde où les principes n'existent pas, eh bien je pense qu'il faut dire la vérité au gouvernement et qu'il faut continuer d'insister et insister sans jamais s'arrêter.

    Ce qui m'inquiète, c'est que nous avons de moins en moins de capacités, que ce soit sur le plan militaire pour faire des choses responsables, que ce soit au niveau de l'aide à l'étranger et de nos programmes de développement à l'ACDI, et que nous avons de moins en moins de moyens pour faire toutes ces choses. Nous devons donc commencer à faire des choix.

    Plus particulièrement en ce qui concerne la responsabilité de protéger, comme vous le savez, c'est une question très importante. Je pense que c'est une question très importante. Au cours des 18 premiers mois qui ont suivi sa parution, on n'a pas tenu compte de ce rapport car il a été éclipsé par tout le reste. Il commence maintenant à attirer l'attention. J'ai des amis dans le Sud-Est de l'Asie qui n'étaient pas très à l'aise avec ce rapport, et ils tiennent maintenant des séminaires à ce sujet. Je me rendrai au Japon dans trois semaines. L'une des principales questions dont nous parlons est celle des divergences d'opinions sur la sécurité humaine et plus particulièrement les conséquences de la responsabilité de protéger.

    Par ailleurs, et pour terminer—étant donné qu'il s'agit d'un sujet très vaste, je m'arrêterai ici—, dans le contexte de ce dont nous parlons, il s'agit d'une certaine façon de voir ce que nous faisons pour tenter de gérer les retombées de l'unilatéralisme américain, plus particulièrement dans cette partie du monde. Étant donné que d'une part les Américains tournent le dos au multilatéralisme, dont la responsabilité de protéger constitue un élément central des structures multilatéralistes émergentes, mais en même temps, ils s'acquittent de la responsabilité de protéger en décidant cependant de façon unilatérale des mesures à prendre.

    Nous, Canadiens, devons tenter de leur faire comprendre que la responsabilité de protéger doit se traduire par une action communautaire plutôt qu'unilatérale, car, pour revenir à mes deux collègues, je suis convaincu qu'ils ont raison lorsqu'ils font certaines mises en garde sur ce qui se passe au Moyen-Orient et plus généralement dans le monde arabe, au sujet de ce qui se passe et des conséquences de l'Irak, et on ne voudrait pas que tout cela déborde inutilement. Et il y a de nombreuses conséquences non intentionnelles dont les Américains n'ont pas tenu compte et auxquelles ils sont incapables de réagir seuls, et je pense que nous avons un rôle à jouer à cet égard.

  +-(1220)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant donner la parole à Mme McDonough.

+-

    Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): J'aimerais revenir au thème que M. Dewitt a commencé à élaborer. Je veux tout simplement revenir à l'observation assez frappante que vous avez faite précédemment lorsque vous avez dit que la neutralité n'était pas une option honorable et faire le lien avec le défi que M. Rajaee a lancé lorsqu'il a dit que le Canada avait la responsabilité envers lui-même et envers le monde d'examiner ces défis du point de vue de nos intérêts, mais aussi du point de vue de notre responsabilité en tant que citoyens du monde.

    Il me semble que le gros problème dans tout cela, c'est que, dans le contexte actuel de l'Irak, il y a certainement beaucoup de tensions, sinon carrément de l'opposition entre les deux. Par conséquent, il semble y avoir une paralysie de la part de notre gouvernement actuel, ce qui déçoit le monde et déçoit également bon nombre de Canadiens.

    Je voulais vous demander peut-être de nous en parler dans le contexte spécifique—parce que parfois il est utile de donner des exemples concrets et spécifiques—du cas du citoyen canadien Maher Arar. Il est clair que ses droits ont été violés par les États-Unis, notre plus proche voisin, et ensuite par la Jordanie, en passant, et enfin, cela fera bientôt un an à la fin de la semaine, par la Syrie.

    Il semble cependant que la façon dont le gouvernement canadien a choisi de réagir face à la tension entre nos responsabilités en tant que citoyens du monde, nos responsabilités envers notre propre citoyen canadien, et nos propres intérêts par rapport aux États-Unis, est de tenter de tout avoir. Ce qui est particulièrement inquiétant—je l'ai dit pour moi-même personnellement, mais aussi pour bon nombre de gens—c'est d'entendre le gouvernement dire constamment : «Après tout, il est également Syrien et il a la double citoyenneté, donc que pouvons-nous de toute façon.» C'est encore pire lorsque les gens disent qu'on devrait s'attendre à ce genre de mauvais traitement étant donné le monde dans lequel nous vivons. Cela a des conséquences immenses pour un pays qui est très fier de son multiculturalisme et du fait qu'il reconnaît la double citoyenneté.

    C'est cette tension, sinon franchement cette contradiction, entre nos propres intérêts et nos responsabilités en tant que citoyens du monde dont je vous invite à nous parler davantage.

+-

    Le président: Monsieur Rajaee ou monsieur Dewitt.

+-

    M. David Dewitt: Très bien, je vais commencer, très brièvement.

+-

    Le président: Cela donnera à l'autre témoin une chance de répondre.

+-

    M. David Dewitt: Absolument.

    Dans ce cas en particulier, si j'ai bien compris, l'erreur initiale qu'a commise cet homme a été d'utiliser un passeport syrien lorsqu'il se trouvait en transit. Il a gardé la citoyenneté syrienne, et c'est là en partie le problème. En effet, les Américains ont été en mesure de choisir. Cela étant, je désapprouve ce qu'ils ont choisi de faire. Je pense qu'il aurait été dans l'intérêt des États-Unis de l'envoyer au Canada.

    Je n'ai pas d'information à ce sujet, mais j'imagine qu'en l'envoyant en Syrie plutôt qu'au Canada, les États-Unis ont voulu envoyer un message disant qu'ils étaient toujours mal à l'aise avec la façon dont nous traitons les terroristes potentiels, que s'il avait été envoyé au Canada, nous n'aurions pas traité son cas aussi énergiquement que l'ont fait les Syriens. Cependant, la Syrie a été très active dans ses rapports bilatéraux avec les États-Unis, souhaitant être dans les bonnes grâces des Américains et prouver qu'elle n'était pas un État qui parraine le terrorisme.

    Encore une fois, cela ne m'étonnerait pas—mais je n'en ai aucune preuve—que les Syriens aient souhaité que cet homme soit expulsé des États-Unis pour être envoyé en Syrie car cela donnait ainsi l'occasion aux Syriens de poser un geste positif, un geste confirmant les efforts qu'ils déployaient pour réagir à l'intérêt des États-Unis et rassurer ce pays que la Syrie n'était pas complice d'un terroriste confirmé ou non. Donc je pense que tout cela fait partie de basse politique bilatérale et que la Syrie tente de se placer dans une position différente.

  +-(1225)  

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Rajaee.

[Traduction]

+-

    M. Farhang Rajaee: Le professeur Dewitt vient de dire qu'il faut donner l'heure juste aux autorités. Je pense que le gouvernement a droit à la vérité.

    Le fait est que si nous ne voulons pas être neutres et que si nous voulons avoir des principes—j'ai bien peur que M. Day soit parti, et ma réponse s'adressait en partie à lui—, nous devrions parler aux Américains. Le jour où les Américains ont déclaré que les Iraniens seraient soumis à la dactyloscopie, une représentante de la CBC m'a appelé pour me demander : «Que pensez-vous de cela?» J'ai répondu : «Pourquoi m'avez-vous appelé?» Elle a répondu : «Qui dois-je appeler?» J'ai dit : «Notre ministre des Affaires étrangères. Cela n'a rien à voir avec moi.» Étant Iranien et détenteur d'un passeport iranien, si on m'arrête à l'aéroport, je ne me sens pas insulté, j'ai l'habitude; je le fais depuis 1979. Mais avec un passeport canadien, lorsqu'on m'arrête et qu'on me soumet à la dactyloscopie, cela n'a rien à voir avec l'Iran; cela a tout à voir avec le Canada. Le fait que les Américains aient traité M. Arar de cette façon est une insulte à notre passeport, et le fait que les Américains se comportent de cette façon à l'égard des Iraniens ou des Syriens à l'aéroport, ce qui est le cas tous les jours, est une insulte pour notre passeport, et nous devrions le dire très franchement. Nous ne devrions pas être gênés de le dire.

+-

    Le président: Bien. Merci beaucoup.

    Nous allons maintenant donner la parole à Mme Marleau.

+-

    L'hon. Diane Marleau (Sudbury, Lib.): Une partie du groupe se rendra en Inde, au Pakistan, en Indonésie et en Malaisie. Je me demandais si vous aviez des conseils à nous donner quant à ce que nous devrions rechercher dans ces pays. Avez-vous quoi que ce soit de spécifique à nous proposer?

    Une autre chose que je voulais dire, c'est que dans le cadre de cette visite, une chose est très claire, peu importe où nous allons, à qui nous parlons, c'est la question palestinienne. Je me demandais si nous allions constater que cette même question palestinienne est constamment soulevée. Cela a été le cas jusqu'à présent, avec la plupart des groupes.

    Merci.

+-

    Le président: Monsieur Akbar d'abord, puis monsieur Rajaee.

+-

    M. M.J. Akbar: Lorsque vous irez en Indonésie—c'est une suggestion, et je pose simplement la question dans l'espoir qu'un jour je pourrai moi aussi avoir une réponse claire—et lorsque vous demanderez quel impact la création du Timor oriental a eu sur la génération des jeunes musulmans là-bas, et s'ils perçoivent cela, à tort ou à raison, comme étant un autre acte de partition, comme ceux qui avaient été posés par les anciens pouvoirs coloniaux, et si... En ce qui a trait à l'Indonésie, avant les événements du 11 septembre, personne ne considérait l'Indonésie comme une nation musulmane radicale—et elle ne l'était pas d'ailleurs, ceux qui sont allés là-bas savent qu'elle ne l'était pas. C'est une société très confortable. Elle a réglé... elle a eu ses propres problèmes. Elle voulait être sur le même pied que la Chine. Elle s'était vraiment détachée.

    Où était le lien? Encore une fois la question—qu'il s'agisse de la Palestine ou de la réalité notionnelle d'un lieu ou du Timor oriental, grand ou petit—il s'agit de savoir si justice leur est refusée, si des pays sont créés. Est-ce que le pays qui, il y a quelques années a absorbé la moitié du Mexique, Hawaï et les Philippines et qui continue de définir son propre intérêt comme étant le bien ultime, va m'imposer sa loi, sa volonté, alors que je ne peux rien faire devant l'imposition de cette loi? C'est là toute la question qui importe en réalité, et on peut s'en éloigner et l'appliquer à toutes sortes de géographies différentes.

+-

    M. Farhang Rajaee: Je pense que le cas de la Palestine est une excuse. Tant qu'il sera là, on va l'utiliser et en abuser. On va l'utiliser, c'est ce que nous voulons faire comprendre.

    L'ironie dans tout cela, et la raison pour laquelle cela est important, c'est qu'aux yeux du monde musulman, l'Occident est comme Janus : il a un visage qui représente le démon, la source de tout le mal, et un autre visage qui représente la source de toutes les solutions. C'est un mythe. Nous devrions peut-être aller leur dire : «Écoutez, nous ne sommes pas responsables; vous devez régler ce problème vous-mêmes.» Il est vrai que certaines personnes sont très en colère parce que les Américains ont attaqué l'Irak, mais il y a bien des gens qui au fond sont très heureux que Saddam Hussein soit parti. Bien des gens ont dit qu'ils allaient attendre pour voir si cela s'avérera une libération ou un enlisement. Puisque c'est maintenant devenu un véritable enlisement, tout le monde dit : «Je vous l'avais dit.» Mais si cela avait été un succès, les choses auraient été différentes.

    Même s'ils ne sont pas vraiment sérieux au fond au sujet de la Palestine—ils ne passent peut-être pas des nuits blanches pour la cause palestinienne—, tant qu'elle est là, elle sert d'excuse et je pense que ces deux choses se rejoignent.

  +-(1230)  

+-

    Le président: Merci.

    Rapidement, monsieur Dewitt.

+-

    M. David Dewitt: Par exemple, j'ai un bon ami qui a occupé des postes très élevés dans le gouvernement malaisien à divers moments. Il me dit exactement ce que mon collègue vient de dire, à savoir que la question d'Israël et de la Palestine est une force mobilisatrice. Le gouvernement est obligé de s'en occuper pour des motifs politiques d'ordre local, et cela lui donne une place au sein de l'Organisation de la conférence islamique. Cela lui permet donc, tout en demeurant très éloigné du conflit, d'adopter ce qui est considéré comme une position respectable au sein de la communauté islamique, ce qui est très bon pour sa réputation d'intégrité, sa crédibilité et son prestige politique, sans qu'il lui en coûte quoi que ce soit. Dès que la question israélo-palestinienne sera réglée, le gouvernement passera à autre chose. Ce n'est pas un problème brûlant pour lui. Pour le moment, c'est un contentieux commode qui peut lui être utile. Cela dit, cette personne et d'autres que j'ai rencontrées dans l'Asie du Sud-Est sont très inquiets du fait de l'impasse politique, du fait que ce conflit est maintenant gravé dans le système éducatif et les médias, à tel point que, même si la classe politique pourra passer à autre chose très rapidement le jour où il y aura une solution négociée débouchant sur un accord israélo-palestinien, nombreux sont les gens ordinaires qui auront beaucoup plus de mal à accepter cela. Cela pourrait compromettre l'intégrité de l'accord que l'on s'apprête à signer.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à M. Martin.

+-

    M. Keith Martin (Esquimalt—Juan de Fuca, Alliance canadienne): Merci à tous d'être des nôtres aujourd'hui.

    Comme on sait, le terrorisme peut parfois devenir une fin en soi dans certaines organisations terroristes, et leur motivation, leur idéologie et leur raison d'être politique peuvent être asservies à des considérations qui sont simplement financières ou autres.

    Je vais vous poser à tous deux questions. Quel conseil donneriez-vous au président Bush, ou même à notre gouvernement, pour ce qui est des dirigeants nationaux et religieux qui demeurent obsédés par le souvenir de l'injustice et l'impression qu'ils manquent de moyens, si l'on veut qu'ils changent d'attitude, qu'ils se prennent en main eux-mêmes et tâchent d'améliorer leurs propres situations économiques et sociales?

    Je veux aussi savoir ce que nous devons faire des dirigeants religieux et autres qui soutiennent les madrassas. Ces institutions expriment cet aspect violent du wahhabisme au Pakistan, en Arabie saoudite et ailleurs. Elles continuent de nourrir cette antipathie contre l'Occident, chose qui n'améliorera en rien la santé et le bien-être des populations de ces régions.

+-

    M. M.J. Akbar: Je vis dans cette région, et nous sommes en fait, nous en Inde, une victime directe.

    J'ai oublié un aspect de la question que vous aviez pour Mahathir Mohamad, et la réponse n'est pas simple. C'est avec malice qu'il a dit sans ambages que la Malaisie est un État intégriste et un pays intégriste. Mais il a une très bonne raison de le dire, et vous voudrez peut-être en savoir davantage à ce sujet si vous allez là-bas.

    Pour ce qui est de l'utilisation de la madrassa, c'est une institution dont la tradition est ancienne et honorable, et je crois que vous devez reconnaître cela. Après tout, c'était le système éducatif sur lequel la civilisation islamique et la politique islamique...

    À partir de quel moment la madrasssa est-elle devenue un problème plutôt qu'une solution? La madrassa est l'ONG la plus importante du monde, et il faut en être conscient. Les musulmans les plus pauvres d'aujourd'hui qui ne sont pas protégés par l'État, qui n'obtiennent rien de lui, ou qui n'ont pas de foyer, d'école ou de quoi manger sont recrutés par les madressas.

    On me permettra peut-être de vous raconter une petite anecdote. Il s'agit du Cachemire, où le terrorisme existe depuis bien plus longtemps que cela. Vous avez d'ailleurs mentionné George Bush. Il y a un an de cela, j'étais à la Maison Blanche en tant que journaliste, et j'ai eu le loisir de lui poser une question. Et c'était avant l'Irak, pendant la guerre en Afghanistan, et je lui ai demandé : «Pourquoi existe-t-il deux lois dans le monde? Lorsque l'Amérique est frappée par le terrorisme, elle dépêche son armée à 7 000 milles de là, envahit un pays et détruit son gouvernement, mais lorsque l'Inde est touchée par le terrorisme, tout le monde nous conseille de prendre patience. Est-ce à dire qu'une vie américaine compte plus qu'une vie indienne?» Ce sont ces questions qui occupent largement notre réflexion.

    La madrassa en tant que source de... Au Cachemire, lorsque j'y étais comme journaliste il y a 15 ou 17 ans de cela, vers 1982... et notre expérience au Cachemire présente un lien direct avec ce qui s'est passé en Afghanistan, notre voisin immédiat géographiquement. J'ai rencontré l'un des chefs de la Jamaat Islami, l'une des organisations islamistes dont le nom est maintenant mieux connu. Il n'y avait pas de problème au Cachemire à l'époque, vers 1982 ou 1983. Il a dit : «Ah, vous êtes de l'Inde.» Je suis musulman indien, et je suis fier de ces deux réalités. Il a ri et il a dit : «Ah, vous les Indiens, vous croyez que vous avez réglé le problème du Cachemire. Mais, le saviez-vous, vos enfants ne vont plus dans les écoles publiques?» Je ne comprenais pas très bien ce qu'il voulait dire. Il a expliqué : «Vos enfants n'y vont plus parce que les écoles publiques sont en ruine. Les enfants pauvres allaient autrefois à l'école publique pour y prendre le déjeuner ou aller aux toilettes, parce qu'ils n'en avaient pas chez eux. Mais ils viennent maintenant dans mes madrassas. Quand ils en sortiront dans 15 ans, croyez-vous qu'ils demeureront loyaux envers votre Inde?» Ses propos étaient très clairs, et je l'ai cité.

    Toute cette histoire du financement des madrassas a commencé—et vous devez accepter cela, même si j'ai l'air d'avoir un parti pris—avec les besoins des jihadi en Afghanistan. Quand on a eu besoin d'une génération de jihadi en Afghanistan, quand on a commencé à employer toute cette terminologie... et qu'était alors l'Afghanistan? L'Afghanistan n'était rien d'autre qu'un pays accueillant des missions suicides. Il n'y avait pas d'armée régulière capable de résister à l'Union soviétique, tout était fait par des petits groupes. Chaque fois qu'il y avait une mission suicide en Afghanistan, on les louangeait, et on distribuait des récompenses et des prix, du moins selon les médias. Les journaux parlaient de ces hommes qui étaient les héros de l'Afghanistan. Les premiers d'ailleurs à avoir employé l'expression « terroristes islamiques » étaient les Russes. Ils les appelaient les badmash, expression qui fait maintenant partie du vocabulaire courant.

    Je soumets donc deux idées à votre réflexion. D'abord, le financement des madrassas par l'Arabie saoudite a eu pour effet de les wahhabiliser. Ce phénomène a commencé en 1977, s'est poursuivi dans les années 80, à l'époque où on avait besoin de troupes fraîches—ceux qui sont devenus plus tard les talibans. Le Pakistan n'a fait que de se servir d'eux, ceux de la génération qui a suivi la guerre en Afghanistan, pour s'emparer du pays.

  +-(1235)  

    Quelqu'un ici a mentionné avec raison que les talibans n'ont jamais été élus. En fait, aucun des gouvernements extrémistes des pays islamiques n'a été élu. Ils ont saisi le pouvoir par d'autres moyens, parfois avec l'aide de l'étranger.

    Sur cette question, je pense que la reconnaissance... et on l'a répété maintes et maintes fois aux pays occidentaux mais tant qu'il n'était pas dans leur intérêt de reconnaître cette réalité, personne ne s'y intéressait. Eh bien, je pense que quelqu'un commence à s'y intéresser.

    Deuxièmement, ces sociétés en sont maintenant rendues au point où leurs gouvernements sont influencés par ce qu'on a appelé le «facteur israélien». Qu'est-ce que le facteur israélien? Eh bien, certains commencent à croire que la seule façon de lutter contre le terrorisme est d'être sans pitié et sans faiblesse envers les terroristes plutôt que de s'attaquer à la source du problème. On tue, ce qui engendre de nouveaux actes de terrorisme et rien ne changera tant qu'on ne s'attaquera pas aux causes profondes du mal en réexaminant ce problème d'une manière efficace et concertée et en disant aux gouvernements qu'il faut chercher ensemble une solution à ce problème. Je pense que l'Occident doit prendre l'initiative de trouver des solutions plus rationnelles. Les tueries ne font qu'inspirer les prochaines bombes humaines. C'est ce qui se produit en Israël.

  +-(1240)  

+-

    La vice-présidente (L'hon. Diane Marleau): Merci.

    Je pense que M. Dewitt ou M. Rajaee voulaient ajouter quelque chose.

+-

    M. Farhang Rajaee: Très rapidement, je trouve que ce sont d'excellentes questions, des questions très pratiques, sur ce qu'il faut faire.

    Je pense que la Commission de la vérité et de la réconciliation de l'Afrique du Sud est un exemple...

+-

    M. Keith Martin: Oui, vous avez raison.

+-

    M. Farhang Rajaee: ... où quelqu'un a dit qu'il fallait tourner la page sur les atrocités des 100 dernières années.

    Je pense sans cesse au professeur Edward Said. Le professeur Edward Said a consacré toute sa vie à sensibiliser l'Occident à la question palestinienne et le voilà maintenant qui prêche la «politique de l'amnésie». Il dit à ses concitoyens palestiniens, ça va, ça suffit, le monde nous a entendus.

    Je me suis adressé à un des amis du professeur Said et je lui ai demandé ce qui était arrivé pour lui faire changer d'idée, pour l'amener à penser qu'il était maintenant temps de parler de la politique de l'amnésie. Il m'a répondu que c'était l'émergence de la nouvelle gauche israélienne. Un groupe d'universitaires israéliens étaient en train de repenser toute l'histoire du conflit entre les Arabes et les Israéliens. Ils écrivaient à l'intérieur d'Israël, pour dire la vérité aux Israéliens. Alors Edward Said s'est dit, très bien, je n'ai plus besoin de parler de cela, je vais maintenant parler à mes concitoyens palestiniens de la politique de l'amnésie.

    Autre chose. Le rapport des Nations Unies sur la question arabe est tout à fait fascinant. De nombreux diplomates arabes m'ont dit que c'était un miroir magnifique qui nous renvoyait notre image, identifiant toutes les difficultés, les conditions dans lesquelles nous vivons sans trace de la thèse d'une conspiration selon laquelle l'Occident serait la cause de tous nos problèmes.

    Je souhaiterais que l'Occident dise au monde musulman : «Nous reconnaissons sans réserve toutes les atrocités du passé. Maintenant, tournons la page.» Mais personne ne le fait. La seule personne qui est venue tout près de le faire, sans le faire vraiment—c'est Madeleine Albright, qui a dit il y a quelques années qu'ils reconnaissaient le coup mené contre le gouvernement national de l'Irak. C'est tout. Personne d'autre ne l'a fait.

    Alors, pensez à ce que j'ai dit, que l'Occident est à la fois le problème et la solution. Il serait utile que l'Occident reconnaisse les atrocités. Puis, bien entendu, il y a la politique de l'amnésie.

+-

    Le président: Merci.

    Je tiens à vous informer, monsieur Rajaee, que nous avons rencontré Mme Khalaf, du Programme des Nations Unies pour le développement, qui a dirigé cette étude. Nous l'avons rencontrée à New York.

+-

    M. Farhang Rajaee: C'est merveilleux.

+-

    Le président: Comme vous le savez, elle était autrefois vice-premier ministre de Jordanie.

    C'est au tour de M. Calder.

+-

    M. Murray Calder (Dufferin—Peel—Wellington—Grey, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

    Je vais aborder une question très différente. On a pu constater que le Royaume-Uni et les États-Unis dépensaient actuellement des sommes colossales pour promouvoir la démocratie. Nous avions assisté autrefois à cette expérience démocratique au Moyen-Orient avec les Britanniques, et les États-Unis actuellement perdent rapidement du terrain sur le plan de la crédibilité. Les États-Unis pensent peut-être que le contrôle du pétrole irakien leur permettrait de contrôler l'OPEP. Mais voilà que la tribu Wahhabi leur met actuellement beaucoup de bâtons dans les roues.

    Voici ma question : en l'absence d'une expérience démocratique au Moyen-Orient lui-même, quel type de gouvernement verrons-nous en Irak?

+-

    M. Farhang Rajaee: À mon avis, la solution passe par un gouvernement démocratique mais l'ennui est qu'il n'y a pas eu de plan à cet effet. Il n'y avait pas de plan de reconstruction après-guerre en l'occurence.

    M. Hakim, récemment assassiné, était le tenant le plus enthousiaste d'un système démocratique en Irak. Je dis cela pour deux raisons. Tout d'abord, je l'ai interviewé il y a bien des années et j'ai pu constater que c'était une personne très intéressante, un modéré, au fond. Deuxièmement, Dieu du ciel, il a connu une situation postrévolutionnaire pendant 20 ans. Il savait quelles en étaient les conditions et il ne voulait pas de ce système. En n'aidant pas à la protection de M. Hakim, les alliés ont détruit l'élément le plus important d'un éventuel processus démocratique.

    Ainsi, on constate que tout effort pour créer un système démocratique n'est pas très crédible étant donné les forces qu'il faudrait faire intervenir. Je suis tout à fait d'accord avec vous : la solution passe par un régime démocratique et je pense que M. Churchill avait raison quand il disait que la démocratie est le pire régime de gouvernement après tous les autres. Nous n'en aurons jamais de meilleurs et je pense que nous devrions lui laisser véritablement...

    La difficulté vient du fait qu'au Moyen-Orient, les gens ne pensent pas que les autres peuples s'intéressent à la région. Quand je dis aux gens que M. Paul Wolfowitz est véritablement wilsonien de coeur, on nous répond que non, je badine, c'est un faucon, un néo-conservateur, ceci ou cela. Mais quand on y regard de plus près on constate que les héros de Paul Wolfowitz sont les forces démocratiques en Malaisie.

    Ainsi, un véritable processus démocratique donnerait des résultats.

  +-(1245)  

+-

    M. David Dewitt: Monsieur le président, je voudrais ajouter une chose.

    Tout au long de ce processus, l'Irak doit compter avec des réalités comme les Shias, les Sunnis et les Kurdes, et de la même façon au Liban et en Syrie, même si dans ces pays-là la démocratie est un peu différente. Ces démocraties, si on doit leur donner des qualitatifs occidentaux, pittoresques, sont considérées presque comme des cosociations ou des démocraties de concession, où il y a partage de pouvoirs entre des communautés identifiées distinctement, où s'impose un certain respect mutuel. En particulier, on a réussi à comprendre que les différends et les différences peuvent être aplanis grâce aux négociations et au partage des ressources plutôt qu'à la confrontation et au recours à l'intimidation et au conflit. Il faudra du temps et il faudra un engagement assez ferme de la part de la communauté internationale pour déclencher cela.

+-

    M. Farhang Rajaee: Quand on songe au Liban, en passant, par exemple, on doit se dire qu'avant les années 80, le Liban fonctionnait grâce à la conciliation et aux concessions.

+-

    Le président: Monsieur Calder, une brève question.

+-

    M. Murray Calder: Vous avez évoqué la communauté internationale, c'est-à-dire les Nations Unies. Comment les Nations Unies vont-elles s'imbriquer dans ce scénario?

+-

    M. M.J. Akbar: L'ONU n'y trouvera pas de place si elle devient la Société des Nations. La crédibilité de la Société des Nations a disparu bien avant que la Société elle-même disparaisse. Voici donc, à mon avis, la question fondamentale. Est-on en train de faire disparaître la crédibilité de l'ONU?

    Quand on parle de formes de gouvernement civil de substitution après la chute de Saddam, on ne peut pas dire aux Irakiens qu'Ahmed Chalabi fera partie de ce gouvernement. C'est une véritable insulte. En effet, on ne peut pas venir dire qu'Ahmed Chalabi sera arrêté en Jordanie. Évidemment, la Jordanie n'est pas l'Iran, ce n'est pas un pays satanique; c'est un allié de l'Occident. Cela dit, on peut être arrêté si on a détourné 300 ou 400 millions de dollars de la Banque Petra. Voilà pourquoi Ahmed Chalabi ne pourra jamais être ministre des Affaires étrangères : le jour où il se présentera devant la Ligue arabe, il sera arrêté pour vol. Or c'est lui l'homme de confiance du Pentagone en Irak. C'est lui qu'on protège plutôt que Hakim. Hakim a été tué, tandis que Chalabi jouit d'une protection totale. Quand Colin Powel se rend là-bas, on peut voir que Chalabi est à ses côtés.

    Tous les jours, on assiste à une destruction visible de la crédibilité de l'appareil, peu importe sa forme, qu'on a mis en place. Je dis destruction visible, parce que les gens le voient à la télévision, dans la pratique et ainsi de suite.

    C'est pourquoi je vous prie de comprendre, en tant que décideurs, qu'il ne faut pas détruire l'avenir en détruisant les instruments qui peuvent éventuellement édifier cet avenir. Je suis vraiment très... Je n'ai jamais pensé que je serais fâché contre une instance comme les Nations Unies, mais voilà qu'aujourd'hui, en tant que citoyen du monde, je suis vexé que George Bush ait détruit non pas un seul pays mais une grande partie du monde musulman.

+-

    Le président: Je vous remercie.

    Nous allons maintenant passer à M. Harvey, puis nous terminerons avec Mme Carroll.

[Français]

+-

    M. André Harvey (Chicoutimi—Le Fjord, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Dewitt, vous avez mentionné que l'ACDI devait modifier son fonctionnement pour la coopération internationale--je ne me souviens pas exactement de vos paroles--, mais il me semble qu'il y a eu des changements importants à la gestion de l'ACDI. En effet, on doublera le budget d'ici 2010, on a créé un programme d'action pour l'Afrique de 500 millions de dollars et on a ciblé beaucoup mieux les pays où il y a une gouvernance responsable afin que notre contribution soit efficace. Quelles autres améliorations suggéreriez-vous à l'Agence canadienne de développement international pour maximiser l'efficacité de son aide? Je suis profondément convaincu que l'efficacité de l'aide n'est pas toujours liée à des ratios et à des budgets. Même si on n'est pas à 0,7 p. 100 du PIB, je me dis qu'on doit travailler sur tout le volet commercial dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce pour essayer de faire preuve de plus d'ouverture envers les pays, entre autres ceux qui sont en grande difficulté.

    Je suis persuadé qu'en ciblant davantage les pays où il y a une bonne gouvernance, en augmentant nos budgets et en essayant d'être plus responsables, on pourra y arriver, mais quelles autres améliorations suggéreriez-vous?

  +-(1250)  

[Traduction]

+-

    M. David Dewitt: J'ai insisté sur la bonne gouvernance et sur le renforcement des capacités, puisqu'il s'agit là des deux domaines les plus importants où nous pouvons apporter une contribution. Je constate que l'ACDI a bénéficié d'une augmentation de son budget.

    Ce qui m'inquiète—et mon appréhension concerne davantage la position du Canada sur la scène internationale, et pas spécifiquement le sujet d'aujourd'hui—, c'est que le monde a énormément besoin de notre engagement, mais nous ne pouvons pas tout faire, en tout cas pas tout faire bien. Par conséquent, nous devons faire des choix. Une des premières difficultés auxquelles se heurte tout organisme oeuvrant dans le domaine des affaires internationales, la défense ou le développement, c'est que le gouvernement a établi des priorités pour lesquelles il est prêt à consacrer des ressources considérables pour faire bouger les choses, plutôt que de se contenter, grâce à ces ressources, d'appartenir à un forum sinon à tous les forums.

    Si le gouvernement devait décider que l'Afrique, à titre d'exemple, compte tenu de la pandémie du sida et d'autres problèmes, est notre principal engagement en matière de développement, il faudrait se rappeler que l'Islam est présent en Afrique et que le continent compte des pays musulmans, où il y a des madrassas. Ces pays ont des liens avec la Ligue arabe aussi bien qu'avec l'Union africaine. Il y a bien des choses à faire. Ma principale préoccupation est qu'il faudra bien évaluer où nous sommes prêts à investir, parce que nous ne pouvons pas investir en s'attendant que le rendement sera positif partout. Nous devons faire des choix. Je ne cherche pas à éluder la question, mais je vous dis simplement ce que nous devons faire en premier lieu et ce qui est le plus important, qu'il s'agisse de l'ACDI ou du ministère de la Défense nationale, que je connais davantage.

    Si nous devions décider d'investir des ressources considérables dans des pays musulmans, notamment dans les pays du Moyen-Orient, nous devrons prendre alors en considération le rapport auquel vous avez fait allusion, soit le rapport des Nations Unies préparé par des experts arabes qui ont mis l'accent sur l'éducation et le renforcement des capacités, surtout en éducation, parce qu'il s'agit d'une région du monde où, selon les données qu'on utilise, entre 55 et 65 p. 100 de la population a moins de 20 ans, et ces jeunes sont soit sous-éduqués ou raisonnablement éduqués et sous-utilisés, et c'est pourquoi il y a énormément de frustration. Pis encore, le rôle des madrassas, dont mon collègue a parlé, est d'une importance capitale. Ces madrassas ne se trouvent pas uniquement au Pakistan, au Cachemire ou en Afghanistan. Il y a le Hamas qu'il faut considérer comme étant une variante palestinienne de ces madrassas à Gaza. Il y a l'une influence des madrassas wahhabites en Bosnie et ce que cela implique pour la reconstruction de sociétés détruites par la guerre ou la construction d'États musulmans ou de pays qui comptent d'importantes minorités musulmanes. C'est pourquoi l'éducation est peut-être le domaine le plus important à long terme si nous voulons contribuer au renforcement des capacités.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Madame Carroll, avez-vous une question à adresser aux témoins ou s'agit-il simplement de notre prochaine réunion?

+-

    Mme Aileen Carroll: J'aimerais poser une question au témoin. Je sais que nous n'avons plus beaucoup de temps.

    Monsieur Akbar, d'après ce que vous disiez à propos de l'ONU, vous ne vous attendiez pas à venir à sa rescousse. Kofi Annan, comme vous le savez, a annoncé hier la création d'un comité des sages qui a douze mois pour présenter son rapport. C'est une excellente chose, car cela fait sept ans qu'on essaie de réformer le Conseil de sécurité et c'est devenu une espèce d'automatisme qui s'auto-alimente. Ce qui est important, c'est qu'il ait fixé ce délai de douze mois.

    Je pense que les torts que les Américains ont causés aux Nations Unies ont dans une certaine mesure provoqué cette crise et la crainte d'un effondrement, et qu'il était peut-être bon de provoquer ce réveil chez certains. Toutefois, est-ce que le fait qu'ils doivent maintenant revenir aux Nations Unies parce que cela ne fonctionne pas sans elles n'est pas de bon augure pour les défenseurs ou les apologistes de l'ONU? J'essaie de trouver une lueur dans cette obscurité généralisée. Qu'en pensez-vous?

  +-(1255)  

+-

    M. M.J. Akbar: C'est certainement de bon augure. C'est une confirmation du rôle des Nations Unies.

    À propos, ce n'est pas une simple expérience ponctuelle, car il y a tout un historique de décisions des Nations Unies qui ont été essentiellement déterminées par le financement américain. Nous ne vous donnerons pas ce million de dollars si..., etc. Les gens ont tendance à oublier que l'ONU est une création des Américains. C'est Franklin Roosevelt qui a repris une formule de la Seconde Guerre mondiale. Les alliés étaient appelés les nations unies. Ils ont pensé qu'il serait bon de créer un organisme qui apporterait au monde quelque chose qu'il n'avait jamais eu auparavant, quelque chose d'essentiel pour l'ère de la démocratie, celle que nous vivons, espérons-le, à savoir l'égalité, le fait que toutes les nations soient plus ou moins égales.

    Je pense qu'il faudra longtemps pour que cette blessure se cicatrise. Certaines des déclarations de Chirac et de Schroeder sont réconfortantes, mais il faut transférer le pouvoir politique aux Nations Unies.

    Pourquoi l'Inde hésite-t-elle? En théorie, elle devrait être avec les États-Unis et l'Irak parce que nous voulons construire cette alliance stratégique et que c'est une occasion remarquable et que nous ne sommes pas musulmans, pas une nation musulmane. C'est parce que nous voyons la destruction de cette institution qui a survécu au temps et au scepticisme. Si elle est détruite, nous allons être confrontés à un unilatéralisme extrêmement dur.

    Accessoirement, l'une des choses qui amène l'Inde et le Pakistan à la table—ce n'est pas quelque chose qui amène la paix, mais elle amène ces protagonistes à la table—c'est la crainte de l'unilatéralisme. Le Pakistan reconnaît ce qu'il ne dit pas, à savoir qu'il est le seul pays musulman doté d'armes de destruction massive. Il sait que son programme nucléaire risque d'être menacé à un moment donné. Qui sait quand la tempête se déchaînera contre Kahuta? Je sais que cette prise de conscience est en train de se réaliser progressivement. C'est la loi des conséquences imprévues.

    Je voudrais dire un mot à propos de l'aide. J'aimerais vous proposer une réflexion radicale : pourquoi ne pas donner cette aide aux madrassas? Actuellement, les madrassas ont une seule source de financement, et cette source détermine le contenu des programmes scolaires. Si quelqu'un décidait de rendre les ordinateurs obligatoires dans les madrassas, les répercussions internes seraient radicales. On ne peut pas les faire disparaître, mais on peut espérer les faire évoluer. Il suffit de leur apporter des ordinateurs. Ces enfants méritent de recevoir une éducation. On ne peut pas leur retirer ce droit. Mais qu'on modifie cette éducation pour en faire des citoyens responsables.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Dewitt, il vous reste 30 secondes, pas plus.

+-

    M. David Dewitt: À propos de l'ONU, et j'espère que le comité y reviendra un jour suite au défit lancé par Kofi Annan, je dirais que cette crise doit être un catalyseur, une occasion de changement et de mobilisation. Je ne suis toutefois pas d'accord sur un point avec mon collègue. Ce n'est pas simplement la question du moment unipolaire et de l'unilatéralisme américain. On peut parler de la période de la guerre froide et de l'après guerre froide où les structures étaient différentes et l'ONU faisait des choses différentes. Mais suite à la rencontre de Durban, à ce discours haineux à l'égard de l'ONU, si cela n'a pas miné la crédibilité du système de l'ONU et si cela ne représente pas un type de défi différent à l'intégrité de l'ONU puisque c'était dirigé par un bloc particulier qui considérait un point de vue très biaisé de la politique internationale, de l'éthique et des droits de la personne... Ce qu'a fait Bush a peut-être contribué énormément à la mobilisation de ce mouvement pour le changement mais Durban, à mon avis, a ouvert la porte à certaines questions de fond quant à l'intégrité de l'ONU en tant que système.

+-

    Le président: Merci beaucoup de cet échange très stimulant que nous venons d'avoir.

    Avant de terminer, Mme McDonough voudrait poser une question qui n'a rien avoir avec nos témoins.

·  -(1300)  

+-

    Mme Alexa McDonough: Je veux simplement être certaine que jeudi nous suivrons la recommandation du sous-comité de la semaine dernière, mardi dernier. Je me demandais si vous pourriez nous faire un rapport à ce sujet.

+-

    Le président: Je demanderais à Mme Carroll de répondre mais j'ai regardé les bleus de la dernière réunion après votre appel. Mme Carroll vous dira qui seront les témoins, espérons-nous, jeudi, et nous pourrons en discuter.

    Madame Carroll, allez-y.

+-

    Mme Aileen Carroll: Merci.

    Je dirai simplement que deux des agents supérieurs du MAECI seront ici pour parler des services consulaires et de ce que l'on offre, comme l'a demandé le comité. D'autre part, M. McNee, sous-ministre adjoint pour la sécurité, accompagnera le nouveau chef des services consulaires. Ceci a certainement été confirmé

    Monsieur le président, je pense que cela durera au plus une heure, après un exposé d'environ 15 ou 20 minutes. Je ne crois pas, ni les témoins qui viendront, qu'ils resteront deux heures. J'ai moi aussi vérifié les bleus et, si j'ai bien compris, vous vouliez aussi que le solliciteur général... je suis la secrétaire parlementaire pour les Affaires étrangères et je laisse donc au comité le soin de faire les démarches auprès du solliciteur général et d'inviter les fonctionnaires à venir vous expliquer leur rôle.

+-

    Le président: Bien, et merci de vous être occupée des témoins des Affaires étrangères. Nous examinons aussi la question avec le solliciteur général.

    Dans le cas de Mme Arar—parce que c'était votre question, vous vouliez que Mme Arar vienne comparaître dès que possible—j'ai interrogé le greffier. À la lecture des bleus, nous convenons d'avoir une rencontre avec MAECI et avec le solliciteur général jeudi, si possible. C'est un préavis très court.

    Je verrai si M. Cotler veut également témoigner en tant que député. Le greffier s'occupe de Mme Arar.

+-

    Mme Alexa McDonough: Monsieur le président, je dois dire—et je serai peut-être trop directe—que je me demande si on est de bonne foi en ce qui concerne une recommandation présentée la semaine dernière, sans que qui que ce soit ne s'y oppose, visant à inviter Monia Mazigh à comparaître en priorité devant le comité. Tout le comité était réuni et a pris cette décision. Elle a été prise au début de la réunion. J'ai demandé que cela soit confirmé à la fin de la réunion. On me l'a confirmé, on m'a dit qu'elle sera invitée à comparaître jeudi.

    Maintenant on dit que le préavis est un peu court et qu'il y a d'autres considérations. Je demande que la décision qui a été prise soit respectée et qu'elle soit invitée.

    Il est clair que nous savons tous très bien que nous avons un programme très chargé et qu'il y a des tas de témoins qui doivent comparaître à d'autres occasions devant notre comité et que le comité doit aussi se déplacer. Mais il s'agit là de la vie d'une Canadienne. Cette semaine sera le premier anniversaire de cette situation intenable.

    Si vous me permettez de citer... et je ne voudrais invoquer aucun de nos témoins quant aux détails de la chose, car ce serait injuste, mais il n'est même pas question de neutralité si nous ne voulons qu'aborder très prudemment toute cette question.

    Je demande, et je vais présenter une motion à cet effet, que le comité réaffirme son engagement à inviter Monia Mazigh jeudi.

+-

    Le président: Madame McDonough, vous n'avez pas besoin de motion. Comme je l'ai dit, l'ensemble du comité a convenu d'entendre Mme Arar. Je vous en ai parlé et c'est vrai.

    Toutefois, nous n'avons pas décidé de la date. Nous avons dit jeudi, simplement pour nous assurer que ce serait fait. Nous voulons aussi entendre le ministère.

    Je vous dis donc que nous ferons de notre mieux. Écoutez, je ne peux pas être plus positif que cela à propos de la comparution de Mme Arar. C'est certain.

+-

    Mme Alexa McDonough: Jeudi?

+-

    Le président: Nous allons essayer de voir si elle est disponible. Nous avons deux heures jeudi et nous n'avons pas besoin de deux heures avec les témoins de MAÉCI, comme vient de le dire Mme Carroll. Nous essayerons donc d'avoir Mme Arar jeudi, après le ministère et la période de questions. Cette décision a été prise à l'unanimité par le comité.

+-

    Mme Alexa McDonough: Merci.

-

    Le président: Bien.

    La séance est levée.