Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : premier ministre et ministre qui auraient délibérément induit la Chambre en erreur

Débats, p. 18440–18441.

Contexte

Le 21 mars 2018, Candice Bergen (Portage—Lisgar) soulève une question de privilège au sujet de déclarations contradictoires alléguées qu’auraient faites à la Chambre Justin Trudeau (premier ministre) et Ralph Goodale (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) les 26 et 27 février 2018 concernant l’invitation faite à Jaspal Atwal pour qu’il prenne part à un événement en compagnie du premier ministre lors d’un déplacement en Inde. Mme Bergen soutient que le gouvernement refuse de clarifier les faits, ce qui va à l’encontre du droit des députés d’obtenir des renseignements exacts et non contradictoires[1]. Le 27 mars 2018, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre) soutient plutôt que les députés doivent être crus sur parole et que la question constitue simplement un désaccord sur les faits. Le même jour, Erin O’Toole (Durham) ajoute une autre allégation concernant les réponses contradictoires du gouvernement sur la classification de l’information fournie par le conseiller en sécurité nationale du premier ministre lors d’une séance d’information avec les médias. Le vice-président (Bruce Stanton) prend la question en délibéré[2].

Résolution

Le 17 avril 2018, le Président rend sa décision. Au sujet de l’exactitude des déclarations des députés, il déclare que la présidence n’est pas habilité à déterminer la véracité des déclarations, ni à vérifier leur conformité avec des déclarations antérieures. Il souligne que les controverses portant sur des faits, des opinions et des conclusions à tirer de ces faits sont matière à débat puisque ces échanges sont basés nécessairement sur des opinions et des perceptions divergentes, qui peuvent ensuite être comprises différemment selon l’interlocuteur. Le Président rappelle aussi que, pour que la présidence accepte une accusation selon laquelle la Chambre a été délibérément induite en erreur, elle doit pouvoir établir avec certitude que la déclaration était effectivement trompeuse, que le député savait, au moment de la faire, qu’elle était inexacte et que, en la faisant, le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur. En l’occurrence, le Président n’en est pas convaincu et conclut que la question de privilège n’est pas fondée de prime abord.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à me prononcer sur la question de privilège soulevée le 21 mars 2018 par la leader de l’opposition officielle à la Chambre au sujet de réponses fournies à la Chambre pendant la période des questions orales par le premier ministre et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

Je remercie la leader de l’opposition à la Chambre d’avoir soulevé la question, ainsi que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre et le député de Durham de leurs observations.

Lors de son intervention, la leader de l’opposition officielle à la Chambre a fait valoir que, les 26 et 27 février, le premier ministre et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ont fourni à la Chambre des réponses contradictoires à une question bien simple à savoir qui est responsable d’avoir envoyé une invitation à M. Jaspal Atwal pour prendre part à un événement pendant le récent voyage en Inde du premier ministre. Elle a affirmé que le gouvernement refusait de clarifier les faits, et ce, même si les députés ont le droit d’obtenir des renseignements exacts et non contradictoires lorsqu’ils posent des questions au gouvernement.

Le 27 mars, le député de Durham a formulé une seconde allégation, soit que des réponses contradictoires ont été présentées quant au caractère confidentiel des renseignements fournis par le conseiller à la sécurité nationale du premier ministre lors d’une séance d’information aux journalistes à propos du même sujet.

Selon le secrétaire parlementaire, la question soulevée n’est pas une question de privilège, mais elle relève plutôt du débat étant donné qu’il s’agit en l’occurrence d’un désaccord sur l’exactitude des réponses données pendant la période des questions orales. Il a souligné qu’il faut croire les députés sur parole.

Bref, on demande à la présidence de déterminer si les réponses fournies par le premier ministre et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile sont bel et bien contradictoires et de tirer une conclusion de fait définitive en l’espèce.

Cela présuppose un pouvoir que je ne possède pas en ma qualité de Président. Les députés savent fort bien que le rôle du Président, en ce qui a trait à l’exactitude des déclarations des députés, est très restreint. Je ne suis pas habilité à déterminer la véracité des déclarations ni leur conformité avec des déclarations antérieures. Voici ce qu’on peut lire à la page 529 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, 3e édition :

Aucune disposition du Règlement ne permet au Président de contrôler les réponses que le gouvernement donne aux questions.

Le 18 mai 2017, c’est d’ailleurs à juste titre que j’ai fait la déclaration suivante, qui se trouve à la page 11389 des Débats :

Comme les députés le savent, l’échange de renseignements à la Chambre se fait inévitablement par le prisme de perceptions et de points de vue divergents et, il va de soi, contradictoires. De ce fait, il existe bien sûr un risque élevé que, sans le vouloir, un député commette une erreur dans ses déclarations ou que, de son côté, le député qui écoute l’intervention comprenne mal ce qui a été dit.

Le Président Jerome s’est prononcé sur une situation semblable lorsqu’il a dit, le 4 juin 1975, à la page 6431 des Débats :

[…] les controverses portant sur des faits, des opinions et des conclusions à tirer des faits sont matière à débat et ne constituent pas une question de privilège.

Pour que la présidence accepte une accusation selon laquelle la Chambre a été délibérément induite en erreur, elle doit pouvoir établir avec beaucoup de certitude que la déclaration était effectivement trompeuse, que le député savait, au moment de faire la déclaration, qu’elle était inexacte et qu’en la faisant le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

La présidence reconnaît que la grande complexité et l’intense couverture médiatique de l’affaire ont pu engendrer diverses interprétations. Toutefois, la présidence n’est pas convaincue que la Chambre a été délibérément induite en erreur. Par conséquent, je ne puis conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 21 mars 2018, p. 17798–17799.

[2] Débats, 27 mars 2018, p. 18177–18178.