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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 074 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 2 juin 2015

[Enregistrement électronique]

  (1305)  

[Français]

     Bienvenue à la 74e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, en ce 2 juin 2015. Notre réunion est télévisée.

[Traduction]

    Nous accueillons M. Alex Neve, le secrétaire général d'Amnistie internationale Canada, que vous connaissez tous. Témoigneront à titre personnel M. Ángel Amílcar Colón Quevedo et M. Luis Eliud Tapia Olivares, qui est un défenseur des droits de la personne au Centre des droits de la personne Miguel Agustín Pro Juárez. Nous étudions la situation des droits de la personne au Mexique.
    Je ne sais pas si les témoins ont déterminé qui commencerait.
    Ce sera vous, monsieur Neve? Très bien, Alex, allez-y.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour aux membres du comité. C'est un plaisir d'être parmi vous encore une fois.
    Mon exposé sera bref, car il est évidemment plus important que vous entendiez le témoignage de nos deux invités, qui sont venus de loin. Je vais faire une brève introduction, et je présenterai quelques recommandations importantes à la fin.
    Pour vous présenter nos deux invités, j'aimerais vous parler d'une expérience très enrichissante que j'ai vécue en septembre dernier pendant une mission sur les droits de la personne au Mexique. Je faisais partie d'une délégation qui faisait une tournée des prisons dans le cadre de la campagne Stop Torture, d'Amnistie internationale. Je me suis retrouvé dans une prison à sécurité maximale dans l'État du Nayarit. Je n'y étais pas pour rendre visite à un baron d'un cartel de la drogue mexicain, mais pour rencontrer un prisonnier d'opinion et un survivant d'actes de torture, Ángel Colón. À l'époque, il était injustement emprisonné depuis près de six ans. Il a été gravement torturé. Il a été victime de racisme et de discrimination.
    Or, malgré tout, pendant la visite de la prison, j'ai été profondément touché par sa dignité et sa profonde conviction que justice serait rendue. J'ai été extrêmement heureux, cinq semaines plus tard, lorsque nous avons appris qu'il avait été libéré. Je le suis d'autant plus que nous avons l'occasion de l'avoir parmi nous au Canada. Il a prononcé des discours à Toronto et à Halifax, où s'est tenue notre réunion générale annuelle de cette année. Il est formidable qu'il ait maintenant l'occasion d'être ici avec vous.
    Il est accompagné de M. Luis Tapia, un avocat en droits de la personne remarquable et très dévoué qui a travaillé sans relâche sur le dossier d'Ángel et qui oeuvre au sein de Centro Prodh — « dh » signifiant « droits de la personne  » —, un extraordinaire organisme des droits de la personne situé à Mexico. Même si Ángel est libre, l'affaire n'est pas terminée pour autant, comme ils vous l'indiqueront tous les deux. Ángel cherche toujours à obtenir justice pour ce qu'il a vécu. Les deux hommes sont déterminés à enrayer la torture dans l'ensemble du pays.
    J'aimerais céder la parole à Ángel, qui sera suivi de Luis.
    Je m'appelle Ángel Amílcar Colón Quevedo. Je suis l'ancien président d'un organisme hondurien qui représente les Garifuna, un groupe inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2001.
    Le Honduras traverse une crise économique. La violence, la saisie de terres au sein des collectivités et une série d'événements ont entraîné une migration vers le nord, du Honduras vers les États-Unis, et aussi une migration vers l'Europe, principalement vers l'Espagne et l'Italie. Voilà pourquoi j'ai dû migrer du Honduras à l'époque. Comme mon fils avait un cancer — auquel il a succombé —, j'ai quitté le Honduras le 7 janvier 2009 pour me rendre aux États-Unis afin d'y gagner de l'argent pour qu'il puisse être opéré à l'extérieur du pays.
    Le 9 mars 2009, à Tijuana, j'ai été arrêté par la police après m'être présenté comme l'ancien président d'une association hondurienne. À l'époque de mon arrestation, la police d'État m'avait associé à une organisation noire, un groupe criminel du Mexique, ainsi qu'à un groupe de narcotrafiquants. À maintes reprises, on m'a demandé si j'étais un dirigeant. J'ai répondu que j'étais l'ancien président de l'OFRANEH et que je comptais me rendre à New York.
    J'ai d'abord été roué de coups de pied, puis de coups de poing, par plusieurs individus. Ils ont continué de me frapper tandis que je gravissais une petite colline. Ils m'ont frappé aux tibias et aux genoux. Ils m'ont conduit au poste de police, où j'ai été gardé en détention préventive. J'y suis resté 20 minutes, avant d'être emmené à l'extérieur, en direction de la ville. Puis, ils m'ont ramené au poste, où j'ai été battu de nouveau. Ils m'ont emmené au centre fédéral de détention, où j'ai été détenu dans une pièce, un bureau. Puis, j'ai été conduit aux toilettes. Il y avait du sang partout. Ils m'ont obligé à m'asseoir et ont continué de me frapper.
    J'étais menotté aux mains et aux pieds, étendu sur le sol; ils m'ont recouvert la tête d'un sac pour m'asphyxier. Ils m'ont interrogé. Ils voulaient que je leur donne des renseignements sur les personnes auxquelles je fournissais de la drogue, en ville. Ils voulaient savoir comment j'avais réussi à faire entrer les drogues au Mexique, à organiser tout cela et à traverser l'Amérique centrale. Ils voulaient aussi que je leur indique où se trouvaient tous les laboratoires — en Colombie, par exemple —, et ils voulaient des renseignements sur le nombre de personnes participant à ces activités.
    Je leur ai demandé comment je pouvais leur parler de choses dont je n'étais pas au courant, mais ils ont continué de me frapper. Je leur ai dit: « Dites-moi ce que vous voulez entendre, et je vais coopérer », même si, en réalité, je ne savais rien de ce qu'ils voulaient savoir. Ils m'ont laissé tranquille pendant un certain temps. Ensuite, dans un stationnement, j'ai été projeté au sol, torse nu, puis traîné dans la rue jusqu'au bureau du procureur général du Mexique, où j'ai été détenu pendant quatre heures. J'ai demandé au procureur de l'État de faire un appel à l'ambassade du Honduras. On m'a répondu que je n'avais aucun droit, pas même celui de faire un appel.

  (1310)  

    Il ne m'a pas permis de faire cet appel. J'ai été transféré à la deuxième zone militaire. Il était entre 16 et 17 heures, environ. Ensuite, de 18 heures à 2 heures du matin, on m'a placé dans une petite pièce; des gens entraient et sortaient. Les poignets et mes chevilles étaient attachés ensemble. On m'a obligé à m'étendre sur le sol et on m'a encore une fois mis un sac sur la tête. Quelqu'un était assis sur mes genoux. Parfois, quelqu'un se tenait debout sur mon dos tandis qu'une autre personne sautait sur moi à hauteur de l'estomac pour essayer de vider l'air de mes poumons. Donc, ils sautaient sur moi pendant que j'avais la tête recouverte d'un sac. Ensuite, comme je ne leur donnais pas les renseignements qu'ils voulaient, ils m'ont couvert le visage d'une serviette avant de me verser de grandes quantités d'eau sur le visage. Évidemment, lorsque j'essayais de respirer, je m'étouffais avec l'eau qui était versée sur moi.
    À l'époque, il y avait là plus de 60 personnes qui étaient détenues et qui subissaient également de la torture. J'ai vu des gens être torturés à l'aide d'aiguillons électriques. Les hurlements, les cris et les pleurs étaient omniprésents; beaucoup de gens déféquaient dans leur pantalon. Il régnait dans la pièce une odeur pestilentielle. Avant cela, j'avais aussi été placé dans une pièce où se trouvaient plusieurs autres détenus — également menottés aux poignets et aux chevilles — et de nombreux militaires. Ma torture s'est poursuivie, parce qu'ils accusaient certaines personnes d'être des homosexuels et qu'ils voulaient voir des actes sexuels. Ils m'ont obligé à retirer ma chemise et à nettoyer les souliers des autres détenus; les souliers étaient couverts de sang. Ils jouaient avec moi à ce qu'on appelle le jeu du « coq aveugle ». Ils me demandaient de prendre des poses militaires, que je ne connaissais pas. Tout le monde se moquait de moi, même d'autres détenus.
    J'ai subi de mauvais traitements. Je n'avais pas de visa dans mon passeport, mais j'avais apporté mon livret bancaire. J'avais 5 000 $ en espèces dans mes poches; ils me l'ont volé. Ceux qui m'ont arrêté et emprisonné n'ont pas dressé la liste de mes effets personnels.
    On m'a ensuite fait sortir de la deuxième zone militaire pour m'amener dans une résidence privée appartenant à l'AFI. On m'a informé que c'est là que je serais détenu, mais à la suite d'une confrontation entre les agents d'enquête du procureur d'État et la police, dans un stationnement, j'ai été transféré au 48e bataillon, où j'ai été détenu pendant 40 jours. Ils m'ont indiqué qu'ils m'amèneraient à Mexico et que j'y serais détenu pendant 40 jours supplémentaires au centre de détention de l'endroit. Ensuite, ils m'ont conduit à la prison à sécurité maximale, dans l'État du Nayarit, où j'ai été détenu. Les mauvais traitements se sont poursuivis en prison, ce que j'ai dénoncé.
    Ce n'est que 18 mois après le début de mon incarcération que ma famille a eu des nouvelles de moi, après s'être informée auprès du gouvernement du Honduras. J'ai appris que mon fils était décédé entre-temps, tout comme ma mère, l'aîné de mes neveux, et une de mes tantes. Pendant ma détention, je n'ai pu faire aucun appel téléphonique. Les lettres que j'ai écrites n'ont pas été postées; en fait, elles ont été confisquées.

  (1315)  

    Divers organismes ont entendu parler de moi parce que j'ai écrit à Londres et à Amnistie internationale, par l'intermédiaire d'autres personnes — parce que je comptais des amis parmi les détenus —, et leurs femmes ont obtenu des renseignements au sujet d'Amnistie internationale sur Internet. J'ai écrit une lettre qui a été apportée à Londres par une personne, puis Amnistie internationale m'a contacté par l'intermédiaire de son bureau au Mexique et d'autres organismes partenaires.
    Évidemment, c'est aussi ce qui m'a permis de communiquer avec le Centre des droits de la personne Miguel Agustín Pro Juárez, de Mexico. J'ai indiqué que je n'avais pas les moyens de payer les services d'avocats, parce que les avocats demandaient jusqu'à 100 000 $ pour assurer ma défense, une somme que je n'avais pas, bien entendu.
    Dans la foulée de ces événements, j'ai essayé d'entreprendre un processus de défense, mais je savais que je ne pouvais faire confiance à mes avocats, étant donné que le défenseur public qui s'est présenté comme mon avocat de la défense à 8 heures du matin avait assisté aux séances de torture qui avait eu lieu à 2 heures du matin au centre de détention. J'ai eu cinq défenseurs publics, parce qu'au lieu de me défendre, ils se pliaient à la volonté du bureau du ministère public. J'ai dénoncé les nombreuses tortures que j'ai subies et le ministère public n'a jamais vraiment voulu lancer un processus judiciaire dans mon dossier.
    Quelque quatre ans après que j'ai dénoncé les actes de torture, et grâce au signalement que nous avons fait au Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, M. Juan Mendez est venu me rencontrer et a fait rapport à mon sujet. Ce n'est qu'à ce moment que l'État mexicain a entrepris une enquête au sujet des actes de torture commis contre moi.
    Aujourd'hui, justice a été rendue, étant donné que j'ai été libéré, mais ce n'est pas terminé pour autant. Ma poursuite judiciaire contre l'État mexicain est en suspens, car l'État n'a jamais voulu appliquer le protocole d'Istanbul. On m'accusait tout en affirmant, selon les informations recueillies auprès des services de police, que les personnes qui sont au courant des faits ne font plus partie intégrante du processus. Ils ont cherché des résidus de poudre noire sur mes mains. Ils étaient certains que j'avais utilisé une arme à feu. C'est ce qu'ils ont affirmé. Ils ont aussi dit que j'étais en possession de drogues. Ils ont voulu me montrer cette drogue; ils ont indiqué que mes empreintes digitales étaient sur ces sacs. Ils ont pris mes empreintes et ils ont constaté que c'était faux. Mes empreintes étaient différentes.
    Un expert est venu et m'a fait écrire une dictée dans un cahier. Il a ensuite comparé ma calligraphie aux entrées consignées dans un registre de transactions de drogue. Encore une fois, l'erreur a été constatée: mon écriture ne ressemblait pas à celle qu'on trouvait dans ces registres. Par conséquent, aucune des accusations n'était fondée: rien ne permettait de me lier à tous ces événements auxquels j'avais participé, selon eux.
    En fait, la police effectuait des tirs le soir où j'ai été arrêté, et personne n'a jamais vraiment cherché à savoir si des coups de feu avaient été tirés de l'intérieur de l'immeuble, ou de l'extérieur, vers l'édifice.
    Je demande au Canada et aux Canadiens de m'appuyer dans ma tentative de faire connaître la vérité et d'obtenir justice, parce que la crise humanitaire qui sévit actuellement au Mexique est grave.

  (1320)  

    L'enquête relative à mon dossier est retardé parce que l'armée mexicaine refuse de fournir les renseignements sur les responsables en poste ce soir-là.
    En ce qui concerne les dommages-intérêts, je vais laisser mon avocat vous donner des détails à ce sujet, car il est mieux placé pour en parler.
    Merci beaucoup.
    Premièrement, j'aimerais vous remercier de me donner l'occasion de parler du dossier d'Ángel et la situation des droits de la personne au Mexique dans le cadre de votre étude sur ce qui se passe au Mexique.
    Le pays est actuellement touché par une grave crise des droits de la personne. De graves violations des droits de la personne ont lieu, et on observe une augmentation marquée à cet égard. Le cas d'Ángel Amílcar Colón n'est pas une coïncidence. Cela découle de politiques qui ont entraîné la militarisation de la sécurité sous prétexte d'une prétendue lutte antidrogue. Comme l'a indiqué le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, M. Juan Mendez, après sa récente visite au Mexique, certains comportements sont maintenant généralisés. De plus, il y a des cas de disparitions forcées dans de nombreuses régions du pays, comme l'a indiqué le Comité des disparitions forcées des Nations Unies en janvier de cette année.
    En ce qui concerne la torture, j'aimerais vous présenter les données édifiantes sur les dénonciations d'actes de torture. L'ombudsman national a fait état de 7 000 plaintes reçues d'actes de torture en trois ans seulement. Cela englobe la torture de personnes innocentes, comme dans le cas d'Ángel Amílcar. Autrement dit, au Mexique, l'absence d'enquêtes sérieuses a fait de la torture une méthode d'enquête qui vise à faire progresser les procédures judiciaires en fonction d'une simple déclaration obtenue sous la torture.
    Ce crime grave touche les groupes vulnérables, comme les groupes de migrants qui traversent le Mexique, mais il touche aussi les femmes en raison de cette terrible pratique qu'est la torture sexuelle. C'est notamment le cas de Mme Claudia Medina, une femme de Veracruz qui été torturée par des membres de la marine mexicaine, à Veracruz. Le recours à la torture sexuelle par les forces militaires, les forces de la marine et la plupart des corps policiers du pays, lors de la détention d'une femme, est un fait documenté. C'est ce qui se passe dans pratiquement tous les cas.
    Quant aux disparitions forcées, selon les informations officielles du secrétariat des affaires internes du Mexique provenant du registre national sur les personnes disparues, on comptait en janvier plus de 25 000 personnes disparues au Mexique. Quelque 10 000 personnes ont disparu sous l'administration actuelle d'Enrique Peña Nieto. On parle ici d'un nombre considérable de personnes disparues au Mexique en à peine deux ans et quelques mois. Les organismes mexicains de la société civile ont comparé leurs propres listes de signalements à la liste officielle du gouvernement. Seulement 10 % des cas enregistrés concordaient.
    Pendant cette crise grave, il y a aussi eu le cas de la disparition des étudiants d'Ayotzinapa. Je ne fais que vous donner un exemple concret, et ce n'est pas un cas isolé. On observe une collusion entre les autorités mexicaines et le crime organisé. L'État est responsable de la disparition de ces étudiants en enseignement, qui étaient âgés de 18 à 22 ans.

  (1325)  

    Quelque huit mois plus tard, avec l’aide de deux groupes d’experts indépendants internationaux, soit l’équipe d’anthropologie judiciaire argentine et le groupe de spécialistes chargés d’examiner ce dossier en collaboration avec la Commission interaméricaine des droits de l’homme, nous avons découvert qu’il y avait de graves inexactitudes dans cette enquête. À ce jour, les autorités mexicaines n’ont toujours pas expliqué ce qui s’est produit les 26 et 27 septembre 2014. C’est la raison pour laquelle, dans ce cas-ci, l’intervention de ces groupes indépendants est d’une importance capitale, tout comme le soutien de la communauté internationale, plus particulièrement le gouvernement du Canada.
    Le nombre d’exécutions extrajudiciaires et de massacres liés à la guerre contre le trafic de drogues a monté en flèche. Dans bien des cas, les autorités sont intervenues comme s’il s’agissait d’un conflit interne.
    Le 20 juin 2014, 22 personnes ont été tuées dans l’état de Tlatlaya. Dans le cadre d’une déclaration initiale, le gouvernement de l’état a dit qu’il s’agissait d’un conflit entre groupes et que le personnel militaire avait agi en légitime défense. Toutefois, l’ombudsman national a conclu qu’entre 12 et 15 personnes avaient été exécutées hors cours par le Secrétaire de la défense.
    Des informations circulent selon lesquelles il y aurait eu d’autres exécutions sommaires à Apatzingán où 16 personnes ont été tuées le 6 janvier dernier, sans oublier les 42 personnes tuées à Tanhuato, à Michoacán. Il est important que des enquêtes indépendantes soient menées au Mexique, car les autorités ont perdu toute légitimité en raison de ces exécutions sommaires.
    Les autorités du pays ont répondu à la violence criminelle en exerçant plus de violence criminelle: elles détiennent des gens, torturent des innocents et exécutent des gens. Elles manquent de fonds et exécutent des civils dans le cadre de cette guerre interne. Selon l’index global d’impunité de 2015 publié par l’Impunity and Justice Research Center, le Mexique pointe à l’avan-dernier rang sur les 59 pays membres des Nations unies pour lesquels il existe suffisamment de statistiques pour calculer le niveau d’impunité. Cela signifie qu’un seul pays fait pire que le Mexique à cet égard.
    Selon un rapport publié le mois dernier par l’Institut international d’études stratégiques, dont le siège social est situé à Londres, le Mexique figure au troisième rang en matière de conflits armés. Seuls l’Irak et la Syrie font pire à cet égard.
    Le gouvernement canadien entretient des liens étroits avec le Mexique. C’est la raison pour laquelle nous venons vous parler du cas d’Ángel Amílcar. Nous demandons au gouvernement du Mexique de mener une enquête sur les événements du 9 mars 2009 où Ángel a été torturé. Nous voulons connaître les responsables de cette torture.
    Nous aimerions également que des mesures soient prises afin de prévenir d’autres cas similaires. Il s’agit d’une grande source d’inquiétudes pour nous et nous savons que le gouvernement du Canada s’inquiète beaucoup lui aussi des droits de la personne. Nous voulons une réponse. Nous voulons que la crise sévère des droits de la personne qui fait rage au Mexique soit reconnue. Il s’agit de la première étape pour changer la situation.

  (1330)  

    C’est la seule façon de traiter ce dossier. Il est essentiel que la relation de coopération entre le Canada et le Mexique soit motivée par l’adoption de mesures concrètes de la part du Mexique pour respecter les droits de la personne des Mexicains.
    Merci beaucoup.
    Madame et messieurs les membres du comité, il reste 25 minutes avant la fin de la présente séance. Je crois que cela nous laisse suffisamment de temps pour permettre des interventions de quatre minutes, y compris les réponses des témoins.
    Monsieur Hillyer, vous avez la parole.
    Merci.
    Ces histoires qu’on nous raconte sont absolument troublantes. Lorsque j’écoute votre histoire, et lorsque j’ai entendu, la semaine dernière, celle des étudiants qui ont été victimes de ce massacre, la question qui me revient toujours est, pourquoi? Avez-vous une idée des motifs derrière tout cela? Croient-ils vraiment qu’Ángel est un trafiquant de drogues ou qu’il fait partie d’un cartel de la drogue, ou est-ce tout simplement une excuse?
    J’aimerais entendre Alex, d’abord, puis Luis et Ángel.
    Il y a plusieurs réponses à cette question. Au cours des huit dernières années environ, beaucoup de ces situations sont survenues dans le cadre de la guerre contre le trafic de drogues. C’est vrai, mais ce n’est pas uniquement en raison de la guerre contre le trafic de drogues — quoique de nombreux cas sont liés à cette guerre.
    Il y a plusieurs années — et c’est un élément dans cette histoire —, le gouvernement mexicain a confié à l’armée, et non à la police, le mandat de lutter contre le trafic de drogues. Évidemment, les nombreux abus commis par la police avaient déjà soulevé des inquiétudes, mais lorsque l’armée a pris le contrôle de cette lutte, les choses se sont considérablement aggravées, car pour l’armée, c’est devenu une guerre. Tout le monde était un ennemi, tout le monde était un suspect. L’important, c’était d’éliminer des gens, d’enquêter et de gonfler les chiffres pour montre aux Mexicains que les autorités faisaient des progrès dans cette guerre.
    Le cas d’Ángel est très sérieux, mais de nombreux autres ont vécu des situations semblables lorsque coincés dans le cadre de ratissages massifs ou ils se sont retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Dans le cas d’Ángel, la situation a été aggravée par le racisme et la discrimination. Il ne fait aucun doute que des éléments racistes au sein de la police et de l’armée mexicaines ont refusé de croire qu’Ángel, un homme noir, pouvait être autre chose qu’un trafiquant de drogues et ils ont agi en conséquence.
    L’autre point que j’aimerais souligner — et je suis convaincu qu’Ángel et Luis auront eux aussi des points à souligner — concerne l’impunité qui règne depuis si longtemps. C’est la réalité qui entoure les violations des droits de la personne dans de nombreux pays, pas seulement au Mexique. Mais, le fait que, depuis de nombreuses années, les auteurs de ces crimes ne sont pas traduits en justice, qu’ils ne sont pas tenus responsables de leurs actes et qu’ils ne subissent aucune conséquence ne fait qu’enraciner plutôt que diminuer cette impunité.

  (1335)  

M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    Concernant l’impunité, plus de 7 000 personnes ont dénoncé des actes de tortures, mais, à notre connaissance, seulement deux peines ont été imposées contre les autorités publiques pour torture. Mon organisation, Centro Prodh, a accompagné plusieurs personnes de partout au pays qui ont porté des accusations contre le gouvernement du Mexique. Sept plaintes ont été déposées contre le gouvernement mexicain auprès du Tribunal international des droits de la personne pour obtenir un résultat quelconque, mais les enquêtes piétinent. Il n’y a aucune volonté politique au Mexique pour enquêter sur les allégations de torture.
    La réponse du gouvernement à l’augmentation du nombre de crimes a été de violer plus de droits, et non de mener des enquêtes professionnelles. Sa réaction a été de fabriquer des accusations contre des innocents comme Ángel pour tenter de calmer la soif de justice des citoyens. Le fait de confier à l’armée la responsabilité de lutter contre le trafic de drogues n’a pas aidé, et les chiffres le prouvent. En 2003, 219 plaintes ont été déposées. En 2013, 10 ans plus tard, il y en a eu 1 500. Le nombre de plaintes a augmenté.
M. Angel Amilcar Colon Quevedo (interprétation):
    Lorsqu’on m’a emprisonné, torturé et traité de sale noir colombien, j’ai sus clairement qu’il y avait un élément de racisme dans tout cela. Aussi, j’ai été torturé de différentes façons. On m’a même torturé en public pour montrer aux autres ce qu’on me faisait et pour m’humilier. Le gouvernement m’a arrêté et emprisonné pour gonfler les statistiques de sa guerre contre le trafic de drogues.
    Il est important de savoir également que de nombreux migrants meurent au Mexique. Ils se font tuer. Des centaines ont été tués; c’est très sérieux. Si je ne m’abuse, 104 migrants ont été retrouvés dans une fausse commune à San Fernando.
    Il y a aussi l’enquête à Ayotzinapa où 200 ou 300 fausses communes ont été trouvées. Combien de fausses communes de migrants devront être trouvées au Mexique? Nous connaissons la situation sur le plan de la sécurité. Étant donné la façon qu’on m’a arrêté et mis en prison, il est clair qu’il y avait un élément de racisme. Mais, il y a aussi un lien entre les efforts désespérés du gouvernement à montrer qu’il a du succès dans sa guerre contre le trafic de drogues et le fait que les prisons sont pleines de détenus.
    Mais, les prisons sont remplies de migrants de passage au Mexique. Lorsque vous faites l’objet d’accusations pour port d’armes — car certains migrants se promènent avec des armes —, l’armée rédige un rapport selon lequel ces armes étaient liées au milieu de la drogue. Il est impossible de réfuter de telles accusations.

  (1340)  

    Avant de passer au prochain intervenant, je tiens à informer les membres que nous avons un léger problème pratique, car nous avons deux personnes qui répondent en même temps. Il est possible que je doive interrompre une des deux personnes afin [Note de la rédaction -- Inaudible]. Je ne veux pas faire cela, mais c’est un problème pratique, étant donné que nous sommes limités dans le temps. Ce que vous dites est important, mais, comme je l’ai dit, notre temps est limité.
    Monsieur Marston, vous avez la parole.
    D’abord, Ángel, je tiens à dire que je suis très impressionné par votre grâce et votre courage. Je ne vous poserai pas de question directement, mais je ferai un commentaire sur ce que vous avez vécu avec les décès dans votre famille et le décès de votre fils. Un de mes fils est mort du cancer. Je sais ce que cela fait à une personne. Pendant votre détention, vous avez tenté d’aider, mais en avez été incapable. Aujourd’hui, vous êtes ici pour témoigner devant nous. C’est exceptionnel. Votre présence ici est extrêmement importante, car des dizaines de milliers de Canadiens voyagent au Mexique chaque année. Ils doivent savoir et comprendre clairement ce qui s’y passe. Votre témoignage est extrêmement utile à cet égard.
    J’aimerais maintenant m’adresser à Luis. J’aimerais savoir quelles ont été, selon vous, les conséquences de la visite du rapporteur des Nations unies au Mexique? Cette visite a-t-elle eu des retombées?
M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    Il s’agit d’un bon exemple de ce qui se passe au pays. Le rapporteur contre la torture a visité plusieurs prisons fédérales et des états au Mexique, il a rencontré des organisations de la société civile, il s’est entretenu directement avec des victimes de torture, il a voyagé avec des spécialistes de la torture et il a rencontré les autorités. Il a recueilli des données et, en s’appuyant sur ces données, il a conclu qu’au Mexique, la torture est une pratique généralisée dans le contexte des enquêtes criminelles.
    Il a conclu également que les victimes sont torturées dès les premières heures de leur détention aux mains des policiers, des marines ou du personnel militaire avant d’être transportées au Bureau du procureur public du Mexique.
    Le gouvernement du Mexique a rejeté le rapport et dit que le rapporteur spécial, Juan Mendez, ne savait pas ce qu’il disait. Cela nous inquiète, car le rapporteur a mené une étude sérieuse sur ce qui se passe au Mexique. Le fait d’ignorer la crise qui sévit ne nous aidera pas à faire un pas dans la bonne direction.
    Nous sommes ici aujourd’hui, dans cet honorable Parlement, pour vous dire que l’absence de commentaires du gouvernement du Canada sur la situation au Mexique nous inquiète.
    On a souvent l'impression ici au Canada que les disparitions sont liées aux luttes entre les cartels de la drogue. Selon votre témoignage, toutefois, il semble que vous soyez d'avis que les groupes paramilitaires et la police y sont aussi mêlés.
    Est-ce bien cela?

  (1345)  

M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    Oui.
    Il y a des gens au sein du gouvernement qui sont aussi responsables des disparitions forcées, comme cela a été le cas pour les 43 étudiants d'Ayotzinapa. La police municipale était impliquée et le tout est documenté.
    À Tlatlaya, dans l'État de Mexico, des membres de l'armée ont tué des civils. Les autorités mexicaines l'ont reconnu. L'ombudsman national l'a dit.
    Ces faits sont bien documentés. C'est pourquoi le Comité des disparitions forcées a déclaré qu'il existe un contexte de disparitions dans différentes régions au Mexique. Ce n'est pas rien.
    Cela touche des êtres humains. Vous avez pu le constater lors du témoignage de Mme Hilda.
    Nous devons passer au prochain intervenant.
    Madame Grewal, c'est à votre tour.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, messieurs Neve, Olivares et Quevado d'être venus témoigner devant les membres du sous-comité.
    En février 2014, le Canada et le Mexique ont renouvelé leur plan d'action commun. Le plan d'action est prolongé pour une période pouvant aller jusqu'à près de trois ans et porte sur quatre grandes priorités: renforcer la viabilité et la compétitivité de nos économies, protéger nos citoyens, améliorer les liens entre les personnes et faire rayonner notre partenariat à l'échelle mondiale et dans la région.
    Monsieur Quevado, pendant votre détention avant le procès, avez-vous rencontré des gens qui se trouvaient dans une situation similaire à la vôtre?
M. Angel Amilcar Colon Quevedo (interprétation):
    Eh bien, il y avait parfois des familles entières en détention dans des prisons à sécurité maximale — mères, pères, enfants, grands-parents.
    Dans les prisons du Mexique, il est interdit d'aider un autre prisonnier. On vous punit ou on vous harcèle davantage si vous le faites. J'ai quand même essayé de le faire. J'ai recommandé diverses personnes au Centre Prodh, afin que cette organisation qui s'occupe des droits de la personne examine leur cas pour voir si elle pouvait les aider. En fait, certains ont été libérés avant moi.
    Je dois avouer que j'ai essayé de ne pas me faire trop d'amis en prison parce que j'ai un mode de vie très différent de la majorité de ceux qui s'y trouvent. Beaucoup de gens étaient innocents, mais il y en avait aussi qui étaient fiers des crimes qu'ils avaient commis. Nous savons toutefois que ceux qui n'ont pas commis de crime ne veulent pas être impliqués dans des activités criminelles.
    Messieurs Quevedo et Olivares, selon la presse, une enquête a été ouverte après que 42 personnes ont été tuées la semaine dernière dans un affrontement avec la police fédérale.
    Est-ce que les forces de sécurité agissent souvent ainsi?
M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    Dernièrement, malheureusement, c'est devenu la norme. Il n'est pas normal d'avoir des violations graves des droits de la personne comme des exécutions sommaires.
    Au Mexique, nous avons un indice des activités létales des forces armées qui est public. Dans la marine, lors d'un conflit, le rapport est de 34 civils pour un marin tué. Dans le cas du Sedena, le rapport est de 19 civils pour un membre de la force nationale de défense qui est tué.
    Les exécutions sommaires de civils sont devenues une nouvelle pratique au Mexique. À Tlatlaya, nous avons eu un exemple.
    Les organisations internationales qui défendent les droits de la personne, comme Human Rights Watch, ont réclamé une enquête indépendante sur les événements qui ont eu lieu dans le Michoacán. En attendant, on ne pourra pas savoir ce qui s'est réellement passé.

  (1350)  

    Monsieur Olivares, je crois comprendre que vous étiez l'avocat de M. Quevedo, et votre client a été remis en liberté...
    Madame Grewal, vous avez en fait dépassé vos quatre minutes.
    Nous allons passer au prochain intervenant, M. Eyking.
    Merci, monsieur le président.
    C'est un honneur pour moi d'agir comme remplaçant aujourd'hui, mais ce qu'on entend est bouleversant. Ce qu'a vécu M. Quevedo est bouleversant et émouvant.
    J'ai des amis et de la famille au Mexique, et j'y suis allé à maintes reprises. Ce dont j'ai entendu parler au sujet du système de justice, c'est qu'un policier accepte parfois un petit pot de vin pour fermer les yeux sur un excès de vitesse, des choses de ce genre, mais je n'ai jamais rien entendu de cette envergure.
    Vous parlez d'environ 25 000 personnes disparues, d'exécutions, de charniers. On se croirait presque en Argentine, il y a de nombreuses années, lorsque se sont produits des événements similaires. C'est ce qui se produit habituellement sous une dictature et lorsque les militaires sont au pouvoir. On peut comparer cela à la Syrie et à d'autres endroits comme celui-là.
    Qu'est-ce qui se passe? Vous avez une société démocratique au Mexique. Vous avez des dirigeants élus. Vous avez un président. Tout est en place. Est-ce que tout se résume au fait que le système de justice a été confié aux militaires?
    Mon autre question concerne le Guatemala. Les autorités ne peuvent-elles rien faire pour aider leurs ressortissants qui se trouvent dans un autre pays et qui sont traités de cette façon? Y a-t-il quelque chose à faire?
    Ma dernière question est la suivante: quel devrait être le message final des Canadiens à ces deux pays? Les deux pays sont concernés, et il y en a probablement d'autres en Amérique latine qui sont touchés par ce qui se passe.
M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
     Eh bien, le message est assurément de dire que le Mexique ne peut pas être considéré comme un pays démocratique qui respecte la primauté du droit quand un nombre aussi scandaleux de personnes voient leurs droits bafoués, quand la justice n'existe pas pour certains, et quand il n'y a pas d'enquête sur les agissements au sein de la chaîne de commandement. Les commandants au milieu et en haut de la chaîne sont à l'abri des enquêtes. Il n'y a pas de punition, même élémentaire, pour eux. Il n'est donc pas possible d'avoir accès à la justice.
    Quiconque a été victime du même type de crime qu'Amílcar ne peut rien faire. Il avait l'appui du Centre Prodh et d'Amnestie internationale comme prisonnier d'opinion, mais même à cela, il n'a pas pu avoir accès à la justice. Je pense que cela montre bien le genre d'obstacles qui existent au Mexique.
     Nous demandons au gouvernement du Canada de prendre acte de ce qui se passe, de voir la situation de ce point de vue — à partir d'ici — et de revoir ses programmes de coopération avec le Mexique pour s'assurer qu'il ne parraine pas des violations des droits de la personne. Il est important pour le gouvernement du Canada de revoir sa collaboration dans la lutte contre la drogue, car cette lutte donne lieu à des exécutions sommaires, à des disparitions forcées et à des actes de torture, comme dans le cas d'Ángel Amílcar.
    Si vous le permettez, j'aimerais résumer quelques recommandations que le gouvernement du Canada devrait faire siennes à notre avis.
    Premièrement, il est crucial, comme vous l'avez entendu à maintes reprises, que le gouvernement reconnaisse clairement et publiquement que le Mexique est aux prises avec une crise des droits de la personne.
    Deuxièmement, pour reprendre le commentaire de Luis, il faut revoir nos lois et nos programmes pour nous assurer de tout mettre en oeuvre pour protéger les droits de la personne et de ne pas fermer les yeux sur des violations, ou même y contribuer. Je souligne ici que nous trouvons toujours inquiétant de savoir que le Mexique est considéré comme un pays d'origine sûr dans notre système de protection des réfugiés, et je souligne également l'importance de revoir en permanence nos activités de coopération bilatérale, en particulier dans le secteur de la sécurité, pour veiller à ce que la protection des droits de la personne demeure une priorité et que tout fonctionne.
    Troisièmement, il est très important que le Canada, à Mexico et à Ottawa, parle régulièrement et s'occupe de cas comme celui d'Ángel Colón. Ángel ayant maintenant des liens étroits avec les Canadiens, nous espérons pouvoir compter sur le gouvernement pour faire avancer son dossier, celui de la justice.
    Enfin, il faut aussi, au-delà des cas individuels, que le Canada, en collaboration avec des groupes comme le Centre Prodh, se dote d'un programme de promotion des droits de la personne, dont nous sommes prêts à nous faire le chantre dans nos échanges avec le Mexique, pour mettre en place les réformes institutionnelles et juridiques nécessaires afin qu'il n'y ait plus de cas comme celui d'Ángel.

  (1355)  

    Nous avons dépassé le temps, malheureusement.
    Monsieur Sweet, c'est à votre tour.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Quevedo, nous compatissons beaucoup avec vous pour ce que vous avez enduré.
    Dites-nous comment s'appelait votre fils? Quel âge avait-il? De quel type de cancer souffrait-il et de quelle opération avait-il besoin? Où est-il enterré?
M. Angel Amilcar Colon Quevedo (interprétation):
    Mon fils s'appelait Ángel Elvir Colón Baltazar. Le cancer s'est d'abord attaqué à son dos, puis à ses poumons. Il a eu 12 séances de chimiothérapie et n'a pas survécu à la dernière. Il est décédé à l'hôpital et a été enterré à Choloma, au Honduras, près de San Pedro Sula. C'était mon fils aîné. Il est mort à l'âge de neuf ans.
    J'ai quatre fils. Je ne peux qu'imaginer ce que cela a dû être.
    La Commission interaméricaine des droits de l'homme était sur le terrain et travaillait pour votre avocat. Vous avez parlé de l'ombudsman, qui a bien expliqué la situation, et le rapporteur spécial des Nations unies s'est aussi fait clairement entendre. Quelle a été la réponse du gouvernement du Mexique, verbalement et concrètement, à ces institutions d'importance qui demandent que justice soit rendue?
M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    La réponse du Mexique a été de nier les faits en plus de ne prendre aucune mesure pour corriger la situation. Je parle ici de réformes parrainées par la société civile, et n'émanant pas précisément du gouvernement. Il n'y a donc pas eu vraiment d'enquête.
    Le pays n'a pas respecté la Convention d'Istanbul, un outil très utile pour évaluer la torture. On fait ainsi obstacle à toute enquête pour éviter de traduire en justice les responsables de la torture. La défense nationale refuse de fournir tout renseignement sur les personnes détenues dans les centres militaires, comme cela a été le cas pour Ángel Amílcar, et comme c'est le cas pour bien d'autres. Le secrétariat de la marine refuse de produire une liste des détenus. Les violations des droits de la personne, en particulier la torture, peuvent donc se poursuivre.
    Ce sont ces agissements du gouvernement du Mexique que nous voulons dénoncer.

  (1400)  

    Merci.
    Nous passons au dernier intervenant. Monsieur Benskin, allez-y s'il vous plaît.
    Permettez-moi de vous offrir à mon tour mes condoléances pour les êtres que vous avez perdus et pour vos souffrances, et aussi de vous féliciter de votre courage et votre bravoure en venant témoigner de ce que vous avez vécu. Un des grands avantages du comité, c'est de permettre à des gens comme vous de lever le voile sur les pratiques les plus ignobles que le monde connaisse. Si nous pouvons faire cela à tout le moins, vous pourrez partir d'ici, je l'espère, avec le sentiment d'avoir fait avancer les choses.
    Cela étant dit, j'aimerais poser une question à M. Neve ou M. Olivares. J'ai de la difficulté, comme toute personne saine d'esprit je crois, à comprendre simplement les raisons qui motivent la plupart de ces actions. Derrière la plupart des témoignages que nous entendons, il y a une motivation politique. C'est le cas du dictateur qui tente de s'accrocher au pouvoir, par exemple. J'ai beaucoup de difficulté à comprendre ce que l'on tente d'accomplir par ce prétexte de guerre contre la drogue, par cette mobilisation militaire massive, par la disparition de citoyens, de ces 43 élèves.
    Si vous pouviez m'éclairer sur ce point, je vous en serais très reconnaissant.
M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    Le problème pour nous est que cela est cyclique. Comme je l'ai mentionné, il y a des actes de violence criminelle, et l'État réagit avec violence contre les criminels. Ensuite, lorsqu'un crime est commis, l'État réagit en commettant elle aussi un crime.
    Un des éléments qu'il faut prendre en considération, c'est la collusion entre le crime organisé et l'État. Il est parfois impossible de faire la distinction entre les institutions de l'État et les niveaux de collusion. Dans le cas des 43 élèves à Ayotzinapa, l'État dit que c'est le crime organisé qui est responsable, mais dans les faits, c'était la police; et même pire, c'étaient les autorités fédérales. Un an avant les événements d'Ayotzinapa, elles étaient déjà au courant, à la suite d'une enquête fédérale, de la collusion entre le président d'Iguala et le crime organisé.
    La corruption, bien sûr, est un autre problème du gouvernement du Mexique qui l'empêche de donner suite aux violations des droits de la personne. C'est un mal qui provoque ces violations. Il faut que la justice s'occupe de ces disparitions, et ce que nous avons, c'est plus de violations des droits de la personne et plus de crimes.
    C'est le cercle de violence dans lequel nous nous trouvons.
    Je vais vous nommer six facteurs. Premier facteur, la corruption, deuxième, l'impunité, troisième, les failles structurelles et légales au Mexique, quatrième, la pression du public, cinquième, une pression internationale du mauvais genre pour « Lutter contre la drogue, maintenant », et sixième, dans la foulée du témoignage d'Ángel, le racisme et la discrimination. Je pense qu'on a affaire dans une certaine mesure à une combinaison toxique de ces facteurs. Nous sommes tous conscients que nous cherchons à trouver une explication, à comprendre ce qui se passe, par nos questions, et je pense que ces facteurs nous donnent un peu la réponse. Toutefois, au bout du compte, il n'y a pas vraiment de réponse parce qu'il ne devrait pas y en avoir à ce genre de question.
    Je suis entièrement d'accord. Je ne suis pas un expert, mais je dirais que quand on entend parler de ce genre de situations, de disparitions, sous une dictature, on comprend que le gouvernement veut se débarrasser des personnes qui ont une opinion dissidente. J'essaie de comprendre, par exemple, les motifs derrière la disparition des 42 élèves. Le but était-il de provoquer la peur au sein de la communauté? Cherchait-on quelqu'un de précis au sein du groupe et a-t-on amené les autres comme témoins? C'est la logique bizarre que j'essaie de comprendre.

  (1405)  

M. Luis Eliud Tapia Olivares (interprétation):
    Je pense qu'il faudrait poser la question aux autorités mexicaines. Les étudiants étaient des agents de changement. Ils représentaient une école rurale — en d'autres mots, ils avaient l'occasion d'étudier et de dénoncer ce qui se passe au Mexique. Deux ans auparavant, deux étudiants avaient été tués à Ayotzinapa. Ils ont été assassinés par des agents fédéraux. Cela porte à croire qu'il y avait des activités de répression dans la région. Il n'y a pas que la torture et les disparitions qui doivent faire l'objet d'une enquête. D'autres éléments doivent faire l'objet d'une enquête lors des protestations sociales au Mexique. En fait, il faudrait une autre rencontre pour discuter uniquement de la répression des protestations sociales et de la liberté d'expression au Mexique aujourd'hui.
    Merci.
    Merci, monsieur Benskin.
    Je remercie tous nos témoins de leur présence aujourd'hui.
    Nous sommes reconnaissants à Alex Neve de nous avoir contactés et d'avoir porté, encore une fois, un sujet très important à notre attention.
    Nous sommes reconnaissants aussi, bien sûr, à nos deux témoins qui sont venus du Mexique et qui font preuve de courage et de détermination dans ce dossier très important. Nous vous en remercions sincèrement.
    Chers collègues, la séance est levée.
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