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TRAN Rapport du Comité

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LA SÉCURITÉ FERROVIAIRE ET LES IMPACTS DES OPÉRATIONS DES CHEMINS DE FERS SUR LES COMMUNAUTÉS ENVIRONNANTES DANS LESQUELLES ILS OPÈRENT

Introduction

Le réseau ferroviaire du Canada, qui s’étend au total sur plus de 40 000 kilomètres, est le troisième du monde en importance[1]. Le transport ferroviaire de marchandises joue aussi un rôle de premier plan dans l’économie du pays[2].

Huit ans après le désastre de Lac‑Mégantic[3], dans lequel 47 personnes ont perdu la vie, le volume de marchandises transportées par voie ferroviaire continue d’augmenter. Ceci suscite des craintes concernant une hausse possible du nombre – bien que pas nécessairement du taux – d’accidents[4]. Les données pour 2021 indiquent une augmentation des accidents ferroviaires (1038) et des pertes de vie dues à des accidents ferroviaires (60) par rapport à 2020, mais une diminution par rapport à la moyenne des quinquennale[5]. Un exemple récent spécifique est le déraillement tragique survenu près de Field, en Colombie‑Britannique, qui a coûté la vie aux trois membres de l’équipe le 4 février 2019[6].

C’est dans ce contexte que, le 25 février 2021, la vérificatrice générale du Canada, Mme Karen Hogan, a déposé à la Chambre des communes un rapport intitulé Rapport 5 – Audit de suivi sur la sécurité ferroviaire — Transports Canada (audit de suivi).

Le 9 mars 2021, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes (le Comité) a adopté la motion suivante :

Que le Comité tient au moins une réunion pour étudier la vérification du suivi de la sécurité ferroviaire, que le vérificateur général du Canada soit invité à apparaître pendant la première heure, que le ministre des Transports soit invité pour la deuxième heure et que cette réunion ait lieu au plus tard le 25 mars 2021.

Le 13 avril 2021, le Comité a tenu une réunion sur la question, au cours de laquelle il a entendu six témoins. Le 27 avril 2021, il a adopté la motion suivante afin de poursuivre l’étude et d’en élargir la portée :

Que, à la lumière des nombreuses catastrophes ferroviaires qui se sont produites depuis la dernière étude réalisée sur le sujet en 2016 par le Comité sur la sécurité ferroviaire et compte tenu de l’accroissement prévu du volume de marchandises dangereuses traversant certaines régions du Canada, le Comité s’engage à réaliser une étude de suivi sur la sécurité ferroviaire qui portera notamment sur le transport des marchandises dangereuses, la capacité et l’efficacité de l’intervention en cas d’urgence, ainsi que les conditions de travail des ouvriers du secteur; que l’étude cible des mesures pouvant être prises par le gouvernement fédéral pour améliorer la sécurité ferroviaire; qu’il tienne compte des impacts sur les communautés environnantes dans lesquelles ils opèrent; que les témoignages et les documents recueillis par le Comité durant son étude sur la vérification de suivi de la sécurité ferroviaire soient pris en considération dans cette étude; et que l’étude se termine en quatre réunions ou moins.

Le Comité a ainsi tenu deux autres réunions sur le sujet, les 15 et 17 juin 2021, lors desquelles il a entendu 17 témoins. Il a également reçu trois mémoires.

Le Parlement ayant par la suite été dissous, le Comité a voté de continuer son étude sur la sécurité ferroviaire portant notamment sur le transport des marchandises dangereuses, la capacité et l’efficacité de l’intervention en cas d’urgence, ainsi que les conditions de travail des ouvriers du secteur; ciblant des mesures pouvant être prises par le gouvernement fédéral pour améliorer la sécurité ferroviaire, et tenant compte des impacts sur les communautés environnantes dans lesquelles opèrent les chemins de fer. À cet effet, la motion ci-dessous a été adoptée le 31 janvier 2022 :

Que le Comité reprenne son étude sur la sécurité ferroviaire depuis la 43e législature, que les témoignages et la documentation reçus par le comité lors de la deuxième session de la 43e législature sur le sujet soient pris en considération par le comité à la présente session; et que l’étude se termine après deux autres réunions de témoignages.

Le Comité a tenu deux réunions sur la question, les 10 février et 3 mars 2022, et a alors entendu 11 témoins. Il a aussi reçu deux mémoires.

Surveillance réglementaire

L’audit de Mme Hogan a mis en lumière deux grandes lacunes dans les activités de surveillance de Transports Canada. Selon elle, ces lacunes exigent une attention immédiate. Les deux concernent l’incapacité de Transports Canada de mesurer, d’une part, l’efficacité des systèmes de gestion de la sécurité (SGS) des compagnies de chemin de fer et, d’autre part, l’efficacité de ses propres activités de surveillance. Comme l’a fait remarquer Kathleen Fox, présidente du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST), la gestion de la sécurité et la surveillance réglementaire font aussi partie des sujets de préoccupation soulevés dans la Liste de surveillance 2020 du BST.

Pour ce qui est de la deuxième lacune, Dawn Campbell, directrice principale au Bureau de la vérificatrice générale, a montré combien il était important pour Transports Canada de mesurer l’efficacité de ses activités de surveillance en donnant l’exemple suivant :

[S]i les taux de conformité s’améliorent, mais pas les taux d’accidents, cela pourrait indiquer que le ministère doit revenir sur place et déterminer s’il s’intéresse aux bons secteurs ou trouver quelle est la nature exacte du problème.

Mme Hogan a expliqué que les problèmes mis en lumière par son bureau ne concernent pas la collecte des données proprement dite, mais plutôt l’utilisation de ces données pour éclairer la planification axée sur les risques. M. Brazeau a dit au Comité que l’Association des chemins de fer du Canada communique constamment avec le BST et Transports Canada pour discuter de la méthodologie de collecte des données.

Systèmes de gestion de la sécurité

La Liste de surveillance 2020 : Gestion de la sécurité du BST définit les SGS comme des « cadres reconnus à l’échelle internationale qui permettent aux entreprises de cerner les dangers, de gérer les risques et d’améliorer la sécurité de leurs activités, idéalement avant que ne survienne un accident ». Pour sa part, Mme Hogan a décrit le SGS comme « un cadre qui permet de réfléchir en termes de sécurité ». Mme Fox a appuyé cette description; pour elle, il faut que le SGS « imprègne les activités et les mentalités ». Elle a toutefois ajouté que la culture de sécurité est cruciale, mais qu’elle ne peut pas soutenir à elle seule un SGS efficace.

Pour sa part, Teresa Eschuk, vice‑présidente nationale de l’Union canadienne des employés des transports, voit dans les SGS une forme d’autoréglementation. Bruce Campbell, professeur associé à la faculté des changements environnementaux et urbains de l’Université York et auteur de The Lac-Mégantic Rail Disaster: Public Betrayal Justice Denied, a exprimé un point de vue similaire : pour lui, le SGS est « un mécanisme permettant au gouvernement de se protéger et de jeter la responsabilité sur d’autres ». À son avis, cela s’explique par le fait que la réglementation normative a été délaissée au profit des SGS, sans que des ressources supplémentaires en matière de réglementations soient fournies. De plus, le nombre d’inspections sur place non annoncées a diminué. Selon Bruce Campbell, ces mesures ont accordé aux compagnies de chemin de fer « une marge de manœuvre accrue dans la gestion de leurs activités ».

L’audit de suivi de la vérificatrice générale et la Liste de surveillance du BST ont tous deux constaté que Transports Canada exige aux compagnies de chemin de fer qu’elles appliquent des SGS, mais que le Ministère ne mesure pas l’efficacité de ces systèmes dans l’amélioration de la sécurité ferroviaire dans les opérations quotidiennes[7]. L’audit de suivi comprend une liste de recommandations présentées depuis 2007 par plusieurs intervenants, dont le Comité, selon laquelle Transports Canada devrait mesurer l’efficacité des SGS[8]. À propos de cette liste, Mme Hogan a dit au Comité qu’elle était « découragée de voir que Transports Canada n’a pas pris de mesures en réponse à nos recommandations émises il y a huit ans ».

Les représentants de Transports Canada ont expliqué au Comité que, dans les dernières années, le Ministère s’était concentré sur la formation et la sensibilisation des compagnies de chemin de fer concernant les nouvelles règles et exigences liées aux SGS, et sur le parachèvement des audits de toutes les compagnies de chemin de fer sous réglementation fédérale exploitées au Canada, ce qui a été fait en 2020[9]. Michael DeJong, directeur général de la Sécurité ferroviaire au ministère des Transports, a ajouté qu’un cadre de travail avait été créé pour conduire des audits de l’efficacité conformément aux recommandations de la vérificatrice générale, et que ces audits devaient commencer en septembre 2021. Mme Fox a confirmé qu’elle savait que Transports Canada avait indiqué avoir entrepris la tenue de ces audits.

Mme Eschuk a estimé que les SGS peuvent s’avérer utiles pour les inspecteurs si elles servent à ajouter un niveau de sécurité; ils ne peuvent toutefois pas remplacer les inspections. Selon elle, les inspections aléatoires et non annoncées peuvent garantir que les compagnies de chemin de fer respectent la réglementation, tandis que « les audits ne font que révéler ce qui n’a pas fonctionné ». Mike Martin, conseiller en politiques avec l’Union canadienne des employés des transports, a ajouté que les inspecteurs devraient être spécialistes en un seul mode de transport, pour éviter « une dilution de l’expertise ». Mme Hogan a aussi recommandé de procéder à des inspections aléatoires, lesquelles feraient partie à son avis d’une plus vaste stratégie comprenant également les audits des SGS et les inspections réactives.

L’industrie a aussi exprimé son point de vue sur le sujet. Kyle Mulligan, ingénieur en chef au Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), a dit au Comité que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le CP utilisent tous deux de nouvelles technologies pour améliorer leurs processus d’inspection, ce qui permet de réaliser des inspections « dynamiques, sur le train en mouvement et axées sur le rendement » plutôt que les « traditionnelles inspections visuelles statiques sur les trains immobilisés ». Tom Brown, vice‑président adjoint sécurité au CN, a parlé quant à lui des nouvelles technologies déployées, comme le « système autonome d’inspection des voies » du CN et les « portails d’inspection automatisés » qui, de concert avec des algorithmes fondés sur des analyses prédictives, peuvent aider à améliorer la planification de l’entretien des trains et des voies ferrées.

Bruce Campbell a exprimé de sérieuses craintes concernant les défauts de rail, problème que Robert Bellefleur, porte‑parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic, a attribué à une usure prématurée des rails, causée par « des trains beaucoup plus longs, plus lourds et beaucoup plus rapides ».

Évaluation des risques

Comme M. McCrorie l’a souligné au Comité, les compagnies de chemin de fer sont tenues d’évaluer les risques de leurs opérations, notamment ceux qui transportent des marchandises dangereuses. Chris J. Apps, directeur du Service des terres et des ressources de Kitselas pour la Première nation de Kitselas, s’est cependant dit insatisfait du processus de consultation qui accompagne ces évaluations. Il a expliqué que la Première nation de Kitselas avait été informée qu’elle pourrait participer à l’évaluation d’un itinéraire clé, mais elle n’a finalement été autorisée qu’à présenter une soumission contenant un maximum de 500 caractères, à laquelle elle n’a même pas eu de réponse. M. Apps a ajouté que, compte tenu de l’intensification du trafic ferroviaire, la Première nation de Kitselas jugeait nécessaire de mener sa propre évaluation de la sécurité[10].

Mme Hogan a indiqué que les évaluations des risques devraient suivre une procédure standard, tout en étant adaptées à chaque région, afin de tenir compte de son « caractère unique ». En effet, il y a au Canada « différentes géographies, différentes températures, […] s’il y a de plus grands tronçons de voies ferrées qui traversent des collectivités par opposition à des zones moins peuplées ». Dans la même veine, Dawn Remington, présidente de l’organisation Friends of Morice‑Bulkley, a transmis une demande au ministre des Transports faite par des administrations locales qui souhaitent « une évaluation indépendante et publique des risques liés à la circulation de matières dangereuses sur la ligne ferroviaire du nord de la Colombie‑Britannique ».

Services de police des chemins de fer

Comme le Comité l’a appris de Lyndon Isaak, président de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, l’article 44 de la Loi sur la sécurité ferroviaire prévoit la nomination d’agents de police spécialisés appelés à fournir des services sur les propriétés ferroviaires et à moins de 500 mètres de « biens que la compagnie de chemins de fer administre ou possède ou dont elle est propriétaire ». M. Isaak a fait valoir que les enquêtes sur les accidents ferroviaires menées par le service de police de la compagnie concernée constituent un conflit d’intérêts préoccupant; il a mentionné par exemple l’enquête récente sur le déraillement mortel de Field Hill, survenu près de Field, en Colombie‑Britannique. Il a recommandé que l’article 44 soit modifié de façon à « restreindre ou [à] modifier la compétence et le pouvoir de ces corps de police ».

Marc Brazeau, président‑directeur général de l’Association des chemins de fer du Canada, s’est dit d’avis que les services de police des chemins de fer reçoivent la même formation que d’autres services de police, avec qui ils collaborent étroitement, mais qu’ils connaissent bien tout ce qui touche les chemins de fer. Il a maintenu que ces services sont capables de s’occuper plus rapidement des incidents liés aux intrusions, car ils travaillent sur place.

Pour sa part, Mme Fox a souligné la différence entre une enquête du BST et une enquête criminelle de la police. Elle a dit au Comité que le BST ne joue pas – et, à son avis, ne devrait pas jouer – de rôle dans la détermination de la responsabilité civile ou criminelle, car il serait alors plus difficile pour les enquêteurs d’obtenir la confiance et la coopération des parties concernées et de recevoir des renseignements fiables.

Transport de marchandises dangereuses

Plusieurs témoins[11] ont mentionné des données montrant une diminution encourageante du nombre d’accidents de train au Canada. Gregory Kolz, directeur des Relations gouvernementales à l’Association des chemins de fer du Canada, a notamment déclaré que le réseau ferroviaire du Canada est « le plus sûr de l’Amérique du Nord et se classe dans le palmarès des réseaux les plus sûrs du monde ». Cela dit, bon nombre d’autres intervenants[12] ont exprimé des craintes à propos du fait que des collectivités sont traversées par des trains transportant des marchandises dangereuses. Le Comité a appris que les petites municipalités, tout particulièrement, n’ont simplement pas les ressources requises pour intervenir en cas de catastrophe ferroviaire, et qu’elles dépendent souvent de services de pompiers volontaires[13].

Certains représentants municipaux ont parlé tout particulièrement au Comité du combat qu’ils menaient pour être avertis par les compagnies de chemin de fer avant que des marchandises dangereuses traversent leur collectivité. Ils ont indiqué que le processus est extrêmement complexe, et que l’avis était souvent reçu après le passage du train – dans les cas où un avis était donné[14]. M. Thiessen a dit que sa collectivité avait proposé au CN de présenter un manifeste de cargaison à toutes les municipalités traversées par un train pour que celles‑ci puissent s’assurer que les services de pompiers, et notamment les pompiers volontaires, sont capables de repérer les problèmes potentiels à l’avance. Il a indiqué qu’il n’y avait « pas eu vraiment » de réponse du CN à la proposition.

En réponse à ces préoccupations, M. Kolz a dit au Comité que les municipalités sont en fait avisées du transport ferroviaire de marchandises dangereuses sur leur territoire pour qu’elles puissent plus facilement former du personnel et préparer des plans d’intervention en cas d’urgence. M. Brazeau a précisé que les premiers répondants peuvent s’informer sur le passage de marchandises dangereuses grâce à l’application mobile AskRail. Cependant, en raison de préoccupations en matière de sécurité liées à la confidentialité de ces informations, il a expliqué que l’application était réservée uniquement aux premiers répondants qui ont suivi une formation offerte par TRANSCAER. Cette formation est gratuite et organisée par l’Association des chemins de fer du Canada et l’Association canadienne de l’industrie de la chimie. M. Brown a aussi indiqué que, en plus d’offrir de la formation aux premiers répondants dans certains domaines, le CN conserve de l’équipement d’intervention d’urgence à différents endroits dans le cas « peu probable » d’un déraillement de marchandises dangereuses. Il a ajouté toutefois que la compagnie n’a pas de délai de réponse maximal en cas d’incident majeur impliquant des marchandises dangereuses.

Wagons-citernes DOT-111 et accident de Lac-Mégantic

À la suite de la tragédie de Lac‑Mégantic, le BST a déterminé que les wagons‑citernes DOT‑111 n’étaient pas assez résistants aux collisions[15]. Benoit Turcotte, directeur général du Transport des marchandises dangereuses au ministère des Transports, a dit au Comité que le calendrier d’élimination progressive des wagons‑citernes DOT‑111 était fondé sur le risque et sur les volumes de marchandises dangereuses transportées. Le pétrole brut n’est plus transporté dans des wagons‑citernes DOT‑111 depuis 2016, et le retrait de ce type de wagon pour le transport des autres liquides inflammables entrera en vigueur d’ici 2025.

Isabelle Bleau, conseillère municipale à la Ville de Boucherville et membre du Comité ferroviaire de Boucherville, a toutefois dit craindre que, tant que le processus de retrait ne sera pas terminé en 2025, « ces wagons pourraient [...] continuer de transporter du pétrole raffiné ou toute autre matière dangereuse à travers nos villes ». Elle a ajouté que « le transport de pétrole lourd et de matières dangereuses à travers nos zones urbaines densément peuplées continuera de présenter des risques ».

M. McCrorie a dit au Comité que Transports Canada avait donné suite à la plupart des recommandations présentées dans la foulée de l’accident de Lac‑Mégantic, et que le Ministère continuait de travailler sur les autres. En réponse à une question sur le délai constaté pour donner suite aux recommandations, il a indiqué que le Ministère avait établi des priorités.

Par ailleurs, Bruce Campbell s’est dit troublé qu’aucune enquête publique indépendante n’ait eu lieu dans le dossier de Lac‑Mégantic. M. Bellefleur a abondé dans le même sens : pour lui, le fait qu’il n’y ait eu aucune enquête « a empêché les gens de faire leur deuil » à la suite de la tragédie, qui est « une grande plaie ouverte ». M. Campbell a ajouté que, à son avis, « le refus persistant du CP de reconnaître son rôle dans la catastrophe est inexcusable, mais pas surprenant ».

Plans d’intervention d’urgence

M. McCrorie a signalé que Transports Canada oblige les compagnies de chemin de fer à maintenir un plan d’intervention d’urgence (PIU) « décrivant les capacités d’intervention, y compris le personnel et l’équipement spécialisés nécessaires pour intervenir en cas d’accident mettant en cause des marchandises dangereuses ». Il a dit que les PIU s’inscrivent dans le cadre de la stratégie globale de « mise en place des couches de protection » de Transports Canada, et qu’ils imposent aux compagnies « la responsabilité de mettre en place des procédures afin d’avoir la capacité d’intervenir en cas d’accident ».

M. Turcotte a observé que les PIU ne sont pas publics, mais qu’ils sont examinés dans le cadre du Programme de transport des marchandises dangereuses de Transports Canada, qui prévoit un « processus d’examen, de confirmation et de vérification très minutieux ». Par contre, Chad McPherson, ingénieur de locomotive pour la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, a expliqué au Comité que les procédures des PIU sont souvent « simplement renouvelées chaque année, sans que l’on accorde beaucoup d’attention aux exercices de simulation ou aux pratiques visant à préparer les employés et le public à une situation d’urgence qui pourrait nécessiter une évacuation ».

Impact sur les collectivités

De nombreux témoins ont parlé des interactions entre les compagnies de chemin de fer et les collectivités touchées par leurs activités. Pour Gian-Carlo Carra, conseiller municipal à la Ville de Calgary, la relation entre les deux « est fondée sur un conflit inutile ».

M. Brazeau a mentionné la collaboration avec les municipalités et les responsables du développement urbain, tandis que M. Kolz a souligné l’importance d’une approche collaborative, « mise en évidence par l’initiative sur la proximité, le fruit du partenariat entre [l’Association des chemins de fer du Canada] et la Fédération canadienne des municipalités ». Dans la même veine, Vince Gagner, directeur général de la Bluewater Association for Safety, Environment and Sustainability, a aussi parlé d’un modèle fondé sur la consultation qui est utilisé à Sarnia, en Ontario, et qui a profité de discussions avec des Premières Nations en ce qui concerne le traitement de plaintes déposées par les collectivités. Cela dit, M. Gagner a précisé que cette « approche holistique de la gestion du risque » n’est pas très répandue. M. Apps a décrit la relation entre sa collectivité et les compagnies de chemin de fer en disant que ces dernières multipliaient les « tergiversations ».

Les plaintes à l’encontre des compagnies de chemin de fer, particulièrement en ce qui a trait au bruit et aux vibrations, peuvent être déposées auprès de l’Office des transports du Canada (OTC), qui assure la tenue d’un dialogue et aide si nécessaire à trouver une solution, notamment par la médiation[16]. Le processus peut se conclure par une ordonnance exécutoire de l’OTC[17]. Tom Oommen, dirigeant principal de la conformité à l’OTC, a aussi confirmé au Comité que l’OTC fait le suivi des plaintes déposées et veille à ce que la compagnie concernée respecte toute entente ou ordonnance. Si le problème persiste, Transports Canada dispose de « mécanismes d’application graduelle de la loi[18] ».

M. Oommen a fourni l'exemple suivant à des fins de clarification :

Il y a eu un cas, par exemple, où une gare de triage effectuait des opérations de chargement et d'aiguillage tard le soir. L'office a entendu la plainte et a ordonné qu'aucune autre opération de ce genre ne se déroule la nuit. Ces opérations ne devaient avoir lieu que pendant la journée. Il s'agit d'une ordonnance exécutoire de l'office.

Jonathan LePera, membre du groupe Port Robinson Proud, est passé par le processus de règlement des différends de l’OTC, et il s’est dit mécontent de son expérience. Il a dit qu’aucun correctif n’avait été apporté après deux séances de médiation, et qu’il n’a jamais été question de confier le dossier à un niveau supérieur.

M. Carra a dit du système utilisé actuellement par les compagnies de chemin de fer et les municipalités qu’il est « axé sur les conflits », et il a proposé de créer « un nouveau cadre qui comprenne le rôle essentiel que les deux parties jouent dans la réussite l’une de l’autre ». Michel Bourdeau, maire de la Municipalité de Terrasse-Vaudreuil, a convenu que le cadre législatif devrait forcer les compagnies de chemin de fer à coopérer avec les municipalités, tandis que M. Apps a insisté sur l’importance de trouver l’équilibre entre les avantages qu’une collectivité tire du développement industriel et le besoin d’assurer la sécurité, vu l’augmentation du trafic ferroviaire.

Mme Bleau a indiqué au Comité que sa municipalité, Boucherville, avait demandé sa propre étude de faisabilité afin de déterminer s’il était possible de réaménager la voie ferrée pour qu’elle contourne le secteur urbain. Elle croit que le gouvernement fédéral devrait aider à payer les études de faisabilité de ce genre, une idée qu’appuie M. Bourdeau.

Passages à niveau

La question des passages à niveau a été soulevée à maintes reprises pendant l’étude. C’est une question particulièrement controversée, compte tenu surtout de la longueur des trains. M. McPherson a donné l’exemple d’un convoi qui bloque plusieurs passages à niveau en même temps à Regina, en Saskatchewan :

[U]n train d’environ 9 600 pieds, ou de 2,9 kilomètres, doit s’arrêter et orienter l’aiguillage manuellement. Ce faisant, le train occupe 11 passages à niveau. Le blocage va de la Ring Road en passant par la rue Winnipeg jusqu’au centre‑ville de Regina. Bon nombre de ces passages à niveau croisent des routes principales sur lesquelles la circulation automobile est importante. Il y a également une cour d’école avec un passage pour piétons dans le secteur qui est bloqué pendant une longue période au cours de ce processus.

Terry Ugulini, maire de la Ville de Thorold, et M. Bourdeau ont dit au Comité que des situations semblables se produisent dans leurs collectivités respectives, et qu’elles sont de grandes sources de stress. Selon ce qu’a indiqué M. Bourdeau, les automobilistes de Terrasse-Vaudreuil doivent partir de la maison plus tôt pour éviter d’être coincés aux passages à niveau; certains, pour faire un détour, roulent rapidement dans les petites rues et ne font pas leurs arrêts. Cliff Penn, membre de Port Robinson Proud, a dit craindre que le blocage des passages à niveau allonge le délai d’intervention des premiers répondants. En fait, certains témoins ont fait part des défis particuliers que posent les passages à niveau bloqués dans la petite communauté de Port Robinson, en Ontario[19].

Mme Fox a confirmé que des améliorations importantes avaient été apportées aux règlements et aux normes sur les passages à niveau en 2014, et que le BST n’avait donc plus de recommandations en attente à ce sujet. Elle a indiqué cependant que le temps qu’un train peut occuper un passage à niveau fait présentement l’objet d’une enquête.

Par ailleurs, des témoins ont mentionné l'Opération Gareautrain, un organisme national sans but lucratif financé par Transports Canada et l'Association des chemins de fer du Canada, qui accroît la sensibilisation publique à l’égard de la sécurité ferroviaire, l’objectif étant d’empêcher les décès liés aux passages à niveau et aux « intrusions[20] ». M. Bourdeau n’a toutefois pas une très haute opinion du programme, qui se résume, selon lui, à un événement annuel où les « gens viennent un matin et distribuent des brochures portant sur la sécurité des voyageurs ».

Conditions de travail

En ce qui concerne les conditions de travail, la question qui a été soulevée le plus souvent durant l’étude est la gestion de la fatigue. Comme Bruce Campbell l’a rappelé au Comité, la fatigue liée au sommeil a été reconnue comme un facteur contributif ou de risque dans 31 enquêtes ferroviaires depuis 1994, et la gestion de la fatigue fait régulièrement partie de la Liste de surveillance du BST depuis 2016. Pour lui, il s’agit d’un « risque majeur pour la sécurité qui n'est toujours pas réglé », car les « sociétés ferroviaires continuent de s'opposer à la mise en place de pratiques de gestion de la fatigue fondées sur la science ».

En novembre 2020, soit après la publication de la Liste de surveillance 2020 du BST, de nouvelles règles relatives au temps de travail sont entrées en vigueur. Ces règles visent à régler la question de la gestion de la fatigue chez les travailleurs du secteur ferroviaire. Mme Fox a dit au Comité qu’il faudra sans doute attendre avant de pouvoir juger pleinement de l’impact des nouvelles règles, et que le BST continuera de considérer la fatigue comme « un facteur de risque causal ou contributif possible » dans les enquêtes. M. McPherson a convenu que les nouvelles règles constituent une amélioration importante, mais il a ajouté qu’il reste beaucoup de travail à faire, notamment en ce qui concerne l’exactitude de la liste d’horaire des trains. Il a expliqué que, en raison des inexactitudes dans l’horaire des trains, il arrive que des travailleurs doivent se tenir prêts pendant des heures à entrer au travail – ce qui les empêche de se reposer suffisamment – avant même de commencer leur quart de douze heures.

De son côté, M. Isaak a jugé insuffisants les projets de plans de gestion de la fatigue présentés par le CN et le CP, particulièrement en ce qui a trait à l’impact des « déplacements haut le pied[21] » sur la période maximale de service et le préavis donné relativement aux horaires de travail. Il a ajouté que de nombreuses installations de repos utilisées par les chemins de fer sont « terriblement inadaptées pour offrir un repos significatif », et a recommandé que ces installations soient régies par des normes fédérales distinctes.

Il a aussi été question, pendant l’étude, de l’adoption de mesures de protection supplémentaires pour les dénonciateurs. Selon Mme Eschuk, ces mesures devraient être inscrites dans la loi et défendues par un nouveau bureau indépendant. Bruce Campbell a rappelé au Comité qu’il a déjà recommandé[22] à Transports Canada de se pencher sur la protection accordée aux dénonciateurs afin de déterminer si le SGS offrait le cadre indiqué. À son avis, il croit que, « [m]anifestement, ce n'est pas un cadre adéquat ». En effet, il a signalé que dans un classement établi en 2021 sur l'efficacité des cadres de protection des dénonciateurs de 37 pays, le Canada était à égalité au dernier rang[23].

Conclusion

Au cours de son étude, le Comité a appris que des améliorations importantes avaient été apportées à la sécurité ferroviaire au Canada depuis la tragédie de Lac‑Mégantic. Il est toutefois évident, selon les témoignages entendus, qu’il reste beaucoup de travail à faire, particulièrement en ce qui concerne l’évaluation de l’efficacité des SGS et des activités de surveillance de Transports Canada, ainsi que la relation entre les compagnies de chemin de fer et les municipalités et propriétés avoisinantes, de même que les communautés autochtones traversées par des trains transportant des marchandises dangereuses.


[1]              Transports Canada, Sécurité ferroviaire au Canada.

[2]              Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport 5 – Audit de suivi sur la sécurité ferroviaire — Transports Canada, 2021 (BVG, Audit de suivi), par. 5.1-5.2.

[3]              Bureau de la sécurité des transports du Canada, Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R13D0054, 6 juillet 2013.

[4]              BVG, Audit de suivi, par. 5.3.

[5]              Bureau de la sécurité des transports du Canada, Communiqué, 25 février 2022.

[6]              Bureau de la sécurité des transports du Canada, Enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19C0015, 31 mars 2022.

[7]              Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités (TRAN), Témoignages, 44législature, 1re session : Kathleen Fox, présidente, Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST); Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, Bureau du vérificateur général (BVG).

[8]              BVG, Audit de suivi, pièce 5.5.

[9]              TRAN, Témoignages : Michael DeJong, directeur général, Sécurité ferroviaire, ministère des Transports (ministère des Transports); Aaron McCrorie, sous‑ministre adjoint associé, Sécurité et sûreté, ministère des Transports (ministère des Transports).

[10]            Première nation Kitselas (mémoire).

[11]            TRAN, Témoignages : Marc Brazeau, président‑directeur général, Association des chemins de fer du Canada (ACFC); Fox (BST), McCrorie (ministère des Transports).

[12]            TRAN, Témoignages : Isabelle Bleau, conseillère municipale, Ville de Boucherville, Comité ferroviaire de Boucherville (Boucherville); Michel Bourdeau, maire, Municipalité de Terrasse‑Vaudreuil (Terrasse‑Vaudreuil); Dawn Remington, présidente, Friends of Morice‑Buckley (Friends of Morice‑Buckley); Gerry Thiessen, président, Regional District of Buckley‑Nechako (Buckley‑Nechako); June Wolfrath, membre, Port Robinson Proud.

[13]            TRAN, Témoignages : Bourdeau (Terrasse‑Vaudreuil); Remington, (Friends of Morice‑Buckley); Thiessen, (Buckley‑Nechako).

[14]            TRAN, Témoignages : Bleau (Boucherville); Bourdeau (Terrasse‑Vaudreuil); Benoit Turcotte, directeur général, Transport des marchandises dangereuses, ministère des Transports (ministère des Transports).

[15]            Bureau de la sécurité des transports du Canada, Réévaluation de la réponse à la recommandation R14-01 du BST.

[16]            TRAN, Témoignages : Tom Oommen, dirigeant principal, Conformité, Office des transports du Canada (OTC).

[17]            TRAN, Témoignages : Oommen (OTC).

[18]            TRAN, Témoignages : DeJong (ministère des Transports).

[19]            TRAN, Témoignages : Jonathan LePera, membre, Port Robinson Proud; Cliff Penn, membre, Port Robinson Proud; et Terry Ugulini, Maire, Ville de Thorold.

[20]            TRAN, Témoignages : Brazeau (ACFC); Gregory Kolz, directeur, Relations gouvernementales, Association des chemins de fer du Canada (ACFC); McCrorie (ministère des Transports).

[21]            L’article 3.1 des Règles relatives aux périodes de service et de repos du personnel d’exploitation ferroviaire définit le « déplacement haut le pied » de la manière suivante : « Transport autorisé d'un employé d'un lieu à un autre pour le compte de la compagnie de chemin de fer pendant lequel l'employé n'exploite pas de matériel ferroviaire et qui ne constitue pas du navettage. »

[22]            TRAN, 42e législature, 1re session, Le point sur la sécurité ferroviaire, juin 2016.

[23]            Dans leur rapport conjoint intitulé Are whistleblowing laws working? A global study of whistleblower protection litigation [en anglais seulement], le Government Accountability Project et l’Association internationale du barreau ont conclu que « le Canada, le Liban et la Norvège ont les lois de protection des dénonciateurs les plus faibles au monde, car ils respectent un seul des 20 critères établis » (p. 10).