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CC32 Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité législatif chargé du projet de loi C-32


NUMÉRO 012 
l
3e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 10 février 2011

[Enregistrement électronique]

  (1105)  

[Traduction]

    Bonjour, tout le monde. Je déclare ouverte la 12e réunion du Comité législatif chargé du projet de loi C-32.
    Madame Lavallée invoque le Règlement.

[Français]

    Je suis un peu étonnée de l'ordre du jour de ce matin. Il ne me paraît pas très équilibré.
    On a une heure avec un témoin vraiment charmant et intelligent. On le sait, on l'a déjà rencontré. Il nous a déjà fait valoir son point de vue. Je peux comprendre qu'il puisse représenter un autre organisme. Cependant, accorder une heure à un organisme et, par la suite, une heure à trois autres organismes directement concernés par leurs droits d'auteur, je trouve que c'est légèrement déséquilibré.
    Je me demandais, monsieur le président, si vous n'auriez pas une autre suggestion à nous faire.

[Traduction]

    Je vais demander à notre greffier de nous expliquer comment nous en sommes arrivés à ce groupe particulier de témoins.
    En consultation avec les analystes, nous avons organisé la séance de cette façon parce que le mémoire de l'Association canadienne des libertés civiles est sensiblement plus vaste que ce qu'ont soumis les représentants du second groupe comprenant la Professional Writers Association of Canada, la COPIBEC et l'UNEQ.
    C'est la raison pour laquelle la séance est ainsi organisée. Au départ, nous espérions avoir aussi des représentants de l'Association du Barreau canadien, mais l'association n'a pas réussi à trouver des témoins à bref délai. Nous n'avions donc plus la possibilité d'organiser la première heure comme nous l'avions envisagé initialement.

[Français]

    Je comprends, monsieur le greffier, que vous ayez beaucoup de difficulté à organiser les groupes de témoins. C'est un exercice extrêmement compliqué et un puzzle à trois dimensions, si je puis dire. On sait que c'était compliqué parce qu'on a eu notre ordre du jour à la dernière minute, hier soir. Je n'ai même pas eu le temps de vous rappeler hier, parce qu'au moment où nous avons reçu notre ordre du jour, vous étiez probablement déjà parti, ce que je comprends parfaitement.
    Cependant, monsieur le président, est-il possible d'écourter le premier témoignage pour laisser plus de temps au deuxième groupe de témoins? Je ne sais pas s'ils sont tous arrivés, peut-être le sont-ils déjà.

[Traduction]

    Je vous remercie, madame Lavallée. C'est effectivement ce que j'avais l'intention de faire.
    Nous faisons de notre mieux pour constituer de bons groupes de témoins. Au cours des quelques prochaines semaines, comme nous aurons disposé de plus de temps pour faire notre planification, vous verrez, je pense, un plus grand équilibre et aussi un plus grand nombre de témoins. Nous avons déjà quelque 170 témoins qui souhaitent comparaître. Je ne crois pas que nous les convoquerons tous, mais, à mesure que nous avancerons, vous constaterez qu'il y aura davantage d'équilibre parce que nous aurons eu plus de temps pour avertir les intéressés. Nous remercions nos témoins d'être venus aujourd'hui. Si nous pouvons commencer tout de suite, nous aurons plus de temps à passer avec le second groupe.
    Cela étant dit, nous avons dans le premier groupe Nathalie Des Rosiers et Howard Knopf, qui représentent l'Association canadienne des libertés civiles. Vous pouvez y aller. Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Je veux remercier le comité d'avoir invité l'Association canadienne des libertés civiles à se présenter et à se faire entendre. Je vais m'assurer d'être concise pour que tout le monde ait la chance d'être entendu.
     L'Association canadienne des libertés civiles existe depuis 1964. C'est une organisation nationale vouée à la protection des libertés civiles au Canada et des valeurs démocratiques. Elle s'est exprimée à plusieurs occasions sur la protection de la liberté d'expression, sur le droit d'accès à l'information et sur la protection de la vie privée. C'est dans ce contexte que ses prétentions sont mises en avant aujourd'hui.
    Je suis accompagnée de Me Howard Knopf. Il est membre de l'association et il est spécialiste de la Loi sur le droit d'auteur.
    Les prétentions de l'association seront organisées en cinq points.
    Le mémoire est à la traduction, vous l'aurez sous peu. Je vais tenter d'être aussi précise que possible, puis je répondrai bien sûr à vos questions. La première partie de ma présentation se fera en français et la deuxième en anglais.
    L'Association canadienne des libertés civiles regroupe en son sein à la fois des artistes, des auteurs de même que des éducateurs, des professeurs et des membres du public. Elle a donc un intérêt particulier envers les possibilités et les répercussions de la réforme sur le droit d'auteur.
    Notre préoccupation première est de considérer que nous sommes tous, à divers égards, à la fois des consommateurs et des producteurs de droits d'auteur. Donc, il est important que la loi reconnaisse bien cette dualité dans chaque communauté.
    Le droit d'auteur est évidemment à la base des échanges qui peuvent exister dans une société. On sait que ceux qui sont des producteurs de droit d'auteur ont été des consommateurs et le seront encore. Une société qui vise le progrès et l'innovation veut s'assurer que tous ont accès, sans ambages et sans problème, à une information qui leur permet de pousser leurs pensées et leurs contributions sociales.

  (1110)  

[Traduction]

    L'ACLC souhaite présenter cinq demandes.
    La première concerne la liberté d'expression. Nous avons noté avec un grand intérêt — avec joie aussi — la reconnaissance de la parodie dans le projet de loi, qui protège la parodie et la satire et les intègre dans la disposition d'utilisation équitable. Pour nous, une bonne part de la critique et de la liberté d'expression dans notre société s'exprime sous forme de parodie et d'un certain sens de l'humour. De fait, beaucoup de critiques politiques prennent la forme de parodies et de satires. Il est donc très important de les protéger dans le cadre de l'utilisation équitable.
    Nous voudrions cependant inviter le comité à envisager de remplacer, dans la disposition d'utilisation équitable de l'article 29, l'expression « aux fins de » par « à des fins telles que » de façon à appuyer la façon dont la Cour suprême a tranché dans l'affaire CCH, à toujours reconnaître que l'utilisation équitable ne devrait jamais constituer une catégorie fermée et à inclure une certaine souplesse dans le système. À notre avis, ce serait un moyen d'assurer une interprétation appropriée de l'article 29 sans y apporter des changements radicaux.
    Nous notons en outre que le projet de loi C-32 ne contient pas une disposition générale de protection des établissements d'enseignement contre les dommages-intérêts préétablis, comme il y en a ailleurs, par exemple aux États-Unis. Ce serait certainement un moyen de mieux protéger l'accès à l'information grâce au mécanisme de l'éducation.
    Enfin, au chapitre de l'utilisation équitable, l'ACLC s'inquiète particulièrement de l'exception prévue dans le cas de l'utilisation d'œuvres accessibles au public à des fins pédagogiques. C'est une bonne chose, mais la loi doit être la même pour tout le monde. Prévoir une exception juste en cas d'utilisation à des fins pédagogiques pourrait permettre d'interpréter cette disposition a contrario d'une façon qui favoriserait une interprétation différente d'autres dispositions de la loi. Cette exception est donc préoccupante.
    C'est une préoccupation à laquelle il serait possible de remédier en optant pour un libellé plus complexe, qui pourrait être plus précis sans modifier la nature générale de ce qui a été fait. Le libellé serait cependant plus complexe. À notre avis, il n'est pas vraiment utile de prévoir une exception particulière en cas d'utilisation à des fins pédagogiques. En général, je crois que les gens peuvent télécharger ce qui est accessible au public pourvu que ce soit fait dans une optique d'utilisation équitable. On n’a donc pas besoin d'une exception particulière.
    La deuxième partie de notre mémoire traite du verrouillage numérique. Nous soutenons que les verrous numériques ne devraient pas porter atteinte aux droits de l'utilisateur. Dans leur forme actuelle, les dispositions anti-contournement du projet de loi C-32 pourraient empiéter sur le droit d'utilisation équitable et d'autres droits des utilisateurs. Je crois que cela a été confirmé par des témoignages antérieurs.
    Dans ce contexte, nous devons veiller à donner aux citoyens la capacité de se protéger contre les menaces. Il ne suffit pas du tout de dire que le projet de loi C-32 permettra ces exemptions...

  (1115)  

    Je dois vous interrompre. Vous pourrez poursuivre dans les réponses que vous donnerez aux questions.
    C'est maintenant au tour du Parti libéral. Monsieur McTeague, vous avez sept minutes.
    Madame Des Rosiers, je suis presque disposé à vous laisser un peu de temps pour parler des mesures techniques de protection. Si vous ne le faites pas, je vous laisserai quand même plus ou moins une minute pour vous permettre de conclure.
    Je voudrais juste conclure en une minute le survol de notre position.
    Je suis d'accord.

[Français]

    Je sais que les autres partis vont être très généreux aussi.

[Traduction]

    Je crois qu'il est extrêmement important de veiller à ce que les verrous numériques n'empiètent pas sur le droit d'utilisation équitable. Nous considérons en particulier que les Canadiens doivent protéger leur vie privée et leurs renseignements personnels sur Internet, et que nous devrions veiller à ce que cette protection se manifeste dans toutes les dispositions du projet de loi et laisse donc cette possibilité aux Canadiens.
    Je vous remercie.
    Merci.
    Monsieur Knopf et madame Des Rosiers, je vous remercie de votre présence au comité.
    Votre inquiétude au sujet d'une protection insuffisante de la vie privée est-elle particulièrement liée aux mesures techniques de protection? Est-ce bien ce que vous voulez dire?
    Nous souhaitons que les réformes du droit d'auteur restent pleinement conformes aux dispositions existantes. Même si elles prévoient des exceptions aux mesures anti-contournement pour permettre aux citoyens de protéger leur vie privée, cela peut devenir complètement illusoire parce qu'il serait interdit de vendre les dispositifs permettant d'obtenir cette protection. Je crois que le citoyen moyen ne serait pas en mesure d'inventer lui-même le dispositif nécessaire. C'est ce qui nous inquiète. En l'empêchant la vente du dispositif, on laisse tout ce domaine dans l'incertitude.
    Nous ne devrions pas empêcher l'exploitation de la technologie. Nous savons que les entreprises continueront à vouloir davantage de renseignements sur le client et se montreront très créatives à cet égard. À ce stade, nous craignons qu'on empêche le marché de réagir en trouvant des moyens de contrer les dispositions qui portent atteint à la vie privée.
    Seriez-vous satisfaite si la commissaire à la protection de la vie privée donnait un avis sur le projet de loi dans sa forme actuelle?
    Oui, pour nous, la mesure dans laquelle il y aurait une supervision et une évaluation... J'irai déjà un peu plus loin dans l'évaluation maintenant, mais il faudrait qu'elle soit continue. Le projet de loi doit être examiné tous les cinq ans. Comme la technologie évolue très rapidement, je crois qu'il serait utile dans certains cas d'inviter la commissaire à la protection de la vie privée à procéder à une évaluation chaque année ou tous les deux ans pour s'assurer que les Canadiens sont effectivement en mesure de protéger leur vie privée.
    Je voudrais maintenant passer à l'exception relative à l'éducation. La trouvez-vous satisfaisante? Qu'est-ce que vous recommandez exactement?
    Nous estimons que, dans sa forme actuelle, l'exception se prête à une interprétation a contrario. Comme la disposition précise « à des fins pédagogiques », on peut télécharger sur la base d'une licence implicite. Si l'instruction « Impression » est présente, on peut imprimer. On peut en déduire implicitement que tout cela n'est pas autorisé en dehors des établissements d'enseignement.
    Personnellement, j'enseigne le droit. Au travail, je peux imprimer, mais, une fois rentrée chez moi, je ne peux plus le faire. On veut bien sûr s'assurer qu'il y a protection. Les gens diraient que c'est de la recherche et ainsi de suite et que c'est donc protégé. Je m'inquiète cependant de la façon dont la disposition pourrait être interprétée. C'est la base de l'objection que nous formulons ici.
    Monsieur Knopf, la dernière fois que nous avons discuté, vous n'avez pas eu la possibilité de répondre à une question qui pourrait bien ne pas s'inscrire dans le champ des intérêts de l'Association canadienne des libertés civiles. J'aimerais cependant connaître votre point de vue. Comme vous portez ici deux chapeaux, il vous appartient de juger si vous pouvez répondre ou non. Croyez-vous que les sanctions prévues dans le projet de loi, c'est-à-dire les dommages-intérêts préétablis, sont suffisantes, trop élevées ou encore, comme je le crois, trop faibles?
    Monsieur McTeague, à titre d'avocat, j'essaie de ne porter qu'un seul chapeau à la fois. Aujourd'hui, j'accompagne Mme Des Rosiers. Je suis ici comme représentant de l'ACLC.

  (1120)  

    Viendrez-vous nous voir une troisième fois, monsieur Knopf?
    Peut-être.
    Je peux vous dire que vous ne m'entendrez pas parler à titre personnel.
    J'aurais peut-être l'occasion de bavarder un peu avec vous plus tard.
    La question est probablement raisonnable si elle est posée à l'ACLC. Même si Mme Des Rosiers a le dernier mot et que cela ne figure pas dans notre mémoire, je suis sûr que ni elle ni son organisation ne voudraient voir dans le projet de loi des sanctions disproportionnées ou trop répressives contre les particuliers et les établissements d'enseignement.
    Il y a une chose qui figure expressément dans notre mémoire. Mme Des Rosiers n'a eu la possibilité d'en parler qu'en passant. C'est le fait que nous aurions beaucoup aimé, de même que d'autres organisations comme l'ACLC, voir une disposition précise dans le projet de loi disant qu'un établissement d'enseignement ou une personne agissant sous son autorité ne peuvent pas être tenus de verser des dommages-intérêts préétablis s'ils croient de bonne foi agir dans le cadre d'une utilisation équitable.
    Il y a une disposition identique aux États-Unis depuis 1976. Personne ne s'en est jamais plaint. Il n'y a pas de raison de ne pas avoir une disposition semblable au Canada. C'est très simple.
    Notre définition d'« utilisation équitable » est-elle proche de celle qu'utilisent les États-Unis et les autres pays du monde? Chaque administration peut avoir une interprétation très différente...
    En fait, la notion d'utilisation équitable est nettement plus généreuse aux États-Unis, ce qui ne les empêche pas de prévoir une exception quand on agit de bonne foi. Je ne sais donc pas pourquoi le Canada se punit lui-même en rendant plus vulnérables ses enseignants et ses étudiants et en prévoyant plus de restrictions qu'aux États-Unis. Après tout, ne voulons-nous pas que nos enseignants et nos étudiants soient au moins aussi bien renseignés que leurs homologues américains? Pourquoi les entraver et leur faire craindre le pire chaque fois qu'ils téléchargent quelque chose?
    Je ne pense pas que quiconque puisse s'opposer à cet argument. Toutefois, il faut prévoir un régime qui accorde une rémunération équitable à ceux qui créent des œuvres pour les inciter à continuer à créer. L'utilisation équitable va dans les deux sens.
    En réalité, la rémunération versée au Canada est beaucoup plus importante qu'aux États-Unis. Les universités n'ont pas... Les États-Unis n'ont pas l'équivalent d'Access Copyright et des redevances que cet organisme essaie d'obtenir. Ils n'ont pas d'équivalent des licences de recueil de cours et des redevances annuelles.
    La rémunération versée au Canada est déjà considérable, mais cela n'empêche personne d'en demander davantage. Ce que nous payons actuellement est de loin supérieur à ce qu'il y a aux États-Unis et probablement dans la plupart des autres pays.
    Mon collègue souhaite poser une question ou deux.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence.
    Madame Des Rosiers, vous avez dit, dans le contexte de la parodie et de la satire, que vous voudriez ajouter « à des fins telles que » à l'énoncé de ce qui peut se faire dans le cadre de l'utilisation équitable.
    Je ne suis pas avocat, mais j'ai l'impression que cela élargirait assez considérablement la disposition. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les raisons pour lesquelles vous voulez ce changement?
    En fait, je ne crois pas que l'expression « à des fins telles que » élargisse en soi la portée de la disposition parce que la présence de cette expression impose au juge de l'interpréter à la lumière de l'énumération qui suit. Elle empêche cependant une interprétation trop étroite et permet d'envisager plus tard d'autres possibilités semblables à la satire, à la parodie, etc.
    Il ne faut pas perdre de vue que certaines pressions ont été exercées afin de restreindre l'interprétation de la « recherche » donnée par la Cour suprême. Nous souhaitons prévenir d'autres restrictions. Nous proposons d'envisager ce moyen de le faire pour garantir le maintien de l'interprétation libérale de la « recherche ».
    Je crois certainement que l'ACLC veut protéger...
    Je suis dans l'obligation de vous interrompre.
    C'est maintenant au tour de Mme Lavallée pour sept minutes. Vous aurez peut-être l'occasion de poursuivre en réponse à ses questions.

[Français]

    Bonjour, madame Des Rosiers et monsieur Knopf. Nous nous sommes déjà vus. Vous êtes vraiment chanceux, n'est-ce pas, de comparaître deux fois. Il y en a quelques autres qui veulent revenir. Je vais en parler à M. le président.
    Bref, il était difficile d'être préparé à vous recevoir ce matin, d'une part parce qu'on n'en a été informés qu'à 17 heures hier et, d'autre part, parce qu'on n'a pas de mémoire et que vous n'avez pas préparé de document de présentation. Vous comprendrez donc que c'est extrêmement difficile.
    Pour faire ressortir le meilleur de votre analyse, tout ce que j'avais sous les yeux était un texte préparé par les analystes. Ceux-ci sont excellents, d'ailleurs. Dans ce texte, on nous dit ce qui suit: « Lors de la dernière tentative de réforme du droit d’auteur en 2009, l’ACLC avait insisté pour que le gouvernement y incorpore des dispositions concernant l’utilisation équitable qui soient souples, pour qu’il abolisse ou qu’il revoie le droit d’auteur de la Couronne [...] » Je comprends maintenant que le terme « utilisation équitable » est devenue le fair use américain.

  (1125)  

    Oui, c'est dans notre mémoire.
    Mais on ne l'a pas vu.
    Il va vous parvenir bientôt. Je suis désolée; les choses ont été un peu précipitées.
    Dans notre mémoire, nous suggérons qu'une disposition spécifique de la loi reconnaisse aux Canadiens le droit d'avoir accès à l'information qu'ils ont payée. Il s'agit essentiellement du droit d'auteur de la Couronne. Ce n'est pas un changement majeur, étant donné qu'il y a déjà une ordonnance permettant...
    Mais quand vous parlez d'information, il s'agit d'information gouvernementale?
    Oui, je veux dire dans les lois, les décisions judiciaires, les documents de recherche, et ainsi de suite.
    D'accord, j'ai compris.
    Selon nous, c'est une belle occasion de reprendre ce qui existe. Ce n'est pas un grand changement. En effet, on sait qu'une ordonnance du ministère de la Justice reconnaît déjà le droit des Canadiens à cet accès. Ce qui nous préoccupe, c'est le fait qu'il s'agit ici d'une bonne occasion de réaliser cela sur le plan législatif.
    C'est bon, j'ai compris.
    Pour ce qui est du fair use dont vous parliez plus tôt avec mes collègues libéraux, c'est ce que vous voulez. Les mots « such as » se traduisent par l'expression « tel que » en français. Cependant, la situation des États-Unis et celle du Canada diffèrent totalement. Aux États-Unis, on compte un peu plus de 300 millions d'habitants alors qu'au Canada, il y a 23 millions d'anglophones et 7 millions de francophones. Par ailleurs, on sait qu'aux États-Unis, la poursuite judiciaire est une façon de respirer alors qu'ici, on n'a pas tout à fait les mêmes pratiques.
    Dans mon vocabulaire — et je suis assez bonne dans ce domaine —, ça équivaut au mot « comme ». Ce n'est donc pas limitatif. Ce ne sont que des exemples. En d'autres mots, ça pourrait être une foule d'autres choses, comme ça pourrait être ça également. C'est ce que les mots « tel que » veulent dire. Évidemment, tout le monde va pouvoir se prévaloir de cette expression « tel que ». Pensez-vous en effet que des entreprises vont s'en priver? Pourquoi celles qui sont en mesure de se payer une petite poursuite judiciaire — et elles sont nombreuses à l'être — s'empêcheraient-elles de le faire?
    Pour pouvoir faire plaisir à bien des gens en leur permettant d'accéder à une foule de documents sans payer, vous voulez absolument intégrer les mots « tel que », mais sans doute n'avez-vous pas pris le temps de réfléchir à ce qu'est le droit d'auteur, à son origine. Une création appartient à son créateur. Personne ne peut la lui enlever. Il peut la céder temporairement contre de l'argent, d'une façon ou d'une autre. Il peut décider de la vendre, mais elle lui appartiendra toujours. Quand les gens achètent un CD, ils n'achètent pas une oeuvre musicale; ils achètent le plaisir de l'écouter. Les gens n'achètent pas Luc Plamondon; ils achètent le plaisir d'écouter l'oeuvre sur ce CD. S'ils en font une copie, qu'ils l'utilisent dans une école ou ailleurs, la moindre des choses est qu'ils payent l'auteur de l'oeuvre. J'allais dire que celle-ci lui appartenait pour la vie. Disons que c'est presque le cas.
    Vous semblez vouloir émettre des commentaires à ce sujet.
    Il est important de reconnaître deux choses, ici. La protection du patrimoine d'un auteur et le soutien aux artistes font partie du mandat de l'association depuis des années.

  (1130)  

    Mais ça ne paraît pas.
    Ça dépend de la façon dont on conçoit les choses et de l'équilibre qu'on établit. Il s'agit de s'assurer non seulement que les artistes déjà présents dans le domaine, qui ont la possibilité de recevoir des redevances, obtiennent des redevances appropriées, mais également que les personnes aspirant à devenir artistes ou se trouvant au bas de l'échelle ont aussi la possibilité d'évoluer en ce sens et d'accéder à de l'information. On veut certainement soutenir les artistes de toutes les façons existantes...
    Dans votre mémoire, recommandez-vous de mieux rémunérer les artistes?
    Certainement. Il n'y a pas de...
    En introduisant le fair use, vous enlevez des revenus aux artistes. Actuellement au Canada, 40 millions de dollars par année leur sont versés. Or, le fait d'introduire le fair use dans le projet de loi C-32 va leur enlever au bas mot 40 millions de dollars par année. C'est de cette façon que vous allez rémunérer les artistes?
    Je voudrais simplement finir d'expliquer notre point de vue. Nous ne pensons pas qu'il soit souhaitable de restreindre l'accès à de l'information et à de la recherche pertinente, surtout pour les plus démunis de notre société, car c'est la vraie passerelle vers de meilleures voies. Là est le problème. Si on pense que de faire quelque chose pour soutenir le droit à l'éducation et à l'accès à l'information minimise d'autres aspects et qu'il n'y a pas d'autres solutions, je pense qu'on est perdant et qu'on ne présente pas le débat de la bonne façon.
     Effectivement, on ne voit pas du tout le débat de la même façon. En introduisant les mots « such as » et même en conservant dans sa forme actuelle le projet de loi C-32, qui inclut une nouvelle exception relative à l'éducation, on prive les artistes de leurs revenus, et ce, en faveur de l'éducation.
    D'abord et avant tout, le fait de ne pas respecter les oeuvres artistiques et les artistes est un très mauvais message à envoyer aux jeunes qui fréquentent l'université ou l'école. Vous appelez les artistes « information », soit dit en passant, ce qui démontre qu'on ne parle pas du tout le même langage. C'est une très mauvaise façon d'enseigner à nos jeunes le respect pour les oeuvres artistiques et la valeur de celles-ci. Si on leur dit de ne pas se gêner, que c'est gratuit, à bar ouvert, on ne leur enseigne aucun nouveau principe sur la valeur des artistes. Il faut en parler. Un des débats qui se tiennent ici concerne le fait que les oeuvres artistiques ne sont pas gratuites. La musique et les livres ne sont pas gratuits.

[Traduction]

    Madame Lavallée, je dois vous interrompre.
    Le NPD étant absent, je vais donner la parole à M. Fast.
    Merci, monsieur le président. Je voudrais aussi remercier nos témoins.
    J'ai noté que vous avez très rapidement concentré vos observations sur les deux questions les plus discutées autour de cette table: l'exception relative à l'éducation et le verrouillage numérique.
    Je voudrais aborder le premier de ces points. Vous avez déjà entendu Mme Lavallée. Quand vous aurez fini de témoigner, nous aurons des éditeurs qui viendront nous dire que nous leur enlevons leur gagne-pain et que nous allons réduire à néant leur revenu. Ils affirment qu'ils vont perdre jusqu'à 85 p. 100 de leurs rentrées.
    Je ne suis pas d'accord avec Mme Lavallée. Je crois que la proposition du gouvernement est raisonnable et conforme à l'esprit du XXIe siècle. Votre approche est semblable à la nôtre, mais vous estimez que nous ne sommes pas allés assez loin et que l'exemption de l'éducation est trop restrictive.
    Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Que pensez-vous des affirmations selon lesquelles cette exemption réduira considérablement le revenu des éditeurs et des écrivains qu'ils représentent?
    Je vais laisser M. Knopf répondre à la seconde question d'abord. Nous pourrons ensuite nous concentrer sur le reste.
    Merci, monsieur Fast.
    Avant de répondre à la question de M. Fast, je voudrais prendre quelques secondes pour répondre à ce que Mme Lavallée a dit...
    Je n'y vois pas d'inconvénients, monsieur le président, à condition que cela ne compte pas dans mon temps de parole.
    Je veux simplement dire que je suis ici à titre de conseiller du comité, et non à titre personnel. Je veux simplement que cela figure dans le compte rendu.
    C'est bien compris.
    Il en était de même la semaine dernière, et ce sera encore la même chose si je reviens.
    Monsieur Fast, vous avez posé une très bonne question. Tout d'abord, l'ACLC ne souhaite pas du tout réduire le revenu des écrivains et des gens qui méritent d'être payés. La question est de savoir combien de fois il faut payer et s'il convient de le faire au détriment de la qualité de l'éducation.
    Quant aux fins pédagogiques, il ne s'agit pas de savoir si l'exemption va ou non assez loin. Nous sommes d'avis, d'après les jugements récemment rendus par les tribunaux, que l'expression « fins pédagogiques » n'aura aucun effet. Je ne sais vraiment pas pourquoi les gens s'inquiètent à ce sujet. Si la décision de la Cour d'appel fédérale et celle de la Commission du droit d'auteur sont maintenues, les fins pédagogiques ne voudront plus rien dire parce que la Commission du droit d'auteur a statué que les copies multiples et tout ce qu'un enseignant peut demander ne satisfont plus au critère de l'équité. De ce fait, les fins pédagogiques ne sont qu'une façade.
    Nous proposons d'adopter quelques-unes des meilleures pratiques de la législation américaine. À notre avis, les tribunaux et la commission se trompent. Nous devrions préciser que les fins pédagogiques équitables peuvent comprendre des copies multiples en classe. Si le professeur dit aux étudiants qu'ils doivent faire telle ou telle lecture, cela peut s'inscrire dans l'utilisation équitable en fonction des six éléments du critère d'équité établi par la Cour suprême du Canada.
    Nous proposons donc de resserrer les fins pédagogiques pour apaiser les craintes irrationnelles tout en surmontant la condition extrêmement restrictive imposée par la Commission du droit d'auteur et confirmée l'été dernier par la Cour d'appel fédérale. L'ennui, avec cette interprétation restrictive, ce n'est pas qu'elle coûtera inutilement beaucoup d'argent que les Américains, les Chinois et les ressortissants d'autres pays concurrents n'ont pas à payer, c'est plutôt qu'elle va paralyser les établissements d'enseignement. Les enseignants pensent qu'ils ne peuvent plus dire à leurs étudiants de lire quelque chose parce que cela risque de coûter une fortune à l'établissement. Supposons que le Globe and Mail publie un article important en première page et que Mme Des Rosiers veuille expliquer aux étudiants de son cours de droit une chose concernant un important événement survenu ce jour-là. Si elle fait faire des copies du journal, la Commission du droit d'auteur dira qu'il s'agit de copies multiples et que c'est interdit.

  (1135)  

    Je vous remercie.
    Je voudrais aborder ma seconde question concernant les verrous numériques. Vous avez dit que le verrouillage numérique ne devrait pas empiéter sur les droits d'utilisation équitable. Le problème, c'est que...
    J'essaie de réfléchir à la question. Si vous voulez éviter d'empiéter sur les droits d'utilisation équitable, vous allez devoir supprimer les dispositions interdisant de produire et de mettre en marché des dispositifs de contournement. Vous devez les supprimer parce qu'il est nécessaire de donner aux consommateurs un moyen d'accéder au contenu à des fins d'utilisation équitable. Si vous le faites, la plupart des consommateurs auront alors des dispositifs de contournement en logiciel, en matériel ou autre.
    Est-ce que cela ne rendrait pas inutiles les verrous numériques?
    Eh bien...
    Cela ouvrirait aussi la porte aux abus. On peut espérer que la plupart des consommateurs sont des citoyens respectueux de la loi et qu'ils n'accéderont au contenu qu'à des fins d'utilisation équitable. Toutefois, la nature humaine étant ce qu'elle est, vous et moi savons que les gens vont abuser, surtout s'il est très facile pour eux de le faire. En fait, d'après les témoignages que le comité a reçus plus tôt, cela est au cœur même des mesures anti-contournement.
    Dans notre mémoire, nous proposons la disposition suivante: « Toute personne peut contourner les mesures techniques de protection à des fins privées, non commerciales et non destinées à la contrefaçon... pourvu que de tels produits et services soient susceptibles d'être essentiellement utilisés à des fins autres que la contrefaçon. » Par conséquent, nous n'ouvrons pas complètement la porte...
    Si on maintient les dispositions actuelles, on empêche les citoyens de se protéger eux-mêmes. En même temps, on entrave le progrès technologique...
    Attendez un instant. Vous dites qu'on empêche les citoyens de se protéger, mais il s'agit là d'un contrat. Le créateur, le propriétaire du contenu dit: « Voici mon contrat. Je vais vous le vendre... »
    Mais seulement sous cette forme.
    Oui, seulement sous cette forme. Ce sont les termes du contrat. Si vous ne voulez pas acheter, c'est votre droit. Trouvez un autre fournisseur ou alors n'achetez rien du tout.
    Si vous allez aussi loin et permettez le contournement à des fins d'utilisation équitable, je crains fort que vous ne facilitiez un peu trop la tâche aux tricheurs, affaiblissant tellement le système que le verrouillage numérique n'aurait plus aucun sens. Les créateurs ne disposeraient alors d'aucune protection.

  (1140)  

    L'exemple que nous avons en tête est le suivant. Pour un motif parfaitement légitime, une famille de Toronto ayant des parents en Inde leur demande d'acheter pour elle des films qu'il est impossible de se procurer au Canada. Les films envoyés ayant un verrouillage numérique, il est impossible à la famille en question de les faire jouer sur le nouveau cinéma maison qu'elle vient de se payer. D'une certaine façon, on l'empêche d'accéder à...
    Après tout, cette famille ne viole pas la loi. Elle ne fait rien d'illégal. C'est seulement qu'une distribution régionale inéquitable l'empêche d'accéder à un produit. Nous estimons qu'il faut prévoir une défense dans ce cas.
    D'accord, mais ne croyez-vous pas que le marché finira par...
    Me Nathalie Des Rosiers: Remédier à ce problème?
    M. Ed Fast: ... tenir compte de ce genre de préoccupations?
    Le système n'est pas parfait, mais je crois que le marché et les créateurs trouveront des moyens d'agir raisonnablement pour permettre les transferts de ce genre. Je crois savoir que certaines des technologies de verrouillage numérique permettent maintenant de faire deux ou trois copies. Par conséquent...
    Merci, monsieur Fast.
    À vous, monsieur Angus.
    Monsieur le président, je présente mes plus humbles excuses à mes collègues du comité pour mon retard ce matin. Je ne veux pas blâmer les taxis d'Ottawa. Par conséquent, je ne blâmerai personne d'autre que moi-même pour ne pas avoir réussi à arriver à temps.
    Je sais que j'ai manqué mon tour. Je demande donc respectueusement, poliment et humblement la permission d'avoir un tour de cinq minutes, si mes collègues y consentent.
    Y a-t-il consentement unanime?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Allez-y, monsieur Angus.
    Merci, monsieur le président.
    Si vous voulez connaître la date des prochaines élections — j'aimerais que cela figure dans notre compte rendu officiel —, vous n'avez qu'à poser la question aux chauffeurs de taxi. Dans cette ville, ils savent tout et sont plus branchés que n'importe quel attaché politique.
    Mes collègues du Parti conservateur sont en train de définir une position juridique très intéressante. Elle consiste à dire que le marché est supérieur aux droits prévus par la loi. Si le marché décide une chose, elle prend le pas sur les droits inscrits dans notre législation.
    Je m'intéresse à cela parce qu'il me semble qu'ils offrent une série de droits auxquels personne ne pourra peut-être accéder et nous demandent d'adopter ces dispositions à la Chambre des communes.
    Y a-t-il d'autres lois où l'on crée deux séries de droits, l'une pour un monde analogique et l'autre qui peut être bafouée au gré d'une société de Los Angeles?
    Notre position au sujet des verrous numériques est que nous devrions permettre aux consommateurs d'avoir accès à ce qu'ils ont acheté sans avoir l'intention d'enfreindre la loi. C'est notre préoccupation. Je ne sais pas si...
    Avez-vous quelque chose à ajouter?
    Voici un excellent exemple des raisons pour lesquelles nous devons permettre aux consommateurs de se prévaloir des avantages de la technologie pour profiter des logiciels qu'ils ont payés, pour utiliser leur matériel ou pour voir les films à codage régional que leur ont envoyés des membres de la famille vivant en Inde.
    En 1982 — je réponds à votre question, monsieur Angus, mais ma réponse se rattache aussi à la question précédente de M. Fast —, Jack Valenti, président de la Motion Picture Association of America, avait fait une déclaration, devenue fameuse depuis, devant le Congrès. Il avait dit que, pour l'industrie américaine du divertissement et l'économie des États-Unis, le magnétoscope était semblable à l'étrangleur de Boston poursuivant une femme seule. Il voulait estropier le magnétoscope en lui retirant son syntonisateur de télévision. Il avait dit: « Oh, mon Dieu, les gens vont enregistrer les émissions pendant l'après-midi, puis les écouter le soir. » Sony était d'accord.
    Nous savons tous ce qui s'est produit. Deux ans plus tard, la Cour suprême des États-Unis a dit à Jack que c'était de la bonne technologie et qu'elle laisserait le public en profiter. C'était le principe de l'utilisation équitable. Le reste est passé dans l'histoire. Le Congrès et la Cour suprême ont sauvé l'industrie du cinéma de ses propres marottes. Les consommateurs ont obtenu la permission d'utiliser la nouvelle technologie, et tout le monde s'en est mieux porté.
    À notre avis, les consommateurs devraient avoir le droit d'utiliser le matériel et le logiciel qu'ils ont légalement acquis. Si quelqu'un veut faire une copie d'un disque Blu-ray coûteux pour éviter qu'il ne soit égratigné par le chien ou cassé par les enfants, on ne devrait pas le lui interdire. S'il veut faire une copie d'un disque qu'il a acheté pour pouvoir l'écouter dans la voiture, il devrait pouvoir le faire.
    L'industrie corrigera-t-elle la situation par elle-même? M. Valenti nous a prouvé que s'il est possible à l'industrie de faire quelque chose de stupide, au détriment de tout le monde — pas seulement d'elle-même, mais aussi de toute la société —, elle le fera.

  (1145)  

    Je crois que l'exemple de Valenti est excellent. Les pirates d'hier sont ceux qui exigent d'être protégés aujourd'hui. Nous nous souvenons tous de l'époque où Hollywood était le pirate hors la loi qui voulait se soustraire aux droits d'auteur de la Thomas Edison Corporation. Par la suite, Sony est devenu le pirate qui allait étrangler Hollywood en poussant la technologie du magnétoscope. Bien sûr, Sony essaie aujourd'hui d'intenter des poursuites contre tous les jeunes qui téléchargent ses films. L'histoire se reproduit, et cela se poursuivra avec la nouvelle génération.
    J'entends mes collègues de l'autre côté clamer leur foi aveugle dans le marché. Ce n'est pas très réaliste. Lorsque des jeunes achètent un produit, essaient d'y accéder et découvrent qu'il est protégé par un verrou numérique, on leur dit de s'adresser à Sony pour trouver une solution. Ils ne le feront pas. Ils vont tout simplement télécharger ce qu'ils veulent.
    Je ne sais pas si vous avez vu l'étude britannique de Herefordshire sur le téléchargement de la musique. Les jeunes ne refusent pas de payer leur musique, mais ils veulent y avoir accès. Si on les prive de cet accès, ils trouveront toujours un moyen de l'obtenir.
    Je m'intéresse cependant aux dispositions concernant le verrouillage numérique. D'après l'article 10 du Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur, les pays signataires peuvent prévoir dans leurs lois des exceptions qui peuvent être étendues au domaine numérique. Le droit de faire de la parodie et de la satire en est un exemple. Le droit d'utiliser des extraits à des fins de parodie ou de satire peut être étendu. Cela figure dans le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur. Beaucoup des pays signataires — au moins 19 ou 20 — ont adopté des dispositions qui précisent le rôle du verrouillage numérique. Ces dispositions protègent les verrous contre la contrefaçon et empêchent les gens d'accéder à des œuvres d'une manière inéquitable. En même temps, elles définissent les droits des consommateurs et garantissent à un État-nation le droit d'autoriser des exceptions dans ses lois.
    Quant à la position conservatrice sur le verrouillage numérique, ne croyez-vous pas qu'elle est encore plus extrême que celle des États-Unis, où on a adopté récemment des définitions du droit d'utilisation équitable visant à limiter le verrouillage numérique?
    Ma question est en fait la suivante: De quelle façon le Canada devrait-il définir le verrouillage numérique en fonction de ses obligations internationales?
    Monsieur Angus, je conviens avec vous que les traités de l'OMPI permettent plus de souplesse que ce projet de loi. Nous sommes bien d'accord là-dessus. Les traités autorisent les exceptions tant qu'elles satisfont au critère en trois étapes et à d'autres dispositions de la loi. Par conséquent, nous pouvons autoriser l'utilisation équitable et les copies de sauvegarde tant qu'elles ne nuisent pas au marché et ne causent pas un préjudice économique. Nous pouvons permettre toutes ces choses et autoriser les consommateurs à se protéger eux-mêmes.
    Vous avez donné l'exemple de Sony en 1982. Beaucoup plus récemment, il y a trois ou quatre ans, Sony a produit l'infâme disque compact porteur de rootkit qui a ravagé les ordinateurs de millions de personnes. Ce programme ne se limitait pas à communiquer avec Sony; il paralysait les ordinateurs. Le plus drôle, c'est qu'en vertu des lois américaines de l'époque, il était illégal d'essayer de réparer les ordinateurs touchés parce que cela revenait à entraver indûment une mesure technique de protection. Bien sûr, c'est un exemple extrême. De toute évidence, les sociétés ne souhaitent pas faire des choses de ce genre sur le marché, mais cela arrive.
    Oui, nous pouvons avoir ces exceptions. Ceux qui disent le contraire ont tout simplement tort en droit aussi bien intérieur qu'international. Les traités de l'OMPI accordent beaucoup de latitude. Cela ressort clairement des analyses détaillées et de l'histoire législative de ces traités qu'on trouve dans le livre de Michael Geist. Nous pouvons prévoir ces exceptions qui permettent aux consommateurs de faire des choses qui constitueraient autrement une contrefaçon.

  (1150)  

    Ma dernière question porte sur une crainte que j'ai à l'égard de ce projet de loi. Beaucoup de gens m'ont demandé pourquoi je m'inquiétais du verrouillage numérique et si je pensais vraiment que le gouvernement irait vérifier chez les gens s'ils ont fait des copies. Les gens m'ont dit aussi que si on essayait de les empêcher d'accéder à quelque chose, ils trouveraient bien un moyen d'y accéder quand même. La réalité, c'est qu'en grande majorité, les consommateurs vont simplement faire abstraction de l'interdiction.
    Pour que le droit d'auteur ait des chances d'atteindre l'objectif poursuivi, il faut que le public croie à sa légitimité et le respecte. Si on inscrit dans la loi des interdictions qu'il est impossible de faire respecter, les gens penseront que le droit d'auteur ne peut pas être imposé et auront tendance à ne pas s'en soucier. Ce ne sera cependant pas le cas des établissements d'enseignement et de recherche. Je m'inquiète des effets sur la recherche. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet. Par exemple, un verrouillage numérique destiné à prévenir l'ingénierie inverse peut rendre illégaux des travaux de recherche et de développement. Nous avons pu constater que les instituts de recherche américains s'en inquiètent puisqu'ils se croient obligés d'engager des juristes pour défendre leurs activités.
    Je regrette, monsieur Angus, mais il faut que je mette fin à cette partie de la réunion.
    Merci beaucoup.
    Nous allons suspendre brièvement la séance.

    


    

  (1155)  

    Nous allons maintenant reprendre cette 12e réunion du Comité législatif spécial sur le projet de loi C-32.
    Au cours de notre seconde heure, nous entendrons trois témoins. Nous avons, de la Professional Writers Association of Canada, Alexander Crawley, directeur général; de la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction, Hélène Messier, directrice exécutive; et de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois, Danièle Simpson, présidente.
    Nous écouterons maintenant M. Crawley pendant cinq minutes.
    Bonjour. Je m'appelle Alexander Crawley. Je suis le directeur général de la Professional Writers Association of Canada ou PWAC.
    Nous représentons depuis 35 ans les intérêts des écrivains canadiens indépendants d'œuvres documentaires. Nous sommes heureux d'avoir cette occasion de présenter notre point de vue sur un processus de réforme qui jouera un rôle essentiel dans le succès qu'aura le Canada s'il veut adapter ses lois de façon à favoriser une économie numérique florissante.
     Nous commencerons par examiner le processus même de l'étude en comité, après quoi nous mettrons en évidence les questions qui touchent le plus les écrivains et décrirons l'orientation que vous devez prendre, à notre avis, pour équilibrer et renforcer le projet de loi C-32. Enfin, nous vous dirons ce que nous aimons dans le projet de loi.
    Nous voudrions d'abord vous rappeler l'observation d'un témoin que vous avez entendu dès le premier jour de vos audiences, sans compter la comparution des politiciens et des fonctionnaires. Mme D'Agostino, professeure de droit à IP Osgoode, vous a dit avec raison que les créateurs sont pris entre les sociétés qui utilisent leurs œuvres — c'est-à-dire les éditeurs, les fabricants, les distributeurs, les détaillants et, à l'ère numérique, les services offerts sur le Web et les fournisseurs de services Internet — et les destinataires ultimes que sont les consommateurs et les citoyens. Nous avons besoin d'une loi pour préciser nos relations avec ces deux types d'utilisateurs.
    Si nos droits sont adéquatement reconnus, nous pouvons négocier avec nos partenaires de l'industrie, mais nous ne pouvons pas survivre sans le principe fondamental en droit de la rémunération de l'utilisation.
    Nous voulons ensuite vous rappeler le témoignage présenté le 13 décembre de l'année dernière par l'écrivain indépendant Douglas Arthur Brown. M. Brown a présenté des preuves établissant clairement que la reproduction illégale dans le secteur de l'éducation constitue un danger réel qui menace encore aujourd'hui, et que l'ajout de l'« éducation » dans la disposition concernant l'utilisation équitable aggravera considérablement ce comportement qui détruit le marché.
    Nous irons enfin au 1er février, date à laquelle Bill Freeman, écrivain indépendant, et Marvin Dolgay, compositeur indépendant, ont clairement décrit de quelle façon le projet de loi, dans sa forme actuelle, menace leur gagne-pain et — ce qui est encore plus important du point de vue de l'intérêt public — met en danger l'existence même d'une nouvelle génération de créateurs canadiens pouvant survivre dans une économie numérique.
    Les écrits de nos membres paraissent dans des revues et des journaux de toutes tailles et de tous genres dans toutes les régions du Canada, aussi bien en ligne que sur papier. Les technologies numériques en facilitent considérablement la reproduction et assurent la diversité qui permet aux Canadiens d'accéder à des points de vue riches et variés dont dépend une société saine. Tous nos écrivains encouragent la reproduction de leurs œuvres par les établissements d'enseignement, les sociétés, les organismes gouvernementaux, les autres publications, les agrégateurs en ligne et, bien sûr, les particuliers. Toutefois, comme toutes les petites entreprises, ils veulent être rémunérés en contrepartie de l'utilisation de leur propriété intellectuelle.
    Un système fort de gestion collective des droits constitue de loin le moyen le plus pratique d'assurer une rémunération adéquate des utilisations secondaires qui abondent sur le marché numérique. Nous pouvons négocier les utilisations primaires avec nos partenaires de l'industrie. Chacun reconnaît que les modèles évoluent et que les nouveaux outils permettent aux créateurs de toucher le marché d'une façon beaucoup plus efficace qu'auparavant. Nous croyons en fait que nous pouvons soutenir la concurrence des vieux modèles si on nous permet de développer nos entreprises en assurant une reconnaissance appropriée de nos droits à l'égard de nos propres œuvres.
    Voici maintenant les principaux problèmes que la PWAC voit dans le projet de loi C-32.
    Premièrement, il y a l'ajout d'« éducation » comme exception dans le cadre de l'utilisation équitable. Cela privera les membres de la PWAC de 500 $ à 5 000 $ du revenu annuel qu'ils tirent des utilisations secondaires par l'entremise de la gestion collective. Si le comité ne trouve pas les moyens de supprimer cette disposition pour des raisons politiques, nous demandons, comme minimum, qu'il définisse son application de façon à renforcer, et non à affaiblir, la gestion collective des droits.
    Deuxièmement, en ce qui concerne le critère de l'utilisation équitable, nous appuyons l'adoption du critère en trois étapes de la Convention de Berne, qui satisfait à nos obligations internationales. Nous sommes heureux de noter que le comité semble avoir l'intention d'y recourir dans le cadre du processus d'amendement. Nous espérons vraiment qu'il le fera. Pour des raisons évidentes, nous préférons de loin le critère CCH.
    Troisièmement, au sujet de la limite des dommages-intérêts préétablis, les récents événements survenus dans le recours collectif Robertson c. Thomson et un procès plus récent mettant en cause la société Torstar et d'autres éditeurs ont montré quels préjudices les écrivains indépendants peuvent subir du fait de la transgression de leurs droits. Les montants en cause s'élèvent à plus de 15 millions de dollars, versés aux pigistes par les grands éditeurs canadiens. Nous avons apporté des copies de la décision de la Cour suprême concernant la première affaire, pour vous permettre de mieux vous familiariser avec les faits.
    Nous n'avons rien contre la notion d'une limite aux dommages-intérêts en cas de contrefaçon individuelle non commerciale, mais le système qui s'applique actuellement en cas de contrefaçon institutionnelle et commerciale devrait être maintenu.
    En ce qui concerne les règles d'exonération s'appliquant aux fournisseurs de services Internet, nous croyons que ceux qui diffusent nos œuvres sur le marché doivent appuyer activement le principe de la rémunération de l'utilisation. Le système d'avis ne changera rien à la culture endémique de la copie illégale. Nous avons besoin d'une réaction graduelle comportant un encouragement réel à réduire ce comportement. Il serait en fait préférable d'avoir un nouveau modèle commercial fondé sur un vrai partenariat avec les fournisseurs de services Internet, selon les principes proposés par l'Association des auteurs-compositeurs canadiens, mais nous comprenons que cela va au-delà des attributions du comité.

  (1200)  

    Ce sont les principaux problèmes que nous voyons dans la version actuelle du projet de loi C-32.
    Du côté positif, nous nous félicitons des dispositions du projet de loi qui reconnaissent les droits d'autres pigistes, comme les photographes et les artistes. Toutefois, nous craignons que l'affaiblissement de nos marchés par suite de l'adoption de nouvelles exceptions ne compromette ces gains.
    Quant aux mesures techniques de protection, qui ont fait couler beaucoup d'encre, nous nous rendons compte que nos partenaires de l'industrie, dans le secteur des sociétés, peuvent les trouver utiles, mais elles ne donnent pas aux créateurs les moyens dont ils ont besoin pour exploiter pleinement la technologie numérique par l'innovation.
    Je vous remercie de votre attention. Je serai maintenant heureux de répondre, du mieux que je peux, à vos questions concernant cet exposé ou le mémoire que nous avons présenté.
    Merci beaucoup.

[Français]

    Madame Hélène Messier, vous disposez de cinq minutes.

[Traduction]

[Français]

    Copibec est une société de gestion collective qui représente plus de 25 000 auteurs et éditeurs québécois. Elle gère les droits de reproduction sur supports papier et numérique, des journaux, livres et revues incluant les oeuvres artistiques qui en font partie. Le projet de loi C-32 remet en cause chacun des fondements du droit d'auteur.
    Par l'introduction d’une quarantaine de nouvelles exceptions, il enlève aux auteurs le droit exclusif de décider eux-mêmes s’ils autorisent ou non l’utilisation de leurs oeuvres. Ils dépouillent également les créateurs et autres titulaires de droits d'une rémunération qu’ils touchent déjà comme dans le cas de l’utilisation aux fins d’examens ou de leçon à distance. Ces exceptions mettent également en péril des revenus importants en introduisant l’utilisation équitable aux fins d’éducation, une notion floue et inutile. Elles compromettent le développement de nouveaux marchés ou de marchés existants comme la reproduction d’une oeuvre pour présentation visuelle à des fins pédagogiques, la production de contenu non commercial généré par un utilisateur ou encore la reproduction à des fins privées. Que reste-t-il des fondements du droit d’auteur si on nie à l’auteur le droit de disposer de ses oeuvres et de toucher une rémunération? Il n'y a que le droit de mettre des verrous numériques aux oeuvres.
    Cette solution ne convient pas aux titulaires de droits représentés par Copibec. En effet, il est impossible de mettre un verrou numérique sur un livre de 200 pages ou sur une revue en format papier. De plus, les titulaires de droits ont généralement décidé d’offrir des livres numériques sans verrou afin de mieux répondre aux besoins des consommateurs en favorisant l’interopérabilité des formats. Les éditeurs québécois préfèrent intégrer un filigrane dans la version numérique des livres pour permettre la traçabilité d’une oeuvre en cas de violation. Cette solution ne convient pas aux titulaires de droits représentés par Copibec surtout parce que les plus grands utilisateurs d’oeuvres littéraires sont des utilisateurs institutionnels ou des individus qui les reproduisent presque toujours à des fins non commerciales. Pour ces fins, le projet de loi prévoit des dommages préétablis variant de 100 $ à 5 000 $, nettement moins que ce qu’il en coûte pour entamer des procédures.
    Le projet de loi s’attaque à un autre fondement du droit d’auteur: la gestion collective. En éliminant ou en mettant en péril le versement de sommes importantes aux créateurs, le projet de loi affaiblit les sociétés de gestion qui retiennent un pourcentage des redevances perçues pour assurer leur fonctionnement. Ces sociétés sont pourtant un maillon essentiel de l’administration du droit d’auteur. C'est ce que la loi reconnaît dans sa définition d’« accessible sur le marché » que l'on trouve à l'article 2, qui inclut autant l’achat d’une oeuvre sur le marché que l’obtention d’une oeuvre par l'entremise d’une licence octroyée par une société de gestion. Il est curieux de constater que le projet de loi C-32, partout où il est fait mention d’une oeuvre accessible sur le marché, a fait disparaître la référence à la gestion collective.
    Si l’accès aux oeuvres est assuré, pourquoi proposer tant de nouvelles exceptions? Le recours aux exceptions doit au contraire se faire de façon parcimonieuse et réfléchie, car il s'agit dans tous les cas d’une expropriation de droits. C’est pourquoi la communauté internationale s’est donné des règles strictes qui sont intégrées dans la Convention de Berne, que le Canada a signée en 1928 et qui ont été, depuis, reprises dans de nombreux traités, dont les fameux traités de l'OMPI.
    Il est donc étonnant de constater que ce test en trois étapes n’a pas été pris en considération lors de l’élaboration du projet de loi C-32. Ce test prévoit que les exceptions doivent se limiter à des cas spéciaux, ne portant pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre et qui ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
    La proposition d’élargir l’utilisation équitable pour y ajouter l’éducation met en péril la perception de plus de 10 millions de dollars au Québec. Elle cause certainement un préjudice important et contrevient probablement aux engagements internationaux du Canada. C’est du moins ce qu’en pensent plusieurs intervenants dont l’Association internationale des éditeurs scientifiques, techniques et médicaux, l’Union internationale des éditeurs et le Barreau du Québec, pour ne nommer que ceux-ci.
    Les enseignants aussi vivront avec le flou de cette disposition qui ne sera définie qu’au fil des ans, au gré de longues et coûteuses poursuites judiciaires. Cette disposition est inutile, car l’accès aux oeuvres est déjà assuré par les licences des sociétés de gestion collective partout au Canada.
    En décembre dernier, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, madame Line Beauchamp, faisait part de son désaccord envers l'exception pédagogique proposée par le projet de loi C-32. Tout récemment, la Fédération des commissions scolaires du Québec, une importante représentante des usagers et de toutes les écoles primaires et secondaires francophones du Québec, faisait également état de son opposition au projet de loi C-32. Je vais lui laisser le dernier mot. Elle s'exprimait ainsi:
L’adoption de cette modification aurait non seulement des effets négatifs sur le droit d’un auteur d’autoriser ou non l’utilisation de son œuvre, mais aurait également des effets négatifs sur son droit de recevoir une juste rémunération. Nous comprenons que le gouvernement souhaite faciliter l’accès aux œuvres protégées par le droit d’auteur, mais nous croyons que l’accessibilité à une œuvre doit se faire dans le respect des droits de son auteur. Accepter le principe voulant que l’accessibilité aux œuvres soit synonyme de gratuité aurait pour effet de nier l’importance de la contribution des auteurs à l’éducation de nos enfants et de fragiliser le secteur de l’édition scolaire. Par ailleurs, cette notion d’utilisation équitable à des fins d’éducation est imprécise et ne permettrait pas aux établissements scolaires d’appliquer des règles claires dans la gestion des droits d’auteur, ce que les ententes avec les sociétés de gestion des droits d’auteurs permettent de faire actuellement.
    Merci.

  (1205)  

    Merci.
    Madame Danièle Simpson, vous disposez de cinq minutes.
    L'Union des écrivaines et des écrivains québécois est un syndicat professionnel fondé en 1977 et qui regroupe maintenant près de 1 400 écrivains.
    L'UNEQ est reconnue comme l'association la plus représentative des artistes du domaine de la littérature en vertu de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs — L.R.Q., chapitre S-32.01 — et, par conséquent, parle au nom de tous les écrivains québécois.
    Dans le mémoire que nous vous présentons, nous avons choisi d'analyser un à un les articles qui nous concernent afin de mettre en évidence à quel point les écrivains seraient perdants si le projet de loi était adopté tel quel.
    Le gouvernement veut ajouter, à l'actuelle Loi sur le droit d'auteur, une kyrielle d'exceptions dans le but, dit-il, d'équilibrer les droits des créateurs et les intérêts des consommateurs. La très grande majorité de ces exceptions n'incluent ni rémunération ni possibilité de contrôle par l'auteur de son oeuvre, ce qui nous paraît d'entrée de jeu contraire à l'esprit d'une loi censée protéger les créateurs.
    Par ailleurs, les termes utilisés dans les libellés souvent imprécis obligeront les titulaires de droit à recourir aux tribunaux pour définir la portée des exceptions. Ils devront le faire à leurs frais, et pour obtenir des dommages et intérêts minimes au regard des coûts encourus.
    L'équilibre entre créateurs et utilisateurs ne sera donc pas atteint, et ce ne sera qu'au terme de longues poursuites judiciaires qu'on saura ce qui est légitime ou non.
    Voyons maintenant le projet de loi dans les détails, et commençons par l'article 29 qui porte sur l'utilisation équitable aux fins d'éducation, de satire et de parodie.
    Notons d'une part que l'absence de définition du terme « éducation » permettra à tout organisme offrant une formation d'avoir des prétentions éducatives et de se prévaloir du droit à l'utilisation équitable. D'autre part, la gratuité de l'accès aux oeuvres privera les écrivains d'une juste rémunération. Les oeuvres littéraires circulant beaucoup dans le milieu de l'éducation, celui-ci représente pour les auteurs une source de revenus importante. Il est inadmissible que l'on songe à les priver de la rémunération qu'ils méritent, alors que leurs oeuvres sont la matière première de l'éducation. Nous recommandons donc de supprimer le terme « éducation » de l'article 29.
    L'ajout de l'article 29.21 vise à légaliser l'utilisation des contenus protégés par des usagers qui veulent s'en servir pour créer une oeuvre nouvelle diffusée numériquement sans but lucratif, mais sans égard aussi aux atteintes à l'esprit des oeuvres utilisées, ce que même la mention de la source ne saurait réparer. Une telle exception bafoue le droit moral de l'auteur et devrait être abrogée.
    Les nouveaux articles 30.01 et 30.04 concernent les établissements d'enseignement. Le premier permet la communication à un élève par télécommunication d'une oeuvre protégée dans le cadre d'une leçon. L'établissement doit prendre des mesures « dont il est raisonnable de croire » qu'elles empêcheront la dissémination de l'oeuvre, mais aucune sanction n'est prévue si l'établissement ne le fait pas. Par ailleurs, l'absence d'obligation pour ces institutions de rémunérer les auteurs constituent un préjudice sans précédent qu'il ne viendrait à aucun autre intervenant en éducation d'accepter.
    Le second article permet aux établissements d'enseignement d'utiliser à des fins pédagogiques les oeuvres accessibles par Internet. Actuellement, une oeuvre est protégée par la Loi sur le droit d'auteur dès qu'elle existe sous une forme matérielle quelconque. L'article 30.04 abolit cette protection dans un cadre éducatif. Pourtant, la gestion collective pourrait, dans les deux cas, donner accès aux oeuvres tout en rémunérant les auteurs. Nous recommandons donc d'abroger les articles 30.01 et 30.04.
    L'article 30.02 étend la licence de photocopie en assimilant reproduction numérique et reproduction sur papier et, par conséquent, évalue leur coût sur la même base de calcul sans égard à la dissémination possible de l'oeuvre. Nous recommandons de réécrire cet article de façon à distinguer reproduction numérique et reproduction sur papier, et à ajuster la rémunération en conséquence.
    En ce qui concerne les redevances pour la copie privée, l'UNEQ estime qu'une loi moderne devrait élargir les redevances aux nouveaux supports numériques et prévoir une rémunération pour tous les artistes oeuvrant dans tous les domaines, incluant la littérature.
    En ce qui a trait à la responsabilisation des fournisseurs de services Internet, l'UNEQ croit que le système d'avis et retrait est le seul qui assure une protection adéquate des oeuvres diffusées par Internet. L'approche avis et avis est trop laxiste et oblige les créateurs à policer eux-mêmes le Web, ce qui est une tâche démesurée.
    En résumé, l'UNEQ est d'avis que le projet de loi C-32, sous couvert d'une modernisation, multiplie les exceptions qui privent les écrivains et les artistes d'une rémunération équitable, nie leur droit d'autoriser ou non l'utilisation de leurs oeuvres, reste vague quant à la portée des termes inscrits dans la loi, s'en remettant aux tribunaux pour les interpréter, fixe des amendes dérisoires au regard des frais à encourir, déresponsabilise les fournisseurs des services Internet, fait fi du travail de négociation réalisé par les sociétés de gestion collective et fragilise l'industrie du livre et le développement de nouveaux marchés dans le secteur de l’éducation.

  (1210)  

    Le projet de loi C-32 doit donc être revu en profondeur, de façon à ce que l'utilisation des oeuvres soit rémunérée et que les exceptions soient conformes à ce qui est prévu par la Convention de Berne. Nous demandons également que la gestion collective soit reconnue comme le moyen le plus sûr de garantir le respect des droits des créateurs et l'accès aux oeuvres.
    Merci de votre attention.

  (1215)  

[Traduction]

    Merci.
    Nous allons maintenant commencer le premier tour de questions de sept minutes.
    À vous, monsieur Rodriguez.
    Merci, monsieur le président.

[Français]

    Bonjour, bienvenue à la rencontre. Merci d'être là.
    Madame Messier, vous avez dit que le projet de loi C-32 s'attaquait à la gestion collective. Ce n'est pas une question partisane, bien que ce soient des termes forts: considérez-vous qu'il s'attaque directement et volontairement à la gestion collective, ou bien que c'est un effet indirect ou, comme on dit, un dommage collatéral?
    Je ne peux présumer de l'intention des rédacteurs. Cependant, ce que je constate, c'est que là où il y avait une définition qui englobait la notion de gestion collective, par exemple pour la présentation visuelle d'oeuvres ou encore pour les examens, ces exceptions ne s'appliquaient pas quand l'oeuvre était accessible sur le marché. La définition d'« accessible sur le marché » avait deux volets: soit que l'oeuvre pouvait être achetée sur le marché, soit qu'elle pouvait être accessible par la voie d'une licence avec une société de gestion collective. Dans les deux cas où cette définition apparaissait, on a, dans le projet de loi C-32, enlevé le deuxième élément de cette définition, c'est-à-dire la gestion collective.
    C'est sûr qu'en abolissant des revenus aux auteurs qui passaient par l'entremise de la gestion collective, aux ayants droit, ou en mettant en péril les créateurs et les titulaires de droits en les obligeant à aller défendre leurs droits devant les tribunaux, on amoindrit les perceptions qui vont revenir aux sociétés de gestion pour couvrir leurs frais administratifs. En conséquence, cela les prive de la possibilité qu'elles avaient de distribuer des revenus aux titulaires de droits.
    Alors, est-ce intentionnel ou est-ce un dommage collatéral? Je vous laisse tirer la conclusion.
    Non, parce que la question est quand même...
    Mais c'est étonnant.
    Je ne pose pas la question à des fins partisanes. La solution peut être différente en fonction de l'intention initiale. L'impact aussi peut être différent. L'un est plus difficile à corriger que l'autre. Si c'est volontaire, on ne pourra rien arranger. Toutefois, s'il y a un impact collatéral, peut-être qu'il y a des choses sur lesquelles on peut discuter pour essayer de corriger des erreurs non voulues.
    C'est ce que j'essaie de comprendre.
    Je dois vous dire que même si c'était volontaire, ce serait facile à corriger. On n'a qu'à rétablir la définition d'« accessible sur le marché » telle qu'elle existe actuellement dans la Loi sur le droit d'auteur.
    Oui, eh bien là, un débat politique s'ensuivrait.
    C'est faisable aussi.
    Oui, mais ça mène à un débat politique plus compliqué.
    Vous avez parlé de l'introduction d'une quarantaine de nouvelles exceptions dans l'ensemble du projet de loi.
    Oui, 46 exceptions même, je crois.
    Combien vous touchent, vous?
    Une bonne douzaine, voire une quinzaine, nous touchent directement. Il y en a d'application générale, comme la copie à des fins privées ou le contenu non commercial généré par un utilisateur, etc. Ça touche toutes les catégories d'ayants droit, chez nous aussi.
    Sauf erreur, aucune de ces exceptions, sauf deux, n'est assortie d'une rémunération. Lesquelles est-ce?
    Maintenant, on étend à la reproduction et à la distribution numérique des oeuvres les actuelles licences qu'on a avec les écoles qui touchent la reprographie.
    Donc, il y a rémunération.
    Ce n'est pas très clair si la rémunération doit demeurer la même ou si elle peut être négociée selon d'autres conditions. Au moins on ne l'abolit pas, ce qui est déjà une nette amélioration par rapport aux autres dispositions.
    De plus, on permet aux gens qui ont une déficience visuelle de reproduire des oeuvres et de les importer outre-frontière. Ça doit être fait par l'entremise de tarifs qui sont versés à des sociétés de gestion collective pour les ayants droit.
    Je crois vous avoir entendu dire que le projet de loi dans son ensemble, ou dans certaines exceptions, contrevient à certains de nos engagements internationaux. Pouvez-vous être plus précise à ce sujet?
    Le gouvernement canadien a entériné plusieurs traités, que ce soit les traités de l'OMPI, la Convention de Berne ou l'Accord sur les ADPIC, ce qu'on appelle le TRIPS Agreement. Tous ces traités comportent une disposition selon laquelle les exceptions touchant les droits d'auteur doivent être limitées à des cas spéciaux qui ne portent pas préjudice à l'exploitation normale d'une oeuvre ou aux intérêts des créateurs.
    Je pense qu'à cet égard, je ne suis pas la seule de cet avis. Plusieurs experts sont venus témoigner devant le Comité législatif chargé du projet de loi C-32, notamment Ysolde Gendreau, de l'ALAI Canada, et Georges Azzaria. Le Barreau du Québec et bon nombre d'autres associations internationales ont écrit plusieurs lettres à ce sujet. À leur avis, les exceptions du gouvernement canadien, notamment l'utilisation équitable, contreviennent aux obligations internationales du Canada parce qu'elles sont beaucoup trop larges. En outre, du fait qu'elles sont déjà sujettes à rémunération, il y aura nécessairement un préjudice pour les ayants droit.

  (1220)  

    Je voue remercie, madame Messier.
     Je m'adresse maintenant à vous trois.
    Par le passé, j'ai entendu certains dire qu'il est vrai que ça peut alourdir certains processus judiciaires. Ils ajoutaient que ça peut faire en sorte que des écrivains ou des maisons d'édition soient obligés d'aller en cour, mais que, somme toute, c'était payé par les sociétés de gestion collective. Ils concluaient qu'ils se plaignaient pour rien, parce que ce n'était pas les écrivains qui payaient les frais d'avocat, mais plutôt leurs propres sociétés de gestion collective.
    Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

[Traduction]

    Permettez-moi de dire que les sociétés de gestion collective donnent tout l'argent aux titulaires des droits, à part ce dont elles ont besoin pour administrer.

[Français]

    Vous n'approuvez donc pas ça.

[Traduction]

    S'il faut aller devant les tribunaux pendant 10 ans, c'est notre argent qui est dépensé. Comme M. Freeman l'a dit l'autre jour, je crois, notre argent sert à payer des avocats au lieu de nourrir nos familles.

[Français]

    Revenons maintenant sur la question de l'éducation.
    Sauf erreur, vous voulez retirer le terme « éducation » du projet de loi C-32. On est d'accord avec vous sur le fait qu'il y a un certain recul et un danger pour les créateurs, que ce n'est pas équilibré en ce sens. Toutefois, pour d'autres raisons, on ne va pas aussi loin que de retirer le terme, parce que l'éducation est importante. Or, on veut limiter autant que possible l'impact sur les créateurs.
    Avez-vous quelque chose en tête?
    Ce à quoi je pensais se présente en deux volets. Premièrement, il s'agit de définir l'éducation de la manière la plus restreinte possible, en excluant la formation professionnelle. Deuxièmement, il faudrait imposer un test le plus strict possible pour qu'on limite l'application de cette exemption.
    Avez-vous des commentaires à ce sujet?

[Traduction]

    Il n'y a pas de doute que nous préférerions cela. Nous ne pensons cependant pas que le mot « éducation » doive rester là. Nous croyons que l'étude privée, etc...
    M. Pablo Rodriguez: Je comprends.
    M. Alexander Crawley: Je ne suis pas avocat. Je suis sûr que vous êtes tous au courant du document qui a été publié il y a une semaine. Nous avons, dans notre coalition, quelques très bons juristes qui travaillent sur des amendements, comme je l'ai mentionné dans le mémoire que nous vous avons présenté. Toutefois, nous ne tenons pas à les présenter parce que nous espérons encore que le comité se rendra compte qu'il peut supprimer cette énorme échappatoire tout en gardant un projet de loi qui marche raisonnablement bien.
    En fait, malgré ce qu'a dit M. Knopf, lors de la comparution du dernier groupe de témoins, les licences d'utilisation de nos œuvres, que nous exploitons par l'entremise de nos sociétés de gestion collective, ne nous rapportent pas des fortunes. Les redevances ne représentent qu'une très petite fraction du coût de l'éducation.
    Je vais devoir vous interrompre.
    Nous croyons que le système actuel fonctionne bien.
    C'est maintenant au tour de Mme Lavallée. Vous avez sept minutes.

[Français]

    Merci beaucoup. Comme je n'ai que sept minutes, je vais pédaler.
    Madame Messier, je voudrais vous parler de l'utilisation équitable. Madame Des Rosiers, qui vous a précédée, nous a dit qu'elle ne voyait pas pourquoi l'utilisation équitable dans le domaine de l'éducation enlèverait de la rémunération aux artistes. Elle disait même que si on ajoutait une espèce de spécification « such as », ou « tel que » en français, ce qui nous rapprocherait d'un système à l'américaine, ça permettrait aux artistes et à ceux qui veulent le devenir d'obtenir plus d'information.
    Je lui ai alors demandé comment on ferait pour rémunérer ces artistes. Je n'ai évidemment pas eu une réponse convaincante. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet. Comment peut-on retirer aux créateurs leurs redevances en exonérant le milieu de l'éducation d'en payer, et leur dire qu'ils vont continuer à en toucher?

  (1225)  

    Je vais vous brosser un portrait de la situation au Canada. Il y a eu le droit d'auteur avant CCH, et il y a eu le droit d'auteur après CCH.
    Qu'est-ce que CCH?
    Il s'agit de l'arrêt CCH. C'est l'arrêt qui opposait la maison d'édition CCH à la bibliothèque du Barreau du Haut-Canada.
    Cet arrêt a été primordial dans notre conception des exceptions et dans la façon dont les exceptions sont traitées par le droit canadien. Je pense que toute la nuance est là. Avant l'arrêt CCH, les exceptions en matière de droits d'auteur étaient interprétées de façon restrictive. On n'en trouvait pas beaucoup dans la loi. Le principe qu'on a toujours enseigné à tous les avocats de ce pays, d'un océan à l'autre...
    Vous êtes avocate.
    ... c'est qu'en common law, les exceptions sont interprétées de façon restrictive. Finalement, l'impact des exceptions a peu d'incidences sur les droits des créateurs et l'approche du juge était de les limiter.
    L'arrêt CCH est arrivé et a développé un concept qui, je crois, n'existe nulle part au monde, soit le droit des usagers. Il n'a pas dit que les utilisateurs avaient droit à des exceptions, mais a dit que lorsqu'il y avait des exceptions dans la loi, elles devaient recevoir une interprétation large et libérale pour donner effet aux droits des utilisateurs.
    C'est ce qui nous différencie des États-Unis. Donc, la même poursuite aurait un résultat différent aux États-Unis, au Canada et au Québec.
    Tout à fait. Je dirais que, depuis CCH, la façon dont on interprète les exceptions est encore plus large au Canada qu'aux États-Unis. Pourquoi? C'est parce qu'aux États-Unis, on n'a pas cette notion de droit des utilisateurs et, en plus, les critères qui ont été développés — il y en a aussi dans CCH — vont donner une prépondérance à l'effet sur le marché, ce qu'on ne retrouve pas au Canada. L'effet sur le marché est un critère parmi tant d'autres.
    Ce qu'on examine aussi aux États-Unis, ce sont les solutions de rechange, comme on le fait au Canada. Toutefois, les États-Unis ont retenu que le fait d'avoir une licence par une société de gestion était une solution de rechange valable, ce que n'a pas retenu la Cour suprême.
    Donc, les créateurs et les titulaires de droits ont raison d'être très inquiets de l'effet des exceptions, parce que le Canada donne un effet démesuré à l'impact des exceptions. Si on inclut une exception dans la loi, elle va produire un effet. Il y a un principe en droit qui dit que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. On va lui donner un effet et on va lui donner une interprétation large et libérale. C'est pour cela que les exceptions sont maintenant si dangereuses et qu'il faut d'autant plus faire attention quand on en inscrit une dans la loi. Il faut être certain de l'effet qu'on veut avoir avec cette exception.
    Donc, d'après vous et à la suite de l'arrêt CCH, en ajoutant l'exception de l'éducation, c'est-à-dire en exemptant tout le domaine de l'éducation, cela ferait l'effet de l'exempter de payer des droits d'auteur.
    Non. On va devoir aller devant la cour pour déterminer quel effet cela va avoir. C'est pour ça qu'on dit que ça met les choses en péril. Cela va avoir nécessairement un effet qui va être large, mais on connaîtra l'effet exact dans 10 ou 12 ans, quand la Cour suprême se sera prononcée.
    C'est pour ça que, notamment, la Fédération des commissions scolaires du Québec, qui est la représentante des écoles primaires et secondaires, dit qu'elle n'en veut pas. Les professeurs ne veulent pas nécessairement vivre dans cette insécurité juridique pendant les 10 prochaines années et que l'argent soit dépensé dans des poursuites judiciaires, au lieu qu'on investisse cet argent dans le système d'éducation ou encore qu'il serve à rémunérer les créateurs.
    Et je présume qu'aucune redevance ne serait versée pendant les 10 ou 12 années de poursuites judiciaires.
    Effectivement, si les usagers refusent de payer parce qu'ils estiment que les utilisations qu'ils font sont équitables, il n'y aura pas de rémunération. Dans le cas d'Access Copyright, le tarif a été imposé par la commission. Il a été contesté par le Conseil des ministres de l'Éducation, à l'exception du Québec, et les sommes ont été mises en fiducie. Donc, on a des dizaines de millions de dollars qui ne peuvent pas être distribués aux ayants droit et sur lesquels on ne peut pas prendre non plus de frais de gestion pour payer les procédures judiciaires, parce qu'on attend la détermination définitive de la cour sur cette question.
    Depuis combien de temps existe le système de licences?
    Au Québec, cela existe depuis près de 30 ans. La signature de la première licence entre ce qui s'appelait à l'époque l'Union des écrivains et le ministère de l'Éducation a eu lieu en 1982, et cela fonctionne bien.
    Est-ce que vous le savez pour ce qui est du Canada?
    Cela s'est fait un peu plus tardivement.

[Traduction]

    Nos amis conservateurs se souviendront peut-être de l'époque où Flora MacDonald était notre ministre. C'est elle qui nous a aidés à établir ce système, que nous avons conservé depuis. Je crois que c'était au début des années 1980.

  (1230)  

[Français]

    Actuellement, est-ce que cela fonctionne bien?
    Cela fonctionne très bien et, contrairement à ce que disait M. Knopf, un système semblable existe aussi aux États-Unis en vertu du Copyright Clearance Centre. Les Américains ont aussi un programme pour libérer les oeuvres qui entrent dans la composition de ce qu'on appelle les course packs, les recueils de textes. Les tarifs sont beaucoup plus élevés que ceux qu'on retrouve ici, au Canada. Ces tarifs peuvent se chiffrer facilement à 25 ¢ la page, alors que le tarif appliqué par Access Copyright est de 10 ¢ la page et que celui appliqué par Copibec est un tarif par étudiant. Il n'est donc pas basé sur un montant à la page, mais sur un montant par étudiant qui étudie à temps complet.
    Combien un artiste peut-il espérer recevoir en redevances par année? Prenons l'exemple de Copibec.
    C'est basé sur l'utilisation. On a un système qui fait que les professeurs doivent déclarer les oeuvres qui sont utilisées pour qu'on puisse compenser les titulaires de droits le plus justement possible. Plus leur oeuvre est reproduite, plus la rémunération qu'ils recevront sera grande.
    On émet un chèque pour un montant minimum de 25 $, mais le maximum peut se chiffrer à plusieurs milliers de dollars, selon l'utilisation qui en est faite. On parle d'une exception pour les examens, mais quand une oeuvre est prise pour un examen obligatoire de français et qu'on en fait 70 000 copies au Québec, l'auteur peut espérer recevoir plusieurs milliers de dollars pour l'utilisation de son oeuvre dans ce cadre. Cela deviendra une exception avec le projet de loi C-32.

[Traduction]

    Je vais devoir vous interrompre maintenant.
    Allez-y, monsieur Angus. Vous avez sept minutes.
    Merci.
    Je remercie les témoins d'être venus ce matin.
    Monsieur Crawley, j'ai dirigé une revue indépendante pendant 10 ans. Nous nous débattions constamment d'un mois à l'autre pour publier. Durant ces 10 années, nous avons assisté à un affligeant dépérissement de la presse écrite, dont les ressources étaient presque tombées à zéro. Les seules revues qui payaient encore de bons tarifs étaient de moins en moins nombreuses. Aujourd'hui, l'industrie est l'un des exemples de succès de l'ère numérique. Le Fonds du Canada pour les magazines a donné de bons résultats. Des publications en ligne commencent à paraître. Il y a tout un mouvement axé sur une approche à valeur ajoutée visant à maintenir une production canadienne indépendante.
    Que pensez-vous de la situation actuelle des magazines et de la possibilité pour les pigistes de contribuer à ce domaine?
    La situation m'inspire beaucoup d'espoir. Bien sûr, le secteur canadien des magazines dépend dans une énorme mesure des pigistes. Les petites revues ne peuvent pas se permettre d'avoir des rédacteurs permanents. Les grandes aussi ont connu des difficultés et ont dû congédier du personnel et recourir davantage aux pigistes.
    Nous travaillons constamment avec les magazines en vue d'améliorer les tarifs. Nous ne croyons pas qu'ils se montrent trop généreux, mais nous sommes très heureux de pouvoir négocier. Nous ne tenons pas à ce que la nouvelle loi sur le droit d'auteur change ces relations.
    En fait, les magazines constituent le produit culturel canadien qui a la plus forte présence sur le marché en fonction de l'auditoire, par rapport au cinéma ou même à la télévision. Je crois que, d'après les chiffres les plus récents, 50 p. 100 des lecteurs de magazines lisent des revues canadiennes. C'est très bon pour nous.
    Nous connaissons certaines difficultés, mais nous pensons que la transition vers le numérique nous permettra de former de meilleurs partenariats. Les coûts de distribution seront moindres. Nous espérons que nos partenaires de Magazines Canada continueront à investir dans la qualité et nous paieront en conséquence. Nous espérons aussi que le public recherchera les œuvres les plus intéressantes.
    Nous sommes en fait très optimistes. Toutes choses étant égales, une bonne loi sur le droit d'auteur nous aidera à établir ces nouveaux modèles commerciaux.
    Je vous remercie.
    Dans le domaine de la contrefaçon, le plus grand recours collectif de l'histoire du Canada portait sur un montant de quelque 6 milliards de dollars pour la distribution illégale de 300 000 œuvres.
    Le procès avait été intenté contre isoHunt et l'Association de l'industrie canadienne de l'enregistrement, qui distribuait des œuvres musicales sans se soucier de payer leurs auteurs. Il s'agissait de l'affaire Chet Baker. Le pauvre Chet se faisait payer en espèces pour jouer des œuvres phénoménales. C'est sa succession qui a commencé à poser des questions au sujet de tous les enregistrements produits à son nom pendant des dizaines d'années. À ma connaissance, le règlement auquel l'affaire a abouti était bien loin des 6 milliards réclamés, mais l'affaire a mis en lumière l'incroyable pouvoir exercé sur les artistes par quelques grands joueurs qui ne voyaient aucun inconvénient à voler les artistes quand cela leur convenait.
    Pouvez-vous nous donner les dernières nouvelles sur l'affaire Heather Robertson et les droits des pigistes?

  (1235)  

    Comme M. Knopf, du dernier groupe de témoins, l'a mentionné, les tribunaux n'optent pas toujours pour la bonne solution, mais, dans ce cas au moins, ils ont pris la décision qu'il fallait. La seconde partie de ce recours collectif est sur le point d'aboutir à un règlement qui, nous l'espérons, s'élèvera à environ 5 millions de dollars.
    J'ai donné au greffier quelques copies du jugement rendu dans le premier cas, celui de Robertson c. Thomson. Le montant était d'environ 11 millions de dollars, mais le procès a duré 12 ans.
    Mme Robertson ainsi que la PWAC et d'autres organisations qui l'appuyaient avaient établi que les maisons d'édition se servaient des droits électroniques sans permission. Maintenant, bien sûr, les contrats sont conçus pour nous enlever nos droits à perpétuité, à toutes les fins possibles et pour tout ce qui a jamais été inventé. Il appartient évidemment aux petits entrepreneurs comme nous de résister.
    Il y a un déséquilibre dans les pouvoirs de négociation. Nous essayons d'y remédier de diverses façons. Nous formerons un syndicat si c'est nécessaire, mais nous préférons nous entendre avec nos partenaires de l'industrie sur des conditions raisonnables. C'est un problème permanent. Je ne crois pas que le comité puisse y faire grand-chose, mais nous aurons certainement besoin qu'on reconnaisse nos droits sur les versions numériques ou électroniques de nos œuvres. De toute évidence, certains aspects de ce projet de loi menacent cette reconnaissance.
    Je me souviens du temps où la revue payait les pigistes. Notre entente nous accordait le droit d'imprimer les premiers. Ce qu'ils faisaient ensuite de leur texte était leur affaire. S'ils le revendaient et se faisaient payer trois fois de suite, nous n'y voyions pas d'inconvénients. Je ne nommerai pas certains des grands joueurs qui ne respectaient pas ces droits, mais je voudrais vous demander si le fait d'appartenir à une société de gestion collective permet aux auteurs de défendre leurs droits? Je pose la question parce qu'un écrivain ou un musicien moyen n'a pas les moyens d'affronter une grande société tout en continuant à payer ses factures. Quel est donc le rôle...
    Les aspects les plus intéressants des sociétés de gestion collective, c'est que nous nous réunissons autour d'une table avec les éditeurs et Access Copyright. Il y a une représentation égale de créateurs et d'éditeurs. C'est dans notre intérêt commun parce que nous discutons d'utilisations secondaires, c'est-à-dire de la reproduction des œuvres. Cela n'a rien à voir avec l'utilisation primaire et la façon dont nous gérons nos droits et signons des ententes contractuelles. Cela n'est pas du ressort du comité.
    En fait, nous travaillons ensemble, ce qui est utile. Quand des gens se réunissent pour discuter de toutes les questions qui les touchent, il y a évidemment de notre part une meilleure compréhension des problèmes auxquels les éditeurs doivent faire face, et inversement. Nous espérons donc que nous pourrons travailler en vue d'un meilleur partenariat avec les éditeurs pourvu qu'il y ait une reconnaissance appropriée de nos droits comme créateurs et propriétaires.
    Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
    Je crois qu'il est clair que vous vous organisez pour défendre vos intérêts auprès des maisons d'édition. Vous travaillez avec elles pour établir un marché sain. De plus, vous attendez de la loi qu'elle fasse en sorte que le marché ne soit pas injustement touché par les changements apportés à la façon de distribuer vos œuvres. Ce sont les étapes que j'essaie d'établir.
    Je voudrais aborder la question de l'utilisation équitable et du contenu généré par l'utilisateur. On nous a dit et répété que nous devrions supprimer ces dispositions. Le problème, pour nous, c'est que cela a été défini par la Cour suprême. Nous avons défini les droits des utilisateurs et l'utilisation équitable. Je crois qu'il nous incombe, comme comité, d'essayer de trouver un moyen de rendre cet aspect plus clair.
    J'ai deux questions à poser aux deux témoins...
    Monsieur Angus, il vous reste environ 15 secondes.
    J'ai 15 secondes.
    Est-ce que le critère à trois étapes de la Convention de Berne nous aide à nous orienter vers une définition de l'utilisation équitable?
    Oui.
    Une voix: Oui.
    M. Charlie Angus: Je vous remercie.
    Très bien. Merci beaucoup.
    Allez-y, monsieur Lake. Vous avez sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais avoir une précision: vous êtes tous les trois opposés au système d'avis, auquel vous voulez substituer le système d'avis et retrait. Est-ce exact?
    Oui. Nous irions même plus loin si possible, mais ce serait certainement un pas dans la bonne direction.
    J'essaie toujours de faire le lien avec des situations réelles. Je pense par exemple à des gens qui mettraient sur Internet une vidéo présentant un enfant en train d'exécuter une danse ou de faire des exercices de gymnastique. Quelqu'un pourrait alors s'inquiéter du droit d'auteur et envoyer un avis. D'après vous, indépendamment de la question de savoir s'il y a ou non contrefaçon, si quelqu'un affirme que c'est le cas, il faut immédiatement retirer la vidéo que quelqu'un essaie peut-être de faire voir à sa famille. Il pourrait s'agir d'un enfant en train de lire devant la caméra un passage d'un livre ou quelque chose de semblable.

  (1240)  

[Français]

    Non. Je peux vous donner un exemple précis.
    Il y a deux ans, nous avons utilisé la procédure américaine du notice and takedown pour faire fermer un site Internet. Ce site Internet vendait des reproductions illégales de livres à des fins d'éducation. On a fait une enquête, on a monté un dossier, on a signé une déclaration sous serment, on l'a envoyée au fournisseur américain de services Internet et le site a été fermé. On ne parle donc pas d'une utilisation mineure, on parle d'une utilisation grave qui avait un impact sur les droits des créateurs. Le site a été fermé sur la base d'allégations qui étaient fermes, qui étaient vérifiées, et sur un dossier qui était fondé. On ne parle pas du caprice de quelqu'un qui se lèverait un matin et déciderait de faire fermer un site qu'il n'aime pas. Il s'agit vraiment d'une possibilité de faire fermer des sites dont on peut démontrer l'incidence grave. À la face même de nos documents et en regardant ce site, nous savions qu'il y avait une opération illégale, et le site a été fermé.

[Traduction]

    C'est raisonnable. Tout le monde est sur la même longueur d'onde quand il s'agit d'une contrefaçon commerciale de ce genre. Personne ne s'y oppose, mais le système d'avis et retrait implique que si quelqu'un n'aime pas la vidéo de l'enfant en train de lire un livre, de chanter une chanson ou d'exécuter une danse, la vidéo serait automatiquement retirée que la contrefaçon ait ou non été prouvée. D'accord?
    Nous croyons, pour notre part, que la solution consiste à réagir d'une façon graduelle. Nous ne voulons pas nous en prendre aux veuves et aux orphelins. C'est une culture, une approche qui ne marche pas. Toutefois, comme d'autres l'ont dit au comité, nous avons besoin d'un critère établissant ce qui fait qu'une œuvre est originale, de façon que la définition soit claire pour tous ceux qui l'utilisent.
    Par ailleurs, en fonction de notre interprétation du projet de loi C-32, le Canada serait le seul endroit du monde où un service Web comme YouTube n'aurait rien à payer aux propriétaires ou aux détenteurs de licences.
    Pour être juste, je dirais que nous parlons ici de sujets différents. Dans le cadre du système d'avis et retrait, il importerait peu que nous ayons ou non la définition dont vous parlez. Il n'y a pas de preuve de contrefaçon. Si quelqu'un demande le retrait, il faut que l'objet de la demande soit retiré, peu importe qu'il y ait ou non contrefaçon.
    À mon avis, le système d'avis implique une réaction graduelle. On envoie un avis à la personne qui a placé en ligne les images ou les objets en cause. La personne sait maintenant qu'on la soupçonne de contrefaçon et doit prendre une décision. Si sa décision consiste à maintenir les images ou les objets, il serait possible de la poursuivre en justice.
    Nous vivons dans un pays où l'application de la loi est importante. Je crois que c'est une question importante pour la plupart des familles, compte tenu de la façon dont elles partagent différentes choses avec des amis et avec le monde en général, dans le nouvel univers numérique où nous vivons. Je crois que les gens seraient très inquiets s'il suffisait que quelqu'un dise qu'il y a contrefaçon pour qu'on suppose automatiquement qu'ils ont contrevenu au droit d'auteur et qu'on retire leurs images ou leurs objets du site Internet.

[Français]

    La personne qui reçoit l'avis n'est pas obligée de faire quoi que ce soit. Par contre, d'après ce que vous venez de dire, si elle ne fait rien, la personne qui se sent lésée doit s'adresser aux tribunaux pour intenter une poursuite. On revient donc toujours au même problème, c'est-à-dire que la personne lésée doit s'adresser aux tribunaux, alors que si vous avez...

[Traduction]

    Non, excusez-moi. Jusque-là, il n'y a aucune preuve de contrefaçon ou de préjudice. Quelqu'un affirme qu'il y a contrefaçon, mais il n'y a aucune preuve et il se pourrait bien qu'il n’y ait pas eu contravention.

[Français]

    Dans ces conditions, le système d'avis et retrait devrait peut-être s'appliquer aux cas sûrs. Il ne s'agit pas simplement de demander le retrait à quelqu'un et de l'appliquer ensuite. Ce n'est pas ce qu'on demande. On veut éviter que la personne ayant lésé l'artiste ne puisse continuer à le faire et que rien ne se passe, à moins que l'artiste ne prenne des mesures sur le plan juridique. C'est sur ce point qu'on insiste.
    De plus, la personne lésée n'aura pas tendance à entamer une poursuite, étant donné que, dans les cas de violation non commerciale, les dommages préétablis vont se situer entre 100 $ et 5 000 $. Qui va entamer une action en justice pour obtenir 100 $? Qui?

  (1245)  

[Traduction]

    C'est pourtant le cas. Nous ne savons pas s'il y a contrefaçon. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde dans lequel des choses sont automatiquement retirées. Ça ne peut pas fonctionner ainsi. Ça ne fonctionne pas ainsi dans le monde des affaires. Si on entre dans un magasin et qu'on a l'impression de ne pas être traité d'une façon équitable, on ne peut pas faire fermer le magasin ou dire au propriétaire de cesser de vendre un certain produit. Pourtant, dans ce cas, il suffit d'affirmer quelque chose pour qu'automatiquement, il y ait retrait. Il y a un processus en place. Pourquoi ne devrait-on pas l'appliquer dans ce cas?

[Français]

    Croyez-vous vraiment que les créateurs et les titulaires de droits aient tellement de temps à perdre qu'ils vont passer leur temps à envoyer des avis inutilement? À mon avis, s'ils se donnent la peine de signaler une possible violation, c'est qu'ils ont de sérieux soupçons. En outre, pour utiliser une oeuvre, il faut demander l'autorisation du titulaire des droits. Or si ce dernier n'a pas donné son autorisation, il s'agit presque certainement d'une violation des droits de l'auteur. Les gens ne vont pas se lever un matin et décider d'envoyer des dizaines d'avis absolument sans raison.

[Traduction]

    D'accord.
    J'aimerais, si possible, dire un mot de l'utilisation équitable en éducation, simplement pour comprendre la position de Mme Simpson. De toute évidence, vous vous opposez à cette exception. Au chapitre de l'utilisation équitable en éducation, quel est le problème précis auquel vous voulez vous attaquer et qu'il n'est pas possible de régler au moyen des six facteurs définis par la Cour suprême?

[Français]

    Si l'utilisation équitable s'applique à tout un secteur d'activité dans la société, je ne comprends pas comment vous pouvez penser que ça va être simple à régler. Vous demandez aux écrivains de fournir la matière première de l'éducation et, en même temps, vous leur dites que s'il est possible de prouver que l'établissement d'enseignement procède de façon équitable, ils vont devoir offrir gratuitement le fruit de leur travail. Un écrivain ne peut pas gérer une telle situation. C'est impossible.

[Traduction]

    Mais ce n'est pas ainsi que ça marche. La Cour suprême a défini un critère en deux étapes. La première consiste à déterminer si l'utilisation est équitable. Si elle l'est, il y a six facteurs à considérer, dont l'effet de l'utilisation sur l'œuvre. La reproduction de celle-ci aura-t-elle des effets sur le marché de l'œuvre?

[Français]

    Tout cela se fait devant les tribunaux.

[Traduction]

    Monsieur Lake, je dois vous interrompre maintenant.
    Nous allons maintenant passer au Parti libéral
    Monsieur Garneau, vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Il est intéressant d'entendre le dialogue entre M. Lake et les trois témoins. J'en ai conclu que vous comprenez mieux la loi que M. Lake en ce qui a trait à la question de l'approche avis et avis.
    Ma question s'adresse d'abord à ceux qui sont impliqués dans la gestion collective des droits. Je m'adresse donc à Mme Messier, mais les autres doivent se sentir bien libres de faire des commentaires.
     Ceux qui pensent que cette exemption aux fins d'éducation ne constitue pas un problème disent souvent qu'il n'est pas question que les éducateurs copient des livres en entier, car, bien sûr, ce ne serait pas acceptable. J'aimerais avoir une idée des statistiques. Quand vous percevez des montants pour les systèmes éducationnels qui se servent des oeuvres des auteurs, le plus souvent, s'agit-il d'oeuvres en entier, d'extraits, de chapitres? Qu'est-ce qui est le plus souvent utilisé? Vous pouvez tous répondre.
    Les licences qu'on accorde, tant aux écoles primaires et secondaires qu'aux cégeps et aux universités, ne permettent jamais la reproduction d'une oeuvre en entier. Dans les écoles primaires et secondaires, on est autorisé à copier le moindre de 10 p. 100 ou 25 pages. Pour les universités et les cégeps, on peut photocopier et reproduire 10 p. 100 d'une oeuvre. On peut aussi aller jusqu'à reproduire un chapitre ou un article en entier si cela ne représente pas plus que 20 p. 100 du recueil. Ces extraits à eux seuls représentent, au Québec seulement, plus de 168 millions de copies annuellement. Il s'agit de copies qui nous sont déclarées. On peut donc penser qu'un certain nombre d'entre elles nous échappent. Cela représente donc l'équivalent de 840 000 livres de 200 pages qui sont reproduits annuellement dans les institutions de l'éducation québécoise, et il s'agit là seulement d'extraits.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Crawley, avez-vous quelque chose à ajouter?
    C'est très semblable à Access Copyright. À titre de membres, nous pouvons certainement demander qu'on vous fournisse les statistiques disponibles. Il y a un taux par étudiant, qui est actuellement de 3,63 $, et 10 ¢ par page jusqu'à 10 p. 100 de l'œuvre. Si on a besoin de plus, on peut négocier une licence supérieure.
    Cet arrangement sert évidemment les intérêts des éditeurs et des créateurs. Si les établissements d'enseignement peuvent reproduire tout ce qu'ils veulent parce qu'ils s'occupent d'éducation, nous perdrions notre industrie d'édition scolaire. C'est ce que nous craignons.

  (1250)  

[Français]

    Madame Simpson, aviez-vous quelque chose à ajouter?
    Non, ça va.
    Parlons de la Convention de Berne et des trois tests qui devraient nous permettre de savoir si quelque chose peut être considéré comme une utilisation équitable. Pensez-vous que certains volets éducationnels pourraient être conformes aux dispositions de la Convention de Berne et s'appliquer dans le contexte présent? Êtes-vous plutôt d'avis que rien ne serait conforme à la Convention de Berne en matière d'éducation?
    Pas du tout. Dans les pays européens, on applique très strictement la Convention de Berne et il existe des exceptions en faveur de l'éducation, notamment aux fins d'illustration de l'enseignement, en France, par exemple. Souvent, pour s'assurer que ces exceptions n'ont pas un impact démesuré sur les créateurs, cela peut être assorti aussi d'une rémunération, mais elles sont très ciblées pour éviter qu'il n'y ait un impact sur le marché.
     Dans certains pays comme l'Australie, il y a une licence légale qui permet aux écoles, en échange d'une rémunération, d'avoir accès aux oeuvres sur Internet. Copibec a une entente avec la société australienne pour un échange de répertoire: on gère le répertoire australien sur le territoire québécois et Copibec reçoit des redevances pour la reproduction de matériel dans des sites Internet québécois.
     Oui, il existe des exceptions. Elles doivent être strictement définies, parfois assorties d'une rémunération. Cela dépend des besoins des écoles. Je pense qu'on doit créer des exceptions dans la loi quand il y a un problème d'accès aux oeuvres. Quand il n'y a pas de problème d'accès, je ne vois pas pourquoi on devrait élaborer une exception. La Loi sur le droit d'auteur ne donne pas aux utilisateurs le droit à des exceptions. On dit que lorsqu'il y en a, cela constitue les droits des utilisateurs, mais pas le contraire.

[Traduction]

    Je vous remercie, mais nous devons avancer.

[Français]

    Monsieur Cardin, vous disposez de cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Mesdames, monsieur, bonjour.
    Pour ma part, je voudrais revenir sur le système avis et avis et sur la responsabilité qui devrait incomber aux fournisseurs de services Internet. Car dans ce monde numérique, cela doit passer par le numérique. Comment peut-on les responsabiliser? Existe-t-il, dans la communauté internationale, un meilleur système que le système avis et avis? Que préconisez-vous en ce qui concerne la responsabilisation des fournisseurs de services Internet?

[Traduction]

    Comme un membre du comité l'a dit tout à l'heure, il n'y a pas de système parfait. C'est une cible mouvante. Toutefois, je crois que le concept de la règle d'exonération qui figure dans le projet de loi permet aux fournisseurs de services Internet de s'en tirer à très bon compte. D'après cette règle, ils n'assument aucune responsabilité à l'égard de ce qui passe sur leurs lignes, ce qui ne les empêche pas d'en tirer l'essentiel de leur revenu. Nous aimerions avoir un partenariat plus sérieux dans le système de distribution, puisque nous sommes partenaires, quoique pas égaux.
    Je ne crois pas qu'il existe un système parfait. Il y a certainement des réactions graduelles. M. Lake a peut-être une interprétation du système d'avis et retrait qui est différente de la nôtre, mais il y a une conséquence. En ce moment, nous pouvons avoir un petit nombre de personnes qui enverraient fréquemment des avis, mais les créateurs indépendants n'ont pas les moyens d'intenter des poursuites contre toute personne qu'ils soupçonnent de contrefaçon. Ce n'est pas une solution très pratique.

[Français]

    Je suis d'accord avec M. Crawley sur le fait qu'il n'y a pas de système parfait. À mon avis, la mesure la plus juste est peut-être le système de riposte graduée qui permet justement d'alerter une première fois la personne en lui disant que son comportement est peut-être en violation du droit d'auteur. Cela permet aussi d'appliquer des sanctions de plus en plus sévères.
    Cependant, selon moi, on doit également examiner d'autres solutions. Les fournisseurs de services Internet devraient peut-être aussi participer au financement de la culture et de la création. Il existe un fonds des câblodistributeurs. Pour le moment, les gens qui hébergent et qui fournissent des services de bande passante sont les gens qui font de l'argent. Ce sont eux qui empochent le plus de profits au sein de toute cette industrie et je crois qu'ils devraient apporter leur contribution. Sans que cela devienne une licence pour justifier le téléchargement illégal, cet argent pourrait être remis aux créateurs et aux titulaires de droits pour aider à multiplier l'offre légale sur Internet. Je crois que plusieurs avenues de solution pourraient être explorées.

  (1255)  

    S'agit-il de vos propres suggestions et recommandations ou vous êtes-vous plutôt inspirée des meilleures méthodes qui existent à l'heure actuelle?
    D'autres sociétés dans le monde ont dû se pencher sur cette question. À cet égard, pouvez-vous nous dire ce qui se fait de meilleur présentement et s'il faut suivre cet exemple?
    Plusieurs systèmes viennent d'être implantés. La riposte graduée a la cote du jour. Autant en France qu'en Angleterre, on a introduit une certaine forme de riposte graduée. L'idée de mettre sur pied un tel fonds vient aussi des gens de la musique et de l'agence CAMI.
    On pourrait aussi se donner des idées originales. La responsabilisation n'empêche pas la contribution. Je ne peux pas vous donner à ce moment-ci la solution miraculeuse. Je ne l'ai pas, mais, selon moi, il faut faire un pas vers une plus grande responsabilisation des fournisseurs Internet et leur demander une plus grande contribution.
    Vous seriez donc tous d'accord pour que ce soit inclus dans la loi. Il faudrait l'appliquer.
    Est-ce qu'il me reste du temps, monsieur le président?

[Traduction]

    Il vous reste 15 secondes.

[Français]

    Un témoin nous a dit que les droits d'auteur n'étaient pas une rémunération, mais une récompense.
    Mme Hélène Messier: Ah, ah!
    M. Serge Cardin: Si le projet de loi, tel qu'il est proposé, entraîne des pertes potentielles estimées à 74 millions de dollars — certaines personnes parlent plutôt de pertes de plus de 100 millions de dollars —, est-ce que cela signifie que le gouvernement veut pénaliser les auteurs et les créateurs en leur enlevant leur récompense?
    Comment les écrivains...

[Traduction]

    Nous allons devoir passer à M. Del Mastro pendant cinq minutes.

[Français]

    Comment les écrivains pourraient-ils gagner leur vie s'ils n'étaient pas payés?

[Traduction]

    Je regrette. La parole est à M. Del Mastro.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je remercie aussi les témoins de leur présence.
    On a beaucoup évoqué la possibilité que les artistes et les créateurs passent tout leur temps devant les tribunaux à essayer de défendre leurs droits. Toutefois, l'objet des dommages-intérêts préétablis prévus dans la loi — je suis sûr que vous savez de quoi il s'agit — est justement d'alléger le fardeau de la preuve pour ceux qui doivent montrer qu'ils ont subi un préjudice monétaire. Il n'est pas nécessaire de quantifier le préjudice. Devant un tribunal, c'est toujours la chose la plus difficile à faire dans un cas de ce genre. La présence des dommages-intérêts préétablis dans le projet de loi assure une protection et décourage les gens de recourir à la contrefaçon.
    Vous avez parlé de certaines exceptions. J'aimerais avoir votre point de vue sur les mesures techniques de protection. Vous n'avez pas abordé le sujet, mais je voudrais savoir ce que vous en pensez.
    Je crains en outre qu'il y ait un malentendu: parce que l'éducation fait maintenant partie de l'utilisation équitable, certains croient qu'on s'attaque à la gestion collective des droits, ce qui n'est pas le cas. En fait, comme je l'ai souvent dit au comité, si on considère la décision de la Cour suprême du Canada et ce qui a été établi à Berne, on constate que le projet de loi est tout à fait compatible avec ces dispositions.
    Quoi qu'il en soit, j'aimerais beaucoup connaître votre opinion sur les mesures techniques de protection.
    J'ai mentionné dans l'exposé que nous ne voyons pas d'inconvénients à l'utilisation des mesures techniques de protection dans le cas des créateurs indépendants que nous représentons, mais ces mesures ne nous donnent pas ce dont nous avons besoin individuellement. Quant aux grandes sociétés qui croient pouvoir réaliser des serrures que personne ne pourra crocheter, je leur souhaite bonne chance. Les créateurs indépendants trouvent des moyens beaucoup plus innovateurs de toucher le marché et continueront à le faire si leur droit à une rémunération équitable est bien établi dans le projet de loi.
    Nous ne nous opposons pas aux verrous numériques, contrairement à beaucoup des adeptes du copyleft ou gauche d'auteur qui croient qu'on devrait supprimer tous les verrous. Tout devrait être gratuit si on possède un téléphone. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous ne pensons pas que les mesures techniques de protection constituent la solution. Ce n'est pas la seule solution, et ce n'est pas la solution pour les créateurs indépendants.

  (1300)  

    Je vous remercie. Je ne crois pas que tout devrait être gratuit. Les gens devraient être rémunérés pour leur travail.
    Allez-y.

[Français]

    Je peux vous dire, monsieur Del Mastro, que pour les éditeurs québécois, les verrous ne sont pas une solution. Premièrement, c'est impossible de verrouiller des oeuvres en format papier. Quant aux oeuvres numériques, ils ont plutôt décidé de recourir à des filigranes — des watermarks —, parce qu'ils voulaient avoir une solution qui était plus consumer-friendly et qui permettait justement de passer d'une plateforme à une autre. Ainsi, si on achète un livre sur une plateforme Kindle, on peut aussi le lire sur une autre plateforme. Les éditeurs étaient sensibles à cette demande des consommateurs.
    Je ne suis pas d'accord avec vous pour dire que la loi canadienne est conforme à nos obligations internationales. Je ne suis pas la seule à le dire. Plusieurs personnes ont témoigné à cet effet devant la commission. Je pense à Ysolde Gendreau, à Georges Azzaria, au Barreau du Québec et à plusieurs associations internationales. Cela fait beaucoup de personnes qui croient que ce projet de loi n'est pas conforme aux obligations internationales du Canada.

[Traduction]

    Je me suis entretenu avec des dizaines et des dizaines — cela devait probablement faire une centaine au total — de juristes spécialisés dans ce domaine et j'ai sans doute une centaine d'avis juridiques différents sur le projet de loi. Par conséquent, je ne suis pas surpris que certains viennent affirmer devant le comité qu'il est incompatible avec nos obligations, tandis que d'autres soutiendront qu'il est parfaitement compatible. En fin de compte, il a été rédigé en grande partie presque entièrement par l'industrie. Ces juristes ont en fait rédigé le projet de loi en fonction des critères. Nous croyons que, du point de vue juridique, cela nous place au niveau des obligations que nous impose le traité de l'OMPI, le projet de loi étant en outre conforme tant à la décision de la Cour suprême qu'au critère en trois étapes de la Convention de Berne. C'est l'approche du projet de loi.
    Vous avez en fait mis le doigt sur l'orientation qu'à mon avis, le gouvernement a choisie au sujet des mesures techniques de protection. Je crois que cela est important. Vous avez mentionné que les éditeurs de livres, par exemple, ont décidé de ne pas utiliser de verrous. L'industrie de la musique a agi de même dans le cas des CD. Les consommateurs ne voulaient plus de CD codés et ont donc cessé de les utiliser. D'autres industries, comme celle du cinéma, produisent et vendent maintenant des disques Blu-ray numériquement cryptés. En définitive, c'est le marché qui décidera si les verrous sont acceptables ou non et si les entreprises s'en serviront. C'est ce que le projet de loi respecte.
    Je vous remercie de votre temps.
    Cela met fin à cette partie de la réunion, monsieur Del Mastro.
    Je remercie sincèrement nos témoins.
    J'aurais bien voulu dire un mot des dommages-intérêts préétablis, mais ce sera pour la prochaine fois.
    La séance est levée.
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