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FAAE Rapport du Comité

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CHAPITRE 4 : RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ DANS LE DÉVELOPPEMENT

Les intervenants

Pour comprendre le rôle que peut jouer le secteur privé dans l’atteinte des objectifs du Canada en matière de développement international, il faut d’abord comprendre ce qui constitue le secteur privé. Comme l’a fait valoir M. Dade dans son exposé, par « privé », nous entendons « ce qui n’est pas public[61] ».

En termes généraux, il existe quatre grands groupes d’intervenants du secteur privé qui peuvent participer au développement international :

  • les petites, moyennes et grandes multinationales;
  • les petites, moyennes et grandes entreprises locales;
  • les individus, incluant les travailleurs autonomes, les membres des diasporas, les bénévoles, les spécialistes, etc.;
  • les organisations non gouvernementales.

Des témoins ont exposé au Comité le rôle de ces différents groupes d’intervenants et ils ont parfois exprimé des opinions divergentes sur l’importance relative de chacun dans la réalisation des objectifs de développement. Certains se sont attardés au rôle des grandes entreprises internationales tandis que d’autres ont insisté sur la nécessité d’alimenter les activités du secteur privé en tant que catalyseur de la croissance nationale. De l’avis de M. Reilly-King, « le secteur privé local constitue un élément clé[62] ». Par ailleurs, l’exposé donné au Comité par M. Hernando de Soto, économiste péruvien réputé, avait pour point de mire le système juridique des pays en développement (comme le droit de propriété privé), de même que les liens existant entre cet environnement et les possibilités de croissance économique pour permettre aux « entrepreneurs pauvres de tirer profit de l’économie mondiale ». L’organisme que représentait M. de Soto, l’Institute for Liberty and Democracy, a pour mandat de veiller à ce que les outils juridiques nécessaires soient en place pour que les citoyens des sociétés en développement soient en mesure de tirer parti des investissements étrangers éventuels, d’y « avoir accès » et d’en tirer profit[63].

D’autres témoins ont souligné l’impact que peuvent avoir de petits groupes de personnes qui s’unissent et arrivent à surmonter des obstacles au développement. Par exemple, M. Tennant a décrit l’effet positif sur le Soudan du Sud qu’a eu son organisme, le Groupe d’aide économique du Canada pour le Soudan du Sud, entièrement composé de bénévoles. Cet organisme a appliqué un savoir-faire technique concernant l’agriculture mécanisée au moyen de la méthodologie canadienne et du soutien de la formation connexe. Grâce à l’apport des bénévoles, l’agriculture mécanisée au Soudan du Sud a donné un rendement de deux tonnes de maϊs par acre en 2011, soit le rendement « le plus élevé de toutes les fermes du pays[64] ». En fait, l’organisme de M. Tennant vend sa production au Programme alimentaire mondial. Il a déclaré au Comité :

Nous entretenons de bonnes relations avec le Programme alimentaire mondial depuis plusieurs années déjà. Il se porte acquéreur de nos récoltes dans le cadre de son programme Achats au service du progrès. Le programme va acheter la totalité de notre production et nous a approchés pour construire en partenariat une installation d'entreposage. Non seulement cela nous aiderait, mais cela permettrait également de protéger toutes les récoltes de la région de Jebel Lado où notre ferme est située[65].

Autre exemple, l’honorable Jim Abbott, ancien député canadien, a fait état de la contribution que des parlementaires et des fonctionnaires canadiens à la retraite pourraient faire en ce qui concerne le renforcement des capacités liées à la gouvernance des ressources[66].

Dans l’ensemble, même si le Comité a reçu des témoignages sur le rôle de différents intervenants du secteur privé dans le développement international, l’étude et les exposés des témoins ont porté en grande partie sur le rôle des entreprises à but lucratif, autant les multinationales que les entreprises locales, et ce thème se reflète nécessairement dans le présent rapport. Cela ne diminue pas pour autant la contribution que d’autres intervenants peuvent fournir dans le domaine du développement. En fait, l’une des dernières parties du présent rapport décrit la nécessité, pour le Canada, d’effectuer d’autres recherches sur les communautés des diasporas.

Les activités

Comme nous l’avons indiqué, le rôle global du secteur privé dans le développement (c’est-à-dire les activités locales et l’investissement étranger) consiste à produire de la richesse et à stimuler la croissance économique. Le secteur privé le fait en créant des emplois, en mobilisant des ressources, en faisant preuve de créativité et en appliquant des solutions novatrices, ainsi qu’en favorisant le perfectionnement des compétences et la formation. Le rôle central du secteur privé dans le développement est décrit dans le Rapport sur le développement dans le monde 2005; en voici l’un des principaux extraits :

L’entreprise privée est au cœur du processus de développement. Mues par la recherche du profit, les entreprises, quelle que soit la catégorie à laquelle elles appartiennent, depuis les agriculteurs et les microentreprises jusqu’aux industries manufacturières locales et aux multinationales de l’économie informelle — investissent dans de nouvelles idées et de nouvelles installations qui renforcent les fondements de la croissance économique et de la prospérité. Elles fournissent plus de 90 % des emplois, offrant aux agents économiques la possibilité de mettre leurs talents en pratique et d’améliorer leur situation. Elles produisent les biens et services nécessaires pour assurer l’existence des populations et améliorer leur niveau de vie. Elles sont aussi la principale source des recettes fiscales, permettant ainsi d’assurer les financements publics nécessaires pour la santé, l’éducation et d’autres services. Les entreprises sont donc un acteur central de l’action engagée pour promouvoir la croissance et réduire la pauvreté[67].

Parallèlement, de nombreux témoins ont souligné qu’il ne faudrait pas considérer le secteur privé comme une panacée qui peut régler tous les problèmes de développement ou encore qu’une même approche peut s’appliquer à tous les pays et à tous les contextes. M. Shariff a rappelé au Comité qu’« il n’y a pas de baguette magique en matière de développement[68] ». Pour sa part, M. John Sullivan, directeur exécutif du Centre international pour l’entreprise privée, a indiqué que s’il avait un message pour le Comité, ce serait qu’« il n’existe pas de modèle unique applicable à chaque environnement différent. Il faut le concevoir selon ce qui se passe dans le pays considéré[69] ». M. Alex Counts, président-directeur général de la Grameen Foundation, a également souligné qu’il est nécessaire de faire preuve de souplesse quand on parle de développement et se garder d’envisager une approche universelle :

[…] la façon dont le secteur privé peut interagir avec le secteur public et les activités de développement international résiste vraiment aux efforts de catégorisation, car on ne peut pas dire « les choses devraient être de cette façon-ci ou de cette façon-là ». Chaque secteur, chaque pays et chaque période sont uniques, et ces relations, à notre avis, devraient être ajustées à mesure que les temps et les secteurs changent[70].

Autrement dit, comme l’a fait observer M. Counts, le rôle précis que devrait jouer le secteur privé dans le développement « dépend vraiment du contexte ».

Aucune liste des activités du secteur privé ne saurait être exhaustive, mais voici certaines activités qui peuvent avoir des répercussions positives sur le développement, en particulier du point de vue de la viabilité.

Activités commerciales de base et modèles d’affaires inclusifs

Les entreprises du secteur privé peuvent contribuer au développement tout en exerçant leurs activités commerciales de base ou normales. Les pauvres peuvent bénéficier de ces activités en tant qu’employés, entrepreneurs, fournisseurs, partenaires dans la distribution et consommateurs. Des entreprises ont également adopté des « modèles d’affaires inclusifs » qui font l’objet d’un ensemble de recherches toujours plus vaste sur les liens entre les activités commerciales et les objectifs de développement. L’idée est que certains types d’activités peuvent être volontairement conçus pour atteindre les objectifs commerciaux et les objectifs de développement. Il arrive que les activités commerciales d’une entreprise permettent, par exemple, de réduire la pauvreté grâce à la création d’emplois et au perfectionnement des compétences et à la formation (objectifs de développement), tout en aboutissant à des résultats tels que « l’augmentation de la part de marché » et la compétitivité accrue de l’entreprise (objectifs commerciaux)[71].

Au Comité, Mme Hannam, de la Banque Scotia, a décrit comme suit les modèles inclusifs : « Une entreprise est inclusive si elle s'efforce de réduire la pauvreté en incluant les collectivités à faible revenu dans sa chaîne de valeurs, sans perdre de vue le but ultime des affaires, qui est de réaliser des profits[72]. » Selon elle, « on peut exercer une influence réelle en se servant des entreprises à but lucratif comme levier économique[73] ». Mme Jane Nelson, M. Eriko Ishikawa et M. Alexis Geaneotes ont indiqué dans un rapport de 2009 sur Coca-Cola :

Dans le monde des affaires et dans la communauté internationale du développement, on reconnaît de plus en plus que c’est en menant leurs activités commerciales de base de façon rentable, responsable et inclusive que les entreprises peuvent le mieux contribuer à réduire la pauvreté[74].

Le géant bancaire Citigroup en est un exemple concret : il a adopté une pratique inclusive concernant les coûts associés à l’envoi de fonds par les travailleurs migrants. Son programme Remit as You Earn, qui s’inscrit dans l’initiative Business Call to Action,

[…] tire parti de la technologie de change et de transfert de fonds mondiale de Citigroup en permettant aux employés d’envoyer des fonds dans leur pays natal au moyen de retenues salariales. En 2008, Citigroup s’est joint à Business Call to Action et s’est engagé à mettre le programme Remit as You Earn à la disposition des employés des services de santé nationaux du Royaume-Uni, dont l’effectif compte quelque 250 000 membres des diasporas. Ce service accroît la visibilité et la réputation de Citigroup au niveau international tout en réduisant de 50 % les coûts pour les expéditeurs de fonds[75].

Divers exemples d’entreprises inclusives ont été portés à l’attention du Comité. M. John Guarino, président de Rafraîchissements Coca-Cola Canada, a bien illustré le concept du recoupement des intérêts commerciaux et des intérêts de développement en disant : « La santé de notre entreprise dépend […] de la bonne santé de la chaîne d'approvisionnement agricole[76]. » Cette chaîne d’approvisionnement peut être conçue de manière à intégrer les réseaux de distribution et les agriculteurs locaux, lesquels peuvent bénéficier de mesures de formation et de perfectionnement avec l’entreprise. M. Guarino a décrit différents projets et objectifs de l’entreprise, comme celui d’intégrer à la chaîne de valeur cinq millions de femmes entrepreneures dans le monde d’ici 2020. Dans le cadre d’un autre projet, qui a fait l’objet de l’étude de 2009 mentionnée précédemment, des centres de microdistribution de Coca-Cola au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda, en Éthiopie et au Mozambique ont fourni à des femmes « la possibilité de devenir propriétaires d’entreprises[77] ». M. Guarino a indiqué qu’« au Nigeria et au Ghana, plus de 70 % des entreprises de microdistribution appartiennent à des femmes[78] ».

M. Shariff a fourni d’autres exemples au Comité. Il a ainsi décrit en quoi consistent les pratiques commerciales de la luxueuse chaîne hôtelière Serena, exploitée par le Fonds Aga Khan pour le développement économique (AKFED) dans des pays à faible revenu en Afrique de l’Est et en Asie du Sud. Les hôtels Serena, a-t-il dit, ont « la politique explicite de minimiser les impacts environnementaux tout en maximisant les retombées socioéconomiques régionales ». Il a ajouté :

Chaque hôtel s'efforce d'agir avec la collectivité locale de nombreuses manières différentes, par exemple en investissant massivement dans la formation professionnelle de résidents locaux en vue de leur offrir de l'emploi, en relançant l'artisanat local, en s'approvisionnant auprès des fournisseurs locaux de biens et de services, et en collaborant avec la collectivité pour recycler les déchets[79].

M. Shariff a dit espérer que la présence d’hôtels Serena dans des zones fragiles comme Kaboul, en Afghanistan, encouragera d’autres investisseurs. Il a cependant mentionné que de tels investissements dans des environnements fragiles exigent qu’on pense à long terme et qu’on accepte « certaines fluctuations »[80].

L’entreprise Frigoken au Kenya est un autre exemple de projet inclusif AKFED. Cette entreprise aide de petits agriculteurs à surmonter les obstacles auxquels ils font face pour commercialiser et exporter leurs produits. M. Shariff a expliqué que :

[…] Frigoken fournit toute une gamme de services aux producteurs kenyans de haricots verts : garanties de prix, semences, contrôle de la qualité, transformation, transport et marketing. Aujourd'hui, Frigoken est le plus gros exportateur de haricots verts transformés du Kenya, dont la plupart sont vendus sur les marchés européens. Ainsi, la société ne fournit pas seulement de l'emploi direct à 2 700 personnes, dont la plupart sont des femmes, elle soutient aussi plus de 45 000 petits agriculteurs du Kenya[81].

Tout au long de son exposé au Comité, M. Shariff a insisté sur le fait que le secteur privé doit s’occuper des besoins des personnes à la « base de la pyramide », soit les nombreux pauvres des pays en développement, et offrir à ces personnes des possibilités. En fin de compte, a-t-il dit, une véritable réduction de la pauvreté dans les pays à faible revenu exige du secteur privé qu’il crée « une forme de dynamique économique pour les collectivités marginalisées » afin qu’elles obtiennent « les ressources nécessaires pour pouvoir investir dans leur propre avenir[82] ».

Comme nous l’avons mentionné, les activités commerciales de base peuvent également contribuer au développement lorsqu’elles s’accompagnent de possibilités de formation et de perfectionnement des compétences. M. Brent Bergeron, vice-président, Affaires corporatives, Goldcorp inc., a informé le Comité au sujet de l’incidence des activités de l’entreprise à la mine Peñasquito au Mexique. Là-bas, 43 % des conducteurs de machinerie lourde embauchés par l’entreprise sont des femmes parce que leur façon de conduire prolonge la durée de vie de la machinerie. M. Bergeron a indiqué que son entreprise offre « des programmes de formation assez étendus » que ces femmes « peuvent suivre sans avoir à sentir le type de pression par les pairs qui serait attribuable au fait de travailler à un emploi non conventionnel[83] ».

De ces exemples éloquents, il faudrait se garder de conclure que les gains en matière de commerce et de développement sont les mêmes pour toutes les entreprises inclusives, ou encore que l’élément inclusif des activités d’une entreprise représente la majorité de ses activités. Par ailleurs, les activités du secteur privé ne permettent pas toutes de répondre explicitement aux besoins en développement. L’idée générale est de maximiser les avantages découlant des investissements qu’effectue le secteur privé chaque jour un peu partout dans le monde.

Le concept d’« entreprise inclusive » est relativement nouveau dans la théorie et la pratique du développement[84]. D’autres travaux s’imposent pour relever les possibilités d’entreprise inclusive qui existent, pour savoir appliquer les modèles et pour les reproduire d’une région et d’un pays à l’autre[85] et pour déterminer dans quelle mesure elles aident les personnes à se sortir de la pauvreté. Les témoignages que le Comité a reçus représentent sans aucun doute la pointe de l’iceberg dans ce domaine; un large éventail de modèles inclusifs et de possibilités pourraient être définis, en particulier par le secteur privé du Canada. Il sera également important de déterminer les synergies entre les entreprises inclusives et les partenariats public-privé viables et évolutifs. Dans ces partenariats, l’expertise du secteur public peut aider à intégrer une perspective de développement dans les activités du secteur privé et à faire ressortir les possibilités de développement des activités commerciales. Une équipe qui a évalué les partenariats public-privé qui étaient établis par USAID a indiqué : « Du point de vue de l’entreprise, les alliances dotées d’une solide analyse de rentabilisation ont plus de chances d’avoir une grande incidence que les contributions philanthropiques plus passives[86]. »

Revenus fiscaux

Les revenus fiscaux et les redevances provenant des sociétés sont parmi les contributions les plus évidentes du secteur privé au développement national. Cela est vrai non seulement du point de vue des investissements faits par les sociétés multinationales, mais aussi de l’élargissement de l’assiette fiscale grâce à la prolifération d’entreprises implantées localement. Les revenus fiscaux représentent un aspect essentiel de la capacité de tout pays de se doter de moyens de gouvernance et de fournir des services aux citoyens. L'investissement du secteur privé qui peut accroître les revenus fiscaux des pays en développement est donc intimement lié aux objectifs de développement.

Toutefois, ni le paiement d’impôts adéquats par les sociétés, ni leur utilisation pour le développement national par les gouvernements bénéficiaires ne se font automatiquement. Comme des témoins l’ont indiqué, il y a plusieurs raisons à cela : régimes de redevances déséquilibrés ou injustes, corruption, faible capacité institutionnelle et utilisation du système financier mondial par certaines multinationales pour dissimuler des profits dans certains cas ou pour réduire le paiement d’impôts dans les administrations locales. Au cours des audiences du Comité, ces questions ont été soulevées principalement dans le contexte du développement des ressources naturelles et elles sont donc traitées dans l'étude de cas du présent rapport sur ce secteur. M. Raymond Baker, directeur de Global Financial Integrity, a cependant fait valoir que la nécessité d'accroître la transparence ne se limite pas aux paiements effectués par les industries extractives. En ce qui concerne les transferts illicites, l’organisme de M. Baker estime qu’« environ 1 billion de dollars par année quittent les pays en développement à destination de pays mieux nantis[87] ». À propos de ce montant, M. Baker a expliqué :

Ces fonds proviennent de trois sources différentes. Une partie est attribuable à la corruption; elle est le fruit des pots-de-vin versés et des vols perpétrés par des fonctionnaires gouvernementaux. Une autre portion est d'origine criminelle (trafic de drogues, fraude, contrefaçon, etc.) et une troisième partie est le fait de l'évasion fiscale.
Bien des gens, surtout au sein des médias occidentaux, croient que le problème est entièrement attribuable à la corruption dans les pays en question. Suivant notre analyse de l'exode d'argent illicite, la corruption n'est responsable que d'environ 3 % du total des sommes sortant du pays. La proportion attribuable à des activités criminelles se situe entre 30 et 35 %. La composante évasion fiscale, à l'égard de laquelle nous avons certes un rôle à jouer, représente de 60 à 65 %[88].

Certes, les initiatives décrites dans l’étude de cas de ce rapport, dont l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, sont importantes, mais elles ne portent pas sur le problème général de mouvements illicites de fonds provenant des pays en développement. Outre la publication des contrats des industries extractives, M. Baker prône « une comptabilité plus transparente de la part des multinationales à l'égard de leurs ventes, de leurs bénéfices et des impôts qu'elles paient dans les pays en développement[89] ». Comme nous l’avons mentionné, de nombreux témoins ont également souligné l’importance du renforcement des capacités institutionnelles dans les pays en développement pour accroître les chances que les revenus fiscaux provenant des activités du secteur privé servent à répondre à des besoins sociaux tels la santé, la justice et l’éducation.

Fabrication et expédition

Le secteur privé peut parfois prêter main-forte pour acheminer l’aide au développement et les secours humanitaires et accroître l’efficience du processus. M. Stephen Brown, professeur agrégé à l’Université d’Ottawa, a fait remarquer que l’Agence canadienne de développement international (ACDI) fait affaire depuis longtemps avec des entrepreneurs du secteur privé; elle recourt, par exemple, à une firme d’ingénieurs pour la réalisation de son projet de reconstruction du barrage Dahla en Afghanistan[90]. Mme O'Neill a expliqué au Comité comment USAID avait eu recours au secteur privé pour obtenir des secours pendant la sécheresse de 2011 en Afrique de l’Est. Pour des raisons de sécurité, le personnel d’USAID n’était pas autorisé à pénétrer dans la zone durement touchée du sud de la Somalie. Mais dans cette région, « des dizaines de milliers de personnes y mouraient de faim ». C’est pourquoi USAID a « collaboré avec des entreprises du secteur privé et d’autres partenaires ». Mme O'Neill a ajouté : « Ceux-ci ont pu intervenir au niveau des chaînes d’approvisionnement et des réseaux commerciaux, et nous savons que des dizaines de milliers de vie ont ainsi pu être sauvées[91]. » Un dernier exemple est celui du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme. M. Christoph Benn a expliqué au Comité que le Fonds recourt parfois au secteur privé pour mettre en œuvre des programmes et attribuer des subventions au niveau national. Selon lui, ce système peut être « très utile, notamment dans les cas où le gouvernement […] est particulièrement faible[92] ».

Dans d’autres cas, le secteur privé peut fabriquer ou fournir des produits essentiels à des projets de développement. La production de vaccins en est un exemple intéressant. Créée en 2000, l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (Alliance GAVI) réunit des gouvernements, des organismes internationaux (p. ex. Organisation mondiale de la santé), la Fondation Bill et Melinda Gates, la société civile et le secteur privé (l’industrie pharmaceutique). Le but de l’Alliance GAVI est de veiller à ce que les enfants des pays en développement puissent avoir accès à des vaccins à prix abordable. C’est ainsi qu’on a établi le mécanisme de garantie de marché pour un vaccin contre le pneumocoque, afin de protéger les enfants contre les infections à pneumocoques. M. Jean-François Tardif, directeur général de Résultats Canada, a expliqué au Comité que le gouvernement du Canada et d’autres donateurs ont « offert une garantie aux sociétés pharmaceutiques qui étaient prêtes à fournir des vaccins bon marché partout

dans le monde. Cette initiative a fait chuter le coût du vaccin antipneumococcique à 5 p. 100 du prix original du marché américain [93] ». Les fabricants AMC enregistrés — les sociétés pharmaceutiques dans les pays industrialisés et dans les pays en développement — sont une composante essentielle du processus.

Savoir-faire, idées et innovation

Plusieurs témoins ont affirmé que le secteur privé peut contribuer de façon importante aux efforts de développement, en mettant à profit son savoir-faire et des solutions novatrices. M. Benn a dit au Comité que le secteur privé fournit ainsi une aide précieuse au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme. Il a expliqué, par exemple, comment « la plus grosse banque d'Afrique fournit des services gratuitement à beaucoup [d’]agents de mise en œuvre et leur enseigne la gestion financière, la gestion des risques de change, etc. » Autre exemple, M. Ben a dit au Comité que le Fonds mondial collabore avec Coca-Cola pour améliorer la gestion de la chaîne d’approvisionnement et la logistique. Il a dit qu'aucune entreprise ne sait mieux que Coca-Cola comment acheminer des médicaments et des moustiquaires à partir du point d’entrée dans un pays à des villages éloignés[94]. Ces entreprises, a-t-il fait savoir, ne donnent pas d’argent au Fonds mondial; elles mettent à profit leur savoir-faire et fournissent un soutien pour la formation. Un autre exemple porté à l’attention du Comité est celui du projet Brandaid réalisé à petite échelle, pour lequel de gros cabinets d’avocats au Canada et au Royaume-Uni ont mis à profit leur connaissance du droit d’auteur et du droit des marques afin d’aider des artisans à Haïti à protéger et à obtenir une valeur pour leur travail. Le projet faisait également appel à de grandes entreprises de publicité[95].

Selon M. Dade, dans le contexte du développement, les idées peuvent représenter l’atout le plus important que le secteur privé a à offrir. Il a indiqué que le secteur privé « peut également être créatif et dynamique, aider en matière d'entrepreneuriat et fournir de nouvelles idées ». Il a longuement parlé du rôle de la diaspora et des fonds versés par les migrants, et il est arrivé à une conclusion semblable : « Nous avons remarqué que, outre l'argent, les idées, les connaissances, les compétences et les marchés aussi étaient transférés[96]. » M. Shariff a insisté sur la contribution possible du secteur privé canadien dans les divers secteurs, du négoce agricole aux services financiers, notamment au chapitre « des méthodes de gestion, des connaissances et de la technologie, que nous considérons peut-être ici comme des formes standard de pratique compétente, mais qui n'existent tout simplement pas dans le monde en développement[97] ». Pour M. Shariff, le transfert de connaissances sur les techniques et les pratiques exemplaires des grandes entreprises peut avoir d’importantes répercussions sur le développement, car « l’une des formes les plus graves de marginalisation est l'exclusion de la société mondiale du savoir, lorsque votre bassin de connaissances se limite au savoir que vous avez hérité, pas à ce qu’on sait dans le reste du monde ». Selon lui, « là où existent au Canada des pratiques exemplaires qui pourraient être transférées, elles devraient l'être en songeant à l'aide au développement[98] ».

Le secteur privé est également à l’origine d’innovations technologiques essentielles au développement. Un exemple important en est l’utilisation grandissante des téléphones mobiles pour l’accès aux services financiers et pour la diffusion de l’information. Il sera question des possibilités offertes par l’« argent mobile » dans la partie du rapport qui traite des services financiers. La technologie mobile s’est également révélée utile dans les cas de crises humanitaires. Ushahidi, « un logiciel ouvert de cartographie de crises », qui a d’abord été utilisé pour recenser les cas de violence après l’élection au Kenya en 2008, a permis de démontrer récemment le potentiel de la technologie d’externalisation ouverte, qui « tire parti des communications mobiles et des médias sociaux » pour orienter l’intervention nécessaire en cas de catastrophes comme cela s’est produit à Haïti[99]. Le secteur de la santé offre un autre exemple des progrès technologiques. Un nouveau test de détection de la tuberculose, plus rapide, plus simple et plus efficace (le test Xpert MTB/RIF) a été conçu par le fabricant d’appareils médicaux Cepheid; ce test représente la première percée importante dans le domaine du dépistage de la tuberculose dans les pays en développement depuis les années 1880. Plus important peut-être, ce nouveau test peut déceler les « formes pharmacorésistantes de la maladie ». Dans le cadre d’un partenariat entre le Plan d’urgence du président des États‑Unis pour la lutte contre le sida, USAID, UNITAID et la Fondation Bill et Melinda Gates, on s’emploie à « réduire considérablement le coût » de ce nouveau test « dans 145 pays en développement qui sont durement touchés[100] ». Une série d’innovations ont également été introduites dans le secteur agricole, par exemple de nouvelles semences améliorées, de l’équipement agricole et de nouvelles méthodes.

Observations finales sur le rôle du secteur privé

Même si le secteur privé a toujours été considéré plus étroitement comme une source de financement additionnel pour les projets de développement, la partie précédente montre qu’il joue un rôle beaucoup plus vaste et plus fondamental. Hormis le fait qu’il constitue une ressource supplémentaire pour l’aide au développement, le secteur privé peut également fournir maintes contributions importantes pour le développement à long terme dans le cadre de ses activités quotidiennes, par exemple les activités commerciales de base auxquelles sont intégrés les pauvres, ainsi que par le paiement d’impôt, la conception, la fabrication et même l’expédition de produits clés et la prestation de services. De façon plus générale, par son savoir-faire, ses idées et ses innovations, le secteur privé peut faciliter la compréhension des problèmes de développement et contribuer à l’élaboration de stratégies optimales pour les surmonter. Comme l’a affirmé M. Runde au Comité, le secteur privé est au nombre des acteurs dans le développement[101].

Parallèlement, les praticiens du développement et les entreprises continueront de mettre à l’essai et d’améliorer des pratiques exemplaires et des modalités de participation du secteur privé aux efforts de développement. Ce processus continu reflète la nature complexe et diversifiée du rôle du secteur privé dans le domaine du développement, un fait qui est ressorti des témoignages présentés au Comité. Ces témoignages démontraient aussi clairement que pour comprendre à fond le sujet, il fallait reconnaître que les activités du secteur privé se déroulent dans de vastes contextes de gouvernance et institutionnels, une idée sur laquelle nous nous penchons dans la prochaine partie.


[61]           FAAE, Témoignages, 26 mars 2012.

[62]           FAAE, Témoignages, 28 mai 2012.

[63]           FAAE, Témoignages, 22 novembre 2011.

[64]           FAAE, Témoignages, 23 avril 2012.

[65]           Ibid.

[66]           FAAE, Témoignages, 20 juin 2012.

[67]           Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 2005 – Un meilleur climat de l'investissement pour tous, Banque mondiale et Oxford University Press, 2004, p. 1.

[68]           FAAE, Témoignages, 7 mai 2012.

[69]           FAAE, Témoignages, 13 février 2012.

[70]           FAAE, Témoignages, 15 février 2012.

[71]           Jane Nelson, Eriko Ishikawa et Alexis Geaneotes, « Developing Inclusive Business Models: A Review of Coca-Cola’s Manual Distribution Centers in Ethiopia and Tanzania », résumé, Harvard Kennedy School of Government et Société financière internationale, 2009, p. 3.

[72]           FAAE, Témoignages, 12 mars 2012. Selon le PNUD, « les avantages des modèles d’affaires inclusifs ne se limitent pas aux profits immédiats et aux revenus plus élevés. Pour les entreprises, ils sont synonymes d’innovation, de nouveaux marchés et de chaînes d’approvisionnement renforcées, et pour les pauvres, d’une productivité accrue, de gains durables et d’une plus grande autonomie. » [traduction] Voir PNUD, « Executive Summary », Creating Value for All: Strategies for Doing Business with the Poor, 2008, p. 14. Les entreprises inclusives sont donc des entreprises qui « créent activement des débouchés pour les gens » dans le cadre de leurs activités de base et qui « consciemment » les intègrent à leurs chaînes de valeur. [traduction] Voir PNUD, The MDGs: Everyone’s Business, New York, 2010, page 4.

[73]           FAAE, Témoignages, 12 mars 2012.

[74]           Nelson, Ishikawa et Geaneotes, « Developing Inclusive Business Models: A Review of Coca-Cola’s Manual Distribution Centers in Ethiopia and Tanzania », p. 6. [traduction]

[75]           Business Call to Action, « Citigroup: Reducing the Cost of Remittances », 2012.

[76]           FAAE, Témoignages, 4 juin 2012.

[77]           Ibid.

[78]           Ibid.

[79]           FAAE, Témoignages, 7 mai 2012.

[80]           Ibid.

[81]           Ibid.

[82]           Ibid.

[83]           FAAE, Témoignages, 29 février 2012.

[84]           Autres exemples de recherches et de travaux réalisés au sujet des modèles d’affaires inclusifs : PNUD, Growing Inclusive Markets, « Case Studies »; Caroline Ashley, « Harnessing core business for development impact: Evolving ideas and issues for action », Background Note, Overseas Development Institute, Londres, Royaume-Uni, février 2009; Shannon Murphy et Jane Nelson, Business Partnerships for Development: The Case of the National Beverage Company in the West Bank and Gaza, CSR Initiative, Harvard Kennedy School of Government, 2010; Société financière internationale, Policy Note on the Business Environment for Inclusive Business Models, Washington, D.C., 2012; Beth Jenkins, Eriko Ishikawa, Alexis Geaneotes, Piya Baptista et Toshi Masukoa, Accélérer le développement des entreprises inclusives — Des modèles opérationnels porteurs de progrès, Société financière internationale, Washington, D.C., 2011; Jane Nelson et Dave Prescott, Business and the Millennium Development Goals: A Framework for Action, 2e édition, PNUD et International Business Leaders Forum, 2008.

[85]           Voir Christina Gradl et Beth Jenkins, « Tackling Barriers to Scale: From Inclusive Business Models to Inclusive Business Ecosystems », CSR Initiative, at the Harvard Kennedy School of Government, 2011. Dans le résumé de leur recherche, les auteures indiquent que les modèles d’affaires inclusifs « sont fort prometteurs : ils peuvent faciliter la croissance d’entreprises dans des marchés qui englobent les deux tiers de la population mondiale, tout en créant des débouchés et de meilleures conditions de vie pour les pauvres. Or, bien que les entreprises — ainsi que les donateurs, les banques de développement et d’autres intervenants — aient déployé énormément d’efforts pour créer de pareils modèles, relativement peu d’entre eux ont été appliqués jusqu’à maintenant. » [traduction]

[87]           FAAE, Témoignages, 23 avril 2012. Dans ses observations, Mme Bonnie Campbell fait mention d’un rapport du PNUD de 2011 dans lequel on « laisse entendre que pour 38 des 48 pays les moins développés, entre 1990 et 2004, 246 milliards de dollars sont sortis en financement illégal ». Voir FAAE, Témoignages, 4 avril 2012.

[88]           FAAE, Témoignages, 23 avril 2012.

[89]           Ibid.

[90]           FAAE, Témoignages, 7 mai 2012.

[91]           FAAE, Témoignages, 30 mai 2012.

[92]           FAAE, Témoignages, 27 octobre 2011.

[93]           FAAE, Témoignages, 8 décembre 2011. En ce qui concerne la participation des sociétés pharmaceutiques, GAVI explique : « Dans ce projet pilote d’AMC, des donateurs engagent des fonds pour garantir le prix des vaccins lorsqu’ils seront mis au point. Les engagements financiers fournissent aux fabricants de vaccins l’incitatif nécessaire pour investir dans la recherche et le développement de vaccins, ainsi que pour élargir leur capacité de fabrication. En échange, les compagnies signent un accord juridiquement contraignant par lequel elles s’engagent à fournir, pendant une longue période, les vaccins à un prix abordable dans les pays en développement. » [traduction] Voir GAVI Alliance, « How the pneumococcal AMC works ».

[94]           FAAE, Témoignages, 27 octobre 2011.

[95]           FAAE, Témoignages, 8 décembre 2011.

[96]           FAAE, Témoignages, 26 mars 2012.

[97]           FAAE, Témoignages, 7 mai 2012.

[98]           Ibid.

[99]           Voir Jessica Heinzelman et Carol Waters, « Crowdsourcing Crisis Information in Disaster-Affected Haiti », Special Report, United States Institute of Peace, Washington, D.C., octobre 2010. Ushahidi a été mis sur pied par une entreprise de technologie sans but lucratif. Comme l’explique le document, « Cette nouvelle source de renseignement extrait l’information publiée sur Twitter, Facebook et les blogues et qui lui est envoyé par messages textes pour créer des rapports placés sur une carte Web interactive accessible à toute personne ayant une connexion Internet. » Il y est également écrit : « Les intervenants au sol se sont mis à utiliser ces rapports et l’information géographique connexe pour établir de quelle façon, à quel moment et à quel endroit diriger les ressources. » Voir p. 1-2. [traduction]

[100]         USAID, « Public-Private Partnership Announces Immediate 40 Percent Cost Reduction for Rapid TB Test », USAID Press Office, 6 août 2012. [traduction]

[101]         FAAE, Témoignages, 13 décembre 2011.