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FEWO Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la condition féminine


NUMÉRO 027 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 5 décembre 2006

[Enregistrement électronique]

  (1110)  

[Traduction]

    La séance est ouverte. C'est la séance numéro 27 du Comité permanent de la condition féminine.
    Je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, nous faisons une étude très importante sur la traite des personnes. Nous vous remercions pour votre participation et sommes impatients d'entendre vos commentaires.
    Nous accueillons aujourd'hui les représentantes de la Federation of Sisters of St. Joseph of Canada, Joan Atkinson, qui en est la codirectrice, et Sue Wilson, également codirectrice. Soyez les bienvenues.
    Nous recevons également le porte-parole de International Justice Mission Canada, Jamie McIntosh, qui est directeur général, et une de ses associées, Hiroko Sawai. Veuillez m'excuser si je n'ai pas prononcé le nom correctement.
    Nous accueillons en outre Gunilla Ekberg, qui représente l'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale et qui est chercheur en matière de traite des personnes. Soyez les bienvenus.
    J'apprécierais que les exposés ne durent pas plus de dix minutes chacun car cela nous donnerait l'occasion de poser des questions lorsque tous les exposés seront terminés.
    Voulez-vous commencer, monsieur McIntosh?

[Français]

    Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant le comité aujourd'hui. Je m'appelle Jamie McIntosh et je suis directeur général de International Justice Mission Canada.

[Traduction]

    Sous ses multiples formes, la traite des personnes est une atteinte grave aux droits de la personne, à la dignité humaine et à la liberté. Une manifestation actuelle est l'esclavage du travail forcé dans le cadre duquel des femmes, des hommes et des enfants sont souvent maintenus dans une situation d'exploitation et de brutalité dont ils n'arriveront peut-être jamais à se libérer.
    Au cours d'une enquête typique d'IJM, j'ai rencontré il y a quelques années une jeune femme qui était forcée de casser des pierres avec une petite masse 12 heures par jour, tous les jours, sous le soleil torride de l'Asie méridionale. Ses maîtres ne se souciaient pas du fait qu'elle était alors enceinte d'environ huit mois. C'est en partie grâce à des fonctionnaires locaux qui se sont montrés coopératifs et à un contingent d'avocats britanniques, américains et canadiens — dont l'un se trouve dans cette pièce — qui ont mis bénévolement leurs compétences à notre disposition, que nous avons pu participer avec succès à une intervention entraînant sa libération immédiate, avec celle de 37 autres personnes. Cet affranchissement leur a permis d'entamer une nouvelle vie.
    D'après des données estimatives fiables, l'expérience quotidienne de cette femme est représentative de la triste situation de 27 millions d'autres personnes qui sont victimes de ce type d'esclavage moderne. Ce qui est choquant, c'est que cela représente 10 000 personnes de plus que le nombre de personnes qui ont été arrachées de force d'Afrique pendant les quatre siècles qu'a duré la traite négrière transatlantique.
    Au cours d'un récent voyage en Afrique, la gouverneure générale Michaëlle Jean a fait le commentaire suivant en pensant aux horreurs de l'asservissement de ses ancêtres:
Ceci ne concerne pas seulement les descendants d'esclaves. Des enfants sont toujours réduits en esclavage de nos jours. Je sais que l'esclavage est encore une réalité contemporaine.
    En fait, si l'esclavage par le travail forcé est brutal — et il l'est —, l'esclavage sexuel est peut-être encore plus horrible. Une jeune femme dont j'ai eu l'honneur de faire la connaissance avait été détenue comme esclave dans un four à briques jusqu'à ce qu'un jour, à l'âge de 14 ans, elle s'enfuit courageusement dans l'espoir d'une vie meilleure. Elle s'est enfuie plus loin que la plupart de ses consoeurs. Elle a réussi à atteindre une gare de chemin de fer où quatre femmes apparemment bienveillantes l'ont traitée avec amitié et lui ont offert du thé. Le thé contenait une drogue et cette jeune femme s'est retrouvée quelques jours plus tard dans ce qui s'est avéré être une maison de prostitution, où elle a été battue avec des tuyaux de plastique, fouettée avec des câbles électriques, brûlée avec des cigarettes et forcée d'avoir des relations avec de 15 à 25 hommes par jour, tous les jours. Ce cauchemar horrible a duré environ trois ans, jusqu'à ce que, par la grâce de Dieu, des enquêteurs d'IJM la trouvent dans cette situation et montent une opération efficace pour la libérer de ses ravisseurs, qui la tourmentaient sans relâche. Cette belle jeune femme n'est malheureusement qu'une des dix millions de femmes et de filles qui, d'après les estimations, sont détenues contre leur volonté, réduites à l'esclavage sexuel et dont le sort dans la vie se résume à être violées en série à des fins mercantiles.
    L'International Justice Mission est un organisme de défense des droits de la personne qui secoure des victimes comme ces femmes, des victimes de la violence, de l'exploitation sexuelle, de l'esclavage et de l'oppression. Nous sommes actifs dans des pays étrangers où on ne peut pas toujours compter sur les autorités locales pour de l'aide. IJM fait des interventions directes sur place dans des cas individuels de traitement abusif, en menant des enquêtes professionnelles afin de documenter les actes de violence et de mobiliser des efforts d'intervention en faveur des victimes. Ces cas nous sont signalés par des organismes d'entraide et de développement actifs parmi les pauvres à l'étranger, qui sont témoins des actes de violence mais sont impuissants.
    L'IJM a des bureaux locaux dans 13 pays d'Asie méridionale dans lesquels l'esclavage est répandu: en Afrique, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, y compris des pays comme la Thaïlande, le Cambodge et les Philippines, où la traite sexuelle est une réalité contemporaine très visible.
    Depuis 1997, les agents d'IJM ont passé des milliers d'heures à infiltrer des réseaux de traite de personnes et à collaborer avec prudence avec les autorités gouvernementales à travers le monde, pour porter secours aux victimes et faire payer les auteurs de ces actes pour leurs crimes.
    Une coopération internationale de cette envergure peut aboutir à des interventions efficaces. En 2003, par exemple, l'IJM a mené des opérations secrètes d'infiltration dans le village cambodgien de Svay Pak, dans la banlieue immédiate de Phnom Penh. Nous avons identifié 45 enfants âgés de moins de 15 ans qui étaient victimes d'exploitation sexuelle, offerts en pâture à des étrangers faisant du tourisme sexuel, y compris, malheureusement, à des Canadiens.
    Dieu merci, d'autres Canadiens participent à la lutte contre cette forme d'abus et d'exploitation sexuelle violente. Le 29 mars, le point culminant de cette enquête a été une opération menée conjointement avec la police nationale cambodgienne au cours de laquelle 37 filles ont été secourues des maisons de passe, dont neuf n'étaient âgées que de 5 à 10 ans. Un résident de Toronto et ex-agent de police de l'ONU, Jasper Ayelazuno, qui nous a accompagnés ici aujourd'hui, a fourni du soutien logistique dans le cadre de cette opération. Celle-ci a donné lieu à 13 arrestations et six condamnations, y compris une peine d'emprisonnement de 20 ans pour le tenancier de la maison de prostitution.
    L'IJM a établi depuis des relations régulières avec les autorités cambodgiennes et donne aux agents de police une formation en techniques d'enquête et en conduite de descentes de police dans des cas de traite sexuelle. Le sergent d'état-major Joanne Verbeek, du service de police de Toronto, a apporté au cours des deux dernières années une aide d'une valeur inestimable dans le cadre de ces initiatives en organisant des déploiements de bénévoles.
    Notre collaboration avec les autorités cambodgiennes a, au cours des deux dernières années et demie, permis de sauver 147 victimes d'exploitation sexuelle commerciale et de faire 59 arrestations d'auteurs de ces délits dont 34 ont été reconnus coupables. C'est par le biais de ce type d'expérience sur place qu'IJM acquiert des connaissances précises sur la nature du problème et tire des leçons sur les mesures concrètes qui s'avèrent efficaces dans la lutte contre la traite des personnes.
    Nous aimerions faire des commentaires sur ce que nous considérons comme faisant partie des principaux besoins dans le cadre des efforts déployés par le Canada pour lutter contre la traite. Les quatre domaines visés — et nous soulignerons seulement le premier pour gagner du temps — sont l'application de la loi, l'éducation et la formation, la sensibilisation sur place et l'élaboration d'un plan d'action national.
    En ce qui concerne l'application de la loi, nous estimons que le plus grand écart entre les efforts du Canada et les efforts faits à l'étranger dans le cadre de la lutte contre la traite se situe au niveau de l'application des lois existantes. Il est essentiel que nos lois visant la lutte contre la traite des personnes soient vigoureusement renforcées pour assurer une protection efficace aux victimes. En fait, ce n'est que lorsque la force des lois ajoute un risque suffisant de sanctions pénales à leurs calculs de coûts que cela a un effet dissuasif sur les trafiquants. En bref, ils considèrent ces jeunes femmes et filles comme de la vulgaire marchandise dont ils font la traite pour leur profit personnel et ils sont déterminés à les exploiter jusqu'au bout, pour autant qu'ils estiment pouvoir s'en sortir impunément. S'ils ne sentent pas le poids de la loi et s'ils ne sont pas arrêtés, poursuivis, reconnus coupables et condamnés, rien ne dissuade les trafiquants.
    Les efforts du Canada pour lutter contre la traite des personnes ne peuvent pas être axés uniquement sur les cas qui ont des ramifications au Canada, et je pense que c'est un facteur qu'il est essentiel de saisir. D'après les chiffres de la GRC, le nombre annuel de victimes de la traite amenées au Canada s'élève entre 600 et 800 et de 1 500 à 2 200 personnes supplémentaires sont acheminées clandestinement vers les États-Unis par le Canada, alors qu'à l'échelle mondiale, le nombre de victimes de la traite s'élève à quelque 700 000 personnes, d'après les chiffres de l'ONU. C'est comme si l'on comparait un tsunami à une cuillérée à thé d'eau.
    Ce n'est qu'en démantelant les réseaux internationaux qui amènent les victimes et les trafiquants au Canada que l'on pourra lutter efficacement contre le trafic des personnes et, pour cela, il faut comprendre les défis que pose la lutte contre la traite dans les pays où a lieu le trafic.
    Si l'on n'affecte pas des ressources pour faciliter la tenue d'enquêtes internationales, les autorités canadiennes chargées de l'application de la loi canadienne ne sont pas positionnées pour mettre en application les lois extraterritoriales existantes qui concernent les contrevenants canadiens à l'étranger. Un redéploiement stratégique des ressources est nécessaire si l'on veut que le Canada aide les pays en développement à lutter contre le fléau mondial que représente la traite des personnes.
    Par exemple, les dispositions législatives canadiennes sur le tourisme sexuel étaient en vigueur depuis huit ans lorsque la première condamnation a été obtenue: les prédateurs d'enfants pouvaient encore agir impunément. Cette inefficacité n'était pas due à un manque de professionnalisme ou de dévouement de la part des autorités canadiennes chargées d'appliquer la loi, mais plutôt une conséquence naturelle de l'absence de déploiement d'enquêteurs dévoués dans le but d'appréhender les Canadiens actifs dans l'exploitation sexuelle criminelle et haineuse d'enfants à l'étranger.
    Jusqu'à présent, la seule condamnation prononcée aux termes de ces dispositions législatives est celle de Donald Bakker. Dans le cadre de cette affaire, les enquêteurs de la police de Vancouver ont collaboré avec l'IJM pour assembler les éléments des délits criminels de Donald Bakker dans le but de lutter contre la traite d'enfants au Cambodge; il s'agissait de fillettes prépubères qu'il torturait tout en se filmant sur bande vidéo. Sans les preuves qu'IJM avait réunies dans le cadre des opérations menées à Svay Pak, il aurait été, d'après le service de police de Vancouver, extrêmement difficile de monter un dossier contre Bakker. Ses crimes contre des enfants seraient fort probablement restés impunis.
    À quoi servent les lois qui sont en place si elles ne sont pas mises en application pour protéger les membres les plus vulnérables de notre société, ces filles qu'on entraîne de force dans des situations semblables? Sans les efforts exemplaires déployés par les autorités canadiennes pour tenir Bakker responsable de ses actes, l'IJM n'aurait, naturellement, pas pu faire intenter des poursuites contre lui.
    L'expérience sur le terrain d'IJM démontre que la traite des personnes à des fins sexuelles est la pire et la plus troublante, mais aussi la plus évitable des calamités causées par l'homme dans le monde contemporain. Le coeur du problème est que la traite à des fins sexuelles n'est florissante que là où elle est tolérée par les autorités locales chargées de l'application de la loi. Ce type de commerce oblige les contrevenants à commettre de multiples infractions d'enlèvement, de viol, de voies de fait et de séquestration, et à le faire ouvertement, pour offrir les victimes en pâture au public afin que les clients sachent où les trouver. Si les clients savent où les trouver, les autorités chargées de l'application des lois peuvent le savoir également. Cependant, si elles reçoivent une participation aux profits de ce commerce, elles n'ont pas vraiment intérêt à mettre en place des opérations efficaces en vue d'assurer la détention des auteurs de ces infractions. Par conséquent, on peut mettre un terme à ces activités lorsqu'il y a volonté politique de le faire et lorsque les ressources opérationnelles nécessaires sont disponibles.

  (1115)  

    Cette vulnérabilité fondamentale démontre qu'il est impératif de renforcer les efforts d'exécution de la loi aboutissant à des poursuites et à une condamnation efficaces des contrevenants, au Canada et à l'étranger.
    Je terminerai mon exposé par un dernier commentaire et une dernière anecdote. La gouverneure générale Michaëlle Jean vient de nous rappeler qu'en ce qui concerne les réalités actuelles de l'esclavage, l'indifférence est de la culpabilité. L'indifférence est monstrueuse. Ces filles sont victimes de la traite et elles sont atteintes du VIH-sida parce que nous n'allons pas les aider sur place. La gouverneure générale a également fait le commentaire suivant: « Non seulement nous trahirions les personnes qui vivent encore dans ces conditions... mais nous nous trahirions nous-mêmes également ».
    Pour éviter que nous ne nous complaisions dans un certain immobilisme, j'aimerais faire une requête toute simple. Elle vient de la courageuse jeune femme dont j'ai relaté tout à l'heure la vie marquée par l'esclavage sexuel. Ce que je ne vous avais pas dit, c'est que de sa propre initiative et en prenant de grands risques pour sa sécurité personnelle, elle a proposé de nous guider jusqu'à d'autres maisons de prostitution où elle savait que des filles étaient toujours séquestrées et violées nuit après nuit. Certaines des filles avec lesquelles nous avons pu entrer en contact grâce à elle étaient littéralement maintenues en captivité dans les maisons de passe, dans des sous-sols ressemblant à des donjons, contre leur volonté. Si nous avons pu secourir plusieurs autres filles, qui nous ont guidés à leur tour vers d'autres filles que nous avons pu également libérer, nous n'avons trouvé aucune trace de certaines de ses amies. Elles avaient probablement été emmenées ailleurs par les trafiquants. Lorsque le moment de se séparer est venu, cette jeune femme m'a prié de raconter son histoire aux Canadiens afin qu'ils puissent utiliser leur influence et leurs ressources pour libérer d'autres filles comme elle, peut-être même ses amies manquant à l'appel. Elle m'a imploré de faire tout notre possible.
    Cette jeune femme n'a pas pu venir témoigner elle-même. Je suis un piètre remplaçant, mais je vous demande en son nom et au nom des quelque dix millions d'autres filles et femmes qui sont dans la même situation, je demande à la Chambre des communes et à tout le pays de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour les sauver. Merci.

  (1120)  

    Merci beaucoup.
    Nous écouterons maintenant l'exposé de Mme Atkinson, de la Federation of Sisters of St. Joseph of Canada.
    C'est moi qui prendrai tout d'abord la parole, si vous voulez bien, madame la présidente.
    Le moment est bien choisi. M. McIntosh vous a exposé la situation générale, à l'échelle internationale, alors que notre exposé sera davantage axé sur la situation au Canada.
    Mme Atkinson et moi travaillons dans un bureau de justice de la Federation of Sisters of St. Joseph of Canada, et nous sommes également membres d'un groupe de lutte contre la traite de la région de London. Nous sommes ici aujourd'hui parce que des membres de ce groupe ont accompagné des rescapés de la traite qui veulent se libérer de l'exploitation. Au cours de ce processus, nous avons beaucoup appris sur les points forts et les points faibles du mode actuel de délivrance des permis de séjour temporaire (PST) pour les victimes de la traite.
    Je présenterai d'abord quelques recommandations concernant ce permis et le processus d'entrevue qui l'accompagne.
    Une des rescapées de la traite que nous avons accompagnée est la seule personne au Canada ayant reçu le PST à titre de victime de la traite. Ce permis est important, car il permet d'accorder rapidement un statut et une reconnaissance aux rescapés de la traite. Cependant, lorsque les victimes prennent le risque de se faire connaître, il est essentiel qu'elles aient l'assurance qu'il y a des ressources et des services de soutien pour leur permettre de se sortir de l'exploitation dans laquelle elles ont vécu et travaillé.
    Les ressources et l'appui nécessaires ne sont pas en place actuellement. Par conséquent, le PST devrait être au grand minimum valide pour une période de six mois afin que le rescapé puisse obtenir une autorisation d'emploi ouverte. Sans cette autorisation, il est impossible de se sortir de l'exploitation. Voici ce qui est arrivé à une femme qui avait obtenu le PST. Quand elle a dit à l'agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) qu'elle avait besoin de travailler, il lui a répondu que la seule possibilité était de renouveler son visa de danseuse exotique, option qui la rendait extrêmement vulnérable à une poursuite de l'exploitation.
    En outre, sans cette protection minimale, la plupart des rescapés de la traite qui en sont toujours victimes ont beaucoup trop peur pour faire une demande de PST. Il n'est pas réaliste pour ces personnes de penser qu'elles seront capables de se soustraire à l'exploitation dans laquelle elle vivent et travaillent, tout en protégeant leur bien-être ainsi que celui de leur famille dans leur pays d'origine.
    Nous estimons que d'autres soutiens s'ajoutant au PST, comme une formation linguistique et une formation professionnelle, sont indispensables, car nous présumons que la plupart des rescapés de la traite devront s'intégrer à la société canadienne. Si une rescapée désire rentrer dans son pays d'origine, il est naturellement essentiel de l'y aider. Cependant, en réalité, compte tenu de l'opprobre auquel les rescapés de la traite feront face dans leur pays d'origine s'ils y rentrent, il leur est généralement impossible d'y faire un retour réussi. Un autre problème lié à un retour dans leur pays est lié à leurs dettes, qui peuvent être très lourdes. Pour la plupart des rescapés de la traite, un retour dans leur pays d'origine se traduirait par une perpétuation de la persécution, du danger et de l'exploitation.
    J'aimerais faire un autre commentaire au sujet de l'entrevue. Étant donné que nous avons accompagné des rescapés de la traite à leur entrevue, nous avons pu constater directement qu'il est important pour ces personnes d'être accompagnées par une personne qui comprend la situation et qui est capable de les aider à présenter leur histoire en vue de leur entrevue avec un agent de CIC. Si un agent de CIC demande à des rescapés si l'on exerçait un contrôle sur eux dans leur milieu de travail, il est possible qu'ils ne comprennent même pas les nuances du terme dans ce contexte. Il est important qu'ils soient accompagnés par une personne capable de leur expliquer les nuances de la langue.
    Je voudrais citer un exemple. Lorsqu'un membre de notre groupe de lutte contre la traite a parlé pour la première fois à la personne qui a reçu le PST, celle-ci a dit qu'elle n'était sous l'emprise de personne dans son premier milieu de travail. Cependant, à mesure qu'elle décrivait ses conditions de travail, le contrôle devenait évident. Dans son pays d'origine, on l'avait trompée sur la nature du travail dans un bar de danseuses exotiques ainsi que sur le montant de sa paye. Au Canada, l'agent local lui a confisqué son billet de retour. Elle a dû remettre son chèque de paye au propriétaire du bar. Elle a dû vivre au bar où elle travaillait et où elle payait son loyer avec les pourboires que lui donnaient les clients. Son loyer était plus élevé que celui des autres locataires de l'immeuble. On la saoulait pour l'inciter à faire des tâches qu'elle trouvait humiliantes. En outre, elle a été punie lorsqu'elle a tenté d'obtenir un changement de quart de travail; elle a été envoyée dans un bar avec une clientèle plus dure, où il y avait des toxicomanes.

  (1125)  

    Grâce à toutes ces informations précises, le membre du groupe de lutte contre la traite a compris que cette femme avait été en fait contrôlée par les trafiquants.
    Pour nous, cette histoire indique l'absolue nécessité d'obtenir avant de faire la demande de permis l'aide d'une personne de soutien qui peut aider la rescapée de la traite à organiser son histoire et à mettre en évidence les éléments qui correspondent aux comportements habituels dans ce milieu. À notre avis, la façon la plus sûre d'instaurer ce soutien serait en établissant une collaboration étroite entre CIC, la GRC et les groupes locaux de défense des victimes de la traite.
    Je demanderai maintenant à Mme Atkinson de faire des commentaires concernant quelques domaines où nous estimons qu'une plus grande clarté est essentielle.
    Je voudrais maintenant faire des commentaires portant spécifiquement sur la nécessité d'avoir des attentes claires dans le contexte du processus de demande de permis de séjour temporaire, puis je suggérerai quelques possibilités qu'aurait le Canada de contribuer à la prévention de la traite des personnes.
    Lorsqu'une femme révèle qu'elle est victime de la traite, il est essentiel de lui faire comprendre clairement qu'elle ne sera pas criminalisée dans le cadre du processus d'entrevue: par exemple, si elle reconnaît avoir menti lorsqu'elle a fait une demande de visa pour venir au Canada, il est essentiel que CIC comprenne que cette personne était probablement déjà sous l'emprise et la manipulation des trafiquants.
    Il est en outre essentiel d'établir clairement au cours du processus que la victime ne devra pas témoigner en cour contre les trafiquants si elle ne s'en sent pas capable. S'il est souhaitable de poursuivre les trafiquants — et il faudrait d'ailleurs encourager les efforts dans ce domaine —, cela ne doit pas constituer une condition d'obtention d'un permis de séjour temporaire, d'un permis de séjour étendu ou de résidence permanente.
    Il est également crucial de définir clairement la traite et d'expliquer en quoi elle influe sur la décision, pour que les victimes sachent si elles doivent ou non demander un permis de séjour temporaire. Il est déjà arrivé à une femme qui demandait un permis qu'un agent de CIC lui laisse entendre qu'elle ne le recevrait sans doute pas parce qu'elle était retournée dans son pays d'origine dans le seul but de renouveler son permis de danseuse exotique. Cette réaction semble déplacer le problème en omettant de tenir compte des circonstances initiales dans lesquelles elle était venue au Canada.
    Enfin, pour protéger les droits de chaque victime éventuelle de traite, il faut pouvoir répondre aux préoccupations sur la façon dont a été évalué le bien-fondé de la cause. Il ne faut pas s'en remettre au sort et simplement espérer tomber à CIC sur quelqu'un qui a été bien formé et est réceptif au problème des rescapés de la traite, car nous savons que les agents de CIC et de nombreux agents de la GRC n'ont qu'une formation rudimentaire, quand ils en ont une, sur la façon de s'occuper des victimes de la traite.
    En outre, quand une décision de l'agent de CIC est défavorable à l'octroi d'un PST, il existe apparemment un mécanisme d'appel, mais pas d'aide financière pour y avoir recours. Par conséquent, nous recommandons un processus d'appel entièrement pris en charge qui permettrait de s'assurer que le processus original soit opérationnel et de protéger les droits des rescapés en les aidant à réintégrer une vie normale au Canada, si tel est leur souhait.
    En matière de prévention, nous estimons que les ambassades canadiennes à l'étranger devraient faire plus lors des entrevues en ce qui concerne les visas de danseuse exotique. Actuellement, on pose la question suivante au cours de l'entrevue: « Savez-vous que vous devrez faire un numéro de strip-tease impliquant de la nudité? ».
    Nous suggérons d'ajouter quelques questions supplémentaires, par exemple: « Savez-vous que les danseuses exotiques sont très mal payées au Canada, et que vous ne gagnerez pas assez pour payer votre loyer et votre nourriture? » et « Savez-vous que pour gagner suffisamment d'argent pour payer vos dépenses, vous devrez aller avec des clients dans une salle isolée — souvent appelée salon VIP — où vous devrez probablement avoir un contact physique intime et où plus le contact sera intime, plus vous recevrez d'argent? ».
    Les employés de l'ambassade devraient également savoir que beaucoup de femmes qui demandent un visa de danseuse exotique sont déjà sous l'emprise de trafiquants et que cela devrait être pris en compte lors de l'entrevue.

  (1130)  

    Enfin, nous aimerions que le Canada fasse davantage, de façon très active, et qu'il joue un rôle prépondérant dans la lutte contre la pauvreté qui est la cause première de la traite. Le trafic des personnes existe parce que des groupes criminels y voient une occasion d'exploiter des personnes qui se trouvent généralement dans une situation désespérée à cause de la pauvreté. Ces personnes ne prendraient pas les risques que cela comporte si elles avaient d'autres possibilités de subvenir à leurs besoins, à ceux de leurs enfants et de leur famille. Par conséquent, il est essentiel de comprendre que la pauvreté est la cause première de la traite des personnes. Nous savons également que la pauvreté est une question qui touche essentiellement les femmes et que la plupart des victimes de la traite sont des femmes. En ratifiant le Protocole de Palerme, le Canada l'a reconnu, et il est essentiel qu'il fasse davantage pour lutter contre la pauvreté.
    Dans le mémoire que nous vous avons remis — et nous supposons que vous l'avez tous reçu —, nous avons énuméré quelques possibilités qu'a le Canada de faire une différence au niveau de la pauvreté, outre les travaux d'un comité comme celui-ci, en négociant des accords commerciaux équitables, en augmentant les niveaux d'aide extérieure aux pays les plus démunis et en annulant la dette des pays les plus pauvres, où le nombre des victimes de la traite est généralement le plus élevé.
    Nous apprécions cet effort et nous répondrons avec plaisir à vos questions lorsque les exposés seront terminés. Je vous remercie.

  (1135)  

    Soyez certaine que nous poserons beaucoup de questions.
    Nous donnons maintenant la parole à Mme Ekberg.
    J'apprécie beaucoup cette occasion de témoigner devant le comité. L'Alliance canadienne féministe pour l'action internationale m'a demandé d'être une personne-ressource pour le comité chargé d'étudier la situation internationale en ce qui concerne la traite des personnes, en dépit du fait que notre organisation n'a pas encore adopté de position sur la façon d'aborder ces questions.
    Jusqu'à tout récemment, j'ai été conseillère spéciale auprès du gouvernement suédois en matière de traite des personnes et, à ce titre, j'ai participé à des activités à l'échelle internationale, dans l'Union européenne et dans d'autres organisations régionales.
    Les commentaires que je ferai aujourd'hui seront axés principalement sur la traite des personnes à des fins sexuelles, mais j'accepterai volontiers les questions sur d'autres formes de traite, si vous le désirez. Je peux également répondre aux questions en français.

[Français]

si quelqu'un veut me parler en français.

[Traduction]

    On estime que le nombre annuel de victimes de la traite fluctue entre 700 000 et 4 millions de personnes. On a de la difficulté à en évaluer le nombre, mais une chose est sûre, c'est que la plupart des victimes sont des femmes et des filles et que la plupart d'entre elles sont recrutées, transportées, vendues et achetées par des particuliers, par des entremetteurs, par des trafiquants et par des membres de réseaux du crime organisé, à l'intérieur des pays et au-delà des frontières nationales, dans le but spécifique de leur exploitation sexuelle dans le milieu de la prostitution. La traite des personnes est naturellement pratiquée également à d'autres fins. Des femmes et des filles sont vendues comme servantes et sont victimes de la traite dans le contexte de mariages forcés ou dans le but de faire des mariages forcés. Nous savons en outre que dans le contexte de conflits armés, de catastrophes nationales et de crises socioéconomiques, les femmes sont doublement victimes des trafiquants et autres individus qui tirent profit et plaisir de leur exploitation sexuelle.
    Il ne faut pas oublier que la traite des personnes à des fins sexuelles est un crime dont les femmes sont les principales victimes et que c'est un grave obstacle à l'égalité entre les sexes. Pour que nos efforts de lutte contre la traite d'êtres humains soient couronnés de succès, il est essentiel que nous reconnaissions que l'entière égalité entre les sexes et la participation égale des hommes et des femmes dans tous les secteurs de la société ne seront pas possibles tant que des femmes et des enfants, surtout des fillettes, seront victimes de la traite d'êtres humains à des fins sexuelles.
    Après la mise en place d'instruments internationaux relatifs aux droits de la personne au cours des 50 dernières années, notamment de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, il est essentiel de discuter de la traite d'être humains à des fins sexuelles dans le contexte de l'esclavage sexuel et de la juger incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. Il faut la considérer comme un acte criminel et comme une entrave grave au droit des femmes d'être des citoyennes à part entière et de mener une vie sans être exposées à la violence.
    Il est essentiel de comprendre qu'il existe un lien entre la prostitution locale et la traite des personnes à des fins sexuelles à l'échelle nationale et mondiale. Une des principales conditions préalables à la traite d'êtres humains à des fins sexuelles est l'existence de marchés locaux de prostitution dans lesquels des hommes ont la possibilité et le désir d'acheter des femmes et des enfants pour l'exploitation sexuelle et la production de pornographie. Ces marchés peuvent s'étendre rapidement; par conséquent, les trafiquants et les entremetteurs ont toujours des possibilités de créer une nouvelle demande.
    La demande des acheteurs fluctue constamment. Les personnes qui fréquentent les maisons de prostitution, les clubs de strip-tease, les studios de massage licenciés et les agences d'hôtesses licenciées, ainsi que les quartiers de prostitution au Canada et dans d'autres pays veulent un accès illimité à une gamme variée de femmes et de filles de différents pays, de différentes cultures et de différents milieux. Cette demande constante pour de la marchandise nouvelle dicte le commerce des femmes et des filles. L'expérience nous a appris en Suède que des mesures de prévention efficaces, qu'une protection et une aide adéquates aux victimes, qu'une application vigilante des dispositions législatives concernant le proxénétisme et la traite ainsi que l'interdiction de l'achat de services sexuels sont des armes dissuasives efficaces contre l'établissement de trafiquants et sont des outils indispensables pour faire disparaître ces crimes.
    D'autres raisons pour lesquelles les femmes sont vulnérables sont, naturellement, la pauvreté, la modernisation et les idées nouvelles sur la subordination des femmes et des filles, ainsi qu'une protection inadéquate de leurs droits. Les femmes et les filles qui vivent dans des conditions économiques, sociales, juridiques et politiques d'inégalité et d'oppression au Canada, et dans leur pays d'origine, sont particulièrement vulnérables à la traite des êtres humains à l'échelle nationale ou internationale. Les trafiquants, les entremetteurs et les acheteurs exploitent à leur avantage le fait que de nombreuses femmes et filles qui sont victimes de la traite des personnes font partie des groupes sociaux les plus opprimés et les plus vulnérables, sont marginalisées sur le plan économique et ont généralement déjà été victimes de violence sexuelle masculine.
    Les auteurs de ces actes profitent aussi largement du fait que les femmes de couleur et les femmes indigènes sont confrontées à des niveaux de violence et d'oppression supplémentaires en raison du racisme. En l'absence d'autres possibilités concrètes et raisonnables, ces femmes et ces filles sont recrutées pour la traite sexuelle.
    Je voudrais passer plusieurs recommandations en revue. La première est qu'il est important de spécifier que toutes les dispositions législatives, politiques et mesures de lutte contre la traite doivent être fondées sur une reconnaissance de l'égalité des sexes dans le contexte des droits de la personne, telle qu'elle a été exprimée dans les obligations internationales que le Canada a contractées en signant le Protocole des Nations Unies sur la traite des personnes, l'article 6 de la Convention relative aux femmes et les articles 34 et 35 de la Convention relative à l'enfant.

  (1140)  

    J'estime que les dispositions législatives canadiennes actuelles concernant la traite des personnes n'assurent pas une protection complète des victimes car le Protocole des Nations Unies contient un paragraphe stipulant qu'il est également essentiel de considérer l'exploitation de la vulnérabilité d'une personne comme un élément de traite dans les dispositions législatives concernant la traite des personnes et de veiller à ce que toutes les autres dispositions législatives soient conformes. Nous savons — et je sais par expérience, puisque je travaille dans ce domaine depuis une quinzaine d'années — que la plupart des victimes ne sont pas directement forcées ou kidnappées à notre époque. Dans le contexte de la traite des personnes, la plupart des victimes sont en fait victimes d'abus parce qu'elles sont déjà vulnérables sur le plan matériel, ou en raison de leurs liens familiaux, ou encore pour d'autres motifs. Ce n'est pas prévu dans les dispositions législatives actuelles. Vous constaterez, comme on l'a fait dans de nombreux pays européens, qu'aux termes des dispositions législatives actuelles, on peut intenter des poursuites dans très peu de cas seulement, à moins que ce ne soit stipulé expressément. L'expérience nous l'a appris, en Suède.
    Je suis horrifiée du fait que le visa de danseuse exotique existe toujours. En 2000, j'ai témoigné devant le groupe de travail intergouvernemental sur la traite des êtres humains au Canada et j'ai expliqué clairement à ce groupe que les trafiquants sont des gens d'affaires. Ils examinent les options légales en matière de traite des femmes avant de les envoyer dans un pays. On a eu recours aux visas de danseuse exotique en Islande, au Luxembourg et dans d'autres pays. Dès qu'ils sont autorisés, on constate une recrudescence énorme de la traite d'êtres humains. Le Luxembourg a supprimé ses visas et la traite de femmes russes envoyées dans les clubs de nuit a cessé immédiatement. Les autorités islandaises nous ont également appris que des femmes qui avaient été amenées en Islande avec des visas de danseuse exotique avaient été dirigées ensuite vers le Canada et inversement. Je prie le gouvernement de mettre immédiatement un terme à cette situation pour qu'elle disparaisse à tout jamais.
    Je tiens à signaler en outre que le protocole des Nations Unies sur la traite ne porte pas uniquement sur la traite internationale, mais aussi sur la traite à l'intérieur d'un pays. Nous savons qu'au Canada, des femmes et des filles, surtout des Autochtones, sont transférées d'une ville à l'autre. Les proxénètes veulent maximiser leurs profits. C'est pourquoi ils font de la traite. Il est essentiel d'en prendre note. Ces femmes et ces filles sont transférées des marchés de prostitution locaux vers d'autres marchés, où des hommes les achètent.
    Si l'on veut lutter efficacement contre la prostitution et la traite des êtres humains, il est absolument nécessaire de décriminaliser les victimes de ces crimes, et cela s'applique également aux femmes qui font partie d'un réseau de prostitution local ou aux femmes qui sont amenées illégalement au Canada et sont utilisées dans la prostitution locale. Le Canada est actuellement un des rares pays où les femmes sont encore criminalisées dans la prostitution et je pense qu'il est temps d'abolir cette mesure.
    Il est, bien entendu, important de mettre en oeuvre des mesures de prévention. Je ne ferai pas de longs commentaires là-dessus, si ce n'est que je préciserai qu'il est essentiel de se baser comme point de départ sur l'égalité des sexes et d'axer ses efforts sur la demande, pour la décourager, sinon vous ne réussirez pas. Je me ferai un plaisir de donner d'autres informations sur les mesures qui ont été prises en Suède et en Scandinavie.
    Il est absolument nécessaire d'inclure dans le Code criminel l'infraction qui criminalise la demande en matière de traite et de prostitution, comme nous l'avons fait en Suède. Nous savons que, grâce à la mise en place de cette mesure législative, nous sommes le pays d'Europe où le nombre de cas de traite d'êtres humains est le moins élevé. Cette mesure a un effet dissuasif sur les trafiquants parce que ceux-ci veulent réaliser des bénéfices et que ces bénéfices sont liés au portefeuille des acheteurs. Si l'on rend la vie difficile aux acheteurs, les trafiquants iront ailleurs. Je pourrai vous donner des informations plus précises à ce sujet plus tard.
    J'estime qu'il est absolument essentiel de s'assurer de la mise en oeuvre efficace des dispositions législatives sur la traite et sur les autres questions qui gravitent autour d'elle. Par conséquent, il est essentiel de mettre en application les dispositions législatives sur le proxénétisme et celles sur les maisons de débauche. Il est également essentiel que vous examiniez de beaucoup plus près l'industrie de la prostitution légalisée au Canada. Je suis Canadienne, mais je ferai semblant d'être Suédoise aujourd'hui. Je peux me le permettre, puisque je suis Canadienne et Suédoise. J'ai la double nationalité.
    Il apparaît clairement que si l'on n'éduque pas les agents de l'autorité, les agents de police, les juges, les procureurs et les agents d'immigration, non seulement en ce qui concerne les dispositions législatives, mais aussi pour qu'ils puissent comprendre les victimes et leur situation, vos efforts seront vains. On continuera à exploiter ces femmes.

  (1145)  

    Je pense qu'il est impératif de mener une enquête sur l'industrie légale de la prostitution à l'échelle nationale, à savoir sur les agences d'hôtesses licenciées et les studios de massage licenciés. Il suffit de feuilleter les pages jaunes de l'annuaire d'Ottawa pour en trouver. Nous savons que les services d'hôtesses sont le pivot de la traite des femmes. En leur accordant une licence, on agit en quelque sorte comme un proxénète. Nous avons constaté que dans d'autres pays où ces licences ont été abolies, la traite des femmes à l'échelle nationale et à l'échelle internationale a diminué.
    Voici une suggestion qui est excellente, à mon avis. Il est en outre important de nommer un rapporteur national indépendant sur la traite des êtres humains, ayant pour mandat de faire enquête sur la traite des personnes au Canada et à destination du Canada, et de faire des recommandations au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux, aux autorités publiques et aux sociétés civiles, dans des rapports annuels, en lui accordant des fonds suffisants.
    Cela existe déjà. Cela existe en Hollande, en Belgique et au Népal, où j'ai collaboré avec les responsables de ce répertoire national. Si vous voulez comprendre la situation, il est absolument essentiel de mettre en place une personne chargée de la surveiller.
    Je voudrais faire un commentaire au sujet des visas, comme l'ont fait les soeurs. Nous avons une longue expérience en matière de visas. Dans toute l'Europe, les visas temporaires sont accordés à la seule condition que les victimes témoignent, sauf en Italie et en Belgique, où l'on a mis en place un système de visas consistant à octroyer ce que l'on appelle des permis sociaux, qui n'obligent pas les femmes à témoigner. Il suffit qu'elles soient en contact avec des organismes sociaux ou avec des ONG qui oeuvrent dans ce domaine et, quand leur état physique et psychologique s'est amélioré, elles peuvent envisager de témoigner, si elles le désirent. Nous n'avons pas de système semblable en Suède, et cela pose un problème.
    Enfin, il est forcément essentiel de financer les organisations qui militent en faveur de l'égalité et collaborent avec les victimes, sinon cela ne sera jamais efficace. En Suède, sur une période de cinq ans, des subventions importantes ont été octroyées à cette fin à diverses organisations de défense des femmes, organisations de défense des droits de la personne, et agences de protection des victimes — des refuges pour femmes battues, etc.
    Merci.
    Madame Ekberg, nous n'avons pas reçu d'exemplaire de votre mémoire.
    Non. J'ai été bloquée 48 heures à l'aéroport de Francfort à cause de la neige qu'il y avait ici et je n'avais pas accès à un ordinateur. Je m'excuse. Vous recevrez mes notes.
    Vous pourrez les remettre à la greffière.
    Oui, je le ferai.
    Nous pourrons ensuite les faire traduire et les faire distribuer. C'était très intéressant.
    Vous nous avez tous donné des informations intéressantes ce matin.
    Nous entamons maintenant la période des questions. Chaque membre dispose de sept minutes. C'est Mme Minna a la parole la première.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Je vous remercie pour vos commentaires. Ils sont très intéressants. Certaines des informations sont répétées, ce qui est bien, car certains facteurs sont ainsi mis en évidence à mesure que notre étude progresse.
    Monsieur McIntosh, vous avez parlé d'une stratégie nationale globale. Il s'agit d'une action nationale qui inclurait à la fois des mesures internationales et nationales. Le comité a décidé d'emblée qu'en raison du champ très large de l'étude, il s'intéresserait initialement aux problèmes qui se posent au Canada et aux situations sur lesquelles nous pourrions avoir une influence au Canada, puis nous examinerons plus tard...
    Voulez-vous dire que ce ne serait pas efficace si les deux parties...

  (1150)  

    Je pense que cette approche engendre une certaine vulnérabilité. Ce serait quasiment comme si l'on essayait de rassembler à nouveau les semences d'un pissenlit après qu'elles aient été dispersées par le vent. On ramasserait des fragments après coup, au lieu de déraciner ces réseaux de traite et d'ébranler ces éléments du crime organisé.
    La réalité statistique est que le nombre des victimes est de 600 à 800 et nous savons qu'il n'est pas facile d'obtenir les chiffres. Si le nombre de victimes de la traite atteint ce niveau au Canada, c'est minime comparativement au nombre de victimes à l'échelle internationale, qui est d'environ 700 000.
    Merci.
    Une des autres questions dont nous avons discuté très ouvertement est celle de la criminalisation de l'utilisateur ou de l'acheteur et de la décriminalisation des femmes. C'est en l'occurrence une des mesures que nous voulons prendre. Je suis heureuse que vous souteniez cette notion.
    Il y a par ailleurs la question que j'ai soulevée avec d'autres collègues, à savoir que la pauvreté en est la principale cause, au Canada et à l'étranger. Je pense que nous comprenons clairement, et la question exige une étude de plus grande envergure, que nous comptons entamer au début de l'année prochaine, portant sur la sécurité matérielle des femmes. L'étude concernerait, bien entendu, le Canada, mais elle portera certainement aussi sur le travail fait à l'échelle internationale, en raison des ententes de développement et des accords internationaux.
    Je voudrais faire un commentaire au sujet des permis de séjour temporaires (PST). Je signale notamment depuis un certain temps que les trois mois, la période de 120 jours, ne sont pas suffisants. Je pensais à un permis d'une durée d'un an qui permettrait aux femmes d'obtenir un permis de travail, en sus des services sociaux et de soutien adéquats dont elles auraient besoin. D'après l'une d'entre vous, il devrait être d'une durée de six mois... par conséquent, nous sommes sur la même longueur d'onde en ce qui concerne la période de six mois à un an.
    L'autre question que je voulais clarifier avec Mme Ekberg concerne l'aspect social supplémentaire qui existe en Italie et pas en Suède. Comment cela se présente-t-il au juste en ce qui concerne la mise en oeuvre de ce système? Est-ce prévu dans les dispositions législatives? Ont-elles un permis?
    En Italie, il s'agit de l'article 18 de la loi italienne relative à l'immigration. Il est stipulé dans cette loi que les femmes qui sont victimes ou qui sont identifiées comme étant victimes de la traite peuvent obtenir un permis de six mois pour avoir le temps de se remettre, et ensuite témoigner, pour autant qu'elles communiquent avec des ONG précises.
    En Suède, il n'existe pas de mesure de ce type. Il faut témoigner, mais aucun délai précis n'est imposé. Les femmes peuvent rester aussi longtemps que dure l'examen de leur cas par le système judiciaire, ce qui peut durer deux ou trois ans, si on va en appel. Elles peuvent également faire une demande d'asile aux termes de la disposition concernant la violence dirigée contre les femmes comme telles ou elles peuvent obtenir le droit d'asile pour des raisons humanitaires.
    De nombreuses personnes sont en faveur de ce permis en Italie et je recommande au comité de se renseigner sur le fonctionnement de ce système. Il est en place depuis quelques années et la plupart des ONG italiennes en sont satisfaites.
    Merci. C'est bon à savoir. Notre attachée de recherche pourra peut-être trouver de l'information.
    Je vous communiquerai volontiers le nom des personnes à contacter, si c'est nécessaire.
    Si vous avez quelques contacts, ce serait utile, et nous pourrions peut-être voir exactement comment fonctionne ce système, car il paraît très prometteur.
    L'autre sujet dont je voudrais parler — et je pense que c'est Mme Ekberg qui l'a abordé, ou peut-être l'avez-vous tous abordé — concerne une intervention au niveau général. Une des constatations que j'ai toujours faite est que — et je pense d'ailleurs que M. McIntosh l'a dit tout à l'heure — si les acheteurs pouvaient le savoir, dans ce cas, tout le monde devrait... Cela se fait parfois sous le couvert d'une agence de mannequins, comme l'a mentionné quelqu'un ici. Il est donc essentiel de réglementer ce secteur de façon plus stricte, car des filles non majeures qui se lancent dans ce métier sont parfois victimes d'abus et sont entraînées ailleurs. Il y a aussi les agences d'hôtesses et d'autres entreprises ayant pignon sur rue qui font de la publicité dans les journaux.
    Je pense que c'est Mme Ekberg qui a signalé qu'en Suède, c'est actuellement interdit. Comment la Suède a-t-elle fait? Quel type de loi a-t-elle mise en place?
    C'est assez général. Je ne dis pas non, car je ne comprends pas pourquoi cela se fait. À mes yeux, c'est une déviation sexuelle, mais en tout cas, je voudrais comprendre comment les Suédois s'y sont pris et quel type de loi serait nécessaire.

  (1155)  

    Depuis le 1er janvier 1999, la Suède a une loi qui interdit l'achat de services sexuels. Par conséquent, quiconque essaie d'acheter un service sexuel où que ce soit, sur Internet, dans un service d'hôtesses ou dans la rue... Nous avons très peu...
    [Note de la rédaction: Inaudible]... service, car il s'agit...
    Madame Minna, il vous reste très peu de temps.
    Je m'excuse, allez-y.
    Où en étais-je?
    Si vous voulez une définition, la notion de services sexuels n'est pas définie dans la loi. Elle est définie dans les tribunaux, et c'est une définition générale. On peut considérer que quiconque donne quelque chose en échange d'un service sexuel — le paie ou donne des produits alimentaires ou un logement gratuit ou quelque chose de semblable — l'achète. Nous avons également interdit le genre d'annonces que l'on voit par milliers dans tous les journaux canadiens. Ça ne devrait pas être toléré, car cette publicité n'est, de toute évidence, pas placée par les femmes; ce sont les proxénètes qui placent ces annonces et qui gagnent de l'argent. En outre, les journaux gagnent des fortunes avec ces annonces.
    Nous savons que ce travail est en place depuis huit ans déjà. Nous avons appris de la bouche de proxénètes et de femmes qui en sont victimes que les proxénètes ont des hésitations en ce qui a trait au marché suédois. D'après les propos recueillis grâce à l'écoute téléphonique, on recommande généralement aux proxénètes d'opérer dans des pays où l'industrie de la prostitution a été normalisée ou légalisée, comme en Allemagne, en Hollande, au Danemark et en Espagne.
    J'ai écrit un article sur cette loi que je peux vous remettre.
    Si vous pouviez le remettre à la greffière, nous l'apprécierions, madame Ekberg.
    Madame Mourani.

[Français]

    Merci, madame la présidente.
    Bonjour à tous. Je vous remercie de vos témoignages. J'aimerais poser quelques questions à Mme Ekberg.
    Je me suis beaucoup intéressée à la paix des femmes en Suède. J'ai regardé un peu tout cela, mais il y a encore des choses que je n'arrive pas à visualiser et à comprendre, notamment en ce qui a trait à la décriminalisation des femmes. Si j'ai bien compris, on a retiré la sollicitation de la loi.
    Mme Gunilla Ekberg: Cela n'a jamais été touché par la loi.
    Mme Maria Mourani: Ici, la sollicitation est criminalisée. Le fait de retirer la sollicitation du Code criminel aide-t-il à décriminaliser les femmes?
    Je crois qu'on doit avoir une loi qui ne vise pas en tout premier lieu à assurer l'ordre public. Au Canada, la loi contre le racolage vise à protéger l'ordre public. Notre loi vise davantage à montrer que la prostitution est une violence et qu'il est inacceptable d'en être un client.
    Je crois que c'est une très bonne idée d'enlever le racolage de la loi et de décriminaliser les femmes, de modifier les principes législatifs et d'adopter une loi qui criminalise les clients.
    L'article sur le racolage ne touchait que la prostitution de rue. Si on enlevait le racolage et la sollicitation et qu'on criminalisait le client et gardait les articles sur le proxénétisme et sur les maisons de débauche, serait-il possible qu'il y ait un effet pervers et que la sollicitation soit considérée comme du désordre public? Pourrait-on avoir des infractions qui seraient reliées à l'ordre public, comme troubler la paix, par exemple?

  (1200)  

    Dans notre système, les femmes sont considérées comme les victimes d'un crime. Cela veut dire qu'elles ont le droit de se sortir de la prostitution, d'avoir de l'aide et de la protection, d'avoir accès à un autre travail, à une éducation, etc. C'est une tout autre façon de penser. Ces femmes ne sont pas des criminelles. Elles sont dans cette situation parce qu'elles étaient victimes de violence et de pauvreté avant de sombrer dans la prostitution. Il faut qu'on regarde cela d'un autre angle. Ces femmes sont réellement victimes d'abus.
    Je n'ai aucun doute à cet égard, mais nous partons d'une loi canadienne. Nous essayons d'amender le Code criminel. J'essaie de penser en ce sens et je n'arrive pas à faire coïncider cela avec la question de l'ordre public. Je vous donne un exemple.
    À chaque année, lors de la tenue du Grand Prix du Canada à Montréal, il y a des festivités au centre-ville de Montréal. Je ne sais pas si vous avez déjà vu cela. Il y a des filles à moitié nues sur les voitures, les bars de danseuses exposent leur marchandise sur la rue, et à travers tout cela, il y a des familles, des enfants, des touristes, etc.
    Si on élimine la sollicitation au Canada, qu'arrivera-t-il? Est-ce que 50 ou 100 prostituées de rue se retrouveront dans ces lieux, ce qui fera « capoter » des gens à cause de leurs enfants, etc.?
    Avant l'adoption de cette loi, il y avait du racolage en Suède. Depuis que la police a appliqué cette loi, il n'y a plus de prostitution de rue. Si on attaque la demande, il n'y a rien à faire pour ces femmes, qui doivent avoir accès à des services d'aide pour quitter ce milieu. Malheureusement, ce n'est pas ainsi que cela fonctionne, mais il est important que la police applique la loi aux clients.
    Il est également très important d'examiner toutes les agences qui sont exploitées en toute légalité, comme les services d'escorte...
    ... et les salons de massage.
    Exactement, parce que ces lieux n'offrent pas des massages: ce sont des bordels. Les agences d'escorte, c'est de la prostitution.
    C'est bien que vous abordiez ce point, parce que c'était mon autre question.
    Ces établissements légaux devraient-ils être abolis totalement et leurs propriétaires considérés comme des proxénètes? On pourrait inclure ces établissements dans l'article du Code criminel qui parle de proxénétisme et de maisons de débauche. Dans la définition, il faudrait inclure les bars de danseuses nues, etc.
    Absolument. Le Canada contrevient à ses obligations internationales à cet égard. Par exemple, l'article 6 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes mentionne clairement qu'on doit abolir la prostitution et la traite des femmes. Dans tous les pays de l'Union européenne, sauf les pays où les bordels sont légaux, toutes ces agences sont illégales. On sait que ce sont des bordels.
    La loi mentionne donc clairement que de tels lieux sont interdits.

[Traduction]

    Madame Smith.
    Je remercie les témoins qui ont fait un exposé. Votre collaboration est très précieuse. Je tiens à vous féliciter pour votre travail dans le domaine de la traite des personnes. En comité, il est facile de reconnaître les personnes qui savent de quoi elles parlent. Et vous savez tous de quoi vous parlez. Je vous en remercie.
    Ma première question s'adresse à M. McIntosh. Si vous étiez une victime de la traite des personnes, que croyez-vous que le comité devrait faire pour vous venir en aide?

  (1205)  

    C'est une très bonne question. Si je tentais d'y répondre sans avoir eu les contacts que j'ai eus avec certaines personnes, mon témoignage serait, bien entendu, fondé sur des présomptions.
    Grâce aux contacts que j'ai eus avec des victimes de la traite, et en particulier avec celles que nous avons tirées de situations horribles, je suis en mesure de dire qu'elles sont avant tout extrêmement reconnaissantes. Je pense qu'elles seraient très reconnaissantes envers le comité d'examiner la question car elles sont séquestrées contre leur volonté dans des endroits dont elles tentent désespérément de trouver un moyen de sortir.
    En tout cas, elles diraient certainement à peu près ceci: « À l'aide. Venez à notre secours. Donnez-nous la possibilité de nous tirer de cette situation ou d'éviter d'être placées dans de telles situations. Aidez-nous à poursuivre ceux qui s'attaquent à nos soeurs vulnérables qui sont également exploitées et parfois trompées, voire enlevées de force. Poursuivez ceux qui exploitent notre vulnérabilité ».
    Ils exploitent la vulnérabilité, les espoirs et les rêves de personnes qui, comme tous les êtres humains de la terre, espèrent une vie meilleure pour elles et pour leurs enfants. Je connais des mères qui me regardent en se demandant ce que deviendront leurs filles si elles les laissent partir en ville ou à l'étranger pour l'emploi qu'on leur offre. Elles ne savent pas ce qui pourrait arriver.
    C'est une situation où l'on use de violence pour attirer les victimes. Ce n'est pas une question de choix. Elles n'ont pas l'occasion d'exiger que les hommes utilisent des préservatifs et elles contractent par conséquent des maladies. La plupart des filles que j'ai rencontrées dépérissent. Elles sont âgées d'une vingtaine d'années et sont en train de mourir. Elles meurent du VIH. Elles meurent d'autres maladies et on a abusé d'elles au maximum; leurs espoirs et leurs rêves sont anéantis.
    Par ailleurs, il y a celles qui sont dans une situation matérielle extrêmement précaire et qui sont, du fait même, vulnérables et n'échappent à certaines formes d'esclavage que pour être entraînées dans d'autres par le biais de la traite.
    Je pense donc qu'elles imploreraient notre aide.
    Ce qu'il est essentiel de savoir, c'est que ce n'est pas uniquement la pauvreté qui en est la cause; la cause est double. L'autre cause est l'appât du gain. Quand on examine la question du point de vue des auteurs de ce trafic, ils exploitent les personnes vulnérables pour pouvoir augmenter leurs revenus. Que ce soit légal ou illégal, ils exploiteront toutes les personnes qu'ils peuvent exploiter, dans n'importe quel contexte. Il est impératif de poursuivre ceux qui violent les droits et la dignité de ces femmes et de ces filles.
    Merci beaucoup pour votre réponse, car elle concorde vraiment avec les commentaires qu'ont faits jusqu'à présent les témoins que nous avons entendus.
    Je voudrais également poser une question à soeur Wilson et à soeur Atkinson. J'ai été très remuée par votre exposé, car j'ai travaillé avec des femmes victimes de la traite et je constate que vous savez exactement ce qui se passe.
    Ce que vous avez dit au sujet du permis de séjour temporaire m'a fort intéressée, car je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez dit, à savoir que six mois doit... Compte tenu de l'état mental et physique de ces femmes et de la peur... Il leur faut du temps. Une des choses qui m'a toujours étonnée, c'est que les forces policières, même si elles sont généreuses et qu'elles font de leur mieux... On ne peut pas capturer ou sauver une personne puis la faire témoigner; ça ne va pas. Je pense qu'il est essentiel de mieux comprendre ce que c'est d'être intimidé de façon très violente. Ça laisse des marques durables.
    Est-ce que l'une de vous pourrait dire quelle serait la préoccupation la plus urgente, ce que nous pourrions faire ou recommander dans l'immédiat pour aider les femmes victimes de la traite au Canada? Vous et moi savons qu'il y en a. J'en connais à Toronto. J'en connais à Sarnia. J'en connais ici même, en Ontario. Il y a très peu d'endroits où elles peuvent aller se réfugier, à moins que... et je remercie les ONG et les églises, car ce sont des endroits où on leur ouvre les bras et où on leur permet de se réfugier.
    Pourriez-vous expliquer au comité les mesures qu'il serait le plus important de prendre dans l'immédiat pour aider ces personnes, au lieu d'attendre un an ou de poursuivre l'étude pendant cinq ans? Que pouvons-nous faire pour les aider?

  (1210)  

    D'après notre expérience, il y a au Canada de nombreuses victimes de la traite qui ont beaucoup trop peur pour demander quelque aide que ce soit. Si elles ont peur, c'est parce qu'elles savent qu'on n'a pas mis en place de mécanisme de soutien pour les aider si elles le font.
    Elles ont avant tout besoin d'avoir l'assurance que si elles se font connaître, elles ne seront pas forcées de témoigner. Il est à espérer — et tout le monde le souhaite — qu'elles seront un jour disposées à témoigner. Cependant, quand on force une personne à témoigner, celle-ci quitte une situation dans laquelle une certaine emprise est exercée sur elle pour une autre situation de contrôle. Ça ne donne pas beaucoup d'espoir aux victimes.
    Ces personnes ont besoin de savoir qu'elles ne seront pas criminalisées à une étape ou l'autre du processus. Si elles ont été sous l'emprise des trafiquants pour des périodes d'une durée variable, elles ont peut-être commis beaucoup d'actes qui sont techniquement criminels. Elles ont besoin de savoir qu'elles ne seront pas criminalisées.
    Elles ont besoin de savoir qu'elles recevront de l'aide pour faire la transition. Certains travailleurs migrants sont indéniablement victimes de la traite et ont pourtant trop peur pour se faire connaître. Pour déclarer leur situation, ils doivent avoir l'assurance d'avoir un refuge. Il existe pourtant de nombreux refuges au Canada, mais la plupart sont surchargés et, par conséquent, ne sont pas capables d'accueillir un grand nombre de personnes supplémentaires. Il est essentiel d'établir des refuges où ces personnes savent qu'elles peuvent se cacher. C'est un minimum.
    La raison pour laquelle j'ai parlé de six mois pour l'autorisation d'emploi ouverte est que c'est le minimum pour pouvoir travailler. Il faut une option. De toute évidence, ces personnes ont besoin d'aide sociale à court terme. Elles sont prêtes à travailler et capables de le faire. Elles veulent faire cette transition, mais elles ont besoin des soutiens nécessaires.
    Comme je l'ai signalé, la plupart des personnes avec lesquelles nous avons discuté n'arrivent pas à envisager la possibilité de refaire leur vie dans leur pays d'origine, ne fût-ce qu'en raison de l'opprobre social. En fait, c'est considéré comme un élément de persécution dans le processus de détermination du statut de réfugié. C'est très réel pour ces personnes-là. Elles n'envisagent pas la possibilité de retourner dans leur pays.
    Il faut présumer qu'elles seront capables de s'adapter à la vie au Canada. Par conséquent, il est essentiel qu'une formation professionnelle, une formation linguistique et de l'aide sociale à court terme soient en place. Avec ces types de soutiens, je pense que davantage de personnes se feront connaître, surtout des travailleurs migrants.
    Merci, madame Wilson.
    Madame Mathyssen.
    J'ai plusieurs questions à poser.
    J'aimerais tout d'abord remercier Sue Wilson et Joan Atkinson. Je connais le travail que vous faites. J'en ai fait l'expérience personnelle avec des réfugiés, des travailleurs migrants et des personnes de notre collectivité dont on se désintéresse très souvent.
    Vous avez signalé que le Canada est un pays riche et que nous dressons malheureusement de nombreuses barrières en ce qui concerne les réfugiés qui viennent ici et sont par conséquent pris au piège de la traite.
    Je me demande quels changements il serait nécessaire d'apporter à nos politiques actuelles en matière d'immigration et de réfugiés. Je sais que c'est une question d'une portée considérable, car de nombreux changements sont nécessaires.
    En ce qui concerne les femmes qui viennent au Canada avec des visas de danseuse exotique, je pense qu'il est essentiel d'offrir d'autres possibilités qui permettraient aux personnes se trouvant dans une situation matérielle précaire de trouver un emploi lorsqu'elles arrivent ici. Je pense en outre qu'il est important qu'elles soient rassurées et qu'elles aient l'espoir de pouvoir amener leur famille avec elles, immédiatement ou peu de temps après leur arrivée.
    De nombreux immigrants pensent que les moyens de faire bien vivre leur famille ne sont pas une raison suffisante pour venir au Canada. Il est nécessaire de modifier cette perception.
    Le Canada a besoin de beaucoup d'employés dans de nombreux secteurs. Bien des personnes sont disposées à travailler dur et à apporter leur contribution à notre pays. Cela les aiderait à sortir de la situation dans laquelle elles se trouvent dans leur pays d'origine. Elles peuvent nous faire profiter également de leurs nombreuses compétences.

  (1215)  

    Merci.
    J'adresse ma deuxième question à Mme Ekberg. Vous avez signalé que certaines femmes se trouvent au Canada dans des situations dans lesquelles elles ne sont pas à égalité avec les autres citoyens sur les plans politique, économique et social, et c'est probablement une vérité que nous n'aimons pas entendre. Vous avez également mentionné le fait qu'il semblerait que les femmes autochtones soient particulièrement vulnérables à la traite du fait qu'elles sont marginalisées; on reconnaît d'ailleurs que de nombreuses victimes, un grand nombre de nos soeurs, deviennent victimes de la traite pour cette raison.
    Je me demande si d'autres groupes sont vulnérables. Connaissez-vous d'autres groupes qui sont particulièrement vulnérables à ce type de victimisation au Canada, alors que nous pensons que nous avons réalisé l'égalité, mais que nous nous trompons de toute évidence?
    Je pense que toutes les personnes marginalisées, et en particulier les femmes qui vivent dans la pauvreté, sont extrêmement vulnérables face aux proxénètes qui les recrutent, car il ne faut pas oublier l'autre facteur, à savoir que ce sont les proxénètes qui vont faire du recrutement dans les collectivités.
    Je viens d'aller en Alberta. Nous savons que les proxénètes vont dans les collectivités, et en particulier dans les collectivités rurales, où certaines jeunes femmes n'arrivent pas à trouver un emploi, pour leur suggérer de devenir danseuses nues. C'est naturellement un subterfuge pour les attirer dans la prostitution.
    Les jeunes femmes qui se sauvent du foyer familial parce que leur père, leurs frères ou d'autres membres masculins de leur famille les ont toujours agressées sexuellement, échouent dans la prostitution si elles n'ont pas de chance, car des acheteurs leur tendront un piège en leur proposant un toit et de la nourriture.
    Il s'agit de femmes qui sont racialisées, qui viennent ici et qui sont naturellement victimes de la traite.
    Un autre groupe de femmes avec lesquelles j'ai travaillé lorsque j'habitais Vancouver sont des Philippines qui venaient au Canada avec un visa d'employée de maison. Nous venions de mettre en place un projet parce que nous avions remarqué qu'un nombre assez élevé de femmes se retrouvaient dans la prostitution. Elles étaient amenées au Canada pour des mariages forcés, puis étaient envoyées de force dans des studios de massage et de services d'hôtesses de Vancouver.
    La pauvreté n'est pas une cause, mais c'est une situation qui rend les femmes vulnérables. La cause est que les hommes les achètent, et la vie que connaissent ces femmes est un facteur.
    J'aimerais m'adresser, si vous me le permettez, aux soeurs de St. Joseph. Dans votre mémoire, vous avez mentionné la pénurie d'installations adéquates, en particulier au chapitre du logement. Nous savons que nous traversons actuellement une crise nationale du logement au Canada, qui touche tout le pays. On a beaucoup de difficulté à trouver un logement temporaire approprié pour les victimes. Nous savons que certaines ONG et certains groupes religieux se sont chargés de leur en fournir, mais il ce sont apparemment des cas exceptionnels, compte tenu du coût et de la pénurie de logement.
    Avez-vous des recommandations à faire en ce qui concerne la façon dont on pourrait et dont il faudrait offrir un logement aux victimes de la traite? Que faudrait-il mettre en place dans les grandes localités pour éviter de dépendre des groupes religieux et des ONG?
    On peut à mon avis réagir à différents niveaux. Pour une réaction très rapide et à court terme, quelque chose qui pourrait changer du jour au lendemain, si quelqu'un se présentait à CIC pour faire une demande de PST, il faudrait que quelque chose soit prévu pour parer à l'immédiat, comme un coupon de la Croix-Rouge pour le logement, pour que la personne qui doit se sortir de cette situation et se réfugier dans un endroit où elle gardera l'anonymat, puisse le faire tout de suite. Si l'on ne met pas un tel mécanisme en place, les victimes ne se feront tout simplement pas connaître et ne demanderont pas de l'aide. Il ne faut donc pas penser que les personnes concernées vont d'abord faire la demande et que vous pourrez ensuite déterminer l'existence d'un besoin; les victimes ne se feront pas connaître à moins d'être assurées qu'elles pourront être en sécurité.
    Je pense que dans les grandes villes et les grands centres où nous savons que la traite se pratique — par exemple, avec les travailleurs migrants dans le sud-ouest de l'Ontario —, il faudrait mettre en place des possibilités de refuge. Il est essentiel que ces refuges soient financés par le gouvernement. Les communautés religieuses peuvent intervenir à certains endroits, mais elles ne peuvent pas intervenir partout à la fois. Par conséquent, il est impératif d'accorder des subventions pour que les possibilités d'accès à un refuge soient convenables.

  (1220)  

    Merci beaucoup. Le temps dont vous disposiez est écoulé.
    Madame Stronach, puis ce sera au tour de M. Stanton.
    Merci, madame la présidente.
    Madame Ekberg, vous avez parlé de créer un poste de rapporteur international. C'est probablement la première fois que j'entends un témoin faire une telle suggestion, à moins que cela m'ait échappé. Vous avez dit que c'était très efficace et essentiel. Pourriez-vous donner des informations un peu plus précises à ce sujet?
    En 1996, l'Union européenne a suggéré dans une déclaration s'adressant à tous les États membres de créer des postes de rapporteurs nationaux pour surveiller la traite. La Suède et la Hollande ont décidé de le faire en 1998 et la Belgique l'a fait un peu plus tard.
    Je ne suggère pas au Canada d'en faire autant mais, en Suède, le poste de rapporteur relève de la police criminelle nationale. Le rapporteur est un inspecteur détective. Cette dame occupe le poste depuis neuf ans. Elle prépare régulièrement des rapports sur la traite — sur les victimes, sur les services auxquels elles ont accès — et sur les tactiques opérationnelles, puisqu'elle relève de la police.
    Au Népal, le poste de rapporteur national se présente de façon différente. Il s'agit d'une entité indépendante, qui surveille également la situation, fait de la recherche et rédige des rapports. Dans les deux cas, les rapporteurs font des recommandations, mais le rapporteur hollandais fait davantage de recherche. Je ne préfère pas ce modèle. Je préfère le modèle du rapporteur indépendant qui a pour mandat de parcourir le pays et d'avoir des entretiens avec la police, avec les ONG, avec les autorités publiques qui s'occupent de la question — ou qui ne s'en occupent pas mais devraient le faire — et fait une fois par an des recommandations qui devraient être mises en oeuvre.
    Dans tous ces pays-là, ce poste est financé par le gouvernement, mais il est indépendant. C'est un outil très efficace.
    Sept des rapports du rapporteur suédois ont été traduits en anglais. Le huitième est en cours de préparation. Nous pourrions vous les faire parvenir, si vous voulez.
    Il serait à mon avis très intéressant, madame la présidente, d'examiner la question de plus près.
    Je présume que ces rapports et recommandations sont rendus publics chaque année également.
    Oui, ils sont rendus publics par le biais d'une conférence de presse, afin de donner une grande visibilité aux commentaires du rapporteur. Le but est également de faire réagir les gouvernements et de les pousser à agir.
    J'aime le fait — et je suis d'accord avec ce que vous avez dit à ce sujet — que s'il s'agit d'une fonction indépendante et que le titulaire du poste peut faire des recommandations, cela renforce son rôle.
    Nous devrions à mon avis examiner la question de plus près pour pouvoir inclure la création de ce poste dans nos recommandations.
    Je pense qu'il est important que ce soit non seulement une personne chargée du maintien de l'ordre public. Il est essentiel que le poste soit basé sur l'égalité entre les sexes et sur une connaissance des principes sur lesquels reposent nos actions. C'est le cas en Suède, ce qui fait une grosse différence en ce qui concerne les recommandations.
    Un défi qui est mentionné constamment par les témoins concerne la sensibilisation et l'éducation. Je pense que si l'on procède comme vous l'avez suggéré, si l'on a recours aux communications et que l'on tient une conférence de presse, cela pourrait devenir un point de convergence annuel et un outil de mesure des progrès réalisés.
    Il faut que ce soit une personne en fin de compte extrêmement compétente pour ce poste, quelqu'un qui sait tout ce qui se fait dans ce domaine.
    Ma question suivante porte sur le permis de séjour temporaire. Nous recommanderons forcément une restructuration du PST. Quels sont les facteurs essentiels que nous devrons prendre en considération, les principaux facteurs, en ce qui concerne ce permis? En fait, le permis social est un autre outil mais qui n'a été mentionné que par très peu de témoins; c'est le lien avec l'ONG ou avec la collectivité sociale, avec l'assistance et avec CIC.
    Quels sont les éléments essentiels dont il est nécessaire de tenir compte dans la réorganisation du PST?

  (1225)  

    Comme je l'ai signalé, les permis sociaux seraient l'outil idéal. Si vous faites le lien avec le témoignage, il est important que les femmes soient protégées et qu'elles soient en sécurité et aient accès à tous les services nécessaires, tant sur le plan psychologique que sur le plan matériel — de l'argent et de l'aide pour vivre —, et ce, dans un lieu où elles sont en sécurité.
    Je signale également qu'en Suède, nous avons commencé à collaborer dans le cadre de réseaux avec toutes les autorités publiques et les ONG responsables de protéger les victimes et de leur apporter de l'aide. Quand une victime est identifiée, la police devrait pouvoir appeler un des membres de ces organismes et mettre tout le processus en marche. C'est ainsi que l'on procède dans les trois plus grandes villes.
    On ne peut pas instaurer un permis sans les services qui s'y rattachent. Les proxénètes poursuivent les femmes. Certaines jeunes femmes sont très attachées aux trafiquants parce qu'elles ont vécu avec ces hommes-là. Elles sont en outre torturées depuis des années. Elles essaieront de s'échapper. Certaines femmes veulent rentrer dans leur pays. Elles ne veulent pas toutes rester dans le pays où elles se sont retrouvées, en tout cas pas en Suède, car c'est l'endroit où elles ont été atrocement violées; elles ont peut-être des enfants et des attaches dans leur pays.
    Il est donc essentiel de mettre en place un mécanisme qui leur permette de rentrer dans leur pays en sécurité.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Stanton.
    Merci, madame la présidente. Je remercie également les témoins d'avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui.
    Je voudrais poser la question suivante aux soeurs. Mesdames Wilson et Atkinson, vous avez décrit de façon très convaincante deux facteurs qu'il est essentiel de prendre en considération. Le premier est que la pauvreté est la principale cause et l'autre est la question de la demande, et en particulier la demande de services de prostitution.
    Tout au long de cette étude, l'une ou l'autre de ces deux causes apparentes a été mentionnée à maintes reprises. Je me demande si vous pourriez donner des informations un peu plus précises sur ce qui semble être une relation de cause à effet, car nous avons entendu deux sons de cloche différents. Ce qui est troublant pour moi et peut-être pour d'autres membres du comité, c'est que les efforts pour mettre fin à cette situation, en particulier en ce qui concerne la pauvreté dans le tiers monde, doivent être des efforts mondiaux massifs. Nous faisons bien entendu notre possible à l'échelle canadienne. D'autre part, nous pouvons modifier le droit pénal. Pourriez-vous indiquer quelle est la cause principale? Est-ce la pauvreté? Est-ce la demande? Sur lequel de ces deux facteurs devrions-nous concentrer notre attention pour tenter de régler ce problème?
    Je pense pouvoir dire que ces deux facteurs sont importants, ce qui n'est probablement pas la réponse que vous vouliez entendre. En ce qui concerne les motifs pour lesquels des personnes sont prêtes à se mettre dans des situations aussi dangereuses, dans lesquelles elles sont aussi vulnérables, c'est parce qu'elles n'ont pas d'option dans leur pays d'origine si elles sont victimes de la traite internationale. Et même au Canada, si elles viennent d'une collectivité rurale pour s'établir en ville et sont prises dans le réseau de la traite, c'est parce qu'elles n'ont pas d'option dans leur région. La pauvreté est donc probablement la cause la plus profonde.
    En ce qui concerne la prostitution, je pense que nous pouvons intervenir et ce, assez rapidement, en poursuivant les proxénètes ou les autres personnes qui tiennent ces femmes sous leur emprise, et en décriminalisant les prostituées; nous savons en effet que la plupart de ces femmes ne se mettraient pas dans de telles situations de leur plein gré, de façon consciente et délibérée. Elles se sont retrouvées là faute d'options.
    Quand on a été déshumanisé par la prostitution, il est très difficile de s'en sortir sans l'aide de nombreux services de soutien; par conséquent, l'action contre la pauvreté est impérative dans la communauté internationale et, au Canada, il est essentiel d'atteindre certains des objectifs qui visent à faire de la pauvreté à l'échelle internationale et à l'échelle nationale une chose du passé.

  (1230)  

    Une des mesures stratégiques que nous pouvons prendre également au Canada serait de tenir compte de la réalité des réfugiés voulant améliorer leur situation matérielle. Si nous ne donnons pas aux gens des moyens légaux d'immigrer au Canada, ils adopteront des méthodes beaucoup plus hasardeuses, et c'est un facteur important qui rend vulnérable à la traite. C'est une réalité et il est impératif d'en tenir compte dans nos politiques et de lui faire place.
    Puisque le temps dont je disposais pour ce tour de table est presque écoulé, pourquoi ne consacrerions-nous pas la dernière minute à une réponse des deux autres témoins? Avez-vous d'autres commentaires à faire au sujet de ces deux facteurs dont nous devrons forcément tenir compte dans le contexte de notre rapport?
    Oui. La traite sexuelle est effectivement exacerbée par la pauvreté et par une situation matérielle précaire, mais nous n'avons pas constaté qu'elle prenait des proportions épidémiques dans les régions du monde où la pauvreté est prévalente. On constate des taux endémiques de pauvreté dans divers pays et dans diverses régions, mais pas des niveaux équivalents de traite des personnes, particulièrement à des fins sexuelles.
    Ce que nous avons constaté en fait, c'est que la traite sexuelle n'est florissante à une grande échelle que dans les pays ou les collectivités dans lesquels elle est tolérée par les autorités locales ou nationales chargées de l'application de la loi; il ne suffit par conséquent pas d'augmenter l'aide au développement international pour atténuer le problème.
    J'ai travaillé pendant quatre ans pour une organisation de développement international et suis conscient de la nécessité impérative d'offrir ce type d'aide, mais si elle n'est pas alliée à un respect de la primauté du droit et des droits des personnes qui se trouvent dans ce type de situation, tout ce qu'on leur aura donné leur sera repris petit à petit. Ces personnes-là seront privées de leurs droits et leur liberté sera anéantie par des prédateurs qui ont davantage de pouvoir économique, physique, juridique, social ou politique et qui les exploitent. Si on ne limite pas la liberté d'action de ces derniers en appliquant la primauté du droit et en faisant respecter les droits de ces personnes, l'aide destinée aux victimes sera peut-être détournée au profit des trafiquants et des proxénètes, car c'est un milieu où règne l'appât du gain et la corruption.
    Le temps qui était disponible est largement écoulé. Nous pourrions peut-être obtenir une autre partie de cette réponse par le biais des questions posées par d'autres membres. Nous nous efforçons de donner à chacun l'occasion de poser des questions.
    Madame Deschamps, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci beaucoup de votre présence aujourd'hui.
    Madame Ekberg, j'aimerais que vous nous parliez davantage du modèle suédois. On dit que vous avez participé à la rédaction d'un projet de loi sur la traite des personnes.
    J'aimerais savoir de quelle façon cela est venu en Suède. Est-ce venu d'une concertation de la société civile avec les représentants de l'ordre et d'une volonté des instances politiques? De quelle façon en est-on arrivé à instaurer une loi sur la traite des personnes? D'où tout cela est-il venu? De quelle façon cela s'est-il mis en branle?
    Vous parliez de culture. Tous les témoins que nous avons entendus en comité éprouvent de la difficulté à définir la traite des personnes. Nous avons de la difficulté à nous entendre à ce sujet. J'aimerais savoir de quelle façon nous pourrions orienter cette définition ici, en comité.
    Premièrement, il serait nécessaire que le Canada utilise la définition du protocole. Cette définition est très claire. À mon avis, la loi qu'on a ici, au Canada, est incorrecte. L'interprétation du protocole n'est pas correcte dans la loi. C'est donc nécessaire d'apporter des changements à cette loi, de sorte qu'elle soit compatible avec ce qu'il y a sur le plan international.
    En Suède, on travaille contre la prostitution et la traite depuis très longtemps. Au cours des années 1970, on a commencé à s'interroger sur la façon dont on pourrait faire quelque chose, surtout pour les victimes. C'est alors qu'on a décidé d'élaborer une loi criminalisant les acheteurs de services sexuels. On a également fait une loi très sévère sur le proxénétisme. En 2002, on a décidé de faire une loi sur la traite des êtres humains parce qu'on avait ratifié le protocole.
    Comme on le fait toujours pour les lois en Suède, le gouvernement travaille d'abord à un brouillon. Ensuite, ce brouillon est envoyé à tous les organismes qui travaillent sur cette question. Ils en discutent, et on amende le brouillon après cette consultation par écrit.
    Néanmoins, on constate que cette loi sur la traite dont on dispose maintenant n'est pas assez rigoureuse. En effet, quand il s'agit de femmes de plus de 18 ans qui font l'objet d'un trafic, c'est très difficile en ce moment de porter des accusations contre les trafiquants, surtout parce que les juges ne comprennent pas la situation de ces victimes. Ils pensent que ces femmes travaillent volontairement dans les bordels, que c'est quelque chose qu'elles veulent faire.
    Aussi, non seulement on va renforcer la loi, mais en même temps, on a décidé d'éduquer davantage les juges et les procureurs. On ne peut pas simplement faire une loi. C'est vraiment important de faire une véritable éducation des juges.
    Tous les trafiquants en Suède sont condamnés selon la loi sur le proxénétisme; ils ne sont pas libres. Toutefois, les peines de prison sont plus courtes pour le proxénétisme que pour la traite. Je pourrai donner tous les détails plus tard, car c'est un peu compliqué.
    La loi canadienne n'est pas assez stricte. Les statistiques indiquent qu'il y a entre 600 et 800 victimes de la traite au Canada. Ce n'est pas possible, car c'est un grand pays. Dans les petits pays de l'Union européenne, il y en a beaucoup plus.
    C'est ainsi au Canada parce qu'on a fait une distinction entre les femmes qui viennent ici volontairement, et qu'on considère comme telles parce qu'elles ont des visas de danseuses exotiques, par exemple, et celles qui sont amenées ici de force. Cette façon de définir le mot « force » ne fonctionne pas. Voilà pourquoi j'ai dit qu'il fallait qu'on insère dans la loi, par exemple,

  (1235)  

[Traduction]

exploitation de la vulnérabilité d'une personne
    Merci beaucoup.
    Madame Mathyssen, puis Mme Davidson.
    Merci. Vous m'avez prise au dépourvu.
    Monsieur McIntosh, vous avez signalé que la pauvreté n'était pas toujours la cause. Parfois, celle-ci est liée au fait que les gouvernements ne tiennent pas particulièrement à enrayer la traite et ne sont pas déterminés à soutenir les femmes de la communauté.
    Le Canada a une grande influence. Nous négocions des accords commerciaux à travers le monde et avons la réputation d'être un pays qui respecte les droits de la personne. Sera-t-il nécessaire que nous rattachions le respect des droits de la personne et une interdiction expresse de la traite aux accords commerciaux que nous passons? Est-ce une façon de convaincre les pays étrangers concernés que nous sommes sérieux et que la traite est une chose que nous prenons au sérieux?
    Ce qu'il faut évaluer, c'est la structure du pouvoir qui permet aux auteurs de ces actes de l'emporter sur les personnes vulnérables. D'une façon générale, la cause principale est que la traite remplit les poches de certaines personnes, que quelqu'un profite de l'exploitation de ces femmes et de ces enfants vulnérables. Il serait certainement utile d'explorer ces types de liens, dans lesquels les accords commerciaux...
    Les États-Unis ont mis en place, par exemple, une institution appelée Office to Monitor and Combat Trafficking in Persons (bureau de surveillance et de lutte contre la traite de personnes) qui publie, comme vous le savez probablement, un rapport sur la traite des personnes. Ce bureau surveille et classe certains pays selon les mesures concrètes qu'ils prennent pour abolir la traite des personnes. Sa mission n'est donc pas seulement d'en discuter ni de faire des recherches et des études sur la question, mais d'abolir la traite et d'intenter des poursuites contre les responsables de ces actes et de les faire condamner.
    Nous n'avons pu avoir une influence efficace qu'en intervenant sur place — comme au Cambodge, par exemple — dans des situations dans lesquelles nous avons pu exercer des pressions politiques efficaces sur les pays concernés en menaçant leurs relations commerciales. Le Cambodge, par exemple, a été classé dans une catégorie 3 par les États-Unis, catégorie qui correspond à la pire forme d'abus, mais ce pays négligeait malgré tout la question. Lorsque les autorités ont compris que des sources de revenu importantes pouvaient être interrompues, une analyse de rentabilité a été faite et le gouvernement a décidé de prendre des mesures qui nous ont permis de sauver 37 filles qui étaient exploitées. C'est en tout cas une avenue à explorer, si nous voulons que les grandes discussions ne soient plus la seule façon que l'on ait de protéger ces victimes.

  (1240)  

    Au début, vous avez mentionné le cas d'une jeune femme qui avait été ouvrière dans un atelier où la main-d'oeuvre était réduite en esclavage. Nous avons des liens avec des pays dans lesquels il existe des ateliers de ce type. Nous recevons de nombreux produits fabriqués dans des pays comme le Vietnam et le Cambodge où ce type d'ateliers existent. Faut-il que nous sensibilisions davantage les Canadiens aux produits que nous achetons et à la contribution que nous faisons par notre pouvoir d'achat, à ce type d'organisations qui, comme vous le signalez, ont le pouvoir et le contrôle et peuvent exploiter les gens?
    C'est une excellente question.
    Cela va plus loin qu'une simple prise de conscience car, au cours des déplacements que je fais pour donner des conférences à travers le pays, j'ai constaté que de nombreux Canadiens, surtout dans la jeune génération, sont très conscients de certaines situations internationales liées à la main-d'oeuvre esclave ou à la production du cacao ou du café. La difficulté est que... des ONG, notamment Vision mondiale, on fait certaines études expliquant comment boycotter une industrie précise, par exemple, ou une entité spécifique, mais parfois une loi a des conséquences non voulues et compromet le bien-être des victimes de cette exploitation en les larguant dans un milieu économique encore plus défavorable.
    Il faut aller plus loin... si la sensibilisation est un facteur important, il faut lancer en quelque sorte des attaques de haute précision contre les auteurs des violations les plus flagrantes des droits de la personne que nous arrivons à démasquer. C'est pourquoi notre modèle n'est pas de portée générale, mais est plutôt fondé sur des situations connues de la communauté religieuse et des travailleurs des services d'aide au développement qui sont témoins de ces abus. Nous découvrons les cas les plus flagrants et réunissons assez de preuves pour pouvoir monter un dossier qui permet la fermeture d'un atelier, d'une rizerie ou d'un four à briques. Nous avons vu des personnes ainsi libérées mettre sur pied des coopératives qui leur permettent de tirer des profits du fruit de leur labeur. Il est essentiel d'offrir cette protection.
    Merci.
    Madame Davidson.
    Je voudrais d'abord remercier les témoins. Ce fut une matinée très intéressante grâce à tous vos commentaires. J'ai été très impressionnée, car je pense que vous avez tous suggéré des solutions. Vous n'avez pas seulement signalé des problèmes, mais vous nous avez en outre donné matière à réflexion et suggéré des solutions que nous serons peut-être en mesure de mettre en oeuvre. J'aimerais pouvoir poser des questions à chacun de vous, mais je ne dispose pas d'assez de temps pour le faire.
    Monsieur McIntosh, j'aimerais vous poser deux petites questions. Vous avez évoqué l'affaire Bakker — cet homme de Vancouver qui est le seul Canadien contre lequel des accusations ont été portées jusqu'à présent — et fait allusion au tourisme sexuel. Vous avez mentionné le Cambodge à plusieurs reprises. A-t-on mis en place des lois ou y a-t-il des possibilités d'appliquer des lois plus strictes qui permettraient d'entraver, voire d'abolir, d'une façon ou d'une autre le tourisme sexuel ou de porter des accusations contre les contrevenants?
    L'autre question que j'aimerais vous poser concerne les quatre éléments que vous avez énumérés. Vous avez mentionné l'application de la loi, la sensibilisation et la formation, et j'ai oublié les deux autres éléments. Vous pourriez peut-être faire à nouveau quelques commentaires supplémentaires à ce sujet.

  (1245)  

    Certainement. Je ferai des commentaires sur le tourisme sexuel et, si possible, j'aimerais demander à Mme Sawai de répondre aux autres questions.
    En ce qui concerne plus particulièrement le tourisme sexuel, j'estime qu'une des excellentes initiatives de la Chambre est la mise en oeuvre de lois qui permettent d'intenter des poursuites criminelles contre les pédophiles canadiens qui se rendent à l'étranger pour exploiter des enfants. C'est en 2002 qu'a été adopté l'amendement Prober qui a aboli la disposition exigeant qu'on obtienne le consentement officiel du procureur général étranger pour pouvoir intenter des poursuites. Cette échappatoire a été abolie et je pense que la législation actuelle est très efficace. On pourrait peut-être envisager d'imposer des peines plus sévères, mais en ce qui concerne les dispositions législatives comme telles, on déploie des ressources pour les mettre en application.
    Si la police de Vancouver n'avait pas écouté le reportage qui nous était consacré à l'émission Dateline NBC, dans lequel on expliquait comment nous sauvions ces personnes, et si elle n'avait pas été assez vive d'esprit pour établir le lien avec les victimes que Bakker violait, puis n'avait pas collaboré avec nous et ne nous avait pas fourni les photos — nous avions cette information, mais nous n'étions pas en mesure d'intenter des poursuites contre lui — on n'aurait pas pu le faire condamner. C'est uniquement parce que nous avions déployé du personnel dans ces pays que nous avons été en mesure de rendre cette loi efficace. Cela ressemble à une proclamation d'émancipation. Les dispositions législatives nécessaires sont en place, mais il faut aller sur place pour trouver ces victimes et faire appliquer la loi pour les libérer. Par conséquent, ce n'est pas tellement au niveau législatif qu'il faut apporter des changements; ce qui importe, c'est d'organiser un déploiement des ressources qui permette une mise en application efficace des dispositions législatives qui sont en place.
    Notre principale recommandation concerne l'application de la loi. Notre deuxième recommandation dérive de celle-ci: il est essentiel de faire l'éducation et la formation de toutes les personnes intervenant dans le processus d'exécution de la loi, c'est-à-dire les agents de police, les juges, les agents d'immigration, les procureurs et les diplomates. Il est essentiel qu'ils soient au courant du problème de la traite et qu'ils y soient sensibles; il est en outre impératif qu'ils sachent déceler les indices de la traite, qu'ils soient au courant des méthodes utilisées, des indicateurs clés, des voies de la traite et aussi des lois. Cette formation serait primordiale pour les personnes déployées à l'étranger également, car elles sont aux premières lignes et pourront alors détecter la traite à la source.
    Les efforts canadiens en matière d'éducation et de formation devraient être en outre axés sur un renforcement de la capacité d'intervention dans les pays dans lesquels la traite est prévalente. C'est quelque chose que nous pouvons faire grâce à l'influence que nous avons auprès de nombreux pays. Il faut que nous apportions de l'aide financière et technique, pour soutenir par exemple les services policiers spécialisés dans la lutte contre la traite et dispenser de la formation, fournir de l'aide opérationnelle et de l'aide directe aux équipes chargées des poursuites, voire aider divers pays à rédiger des dispositions législatives pour la répression de la traite, bref, pour tout ce qui est axé sur la mise en place de lois, sur leur application et sur la condamnation des contrevenants à des peines d'emprisonnement.
    Je pense que nous avons évoqué la nécessité d'une sensibilisation à l'intérieur du pays. Nous pouvons collaborer avec les ONG et d'autres intervenants. Par exemple, depuis novembre 2005, Air Canada projette pendant ses vols des vidéos sur l'exploitation sexuelle des enfants. Nous pouvons collaborer avec ces institutions nationales. Nous pouvons intervenir dans les écoles, dans les communautés religieuses, dans des groupes comme les scouts, et dans ce type d'organisations.
    Nous encourageons les députés à se tenir davantage au courant des problèmes liés à la traite des personnes. Nous recommandons qu'un groupe de parlementaires aille dans des pays comme le Cambodge et la Thaïlande pour se rendre compte de la situation.
    Je pense que d'autres témoins ont signalé qu'il était nécessaire de mettre en place un plan d'action national. Ce plan d'action devrait porter sur les mesures prises au Canada et sur les interventions à l'échelle internationale. On ne peut pas lutter efficacement contre la traite sans s'intéresser aux problèmes qui se posent à l'échelle du Canada. Il est essentiel de porter également son attention sur les ramifications internationales.
    Nous arrivons à la fin de la séance. Au nom du comité, je vous remercie sincèrement non seulement d'avoir accepté notre invitation, mais pour tout le travail que vous faites et pour toute l'attention que vous portez aux membres les plus vulnérables de notre société, non seulement au Canada, mais aussi à l'échelle mondiale.
    Ce fut un plaisir de terminer nos auditions de témoins avec un groupe comme le vôtre, car vous nous avez beaucoup aidés à mieux saisir les nombreux problèmes que nous devons mettre en évidence dans notre rapport, que nous espérons d'ailleurs avoir terminé avant l'ajournement de la Chambre.
    Merci beaucoup.
    Je suspens les délibérations pendant une minute pour vous laisser le temps de quitter la pièce avant de poursuivre la séance à huis clos. Merci.
    [La séance se poursuit à huis clos.]