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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 058 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 27 novembre 2012

[Enregistrement électronique]

  (1310)  

[Français]

    Bienvenue à la 58e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce 27 novembre 2012.

[Traduction]

    C'est également le 12e anniversaire de ma première élection comme député.
    Aujourd'hui, nos délibérations sont télévisées. Ne l'oubliez pas. Ne faites rien et ne dites rien dont vous ne voudriez pas que votre maman soit témoin.
    Aux termes du paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions la liberté de religion en Indonésie. Notre témoin d'aujourd'hui est Irshad Manji, qui n'est pas indonésienne, mais canadienne. Elle a un témoignage pertinent à livrer sur cette question et, dois-je ajouter, sur bien d'autres questions aussi, si cela vous intéresse.
    Aujourd'hui, j'ai fini de lire ou plutôt d'écouter son livre parlé, The Trouble with Islam. Normalement, lorsqu'on entend quelqu'un dire au début d'un livre parlé qu'il va lire son propre livre, il y a de quoi s'inquiéter. Mais le témoin est l'une des deux seules personnes que j'ai écoutées lire très bien un livre. L'autre auteur est Barack Obama. Tout bien considéré, ce n'est pas une si mauvaise compagnie.
    Tout bien considéré, certainement pas.
    De toute façon, nous allons commencer, mais je vois que M. Sweet souhaite intervenir.
    J'interviens dès maintenant parce que, une fois que Mme Manji aura commencé, tout le monde sera captivé et je n'arriverai plus à obtenir votre attention.
    Au cas où les autres membres du comité ne le sauraient pas, la résolution dont le Canada a pris l'initiative au sujet de la situation des droits de la personne en Iran a été adoptée à la Troisième Commission de l'Assemblée générale de l'ONU avec 83 voix pour, 31 contre et 68 abstentions. Il m'a semblé que tout le monde voudrait être au courant.
    Très bien. Merci.
    Sans plus attendre, nous allons entendre le témoin.
    Une fois votre témoignage terminé, madame Manji, nous passerons aux questions. La période accordée pour chaque question dépendra du temps qu'il restera, et qui sera divisé par le nombre de personnes présentes.
    Allez-y, je vous en prie.
    Merci beaucoup à vous tous et bon après-midi.

[Français]

    Je suis très fière d'être parmi vous aujourd'hui.

[Traduction]

    Je vais m'en tenir à cela pour le français aujourd'hui. J'espère donc que les interprètes sauront que je vais parler lentement pour que mes propos aient du sens aussi bien pour eux que pour vous.
    Je suis vraiment très honorée de revenir en terre connue. Je disais à la greffière du sous-comité que j'ai déjà travaillé ici, il y a des années, comme adjointe législative. Même si je vis et travaille maintenant à New York, j'aime toujours autant le Parlement, et je n'ai pas oublié les amis dont certains sont ici présents.
    Vous m'avez demandé d'aborder aujourd'hui un sujet très important, comme tous ceux que vous souhaitez approfondir, mais je dirais que celui-ci, c'est-à-dire l'Indonésie, revêt un surcroît d'importance dans le monde, et pas uniquement pour le Canada, car ce pays est celui qui a la plus grande majorité musulmane au monde. Il y a seulement cinq ans, il a pu se présenter de façon crédible comme un modèle de démocratie pour les musulmans du monde entier.
    Ce pays ne peut plus le prétendre sérieusement. Je ferai le point sur sa situation dans un moment, mais permettez-moi au préalable d'expliquer mes antécédents. J'ai grandi au Canada et j'ai fréquenté une madrasa, c'est-à-dire une école religieuse, dans la région de Vancouver pendant plusieurs années, de 1975 à 1981 environ. C'est là que j'ai commencé à poser des questions très simples, mais apparemment déplacées, des questions qui concernent le multiculturalisme canadien et la diversité. Par exemple: « Pourquoi les musulmans ne peuvent-ils pas se lier d'amitié avec des juifs et des chrétiens? Expliquez-moi. »
    Après avoir posé trop de questions de cette nature, j'ai été expulsée de la madrasa à 14 ans. Mais je n'ai pas quitté l'islam, me disant que cet éducateur ne me donnait peut-être pas la bonne information. J'ai donc profité de la bibliothèque publique. C'était avant l'ère Google. Chaque samedi, puisque je n'étais plus la bienvenue à la madrasa, je passais les heures où j'aurais dû y être la bibliothèque et je lisais tout ce que je pouvais sur la religion et la culture.
    C'est là que j'ai pris conscience du fait que l'islam avait une tradition progressiste et pluraliste de pensée indépendante, de remise en question et de réinterprétation, et que cette tradition dont, soit dit en passant, la plupart des musulmans et a fortiori les non-musulmans ne soupçonnent même pas l'existence, s'appelle l'ijtihâd. Oui, cela ressemble étrangement à « djihad » pour bien des gens qui ne sont pas arabes. Le mot vient de la même racine, qui veut dire « lutter ». Mais loin de l'idée de lutte violente, l'ijtihâd désigne la lutte intérieure pour comprendre le vaste monde, et c'est justement la tradition qui m'a été présentée il y a cinq ans en Indonésie.
    Il y a cinq ans, en effet, je me suis rendue dans ce pays pour présenter la version indonésienne de l'ouvrage dont M. Reid a parlé, The Trouble With Islam Today, et je me souviens distinctement que, au lancement, a la bibliothèque publique nationale, il y avait aussi bien des musulmans extrémistes que des transsexuels et toute la gamme des opinions entre eux. Ils étaient en désaccord avec moi sur ceci ou cela, et ils étaient en désaccord entre eux sur telle ou telle chose. Mais, que je sache, tout le monde est rentré chez soi sain et sauf. Le débat est resté poli. Au milieu de tout cela, des danseurs javanais se sont exécutés. Des guitaristes ont joué. Il y a eu des lectures de poèmes. Ce fut une brillante illustration de l'ijtihâd à l'oeuvre.

  (1315)  

    Cinq ans plus tard, en mai dernier, ma collègue et moi sommes retournées en Indonésie, cette fois pour discuter des nouvelles idées dont, en musulmane réformiste, j'entretiens un jeune auditoire mondial. Ce que nous avons vécu n'aurait pas pu être plus différent de ce qui s'était passé cinq ans plus tôt.
    Le premier soir, j'ai été informée que mon livre ne serait pas distribué par la plus grande chaîne en Indonésie à cause de simples préoccupations de sécurité.
    Le lendemain soir, j'ai commencé mes premières interventions publiques. La première a eu lieu à Jakarta, une ville cosmopolite. Il n'y avait pas cinq minutes que j'avais commencé mon exposé, dans un centre communautaire dynamique où l'auditorium était plein de jeunes musulmans qui voulaient écouter et discuter paisiblement, un policier a interrompu les échanges. Il prétendait représenter la collectivité, qui ne souhaitait pas ma présence.
    Moins de deux minutes plus tard, un groupe appelé FPI — nous dirions le Front de défense de l'islam — est arrivé. C'était un groupe de 80 personnes qui exigeait que tout s'arrête.
    Les jeunes, qui étaient là pour m'écouter, ont réagi: depuis des années, nous perdons petit à petit nos libertés constitutionnelles, disaient-ils, et cela doit s'arrêter maintenant.
    Les organisateurs m'ont emmené au troisième étage du centre, où les fenêtres sont à peu près aussi grandes que celles de cette salle. La colère des extrémistes musulmans était si violente et intense que je pouvais entendre vibrer les fenêtres, trois étages plus haut.
    Lorsque la sécurité a été assez assurée pour que je quitte le bâtiment, accompagnée par des avocats des droits de la personne, ces avocats et les organisateurs nous ont rapidement fait passer dans un autre hôtel. Il était devenu évident qu'il fallait des chambres plus sûres que celles de l'hôtel assez bon marché où nous étions descendues. Si j'en parle, c'est que, des heures plus tard, il nous a été dit que le chef de la police de Jakarta ou son bureau avaient fait connaître par Twitter le nom de notre nouvel hôtel.
    En Indonésie, la corruption, la complicité entre les forces de sécurité et la classe politique se sont aggravées beaucoup plus qu'on ne le croirait à la lecture des articles portant sur ces questions.
    Je vais maintenant passer au dernier point de mon témoignage, et c'est presque le dernier.
    Ce ne fut pas la pire des attaques lancées contre ma collègue et moi au cours de cette visite. La pire est survenue quelques jours plus tard, dans ce qu'on peut vraiment appeler... Pour m'exprimer comme une Canadienne, je vais parler de Waterloo au lieu de Berkeley, disons. Lorsque je parle des incidents aux États-Unis, je dis que ce fut le Berkeley de l'Indonésie. Disons ici que ce fut le Waterloo de l'Indonésie, dans une petite ville universitaire libérale, presque toujours paisible. Je prenais la parole dans un centre communautaire de la ville.
    Cette fois, environ une heure après le début, une centaine d'extrémistes religieux, voire davantage, cette fois à moto, ont renversé les barrières de sécurité. Nous avons vu immédiatement qu'ils portaient une tenue anti-émeute. Bien commode. On ne pouvait les identifier. Le pire, c'est qu'ils étaient armés de barres de fer et fracassaient tout, y compris la tête des gens.

  (1320)  

    Ma collègue a été coincée et a reçu au bras un coup énorme qui lui a en même temps déplacé une vertèbre. Aussitôt après, elle a été emmenée en vitesse à l'hôpital avec six autres personnes, qui avaient été blessées à la tête. Si je m'en suis sortie indemne, c'est parce que quelques jeunes Indonésiens, des jeunes femmes pour la plupart, je le précise, d'un courage exceptionnel m'ont protégée avec leur corps, créant littéralement un bouclier humain. Ils savaient qu'ils seraient touchés les premiers si les extrémistes, qui demandaient à grands cris où était Manji, trouvaient réponse à leur question.
    Bien sûr, nous avons gardé le contact, depuis mai, avec un grand nombre de militants des droits de la personne sur le terrain. Ils nous ont demandé, dans des termes sans équivoque aucune, de vous porter ce message: il existe un mouvement, qu'ils appellent eux-mêmes le mouvement du courage moral, qui se donne comme objectif de récupérer les libertés garanties par leur constitution laïque et qui ont été cédées au cours des dernières années. Mais ils ont besoin de notre aide. Comment pouvons-nous les aider? Il faut que des politiques de haut niveau tels que vous, mais aussi des diplomates, insistent auprès du gouvernement indonésien pour qu'il accepte une enquête indépendante du rapporteur spécial de l'ONU pour la liberté de religion, afin qu'il voie ce qu'il est advenu de la liberté dans ce pays depuis cinq ans et amorce des échanges ouverts sur ces questions avec les Indonésiens.
    Une dernière chose, si je puis me permettre, mais nous y reviendrons sûrement à l'occasion des questions. Il ne fait pas de doute que de nombreux facteurs jouent. On ne peut mettre tout sur le compte de la faiblesse du leadership de l'actuel président indonésien. Cela compte énormément, mais il y a plus: l'argent saoudien. Les pétrodollars saoudiens affluent comme jamais en Indonésie. Cela se voit dès qu'on arrive à l'aéroport de Jakarta: les riches Saoudiens du golfe Persique ont leurs serviteurs indonésiens qui se coltinent les bagages. Cela crève les yeux.
    Il ne faut pas oublier la mondialisation, la mobilité relative des capitaux et de la technologie. Si on tient compte de ce facteur, on constate que le gouvernement indonésien cherche à donner du pays une image de stabilité pour que les investisseurs étrangers croient que c'est une destination sûre pour leurs capitaux. Mais voici le paradoxe. Il crée la stabilité en sévissant non contre les extrémistes religieux, mais contre les militants des droits de la personne qui ont le courage de parler et de dénoncer l'extrémisme. C'est là que joue la complicité entre la classe politique et les forces de l'ordre.
    Je me dois de croire que, à tout le moins, des Canadiens qui ont autant d'influence que vous peuvent aider à faire intervenir un rapporteur spécial en Indonésie pour favoriser la discussion. Si cela arrive, vous pouvez compter sur les militants des droits de la personne et sur d'autres gens qui ne se considèrent pas encore comme tels, mais qui veulent désespérément retrouver leur pays. Vous pouvez compter sur eux pour qu'ils fassent ensuite une grande partie du travail.
    Je termine là-dessus. Ce sera un plaisir de répondre à vos questions.
    Merci beaucoup.

  (1325)  

    Merci, madame Manji.
    Le mieux sera que nous donnions à chacun cinq minutes pour chaque échange de question et réponse.
    D'abord vous, monsieur Sweet.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup, Irshad, d'être parmi nous. Je vous suis vraiment reconnaissant d'avoir pris le temps de comparaître. J'espère pouvoir poser deux questions. Je sais que vos réponses sont toujours étoffées. Nous verrons donc ce qui se passera. Je veux en venir à la situation qui règne en Indonésie, mais je vous poserai une question semblable à celle que je vous ai déjà posée lorsque vous avez comparu.
    Il y a beaucoup de musulmans courageux comme vous. Peut-être pas autant que vous, mais il y a beaucoup de musulmans courageux qui sont modérés et défendent les traditions musulmanes, les traditions constructives comme celles dont vous avez parlé. Dans les médias, pourtant, on ne parle que des manifestations extrémistes de l'islam.
    J'ignore si vous avez des réponses magiques, mais comment corriger les comptes rendus des médias? Comment nous, dirigeants politiques, pouvons-nous appuyer les personnalités modérées pour que leur message soit relayé plus clairement? Ainsi, nous n'aurions pas une population canadienne qui commence à percevoir l'islam ou les musulmans comme autant de radicaux, je dirais, alors que, en réalité, les modérés ont des valeurs comme les vôtres.
    Merci, monsieur.
    Je ne crois pas que nous puissions corriger — si c'est le bon terme — l'approche des journalistes des médias dominants, car ils sont eux-mêmes très soucieux et pressés, ces temps-ci, et dans ces conditions, le journalisme souffre de paresse, honnêtement.
    Je peux cependant vous dire que les bonnes nouvelles se trouvent dans les médias numériques. Bien des gens qui veulent apporter des changements constructifs ne comptent plus sur le journalisme de masse pour diffuser leurs messages: les médias sociaux s'en chargent. Quand j'ai dû faire les déclarations que j'ai faites en Indonésie, je n'ai jamais produit de communiqué. Je me suis exprimée par Twitter, et les médias ont pris le relais.
    Il faut aussi signaler que l'encouragement et le soutien des musulmans qui ont l'esprit d'entreprise et souhaitent des réformes seraient d'un grand secours. Permettez-moi d'expliquer ce que j'entends par « esprit d'entreprise ». Par exemple, vous parlez des musulmans qui ont mes valeurs. Je vais énumérer rapidement ces valeurs pour que chacun les connaisse: liberté individuelle; liberté de pensée; droits universels de la personne, ce qui ne veut pas dire relativisme culturel, mais le fait que chaque être humain, quelle que soit son origine religieuse ou culturelle, a droit à un ensemble élémentaire de droits fondamentaux, comme le fait d'être à l'abri de la violence, la liberté de pensée; enfin, le pluralisme des idées pacifiques. Des idées pacifiques... Je ne peux pas tolérer le djihadisme.
    Armées de ces valeurs, mon équipe et moi, au Moral Courage Project, sommes en train de créer une chaîne de télévision sur le Web pour diffuser le message du courage moral en montrant des histoires en segments vidéo de deux minutes, pas plus de deux minutes, qui présentent des personnes du monde entier, y compris de l'Indonésie, qui font preuve de courage moral. L'idée, c'est que si les gens voient que d'autres gens du monde entier qui leur ressemblent, qui vivent dans tel ou tel coin du monde, sont capables d'apporter des changements, ils se diront: « Pourquoi je ne pourrais pas? Pourquoi ne pas essayer? » C'est l'approche multimédia qui, je crois, permettra de court-circuiter les journalistes qui n'ont pas la capacité et parfois pas l'intérêt voulus pour accorder de l'attention à des angles différents.
    Une dernière chose pour répondre à votre question, pour donner une réponse étoffée, comme vous l'avez prévu: il est aussi important, tandis que nous essayons d'être sensibles, de ne pas renforcer les stéréotypes négatifs des musulmans, de nous souvenir que les stéréotypes positifs peuvent être aussi dangereux. Par là, je veux dire... J'entends si souvent dire dans ce pays-ci: « Vous savez, les musulmans sont attachés à la paix. »
    La plupart d'entre nous sont respectueux des lois, mais où se trouvent les modérés qui sont prêts à résister à leurs imams en leur disant que l'antisémitisme ne peut plus être toléré dans nos mosquées, ou qui demanderont pourquoi, au XXIe siècle, il faut séparer les hommes et les femmes dans les mosquées, alors que la ségrégation raciale, nous le savons tous, est inacceptable? Pourquoi la ségrégation sexuelle serait-elle différente?
    Où sont les musulmans et les non-musulmans qui sont prêts à poser ces questions? Trop souvent, nous avons peur de passer pour des fanatiques, des racistes ou des islamophobes, si nous les posons. Je soutiens que, si nous voulons donner un sens plus profond au respect, nous ne pouvons pas nous traiter les uns les autres comme des enfants, comme des bébés qui vont s'effondrer à cause de nos questions. Nous devons plutôt nous respecter mutuellement assez pour nous traiter réciproquement comme des égaux qui sont capables d'affronter des questions difficiles. Voilà ce que veut dire notre liberté.

  (1330)  

    Peut-être pourrons-nous vous donner une autre occasion d'intervenir à la fin, monsieur Sweet
    Je me doutais de ce qui se passerait. Merci, monsieur le président, je vous suis reconnaissant.
    Monsieur Marston, je vous en prie.
    Merci.
    Bienvenue. Je dois plaider coupable: je n'ai pas encore lu votre livre, mais j'y viendrai en temps et lieu.
    Il y a plusieurs choses... J'ai une question à vous poser. Lorsque vous êtes allée en Indonésie, avez-vous eu du mal à entrer dans le pays et à en sortir?
    Excellente question. Aucun mal pour y entrer et un peu pour en sortir.
    Je pensais qu'on vous aurait plutôt aidée à partir.
    Je suis persuadée qu'un certain nombre de gens auraient personnellement facilité mon expulsion, mais je ne crois pas que ce fut par accident que mon passeport canadien a disparu immédiatement après la mêlée, lors de l'attaque.
    Il est certain que l'ambassade du Canada à Jakarta a fait de son mieux pour m'aider à quitter le pays. Elle m'a rapidement fourni un passeport d'urgence, mais je me dois d'être très franche avec vous. Elle ne l'a fait qu'une fois que l'incident a eu fait la manchette, et je sais que c'est vrai parce que, après...
    Je vais vous interrompre parce que je voudrais poser d'autres questions.
    D'accord, mais je tiens à répéter cependant que, à mon avis, nos gens du corps diplomatique doivent être plus alertes et plus proactifs sur ce plan.
    Bien sûr.
    J'allais vers autre chose. Cela me servira d'entrée en matière. Votre description de ce qu'est l'islam et de la façon dont il devrait être pratiqué, l'ouverture dont vous avez parlé, vous lui avez donné un nom, mais je ne l'ai pas noté. Vous avez dit que cela ressemblait à djihad...
    Oui, et je l'ai épelé.
    Quoi qu'il en soit, le bout de papier est passé quelque part...
    Les musulmans que j'ai rencontrés... J'ai deux mosquées dans ma circonscription. J'y suis allé plusieurs fois. À Mississauga, j'ai même organisé une rencontre entre des dirigeants de la communauté musulmane et notre chef. Les gens que j'ai rencontrés ces sept dernières années ressemblent beaucoup à ceux que vous avez décrits comme ayant épousé ce point de vue particulier. Et les enseignements du djihadisme sont une chose dont chacun doit vivement s'inquiéter.
    Lorsque vous considérez la population indonésienne... J'ai trouvé frappant le fait que, la première fois, vous ayez été interrompue par environ 80 personnes tandis que la deuxième fois, il y en avait une centaine, armées de barres de fer. J'ai passé un certain temps en Arabie saoudite et j'ai vu certains incidents. Rien d'aussi grave, mais tout de même, j'ai eu l'impression de saisir comment ils mènent leur vie, en matière de religion.
    Dans notre évaluation de l'Indonésie... Vous parlez du changement qui s'est opéré en cinq ans et dit qu'il fallait qu'un rapporteur spécial examine la situation. J'ai l'impression, et il se peut que je me trompe du tout au tout, que la discussion sur la gravité des conséquences de cette situation... Human Rights Watch et d'autres gens présentent la situation sous un éclairage un peu plus favorable que vous. Je ne mets aucunement en doute votre témoignage; en réalité, c'est justement à cause de votre point de vue que vous comparaissez. Je m'inquiète un peu de cette discordance et je me demande comment nous pouvons en arriver à dire qu'il faut un rapporteur spécial.
    Si vous pouviez donner des précisions, ce serait utile.

  (1335)  

    Merci.
    Je puis vous dire ceci. Je suis Human Rights Watch sur Twitter, et je connais un certain nombre de gens de l'organisation, notamment dans ses bureaux de New York, qui s'occupent de ce dossier, de l'Asie du Sud-Est et notamment de l'Indonésie. Pour être franche, je dirai que leur constat ne diffère pas du mien.
    J'ignore ce que vous avez déjà entendu dans les témoignages en bonne et due forme, mais je puis vous assurer qu'ils comprennent que ce que j'ai vécu est très proche de la réalité dans laquelle vivent les gens ordinaires qui osent parler des droits de la personne...
    Ils disent qu'on tient de vains discours à propos des droits de la personne, alors que... Les témoins n'ont rien eu de positif à dire, mais ils ont expliqué comment ils pouvaient penser que le pays semblait avoir beaucoup progressé vers la stabilité. Vous avez parlé de l'image que le pays projette dans le monde. Il n'y a donc pas nécessairement une différence de point de vue. La différence tient peut-être simplement la façon de dire les choses. C'est juste que c'est un très grand pas à franchir que d'en arriver à la nomination d'un rapporteur spécial...
    Mme Irshad Manji: C'est vrai.
    M. Wayne Marston: ... c'est pourquoi je voulais vous donner la chance d'expliquer plus avant la nécessité d'un rapporteur spécial.
    Très bien. Merci d'avoir précisé le sens de votre question.
    Ces militants des droits de la personne, depuis les journalistes jusqu'aux membres des organisations non gouvernementales et aux avocats, toute la coalition que Human Rights Watch représente, eh bien lorsque nous avons échangé, lorsque mon équipe et moi avons communiqué avec eux, par exemple à Jakarta, la capitale, ou à Yogyakarta, la ville où nous avons essuyé la pire attaque, à une personne près, tous disent qu'ils se trouvent dans une impasse. Si on se porte à la défense des libertés garanties dans la constitution de l'Indonésie, on peut s'attendre à être ciblé et, c'est le gros problème, à ce que sa famille le soit aussi. Mais...
    Puis-je vous interrompre une seconde?
    Vous ne le pouvez pas. Vous dépassez votre temps de parole d'une minute.
    Je vais terminer cette réponse.
    Le président: Je vous en prie.
    Mme Irshad Manji: On sera ciblé dès le lendemain. Mais si on ne dit rien, rien ne change. Ce qu'ils essaient de dire... Lorsque nous avons insisté pour qu'ils précisent leur message, chacun a dit que la seule possibilité qu'ils entrevoient en ce moment pour apporter des changements sérieux sur le terrain, c'est que des diplomates et des dirigeants politiques alliés du gouvernement indonésien, des gens qui l'appuient, remettent les choses en question, lui donnent un coup de coude, l'incitent à inviter le rapporteur spécial.
    Monsieur le président, puis-je alors transmettre une question?
    Voilà une curieuse innovation en matière de procédure.
    Des voix: Oh, oh!
    Le président: Bien sûr.
    C'est un point de vue qui vous paraîtra peut-être valable ou peut-être pas.
    Le président: Très bien.
    M. Wayne Marston: C'est la différence entre un type de régime totalitaire qui garde le pouvoir et fait ce qu'on peut voir dans bien d'autres pays, et un autre où, parce qu'on est musulman et que l'approche...
    Pardon?
    Les droits qui se perdent dans ce pays, est-ce surtout à cause de la religion ou à cause du totalitarisme? Voilà où je veux en venir.
    Très bien. La question est irrecevable, mais le témoin l'a entendue et voudra peut-être donner son avis en répondant aux prochaines questions, qui seront celles de M. Sweet, apparemment.

  (1340)  

    Oui, et c'est à grâce à mon collègue, monsieur le président. Je vous suis reconnaissant.
    Madame Manji, j'ai une autre question à poser. Vous dites que, il y a cinq ans, la majorité musulmane était pluraliste alors qu'aujourd'hui, il existe de très graves problèmes. Pouvez-vous me dire, et une simple opinion suffit, à quoi vous attribuez ce changement radical? Vous avez parlé de l'influence saoudienne. Y a-t-il autre chose? Est-ce la principale cause?
    J'ai dit dans mon témoignage que, à mon sens, trois grands facteurs interviennent. L'un est la faiblesse et la médiocrité du leadership de l'actuel président. Celui qui l'a précédé était appelé affectueusement « Gus Dur » et était un musulman réformiste très résolu qui disait par exemple: « La liberté d'expression est nécessaire si nous voulons faire preuve d'humilité devant Dieu. » Il n'y a pas beaucoup de dirigeants musulmans qui tiennent ce genre de discours, même dans notre pays. Le type de réforme, d'ouverture et de démocratie qu'une nouvelle génération en Indonésie croyait voir se poursuivre après la mort de Gus Dur est en recul à cause de la faiblesse de l'actuel président.
    Cette faiblesse se manifeste aussi d'une autre façon: une espèce de complicité avec les forces de sécurité au nom de la stabilité; c'est-à-dire qu'il faut montrer aux investisseurs étrangers que l'Indonésie est une destination sûre pour leurs capitaux. Je soutiens que la façon humaine d'assurer la stabilité est de sévir contre les religieux totalitaires, non contre ceux qui veulent respecter la diversité et la laïcité prévues par la constitution indonésienne.
    Le troisième facteur, ce sont les pétrodollars saoudiens. Voici un exemple rapide pour illustrer mon propos, et il n'a rien à voir avec ce que j'ai observé à l'aéroport de Jakarta. Quand on voit à quels endroits, en Indonésie, on introduit la charia... Ce n'est pas le genre de charia à laquelle on songerait au Canada, mais celle qui prévoit des mesures très brutales comme la flagellation des femmes, des lois qui autorisent la lapidation des femmes et, bien sûr, l'imposition du hijab et de la burqa. Où la charia s'applique-t-elle en Indonésie? La plupart du temps là où se rendent les touristes de la péninsule d'Arabie et où ils dépensent leur argent.
    On remplit les coffres de l'argent du tourisme en veillant à ce que les Indonésiens se plient à la culture de la péninsule d'Arabie. Chose curieuse, on présente cela comme une question de respect de préceptes religieux, mais au fond, et je ne vais pas mâcher mes mots, il s'agit d'impérialisme culturel de la péninsule d'Arabie à l'égard d'un pays non arabe et davantage pluraliste, comme l'Indonésie, sous couvert de tourisme.
    Une question, Gary?
    Oui, je vous remercie.
    Avez-vous des craintes concernant le respect des droits religieux... de la liberté de religion et de la liberté d'expression en Indonésie?
    Pourriez-vous reprendre votre question, monsieur, pour que je comprenne bien?
    Très bien. Au lieu de lire à l'envers, je vais lire à l'endroit.
    Avez-vous des craintes concernant les droits à la liberté de religion et à la liberté d'expression en Indonésie?
    Oui. C'est même l'enjeu central. La liberté d'expression et la liberté de religion, garanties par la constitution nationale, sont attaquées en Indonésie. C'est exact.
    Y a-t-il des groupes religieux qui sont plus particulièrement persécutés en Indonésie? Dans l'affirmative, pourquoi le sont-ils?
    Oui, il y en a, manifestement.
    L'un d'eux est la minorité ahmadie, à l'intérieur de l'islam. Disons brièvement que les ahmadis croient que Mahomet n'a pas été le dernier prophète envoyé par Dieu, qu'il y en a eu un autre, mais sur la plupart des autres points, ils se considèrent comme les autres musulmans. Il y a eu et il continue d'y avoir une guerre contre les ahmadis: meurtres, assassinats ciblés, tirs et autres formes d'oppression dans tout le pays.
    Il y a une autre confession, les musulmans chiites. Eux aussi, dans le vaste monde de l'islam, constituent une minorité. Je ne vais pas entrer dans les divergences théologiques, mais on fait la guerre aux chiites. C'est tellement vrai que, songeant au sort qui leur est réservé au Pakistan, bien des gens ont fait remarquer que l'Indonésie, sinistrement, reproduit le traitement que le Pakistan inflige à ses propres musulmans chiites.
    Enfin, il y a bien sûr le groupe plus vaste qu'on peut appeler les libéraux, au sens général, les musulmans indépendants d'esprit qui sont attachés à la laïcité, à la séparation entre la politique organisée et la religion organisée et ne veulent pas revenir en arrière. En effet, l'État même d'Indonésie est fondé sur les cinq principes du Pancasila, dont l'un est la diversité: il faut respecter la diversité de pensée, d'expression, de conscience, puisque c'est la base même de l'Indonésie.
    Il faut être limpide: personne ne dit qu'il faut écarter ceux dont les convictions sont plus fondamentalistes. Eux aussi, ils font partie de la diversité. Ce qu'ils disent, c'est que, si on impose ces croyances à ceux qui n'en veulent pas, on viole la constitution, ce en quoi les libéraux ont tout simplement raison.

  (1345)  

    Votre temps de parole est terminé, je le crains. Merci.
    Nous allons passer à M. Cotler. Je vous en prie.
    Merci, monsieur le président.
    Je souhaite moi aussi la bienvenue au témoin, que je considère comme une incarnation du courage moral, pour reprendre le nom du projet qu'elle dirige à l'Université de New York.
    Vous avez parlé des trois grands facteurs qui expliquent les changements survenus ces six dernières années. Le plus important est probablement le premier, car c'est lui qui permet aux autres facteurs de jouer: la faiblesse du leadership. Hélas, nous ne pouvons plus compter sur le président Gus Dur.
    Je crois vous avoir dit que, lorsque je l'ai accueilli au Canada, le ministre de la Justice de l'Indonésie a fait deux affirmations importantes. La première, c'est qu'une priorité de l'Indonésie est de combattre le terrorisme et l'extrémisme pour montrer que l'islam et le terrorisme sont incompatibles. La deuxième, c'est que l'Indonésie a aussi pour priorité de promouvoir et de protéger la démocratie pour montrer que l'islam et la démocratie sont compatibles. Je regrette que les médias n'aient pas couvert cette conférence de presse. À l'époque, je ne savais pas comment utiliser Twitter, qui n'existait pas, et je ne le sais toujours pas. Peut-être aurions-nous pu diffuser le message sur les médias sociaux.
    Voilà qui m'amène à ma question précise: comment pouvons-nous aider à promouvoir et à protéger les droits de la personne en Indonésie et plus particulièrement les libertés de religion et d'expression? Vous avez dit qu'il fallait intervenir auprès des dirigeants pour faire venir un rapporteur de l'ONU. Y a-t-il des initiatives que le Parlement ou le comité pourraient prendre ou recommander au gouvernement pour aider à promouvoir et à protéger les droits de la personne en Indonésie? Y a-t-il des aspects de la politique et de la culture indonésiennes dont nous devons tenir compte pour le faire?
    J'insiste depuis quelques minutes, monsieur, sur le fait que la constitution de l'Indonésie garantit la liberté de pensée, de croyance et d'expression. Aucune de ces idées n'est un reste de la colonisation occidentale. C'est ce que la population a choisi pour se gouverner. Il est donc très important que, quoi que fassent les parlementaires canadiens... Ne soyez pas trop prudents. Pas besoin de subtilités, car ceux qui partagent nos valeurs ne sont pas chatouilleux: ils veulent récupérer leur pays. Mais si des mesures sont prises, il est très important de les présenter comme fidèles aux valeurs que les Indonésiens eux-mêmes ont adoptées dans leur constitution.
    Je sais que, tous les quatre ans, l'ONU fait un examen du bilan de certains pays en matière de droits de la personne. L'an dernier, elle l'a fait pour l'Indonésie. J'ai le regret de dire que notre propre corps diplomatique dans ce pays n'a pas fait entendre sa voix avec assez de fermeté.
    Voici un autre point qui revêt une extrême importance. J'allais ajouter, pour terminer histoire de la mésaventure de mon passeport, que le personnel de notre propre ambassade avait reçu trois appels de moi et de mon équipe avant l'attaque. Nous lui avons dit: « Nous apprenons qu'il risque d'y avoir des problèmes de sécurité et nous voulons vous mettre au courant. Pourriez-vous nous donner un numéro d'urgence à composer si jamais il nous arrivait quelque chose de fâcheux? » On ne nous a jamais rappelés. À dire vrai, c'est seulement lorsque l'incident a fait la manchette que le personnel de l'ambassade a donné signe de vie. Ce ne fut pas la même chose pour la collègue avec qui je voyageais et qui est citoyenne d'un autre pays. Elle a appelé sa propre ambassade et elle a reçu des réponses.
    J'ai trouvé très décevant que, dans un pays qui a une telle importance stratégique, qui est aussi populeux, notre propre personnel aborde des problèmes comme ceux-là avec une excessive rectitude politique. Quelles sont nos valeurs, à nous, Canadiens? Le savons-nous toujours? Le savons-nous bien? Peut-être ferions-nous bien de faire le point et peut-être alors, ceux qui sont payés par le contribuable canadien devraient-ils prendre les devants pour faire valoir ces valeurs ailleurs dans le monde.

  (1350)  

    Comme vous le dites, il s'agit ici de droits de la personne et de valeurs qui sont universels, non pas de conceptions imposées par l'Ouest. Ce sont des principes définis par les Indonésiens, et ils s'inscrivent dans les droits universels de la personne. Nous devrions les interpeller à ce sujet et faire valoir nos opinions de façon beaucoup plus ouverte, en public, en exigeant des comptes.
    Nous donnerions ainsi de l'espoir aux Indonésiens, dont nous nous flattons de dire ailleurs dans le monde que nous nous rangeons à leurs côtés en raison de nos vues internationalistes. Pas besoin d'hypocrisie.
    C'est malheureusement la fin de ce tour.
    Mme Grewal a la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci de votre présence parmi nous, madame Manji. Le comité est honoré d'accueillir une militante aussi active et engagée que vous dans la défense de la liberté de religion.
    Voici ma question. D'une part, l'Indonésie a des médias très dynamiques et indépendants. D'autre part, il est arrivé que le gouvernement de l'Indonésie restreigne leurs droits, criminalise les journalistes qui soulèvent des questions politiques prêtant à controverse ou qui dénoncent les pratiques d'hommes d'affaires ou de politiques puissants. De plus, certains craignent que la nouvelle loi sur le renseignement d'État ne soit utilisée pour arrêter ou poursuivre des journalistes, des membres de l'opposition politique ou des militants des droits de la personne qui dénoncent les abus du gouvernement.
    Pourriez-vous parler du rôle des médias et des préoccupations au sujet de ceux qui s'élèvent contre le gouvernement?
    Soyons clairs. Vous voulez parler du rôle des journalistes à l'intérieur de l'Indonésie?

  (1355)  

    Oui, absolument.
    Il ne fait pas de doute que, parmi les voix qui sont ciblées dans ce pays se trouvent des journalistes. Ils sont ciblés dans presque tous les États moralement faibles, qui ont des gouvernements affamés de pouvoir.
    Je vous dirai ceci. Lorsque j'ai discuté avec l'Alliance des journalistes indépendants en Indonésie, j'ai demandé ce que voulait dire le mot « indépendant » dans ce contexte. La réponse, passablement consensuelle: « pas corrompu ». Il y a beaucoup de journalistes, assez pour créer une alliance de journalistes indépendants, prêts à se mettre en danger.
    Je dois aussi ajouter que même à cette réunion avec l'alliance, nous devions tous avoir un service de sécurité, et c'est une des autres organisations religieuses modérées en Indonésie qui a fourni ses propres paramilitaires, sa propre milice, croyez-le ou non, pour entourer le bâtiment où nous étions réunis, de façon à éviter que des extrémistes religieux ne nous fassent ce qui avait été fait à d'autres occasions.
    Je le répète, il se crée en Indonésie des coalitions très importantes, au-delà de ce qu'on peut imaginer au Canada. Les voix comme la mienne ne sont pas rares. Ce qui est rare, ce sont ceux qui peuvent se faire entendre et s'affirmer avec confiance, sans craindre des représailles pour leur propre famille dès le lendemain.
    En mai 2012, l'Indonésie a été soumise à son deuxième examen périodique par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. À ce moment-là, le Canada a recommandé que l'Indonésie prenne des mesures pour assurer la reddition de comptes. Il s'agissait de veiller à ce que les violations des droits de la personne fassent l'objet d'enquêtes et que les présumés responsables soient visés par des poursuites justes, rapides et impartiales. L'Indonésie a accepté cette recommandation récemment.
    À votre connaissance, y a-t-il eu quelque indication de progrès sur ce plan? Dans l'affirmative, quelles sont les mesures efficaces qui ont été prises pour mettre un terme aux violations des droits de la personne? Sinon, que peut faire le Canada dans ce contexte pour améliorer la situation des droits de la personne là-bas?
    Je suis au regret de dire que non, cette décision n'a eu aucune suite. Je ne veux pas être exagérément simpliste. La réalité, c'est que, même après l'attaque contre mon équipe et moi, quatre ou cinq mois plus tard, aucune enquête n'a été lancée, malgré les promesses répétées des autorités. En fait, il y a eu des manifestations, des manifestations publiques importantes pour réclamer l'enquête promise.
    À ce jour, pas de réaction aux manifestations non plus. La question qui se pose, vous l'avez dit, réitérant des propos de M. Cotler, est celle de savoir ce que le Canada peut faire au juste. Je viens de penser que le nouveau Bureau de la liberté de religion que le gouvernement a mis en place serait parfaitement placé pour adopter l'Indonésie comme « cause célèbre », mais je n'entends pas ce terme dans son sens frivole. Si les parlementaires canadiens veulent vraiment s'attaquer à une question concrète, bien définie, qui ait un retentissement international et dont fort peu de monde se préoccupe, et ainsi avoir une action marquante, je crois que le Bureau de la liberté religieuse ferait bien d'aider les militants des droits de la personne à faire entendre leur voix.
    L'Institut Wahid...
    Vous n'avez plus de temps, madame Grewal, je suis désolé.
    Passons au prochain député.
    C'est censé être le tour de M. Jacob. Il a très généreusement cédé du temps à M. Marston.

  (1400)  

    Il éprouve une grande sympathie pour moi, monsieur le président, comme vous tout à l'heure, qui avez autorisé mon intervention.
    Je suis vraiment troublé d'apprendre que le personnel de notre ambassade ne vous a pas assuré les services auxquels, comme citoyenne canadienne, vous avez droit. Votre démarche devrait se résumer à dire que vous êtes citoyenne canadienne. Vous auriez dû recevoir l'assistance nécessaire. J'espère que cette défaillance ne trahit rien d'autre que les erreurs d'une personne, mais je m'inquiète. Je partage certaines de vos préoccupations.
    Un autre point que je retiens de votre témoignage, c'est que le Canada n'est pas intervenu de façon significative au moment de l'examen périodique universel de l'Indonésie alors que, a priori, il aurait dû le faire. Il faudrait que je prenne connaissance de ce rapport particulier pour avoir une idée de ce que le Canada a fait, mais je conviens que ce mécanisme est là pour attirer l'attention sur des situations telles que celles-là. En Indonésie, il semble que la diffusion de l'information soit l'un des problèmes graves. L'examen pourrait être un élément de solution.
    Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec vous au sujet du nouveau Bureau de la liberté de religion parce que, comme vous, je crois en l'approche laïque, et j'ai encore un peu de mal avec l'idée de ce bureau, à défaut de savoir un peu mieux de quoi il s'agit.
    Dans la province d'Aceh, il doit y avoir 98 p. 100 de musulmans, et il semble que là-bas, des musulmans s'attaquent les uns aux autres, si nous nous intéressons aux atteintes aux droits de la personne. C'est en partie ce qui m'a poussé à vous demander déjà, par l'entremise de la présidence, dans quelle mesure ce qui est en cause, c'est la politique de la force plutôt que des activités religieuses. À quel point s'agit-il d'une question de leadership, de forces qui contrôlent le pays et cherchent à protéger leurs intérêts plutôt que des incidents qui gravitent autour de la religion?
    Excellente question. La politique de la force, c'est exactement cela, et n'importe quel prétexte peut être invoqué. Dans ce cas-ci, comme dans beaucoup d'autres dans le monde musulman, la religion sert de prétexte.
    Là encore, monsieur, on ne peut pas faire des distinctions bien nettes sans apporter un peu plus de nuances. On m'a demandé tout à l'heure quels étaient les groupes ciblés. Je suis horrifiée à l'idée que j'ai oublié de mentionner les chrétiens dans ma réponse, car je voulais faire ressortir que la violence entre musulmans sévit.
    Mais il est certain que des églises chrétiennes ont été la cible d'incendiaires et de poseurs de bombes. En Indonésie, les chrétiens ne sont pas une petite minorité; ils forment une population énorme. Là encore, le pouvoir intervient: « Nous, musulmans, allons vous dominer. » Mais la religion est invoquée de façon plus sérieuse dans ces cas que lorsque des chiites ou des ahmadis sont attaqués.
    Vous amenez ainsi ma prochaine question, celle de la Papouasie occidentale.
    Oui.
    Cette population est chrétienne dans une écrasante proportion, d'après ce que je crois comprendre, mais les indications que j'ai reçues à titre de porte-parole de mon parti pour les droits de la personne, c'est que l'enjeu se rattache aux ressources plutôt qu'à la religion, et peut-être aussi à la culture et aux idéaux nationalistes de cette population à l'égard de leur propre pays tel qu'ils souhaitent qu'il devienne.
    Je dirais que la thèse des ressources est probablement très juste. Nous savons que les Papous ont des aspirations nationalistes, mais je ne crois pas qu'elles menacent l'intégrité de la nation indonésienne, bien que ce soit là une simple opinion personnelle, car je n'ai pas fait de recherches sur la question.
    Les ressources sont toujours à la base de ces...
    Très rapidement, si possible...
    Monsieur Jacob, êtes-vous d'accord pour que le député poursuive?
    Très bien.

  (1405)  

    À quel endroit les églises ont-elles été brûlées? Dans la partie musulmane? Dans la partie chrétienne?
    Aux deux endroits.
    Merci.
    Merci.
    Passons à M. Jacob.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je vous remercie de votre témoignage, madame Manji.
     J'aimerais savoir depuis quand vous vous intéressez à la liberté de religion et si vous convenez avec moi que l'exercice de cette liberté est un problème très complexe en Indonésie.

[Traduction]

    Ma réponse à la deuxième question est que, effectivement, c'est complexe, mais que ce n'est pas la peine d'intellectualiser à outrance. Lorsqu'il s'agit de religion et de culture, nous essayons d'être de bons citoyens du monde et nous finissons par nous enliser dans les analyses. Dans ce cas-ci, il devrait nous être assez facile d'agir, précisément parce que les valeurs sur lesquelles ce pays est censé être fondé ne sont pas simples. Elles aussi sont complexes, mais elles devraient être claires.
    Quand me suis-je intéressée à la liberté de religion? Dès que j'ai su ce qu'était la liberté. Ma famille et moi sommes des réfugiés politiques de l'Afrique de l'Est. Nous sommes venus de l'Ouganda. Nous avons été expulsés sous la dictature du général Idi Amin, qui était musulman. Nous nous sommes retrouvés sur le sol précieux du Canada. Je me souviens que lorsque j'étais jeune, j'étais fascinée par la possibilité que j'avais, à mon école publique, de poser des questions. Je me suis dit que nous avions une incroyable chance de nous retrouver dans un pays où, sans recours aux armes, sans effusion de sang, nous avions reçu notre liberté, ma famille et moi.
    Sans tomber aucunement dans la sentimentalité, car je parle avec une absolue sincérité, je vous dirai que je m'éveille chaque jour en remerciant Dieu de nous avoir amenés dans une société libre et en lui demandant que je reste digne d'être membre d'une société libre. Cela veut dire que je dois gagner ma liberté tous les jours, d'abord en en faisant le meilleur usage possible, mais aussi en m'assurant que j'ai gagné la liberté au lieu de la tenir pour acquise.

[Français]

    Merci.
    Merci, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci.
    Malheureusement, nous n'avons pas le temps de poser d'autres questions.
    J'ai une question de procédure à soumettre au comité. Jeudi, nous devions avoir une séance à huis clos pour discuter d'un rapport sur la situation des Coptes en Égypte, mais un certain nombre de changements sont survenus dans ce pays. Quiconque n'est pas complètement coupé du monde le sait. Il nous est donc difficile de rédiger un rapport pour l'instant.
    À la place, il a été proposé que nous invitions John Sifton à s'adresser au comité. Il devrait pouvoir le faire par liaison vidéo jeudi, si le comité accepte de l'entendre comme témoin. Serait-ce acceptable?
    Des voix: D'accord.
    Le président: Très bien. C'est ce que nous allons faire.
    Dans ce cas, cela me donne le temps de remercier le témoin d'aujourd'hui.
    Madame Manji, nous vous sommes très reconnaissants.
    Je tiens à vous exprimer personnellement ma gratitude. Je n'ai lu qu'un de vos livres et j'ai bien hâte de lire le second. Je tiens à dire à cet égard que même si vous avez conçu cet ouvrage comme une lettre ouverte à vos coreligionnaires, il m'a été très utile, et je présume qu'il le serait aussi pour d'autres, car l'information nous manque cruellement. Tout le monde se plaît à parler de l'islam, mais il me semble qu'il y a là à la fois une rectitude politique qui ne veut rien dire et un tissu de stéréotypes, si vous voyez ce que je veux dire. Nous disons tous que l'islam appartient à la famille des religions issues d'Abraham, qu'il est civilisé, etc., mais que c'est l'enfant à problèmes.
    Cela se fait beaucoup dans les médias. Ils cherchent exprès les gens qui ont l'air le plus fou et les présentent comme s'ils étaient représentatifs. Il va sans dire qu'il est difficile de trouver autant de gens qui ont l'air fou dans le monde, mais c'est l'image que les médias aiment présenter. Je vous suis donc reconnaissant de la façon dont vous nous expliquez les choses à nous, qui ne sommes peut-être pas l'auditoire principal visé. Cet ouvrage est très utile, comme l'a été votre témoignage d'aujourd'hui.

  (1410)  

    Merci de votre sollicitude. Je vous suis très reconnaissante.
    [Applaudissements]
    La séance est levée.
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