Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : accès à une séance d’information sur un projet de loi

Débats, p. 17744–17745.

Contexte

Le 26 février 2018, Ed Fast (Abbotsford) soulève une question de privilège concernant l’accès à des séances d’information organisées par la ministre de l’Environnement et du Changement climatique à propos du projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. M. Fast explique que, dans l’heure suivant la présentation du projet de loi C-69 à la Chambre le 8 février 2018, les médias et des parties prenantes ont été invités à participer à une séance d’information, tandis que les députés l’ont été quelque cinq heures plus tard. Selon M. Fast, le fait d’exclure les députés de la première séance d’information porte atteinte à leur capacité de répondre immédiatement aux demandes des médias et des parties prenantes, en plus de témoigner du mépris envers la Chambre et ses députés[1]. Le 1er mars 2018, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre) se dit en désaccord et soutient que le gouvernement n’a pas délibérément entravé l’accès à l’information des députés. Il ajoute que d’autres séances d’information peuvent être organisées et que le projet de loi C-69 ne fait pas l’objet d’un débat à la Chambre avant plusieurs jours[2]. Le Président prend la question en délibéré.

Résolution

Le 20 mars 2018, le Président rend sa décision. Il rappelle d’abord aux députés que l’affaire n’a pas été portée à son attention à la première occasion. Il ajoute que même s’il entend faire preuve de souplesse cette fois-ci, les députés doivent agir avec célérité lorsqu’ils demandent à la présidence de déterminer s’il y a, de prime abord, question de privilège. De l’avis du Président, bien qu’il juge la situation malheureuse et entièrement évitable, le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier au texte du projet de loi a été respecté, puisque le projet de loi C-69 a été présenté à la Chambre avant la tenue des séances d’information en question. Le Président indique par la suite que pour constituer un outrage, il doit y avoir entrave à des travaux du Parlement et à la capacité des députés à exercer leurs fonctions parlementaires. Comme ce n’est pas le cas, il juge qu’il n’y a pas, de prime abord, outrage à la Chambre ni atteinte au privilège. Le Président rappelle néanmoins aux députés que la transmission de renseignements exacts en temps voulu est essentielle à leur travail et que les responsables doivent faire de leur mieux pour accélérer l’accès à l’information.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 26 février 2018 par l’honorable député d’Abbotsford au sujet des séances d’information tenues par la ministre de l’Environnement et du Changement climatique concernant le projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

Je tiens à remercier le député d’Abbotsford d’avoir soulevé la question, ainsi que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes et la députée de Berthier—Maskinongé de leurs observations.

Dans son intervention, le député d’Abbotsford a souligné que, dans l’heure qui a suivi le dépôt du projet de loi C-69 à la Chambre le 8 février, les médias et des parties prenantes ont été invités à participer à une séance d’information. Or, ce n’est que cinq heures plus tard qu’a eu lieu la séance d’information destinée aux députés. Puisque les députés n’ont pas été en mesure de répondre immédiatement aux questions des journalistes et des parties prenantes, le député d’Abbotsford soutient que la ministre a ainsi fait preuve d’un profond manque de respect et que cela constitue un outrage à la Chambre.

Le secrétaire parlementaire n’est pas du même avis. Il a fait valoir que la ministre n’a pas délibérément essayé d’empêcher les députés d’avoir accès à de l’information sur le projet de loi et que, sur demande, elle offrirait d’autres séances d’information. Le secrétaire parlementaire a affirmé que, puisque le projet de loi n’a été débattu à la Chambre que plusieurs jours plus tard et que les séances d’information ministérielles ne relèvent pas de la présidence, il n’y a pas eu atteinte au privilège.

Comme je l’ai déjà dit, la présidence n’est pas convaincue que la présente question a été soulevée à la première occasion. Les députés savent que, lorsque la présidence doit établir si la question de privilège est fondée de prime abord, elle doit déterminer si deux exigences ont été respectées. Premièrement, la question doit avoir été soulevée à la première occasion et, deuxièmement, il doit y avoir, à première vue, atteinte à un privilège parlementaire selon la présidence.

En ce qui a trait au moment où la question de privilège a été soulevée, voici ce qu’on peut lire à la page 145 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3e édition :

Le député devra […] convaincre le Président qu’il porte la question à l’attention de la Chambre le plus tôt possible après s’être rendu compte de la situation. Les fois où des députés n’ont pas respecté cette importante exigence, la présidence a généralement indiqué que la question de privilège n’était pas fondée de prime abord.

Dans la présente affaire, il convient de souligner que plusieurs jours de séance se sont écoulés entre le 8 février, jour où l’outrage aurait eu lieu, et le 14 février, jour où le député a soulevé la question à la Chambre, durant lesquels le député était au fait de la situation qui est à l’origine de sa question de privilège. Cela pose problème pour la présidence, surtout que le député n’a pas expliqué pourquoi cette exigence n’avait pas été respectée. Bien que je sois disposé en l’espèce à faire preuve de souplesse sur ce point et à ne pas rejeter la question de privilège pour ce seul motif, il n’en demeure pas moins que cette condition doit être prise en compte dans l’examen de la prétendue question de privilège.

Passons maintenant au fond de la question de privilège soulevée par le député. Ce n’est pas la première fois que des députés ont exprimé des préoccupations au sujet des séances d’information ministérielles. Le Président Milliken a affirmé ce qui suit dans une décision rendue le 21 novembre 2002 à la page 1742 des Débats de la Chambre des communes :

Il est très difficile pour le Président d’intervenir dans une situation où le ministre a choisi de tenir une conférence de presse, une séance d’information ou une rencontre au cours de laquelle il dépose des documents, car le Président n’a aucune autorité sur l’organisation de ce genre d’activité. […] C’est la même chose pour ceux qui sont invités aux réunions et pour l’avis de convocation aux réunions. Le fait qu’il y ait plus d’une réunion ou qu’il y en ait trois ou quatre, cela ne change rien. À mon avis, il m’est impossible d’intervenir dans ce cas.

Il est tout aussi important de préciser que, puisque le projet de loi C-69 a été déposé à la Chambre avant la tenue des séances d’information, le droit de la Chambre de prendre connaissance en premier des mesures législatives a été respecté en l’espèce, ce que le député a d’ailleurs reconnu. On ne peut donc pas avancer que le projet de loi a été divulgué hâtivement, même si les députés ont été exclus de la première séance d’information, soit celle destinée aux médias.

Le député a soutenu qu’il peut y avoir outrage si l’on entrave l’exercice des fonctions de la Chambre en portant atteinte au respect qui lui est dû. Dans une décision rendue le 29 octobre 1980 à la page 4214 des Débats de la Chambre des communes, la Présidente Sauvé a déclaré ce qui suit :

[…] bien que nos privilèges soient définis, la violation de ce privilège n’est pas circonscrite. On aura beau inventer de nouvelles façons de s’immiscer dans nos délibérations, la Chambre pourra toujours conclure, dans les cas pertinents, qu’il y a eu violation de privilège.

Ce passage fait ressortir un principe fondamental selon lequel, pour qu’il y ait outrage, il faut montrer que le déroulement des délibérations de la Chambre ou la capacité des députés d’exercer leurs fonctions parlementaires a été d’une façon quelconque entravé. Mon prédécesseur a tenu les propos suivant le 4 décembre 2014 à la page 10168 des Débats de la Chambre des communes dans une réponse à une plainte semblable à celle qui nous occupe :

Cela ne veut pas dire toutefois que chaque délibération ou activité liée à la présentation de renseignements ou à l’accès à des renseignements par des députés relève implicitement de leurs fonctions parlementaires.

C’est en outre à juste titre que mon prédécesseur a déclaré ce qui suit le 3 mars 2014, aux pages 3429 et 3430 des Débats :

Lorsqu’une situation est portée à l’attention de la présidence, elle doit être évaluée selon les paramètres assez stricts de la procédure et de la jurisprudence parlementaires […] [L]a présidence doit déterminer si le député a été gêné dans l’exercice de ses responsabilités liées directement aux délibérations au Parlement. […] [L]e député qui se prépare en vue de participer à des délibérations — que ce soit en assistant à une séance d’information technique ou par un autre moyen — n’est pas en train de participer aux délibérations en soi. Bien que l’importance d’une telle préparation ne fasse aucun doute, elle n’en demeure pas moins accessoire aux délibérations du Parlement et n’en fait pas partie.

Cela dit, la présidence comprend la frustration du député d’Abbotsford et l’impression qu’il y a eu manque de respect du fait que les députés n’ont pas eu un accès prioritaire aux séances d’information sur cette mesure législative très complexe. En fait, la présidence estime non seulement que la présente affaire est malheureuse, mais qu’elle aurait pu être entièrement évitée. Bien qu’il n’y ait eu ni manquement à une règle parlementaire ni atteinte à un privilège, il est essentiel que les députés aient accès en temps opportun à des renseignements exacts. Il ne fait aucun doute qu’omettre de donner aux députés un accès rapide aux renseignements sur les mesures législatives complique leur travail. Pour cette raison, on est en droit d’attendre de ceux qui sont responsables de ces renseignements qu’ils fassent tout en leur pouvoir pour que les députés puissent y avoir accès. Ne pas satisfaire à cette attente ne rend service à personne. Il est particulièrement troublant que le gouvernement donne la priorité aux médias plutôt qu’aux députés.

Vu la preuve et la marge de manœuvre limitée dont dispose la présidence dans la présente affaire, il m’est impossible de conclure que la Chambre ou les députés n’ont pas été en mesure d’exercer leurs fonctions parlementaires. Par conséquent, je ne peux conclure que la question soulevée constitue, de prime abord, un outrage à la Chambre, et il n’y a donc pas matière à question de privilège.

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[1] Débats, 26 février 2018, p. 17370–17371.

[2] Débats, 1er mars 2018, p. 17507.